Donner des armes à l'acier français Accompagner la mutation d'une filière stratégique
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport : « Donner des armes à l'acier français - Accompagner la mutation d'une filière stratégique ».
M. Franck Menonville, président de la mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC et sur le banc de la commission ; Mme Sophie Primas applaudit également.) La France a un passé et surtout un avenir industriel. Il y a un an et demi, la mission d'information sur Alstom rendait ses conclusions. À l'heure des start-up, il reste indispensable de conserver une industrie forte et modernisée.
L'acier demande des investissements importants, présente un seuil de rentabilité élevé et des marges faibles, mais l'acier forge nos armes au sens propre : ainsi nos vecteurs nucléaires, avions et sous-marins, sont faits d'alliages spéciaux.
C'est aussi un enjeu pour la transition écologique. Le recyclage est une contribution d'importance stratégique à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Or l'écoconception est encore trop virtuelle dans ce domaine. La France et l'Europe sont reléguées aux marges dans le marché mondial de l'acier. Alors que la Chine représente 50 % de la production, seuls trois quarts des capacités françaises sont employés, d'où une crise de surcapacité.
Il manque un ministre de l'Industrie et une politique européenne qui ne se concentre plus sur la seule concurrence ; le dossier Siemens-Alstom en témoigne. Nous avons besoin d'une Europe stratège pour notre industrie.
La mission d'information a entendu 55 personnes pendant cinq mois et a fait de nombreux déplacements. Notre rapport a été adopté à l'unanimité des groupes politiques et présente 30 propositions que la rapporteure va vous présenter. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)
Mme Valérie Létard, rapporteure de la mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
À l'heure où la réindustrialisation des territoires est un objectif partagé du Gouvernement et des élus locaux, la consolidation de notre industrie sidérurgique nationale est absolument stratégique.
Notre mission d'information a identifié trois défis majeurs pour notre sidérurgie : la surcapacité mondiale qui exacerbe la concurrence au détriment de l'Europe, avec des pratiques protectionnistes et de concurrence déloyale qui se répandent ; l'acier doit prendre le virage de la transition énergétique, alors que le prix de la tonne de carbone sur le marché a augmenté et que des pays tiers n'y sont pas tenus ; les moyens de modernisation sont coûteux, les investissements en Recherche et développement (R&D) sont lourds et risqués, mais l'acier est le fondement de nombreuses industries en aval.
Nous avons identifié quatre leviers pour renforcer l'acier français. D'abord soutenir la transition énergétique de la sidérurgie française. Il faut mettre une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne - réjouissons-nous de ce que la nouvelle Commission européenne y soit favorable. Il va falloir faire vite ! La compétitivité du prix de l'énergie en Europe est essentielle et conditionne l'avenir de la filière. En France, le coût de la compensation carbone doit annuler les coûts des quotas carbone répercutés sur les prix de l'électricité. 280 millions d'euros sont prévus à ce titre dans le budget pour 2020. Lors des prochains budgets, la question se posera encore.
Il faut ensuite protéger l'acier contre des concurrents déloyaux subventionnés et défendre nos intérêts commerciaux. La Commission doit se saisir de ses outils de protection commerciale et en créer de nouveaux.
Le troisième levier concerne la stratégie de filière afin d'améliorer l'articulation entre les besoins des entreprises sidérurgiques et le soutien des pouvoirs publics. L'État doit engager davantage de moyens pour améliorer le dialogue.
Le dernier levier, essentiel, est l'accompagnement stratégique à tous les niveaux des politiques publiques : il faut donc mettre en place un véritable ministère de l'Industrie (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.) qui pourra défendre nos industries au niveau européen et portera la stratégie, au lieu de se contenter du rôle de pompier, comme à Ascoval. Il rassemblera tous les acteurs y compris au niveau régional.
Madame la ministre, partagez-vous nos orientations ? Quels moyens concrets voulez-vous consacrer à l'acier français ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SOCR et Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Oui, la sidérurgie est centrale dans l'industrie française : 43 % des débouchés de l'acier sont dans la construction, 26 % dans les transports et 16 % dans les industries mécaniques.
