Réforme des retraites
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme des retraites.
Je souhaite la bienvenue au ministre et lui souhaite le meilleur dans ses fonctions délicates.
Notre débat s'organisera en deux temps : d'abord l'intervention du représentant de la commission des affaires sociales, une intervention de 5 minutes par groupe et la réponse du ministre ; puis un débat interactif.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le projet de loi de réforme des retraites devrait être présenté en Conseil des ministres le 24 janvier, mais un mouvement social d'ampleur dure déjà depuis plus d'un mois et, depuis plus longtemps encore, les Français se posent des questions sur leur retraite. La commission des affaires sociales a donc demandé ce débat sur un sujet politique hautement inflammable.
Pour qu'une réforme soit acceptable, il faut que les Français fassent confiance au Gouvernement. Or ce n'est guère le cas. Cela résulte certes d'un mouvement général de défiance dans la parole publique, mais aussi des actions du Gouvernement lui-même. Comment croire à la promesse de maintien du niveau de vie des retraités et de la sanctuarisation de la valeur du point, quand, depuis trois ans, le Gouvernement a foulé aux pieds la garantie d'indexation de la valeur du point sur l'inflation, a gelé les pensions en 2018 et à nouveau, quasiment, en 2019 ? S'est ajoutée à cela la hausse de 1,7 point de CSG sur les pensions de retraite, reconduite pour ceux qui perçoivent plus de 2 000 euros. Le Gouvernement a tout fait pour démonétiser sa propre parole.
Le Président de la République, durant la campagne électorale, s'était engagé à ne pas augmenter l'âge de la retraite et n'avait jamais évoqué un âge pivot. Comment nos concitoyens peuvent-ils s'y retrouver et avoir confiance ?
Le Gouvernement a creusé le déficit de la branche vieillesse, notamment en ne compensant pas la désocialisation des heures supplémentaires et la baisse du forfait social. Certains pourraient voir dans la réforme la facture de cadeaux faits aux entreprises et aux salariés.
En somme, le Gouvernement a tout fait pour créer le doute sur le sujet des retraites et il y a réussi. Il est temps de faire le point sur les intentions du Gouvernement alors que la phase de concertation se clôt et que l'avant-projet de loi est presque finalisé.
Espérons que ce débat répondra aux interrogations de nos concitoyens et aux nôtres. Elles ne manquent pas : carrières hachées, calcul des avantages familiaux, transition pour les régimes appelés à disparaître... Quid enfin de l'équilibre financier de la réforme, alors que les concessions aux grévistes se multiplient ? J'espère que vos réponses éclaireront enfin, par leur précision, le Sénat et les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Martin Lévrier . - Dès sa conception, le système de retraite avait une vocation universelle. Mais progressivement il s'est complexifié autour de logiques catégorielles, respectables mais qui ont créé des oppositions entre les Français au lieu de les unir. La défiance dans le système est désormais généralisée.
Et pour cause ! Comment accepter des droits différents en fonction de la caisse à laquelle on cotise ?
Solidarité, simplification, équité, équilibre financier : tels sont les objectifs de la réforme, dans le respect des promesses du candidat Macron. (M. Patrick Kanner ironise.) Pour ce faire, la réforme doit être systémique. Le nouveau système sera universel, solidaire, équitable et stable. La valeur du point et le montant des pensions ne baissera pas ; les plus fragiles seront protégés. Je veux tordre le cou à l'affirmation selon laquelle cette réforme vise l'introduction d'un système par capitalisation. C'est simplement faux. Chacun cotisera 2,81 % de ses revenus, jusqu'à 120 000 euros par an. Au-delà, une cotisation de solidarité nationale de 2,8 % sera demandée, n'ouvrant aucun droit supplémentaire.
Mais régime universel ne veut pas dire régime unique. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Rachid Temal. - Lesquels garde-t-on ? Lesquels ne garde-t-on pas ?
M. Martin Lévrier. - La discussion est en cours aujourd'hui sur la pénibilité et les seniors. Pour répondre à la demande de Laurent Berger et de la CFDT, se tiendra vendredi une conférence de financement.
La cristallisation des mécontentements s'est réalisée sur l'âge pivot. La proposition du Premier ministre est un premier pas. Du débat pourra émerger un compromis acceptable.
Je crois à la solidarité intergénérationnelle et la retraite par répartition. Je crois en la capacité du Sénat à être force de proposition pour contribuer à une réforme que les Français méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Cheminots, agents des transports urbains, salariés du transport routier, des raffineries, d'EDF, d'Air France, avocats, professeurs, infirmiers et tant d'autres se mobilisent courageusement contre la réforme, depuis plus d'un mois. Je leur rends hommage. Ce mouvement d'ampleur est soutenu largement par la population. Or, après le départ de M. Delevoye - ses mensonges et ses tricheries ont été fatals à M. Retraites - le Gouvernement ne change en rien sa position et prétend passer en force : c'est irresponsable !
Quant à vous, monsieur le ministre, qui avez pour but ultime d'alimenter les fonds de pension comme BlackRock, vous ne changerez rien à la colère et la détermination des travailleurs mobilisés.
Le Gouvernement a dû descendre de sa tour d'ivoire, mais les concessions sont bien insuffisantes.
Vous souhaitez faire travailler les Français plus longtemps : voilà la duperie de votre système universel de retraite par points. Vous allez niveler les droits sociaux vers le bas, reculer l'âge du départ à taux plein, âge pivot ou non. Toute votre politique organise la casse et le déficit de la sécurité sociale, pour mieux imposer ensuite une réforme au profit d'un système à l'allemande ou à la suédoise - des pays où les retraités sont les plus pauvres d'Europe !
Le montant de la retraite ne sera connu qu'au moment du départ à la retraite. En outre, mesurez-vous ce que signifie travailler plus longtemps pour les ouvriers du bâtiment, les déménageurs ou les femmes de ménage ? Votre réforme pénalisera les carrières hachées et les femmes. Combattons et soyons signataires de la pétition qui en demande le retrait.
