Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Soyez attentifs au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Incendie à Rouen (I)
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Jeudi dernier, un terrible incendie qui, heureusement, n'a fait aucune victime, a ravagé l'usine Lubrizol de Rouen. Merci aux forces de l'ordre, aux salariés de l'usine et à nos pompiers, car le pire a été évité.
Chez les habitants, une colère légitime demeure. Les enquêtes doivent déterminer les responsabilités. Des réponses précises et des explications claires sont attendues.
Lors de votre venue, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à la transparence, qu'impose l'article 7 de la Charte de l'environnement. Les prochaines analyses doivent nous informer sur les molécules dégagées. Un suivi médical strict doit être mis en place. Si l'état de catastrophe technologique n'est pas déclaré, que ferez-vous pour indemniser les victimes ? Je remercie Didier Guillaume qui a reconnu la gravité de la situation et promis des aides à nos agriculteurs, éleveurs et maraîchers des 206 communes de Normandie et des Hauts-de-France impactées. L'ensemble des maires doivent être informés pour jouer leur rôle auprès de la population. Certains regrettent de n'avoir pu le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Michel Savin applaudit également.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Lundi soir, nous étions sur le site avec d'autres parlementaires. Cet incendie spectaculaire et grave a été maîtrisé en douze heures sans victimes grâce à l'exceptionnelle qualité de l'intervention des pompiers. Ils ont su éviter l'effet domino et l'expansion du feu vers une zone de production. Une remarquable collaboration entre les salariés, les forces de l'ordre et de secours l'a empêchée.
Je comprends l'émotion et l'inquiétude des habitants qui peut aller jusqu'à la colère. Je redis l'engagement ferme du Gouvernement et de l'État à la transparence totale. Toutes les informations, tous les résultats des analyses seront communiqués au public.
Le principe de précaution a été appliqué avec vigilance dès le début. Le préfet - auquel je redis tout mon soutien, car son action était délicate - a reconnu que la qualité de l'information à destination des maires n'avait peut-être pas été, dans les premières heures, à la hauteur des attentes légitimes des premiers magistrats des communes concernées. Les retours d'expérience sont utiles pour apprendre et améliorer.
Nous avons fait nettoyer toutes les écoles avant leur réouverture lundi. Des consignes de surveillance ont été données, dès vendredi. Des analyses de l'eau, de l'air et des sols seront menées, dont les résultats seront tous rendus publics, j'y insiste.
Le préfet de Normandie rendra compte de l'avancement des travaux chaque semaine lors d'une conférence de presse, appuyé par une cellule nationale d'appui scientifique, car beaucoup de questions techniques demeurent posées qui appellent des réponses précises. Le directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), ainsi qu'un expert de Santé publique France et le chef du service de pneumologie du CHU de Rouen seront associés à ces prises de parole.
Hier soir, le préfet a rendu publique la liste des produits qui étaient conservés dans l'entrepôt qui a brûlé. Cette liste mentionne les caractéristiques précises des produits et les risques associés.
Sur la base de cette liste, nous saisirons l'Ineris et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Nous ne savons pas tout aujourd'hui, mais tous les prélèvements font apparaître une qualité de l'air habituelle à Rouen. Les premiers résultats dans un rayon de 300 mètres autour du site ne montrent aucune anomalie sur le plan sanitaire.
J'ai bien conscience que les odeurs incommodantes qui perduraient hier inquiètent la population. Elles ne présentent pas de risque pour la santé. Des opérations de nettoyage du site sont en cours.
Je vous prie d'excuser cette réponse très longue...
M. le président. - Il est important que la population soit informée à travers le Sénat.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - La loi Bachelot de 2003 a mis en place un régime d'indemnisation des catastrophes technologiques. Le précédent d'AZF à Toulouse, en 2001, où des milliers de logements ont été touchés, sert de modèle ; mais dans le cas présent, d'après les premières analyses, les critères ne semblent pas adaptés : le dispositif ne couvre pas les dommages des producteurs agricoles.