L'acier emploie au total 48 000 personnes, principalement dans les grands bassins des Hauts-de-France, du Grand-Est, d'Auvergne, de Rhône-Alpes et de PACA, mais aussi de plus petites unités : aciéries électriques, unités de transformation, fonderies...
Ce secteur mondialisé doit s'adapter à une concurrence féroce. Les aciers plats français se sont maintenant restructurés. À Florange, 2 200 emplois ont été sauvegardés grâce à l'innovation.
La filière doit aujourd'hui faire face à des défis majeurs : réduction des émissions carbone, lutte contre la concurrence déloyale, transformation numérique des entreprises, recherche et développement, attractivité des métiers.
Le premier enjeu tient à la question de la surcapacité mondiale, que vous développez dans la proposition 6. La Chine produit plus de 930 millions de tonnes d'acier, soit 50 % de la production mondiale, et est largement responsable de la surproduction mondiale. Les aciers plats ont vu leur prix baisser de 21 % entre janvier 2018 et mai 2019. Le G20 a obtenu de ce pays qu'il baisse sa production. C'est un premier pas.
Deuxième enjeu : respect d'une concurrence loyale, développé aux propositions 7, 8 et 27. Or ce n'est pas toujours le cas. C'est pourquoi je saisis souvent le Conseil compétitivité de l'Union européenne.
L'impératif climat est le troisième enjeu, que l'on retrouve dans la proposition 9. La sidérurgie est responsable de 7 % des émissions atmosphériques de CO2 dans le monde. La rupture technologique peut remédier à ce problème.
Quatrième enjeu : le prix de l'électricité. Je vous renvoie aux propositions 13 et 15. La sidérurgie est un grand consommateur d'électricité. Des négociations sont en cours au niveau national et européen. Merci de saluer nos efforts pour défendre au niveau européen un budget de compensation de CO2 pour que nous bénéficiions de tarifs compétitifs d'électricité.
Cinquième enjeu : la R&D, secteur de différenciation, fait l'objet des recommandations 12, 22 et 26 du rapport.
Le crédit impôt recherche (CIR), que douze pays ont repris, est un outil souple et efficace. Mais il faut travailler plus à l'industrialisation de la R&D sur le territoire national. C'est en créant un cadre accueillant que l'on attirera les investisseurs.
La banque publique d'investissement (BPI) s'est engagée de façon constante pour l'industrie. Depuis sa création, elle a été présente sur de nombreux dossiers du secteur des métaux. Elle a participé à de grands succès comme Constellium, et elle est un acteur crucial dans les dossiers plus sensibles, comme Vallourec. Bpifrance est un investisseur avisé en économie de marché soumis aux règles de concurrence communautaire en matière d'aides d'État. Elle n'intervient pas directement en retournement mais elle gère pour le compte de l'État le Fonds de Fonds de Retournement (FFR), doté de 74 millions d'euros dans le cadre du Programme d'Investissements d'Avenir.
Face à ces défis, je veux affirmer ici que depuis ces deux dernières années, l'État a une stratégie industrielle, mène des actions et obtient des résultats.
Le 18 janvier dernier, j'ai signé le Contrat stratégique de filière « Mines et métallurgie » avec la présidente du Comité stratégique de filière Mme Christel Bories, en présence des organisations syndicales. Cette instance rassemble tous les acteurs, employeurs, administration et syndicats de la filière. Cela est nouveau. Des travaux sont menés sur les approvisionnements stratégiques, objet des propositions 2 et 17.
Le Gouvernement est très attentif au risque de monopole de la Chine sur les terres rares. Le Conseil général de l'économie a remis au ministère de l'économie un rapport sur la vulnérabilité de l'approvisionnement en matières premières des industries françaises, qui a permis d'identifier plusieurs pistes de travail. Pour les mettre en application, le lancement de travaux applicatifs sur la sécurisation des approvisionnements en matières premières a été confirmé lors du Comex du Conseil National de l'Industrie (CNI) de septembre et les premières conclusions sont attendues pour la fin 2019.
Des travaux sur l'avenir des aciéries électriques sont menés, liés proposition 16. La filière hauts-fourneaux est stabilisée en France. Ce n'est pas vrai pour l'aciérie électrique, même si elle est une réponse à l'enjeu du gaz à effet de serre. Les travaux du Comité stratégique de filières vont dans le bon sens.
