Plan d'action en faveur des territoires ruraux
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le plan d'action en faveur des territoires ruraux.
M. Jacques Genest, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat ne perd jamais une occasion de parler de la ruralité : il assure en effet la représentation des collectivités territoriales, à 90 % rurales.
Les élus locaux savent que les maux du monde rural sont profonds. Leurs habitants ont l'impression de vivre dans une société bloquée qui a oublié la promesse républicaine de l'égalité.
La crise de la ruralité est liée à la fin de la politique de l'aménagement du territoire. En effet, avec la création en 1963 de la Datar par le général de Gaulle, des pôles de croissance ont été créés pour réorienter les flux économiques, c'est-à-dire le contraire de la situation actuelle. Hélas, les chocs pétroliers ont mis un terme à cette politique et nous avons progressivement abandonné la politique du territoire qui a été perçue comme un luxe superflu.
Depuis, la ruralité n'a plus droit qu'à des soins palliatifs : cafés, stations-services, petits commerces que l'on veut recréer...
On veut faire revivre les bourgs-centres après les avoir tués par l'installation de gigantesques zones commerciales en périphérie. C'est donner de l'aspirine à celui sur lequel on a tiré au bazooka !
Je vous renvoie à la lecture du rapport de mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ sur le budget 2020 qui détaille les crédits consacrés à l'aménagement du territoire. Sa hausse ne résulte que de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont l'effort réel de la part de l'État n'est que de 10 millions d'euros, et sur lesquels les élus locaux n'auront guère leur mot à dire.
Certains pensent encore que l'économie numérique va créer un mouvement massif et spontané vers le monde rural et qu'une start-up corrézienne, ou mieux, ardéchoise, pourra travailler sans difficulté avec des clients brésiliens et des fournisseurs coréens.
Mais jusqu'à présent, le développement du numérique a au contraire accentué la concentration géographique de la création de richesse.
Par exemple, l'installation de la fibre optique est gratuite pour les métropoles et payante ailleurs. Ainsi la communauté de la Montagne d'Ardèche, avec ses 5 000 habitants, devra payer 2 millions d'euros. Bel exemple de solidarité territoriale !
Le monde rural doit répondre à un défi démographique - les jeunes quittent nos territoires - et économique.
Le Gouvernement a fait de bonnes propositions, mais deux sujets préoccupent particulièrement les élus locaux : la désertification médicale et la fracture numérique.
Lorsque des concitoyens ne sont pas traités comme les autres, l'impatience se transforme en colère. Voyez la crise des gilets jaunes ! L'accès aux soins constituait une revendication forte.
Je regrette votre passivité en matière de télétravail. Les grèves que nos concitoyens subissent devraient montrer l'impératif que constitue une véritable mesure d'allégement fiscal en la matière.
Sur les déserts médicaux, je relève plusieurs solutions intéressantes dans votre plan avec le renforcement du champ d'intervention des professionnels de santé non-médecins et le déploiement de 400 postes de médecins salariés. Mais il s'agit de mesures homéopathiques.
S'agissant des réponses à plus long terme, vous proposez de « déployer les stages d'internes en médecine dans les zones sous-denses, en priorité dans les territoires ruraux ». Nous y sommes tellement favorables que le groupe Les Républicains du Sénat, à l'initiative de notre collègue Corinne Imbert, avait voté un dispositif analogue lors de l'examen de la dernière loi Santé.
Il n'y a néanmoins pas grand-chose à attendre de vos propositions. Ce sont les études de médecine qu'il faut réformer.
Il est indécent de proposer un nouveau plan d'action aussi ambitieux alors que, quelques mois plus tard, vous avez sonné le glas du plan France très haut débit.
Les habitants du monde rural n'attendent pas de miracles : il ne faudrait dire que ce que l'on est capable de faire. Avec Jean-Marc Boyer et Daniel Laurent, nous avons ainsi préparé des propositions simples, concrètes et peu coûteuses dans le cadre d'un groupe de travail. Votre plan d'action sera-t-il différent des conférences territoriales, déjà oubliées ?
Mobilité, santé, emploi, accès aux nouvelles technologies, la ruralité est au coeur des nouveaux défis. Y répondre permettra de faire advenir une nouvelle société où le monde rural aura davantage qu'une place : un avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Je salue l'initiative du groupe Les Républicains de proposer ce débat sur la ruralité.
