Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi portant ratification de l'ordonnance n°2019-207 du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (procédure accélérée).
Discussion générale
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports . - Nous parlons aujourd'hui de l'avenir du sport français, à savoir réussir le grand événement que constituent les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024 en termes de résultats sportifs, d'implication de nos concitoyens et de nos territoires. Le label « Terre de jeux » est, à cet égard, une formidable initiative afin que ces jeux soient une magnifique fête populaire et fédératrice.
Les cinq ans qui nous séparent de 2024 sont une occasion unique de donner envie de sport alors qu'un Français sur deux ne pratique aucune activité physique.
L'avenir du sport français, c'est aussi une transformation durable de notre modèle sportif, afin de le mettre davantage au service de tous les Français.
À son article premier, ce projet de loi inscrit dans la loi, par la ratification de l'ordonnance du 20 mars 2019, un dispositif spécifique de voies réservées à la famille sportive. Toujours en complément de la loi olympique de mars 2018, son article 2 acte une procédure exceptionnelle de règlement des litiges. La cour administrative d'appel de Paris statuera en premier et en dernier ressort sur les décisions préfectorales prises en matière d'urbanisme, de construction ou d'aménagement en lien avec les Jeux. Afin de préserver les équilibres dégagés lors de l'élaboration de l'ordonnance, le Gouvernement souhaite revenir à la version initiale du texte sur ces deux articles.
Je veux profiter de ce débat pour rappeler notre volonté de porter un héritage durable, social et solidaire des jeux Olympiques et Paralympiques. Après une année 2018 consacrée à consolider le cadre juridique et financier des Jeux et lancer le programme de création des équipements, l'État et le Comité d'organisation des jeux Olympiques (COJO) ont, dès 2019, mobilisé l'ensemble des territoires et engagé nos concitoyens dans le projet olympique. Cet héritage, c'est le fil conducteur de ma feuille de route qui se décline en actions concrètes sur la haute performance, la recherche au service de la haute performance, plus de sport à l'école et plus tôt avec le plan aisance aquatique, le sport santé et l'emploi sportif.
Ma politique se fonde sur deux piliers, le développement de la pratique sportive et le sport de haut niveau. L'Agence nationale du sport (ANS) qui porte ses deux objectifs est née en avril dernier. Présidée par Jean Castex, elle réunit de manière inédite l'État, les fédérations sportives, les territoires et les acteurs économiques dans une logique de gouvernance partagée et de démocratie participative. J'ai souhaité consacrer cette agence dans la loi sous la forme d'un groupe d'intérêt public (GIP), en y intégrant plusieurs garde-fous, travaillés en étroite collaboration avec le Conseil d'État, à l'article 3 du projet de loi.
Le projet de loi rappelle ces principes et s'inscrit dans le cadre de la loi de 2011 sur les GIP. En complément, une convention constitutive, signée par les membres fondateurs et approuvée par arrêté, décrit plus largement l'objet, la composition et le fonctionnement précis de l'Agence et le rôle de l'État en son sein. Celui-ci détient des droits de vote majorés en matière de haute performance ainsi qu'un droit d'opposition sur les questions mettant en jeu les intérêts de l'État. À travers le ministre des Sports, il a un pouvoir de proposition pour la nomination du président, du directeur général et du manager de la haute performance.
L'article 3 précise également que l'Agence exercera sa mission en lien étroit avec l'État, dont la stratégie sera déclinée dans une convention d'objectifs signée avec l'Agence. Je partage l'esprit de certaines de vos propositions sur cette convention mais ne souhaite pas que l'on complexifie trop le processus d'élaboration.
Levons quelques malentendus. Le ministère des Sports continuera à exercer les missions régaliennes de contrôle, de sécurité et de régulation. Sur le reste de son champ d'action, le ministère se repositionnera dans un rôle novateur et agile.
Le GIP fera l'objet de contrôles que le Gouvernement a renforcés dans ce projet de loi : contrôle d'un commissaire du Gouvernement, contrôle économique et financier de l'État, procédures liées à l'Agence française anticorruption. Le président du GIP, son directeur général et le responsable de la haute performance seront soumis aux obligations relatives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Je suis favorable à ce que les parlementaires y siègent au titre de personnalités qualifiées comme cela était le cas au Conseil national pour le développement du sport (CNDS). Au-delà, je compte sur les parlementaires pour faire remonter les bonnes pratiques identifiées dans les territoires.