Si Ascoval continue à travailler, c'est grâce à l'action déterminée de l'État, et aux élus locaux, et je veux vous rendre hommage à ce titre, madame Létard.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - J'aimerais mentionner une dernière action, en matière de formation, car la filière est en tension. Nous devons y travailler ensemble.
Tous ces sujets sont pris en compte dans la réflexion du pacte de filière.
Mme la présidente. - Nous en arrivons aux questions.
M. Bernard Buis . - Merci à notre rapporteure pour le travail réalisé. La situation périlleuse de l'acier français est causée par le développement de la concurrence étrangère. En 2017, 1 700 millions de tonnes étaient produites dans le monde dont la moitié en Chine. La Chine, le Japon et l'Inde concentrent plus de 68,8 % de la production. Quid de l'acier français ? L'avenir de la France réside dans le développement de nouveaux savoir-faire.
La technologie peut être une issue pour notre industrie. En 2017, le sidérurgiste américain Nucor, soit 30 % de tout l'acier américain, avec dix-huit aciéries électriques, a aligné des performances de premier plan : un recyclage massif, un souci de l'environnement et des dividendes redistribués depuis 1972.
Les préoccupations environnementales peuvent être une opportunité. L'acier est une filière sèche avec peu de déperdition énergétique. Il peut être 100 % recyclable. Comment faire de nos entreprises des acteurs de développement durable ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Oui, si la France est capable de faire de cette filière un acteur de développement durable, cela lui donnerait de nouvelles marges de manoeuvre. La France se distingue par une production d'aciers spécifiques, superalliages et aciers plats.
De nombreux projets de R&D sont engagés. La filière fonte ne disparaîtra pas et la sidérurgie électrique, quoique handicapée par une faible rémunération alors qu'elle émet peu de CO2, doit retrouver de la compétitivité. C'est pourquoi nous nous sommes battus pour Ascoval, pensant que l'Histoire nous donnerait raison.
M. Fabien Gay . - Mois après mois, mêmes débats et mêmes réponses. Pendant ce temps, les fermetures de site se multiplient : Firminy, Saint-Saulve, Vallourec : les sites ferment les uns après les autres. 10 000 emplois directs ont été perdus entre 2013 et 2017, quelle hécatombe ! Et nous entendons les mêmes larmes de crocodile du Gouvernement. Nous continuons de formuler des préconisations dont nombre d'entre elles se retrouvent dans le rapport de Mme Létard.
Soit, depuis quinze ans, les solutions sont erronées, soit il y a une volonté de sacrifier cette industrie sur l'autel du profit. Il faut le dire, si c'est le cas.
Votre politique industrielle est-elle de laisser les emplois partir à l'étranger, en finançant les entreprises sans rien demander en échange ?
Allez-vous enfin interdire les délocalisations et nommer un ministre de l'Industrie ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains et sur le banc de la commission)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Je ne partage pas votre avis. L'emploi industriel a progressé dans le pays depuis 2017. Effectivement, ce n'était pas le cas auparavant ! (M. Fabien Gay s'emporte.) Il y a les contrats stratégiques de filière. Ascoval a été sauvé, grâce au Gouvernement.
Monsieur Gay, ne vous payez pas de mots ! Le mécanisme d'inclusion carbone sur lequel nous travaillons avec l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, est en passe de devenir réalité. Je n'attends pas que les choses se passent, assise sur ma chaise. (M. Fabien Gay proteste.)
Les relocalisations, cela existe aussi ! Certes, la bataille va être rude, mais le Gouvernement est déterminé à agir. Nous sommes là pour accompagner les entreprises dans leur transformation. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Dany Wattebled . - Ascoval remonte la pente mais ses mésaventures symbolisent une action de l'État qui se limite à la gestion de crise.
Il faut pourtant un cadre légal favorable au développement de l'industrie. Or la taxe carbone européenne ne s'applique pas aux importateurs... Il aurait fallu, quand General Electric (GE) a racheté la branche énergie d'Alstom, que l'État soutienne son champion. Mais pour cela, il faut une vision stratégique portée par un ministre de l'Industrie.