Retirez votre projet de réforme de retraites par point et revenez à une réforme du système par répartition sur les bases actuelles. Les syndicats vous ont fait des propositions, vous ne les avez pas écoutées. En réponse, vous avez envoyé votre projet au Conseil d'État. C'est une provocation. Mais les salariés demeurent déterminés. Ils manifesteront à nouveau jeudi et nous serons à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC milite depuis longtemps pour une réforme universelle des retraites. Si le travail préparatoire de Jean-Paul Delevoye fut exemplaire, la suite est chaotique.
Le système actuel est injuste sur bien des aspects : fixer une retraite minimum à 1 000 euros est par conséquent une bonne chose.
Il est faux de dire que la réforme crée une retraite par capitalisation. Fake news ! Le nouveau régime ne s'appliquera qu'aux actifs nés après 1975, les droits antérieurs sont garantis.
Notre appréciation, malgré l'absence étude d'impact, est positive. La valeur du point ne baissera pas, elle sera indexée sur la progression du salaire moyen, qui augmente plus vite que le PIB. Les pensions suivront toujours le rythme de l'inflation, nous l'espérons.
La gestion du système sera confiée aux partenaires sociaux, comme aujourd'hui celle des complémentaires Agirc-Arrco, dont la gouvernance est un bel exemple de réussite du paritarisme, ce qui incite à la confiance.
Est-il besoin d'un ajustement paramétrique avant la mise en place du nouveau système ? Je ne le crois pas, à condition de procéder progressivement, en respectant l'âge de départ à 62 ans inscrit dans la loi, qui devra sans doute évoluer pour tenir compte des évolutions démographiques.
Mettons entre parenthèses l'âge pivot. L'idée d'une conférence de financement formulée par Laurent Berger rejoint la proposition des présidents des groupes parlementaires centristes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Le Conseil d'orientation des retraites prévoit un déficit en 2025, dû pour moitié au secteur public. L'État employeur doit prendre sa part et ne pas se défausser sur le privé. Une règle d'or contraignant à l'équilibre, calculé sur cinq ans par exemple, serait bienvenue.
La pénibilité devra donner lieu à des points de bonification ou à des années de retraite anticipée. Les régimes spéciaux, qui concernent seulement 5 % des actifs, sont budgétivores : 9 milliards d'euros sont versés pour compenser leurs déficits... Deux tiers des Français relèvent du secteur privé et un quart du secteur public. Il y a des disparités. La transition doit donc être différenciée.
Les compensations financières sont gérables dans le temps, avec la croissance de la masse salariale et les 100 milliards d'euros de réserves Agirc-Arrco et du Fonds de réserve des retraites... à condition de ne pas les dilapider ! Ils pourront contribuer à l'équilibre du nouveau système.
Il est temps de rectifier les contre-vérités, de rassurer nos concitoyens, de sortir du conflit. Il est temps que le Parlement grave dans le marbre les principes correspondant à un système plus juste, plus équitable, plus solidaire. Ainsi, la situation sera apaisée. Que le Gouvernement écoute le Sénat, après les partenaires sociaux. Lui aussi s'est beaucoup investi dans cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Patrick Kanner . - Nous vivons depuis 34 jours une crise sociale majeure, où s'expriment la crainte de l'avenir et le rejet du projet de loi du pouvoir en place, où les grévistes perdent une partie de leur salaire, où les Français ne peuvent plus mener une vie normale. Or, pendant ce temps, le Gouvernement se félicite d'une réforme bien pensée, bien calibrée, la meilleure qu'il ait portée ! Il n'y aurait pas d'impasse... Le Premier ministre mène le projet droit dans ses bottes de hussard et nous impose une procédure accélérée.
Le nouveau monde emploie les vieilles recettes pour décrédibiliser le mouvement, dénonçant un refus exprimé par des « privilégiés ». Mais de quels privilégiés parle-t-on ? De ceux qui ne veulent pas partir à la retraite plus tard, moins dotés et en moins bonne santé ? Un ouvrier a une espérance de vie inférieure de six ans à celle d'un cadre, mais il ne partira pas plus tôt en retraite. Votre réforme est structurellement inégalitaire ! Les plus modestes paieront la retraite des plus favorisés, et on nous parle d'égalité !
Il faut revoir la prise en compte de la pénibilité. Le Medef trouvait les dix critères de pénibilité trop compliqués. Traduction : trop favorables aux salariés. Leur nombre a été réduit à six, correspondant essentiellement à l'invalidité et la maladie professionnelle. Les salariés concernés ne partent pas à la retraite en bonne santé !
Le taux d'emploi des seniors étant de 32,2 % ; vous envoyez nombre d'entre eux dans une trappe à pauvreté sans fond.
Le système actuel peut être amélioré mais la réforme Touraine a montré qu'il était possible de sauver la retraite par répartition. Une autre voie était donc possible. Il n'y a pas non plus d'urgence induite par un sous-financement des retraites. Notre système est viable. Le Gouvernement, en instillant la peur chez les Français, favorise un climat délétère pour la démocratie.
Il faut prendre en compte la pénibilité, les carrières longues, l'égalité entre hommes et femmes. Parce que niveau de vie et espérance de vie sont fortement corrélés, les entreprises et les hauts revenus doivent être responsabilisés. Les Français les plus favorisés sont ceux qui restent le plus longtemps à la retraite. Le climat de défiance accentue la déchirure sociale. Au contraire, refonder les retraites devrait renforcer le pacte social.
Votre projet à l'impact indéterminé, incontrôlé, est fondamentalement injuste. Retirez-le ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Stéphane Artano . - En 1945, le Conseil national de la Résistance a souhaité que les vieux travailleurs finissent convenablement leurs jours. Il traduisait des valeurs humanistes chères au groupe RDSE.