Je veillerai, avec le Gouvernement et l'État, que les agriculteurs, les riverains et tous ceux qui ont subi un préjudice puissent mettre en cause la responsabilité de l'entreprise, de l'industriel ; seule en cause dans le régime des installations classées.
Quant à la mise en place d'une étude épidémiologique, le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour faire connaître l'ensemble des causes et des conséquences de cette catastrophe industrielle dont nous veillerons à ce qu'elle ne devienne pas une catastrophe sanitaire ou environnementale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Cette crise est grave. Toutes les leçons ont-elles été tirées du drame d'AZF ? Nous créerons une commission d'enquête au Sénat pour qu'un tel cas ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Agenda rural
M. Didier Rambaud . - Au congrès des maires nous a été présenté l'agenda rural avec ses 173 mesures. Il fait du cousu main : il n'y a plus une seule ruralité, mais plusieurs formes de ruralité, depuis l'hyper-rural jusqu'au périurbain.
Maire d'une commune rurale et d'un bourg-centre, je sais que nos communes attendent ces mesures depuis longtemps : accès facilité aux aides et aux services comme les cartes de transports, ou le numérique, ainsi qu'au système de santé. Après le temps des annonces, vient celui des actes concrets.
Madame la ministre, comment est définie la carte des géographies prioritaires des ruralités et quel est le calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Oui, il existe des ruralités, et il faut passer des annonces aux actions. Le Gouvernement a repris beaucoup des propositions de la mission de l'agenda rural.
Ainsi nous définissons une géographie prioritaire des territoires ruraux. Les ZRR couvrent près d'une commune sur deux ; le temps est venu d'évaluer leur effet. Mme Espagnac et MM. Pointereau et Delcros ont récemment publié un rapport sur le sujet.
Le Gouvernement va prolonger jusqu'à fin 2020 le zonage des 4 074 communes ZRR qui devraient en sortir en juin 2020.
Le Gouvernement veut partir des besoins des territoires et co-construire les solutions avec ceux qui les représentent.
Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
M. Stéphane Artano . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE) Une mission d'information du Sénat, conduite par Jacques Mézard et Alain Milon, proposait 41 recommandations pour la lutte contre les dérives sectaires. L'efficacité de la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), créée en 1996, n'est plus à démontrer : en témoigne sa récente révélation d'un essai clinique non autorisé sur 350 personnes atteintes d'Alzheimer et de Parkinson.
Unique au monde car à la fois observatoire et régulateur, elle nous est enviée par tous. Or depuis un an elle n'a plus de président et des rumeurs de rattachement circulent, au ministère de l'Intérieur, auprès du Bureau des cultes ou auprès du Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Cela signifie-t-il qu'elle perdrait ses pouvoirs en termes de police judiciaire ? Quelles sont vos intentions ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE ; Mmes Valérie Létard et Pascale Gruny applaudissent également.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - Depuis 2002, la Miviludes a analysé le phénomène des dérives sectaires, coordonne la prévention de la répression et forme les agents publics tout en sensibilisant le public aux dérives sectaires.
Depuis lors, d'autres organismes ont vu le jour qui nécessitent un meilleur partage des informations et des compétences, parce qu'ils travaillent également sur les phénomènes d'emprise mentale et autres, tel que le secrétariat général du Comité de prévention de la délinquance et de la radicalisation. C'est pourquoi il a été décidé de rattacher la Miviludes au ministère de l'Intérieur, conformément au rapport de la Cour des comptes de 2017. Mais ses moyens et ses missions ne sont aucunement remis en cause. Il n'est pas question de revenir en effet près de vingt ans de bilan très positif. (M. le Premier ministre approuve ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Incendie à Rouen (II)
Mme Céline Brulin . - Monsieur le Premier ministre, vous avez enfin accepté de publier la liste des produits stockés chez Lubrizol. J'imagine que l'État en disposait depuis longtemps. Pourquoi ne pas avoir analysé plus tôt la toxicité de ces produits ? Les élus locaux vont se réunir comme nous le demandions. Pouvez-vous nous garantir qu'ils seront associés à tous les niveaux, ce qui n'a pas été le cas ? L'isolement, le mépris qu'ils ont ressentis sont non seulement regrettables, mais contre-productifs, car le Gouvernement s'est privé de relais efficaces.
