Pour répondre à l'urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les intercités de nuit
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Pour répondre à l'urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les intercités de nuit », à la demande du groupe CRCE.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRCE . - Alors que l'accord de Paris s'applique dès 2020, quels outils concrets nous permettent de respecter nos engagements ? La France peine à atteindre l'objectif de baisse de 27 % des émissions de gaz à effet de serre en 2028 et de 75 % à l'horizon 2050.
Les objectifs de la stratégie nationale bas carbone n'ont pas été atteints depuis 2016. Les objectifs d'émission ont été dépassés de 6,7 % en 2017 et de 4,5 % en 2018.
Le secteur des transports, responsable de 30 % des émissions, a dépassé de 12,6 % son budget carbone en 2018. Le transport de marchandises par le train est en recul, avec à peine 10 % de part de marché.
La politique nationale du tout routier et du tout aérien fait du rail le parent pauvre des politiques publiques, alors que le train est un outil écologique et sûr de maillage du territoire.
Nous aurons une planète inhabitable si nous ne réagissons pas. Les marches pour le climat, l'action judiciaire engagée contre la France par une jeunesse outrée, les mises en garde d'experts devraient nous faire réagir.
« Make our planet great again », dit le président Macron, mais il s'emploie à casser les services publics qui sont pourtant les outils de la transition écologique, à commencer par le service public ferroviaire.
La SNCF, dont l'État est actionnaire unique, se perd depuis des décennies dans une stratégie du tout TGV, sacrifiant les activités trop peu rentables. La logique de casse du service public est toujours la même : segmentation, externalisation, socialisation des pertes. On asphyxie le service public puis on le cède au privé.
Le fret a été dépecé, le comble étant l'abandon de la ligne Perpignan-Rungis. Le marché, qui fait primer le profit immédiat sur l'intérêt général, est incapable de répondre aux enjeux écologiques du développement du fret ferroviaire.
J'avais interpellé M. Pepy sur l'arrêt du service auto-train, qui a perdu 80 % de trafic en trente ans. Les auto-couchettes ont totalement disparu à cause d'une politique de rétractation de l'offre. Véritable contresens, la SNCF devient elle-même pourvoyeuse de solutions routières, proposant l'acheminement des voitures par camion ou par un chauffeur ! Nous demandons, a minima, un engagement sur le maintien des installations pour ce mode de transport prisé par les seniors et les motards.
L'État, en tant qu'autorité organisatrice, a une responsabilité en matière d'aménagement du territoire. Au début des années 2000, il y avait plus de soixante lignes de trains intercités ; aujourd'hui ; il ne reste plus que six intercités de jour et deux de nuit. Et l'offre ne cesse d'être sabotée : bugs informatiques constants, travaux, suppressions de dernière minute. En 2017, 47 % de déprogrammation sur le Paris-Irun ! Dans ces conditions, le taux de remplissage de 47 % des trains est un exploit et pourrait être largement dépassé.
Mme Borne annonce comme un succès un investissement de 30 millions d'euros pour rénover le matériel, faute de le remplacer. Mais le budget du compte d'affectation spéciale baisse de 47 millions d'euros ! Nous craignons le non-remplacement des sièges inclinables, ce qui serait dramatique pour l'attractivité du train de nuit.
Notre groupe a fait adopter un amendement à la loi d'orientation des mobilités engageant le Gouvernement à réfléchir aux trains de nuit, qui a été conservé à l'Assemblée nationale. Preuve que l'objectif est partagé. La pétition « Oui au train de nuit », qui a recueilli 160 000 signatures, demande la mise en chantier de quinze lignes nationales et de quinze lignes internationales à l'horizon 2030. À la clé, une économie de 1,5 million de tonnes de CO2.
Les trains de nuit sont peu énergivores. Avec une offre à la hauteur, la moitié des passagers aériens pourraient s'y reporter. Moins émetteur de particules fines, peu coûteux, le report modal sur le réseau classique est peu gourmand en artificialisation des sols et permet d'arriver en centre-ville. Il offre une desserte fine, et est un outil de lutte contre les fractures sociales.