Mais ce pilier de la démocratie sociale est de plus en plus fragilisé. Entre 8 et 17 milliards d'euros de déficit sont prévus à horizon 2025, avec une dégradation supplémentaire jusqu'en 2030. Depuis trente ans - depuis le Livre blanc de Michel Rocard, qui affirmait notre devoir de lucidité et l'exigence de garantir un avenir aux générations futures - les gouvernements successifs tentent en vain d'apporter une réponse satisfaisante. Les jeunes sont de plus en plus inquiets. Ne rien faire serait irresponsable et menacerait le régime par répartition.
Le groupe RDSE est majoritairement favorable à la réforme. Mais la méthode du Gouvernement interroge. Il ne faut ni paupérisation ni rupture entre les Français. Mais de l'universalité, de l'égalité et de la responsabilité.
Pour garantir la pérennité de notre système, il faut le réformer. Le terme « universel » inquiète. Comment un marin pêcheur peut-il travailler jusqu'à 64 ans ? Dans ces conditions, comment un euro de cotisation peut-il valoir la même chose pour tous ?
Nos concitoyens sont méfiants. Des aménagements ont été obtenus ici et là, mais si des régimes spéciaux laissent place à des régimes « spécifiques », sur quelles bases cela se fera-t-il ? Le 31 décembre dernier, le Président de la République a lié système universel et justice, et progrès social. Ne doit-on pas craindre une fracture de notre société avec une réforme s'adressant seulement au privé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. René-Paul Savary . - Le groupe Les Républicains n'est pas farouchement opposé à une réforme. Nous l'avons montré par le passé et nous avons favorisé le maintien à l'équilibre du système des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Nos réformes n'étaient pas seulement financières, mais également de justice, avec notamment le rapprochement des droits entre les régimes.
M. Jérôme Bascher. - Eh oui !
M. René-Paul Savary. - Nous ne sommes pas forcément hostiles, mais nous sommes inquiets. Comme le disait Jean-Marie Vanlerenberghe, l'affaire avait bien commencé mais il n'est pas certain qu'elle se conclue aussi bien. Nulle part en Europe il n'y a de régime unique, ni d'âge légal de départ à 62 ans. Nulle part on ne met ses oeufs dans le même panier en écartant la capitalisation.
Nous Français, plus malins que tous, nous inventerions un régime unique et supprimerions 42 régimes équilibrés, conservant en revanche des régimes spéciaux en déséquilibre jusqu'en 2037 ! Le régime des indépendants est équilibré, avec des taux de cotisation différenciés selon les métiers. Or à quoi va-t-on parvenir ? À plus de cotisations, à des pensions moindres, à des compensations de CSG sur des bases de calcul différenciées. Cela ne sera pas plus simple !
La compensation pour les femmes ayant eu des enfants n'est pas suffisante. Idem sur la pension de réversion : le décalage à 62 ans de l'âge où on peut la toucher est une régression sociale.
Si nous, Les Républicains, n'avions pas effectué de réforme des retraites, les dépenses seraient à plus 20 % du PIB, soit 40 milliards d'euros supplémentaires pour un système de retraites intenable. Quant à vous, vous n'expliquez pas comment vous financerez la solidarité. Il faudra par exemple trouver 2 milliards d'euros pour le minimum contributif à 1 000 euros.
Depuis plusieurs semaines, le Gouvernement fait droit en catimini aux revendications de certaines catégories, sans en évaluer le coût. On en reparlera plus tard, pas d'histoire d'argent entre nous ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains) On ne connaît ni les montants ni les âges visés : ce n'est pas ainsi qu'on garantit la confiance. Résultat, les manifestations continuent.
Écoutez le Sénat, nous faisons des propositions, en loi de financement de la sécurité sociale notamment. Nous sommes attachés à la prise en compte de la pénibilité, selon le poste et non selon le métier ou le statut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Écoutez-nous, contrairement à ce que vous avez fait jusqu'à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Claude Malhuret . - Comme le disait Bismarck : « les lois sont comme les saucisses, il vaut mieux ne pas savoir comment elles sont élaborées ». (Applaudissements et rires sur les travées du groupe Les Républicains) Mais les Français ne sont pas Bismarck : nous préférons savoir. D'où l'utilité du présent débat.
La réforme en France porte en elle la grève comme la nuée l'orage. Le remake de 1789 menace désormais tous les ans. Vous subissez grèves et manifestations, comme Alain Juppé, comme Jean-Pierre Raffarin, comme Dominique de Villepin, comme François Fillon, comme Myriam El Khomri... Champions du monde !
Marx disait que l'histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce. Au vingt-cinquième épisode, c'est une mauvaise série Netflix.
Les Français sont las.
Mme Éliane Assassi. - Comment le savez-vous ? En êtes-vous sûrs ?
M. Claude Malhuret. - Ils sont en marche, mais en marche à pied. Et le pays est en marche arrière. Les démagogues du Rassemblement anti-national, la France soumise à Cuba et la CGT proposent la retraite à 60 ans. Pour eux, l'argent public est comme l'eau bénite, il suffit de se servir. (Protestations à gauche)
Les Français sont favorables à l'universalité, aux mesures en faveur des femmes, des agriculteurs, des salariés aux carrières hachées, comme à la suppression des régimes spéciaux - ceux qui partent à 63,5 ans paient 18 milliards d'euros pour que d'autres partent à 52 ans.
M. Fabien Gay. - C'est faux !
M. Claude Malhuret. - Pour la CGT, c'est « je bloque donc je suis ». Mais combien coûteront les mesures nouvelles annoncées chaque jour ? Le système doit être équilibré tant sur le court que le long terme. Les concessions à chaque rencontre avec les partenaires sociaux sont-elles terminées ? J'ai peur que vous courrouciez ceux qui vous sont favorables.
Une réforme est indispensable et nous souhaitons pouvoir la voter. Cependant, une grande question demeure : quelle réforme exactement voterons-nous ? Nous souhaitons savoir comment sont fabriquées les saucisses, mais nous voulons aussi qu'à la sortie, elles ne soient pas saucissonnées ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains ainsi que sur quelques travées des groupes RDSE et UC)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites . - Je suis très heureux d'être parmi vous pour cet échange. Aucune politique publique n'a donné lieu à autant de travaux que la réforme des retraites. Le Sénat y a largement contribué.