La dimension territoriale de notre nouveau modèle sportif est évidemment un enjeu majeur. Le projet de loi initial confiait simplement au préfet de région le rôle de délégué territorial de l'Agence. Vos travaux en commission ont enrichi le texte sur ce chapitre en y intégrant les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs. Si nous partageons le principe de ces propositions sur lesquelles nous réfléchissons depuis des mois, nous n'avons pas voulu déposer d'amendements car des travaux sont en cours avec les membres du GIP pour préciser cette nouvelle organisation.
L'action locale du ministre des Sports repose largement sur l'action des conseillers techniques sportifs (CTS). J'ai expliqué à plusieurs reprises lors de séances de questions au Gouvernement les transformations qui nous conduisent à réfléchir à la relation des CTS à l'État et aux fédérations sportives. Les évolutions envisagées ont suscité des colères et des critiques que j'entends et je ne souhaite pas passer en force. J'ai donc nommé deux tiers de confiance, MM. Yann Cucherat et Alain Resplandy-Bernard ; ils me remettront leurs conclusions en octobre 2019. Dans l'attente, aucun détachement ne sera engagé. Pour laisser le temps à la concertation et permettre aux tiers de confiance de travailler sereinement, je proposerai un amendement de suppression des dispositions votées en commission.
L'examen de ce projet de loi me donne l'occasion de redire ma volonté de débattre avec vous. Cette première étape sera prolongée au premier trimestre 2020 par un projet de loi d'ampleur sur la gouvernance des fédérations sportives et le sport pour le plus grand nombre. J'espère pouvoir compter sur votre soutien comme la commission de la culture a manifesté le sien en votant ce texte.
M. Claude Kern, rapporteur de la commission de la culture . - Mon intervention portera sur l'article 3, les articles premier et 2 ayant été délégués au fond à la commission des lois.
L'article 3 crée l'Agence nationale du sport. Cette reconnaissance législative constitue la pointe émergée de l'iceberg d'un ministère des Sports qui se détache de plus en plus de l'État. Toute la question est de savoir où nous mènera cette évolution. De fait, la création de l'Agence nationale du sport oblige le ministère des Sports à se réinventer autour de ses missions régaliennes. Si sa pérennité semble garantie jusqu'à 2024, son intégration progressive au sein du ministère de l'Éducation nationale, qui est déjà envisagée au niveau des services déconcentrés, constitue un horizon probable une fois que la flamme des jeux de Paris se sera éteinte.
Cette évolution n'a pas fait l'objet d'un débat public. Le transfert obligatoire des CTS aux fédérations sportives s'est fait à l'occasion de l'ajout tardif d'un alinéa au projet de loi sur la fonction publique. Les deux plus importantes compétences du ministère des Sports, la haute performance et le sport pour tous, lui sont ôtées à l'occasion d'un projet de loi portant sur une ratification d'ordonnance que nous avons eu à examiner dans des conditions qui sont loin d'être confortables. Si nous sommes conscients des limites du modèle sportif français et d'accord pour accompagner sa transformation, il n'est pas possible de le découper par petits bouts en cherchant à faire le moins de bruit possible.
La recherche d'une gouvernance collégiale du sport demande du courage et de la sincérité. Or le statut de l'ANS préserve la primauté de l'État en reportant le financement sur les collectivités territoriales : droits de vote double, existence d'une convention d'objectifs. Confier sa présidence au délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques illustre également une certaine vision de la concertation. La Délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) illustre aussi une certaine vision de la concertation...
Les moyens financiers de l'Agence seront plus proches de 300 millions d'euros que des 350 millions d'euros annoncés. Le devenir même de l'Agence n'est pas assuré après 2024 puisque le Conseil d'État a souligné que le statut de GIP ne pouvait être que transitoire. Nous pouvons d'ailleurs le remercier d'avoir considéré qu'un passage par la loi était indispensable compte tenu des libertés prises avec la loi du 17 mai 2011.
Plutôt que de supprimer l'article 3, ce qui reviendrait à nier les insuffisances de notre modèle sportif, nous proposons d'accompagner cette réforme. L'ANS devait initialement se concentrer sur le haut niveau, ce sont les acteurs de terrain qui ont demandé d'y ajouter le sport pour tous. Les collectivités territoriales en sont le premier financeur, il faut en tirer les conséquences sur la gouvernance de l'Agence. Notre commission a souhaité circonscrire le rôle de délégué territorial confié au préfet de région, qui avait suscité une forte réaction de la part du mouvement sportif et des élus, en inscrivant dès maintenant dans la loi le principe de la création des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs.