Les analyses officielles défavorables au train de nuit sont partielles et partiales. Le déficit serait de 18 euros par voyageur sur cent kilomètres ; celui des intercités de jour est de 23 euros, celui des TER, de 30 euros.
La route coûte cependant plus cher : 50,5 milliards d'euros pour la France selon une étude, et 16,8 milliards d'euros pour les accidents de la route, auxquels s'ajoutent les dépenses des collectivités territoriales, les aides fiscales aux transporteurs et autres exonérations. L'aérien bénéficie, lui, d'un traitement de choix : 3 milliards d'euros en subventions aux aéroports régionaux et en kérosène détaxé.
L'abandon du rail au profit d'une économie libéralisée et ubérisée est un choix politique. Notre marché des transports est fondé non sur les besoins des usagers et des territoires mais sur le marketing d'offres low cost et donc sur un dumping social et environnemental.
L'État doit changer de braquet, prendre ses responsabilités, et affecter de nouvelles ressources à la SNCF.
La France fait face à de nombreux défis. Nous attendons des engagements concrets. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Je remercie le groupe CRCE de son initiative. Sénatrice des Hautes-Alpes, département desservi par l'un des derniers trains de nuit, le sujet me tient à coeur. Le Paris-Briançon est un dinosaure, lui qui n'a fait l'objet d'aucune rénovation. Ringardisé par les réseaux à grande vitesse, le train de nuit pourrait-il être sauvé par l'argument écologique ? Paris-Cerbère, Paris-Latour-de-Carol et Paris-Briançon sont-ils les modes les plus écologiques, les plus sûrs et les plus économiques de relier les territoires et la capitale ? Je le crois.
Mais difficile d'être audible quand le modèle économique est obsolète, le matériel roulant inadapté, la fréquence aléatoire et l'ouverture à la réservation de plus en plus tardive... Pourtant, ces trains affichent souvent complet, notamment le week-end et en période de vacances scolaires ; s'ils sont moins fréquentés le reste du temps, c'est que l'offre pourrait être améliorée.
Le transport aérien est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre, mais je ne sens pas la volonté de maintenir les trains de nuit au-delà du sursis annoncé. En 2021, le Paris-Briançon sera remplacé pendant six mois par des autocars alors qu'il aurait pu y avoir un itinéraire de remplacement s'il avait été jugé prioritaire. C'est une injustice.
Faute d'un modèle économique adapté, et surtout faute de volonté, l'auto-train a été supprimé sur de nombreuses destinations. Même sur des gares censées être desservies, la SNCF propose chauffeur, camion mais aucun train !
Des solutions techniques existent pourtant. J'ai rencontré un porteur de projet d'une navette ferroviaire autonome. Mais l'État a perdu la main - témoin les tergiversations sur l'étoile ferroviaire de Veynes.
Monsieur le ministre, l'État va-t-il agir en faveur du train de nuit ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. Olivier Jacquin . - « Laissons la nuit nous transporter » : ce beau slogan de la SNCF a disparu avec les trains de nuit, passés à la moulinette de la rentabilité. Mais qu'est-ce qu'un train rentable quand on intègre l'amortissement de l'infrastructure ? Parlons plutôt d'efficacité de l'argent public et de service rendu !
Le Paris-Nice, avec un taux d'occupation de 56 % - preuve qu'il rendait service - a été supprimé au profit d'un TGV qui n'arrive qu'après midi. Plus tôt, il faut prendre l'avion, qui ne paie pas sa pollution. Les trains de nuit ont été tués par la concurrence des autres modes et par la SNCF. Pour sa survie, elle s'est spécialisée sur le TGV et le périurbain, tuant le fret et les petites lignes. Comment ? En laissant se dégrader l'offre et le matériel, en faisant des économies sur l'état du réseau au prix de la sécurité.
Le rail est une industrie de réseau avec des coûts d'infrastructures considérables. Pour être rentable, il doit être circulé : c'est une industrie à rendement croissant.