Les partenaires sociaux ont eu à prendre dans le passé des décisions difficiles pour mieux calibrer notre système des retraites, mais celui-ci reste trop injuste, complexe et inadapté à la société actuelle, aux parcours professionnels et aux défis de demain.
Le Gouvernement, face à l'alternative de l'individualisme ou du collectif, a résolument fait le choix du second en privilégiant le système par répartition dans lequel les actifs d'aujourd'hui paient les retraites d'aujourd'hui.
Une concertation approfondie a été menée pendant deux ans. Il fallait prendre le temps de s'écouter et de se parler.
Le Gouvernement a trois principes à coeur : l'universalité, assurant une protection sociale plus forte et plus durable ainsi qu'une meilleure liberté et égalité professionnelles, n'interdisant pas la prise en compte de spécificités ; l'équité et la justice sociale - monsieur Kanner, le projet du Gouvernement prévoit une pension minimale de 85 % du Smic net pour une carrière complète. Il s'agit de faire en sorte que tous ceux qui doivent travailler jusqu'à 67 ans obtiennent de partir sans décote plus tôt.
Nous sommes également attachés au paritarisme, à la responsabilité à l'égard des jeunes générations.
Nous faisons le choix de la lucidité et de la liberté donnée à l'individu...
Mme Éliane Assassi. - Belle liberté !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Il est normal de travailler un peu plus.
Le fonctionnement du nouveau système devra être viable et stable.
Nos consultations ont débuté pour remplacer ou modifier notre solution. Les rémunérations versées dès le 1er janvier 2025 donneront des points dans les mêmes conditions pour tous, quel que soit le statut.
Je veux rassurer le président Kanner : le Gouvernement maintiendra les dispositifs de carrière longue et de prévisibilité. Les conditions de départ seront humanisées.
Pour toutes les générations concernées, nous gardons le même principe de justice. Un système universel n'est pas forcément synonyme de règles rigides et identiques pour tous !
La volonté du Gouvernement n'est pas de mettre les Français dans un modèle unique. Voilà pourquoi nous nous concertons avec les professions et pour mettre en place un système universel sans brutalité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Michèle Vullien et M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudissent également.)
M. le président. - Nous passons au débat interactif.
M. Martin Lévrier . - Au fil des semaines, on observe une division entre un syndicalisme de salariés et un syndicalisme de politiques. Le premier, aux prises avec les réalités du monde du travail, innove et est force de proposition ; le second sombre dans l'excès en refusant toute négociation, allant jusqu'à utiliser des moyens de pressions illégaux comme le blocage des raffineries, les coupures d'électricité ou des menaces sur les non-grévistes. (Vives exclamations à gauche)
Mme Laurence Rossignol. - Même la droite n'en croit pas ses oreilles !
M. Martin Lévrier. - Rien de durable ne se construit dans l'excès. Au-delà du débat sur la retraite, c'est l'avenir du syndicalisme qui se joue. À force de promouvoir un syndicalisme de politiques, les Britanniques en ont précipité la chute... (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)
En proposant une conférence de financement, Laurent Berger défend les intérêts des salariés et respecte notre démocratie. (Exclamations à gauche) Que le Gouvernement travaille avec lui est un signe fort. J'invite ceux qui sont dans une posture d'opposition à se présenter devant le suffrage universel. (Vives exclamations à gauche)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Les syndicalistes sont libres !
M. Martin Lévrier. - Monsieur le ministre, quel chemin prendrez-vous avec les syndicats réformateurs pour trouver des solutions ? (Vives protestations à gauche ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. Rachid Temal. - C'est pire que la droite des années quatre-vingt !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Effectivement, monsieur Lévrier...
Mme Laurence Rossignol. - Vous pouvez lui dire merci !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - ... Le Premier ministre a repris la proposition du premier secrétaire de la CFDT.
M. Rachid Temal. - Qui demande quand même la suppression de l'âge pivot !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le débat sur l'équilibre est déterminant dans un système par répartition, puisque les cotisants d'aujourd'hui payent les retraites d'aujourd'hui. Le Gouvernement en a tenu compte, mais une divergence existe sur la mise en oeuvre de cet équilibre. Les partenaires sociaux réformistes...
Mme Laurence Rossignol. - C'est quoi ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - ... ont perçu la dimension de solidarité que porte notre réforme ; ils sont attentifs à ce que les mesures d'équilibre n'arrivent pas à trop court terme. Le débat est ouvert et le Premier ministre recevra vendredi les partenaires sociaux ; je ne peux préjuger de ce qu'il dira à cette occasion.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La CFDT a toujours dit être contre l'âge pivot !
Mme Michelle Gréaume . - On vit plus longtemps ; il faut donc travailler plus longtemps : voilà votre antienne.
M. Philippe Dallier. - En même temps, c'est assez vrai !
Mme Michelle Gréaume. - Or l'espérance de vie en bonne santé stagne quand on a été confronté aux tâches les plus pénibles.
Monsieur le ministre, l'être humain ne se réduit-il qu'au travail ? Cette vision passéiste est contredite par les évolutions sociales et scientifiques, porteuses de progrès pour peu qu'elles soient mises au service du bien commun et non du profit de quelques-uns. La retraite n'est plus la fin de la vie mais le début d'une nouvelle, riche d'activités et de découvertes. Ce n'est pas une charge mais un progrès. La grandeur d'une nation est de savoir répondre à ce défi. Cela suppose un autre projet de société, financé par une réelle répartition des richesses.