Un mot sur l'avenir des CTS pour finir. Le Sénat a modifié l'article 11 du projet de loi de transformation de la fonction publique pour exclure leur transfert obligatoire aux fédérations sportives. Nous garantissez-vous, madame la ministre, que le Gouvernement se rangera à notre position ? À défaut, nous ne pouvons pas renoncer à notre amendement à l'article 3. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, ainsi que sur quelques bancs des groupes RDSE et Les Républicains)
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la commission des lois . - L'article premier de l'ordonnance que nous nous apprêtons à ratifier concerne les voies réservées aux véhicules de secours, aux véhicules de sécurité et aux véhicules accrédités durant les jeux Olympiques, du 1er juillet au 15 septembre 2024. Ces 289 km de voies en Île-de-France seront identifiées par décret. Aucune difficulté si ce n'est que, comme la commission des lois l'a ajouté, il faut respecter le principe de proportionnalité aux objectifs de sécurité et de fluidité.
L'article 2 de l'ordonnance prévoit que les voies de délestage des voies réservées, mais également les voies qui peuvent être utiles mais accessoires seront déterminées par le préfet de police en Île-de-France et par le préfet de zone de sécurité défense ailleurs.
L'article 3 de l'ordonnance confie aux mêmes autorités le pouvoir de police du stationnement mais également de la circulation sur ces voies. La commission a indiqué que l'autorité normalement compétente sur ces voies devrait être consultée.
Enfin, avec l'article 4, le préfet de police pourra donner un avis, voire imposer des prescriptions, sur les projets de travaux et d'aménagements de voirie qui se dérouleront sur ces voies réservées. La commission a précisé que la procédure applicable serait déterminée dans ce texte.
L'article 2 est d'harmonisation. Nous avions déjà introduit une procédure dérogatoire sur les recours des tiers contre des aménagements liés aux Jeux, nous en faisons de même pour les déférés préfectoraux. La commission a simplement retouché l'article pour des raisons constitutionnelles, il contenait des dispositions réglementaires...
La commission des lois a regardé d'un oeil bienveillant l'ensemble de ces dispositions car nous souhaitons tous la réussite des Jeux. Les ajustements auxquels elle a procédé sont là pour sécuriser juridiquement le texte. Je vous demanderai donc de la suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et RDSE)
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°23, présentée par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant ratification de l'ordonnance n°2019-207 du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n°598, 2018-2019).
M. Pierre Ouzoulias . - Citius, Altius, Fortius (On apprécie sur les bancs du groupe Les Républicains.) : la devise des olympiades de l'ère moderne illustre la méthode qui est la vôtre. Avec ce texte, vous allez plus vite dans la désagrégation du modèle français, plus haut dans la transgression des droits du Parlement, plus fort dans la volonté d'imposer cette réorganisation. (Sourires)
M. Guy-Dominique Kennel. - Voilà qui est bienveillant !
M. Pierre Ouzoulias. - Tout commence par un amendement gouvernemental au projet de loi de finances pour 2019 attribuant les taxes affectées au Centre national pour le développement du sport à une Agence nationale du sport qui n'existait pas encore. La rapporteure spéciale de ce budget pour l'Assemblée nationale exprime ses plus vives réserves sur cette manipulation, à laquelle le groupe communiste s'oppose. Vient ensuite la création de l'ANS sous la forme d'un GIP par un simple arrêté. C'est la fragilité juridique de ce dispositif qui explique l'article 3, subrepticement glissé dans ce projet de loi de ratification. Il aurait fallu prendre une loi spécifique ; à tout le moins, modifier l'intitulé de ce texte comme vous le demandait le Conseil d'État. Heureusement, notre rapporteur était là pour lui donner satisfaction.
Plus grave, le Conseil d'État souligne que la nature juridique très particulière de ce GIP impose de lui octroyer, par la loi, un statut dérogatoire. Qu'à cela ne tienne, vous renversez la hiérarchie des normes pour faire du Parlement une chambre d'enregistrement d'un simple arrêté. Ce n'est pas une première : en février 2018, vous nous aviez forcé la main de la même manière en créant Parcoursup par un décret.