Il faut l'utiliser jour et nuit, pour les voyageurs et les marchandises, avec des usages complémentaires pour faire diminuer le prix unitaire.
Certains amoureux du rail se souviennent avec nostalgie de leurs escapades étudiantes en train de nuit dans des pays étrangers, à moindre coût. La dérégulation est passée par là, avec les cars Macron et les avions low cost.... Pourtant, le train de nuit n'est pas mort. Voyez Thello qui opère la liaison Paris-Venise, l'opérateur autrichien ÖBB, la Suède, l'Ecosse, la Suisse où le train de nuit a su trouver une rentabilité.
La loi d'orientation des mobilités a eu tort de ne pas retenir le principe du pollueur-payeur et de ne pas intégrer les externalités négatives de chaque mode de transport. Si l'on tient compte du coût écologique pour établir la vérité des prix, les trains de nuit ont un bel avenir ! Oui, laissons la nuit nous transporter ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme Josiane Costes . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) En 1975, Giscard imaginait un désenclavement du Cantal par le rail dans le cadre du plan Massif central. Nous connaissons hélas la suite. En 1980, on comptait trente trains au départ d'Aurillac, dont deux trains de nuit vers Paris, deux directs et plusieurs trains de neige. En 2019, il n'y en a plus que quinze, dont aucun direct vers la capitale. Et un seul train de neige, au départ de Brive. Dans les années 1970, le Capitole reliait Aurillac à Paris en cinq heures trente ; il en faut désormais sept, avec deux changements. En 2003, le train de nuit a été supprimé ; en 2004, les trains directs.
Le droit à la mobilité se résume à une offre ferroviaire défaillante, une autoroute à une heure et demie du chef-lieu, une nationale limitée à 80 km/h. Résultat : un département en déprise démographique, la préfecture ayant perdu 4 000 habitants en dix ans.
Mon département n'est pas la seule victime. En 2000, la SNCF a supprimé 300 points d'arrêt sur les 67 trains de nuit qui roulaient encore tous les jours. L'abandon par l'État et la SNCF a frappé les trains d'équilibre du territoire (TET) et les petites lignes. Ce « recentrage de l'offre », en des termes technocratiques, sur les derniers TET dits structurants est mortifère pour la ruralité. La moindre fréquentation - les retards dus au manque d'investissements décourageant les voyageurs - constituait l'excuse parfaite à ce sabordage.
Ces décisions laissent un goût amer à la ruralité. On commence toujours par réduire l'offre pour conduire les petites lignes à l'agonie avant de les fermer. C'est le cas des auto-trains, dont la SNCF prévoit déjà la suppression en proposant le recours à un chauffeur. Je m'interroge d'ailleurs sur le caractère écologique de cette proposition.
On m'a reproché de prôner l'aérien dans un récent rapport sur la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires, mais il n'est guère d'autre choix avec la disparition et la dégradation des lignes ferroviaires.
Je souscris à la proposition de nos collègues de promouvoir train de nuit et auto-train, seul moyen d'éviter le report vers la route ou l'aérien.
La ruralité n'est pas opposée à la transition écologique, à condition d'en avoir les moyens.
N'opposons pas les moyens de transport. Le groupe RDSE apporte son soutien aux auteurs du débat, qui nous renvoie au droit à la mobilité et à l'exigence d'aménagement équilibré du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Frédéric Marchand . - Chemin de fer et récit national sont étroitement liés. Avec les Assises de la mobilité, prolongées par la loi d'orientation, le Gouvernement a initié une refonte de notre politique des transports au service de la mobilité de tous, sur tous les territoires, et de la transition écologique.
Les intercités sont une catégorie résiduelle, entre TER et TGV. Ils ont vu leur périmètre se réduire à mesure que se développait le réseau à grande vitesse qui domine la stratégie et les investissements de la SNCF depuis 30 ans et de celui des trains régionaux portés par les AOT depuis dix ans.
Les intercités sont particulièrement touchés par le manque d'investissement sur les lignes classiques ; dix-huit lignes ne sont que partiellement ou pas du tout électrifiées. L'absence de rénovation du réseau a conduit à une baisse de fréquentation, avec un parc de trains obsolescent. Résultat, les intercités sont de plus en plus concurrencés par le covoiturage.