Mon ministère aurait pu s'appeler ministère de l'Aménagement du territoire, monsieur le sénateur. Derrière le mot « cohésion », il y a bien sûr l'aménagement. Le Sénat a débattu à plusieurs reprises des collectivités territoriales et de la ruralité ces dernières années. Je me réjouis de cette préoccupation commune.
Il faut naturellement cesser d'opposer villes et campagnes et battre en brèche les idées reçues sur les territoires ruraux. Les Français ne privilégient plus les villes sur les campagnes. Aujourd'hui, les territoires ruraux accueillent plus d'habitants que les villes. Les campagnes gagnent 100 000 habitants par an depuis deux ans. Certes, ces nouveaux habitants ont des attentes importantes. Les territoires ruraux ne sont pas non plus tous paupérisés. Certes, c'est le cas pour certains, mais d'autres ont de nombreuses potentialités et richesses : il existe des ruralités diverses. Aidons celles qui rencontrent le plus de difficultés.
L'agenda rural est un engagement du Président de la République en réponse à l'Association des maires ruraux de France et à son président Vanik Berberian.
Cet agenda rural est aussi un projet européen, puisqu'en novembre 2018 le Parlement européen a voté une résolution appelant la Commission et le Conseil à mettre en place un agenda rural, que la France a été la première à forger.
D'où la mission composée d'élus ruraux que j'ai mise en place avec pour objectif, simple et complexe, d'améliorer la vie des habitants des territoires ruraux. Elle a produit un rapport de 200 propositions à partir desquelles le Gouvernement a élaboré son agenda rural présenté le 20 septembre par le Premier ministre au congrès de l'Association des maires ruraux de France. Il s'agit du premier plan d'action d'un Gouvernement en faveur de la ruralité regroupant des problématiques larges et partant du terrain et non depuis l'échelon national.
L'agenda rural constitue le cadre de déploiement des politiques en faveur des territoires ruraux, à l'instar de la politique de la ville qui existe depuis quarante ans.
Toutes les propositions sont bienvenues. L'outil qui comporte 181 mesures est vivant, il a vocation à s'enrichir et s'inscrira dans la durée. Je présiderai un comité de suivi toutes les six à huit semaines. Le premier s'est tenu le 20 novembre dernier avec plusieurs ministres et des représentants d'élus locaux.
Depuis le 1er janvier, plusieurs mesures sont déjà effectives comme le soutien aux petits commerces dans les communes de moins de 3 500 habitants avec des exonérations fiscales - cotisation foncière des entreprises (CFE), cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), foncier bâti - compensées par l'État à 33 %.
Nous avons tous constaté le recul des services publics sur les territoires.
Nous développons donc les Maisons France Services.
L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est effective sur le plan juridique depuis novembre et elle travaille depuis le 1er janvier.
M. le président. - Il vous faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Sa présidente, Caroline Cayeux, est bien connue du groupe Les Républicains. (On s'en réjouit sur les travées du groupe Les Républicains.) Je préciserai ses missions dans le débat. C'est là que la politique en faveur de la ruralité sera gérée, en complément de ce qui existe déjà dans les territoires à la demande des élus. Le préfet sera le représentant de l'ANCT dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Je salue la création de l'ANCT, voulue par le groupe RDSE. Nos territoires ont un potentiel d'attractivité inexploité. Il est impératif de favoriser l'économie et l'emploi, mais aussi les lieux de vie tels les bistrots, qui sont un lieu de vie irremplaçable.
L'ANCT symbolise un changement de culture administrative. Les élus locaux doivent y être associés.
Entre 800 et 1 000 villes de moins de 20 000 habitants exerçant une fonction de centralité devraient être sélectionnées sur un critère reposant sur le nombre et la nature des équipements dont elles disposent et sur des critères de fragilité. Quelle sera la pondération des critères pour sélectionner les petites villes qui auront charge de centralité ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il existe dans les ruralités, des petites villes, de 3 000 à 7 000 habitants, qui font centralité dans leur territoire et qui doivent être soutenues. Il faut de la souplesse dans les critères.
Nous travaillons en partenariat avec les collectivités territoriales car des initiatives ont déjà été lancées par certaines régions - c'est le cas en région Centre Val-de-Loire - et départements. La Banque des territoires financera les postes de chef de projet à hauteur de 25 %. Elle prendra en charge à 100 % les missions de management pour les territoires en difficulté.
Une enveloppe de 50 millions d'euros d'investissement est prévue pour développer une centaine d'opérations.
L'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) cofinancera le poste de chef de projet et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) valorisera les projets locaux.
M. Bernard Buis . - Le plan d'action en faveur des territoires ruraux traduit l'ambition forte du Gouvernement en faveur de la cohésion territoriale. Dans cet agenda rural, vous ancrez dans la durée vos actions en faveur des territoires ruraux et vous privilégiez l'écoute des élus locaux.
L'un des axes principaux est le soutien aux petits commerces et lieux de convivialité, notamment en ouvrant ou reprenant 1 000 cafés, sur l'idée du groupe SOS, acteur essentiel de l'économie sociale et solidaire. Les appels à candidatures ont été lancés le 12 septembre. Quel en est le bilan d'étape ? Comment vos services travaillent-ils avec le groupe SOS ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Ce projet part du constat que 90 % des Français jugent fondamentale la présence d'un café dans une commune.
Le groupe SOS a lancé en septembre un appel à candidatures aux communes sans café ou dont la survie du café est menacée.
M. Michel Savin. - C'est le cas même dans les villes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il a reçu la candidature de 500 communes et de 1 200 personnes souhaitant gérer un café. Puisque nous devons aussi tenir compte de la liberté commerciale, l'étude des candidatures est en cours. Une quinzaine de cafés devraient ouvrir prochainement.
Tout cela est possible car la loi Engagement et proximité prévoit la création de ces cafés, dont les licences IV ne peuvent être exportées hors des départements concernés.
M. Guillaume Gontard . - La lecture de votre plan d'action est engageante avec la perspective d'une ruralité française revivifiée par la transition écologique, sociale et démocratique.
Lutter contre l'artificialisation des sols, promouvoir l'agro-écologie, faire des forêts le poumon de notre pays, lutter contre les déserts médicaux... Hormis le développement à l'aveuglette de la 5G, vous feriez presque carton plein.
Hélas, il ne s'agit que d'une opération de communication, car vous ne mettez pas un euro sur la table. Dans les faits, votre politique va à l'encontre des ambitions affichées.
Vous voulez développer l'agro-écologie, mais vous supprimez les aides au bio ; soutenir la forêt, mais vous démantelez l'ONF ; lutter contre les déserts médicaux sans contraindre les médecins ; renforcer l'ingénierie publique sans moyens, uniquement avec la plomberie administrative. Je m'inquiète pour les promesses que vous ne faites pas, notamment en ce qui concerne la mobilité.
Les territoires ruraux n'ont pas besoin de lignes aériennes mais de dessertes ferroviaires fines et de services publics innovants. Il faut privilégier la démobilité et lutter contre l'hypermétropolisation. Après la LOM toujours en manque de financement, quelles sont les ambitions du Gouvernement en faveur de la mobilité en zone rurale ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Sur les 200 propositions faites par les élus locaux, 173 sont aujourd'hui retenues et nous en avons rajouté d'autres puisque nous en sommes à 183.
Prenons l'exemple de la santé : nous créons des contrats d'engagement de service public, c'est-à-dire une bourse d'études contre du temps professionnel là où il y a besoin de médecins.
De mon temps, cela existait pour les professeurs : on appelait cela les IPES. Nous étions rémunérés pendant nos études mais nous étions ensuite envoyés dans les régions sous-dotées en professeurs.
La mesure en faveur des médecins est très importante. Vous demandez de la contrainte. Au Parlement, il n'y a pas de majorité pour voter de telles mesures.
M. Guillaume Gontard. - Je partage la plupart des propositions qui viennent des élus. Mais ma question portait sur leur application concrète. Vous ne m'avez pas répondu non plus sur la mobilité. Sans elle, il n'y a ni emploi ni santé.
M. Franck Menonville . - Depuis sa création en 1989, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) s'est imposé comme un formidable outil de revalorisation du commerce et de l'artisanat. Il a financé jusqu'à 1 000 projets par an. De 70 millions d'euros en 2010, il est passé à 16 millions d'euros en 2018. Depuis 2019, il est en gestion extinctive. Les territoires ruraux sont inquiets.
Censé prendre le relais, Action coeur de ville vise 222 villes moyennes et non les bourgs ruraux. Il est en outre moins adaptable aux spécificités locales. Lors de la loi de finances, un amendement de Serge Babary, adopté par le Sénat, a porté son financement à 30 millions d'euros, mais l'Assemblée nationale l'a supprimé.
Quelle alternative promouvez-vous pour continuer à soutenir nos entreprises locales en milieu rural ? (M. Pierre Louault et Mme Nadia Sollogoub applaudissent.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le Fisac a bel et bien disparu. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR) Eh oui, je savais que cela ferait hurler, mais c'est la réalité.
Or l'engagement des fonds pour le Fisac s'étalait sur plusieurs années. Il a donc fallu trouver un système pour le remplacer. Il représentait 15 milliards d'euros pour Action coeur de ville. Nous avons engagé 5 milliards d'euros.
Dans l'agenda rural, nous avons créé une nouvelle mesure de soutien aux petits commerces ruraux adoptée en loi de finances. Elle est donc effective depuis le 1er janvier et concerne les commerces de moins de 11 salariés dans les communes de moins de 3 500 habitants. Et l'État compense cette exonération à hauteur de 33 %, ce qui est inédit. Nous souhaitons donc vivement que les territoires saisissent cette opportunité.
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Selon le Premier ministre, le plan d'action du Gouvernement correspond à « la mise en place d'une politique spécifique à l'égard des campagnes, à l'image de celles qui existent dans les domaines de la politique de la ville et du soutien aux quartiers en difficulté ».
À mon sens, la santé est une priorité. Le plan prévoit que les internes puissent effectuer un stage en zone sous-dense. Mais la mesure reste en attente de son décret d'application, comme beaucoup d'autres : la liste des pathologies pour lesquelles les infirmiers pourront adapter la posologie de certains traitements, les modalités de délivrance de médicaments par les pharmaciens, les autorisations de vaccination des femmes et des enfants par les sages-femmes, les conditions de prise en charge des activités de télésoins, etc.
Face à l'enjeu crucial d'accès aux soins en milieu rural, passerez-vous outre les pressions de certaines professions pour mettre rapidement en application ces mesures votées en juillet ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Déjà, 28 décrets sont sortis en application de la loi Santé. Et le Gouvernement a souhaité anticiper l'application de certaines mesures : ainsi, les stages en milieu rural pour les internes feront l'objet d'un décret prochain qui les rendra possibles dès la rentrée universitaire de cette année.
Les campagnes de vaccination hivernale sont désormais accessibles aux pharmaciens et aux infirmiers. Les tests pour détecter les angines bactériennes peuvent se faire en pharmacie. Aux professionnels de santé de se saisir de toutes ces nouvelles possibilités.
Mme Nadia Sollogoub. - Un décret d'application concernant la validation de l'habilitation des maîtres de stage est encore en attente. Néanmoins, nous prenons acte de vos annonces positives.
L'organisation des plateaux techniques chirurgicaux publics et privés pose problème, notamment dans la Nièvre, où le maillage envisagé est trop large : il n'y aurait aucune urgence chirurgicale de nuit entre Nevers et Montargis, Bourges et Auxerre. Le Gouvernement pourrait-il mettre en harmonie ses mots et ses actes ? (Mme la ministre demande la parole.)
M. le président. - Ne reposez pas une question dans votre réplique. La ministre ne peut pas reprendre la parole pour y répondre ! (Sourires)
M. Didier Mandelli . - Faisant écho au débat précédent, je souligne que la voiture est indispensable pour se déplacer dans les territoires ruraux. Les procédés facilitant l'obtention du permis, tels les simulateurs de conduite et le permis à un euro par jour, sont à saluer.
Le Sénat a oeuvré pour que les intercommunalités puissent organiser dans leurs territoires des solutions d'intermodalité. Cependant, il leur faut des moyens financiers pour prendre en charge la compétence de mobilité et donner aux mesures rendues possibles par la loi toute leur portée. Que comptez-vous proposer pour répondre ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je suis de la campagne et je sais ce qu'est le besoin de voiture en milieu rural. Arrêtons de croire que nous pourrons supprimer les voitures !
Beaucoup de ruraux développent des habitudes de covoiturage. C'est une bonne solution.
Quant au financement, on a discuté de la création d'un versement transport dans la ruralité. Le Gouvernement a considéré que cela représentait une charge nouvelle pour les PME et les TPI. Nous n'avons donc pas tranché la question du financement.
Hier, dans une réunion à Arras, un élu m'a fait la proposition de mutualiser le versement transport entre les communes, à l'échelle du département. Même si elle n'est pas issue du Gouvernement, c'est une piste.
M. Didier Mandelli. - Nous avions mentionné la possibilité de verser une fraction de la TICPE aux intercommunalités qui prendront la compétence. Cette solution était équitable et simple, beaucoup plus que celle d'un financement départemental.
Mme Viviane Artigalas . - Beaucoup des propositions de la mission Ruralité ont été reprises dans votre plan d'action. C'est flatteur mais il manque des précisions sur le financement et le calendrier d'action concernant la revitalisation des petites villes notamment. Pourquoi avoir supprimé le Fisac il y a un an ?
Le déploiement de la 5G tel que vous le proposez ne répond absolument pas à la problématique des zones dites « grises » couvertes par un seul opérateur, et des zones où les pannes et défaillances sont fréquentes, propres à de nombreux territoires ruraux et montagnards où les habitants se sentent isolés et fragilisés.
Quel maillage territorial pour les services publics ? Vous prévoyez une maison France Services par canton d'ici à deux ans, mais les agents d'accueil seront rémunérés par les collectivités et le fonctionnement compensé par une dotation de l'État jusqu'à une date indéterminée : ce flou est inquiétant ! Votre proposition sur le tout-numérique ne peut pas être la seule solution à tous les maux des territoires ruraux.
Quelles actions concrètes et mûries êtes-vous en mesure de présenter ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Toutes les mesures annoncées dans le plan Ruralité sont financées, non pas forcément par l'État, mais souvent par les collectivités territoriales ou les intercommunalités. Les accords entre l'État et les collectivités sont indispensables pour assurer le financement de ce type d'action.
Quant aux maisons France Services, un fonds inter-opérateurs les finance, avec le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) pour l'État, à raison de 30 000 euros chacune. Même chose pour France Très haut débit financé à hauteur de 3,3 milliards d'euros par l'État et pour le reste par les collectivités territoriales - les régions parfois, ou les départements ou des syndicats interdépartementaux.
Cessons de dire qu'il n'y a pas d'argent ! D'ailleurs, madame Sollogoub et monsieur Joly, un avion sanitaire a été créé à Nevers, pour répondre à votre question précédente.
M. Jean-Marie Janssens . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Au cours du grand débat national de l'an dernier, la question des soins médicaux est venue en tête des préoccupations. Pas moins de 4 millions de Français vivent loin d'un centre de santé. Cette situation alarmante est particulièrement difficile à vivre pour nos concitoyens des territoires ruraux. Face à l'urgence de la lutte contre les déserts médicaux, le plan d'action du Gouvernement propose le recrutement de 600 médecins salariés, ainsi que le déploiement de médecins supplémentaires et d'internes, en zones sous-denses. C'est trop peu.
Le dispositif PAIS - Plateforme alternative d'innovation en santé - que vous connaissez bien, madame la ministre, car il a été développé en Loir-et-Cher, revitalise l'offre de proximité, en favorisant les synergies, en facilitant les remplacements entre médecin au sein d'un même bassin de vie. Ce dispositif est efficace. Pourquoi ne pas le généraliser à l'échelle nationale ? À quelle échéance ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je connais bien en effet ce formidable outil de proximité, créé par des professionnels de santé du Loir-et-Cher, qui permet aux médecins d'un même bassin de vie d'accueillir des patients sans prise de rendez-vous, grâce aux synergies qu'ils ont établies entre eux. L'Agence régionale de santé (ARS) soutient ce dispositif.
J'ai organisé des rencontres avec le créateur de PAIS, le docteur Isaac Gbadamassi, pour inspirer des projets similaires dans d'autres territoires. Toutes les agences régionales de santé concernées soutiennent ce genre de projet.
Il est indispensable de faire connaître le système PAIS. Nous le proposerons, mais ne l'imposerons pas.
M. Dominique de Legge . - De nombreuses communes rurales ont mis en place le dispositif dit « Argent de poche » dans le cadre de l'opération Ville Vie Vacances. Cependant, des préfets, en tout cas en Bretagne, ne jugent ce dispositif applicable que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). C'est fâcheux. Pourquoi les jeunes ruraux ne pourraient-ils pas bénéficier d'un dispositif qui fonctionne bien dans nos campagnes ? Avertie de cette question, vous aviez laissé espérer qu'elle puisse être réexaminée : où en êtes-vous de vos réflexions ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le dispositif « Argent de poche » est en effet propre aux quartiers prioritaires de la politique de la ville ; il a été créé dans les années quatre-vingt et adossé au programme « Ville Vie Vacances ».
Depuis 2015, les sommes versées dans ce cadre aux jeunes de 14 ans à 26 ans, assimilées à des gratifications aux stagiaires en entreprise, sont exclues de l'assiette des cotisations et contributions sociales.
En Bretagne, notamment en Ille-et-Vilaine, des mesures dérogatoires ont été mises en place pour que les jeunes ruraux puissent continuer à bénéficier du dispositif, mais cela n'est pas le cas de l'ensemble du territoire national. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) a en effet interpellé mes équipes à ce sujet.
J'ai contacté la ministre de la Santé pour étudier les conditions d'une extension de ce dispositif à la ruralité. Des échanges sont en cours, je ne manquerai pas de vous tenir informé, ainsi que l'AMRF, de la suite que nous pourrons donner à cette demande, tout à fait légitime.
M. Dominique de Legge. - Je m'en réjouis, mais il y a urgence, madame la ministre, sur cette mesure utile à nos jeunes et qui ne coûte pas un sou à l'État.
M. Hervé Gillé . - Plus de 22 millions de Français vivent en milieu rural. Dans le même temps, 22 métropoles capitalisent richesses, créations d'emplois, accès aux mobilités, à la culture, à la santé. Leur développement devrait bénéficier aux villes moyennes, aux zones périurbaines et rurales.
L'opposition permanente entre métropoles et territoires ruraux ne peut pas perdurer. Nous voulons construire une alliance en complémentarité entre les unes et les autres. Les territoires ruraux constituent en effet des espaces de compensation écologique aux activités urbaines.
Les métropoles, grâce à la concentration d'entreprises, reçoivent d'importantes recettes fiscales qui pourraient être mises à profit dans les contrats de coopération, ce qui n'est pas toujours le cas.
Des propositions ont été formulées sur de nouveaux dispositifs de solidarité fiscale, dont la taxe transport qui pourrait être mise à profit en faveur du désenclavement des territoires ruraux.
M. le président. - Quelle est votre question ?
M. Hervé Gillé. - Comment assurerez-vous cette complémentarité entre métropoles et territoires ruraux ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Ce sera l'un des sujets essentiels de la loi que j'ai nommée « 3D », pour déconcentration, différenciation, décentralisation... le dernier terme - qui peut varier - étant le plus important !
Oui, la coopération entre les collectivités territoriales, voire entre les territoires, doit être renforcée, par exemple via les contrats de réciprocité.
Ils existent, comme par exemple celui qui unit Toulouse à son arrière-pays, ou bien encore celui mis en place à Tours (M. Pierre Louault le confirme.). Pour l'instant, ces contrats sont à la main des collectivités territoriales et manquent d'un cadre précis.
S'agissant de l'incitation au partage des ressources, il serait intéressant de l'aborder dans le cadre du projet de loi 3D.
M. Jean-Paul Émorine . - Rappelons que la ruralité représente 80 % de notre territoire, pour 20 % de la population. La loi de 2005 pour les territoires ruraux a créé les zones de revitalisation rurale (ZRR) qui concernent 50 % de notre territoire et 10 % de la population, soit 6 250 000 habitants sur 14 250 communes. Elles ont bénéficié d'exonérations fiscales pour les professions de santé et vétérinaires.
La loi de finances rectificative de 2019 a porté le seuil à 63 habitants par kilomètre carré soit la moyenne nationale, au lieu de 35 et un revenu médian de 19 111 euros. Insuffisant pour animer la ruralité. Quelles perspectives trace votre plan d'action pour les ZRR, et surtout à quel terme ? Dix, quinze ou vingt ans ? C'est en fixant une telle durée que vous serez crédible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sylvie Vermeillet et M. Pierre Louault applaudissent également.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La loi de finances pour 2020 a prolongé le classement en ZRR de certaines communes jusqu'à décembre 2020, alors qu'elles devaient en sortir en juillet. Je rappelle que près de la moitié des communes françaises sont concernées.
L'agenda rural prévoit la définition d'une géographie prioritaire de ruralité. Nous consacrerons l'année 2020 à ce travail, y compris sur les critères que vous évoquez. Tout changement de système implique des entrées et des sorties, donc des mécontents.
Il faut trouver le dispositif le mieux adapté à la ruralité d'aujourd'hui. Si nous ne trouvons pas mieux, nous prolongerons la ZRR. Il faudra sinon créer une nouvelle géographie de la ruralité fondée sur d'autres critères. Mais il y aura forcément des sortants...
M. Jean-Paul Émorine. - Il faut avant tout inscrire les dispositifs dans le temps. Cinq ans, c'est trop peu pour un médecin ou une entreprise : il leur faut à tout le moins des perspectives à dix, quinze ou vingt ans.
Mme Angèle Préville . - Je souscris aux intentions de votre plan d'action. Nos territoires ruraux sont une formidable richesse. Nos campagnes doivent être un moteur du modèle écologique.
La France a 30 millions d'hectares de surface agricole et reste au premier rang européen. Mais l'agriculture émet trop de gaz à effet de serre, tout en subissant sécheresses et inondations, sans compter les effets délétères des produits phytosanitaires sur les espèces et la santé.
L'agro-écologie est la solution ; elle implique des garanties financières à nos agriculteurs. Les circuits courts font l'objet d'initiatives qu'il faudrait généraliser en levant les obstacles. Il faut aussi miser sur la motivation de nos jeunes agriculteurs. Faut-il seulement encourager les circuits courts, et qu'attendez-vous, pour promouvoir l'écologie ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - L'agenda rural prévoit la promotion de l'écologie et des nouvelles pratiques agricoles, notamment les programmes agricoles expérimentaux qui fédèrent les acteurs d'un territoire autour d'un projet partagé, et l'encouragement à l'approvisionnement en circuit court des collectivités territoriales et services déconcentrés, car il y a du bio qui vient de loin !
Les associations qui interviennent dans ce domaine seront mieux soutenues.
Le plan « Enseigner et produire autrement » a aussi un rôle important à jouer dans les écoles d'agriculture.
Enfin, le fonds de restructuration Avenir bio a été abondé pour atteindre 8 millions d'euros dans la dernière loi de finances ; c'est sûrement encore insuffisant, mais le crédit d'impôt bio a été prolongé jusqu'en 2020 et revalorisé.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Hôpitaux, écoles, commerces, cabinets médicaux, services publics ferment les uns après les autres dans le monde rural - soit 35 % de la population. L'intensité des manifestations des gilets jaunes, particulièrement forte en Lot-et-Garonne, nous oblige à agir.
Maire pendant 25 ans et ancienne infirmière libérale, j'ai vu se dégrader l'accès aux soins dans les territoires ruraux. Les collectivités territoriales ont créé des maisons de santé et ont salarié des médecins pour y remédier. La loi Santé encourage l'installation de médecins en zone sous-dense et facilite les délégations de tâches entre professionnels de santé mais il faut aller plus loin.
Chaque année, 120 000 infirmiers libéraux interviennent auprès de 11 millions de patients. Le plan d'action envisage les délégations de tâches en leur faveur. Qu'en pensez-vous ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Votre constat est juste. Les délégations que vous proposez me semblent de bon sens. J'en parlerai à la ministre de la santé. Cependant, il faudra peut-être faire évoluer la formation des infirmiers en conséquence. Pour faire un médecin, il faut dix ans : il faudra donc du temps pour avoir un vivier, même pour les infirmiers.
M. Alain Dufaut . - Une loi urbanistique s'applique bien différemment à la région parisienne, dans les grandes agglomérations et dans les petits villages de nos territoires ruraux... Ainsi, la loi ALUR nuit à la beauté de nos sites, en privilégiant la concentration de l'habitat.
Le président des maires de mon département de Vaucluse appelait récemment à revoir la loi ALUR, car elle « massacre esthétiquement » nos beaux villages provençaux, selon ses propres termes. Un maire me disait aussi : désormais, on peut construire sur un confetti. Ils ont raison ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Faut-il la même densité dans le Luberon que dans nos banlieues ? Il est urgent de redonner la maîtrise de l'urbanisation aux élus locaux. Revenons à des COS de 0,10 ou 0,20 pour en finir avec le bétonnage massif et anarchique. Révisons la loi ALUR ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - N'importe quoi ! Appliquons-la !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'entends des avis contradictoires, ce qui prouve que la différenciation est une nécessité. J'avais 13 ans quand la Datar, à laquelle M. Genest faisait allusion, est née. À cette époque, la France avait besoin de solutions nationales pour la reconstruction et le logement. Ce n'est plus le cas : on ne peut pas avoir les mêmes règles d'urbanisme partout.
La réglementation de l'urbanisme est à la main des collectivités territoriales : à elles de rédiger des documents d'urbanisme adaptés ! (M. Jean-Raymond Hugonet interrompt.) Je sais ce qu'est un COS, un PLUI ! J'ai été maire. Il faut adapter les règles aux territoires. (M. Jean-Marie Janssens et Mme Michèle Vullien applaudissent.)
M. Michel Savin . - Le plan d'action comprend deux mesures pour les territoires ruraux en faveur de la pratique sportive, en prévoyant des recrutements mutualisés d'éducateurs sportifs polyvalents et en soutenant les associations sportives.
Mais les difficultés budgétaires des collectivités territoriales empêchent toute nouvelle dépense de fonctionnement et la subvention de l'Agence nationale du sport est en baisse de 10 millions d'euros...
Comment expliquer ce décalage avec vos annonces ? (M. Pierre Ouzoulias approuve.) En outre, les dispositifs existant sont méconnus et souvent inadaptés aux besoins des territoires.
Le Sénat a fait de nombreuses propositions pour le sport - mécénat, 1 % artistique et sportif, développement du sport à l'école. Quand votre gouvernement les reprendra-t-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Voici les éléments que m'a transmis la ministre des sports. Lors de son conseil d'administration du 9 décembre, l'Agence du sport a maintenu son soutien de 20 millions d'euros aux équipements sportifs locaux, dont 5 millions d'euros versés aux territoires.
En 2019, 172 dossiers ont été traités ; 133 retenus sont en zone rurale, dans des territoires en ZRR ou faisant l'objet d'un contrat de ruralité pour un montant de 12 millions d'euros. Cela vient en complément de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
49 millions d'euros seront affectés à 1 451 recrutements d'éducateurs sportifs, prioritairement en ZRR et en QPV.
M. Michel Savin. - J'entends la réponse de la ministre des sports. Mais ces aides sont pour les clubs, et non pour les collectivités territoriales. Et le budget de l'Agence du sport baisse de 10 millions d'euros.
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce ne sera pas le dernier débat sur la ruralité : le Sénat entend maintenir la pression sur le Gouvernement. L'article 24 de la Constitution en fait le représentant des territoires : il fait de nous en quelque sorte les obligés des élus locaux. En outre, votre Gouvernement multiplie les témoignages d'amour aux territoires ruraux, gare à ne pas faire de politique de témoignage ?
Les Conférences des territoires ont laissé un goût amer aux élus, qui y avaient placé beaucoup d'espoir. Espérons qu'il n'en sera pas ainsi de ce plan, issu de l'agenda rural présenté par l'AMRF en juillet 2019.
D'abord, comment s'opposer aux Maisons France Services - mais je commence à me demander ce qu'elles apportent de plus que les Maisons de service public ? L'approche technocratique inquiète, ainsi de l'obligation de deux ETP par maison.
En 2017, vous avez fermé le guichet, pour le rouvrir en 2019, mais sans moyens. Le Sénat a jugé bon d'alimenter en crédits de paiement et non en autorisations d'engagement le plan France THD dont vous semblez entériner le financement. D'ailleurs, vous affichez un objectif de couverture de 92 % de la population, laissant de côté 5,1 millions de Français.
Je prends donc votre plan d'action avec prudence, malgré votre sincérité. Faites confiance aux élus, associez-les, considérez-les ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et RDSE)
La séance est suspendue quelques instants.
présidence de M. Gérard Larcher