L'usine Lubrizol a bénéficié de ce que vous appelez une « simplification » de la législation - disons plutôt d'un détricotage de cette législation environnementale. Nous attendons des réponses précises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues du groupe SOCR applaudissent également.)
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je me suis également rendue sur le site et mesure pleinement l'émotion et l'inquiétude des populations. Je redis l'engagement du Gouvernement à agir avec la plus grande exigence et dans une transparence totale. Dès le début de l'incendie, une surveillance de l'environnement a été lancée. Les analyses ont fait apparaître l'absence de concentration anormale de molécules toxiques.
La liste des produits présents sur la partie incendiée du site - qui représente 15 % - a été publiée, hier. Nous ne connaissions que la liste des produits autorisés sur l'ensemble du site. Sur cette base, nous allons, avec Agnès Buzyn, saisir l'Anses et l'Ineris pour des analyses supplémentaires.
Les élus seront associés et tous les éléments seront fournis à la commission d'enquête.
Mme Céline Brulin. - Vous répétez en boucle des réponses qui ne correspondent pas à ce qu'attendent nos concitoyens.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Céline Brulin. - Nos concitoyens attendent une protection de l'État. Cette demande est légitime. Écoutons-les. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)
Mme Martine Filleul. - Très bien !
Incendie à Rouen (III)
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) J'associe Nelly Tocqueville, sénatrice de Seine maritime, ainsi que nos collègues des Hauts de France, à mon intervention. L'incendie de Lubrizol a produit une fumée tapissant jardins, cours d'écoles, maisons et récoltes, telle une véritable marée noire terrestre. Le dévouement et le courage des 240 sapeurs-pompiers ont évité le pire.
Mais les maires ont été livrés à eux-mêmes, les consignes de confinement étaient confuses, la colère a rempli le vide de l'information.
Quand le préfet dit qu'il n'y a pas de toxicité aigüe, il reconnaît implicitement qu'il y a une toxicité... Pas moins de 165 fûts ont été endommagés et les agriculteurs de 206 communes ne sont toujours pas autorisés à faire leurs récoltes.
Pour apaiser les angoisses, il faut être transparent, mettre en place un suivi médical de long terme, reconnaître l'état de catastrophe technologique, appliquer dès aujourd'hui le principe du pollueur-payeur. C'est ainsi que l'on rétablira la confiance et la sérénité, en faisant preuve de sérieux et de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Les engagements de transparence totale du Gouvernement, je les ai rappelés à Catherine Morin-Desailly. Mais je ne puis produire le résultat des analyses avant qu'elles aient été conduites. Dès que nous les aurons, nous les communiquerons.
Tout ce qui est connu sera rendu public, et ne manquera pas de soulever de nouvelles interrogations... mais nous y répondrons.
Je mesure, et je déplore, la défiance à l'égard de la parole publique ; mais je ne crois pas pour autant me mettre à dire n'importe quoi ou arrêter de donner des informations !
Oui à la transparence, au suivi scientifique de long terme, à la discussion des éléments scientifiques mis au jour par l'Anses et l'Ineris. La discussion ne me fait pas peur : elle aura lieu.
L'instrument juridique conçu par le Parlement en 2003 ne répond en rien aux caractéristiques de cet accident. Je ne veux pas me payer de mots. Je dis les choses telles qu'elles sont.
Je le redis : la responsabilité incombe à l'industriel. C'est le sens de toute la législation sur les installations classées. La loi sera appliquée avec vigueur et transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)
GAFA
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Vingt ans de développement hors de toute régulation ont permis aux géants d'internet de devenir les maîtres absolus du marché, voire du monde.