Ainsi, aligner le taux de cotisation des revenus du capital sur celui des revenus du travail rapporterait 31 milliards d'euros. Mettre fin aux exonérations générales de cotisations patronales rapporterait 66 milliards d'euros, l'égalité salariale entre femmes et hommes, 11 milliards d'euros. L'augmentation du Smic de 20 % rapporterait 3 milliards d'euros de plus aux caisses de retraite. Allez-vous enfin retirer cette réforme que tous rejettent et accepter de débattre des alternatives ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Ma circonscription est entre Armentières et Lille. Les citoyens qui s'y sont exprimés n'ont pas porté exactement le même message que vous. (Exclamations à gauche)
M. Patrick Kanner. - Regardez les sondages !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Nous proposons de maintenir l'âge légal à 62 ans.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Avec une décote !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Nous proposons de maintenir les dispositifs de pénibilité, voire de les améliorer. C'est l'objet des négociations que mène Mme Pénicaud.
Les dispositions de carrière longue seront maintenues. La question est de savoir comment individualiser la référence collective de l'âge de départ à 62 ans. Si l'on commence à travailler à 22 ans - âge moyen d'entrée dans la vie active - et que l'on travaille 43 ans, cela fait 65 ans ! C'est un faux débat. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
Mme Cécile Cukierman. - Nous étions contre les 43 ans ! Ne déformez pas nos positions.
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Votre projet de loi a reçu un accueil favorable au sein du monde rural. Système par points, pension à 85 % du Smic pour une carrière pleine, avancées sur le cumul activité retraite, fin des conditions de ressources pour la pension de réversion sont des bonnes nouvelles. Cependant, elles ne concernent pas la majorité des agriculteurs qui sont déjà à la retraite ou à quelques années de celles-ci, ou ceux qui ont des carrières hachées.
La situation de nombreux retraités commande d'agir de toute urgence. Le montant des retraites agricoles est parfois si faible que certains en viennent à commettre l'irréparable.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser ce qu'il en sera pour les agriculteurs des générations d'avant 1975 ? La pénibilité de leur travail sera-t-elle prise en compte dans la valeur du point ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le sujet des petites pensions nous préoccupe tous. Le Président de la République a demandé à ce qu'il soit traité rapidement. Nous prévoyons une retraite minimum de 1 000 euros dès 2022. Les agriculteurs, qui travaillent bien plus que 35 heures, sont attentifs à leur environnement et nous offrent une alimentation saine, seront les premiers à en bénéficier. Ceux qui ont des carrières hachées sont aussi concernés. Notre ambition est d'atteindre 85 % du Smic en 2025. Le sujet est au menu des négociations avec les partenaires sociaux cette semaine.
M. Daniel Chasseing. - J'espère que ces précisions suffiront à apaiser les craintes qui remontent du terrain. Il faut repenser l'architecture pour bâtir un modèle juste sur le long terme et retrouver la confiance, mais aussi répondre aux situations d'urgence et de détresse des retraités actuels.
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'État verse chaque année 6,2 milliards d'euros à dix régimes spéciaux déficitaires, principalement ceux de la SNCF, la RATP, les marins et les mineurs. Ce déficit tient au déséquilibre démographique entre actifs et retraités, il est donc légitime que l'État le comble.
Monsieur le ministre, au cours de vos récentes négociations, vous avez reconnu aux pilotes de ligne une spécificité liée à la pénibilité et à la pression de la sécurité dans l'exercice de leur métier.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Et les conducteurs de TGV ?
Mme Sylvie Vermeillet. - En précisant qu'ils financeront eux-mêmes ces particularités, et non la collectivité.
Selon la Cour des comptes, sur les 4 milliards d'euros que l'État verse aux régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, 900 millions d'euros financent des avantages spécifiques - 600 millions pour la SNCF, 300 millions pour la RATP. Est-ce à la solidarité nationale d'assumer cette charge ? En cohérence avec vos propos sur les pilotes, allez-vous retirer ces avantages spécifiques à ces régimes ou les accorder à tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le Président de la République s'est engagé dans sa campagne à mettre fin aux régimes spéciaux. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Pourquoi traiter différemment le transport ferroviaire ou le transport par bus à Lille, à Marseille ou à Paris ? C'est le même métier, les règles doivent être les mêmes pour tous. Je ne conteste pas la pénibilité liée au métier, mais les règles doivent être uniformes.
Oui, nous mettrons fin aux régimes spéciaux, mais sans brutalité. Ceux qui se sont engagés dans ces entreprises ont projeté leur parcours professionnel et personnel en fonction des règles en cours ; il faut le respecter. C'est pourquoi nous proposons que la réforme ne s'adresse pas à ceux qui sont à moins de dix-sept ans de la retraite.
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous n'avez pas répondu à ma question... L'universalité de la réforme ne doit pas s'éloigner de l'équité. Vous envisagez des délais de transition pour certains, pas pour d'autres : attention ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Philippe Dallier . - Il aura fallu attendre deux ans et demi pour que le problème de l'équilibre financier du régime des retraites remonte à la surface. Le Président de la République, en 2017, affirmait qu'il ne reculerait pas l'âge de départ, qu'une réforme systémique garantirait que personne n'y perde.
Et puis, Jean-Paul Delevoye a conclu que ce n'était pas possible, et nous avons découvert cet été l'âge d'équilibre... Cela fait six mois, et le Gouvernement est toujours incapable de dire quels sont les enjeux budgétaires !
M. Berger propose une hausse des cotisations. Nous sommes nombreux à ne pas y être favorables...
Une voix à gauche. - À droite !
M. Philippe Dallier. - Sur la période qui court jusqu'en 2025, il manque 7 à 17 milliards ; elle sera suivie par une période de convergence, avant la troisième période où tout le monde sera au même régime. Quels sont les enjeux budgétaires pour chacune de ces trois périodes ? Donnez-moi un ordre de grandeur !
On a beaucoup parlé des enseignants dont le Gouvernement devra augmenter le traitement pour qu'ils n'y perdent pas. Mais beaucoup de fonctionnaires de catégorie C sont aussi concernés, hospitaliers ou territoriaux. On a parlé de 10 milliards d'euros pour les enseignants. Combien pour les autres ? (Applaudissements et « Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Vous aurez une partie des réponses dans l'étude d'impact du projet de loi. (On ironise.) Votre question n'est pas inintéressante.
