Commission d'enquête sur l'incendie de l'usine Lubrizol
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête afin d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, de recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences et afin de tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques.
La commission des lois a déclaré cette proposition de résolution conforme à l'article 6 de l'ordonnance n°58-800 du 17 novembre 1958.
Explications de vote et vote sur l'article unique
M. Jean-Claude Requier . - Deux semaines après l'incendie de l'usine Lubrizol, ses causes, comme ses conséquences sur l'environnement et la santé ne sont pas connues. Il est légitime de vouloir rassurer la population. Les informations fiables doivent être clairement délivrées. L'État doit être transparent. Nos concitoyens sont submergés par un torrent de fausses informations, ce qui alimente un climat de méfiance.
Le Parlement doit être à la hauteur des enjeux majeurs qu'est la protection de l'environnement et de la population.
Cet accident industriel nous alerte sur les évolutions récentes du droit de l'environnement qui, sous couvert de simplifications, paraissent diminuer les exigences imposées aux activités industrielles potentiellement dangereuses. Je pense en particulier au passage du régime de l'autorisation à celui de l'enregistrement de nombreuses installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), alors que la France a fait l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne à ce titre.
Ajoutons la mise en cause de l'indépendance de l'Autorité environnementale et la faiblesse des sanctions pénales en matière environnementale : attention à ce que certains choix politiques ne remettent pas en cause la sécurité des activités industrielles.
Dans l'usine Lubrizol, l'extension des capacités de stockage de produits dangereux a été autorisée sans étude environnementale. Pourquoi ? La commission d'enquête devra répondre à cette question et à beaucoup d'autres pour trouver des solutions concrètes.
La réglementation environnementale ne saurait être une variable d'ajustement de l'économie a fortiori quand notre territoire compte plus de 1 000 sites Seveso.
Le groupe RDSE votera bien évidemment pour cette résolution.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Comme Pascal Martin, qui a rejoint notre Haute Assemblée, j'habite Rouen : nous sommes directement concernés par la catastrophe industrielle, aussi vous comprendrez pourquoi nous voterons cette proposition de résolution des deux mains. Merci aux présidents Marseille et Maurey d'avoir cosigné cette proposition de résolution et au président Larcher de son soutien.
La commission d'enquête est fondamentale car elle permettra d'aller plus loin que la mission d'information formée par l'Assemblée nationale. Elle doit apporter aux habitants légitimement inquiets, voire en colère, la transparence sur l'étendue des conséquences du nuage de pollution, mais aussi sur la gestion de la crise sanitaire, environnementale et économique. Vous ne mesurez pas le désarroi de nos agriculteurs, de nos éleveurs et de nos maraîchers dont l'activité économique est stoppée.
Vérifions la manière dont les règles relatives aux installations classées Seveso ont été appliquées. Nous avons sans doute des enseignements à tirer sur la façon de gérer ce type de crise et sur l'information à fournir à la population, dont les élus font partie. L'incendie s'est produit à trois kilomètres seulement du centre-ville. Le drame a été évité mais la question de la cohabitation entre des activités industrielles dangereuses et la population se pose - ceci sans en ignorer la dimension économique et l'emploi. Enfin, la commission d'enquête devra établir la manière dont le suivi médical est effectué. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
Mme Céline Brulin. - Le groupe CRCE s'associe à cette proposition de résolution. La commission d'enquête est indispensable pour comprendre les failles qui ont mené à cette crise majeure, dont la gestion n'est pas dernière nous : les éleveurs doivent faire face à une interdiction de vente et mènent une bataille de tous les instants pour que le lait soit collecté et pour que les pertes soient indemnisées.
Il faut évaluer les risques, notamment sur la santé des habitants et l'état des sols, ceci au long cours. Nous nous réjouissons que nos demandes répétées conduisent à l'installation, demain en Seine-Maritime, d'un comité de suivi regroupant les différents acteurs, y compris les citoyens.
Dès le lendemain de l'incendie, nous avons appelé à la transparence, mais la ministre présente dans l'hémicycle nous a opposé une totale indifférence, puis les déclarations contradictoires des membres du Gouvernement ont rendu inaudible voire suspecte la parole de l'État.
La commission d'enquête devra faire toute la lumière sur les premiers instants : pourquoi les sirènes n'ont-elles retenti que plusieurs heures après l'incendie ? Pourquoi les élus locaux ont-ils été mis sur la touche ?
Elle devra déterminer pourquoi le drame est survenu, dans un contexte de détricotage du droit de l'environnement et de la sûreté, au nom d'une prétendue simplification. Elle devra faire en sorte qu'en toutes circonstances, la sécurité des riverains passe avant la recherche de profits. Enfin, la commission d'enquête devra montrer comment améliorer les plans de prévention des risques technologiques, pour que tous les acteurs, y compris les représentants des salariés, les élus, les services de l'État, disposent des outils pour prévenir ce type d'accident.
M. Didier Marie . - Comme mes collègues de Seine-Maritime, je me réjouis de la création de cette commission d'enquête. Les habitants de la métropole rouennaise - où moi aussi je réside -, du pays de Bray et d'autres territoires ont vu un nuage de fumée nauséabond s'abattre sur eux à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol, classée Seveso seuil haut, et de l'entreprise voisine Normandie Logistique. Plus de 9 000 tonnes d'hydrocarbures et de produits divers ont brûlé, le nuage a tapissé les jardins, les cours d'école, les champs, laissant des habitants inquiets pour leur santé.