Google truste 90 % des moteurs de recherche, Facebook représente deux tiers de la publicité sur internet, Amazon la moitié de la vente en ligne aux États-Unis. En adoptant, pour s'opposer à ces nouveaux empires, la taxe sur les services numériques (TSN), la France s'est attiré l'hostilité de ces géants et les foudres du président des États-Unis, qui veut adopter des mesures de rétorsion contre les vins français.
Amazon annonce son intention de répercuter cette taxe sur les vendeurs de sa plateforme : 10 000 PME se retrouvent pieds et poings liés. Le 24 octobre, Google entend forcer les éditeurs de presse à lui céder tous leurs droits, tout en faisant pression sur les autres États membres pour une transposition plus favorable de la directive relative aux droits d'auteur et aux droits voisins.
Monsieur le Premier ministre, le Sherman Act de 1890, la réglementation européenne ne sont plus adaptés aux pratiques des Gafam. Piller la production des éditeurs de presse, racheter la concurrence, monopoliser la publicité, ce n'est plus la même chose que concentrer 90 % du marché du dentifrice. Rien à voir avec la Standard Oil en 1911 ou AT & T en 1982 !
Il faut redéfinir la législation antitrust. Que fait l'Union européenne ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et SOCR)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Parallèlement aux annonces d'Amazon contre la taxe sur les services numériques, Google a présenté la semaine dernière un nouvel outil de publication qui ne respecte pas les droits voisins. Le timing n'est pas un hasard. Il n'est pas acceptable que des acteurs changent unilatéralement les règles d'utilisation pour contourner leurs obligations légales.
L'objectif politique des deux règlements - taxe sur les services numériques et proposition de loi sur les droits voisins, qui transposent la directive européenne - sont là pour un égal partage de la valeur produite y compris sur les supports numériques.
Les entreprises doivent mesurer qu'en s'y opposant, c'est aux citoyens libres des États qu'elles s'opposent. Je veux croire que Google a fait une erreur d'appréciation et ne cherche pas à engager une épreuve de force. Le ministre de la Culture a invité l'entreprise à reprendre les négociations.
La réponse doit être européenne. Si nous voulons bâtir l'espace de liberté que nous appelons de nos voeux, l'Union européenne doit se saisir de ces problèmes. Cela implique d'étendre l'ambition de la Commission. Ce n'est pas une petite chose : les avis divergent en Europe.
C'est un des éléments qui ont été au coeur de la discussion entre le président de la République et la nouvelle présidente de la Commission, et dans la nomination des commissaires. Nous avons en face de nous des lobbies puissants. Mais il faut livrer ce combat. (Applaudissements des travées du groupe LaREM jusqu'à celles du groupe Les Républicains)
Déficit de la sécurité sociale
M. Alain Milon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse au ministre des Comptes publics. Mme Dubos aura la lourde charge de répondre. La sécurité sociale est malade et vous aggravez son état en la privant de 3 milliards d'euros avec les mesures d'urgence pour répondre aux gilets jaunes et, contre la loi Veil de 1974, en mettant fin à son autonomie et à son universalité. Alors que la branche famille est excédentaire, vous gelez des aides aux familles. Quant à votre réforme des retraites, on voit mal comment elle contribuera à rétablir l'équilibre des comptes. Le Gouvernement entend-il uniquement agir sur la baisse des pensions d'aujourd'hui et de demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Le Gouvernement a adopté fin 2018 des mesures fortes pour améliorer le pouvoir d'achat des Français. Notre objectif en matière de désendettement de la sécurité sociale reste entier. L'effort de maîtrise des dépenses sociales sera poursuivi l'an prochain. (Exclamations à gauche)
Le projet de loi de finances prendra mieux en compte les parcours de vie et l'accompagnement des familles monoparentales. (Mêmes mouvements) Nous prenons en compte de nouveaux risques sociaux, nous entendons mieux lutter contre les déserts médicaux. (Exclamations sur de nombreuses travées) Vous aurez à débattre de tous ces sujets dans la loi de finances et la loi de financement (Mêmes mouvements ; applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)
M. Alain Milon. - Simone Veil disait que la sécurité sociale « c'est d'abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale en France, que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures ».