Cette loi est l'acte confirmatif d'un vaste projet de réorganisation du sport de haut niveau qui ne dit pas son nom. En supprimant le CNDS par décret du 20 avril 2019 et en transférant ses missions et moyens à l'Agence, vous vous montrez fort peu respectueux des droits du Parlement et, singulièrement, de la liberté d'appréciation du Sénat.
La loi Mazeaud du 25 octobre 1975, qui a fondé notre politique sportive, l'affirme : la pratique physique et sportive, « élément fondamental de la culture, constitue une obligation nationale. » « L'État est responsable de l'enseignement de l'éducation physique et sportive » et concourt, avec le mouvement sportif et les collectivités, au développement des pratiques sportives de tous et à tous les niveaux. L'Insep, créé par l'article 8, doit participer à la recherche sportive, encadrer le sport de haut niveau et assurer la formation des professeurs d'éducation physique et sportive, des CTS et des éducateurs sportifs. Une grande partie de ces missions sont transférées à l'Agence. Dans ces conditions, le Conseil d'État vous a demandé comment l'État continuerait de mettre en oeuvre les politiques publiques du sport, en vous rappelant les obligations de l'article 20 de la Constitution. Il a préconisé un renforcement du contrôle de l'ANS. Vous avez peu corrigé votre texte pour tenir compte de ces objections. C'est cela que vous appelez « travailler avec le Conseil d'État »... (Sourires)
Je salue la valeureuse tentative de sauvetage effectuée par le rapporteur. Mais, fondamentalement, il faut mettre en chantier la grande loi Sport annoncée par Laure Flessel pour début 2019...
Pour que le Gouvernement honore ses engagements, votons pour cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Jean-Raymond Hugonet applaudit également.)
M. Claude Kern, rapporteur. - L'ANS est déjà créée. Refuser de discuter du projet de loi ne la remettrait pas en cause mais la fragiliserait juridiquement. Profitons de ce texte pour ouvrir un débat qui n'a pas eu lieu à ce jour et apporter des garanties au mouvement sportif et aux collectivités territoriales. Avis défavorable.
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Même avis. L'ANS, créée le 24 avril dernier, est un outil au service du ministère des Sports. La concertation a duré près de vingt mois. Les collectivités territoriales et le mouvement sportif sont prêts à nous suivre. La loi est nécessaire pour garantir la transparence et le contrôle de ses dirigeants. Nous devons franchir les haies pour aller plus loin ; regardons la ligne d'arrivée, et non les obstacles !
M. Jean-Jacques Lozach. - Je partage de nombreux arguments de M. Ouzoulias sur l'article 3 mais les articles premier et 2 sont dans la droite ligne de la loi olympique que nous avons votée à l'unanimité, contrairement à l'Assemblée nationale. Nous en avons besoin pour réussir 2024. Le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte.
Mme Céline Brulin. - J'entends qu'il faudrait sécuriser l'Agence mais il y a eu des recours devant le Conseil d'État pour annuler sa création qui a procédé d'un cheminement désordonné ! Elle est déjà menacée... Nous ne sommes pas contre le débat ; au contraire, nous proposons un vrai débat sur la politique publique du sport.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Le rapporteur a choisi de s'emparer de ce texte pour corriger fortement ses manques. Pour autant, je comprends le mouvement d'humeur de mes collègues. Madame la ministre, vous avez respecté la conciliation mais pas les droits du Parlement. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et Les Indépendants) Madame la ministre, vous n'êtes pas venue devant notre commission présenter votre projet de loi. Et vous avez encore déposé des amendements à 13 h 38...
M. Mathieu Darnaud. - Bravo !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission. - Les étapes, les haies, doivent être franchies méthodiquement et rigoureusement. Dans Parcoursup, il y avait une urgence immédiate avec la rentrée scolaire. Là, nous avons le temps !
Les collectivités territoriales investissent 12 milliards d'euros dans le sport et vous les ignorez. Elles se posent beaucoup de questions ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et Les Indépendants)
À la demande du groupe CRCE, la motion n°23 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°159 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 268 |
Pour l'adoption | 16 |
Contre | 252 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains) Paris accueillera le plus grand évènement sportif qui est dans cinq ans, moment de communion universelle où des femmes et des hommes des quatre coins du globe vibrent aux exploits de leurs champions. Autant dire que l'échéance nous oblige, la France doit être à la hauteur.