La communication de l'État s'est voulue rassurante mais les maires n'ont pas reçu d'informations, les consignes de confinement ont été confuses, donnant le sentiment que quelque chose était caché et provoquant de la défiance et de la colère.
L'enquête judiciaire déterminera les causes de l'incendie et les responsabilités des uns et des autres, mais la commission d'enquête pourra dire si un éventuel relâchement de l'application des consignes de précaution et si les mesures de simplification qui ont mené le préfet à autoriser l'augmentation des capacités de stockage, ont joué un rôle dans le déclenchement de l'incendie. Nous verrons aussi s'il n'était pas possible d'alerter plus vite les maires et les habitants.
Comme en 2011 après l'accident de l'usine AZF, ce retour d'expérience nous montrera comment améliorer les procédures d'alerte mais aussi les moyens engagés pour évaluer les conséquences environnementales et sanitaires de l'accident.
Pour la plus totale transparence, cette commission d'enquête est indispensable. Le groupe socialiste votera bien évidemment la résolution.
Mme Françoise Cartron . - À la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol, le Sénat a choisi d'exercer ses prérogatives d'enquête. Mon groupe votera pour la création d'une commission d'enquête pour évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion de la crise, mais le contrôle des règles applicables aux installations classées. La France compte 1 312 installations classées Seveso en France, dont 157 sites en Nouvelle-Aquitaine - 77 en seuil bas et 80 en seuil haut, la Gironde étant le département qui en compte le plus. Cette commission d'enquête tirera aussi des enseignements sur la prévention des risques technologiques et évaluera les dispositifs d'alerte encadrant les sites industriels Seveso.
Mme Borne a annoncé qu'un comité de suivi serait mis en place dès ce vendredi, après des premières analyses rassurantes. Il associera toutes les parties prenantes et assurera un suivi des conséquences de cet incendie à court et moyen terme, dans la plus grande transparence possible. Il répondra aux inquiétudes des citoyens et des élus locaux qui peuvent légitimement s'interroger sur les risques et les mesures de sécurité appliquées, afin d'éviter qu'une telle crise ne se reproduise. Nous nous félicitons de la création de cette commission d'enquête, qui y contribuera.
Mme Agnès Canayer . - Le 26 septembre, les habitants de la métropole de Rouen se réveillaient dans un nuage de fumée noire provenant de l'incendie de l'usine Lubrizol. Le panache de fumée de vingt kilomètres créé par l'incendie, progressant lentement vers l'est, a touché plus de 200 communes dont 112 communes en Seine-Maritime.
L'ensemble des élus s'est largement mobilisé. Parmi nos concitoyens, l'inquiétude a laissé place à la stupéfaction puis au désarroi. L'intervention rapide et le très grand professionnalisme des secours ont permis de maîtriser le sinistre dans la matinée et d'éviter des victimes malgré les risques majeurs. Le pire a été évité et certaines mesures sanitaires d'urgence ont été déclenchées. Mais, alors que la Seine-Maritime compte 40 sites Seveso - c'est le deuxième département qui en compte le plus après les Bouches-du-Rhône -, la population n'a pas été bien préparée : elle n'a pas compris, par exemple, la signification de la sirène qui a retenti à 8 heures du matin. L'anxiété a été nourrie par des informations nombreuses et contradictoires, malgré la bonne volonté des autorités, et un maillon fort a été oublié : les maires.
Quinze jours plus tard, de nombreuses questions restent en suspens. Une telle catastrophe aurait-elle pu être évitée ? Comment agir face à un tel accident industriel ? Quelles sont et seront les conséquences sanitaires, environnementales, économiques et agricoles ?
La commission d'enquête demandée à l'initiative de Bruno Retailleau (Les sénateurs du groupe SOCR et Mme Éliane Assassi le contestent.) et acceptée par tous les autres présidents de groupe est une bonne idée. Nous avons besoin de tirer des conclusions pour faire émerger une vraie culture des risques majeurs.
Le groupe Les Républicains votera bien sûr la résolution.
M. Claude Malhuret . - Les causes de l'incendie de l'usine Lubrizol ne sont pas encore connues. La police judiciaire a ouvert une enquête mardi dernier. Il faut rendre hommage au travail des sapeurs-pompiers qui ont rapidement éteint l'incendie.
Aurait-on pu faire mieux ? C'est le rôle de la commission d'enquête que nous souhaitons unanimement créer que de juger si les actions des services de l'État auraient pu être améliorées avant, pendant et après l'incendie. Faut-il adapter le régime Seveso à l'étalement urbain ? Les zones d'habitation doivent être particulièrement protégées. L'information des habitants et des maires doit sans doute être améliorée.
Les conséquences de cet incendie sont multiples : environnementales, sanitaires, économiques. Nos concitoyens demandent la plus grande transparence sur les analyses en cours.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de résolution pour qu'un tel événement ne se reproduise pas.
La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité.
M. le président. - Belle unanimité. Le Gouvernement en sera informé.
La désignation des 21 membres de la commission d'enquête aura lieu le mercredi 16 octobre au soir. Le délai limite pour le dépôt des candidatures est le mercredi 16 octobre à midi.
La séance est suspendue de 10 h 50 à 11 heures.