En 2015, la commission parlementaire Duron concluait que le service des trains de nuit tel qu'il a existé n'était plus soutenable, entre baisse de la fréquentation et hausse du déficit financier. Le gouvernement précédent a opté pour un recentrage de l'offre sur les lignes jugées essentielles à l'aménagement du territoire, Paris-Rodez et Paris-Briançon. Les trains de nuit transversaux ont été supprimés.
En septembre 2018, la ministre des Transports a réaffirmé que le train de nuit a un avenir et s'est engagée à maintenir les deux lignes restantes, dont le matériel sera rénové.
Même si la France a la chance de posséder un réseau à grande vitesse qui a raccourci les distances, les territoires expriment une forte attente de redéploiement des liaisons de nuit. Il serait donc utile de reconsidérer les conclusions de la mission Duron.
Avec l'avènement d'un tourisme écoresponsable et le succès de la compagnie autrichienne ÖBB qui opère 26 lignes à travers l'Europe, un avenir du train de nuit peut être imaginé.
L'auto-train, de son côté, a souffert une lente agonie, perdant 80 % de son trafic en trente ans, avec le développement d'autoroutes, la suppression des autocouchettes et le TGV. Ce service est désormais très déficitaire : 10 millions d'euros de pertes en 2016, soit l'équivalent de son chiffre d'affaires. Son activité, très saisonnière, se concentre à 70 % entre juin et septembre. Le service a donc été recentré sur les destinations les plus demandées : Avignon, Marseille, Toulon, Fréjus et Nice. La SNCF a fait le choix, pour les autres lignes, de réorienter la clientèle vers une start-up qui propose d'acheminer les véhicules par chauffeur ou camion, mais le coût du service est élevé. Nous sommes sans doute à la fin d'un cycle : il faudra un nouveau modèle économique pour que l'auto-train renaisse.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Frédéric Marchand. - Sur le train de nuit, attendons le rapport du Gouvernement qui nous sera remis en juin 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)
M. Guillaume Gontard . - Mon groupe porte haut et fort le combat pour le redéploiement des trains de nuit. Passons sur l'incohérence d'une politique qui favorise la route et l'aérien au détriment du rail, tout en prétendant lutter contre le réchauffement climatique et la pollution.
Le train de nuit n'a pas de concurrents sur les longues distances, notamment pour un travailleur qui veut passer la soirée avec sa famille et arriver sur son lieu de travail tôt le matin. De fait, les derniers trains et avions partent entre 20 heures et 21 heures ; les premiers ne permettent pas d'arriver avant 8 heures du matin. Dix millions de travailleurs sont en horaires décalés ; le train de nuit représente pour eux une alternative bienvenue et sécurisante à la voiture.
Le deuxième argument est écologique : la honte de prendre l'avion, baptisée flygskam par les Suédois, se développe, surtout chez les plus jeunes. Ceux-ci veulent pourtant voir le monde, mais en prenant leur temps. Le déplacement devient une part entière du voyage. Encourageons ce rapport différent au voyage, déjà engagé en Autriche, en Allemagne, en Suède avec la renaissance du train de nuit. Monsieur le ministre, portez donc ce dossier à Bruxelles !
Les 30 millions d'euros au budget 2020 sont bienvenus mais insuffisants pour développer une offre correcte, siège inclinable pour les plus modestes, cabine individuelle pour les voyageurs professionnels. L'offre en ligne de la SNCF est indigente : les trains de nuit ne sont souvent pas indiqués sur le site. Pourtant leur taux de remplissage est de 45 % à 50 % - la rentabilité est à 60 %.
Autre aberration : les droits de péage des petites gares, ce qui n'incite pas à multiplier les arrêts. La gare d'Austerlitz est la plus chère de France alors qu'elle accueille bien moins de trains que les autres gares parisiennes ! À SNCF Réseau de rendre attractives, par un péage inversé, les gares des zones urbaines de moins de 200 000 habitants.