Souhaitons que vous restiez fidèles à cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SOCR)
Soutien aux forces de sécurité
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Les policiers sont dans la rue. Ils crient leur rage à cause des violences subies et qui restent impunies, à cause de l'indifférence générale quand leur fonction est salie, à cause du sentiment d'être lâchés par les autorités. Ils ne sont pas les seuls : les pompiers, les personnels d'hôpitaux, les enseignants crient aussi leur désespoir : agressions, violences verbales et physiques, menaces, eux aussi sont seuls face à ces tensions quotidiennes. Et n'oublions pas les maires, qui, comme on l'a vu cet été, ne sont plus seulement à portée d'engueulade, comme aime à le dire notre président, mais à portée de coups. Ils font face avec détermination, faute de soutien, mais la résistance humaine a des limites.
Faute de réponse pénale, faute d'une politique qui ne concède rien à la violence, nous assistons à une perte d'autorité sans précédent. C'est dire le sentiment d'abandon par la puissance publique. Or un État qui ne protège pas ses serviteurs est un navire sans boussole.
Monsieur le ministre, quand vous déciderez-vous à sanctionner ceux qui appellent à la violence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Oui, la police souffre d'un trop long abandon budgétaire, elle paie les conséquences des baisses d'emplois alors même que les attentats et la menace terroriste exigeaient de se mobiliser toujours davantage. (Exclamations sur de nombreuses travées)
Nous augmentons le budget des forces de l'ordre : celui de la police nationale augmentera d'un milliard d'euros, et de 5,3 % dans la prochaine loi de finances; 10 000 emplois seront créés, 1 398 policiers supplémentaires seront recrutés.
Nous allons améliorer les conditions d'exercice des gardiens de la paix. D'abord par des revenus supplémentaires, avec une augmentation représentant 130 euros nets par agent. Ensuite, par un effort immobilier sans précédent, qui représentera 300 millions d'euros dans le prochain budget.
M. François Grosdidier. - Ce n'est pas assez !
M. Christophe Castaner, ministre. - C'est plus qu'avant. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM ; protestations à droite)
M. François Grosdidier. - Payer les heures supplémentaires !
Budget de la sécurité sociale
M. Yves Daudigny . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Il y a tout juste un an, le Gouvernement annonçait que la sécurité sociale dégagerait un excédent de 700 millions d'euros cette année. Or le déficit atteint 5,4 milliards et nous serions, l'an prochain, à un déficit de 5,1 milliards d'euros. Y a-t-il eu dérapage financier depuis 2001 ? Non ! La faute en est-elle à des dépenses exceptionnelles ou à des crédits qui viendraient légitimement au secours de l'hôpital ? Guère plus.
Il y a un an, le Gouvernement se préparait à transférer les excédents de la sécurité sociale vers le budget de l'État. Pillage, ont dit certains. Aujourd'hui, vous dérogez à la loi Veil en refusant de compenser vos choix fiscaux. Quelle est la philosophie du Gouvernement pour la sécurité sociale du 21e siècle ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2020 poursuit la transformation vers un système social plus juste, tout en soutenant le pouvoir d'achat des Français. Il prend mieux en compte les nouveaux risques sociaux : accompagnement des familles monoparentales, création d'un parcours d'accompagnement pour les personnes se remettant d'un cancer, fonds d'indemnisation pour les victimes de pesticides, ouverture du congé de proche aidant, une mesure portée par les sénateurs Jocelyne Guidez et Olivier Henno.
Nous entendons la demande sociale. Le PLFSS 2020 poursuit l'effort important de maîtrise des déficits, tout en protégeant les citoyens les plus fragiles.