Pour la deuxième fois, le Parlement est sollicité pour doter la puissance publique des outils idoines. Les deux premiers articles de ce texte n'appellent pas de commentaires particuliers. Le troisième, davantage. « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde » disait Albert Camus. Sachons gré à M. Kern d'avoir réduit ces malheurs en renommant de manière pertinente ce projet de loi. (M. Bruno Sido apprécie.)
Votre méthode est un peu cavalière car ce projet de loi, la commission l'a montré, acte ni plus ni moins la réorganisation de notre modèle sportif français.
Je partage la proposition de la commission des lois d'intégrer des parlementaires à sa gouvernance, de prévoir un contrôle du Parlement...
M. Charles Revet. - Très bien !
M. Claude Malhuret. - ... et d'ancrer son action dans les territoires.
Le sport est un puissant vecteur d'intégration sociale. Camus disait que ce qu'il savait de plus sûr en matière de morale, il l'avait appris dans un stade de football ; certes, le football de son époque n'avait pas grand-chose à voir avec celui d'aujourd'hui... (Sourires) Mais le sport est une école de la vie, un facteur de cohésion sociale, un outil d'influence diplomatique... C'est pourquoi, la puissance publique doit créer les conditions de l'émergence de nouveaux talents. En sport comme dans d'autres domaines, le modèle centralisé et technocratique est moins efficace et inclusif que le modèle décentralisé et collégial. (M. Charles Revet approuve.)
Le groupe Les Indépendants votera le texte de la commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains)
M. Antoine Karam . - Nous nous retrouvons pour la deuxième fois dans l'hémicycle pour les jeux Olympiques et Paralympiques.
Le Sénat adhère à l'objectif de ce texte. Derrière cette organisation, l'image de la France est en jeu. Nous devons remplir un double défi financier - Rio est proche de la Guyane - et de promotion des valeurs de l'olympisme. L'olympiade culturelle, qui durera quatre ans, est une très bonne initiative, pour développer des bases avancées, et non des bases armées !
Technique, ce projet de loi a rapidement évolué puisque le Conseil d'État a estimé qu'il fallait passer par la loi pour créer l'Agence nationale du sport (ANS).
En premier lieu, les deux premiers articles prévoient des ratifications de l'ordonnance relative aux voies réservées à la circulation et à la police de circulation.
La perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est une occasion de faire évoluer un modèle sportif français souvent mis à l'index.
Ainsi, l'article 3 constitue l'ANS sous forme de GIP, avec une gouvernance collégiale et concertée. C'est pertinent, mais il est frustrant pour les parlementaires de ne pas avoir à connaître de son organisation, sa gouvernance ni sa pérennité. Avec la création d'une agence, l'État se dessaisit de ses obligations en matière de politique sportive.
La commission a voulu préciser la gouvernance, l'organisation territoriale et les moyens de cette Agence. Notre groupe porte un regard bienveillant sur le rôle du préfet de région comme délégué territorial et sur la création de conférences régionales du sport.
En revanche, il n'est pas favorable à l'affectation de la gestion des CTS à l'ANS tout juste créée. Les 3 500 agents concernés et l'association des directeurs techniques nationaux y sont eux-mêmes opposés.
Oui à un modèle partenarial ; je ne doute pas que nous aurons un débat plus large en 2020 lorsque vous nous présenterez la grande loi sur la nouvelle organisation du sport.
Le groupe LaREM votera ce texte.
Mme Céline Brulin . - Ce texte présenté comme technique est en réalité lourd de conséquences puisqu'il crée l'ANS. La méthode ne vous fait pas honneur. Il eut été plus opportun de mener une vaste concertation sur notre modèle sportif avant de mettre en place ces outils.
Madame la ministre, le Premier ministre n'a dit mot, dans sa récente déclaration de politique générale, de la loi Sport que vous annoncez pour 2020.
Vous déconnectez le sport de haut niveau du sport de masse, important un modèle anglo-américain bien loin de notre culture nationale et même loin de tenir ses promesses dans les pays qui l'appliquent.
Plus grave, ce texte marque un désengagement inédit de l'État puisqu'il donnera au privé son mot à dire en matière de politique sportive : c'est la voie ouverte à la privatisation de la politique sportive dans notre pays.
Il faudrait désintoxiquer certaines disciplines de l'argent qui conduit aux antipodes des valeurs olympiques, alors que dans d'autres nombreuses disciplines, on tire le diable par la queue. Votre projet se traduira par une véritable usine à gaz dans les régions.