Qui sera chargé de redonner à la France une stratégie industrielle et avec quels moyens ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Nous avons 18 contrats stratégiques de filières dont un sur les mines et la métallurgie : il permet d'anticiper la transition écologique et les innovations à venir. Le dispositif « Territoires d'industrie », le programme de numérisation des entreprises, le fonds d'innovation pour l'industrie, tous ces éléments traduisent notre stratégie industrielle.
Nous accompagnons aussi les entreprises en difficulté. Un accord a été trouvé entre les syndicats et la direction de GE, grâce à l'appui du Gouvernement. Le CNI est présidé par le Premier ministre ; c'est dire que la vision est portée au plus haut niveau.
Mme Nadia Sollogoub . - L'État a accordé 500 millions d'euros d'aides publiques en dix ans mais au coup par coup, dans la précipitation. Peut-on croire à un discours de vérité ? Voyez Vallourec : sur le site de Cosne-sur-Loire, les élus et salariés ont fait les frais de décisions spasmodiques dont la stratégie leur échappait. Les évolutions sont nécessaires et vitales, mais y a-t-il un cap et surtout le connaissons-nous ?
Les cessions-reprises à suspense prennent l'aspect de liquidations savamment orchestrées. Quelle est la stratégie de production nationale de Vallourec, notamment pour les tubes sans soudure ? Ils sont laminés par un producteur ukrainien à des prix compétitifs.
L'État va-t-il laisser les collaborateurs de la première heure de Vallourec au bord du chemin ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Vallourec a vu s'effondrer le marché de fourniture d'équipements pétroliers. L'entreprise a dû prendre des décisions difficiles. Elle est victime d'un problème de compétitivité. Si le coût de production est supérieur à celui des concurrents, vous perdez des parts de marché. La numérisation des entreprises est donc indispensable.
BPI est entré au capital de Vallourec pour parer à une OPA ; mais l'État reste un actionnaire ultra-minoritaire, le capital étant très largement réparti.
L'État ne gère pas directement l'entreprise, mais pose son regard sur le devenir des sites français, au-delà de son rôle d'actionnaire.
Mme Nadia Sollogoub. - Je comprends toutes ces problématiques de productivité, mais il y a la manière. Un repreneur baisse les bras après un an sous prétexte qu'il n'a pas obtenu les brevets de Vallourec... C'est insupportable pour les salariés et les élus. (Mme Josiane Costes applaudit.)
Mme Sophie Primas . - En 1954, la France comptait 152 hauts-fourneaux, contre 8 aujourd'hui. C'est une évolution de fond. Vous devez défendre notre industrie sans naïveté face aux attaques étrangères.
Pourquoi une telle apathie de l'État pour General Electric qui, après avoir racheté Alstom, annonce 1 000 suppressions d'emplois ? On pourrait citer Ascoval, les Chantiers de l'Atlantique, Saint-Louis en Normandie, Eramet en Nouvelle-Calédonie, Technip, qui est au coeur d'un nouveau scandale.
Le Parlement agit. La loi Florange de 2014 a institué l'obligation de trouver un repreneur. La loi Pacte élargit les contrôles des actionnaires étrangers. Et chaque année, dans le projet de loi de finances, nous demandons des moyens pour le Fonds de développement économique et social (FDES). Quand assumerez-vous de vous saisir de ces outils ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Depuis deux ans, l'État bloque fréquemment des reprises. Le screening, au niveau européen, a été obtenu grâce aux initiatives françaises.
L'installation à laquelle vous avez fait référence a été rachetée par General Electric en 1999. Or l'accord avec GE n'a été conclu qu'en 2014. Nous avons 50 millions d'euros prêts à investir sur cet accord. En outre, 600 emplois sur la filière éolienne en mer vont être créés. Ne soyons pas fatalistes !
Nous utilisons le FDES assez largement. En 2018, il a surtout été mobilisé sur Presstalis.
M. Jean-Claude Tissot . - La filière sidérurgique française symbolise le déclin de notre industrie. La mission d'information a rappelé que l'industrie était essentielle à l'économie de notRe pays. Pour le secteur sidérurgique, il faut un soutien fort de l'État, qui doit accompagner la transition énergétique. Cette filière représente 4 % des émissions de carbone nationales. Il faut donc développer le recyclage et l'écoconception.