M. Yves Daudigny. - Nous devons acter notre profond désaccord de fond, qui porte sur des valeurs, celles de solidarité et de justice que porte notre protection sociale. La sécurité sociale est une assurance solidaire de toute la société. Ce n'est pas une chambre de compensation de déficits de l'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Roger Karoutchi et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)
Incendie à Rouen (IV)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Quatre questions au Gouvernement démontrent la gravité de la situation provoquée par l'incendie de 5 000 tonnes de produits chimiques dans l'usine Lubrizol à Rouen. La population attend des réponses claires et sans ambiguïté. Elles se sont trop fait attendre. Une communication brouillonne et inadaptée n'a fait qu'accroître le malaise et le sentiment que la crise est mal gérée.
Madame la ministre, a-t-on tiré les leçons de l'incident de 2013, et si oui, sur quelles mesures ont-elles débouché ? Les réglementations Seveso ont-elles été intégralement respectées ? Pourquoi avoir attendu cinq longues journées pour publier la liste des produits présents sur le site ? Vous engagez-vous à une totale transparence sur les analyses engagées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire . - À nouveau, je veux rendre hommage à l'engagement total des services de l'État et des forces de la sécurité civile, mobilisés sur le terrain face à cette catastrophe industrielle. Nos services se sont pleinement engagés pour réaliser et faire réaliser par l'exploitant de nombreux prélèvements dans l'air, dans l'eau, dans le sol. Les résultats des analyses ont été rendus publics, ceux des analyses à venir le seront également.
Les leçons de 2013 ont été en effet tirées. À l'époque, les services de l'État n'avaient pas la capacité de faire réaliser des analyses dans un délai aussi bref. Forcément, nous aurons encore à progresser et nous devons encore nous améliorer, comprendre pourquoi l'incendie s'est déclaré. Pas moins de 39 inspections avaient eu lieu sur le site depuis 2013, dont 10 ces deux dernières années. Il faudra analyser les causes du drame. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-François Husson. - Entretenir le flou par la cacophonie, ce n'est pas acceptable. La parole publique a été défaillante. Pas moins de cinq ministres se sont rendus sur place et ont tenu cinq discours différents. Les défis et enjeux écologiques exigent la transparence. Nous avons un devoir de vérité. Il reste beaucoup à faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Sapeurs-pompiers
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre de l'Intérieur, le Premier ministre a rendu un hommage légitime à l'intervention de nos sapeurs-pompiers, dont l'engagement sans faille force notre respect. Or, sur-sollicités pour des missions non urgentes, les soldats du feu sont à bout de souffle. Ils sont devenus dans nos territoires des soldats de la santé, à force de pallier les lacunes de notre système de santé.
Lors du congrès de la fédération nationale, à Vannes, il y a quelques jours, vous rappeliez la relation spéciale entre les Français et les sapeurs-pompiers. Mais ils ne peuvent répondre à tous les défis, au changement climatique, à la désertification médicale, à la réorganisation et disparition des services publics. Leur situation est comparable à celle des urgences.
Beaucoup de questions sont posées, peu de réponses apportées. Aucune information sur la future directive européenne sur le temps de travail ; pas de suite législative au rapport Volontariat ; rien sur le transport héliporté.
Deux ans après l'annonce, par le président de la République, du lancement d'un numéro d'urgence unique, le 112, la France reste à la traîne dans la prise en charge des appels d'urgence. La France va-t-elle se priver d'objectifs ambitieux en matière de sécurité civile ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - Oui, le malaise est palpable. Pas moins de 84 % de l'activité des sapeurs-pompiers est mobilisée par les appels individuels d'urgence, souvent pour des interventions qui ne relèvent pas de leurs compétences.
Nous travaillons à la mise en place de plateformes communes d'appel ; la Loire, la Haute-Loire ont déjà fusionné leurs plateformes.
Avec la ministre de la Santé, nous allons mettre en place des coordinateurs ambulanciers, améliorer la collaboration entre l'ARS et les SDIS, limiter le temps d'attente aux urgences.
Quant à l'arrêt Matzak, de la CJCE, il n'aura pas de conséquence négative sur le modèle français du volontariat.