La ligne de nuit Paris-Briançon me tient particulièrement à coeur : la solution, même temporaire, d'un trajet en car, n'est pas acceptable. Il faut commencer au plus vite la rénovation de l'étoile ferroviaire de Veynes, vitale pour la desserte des Alpes, à laquelle le Gouvernement a promis son concours. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Jérôme Bignon . - L'urgence peut-elle nous imposer la lenteur ? « Prenez le temps d'aller vite », disait la SNCF pour promouvoir le TGV. Mais avons-nous toujours besoin d'aller aussi vite ? « Le train est l'automobile du pauvre ; il ne lui manque que le pouvoir d'aller partout » écrivait Jules Renard. Or son prix a augmenté, mais il va de moins en moins partout. Pour aller vite, impossible de s'arrêter dans toutes les gares... Il existe pourtant tout un monde entre les grandes villes. Nos territoires ont besoin de lignes de desserte fine, il faut compléter l'offre actuelle.
Le train de nuit, agréable et commode, a donc un rôle à jouer ; je l'ai emprunté souvent étant étudiant pour aller en vacances ou aux sports d'hiver, c'était une aventure... Il faut proposer d'autres modes de transport que l'automobile.
Le service auto-train, c'était « une idée d'avance » comme disait la SNCF dans un message publicitaire ; insuffisamment connu, il a malheureusement presque disparu, avec des conséquences écologiques négatives à la clé.
Nous ne devons pas nous restreindre à une alternative entre TGV et transport routier. Chaque mode de transport a son utilité et le voyageur doit avoir le choix, et le prix du voyage doit refléter l'impact écologique.
Le train à hydrogène circulera d'ici deux ans, les trains légers sont susceptibles de faire évoluer le seuil de rentabilité. Le transport ferroviaire doit continuer de se verdir. À eux de nous faire préférer le train, pour rependre un dernier slogan... (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; M. Jean-Paul Emorine applaudit également.)
M. Jean-Claude Luche . - Le train de nuit reviendrait à la mode : moins polluant, plus sûr que la voiture et le bus, il présenterait beaucoup d'avantages. Pourtant, nous avons craint sa suppression il y a deux ans. Il ne reste que deux liaisons de nuit, dont le Paris-Rodez, seule liaison directe de notre territoire avec Paris. La politique du tout TGV a anéanti le train de nuit. Imaginez : aujourd'hui, le trajet Paris-Rodez dure une heure de plus qu'en 1956 !
Le confort des wagons n'a pas évolué en quarante ans, et les travaux fréquents provoquent des retards. Malgré tout, le taux d'occupation avoisine les 50 %. Le train de nuit demeure le moyen le plus facile et le moins cher pour « monter » à Paris ou descendre au pays, la liaison est directe, on arrive en centre-ville - pas de temps gaspillé, quoique l'arrêt de quatre heures à Brive pose question... (Mme Josiane Costes s'exclame.)
Mais seul l'argument écologique a permis de relancer le débat. Il devient urgent de réinvestir dans les trains de nuit et de les promouvoir, comme le font l'Autriche et la Suède. Une nouvelle clientèle est prête à s'approprier ce mode de transport pour des raisons écologiques, mais le confort doit en être amélioré. La demande est là, reste à adapter l'offre.
Par leur pratique et leur attachement au train de nuit, les Aveyronnais faisaient donc de l'écologie avant la prise de conscience de l'urgence climatique ! Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour remettre le train de nuit à l'honneur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE)
Mme Christine Lavarde . - La casse du service public, c'est 20 % des lignes ralenties par manque d'entretien. La casse du service public, c'est la dégradation du service dans les trains de nuit. La casse, c'est laisser perdurer la situation actuelle. Voilà les mots d'Élisabeth Borne dans une interview au JDD en février 2018. Elle avait raison : il est urgent d'agir pour financer la régénération et la modernisation des trains de nuit et des intercités. Mais il faut aussi élargir le débat aux trains de fret, dont le besoin augmentera de 30 % à horizon 2030, car à parts modales inchangées, les émissions de CO2 seront alors de 80 millions de tonnes par an.