M. Philippe Dallier. - Merci ! (Sourires)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - L'enveloppe constante allouée aux retraites représente 14 % du PIB, soit 325 milliards d'euros : quand le PIB augmente, l'enveloppe aussi.
M. Patrick Kanner. - Cela ne suffira pas !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Notre réforme n'est pas à visée budgétaire, l'objectif n'est pas de faire des économies.
Les régimes spéciaux coûtent environ 9 milliards d'euros par an. Leur fin progressive dégagera donc, mathématiquement, un gain de 9 milliards...
M. Rachid Temal. - Ça rame !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Enfin, il faut poser la question du contrat social entre la nation et ses enseignants.
M. Patrick Kanner. - Douze milliards !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Est-ce un coût, ou n'est-ce pas plutôt un investissement ? (Exclamations à droite comme à gauche, où on réclame des chiffres.) Je rappelle que les enseignants français sont parmi les moins bien payés de l'OCDE.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Rachid Temal. - Deux minutes, et aucun chiffre !
Mme Monique Lubin . - « Je refuse les réformes comptables qui rognent des droits sans offrir de nouvelles perspectives », disait le Président de la République en janvier 2018. Pourquoi dès lors cet acharnement à imposer un âge pivot ? Les pseudo-simulateurs de Bercy relèvent de la divination, pour des gens qui prendront leur retraite dans quarante ans.
Le calcul est pourtant simple : Jean, 60 ans, travaille depuis ses 19 ans. En partant à 62 ans, il comptera le nombre de trimestres requis pour faire valoir ses droits et sait qu'il touchera une retraite de 1 400 euros. Avec l'âge pivot à 64 ans, que lui arrivera-t-il ? Soit il travaille encore deux ans pour conserver une retraite à taux plein, soit il part à 62 ans et perd 140 euros par mois, définitivement. Pile il perd, face il ne gagne pas.
Jean fait partie de la cohorte de ceux qui auront contribué au financement des retraites et à qui l'on demandera de contribuer encore et encore. Est-ce concevable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Si Jean a commencé à travailler à 19 ans, il fait partie des carrières longues. (Mme Monique Lubin le conteste.) Il a effectué quatre trimestres avant 20 ans.
Mme Laurence Rossignol. - Il faut cinq trimestres ! Formez-vous, monsieur le ministre !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - On peut invoquer des cas d'espèce, ou s'intéresser à l'immense majorité. Nous maintenons le dispositif carrières longues. En moyenne, on rentre dans la vie active à 22 ans. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
Mme Annie Guillemot. - Et la réponse ?
M. Stéphane Artano . - La semaine s'annonce décisive : enfin, la discussion s'engage entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Les trois principes que vous défendez, l'équité, l'universalité et la responsabilité, sont louables, mais quid de l'équilibre financier ? Tout élu responsable doit, en abordant une réforme, s'assurer d'abord des modalités de son financement.
Le Gouvernement va mettre en place un simulateur pour mesurer, en théorie, l'impact personnel de la réforme pour chacun.
Ce mardi, il s'est dit prêt à tenir une conférence de financement - dissociant de fait la réforme de son financement. Envisagez-vous de faire voter le texte avant la tenue de cette conférence ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - La confiance entre les générations repose sur un système à l'équilibre, garantissant aux cotisants qu'ils percevront leur retraite le moment venu.
Le Gouvernement a proposé aux partenaires sociaux de travailler sur un dispositif permettant cet équilibre. S'ils proposent quelque chose qui tient, nous le prendrons. À défaut, ce sera l'âge d'équilibre. Laurent Berger a proposé une conférence de financement ; nous avons dit banco. Le Premier ministre reviendra sur la méthode vendredi.
Solidité et solidarité vont de pair, et passent par un système à l'équilibre durablement. Les partenaires sociaux réformistes sont très clairs sur ce point. La question reste de savoir comment on le construit.
Mme Laurence Rossignol. - Vous comptez le Medef parmi les partenaires sociaux réformistes ?
M. Stéphane Artano. - Ma question portait sur le principe, pas sur le calendrier. Le Sénat a refusé de se prononcer sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale car des discussions étaient en cours. Le Gouvernement va-t-il passer à nouveau en force ?
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Rapporteure de la branche famille du PLFSS, je déplore l'absence d'une politique familiale digne de ce nom. Il s'agit pourtant d'un investissement d'avenir face au vieillissement de la population. Sans futurs cotisants, la solidarité intergénérationnelle sera plus difficile. Or les naissances ont baissé de 8,5 % en dix ans.
Le Premier ministre annonce que les femmes seront les grandes gagnantes de la réforme, mais seulement si elles restent en couple ! Or un mariage sur deux se conclut par un divorce. Elles ont un salaire inférieur de 26 % à celui des hommes, une pension inférieure de 42 %. Les familles appliqueront la revalorisation de pension de 5 % dès le premier enfant au revenu le plus élevé, celui de l'homme - résultat, la femme en pâtira en cas de divorce.
S'agissant des pensions de réversion, si vous garantissez 70 % des ressources du couple au conjoint survivant, les femmes divorcées, qui y avaient droit au prorata des années de mariage, en seront exclues.
Quelle est la place de la politique familiale dans votre réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le système de retraite actuel accentue les écarts entre les hommes et les femmes : ainsi, 60 % des 9 milliards d'euros que représente la majoration de 10 % au troisième enfant vont aux hommes, alors que la mesure est censée compenser le préjudice de carrière !
La majoration de 5 % dès le premier enfant correspond à la vie des couples aujourd'hui. Mes filles de 24 ans et 25 ans n'envisagent pas d'avoir des enfants immédiatement ni de fonder une famille nombreuse... Mais nous ajoutons 2 % de majoration au troisième enfant, gage d'une politique familiale positive.