Enfin, nous faisons un effort sur la grille salariale, mais je ne peux engager de dépenses relevant des départements et des mairies sans leur accord - je réunis les financeurs le 10 octobre prochain. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)
Situation des agriculteurs
M. Jean-Paul Émorine . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Hier après-midi, le débat au Sénat a porté sur la place déclinante de l'agriculture française sur les marchés internationaux. Elle n'occupe plus que la moitié de la surface de notre territoire.
Nos agriculteurs se désespèrent. Leurs revenus sont en moyenne de 500 euros par mois. La loi EGalim a été une déception de plus, que le Sénat avait prédite sans être écouté.
Les plus jeunes sont endettés et les plus âgés, désespérés. Certains vont jusqu'à commettre le geste ultime, plongeant les familles dans le deuil. Que dirait-on d'une catastrophe qui fait 300 morts par an ? Quelles mesures structurelles et conjoncturelles allez-vous prendre pour enrayer cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser le ministre de l'Agriculture, qui participe à la foire internationale de Cournon.
Vous évoquez le drame du suicide des agriculteurs et la situation très difficile pour les professions agricoles.
Sur l'élevage, la conjoncture de la filière Lait s'améliore : le prix payé au litre a augmenté depuis janvier. On perçoit les premiers effets de la loi EGalim. Nous restons vigilants sur la possibilité d'un Brexit dur et un rétablissement des droits de douane aux États-Unis.
Pour la filière Viande en revanche, la conjoncture est plus difficile, la mise en oeuvre des orientations des plans de filières est plus que jamais nécessaire. Nous pouvons faire mieux que les 200 tonnes exportées vers la Chine.
Un suicide tous les deux jours, c'est toujours un drame familial mais aussi national, c'est une crise de sens. Nous devons trouver les mots et éviter de vilipender les agriculteurs. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Paul Émorine. - Cette réponse n'est pas satisfaisante. Nous défendons nos terroirs et nos territoires pour maintenir les hommes et les femmes sur le territoire, eux qui travaillent sans compter : monsieur le ministre, prenez les décisions qui s'imposent et qui sont devenues des plus urgentes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
Stage des internes en fin de cycle dans les zones médicales sous-dotées
M. Bernard Buis . - Dans cette assemblée, en juin dernier, dans le cadre de l'examen sur la transformation du système de santé, nous débattions de la possibilité pour les internes d'effectuer leur stage de troisième cycle ambulatoire dans les zones sous-dotées. Les élus de ces territoires peuvent vous dire à quel point le manque de médecins y est cruel et combien il est difficile de trouver un médecin traitant. Cette bonne mesure, concrète, réaliste et pragmatique a été saluée par les acteurs de la profession. Elle favorise l'installation des jeunes praticiens dans ces territoires. C'est une mesure d'urgence. Dans ses annonces du 23 septembre, le Premier ministre a confirmé l'engagement de 600 médecins salariés dans les déserts médicaux.
Comment appliquerez-vous très rapidement ces mesures et comment ferez-vous pour y associer les maires ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Le Gouvernement entend l'inquiétude légitime dans les territoires. Depuis 2017, nous avons apporté des réponses en faveur de l'accès aux soins. Nous avons augmenté le nombre de maisons de santé de 37 % en deux ans, 80 % sont en milieu rural. Nous multiplions les outils : coopération professionnelle, développement du numérique, assistants médicaux, déploiements de 400 médecins généralistes entre médecine de ville et hospitalière dans les zones tendues.
Nous systématiserons le stage des internes en zones sous-dotées à compter de 2021. Les contours seront définis par décret pour plus de souplesse dans l'organisation territoriale des stages. Un groupe de travail a été mis en place. Je retiens votre proposition d'y associer les élus locaux.
M. Bernard Buis. - Merci pour ces précisions. (Murmures ironiques sur les travées du groupe Les Républicains)
Fiscalité des Français de l'étranger
Mme Jacky Deromedi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Gouvernement aime-t-il les Français de l'étranger ? Des centaines de Français de l'étranger ont vu une augmentation faramineuse de leurs impôts, CSG, CRDS et prélèvement de solidarité à 17,20 %. C'est une catastrophe fiscale. Ils ne bénéficient d'aucune prestation en France.