Le ferroviaire a toute sa place dans la transition écologique, mais il ne représente que 11 % du transport intérieur de passagers et 10 % du transport intérieur de marchandises. Un train de fret, c'est 3 tonnes de CO2, et il évite 45 poids lourds sur la route qui représentent au total 45 tonnes de CO2.
Les entreprises de fret ferroviaire sont en difficultés économiques. Elles s'inquiètent des répercussions de la grève du 5 décembre, après une année dynamique : 6 % de hausse. C'est que la grève perlée de 2018 avait diminué le trafic de 4 %... Le Groupement national des transports combinés (GNTC) demande un service minimum : quelle sera la réponse du Gouvernement ?
Il manque une stratégie claire de développement. Quel sort sera réservé aux lignes de desserte fine ? L'État abandonne les lignes capillaires de fret. La région Île-de-France est récemment venue en aide à deux petites lignes, Valenciennes-Quiévrain et Compiègne-Lamotte-Breuil, qui auraient dû fermer. La seconde sert au transport de produits chimiques, avec quatre ou cinq trains par jour. Sa pertinence écologique est indéniable !
Le Grenelle de l'environnement avait fixé à 20 % la part du fret dans le transport de marchandises en 2020. À 11 % aujourd'hui, nous en sommes loin... Le Gouvernement n'est pas seul responsable, mais c'est lui qui a les moyens aujourd'hui pour agir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Martine Filleul . - Nous avons eu de nombreux débats sur le ferroviaire. Le constat est toujours le même : l'offre de service public diminue, le secteur souffre de la concurrence de la route et de l'aérien, et du manque d'investissement.
Il est difficile de se satisfaire de l'argument comptable de la SNCF à l'appui de sa décision de cesser son service d'autorail : faible remplissage et perte de chiffre d'affaires. C'est bientôt une start-up qui proposera l'acheminement des voitures par des chauffeurs professionnels, ubérisant le service et augmentant le trafic routier...
Les trains de nuit avaient certes besoin de se réformer, mais ils sont utiles à l'aménagement du territoire et à la revitalisation des centres urbains, en assurant des liaisons transversales entre villes moyennes. Les liaisons aériennes pour de tels trajets sont rares et onéreuses.
Les trains de nuit sont un gain de temps, ils améliorent l'offre de mobilité, sont économes et écologiques. Avec le flight shame, on assiste à une reconnaissance de ce mode de transport chez certains de nos voisins européens, les exemples autrichien et suisse le montrent.
Il faudrait, en France, investir davantage que les 30 millions d'euros promis par le Gouvernement. Cette somme permettra seulement de rénover des voitures. Il faudrait aussi s'attaquer à l'articulation du trafic et des travaux de nuit et à la tarification des péages.
Je remercie les initiateurs du débat. Il est temps de favoriser des trains mixtes, voyageurs et marchandises, voyageurs et autos. Il n'est pas acceptable de ne laisser subsister que quelques options onéreuses - les TGV - ou polluantes - l'avion et la route. Et il faut répondre aux besoins de tous par des moyens de transport écologiquement responsables. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. Jean-François Longeot . - Que de temps perdu ! En 2016, le Gouvernement annonçait la suppression des trains de nuit, reportant le trafic sur le covoiturage et les cars Macron, donc sur la route. La Commission européenne souhaite un continent neutre en carbone en 2050, avec un transfert des voyageurs de la route vers le rail, moins polluant. Le train représente en effet 3 % des émissions de CO2 du transport, contre 70 % pour la route. Mais le réseau ferroviaire n'est pas en capacité d'assumer les objectifs du transfert de 30 % du trafic routier vers le train à horizon 2030 et de 50 % à horizon 2050. En Allemagne, du reste, un train longue distance sur quatre est retardé par des problèmes de capacité sur le réseau.
Le développement des auto-trains et des trains de nuit répondrait à une demande qui croît sous l'effet du prix des billets de TGV et d'une culpabilité écologique des voyageurs à l'égard de la voiture et de l'avion. Pas rentables ? Tout comme les deux tiers des dessertes TGV !