Nous sommes dépendants de matières premières non disponibles sur le territoire national.
Il convient enfin d'anticiper la croissance des ENR, notamment en développant des fournisseurs à l'échelle nationale. Allez-vous suivre les préconisations de notre mission d'information pour relever ces grands défis ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - La recherche, sur fonds publics et privés, est capitale. Il faut organiser une filière de recyclage compétitive, ce qui n'est pas encore le cas. Pour les matières premières stratégiques, notamment le titane, nous développons des stratégies d'approvisionnement, notamment avec Eramet.
Concernant les ENR, nous privilégions les fournitures européennes et françaises, puisque nous avons une approche plus éthique des mines que d'autres pays. Nous prévoyons une labellisation pour nous appuyer sur des zones où les exigences sociales et environnementales sont conformes aux nôtres.
Mme Véronique Guillotin . - Je salue le président et la rapporteure de la mission d'information pour la qualité de leurs travaux. Issue d'un département lorrain, je suis très touchée par le sujet. Deux réussites symboliques dans ma région : le projet de transition énergétique de Novacarb en Meurthe-et-Moselle et la transformation industrielle du site de Florange.
En revanche, Saint-Gobain Pont-à-Mousson spécialisé dans la production de tuyaux en fonte pour l'adduction d'eau potable souffre de la concurrence asiatique et du protectionnisme américain. Je rappelle que ce sont 2 000 salariés, 123 brevets déposés depuis vingt ans et un leader européen. Sa modernisation, avec un plan de 230 millions d'euros, commence à porter ses fruits.
Mais il faut un environnement favorable. Le code des marchés publics (CMP) permet désormais l'introduction dans les marchés publics de critères d'origine géographique.
Que pensez-vous de l'introduction de quotas de CO2 dans les règles européennes ou encore la taxation des imports extra-européens ? Qu'allez-vous faire pour rassurer les collectivités pour qu'elles s'approprient ce nouveau code ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Avec le nouveau CMP, Il est en effet possible d'activer l'article 85 de la directive 2012-84 pour les marchés publics ; mais dans les faits, identifier des contenus européens dans un produit peut poser des difficultés techniques.
En revanche, la clause environnementale peut être activée et elle l'est d'ailleurs dans 20 % des marchés publics des collectivités territoriales. C'est un levier prometteur qui permet de réinternaliser les externalités environnementales. Peut-être pourrait-on intégrer systématiquement cette mention dans les cahiers des clauses administratives générales des marchés publics des collectivités territoriales ?
Mme Anne-Catherine Loisier . - Madame la ministre, je salue votre discours volontariste. Mais quid des moyens et de l'accompagnement de l'État ?
Le programme Territoires d'industrie a produit, pour le moment, des résultats décevants. Quant à l'accompagnement numérique, il n'est possible qu'avec une connexion à très haut débit...
Il faut un pilotage interministériel résolu. Que comptez-vous faire ? Quel dispositif réactif ? Un exemple : les éoliennes, en France, ne peuvent pas être reconditionnées puisque l'énergie rachetée par le Turpe doit provenir d'installations neuves. C'est peut-être un sujet à creuser.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Territoires d'industrie, ce sont 305 millions d'euros qui financent plus de 300 actions, en associant les régions, qui jouent le rôle de pilote, et les entreprises à titre individuel. C'est concret.
Le très haut débit sur tout le territoire est pour la fin 2020 et 37 % des Français ont d'ores et déjà activé leur accès en THD, mais il faut que tous nos concitoyens qui y ont accès sachent qu'ils peuvent le faire : il faut aussi travailler là-dessus.
Le pacte productif appelle un travail collaboratif et une vision à l'horizon 2025-2030, associant entreprises, syndicats, collectivités territoriales et État, et surtout en raisonnant à l'échelle des bassins de vie.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous me rappelez les éléments du plan de financement, mais il faudrait mieux cibler les priorités au sein des territoires d'industrie.
Quant au Très Haut Débit à 8 mégabits par seconde, cela ne suffit pas pour la robotisation de l'industrie.