De plus les Français de l'Union européenne ont saisi la CJUE et obtenu une exemption du prélèvement de solidarité de 17,20 % ; les Français hors Union européenne y restent soumis. Pourquoi cette injustice ?
Pour la retenue à la source, vous avez décidé d'augmenter le taux minimum de 20 à 30 %, à quoi il faut ajouter la CSG et la CRDS pour les résidents hors UE. Pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 25 519 euros, la retenue à la source est de 27,5 % lorsqu'ils résident dans l'UE, et de 37,20 % lorsqu'ils résident hors de l'UE. Pour ceux dont les revenus sont supérieurs à 2 300 euros par mois, la retenue sera, hors Union européenne, de 47 %, contre 37 % dans l'Union européenne. Pourquoi cette discrimination ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Vous utilisez des termes assez durs... Dans la loi de finances 2019, nous avons réformé la fiscalité des non-résidents en mettant en place une retenue à la source de droit commun.
Nous avons aussi choisi un taux minimum d'imposition. Les conséquences sont à relativiser : le droit commun est plus ou moins avantageux en fonction de la composition du foyer et de la nature des revenus ; il est toujours possible d'opter pour l'imposition au taux moyen.
Il y a aussi de nouveaux avantages pour les non-résidents, comme la déduction des pensions alimentaires.
M. François Bonhomme. - On vous croit sur parole !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - La jurisprudence de Ruyter a été inscrite en droit français en 2019 et rendue effective par le Gouvernement français. Il y a certainement des améliorations à apporter ; le Gouvernement y travaillera dans le projet de loi de finances 2020.
Régime de l'assurance chômage
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'Unedic vient de démontrer que les deux décrets de la réforme de l'assurance chômage feront bien des perdants : 1,3 million de chômeurs, soit 4 sur 10, verront leur indemnité baisser ; plus de 20 000, soit 10 %, en seront privés. La baisse des allocations sera de 19 % en moyenne.
C'est un mouvement de précarisation massif qui surviendra si vous appliquez les nouvelles règles au 1er novembre. De l'avis des associations représentants les précaires et des syndicats, ce seront les plus jeunes et les plus fragiles qui seront les plus touchés.
Madame la ministre, votre vision est très conservatrice. Vous dites que ces mesures inciteront les chômeurs à reprendre une activité mais cela masque mal des ambitions d'économies budgétaires. Les agents de Pôle emploi craignent une poussée d'agressivité. Qu'allez-vous faire pour les accompagner et les protéger ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - Veuillez excuser Mme Pénicaud.
En France, 87 % des embauches sont réalisées en CDD dont 70 % de moins d'un mois et, parmi ceux-là, 85 % sont des réembauches. Le Gouvernement ne peut pas accepter cette réalité.
Un chômeur sur cinq peut toucher plus du chômage qu'en travaillant. (On s'indigne sur les travées du groupe SOCR.)
Nous avons voulu en terminer avec le recours abusif aux contrats courts, en modulant la cotisation chômage de l'employeur en fonction de ses pratiques. Nous avons aussi incité à la reprise sans changer le capital d'indemnité auquel les demandeurs d'emploi ont droit, mais en les répartissant différemment dans le temps. Enfin, nous renforçons considérablement l'accompagnement des personnes en recherche d'emploi. Le ministre du Travail va annoncer un grand nombre d'embauches à Pôle Emploi. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. - Mme Meunier, vous avez 8 secondes de réplique.
Mme Michelle Meunier. - 8 secondes : c'est trop ! Devant tant de caricatures et d'idées reçues, je reste sans voix. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains)
M. le président. - Je salue Pascal Martin, sénateur de Seine Maritime, remplaçant notre doyen Charles Revet qui a beaucoup oeuvré pour notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de tous les groupes)
La séance est suspendue à 16 h 45.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 17 heures.