Ainsi, la circulaire du 12 juin dernier indique que l'ANS déploiera son action au niveau régional via les Creps pour ce qui concerne le sport de haut niveau, Creps dont la voilure a été amputée d'un tiers et qui repose essentiellement aujourd'hui sur les régions. Mais c'est via les directions académiques des services de l'Éducation nationale que s'organiserait le sport pour tous, en même temps que le préfet serait le délégué territorial de cette agence. Il faut ajouter la création d'un délégué auprès du recteur de région académique pour animer le réseau des équipes chargées de ses missions.
Ministère, ANS, Creps, Dasen, préfet, recteur... Il faudra un bon sens de l'orientation aux acteurs locaux pour trouver le bon interlocuteur et mener à bien leurs projets sportifs !
La logique globale est la mise en cause de l'existence même du ministère des sports, dont témoignent la baisse de son budget et la suppression du concours des CTS, prélude à une extinction de ce corps.
Et je crains que nous perdions le point marqué ensemble, ici, la semaine dernière, en excluant les CTS des détachements d'office prévus dans la loi sur la Fonction publique si nous décidions de les transférer à l'ANS. Puisqu'une pause dans ces transferts a été obtenue, et que la mission Cucherat-Respland-Bernard doit rendre ses conclusions d'ici l'automne, ne nous engageons pas dans un remède qui pourrait finalement s'avérer pire que le mal.
Le sport, c'est davantage que le sport. C'est, au quotidien, un vecteur d'engagement local et national, à l'instar du soutien à notre équipe féminine de foot. Déstabiliser ce modèle qui repose sur l'engagement - de plus en plus fragile - de millions de bénévoles est extrêmement risqué. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Jean-Jacques Lozach . - Les articles premier et 2 de ce projet de loi ratifient une ordonnance du 20 mars 2019 et dérogent au droit commun pour le contentieux des déférés préfectoraux. Je ne m'y attarderai pas, mais fallait-il refonder la politique du modèle sportif français par l'article 3 de ce texte de circonstance ?
Le sport de 2019 n'est pas celui de 1983, date de la loi Avice, ou de 2000, date de la loi Buffet. Rattacher la question de l'Agence récemment créée à celle de la circulation est pour le moins cavalier.
Fallait-il inviter les parlementaires à cette importante phase de consultation de 2018 sur la gouvernance du sport, consultation sous-jacente à la mise en oeuvre de l'Agence ?
Fallait-il limiter la réforme du modèle sportif à une mutation du CNDS ou aller plus loin ?
Fallait-il faire le choix de la forme juridique du GIP ou d'un établissement public à caractère administratif, voire à caractère industriel et commercial ?
Fallait-il commencer par installer une Agence ayant comme objet la haute performance, en reprenant la formule de Tony Estanguet : « Isoler le haut niveau, en mode commando », avant - éventuellement - de l'élargir au développement des pratiques, ou bien - dès le départ, fallait-il tenter de relever les deux défis ?
Ces questions, nous n'aurons pas l'occasion d'y répondre dans ce débat. Pourtant, le cap fixé par l'Agence ne saurait se nourrir d'une confusion entre les fins et les moyens.
Il importe de créer les conditions pour que se déploie une bonne combinaison entre les politiques sportives territoriales et les plans de développement des fédérations.
Je me félicite que la commission de la culture ait modifié l'intitulé pour y introduire le sujet de l'ANS, et ainsi le sécuriser juridiquement. L'annonce du transfert des crédits du CNDS à cette Agence sans assistance juridique a beaucoup inquiété les collectivités locales.
Je rappelle que l'option qui prévalait du Front Populaire au début de la Vème République était celle d'une forme « d'éducation populaire » reposant sur des pratiques physiques qui n'étaient ni sportives, ni compétitives.
La demande sociale transcende largement les disciplines olympiques, avec des activités hors structure. Il faut en tenir compte.