Mme Martine Filleul . - Ascoval est emblématique : il a été un fleuron industriel, il symbolise les difficultés de la sidérurgie... mais constitue la preuve que les pouvoirs publics doivent s'impliquer pour protéger l'industrie. L'État et les collectivités territoriales lui ont apporté 35 millions d'euros.
En présentant le Pacte productif, Bruno Le Maire a surtout évoqué la baisse des impôts pour les entreprises, très peu les investissements. Quand le Gouvernement investira-t-il de manière significative dans la sidérurgie ? Ascoval a survécu grâce à l'implication des collectivités territoriales qui ont travaillé d'arrache-pied pour trouver des solutions. Le rapport de la mission d'information souligne la nécessité de partenariat État-régions. Pouvez-vous en dire plus ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Très bien.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Vous avez raison de parler de volontarisme. Les conditions d'intervention de l'État imposent que pour un euro d'argent public, il y ait un euro d'argent privé. C'est une règle de base du jeu européen. Imaginez si les Allemands se mettaient à subventionner leurs industries, avec les réserves budgétaires dont ils disposent !
BPI France investit le tiers de son argent dans le secteur industriel. C'est largement supérieur à la part de ce secteur dans l'économie française, entre 10 et 12 %.
Nous avons réuni à plusieurs reprises les patrons de région pour caler une stratégie collective. Nous voulons pratiquer le même exercice dans chaque région, avec les entreprises.
M. Cyril Pellevat . - La France est confrontée à un double enjeu : la lutte contre le décrochage industriel et la préservation de sa souveraineté industrielle.
La filière sidérurgique emploie encore 38 000 salariés en France. Dans les années cinquante, les quatre plus grandes entreprises produisaient encore 50 % de la production française. Désormais, les deux tiers de cette production sont issus d'Arcelor Mittal. Nous sommes dans un marché européen et l'Europe joue dans un marché mondial. Arcelor emploie un tiers des salariés du secteur.
Il ne reste en France que 8 hauts-fourneaux contre plus de 150 en 1954. Nous déplorons ce fort déclin, qui a de lourdes conséquences sociales dans le Grand Est et les Hauts-de-France.
La France peut-elle mener des actions européennes pour défendre la sidérurgie ? Est-ce un effort qu'elle doit supporter seule ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - La stratégie propre aux entreprises dépend de leur segment de marché. Les entreprises doivent viser les segments à plus forte valeur ajoutée, où elles peuvent retrouver des marges, dans un contexte de fortes surcapacités.
Quelque 80 millions d'euros ont été investis pour le numérique et 200 millions d'euros pour le suramortissement numérique. À l'échelon européen, nous défendons des mécanismes de concurrence loyale, et de réciprocité des marchés publics, dans le cadre d'accords commerciaux transparents. La Chine produit 50 % de la production mondiale contre 4 % en 1978. Il faut aussi une approche de la commande publique plus stratégique.
M. Jean-Marc Todeschini . - Je salue l'excellent rapport de Valérie Létard. Malgré le traitement médiatique dont elle fait l'objet, la sidérurgie existe encore en France et emploie 40 000 personnes. Elle fait appel à des technologies de pointe. L'industrie de l'acier n'a pas disparu de Moselle en 2017, ni même de Florange, car 3 000 personnes « n'ont rien lâché », comme a dit Édouard Martin.
Pour ce qui est de la nécessaire adaptation aux enjeux de la transition énergétique, la part des émissions de CO2 est de 6 % pour la production d'acier. Les investissements dans ce domaine mettront quinze à vingt-cinq ans à porter leurs fruits. Les projets de stockage et de capture du carbone sont porteurs.
Quel est le soutien du Gouvernement à leur égard ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Le défi de la transition écologique est clé pour cette industrie. C'est pourquoi nous l'avons sélectionnée pour travailler sur la trajectoire de réduction des émissions de CO2. Il y a la question de l'investissement dans l'innovation. Quelque 20 millions d'euros de subvention sont attribués au centre de recherche de la Fensch, pour travailler sur des produits techniques comme des poudres. Il faut une nouvelle façon de produire - le captage de CO2 est aussi une solution.