Mme Catherine Deroche . - Ceux qui ont racheté les trimestres de cotisation pour leurs années d'étude, souvent au prix d'un effort financier important, ne risquent-ils pas d'être pénalisés par la réforme ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Dans le système par points, la notion durée de cotisation est moins importante - elle ne vaut réellement que pour des dispositifs carrières longues, pénibilité et minimum contributif. En dehors de ces trois cas, acquérir de la durée n'a guère de sens, alors qu'aujourd'hui, il faut atteindre les 43 ans pour partir à taux plein. (On souligne à gauche que le ministre ne répond pas à la question.)
Mme Catherine Deroche. - Vous avez dû mal comprendre ma question... (Rires à gauche) En tout cas, vous n'y répondez pas.
Dans l'ancien monde, des dispositifs existaient pour récupérer les rachats des années d'études. Votre prédécesseur parlait avec des trémolos dans la voix d'une réforme « juste et simple », mais elle n'est simple que si l'on refuse d'aborder toutes les questions annexes ! (Applaudissements à gauche comme à droite)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je poserai quatre questions, qui appellent quatre réponses.
Confirmez-vous que les veuves devront attendre d'avoir 64 ans pour percevoir la pension de réversion, contre 55 ans aujourd'hui ? Est-il juste d'exclure les ex-conjoints divorcés du bénéfice de la pension de réversion ? Cela ne risque-t-il pas d'accroître la dépendance économique des femmes, y compris en cas de violences conjugales ? Qu'est-ce qu'une « carrière complète » dans un système à points ?
Enfin, en remplaçant le système des six derniers mois par des points, on va pénaliser les fonctionnaires - dont 62 % sont des femmes. Comment pouvez-vous prétendre que votre réforme est favorable aux femmes ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - La question des pensions de réversion fait l'objet d'une réflexion de l'IGAS.
M. Patrick Kanner. - La réponse ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Nous lirons le rapport de l'IGAS. Il reste encore des éléments à étudier.
Une carrière complète, pour le minimum contributif par exemple, c'est 43 ans de cotisation, sur la base de 150 heures au Smic pour valider un trimestre.
Dans le cas d'espèce que vous citez, il n'y a pas que des perdants, mais des gagnants et des perdants. (Exclamations)
Mme Laurence Rossignol. - On est loin de la grande cause du quinquennat ! Vous attendez un rapport de l'IGAS pour savoir si vous allez passer la pension de réversion à 64 ans ? De qui vous moquez-vous ? Vous exposez les femmes aux violences conjugales en les maintenant dans la dépendance économique de leur mari. Vous ne m'avez pas davantage répondu sur les femmes fonctionnaires. Bref, vous n'avez répondu à aucune de mes questions ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE ; Mmes Valérie Létard et Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)
M. René-Paul Savary . - Nos concitoyens veulent savoir à quel âge ils partiront à la retraite, et avec quel montant de pension.
Dans le système à points, un petit salaire offre une petite retraite. Et il faut travailler longtemps. Inversement, avec un gros salaire, on aura beaucoup de points... C'est ce qui inquiète. Les gens veulent des garanties sur leur niveau de retraite. D'où les simulations - mais elles sont compliquées à réaliser pour des carrières prospectives ; au prorata, on fausse le calcul. Ne serait-il pas plus judicieux de baser les simulations sur les carrières passées, pour comparer la retraite que l'on aurait eue avec un système à points ? (« Très bien » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le sujet est compliqué. (Exclamations) Difficile de faire des simulations à partir de carrières qui ne reflètent plus la réalité de la société actuelle. Les carrières ne sont plus celles qu'a connues ma génération.
La dynamique en matière d'égalité salariale entre femmes et hommes est plutôt positive ; les carrières sont moins hachées, le taux de fécondité des femmes a évolué. Il est difficile de faire des comparaisons entre époques. (On ironise à gauche.) La société évolue, le rapport à l'emploi aussi : difficile donc de vous répondre. (Exclamations à gauche) En revanche, dès que le projet de loi sera connu, il sera possible de faire des simulations pour l'avenir.
Mme Laurence Rossignol. - C'est un comique, ce ministre !
M. René-Paul Savary. - Vous ne me rassurez pas, monsieur le ministre ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Si l'on n'arrive pas à faire des simulations sur les carrières passées, comment ferons-nous pour les carrières à venir ? (Nouveaux rires et applaudissements) Ne vous en déplaise, le monde n'a pas radicalement changé en quelques années.
Les CNAV disposent de toutes les données nécessaires pour reconstituer les carrières et faire des comparaisons. Je vous propose une piste pour redonner confiance, ne la repoussez pas d'un revers de main ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Louis Tourenne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) C'est à tort que vous invoquez la justice sociale, l'esprit du CNR. Votre réforme détricote le collectif ; elle n'a de répartition que le nom. J'ai fait une simulation comparative, avec vos chiffres. Deux carrières complètes, linéaires, sans période de chômage, ni maternité, ni galère avant le premier emploi. Mme X, secrétaire pendant seize ans, engage une formation d'un an rémunérée pour devenir développeuse web. Son salaire passe de 1 520 euros à 3 140 euros. Avec le système des 25 meilleures années, elle percevrait une retraite de 2 516 euros ; dans le nouveau système à points, ce sera 1 606 euros ! Vous condamnez les efforts de qualification et de formation ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Il faudrait voir plus en détail ce cas d'espèce...
M. Jean-Louis Tourenne. - Ce n'est pas un cas d'espèce !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Le système de retraite universel par points favorisera les plus petits déciles.
M. Jean-Louis Tourenne. - Ce n'est pas vrai !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - C'est pourtant démontré par l'ensemble des économistes.
Mme Laurence Rossignol. - Pouvez-vous le démontrer vous-même ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - La réforme favorise les pensions inférieures à 1 400 euros.
Mme Laurence Rossignol. - Vous pratiquez la méthode Coué.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le pays est plongé dans une situation anxiogène ; vous devez aux Français un débat clair et honnête.
Un complément de pension sera versé pour que ceux qui ont travaillé durant leur vie active perçoivent davantage que le minimum vieillesse accordé à ceux qui n'ont pas cotisé.