Mais des investissements sont nécessaires, et l'abandon malheureux de l'écotaxe a représenté un manque à gagner terrible pour l'État, au détriment des trains de nuit.
La Commission européenne estime que 500 milliards d'euros seront nécessaires d'ici 2030 pour développer le réseau ferroviaire transeuropéen. L'Union européenne a investi 24 milliards d'euros depuis 2014 dans les transports, dont 68 % dans le rail. La programmation des investissements de l'État, en France, n'est cependant pas à la hauteur. Notre commission avait proposé une sanctuarisation des ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et une affectation à cette agence de toute l'augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE).
Le ferroviaire représente un enjeu tant pour l'aménagement du territoire que pour une mobilité accrue, à des prix abordables. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est placé à la lumière de la lutte contre le changement climatique. L'objectif européen est d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ; nous le partageons. Pourtant, loin des grandes conférences internationales sur l'urgence climatique, les décisions, telle la suppression des auto-trains et des trains de nuit, vont en sens inverse !
Ainsi, la fermeture de la ligne Paris-Biarritz a remis sur la route plus de 20 000 véhicules l'été. À l'appui de sa décision, la SNCF a pointé la sous-occupation des trains, ce que l'Autorité de régulation des transports a rectifié, précisant que les trains de nuit avaient un taux de remplissage de 10 % plus élevé que les intercités. Dans notre région frontalière, les perspectives de liaisons vers Saint-Sébastien et d'autres villes espagnoles sont pourtant réelles. Et lors de son déplacement à Bagnères-de-Bigorre en juillet 2019, le président de la République a déclaré, à propos de la Palombe bleue, qu'il l'avait prise bien des fois, et qu'il faudrait réinvestir sur cette ligne.
Élisabeth Borne partage l'objectif de dynamiser l'offre de trains de nuit. Je salue cette position. Mais on reste dans le flou quant aux moyens : une enveloppe de 30 millions d'euros correspond à la modernisation de 60 ou 70 voitures Corail... C'est peu.
Allez-vous proposer des solutions pour les opérateurs entrant sur le marché et qui ont besoin de matériels roulant ? Peut-on faire en sorte que la SNCF puisse céder aux régions les voitures qu'elle n'utilise pas, afin qu'elles soient proposées aux autres opérateurs ?
Ces modes de transport sont vertueux pour l'environnement et utiles aux Français. Vous devez travailler main dans la main avec les territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports . - Merci pour ce débat, occasion, au lendemain du vote de la LOM, de rappeler l'attachement du Gouvernement au ferroviaire.
Nous souhaitons faire plus et mieux, avec plus de confort et à moindre coût. Les marges de manoeuvre existent. L'État reprendra 35 milliards d'euros de dette de la SNCF d'ici 2022 ; c'est un effort sans précédent. Mais il faudra faire évoluer ce service public, sans craintes et sans nostalgie.
L'auto-train a connu une diminution de son activité depuis quarante ans et malgré les augmentations de tarifs, le service est resté déficitaire, avec une perte de 10 millions d'euros entre 2016 et en 2017. La SNCF a décidé en 2018 de le limiter aux destinations les plus touristiques puis, en constatant le faible nombre de véhicules transportés - 29 000 - de le supprimer à la fin de l'année 2019. Cette décision relève de la liberté stratégique de l'entreprise. Cela ne signifie pas un report absolu vers la voiture : la LOM privilégie la multiplication des solutions de mobilités alternatives à la voiture individuelle, comme l'auto-partage ou le covoiturage.
Les choses sont différentes pour le train de nuit, qui bénéficie d'un nouvel engouement.
Le rapport de Philippe Duron en 2015 avait établi que l'offre n'était pas toujours adaptée aux besoins des usagers et que les résultats de cette activité étaient très dégradés. Les TGV du petit matin et les autocars bon marché leur faisaient concurrence.