L'article 3 ne fait pas mention des moyens, manque traditionnel des politiques du sport. Or il faut créer une nouvelle économie du sport en mobilisant des ressources. Celles du CNDS sont passées de 260 millions en 2017 à 131,4 millions en 2019, à cause d'un plafonnement de deux des trois taxes affectées et de la suppression depuis 2018 du prélèvement de 0,3 % sur les gains de la Française des Jeux, qui rapportait 25 millions d'euros par an - soit exactement le montant nécessaire pour étendre l'expérimentation du pass'sports à 50 000 bénéficiaires. Le sport n'est plus seulement le sport. Il ne recèle aucune vertu propre : il dépend de l'usage que l'on en fait. Michel Serres disait : « Instrument pédagogique hors pair, le sport interdit le mensonge, le sport apprend le réel. Mais maintenant, s'il ne s'agit que de gagner, alors je suis écoeuré jusqu'à la mort ». L'Histoire nous rappelle que les pires dérives - nationalisme, manipulation, corruption, dopage, violence - tirent leur justification des grands principes.
Le sport doit être compris en association avec tous les domaines des politiques publiques. Je défendrai la présence de deux députés et deux sénateurs au conseil d'administration de l'Agence.
La situation des CTS doit être traitée avec diplomatie et réalisme. L'État doit encourager les bénévoles et les aider dans leur action. Un GIP n'a pas à exercer la direction des ressources humaines de fonctionnaires d'État : je défendrai un amendement en ce sens. Tout attendre d'une instance nouvelle est illusoire : il faudra une osmose entre sport de performance et sport du quotidien.
Une loi de refondation du sport ne saurait nous orienter vers une disparition du service public. L'agence britannique UK Sport, qui suscite tant de fantasmes, est placée sous la tutelle du ministère britannique de la culture, des médias et du sport.
Notre vote dépendra de la tournure des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Tout sauf anodin ! C'est bien plus qu'un texte technique, l'occasion d'ouvrir au Parlement un véritable débat sur l'avenir de la politique du sport.
La création de l'ANS pose ni plus ni moins la question de la pérennité du ministère des Sports.
Le Conseil national de la Résistance a voulu que l'État et lui seul soit garant de l'intérêt général. Nous ne souscrivons pas à la suppression de l'article 3, même si ses insuffisances sont nombreuses.
L'exécutif veut faciliter le dialogue sur le terrain tout en conservant la primauté de l'État ; le rapporteur a montré que cet équilibre était fragile.
La faculté donnée aux commissions de la culture et commissions des finances du Parlement d'émettre un avis sur les conventions d'objectifs signés entre l'État et l'ANS est bienvenue.
La capacité de l'ANS à remplir efficacement ses missions demeure aussi suspendue au sort qui sera réservé aux CTS. Nous connaissons la préoccupation constante de notre rapporteur de préserver la précieuse ressource que représentent les CTS. Ces agents se trouvent aujourd'hui dans une profonde incertitude après que le Gouvernement a affiché son intention d'un transfert vers les fédérations. Cette situation de crise est dommageable d'abord aux premiers intéressés mais également à l'ensemble du sport de haut niveau français et ce, alors que la France s'apprête à accueillir les jeux de la 33e Olympiade de l'ère moderne.
Soucieux d'apporter des éléments de réponse à la situation actuelle, notre rapporteur souhaite faire affecter les conseillers techniques sportifs par le responsable haute performance de l'ANS. Cette initiative s'inscrit dans le même esprit que les précédentes, comme celle prise par notre Haute Assemblée dans le cadre de l'examen du projet de loi de réforme de la fonction publique et qui a vocation à exclure les fonctionnaires exerçant des missions de CTS d'un possible transfert obligatoire aux fédérations sportives. Toutefois, une concertation étant actuellement engagée entre le ministère et ses agents, et une affectation de ces derniers auprès de l'Agence pouvant être interprétée comme une forme d'affaiblissement du ministère, nous n'y souscrirons pas, même si l'intention qui anime notre rapporteur est parfaitement louable. L'éventualité prochaine de l'inscription à l'ordre du jour d'un projet de loi sur le sport permettra de clarifier la situation des CTS.
Les acteurs locaux, eux, ignorent tout de l'organisation territoriale de l'Agence, ce qui fait craindre, d'ici à 2024, un dispositif transitoire privilégiant le très haut niveau.
Les moyens alloués au sport en France ne devraient pas sortir indemnes de ces bouleversements. Avec l'ANS, le Conseil d'État a souligné que l'État se dessaisissait de ses obligations de soutien au haut niveau et à la pratique sportive.
Le groupe RDSE proposera, dans la discussion, d'ancrer cette politique dans la proximité. Comme le disait Pierre de Coubertin, l'important est de participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur celui de la commission)