La retraite à 1 000 euros est indispensable, au nom de la solidarité due à nos aînés. Est-il normal de se retrouver sous le seuil de pauvreté après une vie de travail ? Nous devons revaloriser le travail ; cela passe aussi par la revalorisation des pensions. Les artisans et les commerçants ont souvent des carrières incomplètes ; il ne faudrait pas que la retraite à 1 000 euros devienne un leurre. Quelles en seront les modalités et l'articulation avec les retraites complémentaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - L'objectif est bien de 1 000 euros en 2022 et de 85 % du Smic en 2025, avec une dynamique positive puisque la pension augmentera avec le Smic.
M. Guillaume Chevrollier. - Nous serons particulièrement vigilants sur les petites retraites agricoles. Pensez aussi aux retraités d'aujourd'hui.
M. Michel Savin . - Ma question ayant été posée par Mme Rossignol et étant restée sans réponse, j'en poserai une autre, en ma qualité de président du groupe d'études sur le sport. Nos sportifs de haut niveau non professionnels ont un revenu moyen d'environ 1 000 euros par mois ; depuis la loi de financement de sécurité sociale pour 2012, ils peuvent valider jusqu'à seize trimestres sur un revenu fictif de 1 500 euros par mois, sous condition de ressources et d'âge, au titre d'un dispositif spécifique d'ouverture de droits à la retraite. Le sujet devait faire l'objet d'un rapport au Parlement - qui n'a jamais été remis.
Comment seront traités les sportifs de haut niveau dans le cadre de la réforme ? Deux points devront être revus : quinze trimestres, soit une olympiade, ce n'est pas la réalité du parcours d'un sportif qui s'étend en général sur deux olympiades. En outre, le système ne concerne que les plus de 20 ans, alors que nombre d'entre eux sont plus jeunes.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Les points se substitueront aux trimestres. J'y travaille avec la ministre des Sports. Nous en sommes au démarrage.
Mme Laurence Rossignol. - Suivez une formation !
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après une année en jaune, le désordre organisé et 12 milliards d'euros pour acheter la paix sociale, voici la vie en rouge.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ah !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le chaudron est en ébullition ! L'objectif d'un système universel, juste, transparent, et fiable est certes louable - mais pour la méthode, vous repasserez !
Avec qui M. Delevoye a-t-il dialogué pour aboutir à une telle impasse ? Après avoir satellisé M. Delevoye pendant 18 mois, après les conclusions dithyrambiques du COR, après la prise en otage du pays par une minorité, après une véritable chienlit, ma question est la suivante : en 2015, les partenaires sociaux des régimes complémentaires Agirc-Arrco ont su s'entendre sur une trajectoire de retour à l'équilibre. Quand allez-vous trouver la méthode pour faire de même et nous faire voir enfin la vie en rose ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Les partenaires sociaux ont bien géré l'Agirc et l'Arrco et créé un âge d'équilibre avec des bonus et malus temporaires. Nous reparlerons prochainement de ce sujet, sur lequel Richard Ferrand s'est d'ailleurs exprimé, dans le cadre de la conférence de financement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le texte est devant le Conseil d'État, les négociations patinent et le Conseil des ministres examinera le texte le 22 janvier ; en attendant, les parlementaires sont tenus à l'écart. Il est temps d'adopter une méthode logique et cohérente ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. René-Paul Savary, au nom de la commission des affaires sociales . - Merci monsieur le ministre de vous être livré à cet exercice redoutable. Les sénateurs connaissent bien le sujet et ne peuvent que constater le flou de certaines réponses... C'était néanmoins un bon départ mais nous verrons à l'arrivée.
Le système part sur des bases contestables. Nous sommes le seul pays à maintenir un âge légal à 62 ans. Il faudra faire comprendre aux Français qu'ils devront travailler plus longtemps. Selon le COR, le déficit s'élèvera entre 7 et 18 milliards en 2025 et il va s'accentuer jusqu'en 2030. Le niveau moyen des pensions, sauf mesures correctives, va baisser. Il faut dire la vérité ! On passera de 105 % à 85 ou 90 %. Le système actuel est, à terme, une fabrique à retraités pauvres.
J'en viens à la partie transition. Aujourd'hui, nous avons en moyenne 42 ans de travail et 26 ans de retraite. Votre prédécesseur a fait le choix de deux systèmes parallèles. La génération 2004 cotiserait au régime universel et ces cotisations vont manquer au système complémentaire qui sera automatiquement déficitaire. Le nouveau système ne connaîtra ses premières dépenses qu'en 2037 au plus tôt, et de façon partielle. Les générations entre 1975 et 2004 auront un système mixte dont on ne sait rien. Le montant du point ne sera servi qu'en 2037. Soyons attentifs à cette phase de transition.
Vous avez calé votre système non pas sur le privé, Agirc-Arrco, soit 70 % des cotisants, mais sur le système public, pour ne pas désintégrer le régime des fonctionnaires, puisque base et complémentaires sont ensemble. Ce calcul pose des difficultés : il eut été plus simple de partir sur un seul plafond de sécurité sociale, à 3 000 euros, qui aurait englobé 85 % des salariés. L'uniformisation des complémentaires aurait été progressive, tout en maintenant des différences puisque le régime des salariés n'est pas celui des fonctionnaires ni des indépendants ou des professions libérales. La réforme aurait sans doute été plus facilement acceptée.
Soyez attentifs aux préconisations du Sénat. Nous continuons à travailler sur le sujet et réussissons à émettre des préconisations communes. Je pense au rapport commis avec Mme Lubin dont les propositions étaient acceptables sur tous les bancs de cette assemblée. C'est ensemble que nous pourrons avancer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. le président. - Merci monsieur le ministre. Nous n'en avons pas fini avec ce sujet que la Représentation nationale aura à arbitrer. Merci à la commission des affaires sociales d'avoir pris cette initiative et à la Conférence des présidents d'avoir accepté ce débat à l'unanimité.
La séance est suspendue à 19 h 35.
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 30.