Nous travaillons sur les investissements dans la transition énergétique pour éviter que les industriels pâtissent des coûts trop élevés. En effet, les impôts de production pèsent sur les entreprises avant même qu'elles aient généré des bénéfices.
Mme Christine Lavarde . - La filière sidérurgique est à la croisée des chemins. L'État doit lui donner une boussole.
L'évolution du système européen d'émissions des quotas entraînera une augmentation mécanique de la tonne de carbone. La filière sidérurgique a besoin pour fonctionner d'une énergie propre à faible coût. Électro-intensive, elle reste très sensible aux prix de l'électricité.
Quelle politique de l'énergie la France peut-elle promouvoir en Europe ? Le nucléaire est une réponse. Le rapport Folz a été récemment publié. Qu'en pense le Gouvernement ? La réponse dépend du ministre...
M. Jean-Marie Bockel. - Très bien.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Les électro-intensives ne sont pas soumises aux mêmes règles que les autres. Elles bénéficient de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) et du Turpe, autrement dit de tarifs plus agressifs.
Nous souhaitons maintenir un prix européen de l'énergie compétitif.
La décarbonation des processus industriels est une chaîne de valeur stratégique qui pourra faire l'objet d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC).
Des aides d'État peuvent être autorisées dans l'ensemble de l'Union européenne. L'électricité française est décarbonée à 98 %. C'est un avantage compétitif majeur. Le rapport de Jean-Martin Folz porte essentiellement sur Flamanville. La question du futur programme nucléaire, s'il y en a un, sera tranchée dans les prochains mois. Il n'y a à ce jour pas de réponse tranchée.
Mme Christine Lavarde. - Quid de l'après 2025 pour l'Arenh ?
Mme Martine Berthet . - Pour rester compétitives, les entreprises ont besoin de visibilité. Une feuille de route claire sur les quotas de CO2 et le prix à la tonne doit être donnée, avec un horizon à cinq ans.
Quelle mise en place aux frontières européennes du mécanisme d'inclusion carbone, en remplacement des quotas ETS - Emission Trading Scheme ?
Le coût de l'énergie est primordial pour les industries sidérurgiques, électro-intensives ou non. Diminuer leur empreinte carbone suppose aussi de s'attaquer au transport des matières premières et des produits finis. Mais la SNCF est frileuse sur le multimodal. La filière tente de s'organiser, mais attend des aides. Quelle est votre vision, madame la secrétaire d'État ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. - Les calculs ETS sont effectués au niveau européen. La France fait valoir sa position dans les négociations qui portent sur la prochaine période de cinq ans. Les entreprises auront donc une visibilité à cinq ans.
Les fluctuations de marché sont le quotidien de toute entreprise. Des travaux sont en cours sur l'inclusion carbone. Actuellement, nous travaillons sur l'acier, l'aluminium et le ciment, où la transformation est simple. Dans d'autres filières, l'impact est plus difficile à isoler.
Il faut s'assurer de la compétitivité des filières, et éviter d'augmenter le prix final...
Mme Valérie Létard, rapporteure . - Je remercie la ministre. J'associe Franck Menonville, tous les participants de la mission d'information et les élus qui se sont exprimés. La sidérurgie n'est pas une industrie du passé mais bien de l'avenir.
Elle constitue le haut de la chaîne de valeur de l'industrie française. La France doit rester indépendante dans sa production.
La ministre a cité les dispositifs d'aides, notamment à la recherche et au développement. Nous savons que vous êtes mobilisée, mais vous n'avez pas les moyens de vos ambitions. Il faut un ministère plein de l'Industrie, doté de moyens financiers et humains, pour soutenir les neuf contrats stratégiques de filière.
Il n'y a pas de grand pays sans industrie forte. Ce doit être une priorité nationale. Nous devons préserver ces centaines de milliers d'emplois. Les acteurs industriels, quand on les rencontre, nous disent qu'ils ont besoin de contacts avec le ministère de l'Environnement, celui de la Recherche, celui de l'Économie... Un ministère de l'Industrie serait un interlocuteur privilégié.
Donnons-nous les moyens d'être à la hauteur. Les actes doivent être au rendez-vous. Faisons le choix d'un ministère pilote et stratège. (Applaudissements sur toutes les travées)
La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 h 10.