En 2015, le précédent gouvernement a donc souhaité réduire l'offre à deux lignes, jugées indispensables faute d'offre alternative. Un appel à manifestations d'intérêts a tout de même été lancé en 2016 : il n'a donné lieu à aucune proposition pertinente.
La région Occitanie a cependant noué un partenariat avec l'État pour relancer la ligne Perpignan-Cerbère le week-end et les vacances scolaires. L'État financera le déficit à parité avec la région. Le Gouvernement croit en de telles solutions en partenariat avec les territoires. Il y a plus d'un an, Mme Borne considérait que le train de nuit était un atout pour les territoires. Elle s'était engagée à reconduire le conventionnement au-delà de 2020 avec un financement de 44 millions d'euros pour rénover le matériel roulant. Je reprends cet engagement à mon compte.
Le contexte a évolué. L'impératif écologique a ouvert de nouvelles perspectives pour le train de nuit destiné, comme chez nos voisins européens, à répondre à un besoin écologique, social et d'aménagement du territoire. Il est prévu dans la LOM que l'État, dans un rapport qu'il établira avant le 30 juin prochain, étudiera de nouvelles lignes ferroviaires avec une amélioration de l'offre de trains de nuit, pour désenclaver des territoires, développer les liaisons nationales et intra-européennes et réduire l'empreinte carbone des transports.
Le financement est une difficulté. L'exemple autrichien sera analysé finement, même si nous ne saurions le transposer tel quel en France, car toutes les lignes exploitées par ÖBB sont électrifiées.
La France dispose d'un réseau de TGV étoffé permettant de multiples dessertes. C'est en nous appuyant sur ce réseau que nous pourrons, tout en transposant les bonnes pratiques de nos voisins, développer un nouveau modèle français.
Le Gouvernement est résolument engagé vers l'avenir du ferroviaire, y compris du train de nuit. Le vote de la LOM, hier, a consacré un budget de 13,4 milliards d'euros. Pas moins de 70 % de l'enveloppe sera allouée au ferroviaire.
Monsieur Gontard, je vous redis que nous lions les travaux sur le Paris-Briançon à ceux qui sont à l'étude sur la ligne Nord-Sud, plus précisément entre Grenoble et Gap. Une réunion se tiendra le 4 décembre, pilotée par le préfet, dans le but de trouver une solution pérenne pour solidifier ces deux axes.
Madame Lavarde, j'ai reçu le préfet Philizot ce matin...
M. Olivier Jacquin. - Ah ! Tout arrive ! On aura enfin le rapport ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. - Il m'avait remis un pré-rapport, puis je lui avais demandé de faire un tour des régions afin de dresser un plan opérationnel, pour faire émerger des solutions alternatives. Le train léger pourrait être utilisé sur les lignes fines, grâce à une régénération économe et avec du matériel moins coûteux, à l'achat comme à l'entretien.
S'agissant du fret, les travaux de régénération bénéficient d'une enveloppe de 3,6 milliards d'euros par an contre 1 milliard dans le passé.
Madame Filleul, la complémentarité des modes de transport constitue un sujet presque philosophique. Je crois à cette complémentarité dans les territoires les plus ruraux. Je crois aussi à des pertinences entre les modes. Nous avons reconstruit le train des Pyrénées entre Perpignan et l'Île-de-France ; il est apparu que les deux tiers des marchandises, au lieu d'aller à Rungis, étaient acheminées par la route directement vers les centrales d'achat de la grande distribution, à destination des marchés régionaux. Je crois à la complémentarité et au progrès partagé. Pour reprendre un slogan de la SNCF, « le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous »...
Des perspectives nouvelles existent dans tous les modes de transport. Le train à hydrogène se profile. Dans l'aviation, les biocarburants sont à maturité immédiate ; les avions hybrides suivront, dans 5 à 7 ans. La perspective d'une aviation à bilan carbone nul n'est plus lointaine en France. Tout cela ouvre des perspectives en matière de croissance et d'emploi.
Prochaine séance demain, jeudi 21 novembre 2019, à 9 heures.
La séance est levée à 20 h 10.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication