Reconnaissance du crime d'écocide

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide.

Discussion générale

M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi .  - Le 21 avril, les hommages ont fleuri pour pleurer le décès de Polly Higgins, avocate écossaise engagée dans la défense de l'environnement et créatrice du concept d'écocide.

Certains pays, comme le Vietnam, ont inclus dans leur législation le crime d'écocide. Mais partout à travers le monde, c'est la jeunesse qui tire le signal d'alarme. À nous d'en tirer les conséquences - législatives entre autres. Trop longtemps, nous avons cru que les humains étaient assez intelligents pour réparer les conséquences de leurs erreurs. Orgueil démesuré, qui n'a conduit qu'à l'inaction...

Cette proposition de loi reprend la notion de crime d'écocide, qui s'inscrit dans le prolongement de la Charte de l'environnement. L'article premier en apporte la définition : le fait de porter atteinte de façon grave et durable à l'environnement et aux conditions d'existence d'une population. Quand un kilogramme de corne de rhinocéros peut rapporter plus qu'un kilogramme de cocaïne, tout en faisant courir des risques bien moindres, il y a un problème. Cette proposition de loi permettra de lutter plus efficacement contre la criminalité environnementale. Le Sénat a déjà introduit la notion de préjudice écologique par une proposition de loi de Bruno Retailleau.

Il faut aller plus loin, en dépassant les logiques partisanes. N'attendons pas la prochaine catastrophe. Nous ne prétendons pas à la perfection de rédaction. Certains ont trouvé que le texte manquait de précision, d'autres qu'il corsetait trop. Nous répondrons à ces critiques par une main tendue tant à la droite de cet hémicycle qu'au Gouvernement. La proposition de loi Retailleau a mis plusieurs années à aboutir : débattons, avançons ensemble. L'émotion publique, elle, est forte. Déjà dans les années soixante-dix, l'affaire de la décharge de Montchanin avait choqué. Dernièrement, c'est Vinci qui a déversé ses polluants dans la Seine - s'exposant à tout au plus 75 000 euros d'amende.

Ces faits cependant ne peuvent être qualifiés d'écocide : la notion sera invoquée uniquement dans les cas les plus graves. L'important est que la peine soit dissuasive. Nous avons entendu les remarques de Mme Cabanes, juriste reconnue en la matière, qui souhaite adosser l'atteinte irréversible à l'environnement sur les « limites planétaires ».

À ceux qui pensent que le droit en vigueur suffit - dont sans doute le Gouvernement - nous opposerons les objections des défenseurs de l'environnement, sceptiques malgré l'adoption du projet de loi sur la biodiversité.

Cette proposition de loi ouvre la voie. Il y a deux ans, on nous disait que la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères allait causer la faillite de l'entreprise France. Notre pays est aujourd'hui cité en exemple en Suisse, en Allemagne et ailleurs.

Madame la ministre, allez-vous rejoindre la mobilisation générale pour la reconnaissance du crime d'écocide ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - La COP21 en 2015 a conduit aux accords de Paris. Notre pays accueille cette semaine à l'Unesco des experts de cent trente pays pour un état des lieux de la biodiversité. Pollutions globale et localisée se conjuguent : on se souvient de l'Erika ou plus récemment des boues rouges ou des rejets de béton dans la Seine par un grand groupe de BTP...

Dès les années soixante-dix, la France s'est dotée d'un arsenal législatif étoffé. Elle a introduit le principe ERC - éviter, réduire, compenser - dans sa législation, puis la notion de préjudice écologique.

L'article premier de la Charte de l'environnement reconnaît ainsi le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé.

Nos collègues socialistes proposent d'aller plus loin, en s'inspirant de la notion de génocide. À l'article premier, l'écocide est défini comme le fait, en exécution d'une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d'un écosystème, de porter atteinte de façon grave et durable à l'environnement et aux conditions d'existence d'une population.

Le crime d'écocide serait puni d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle et d'une amende de 7,5 millions d'euros, éventuellement assortie de peines complémentaires. Le montant de l'amende serait multiplié par cinq lorsque c'est une personne morale qui est poursuivie.

Le Gouvernement punit également la provocation à l'écocide et sa préparation. Ce crime serait imprescriptible.

Je comprends les intentions des auteurs de la proposition de loi et je partage leur volonté de sanctionner fermement les atteintes à l'environnement. S'agissant d'un texte de droit pénal, nous devons néanmoins être attentifs au respect de certaines conditions tenant à la précision et à la clarté de la rédaction, elles sont des exigences constitutionnelles. Or ce texte souffre de trop d'imprécisions pour que l'on puisse déterminer en toute rigueur dans quelles situations il trouverait à s'appliquer.

D'une manière générale, il n'opère pas de distinction entre activités légales et illégales : il donne l'impression qu'une entreprise dont l'activité dégraderait l'environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur. En effet, tel qu'il est rédigé, le texte n'indique pas clairement si la dégradation de l'environnement doit être le but poursuivi par les auteurs de l'infraction ou s'il peut s'agir d'une conséquence de leur activité, ce qui couvrirait alors un champ beaucoup plus large.

La proposition de loi fait en outre référence à des notions qui paraissent bien floues : comment apprécier d'abord les limites d'un écosystème ? La dégradation partielle d'une toute petite zone humide suffirait-elle à condamner quelqu'un pour écocide ? Ou cherche-t-on à réprimer des atteintes d'une plus grande ampleur ?

De plus, il ressort des auditions auxquelles j'ai procédé qu'il n'existe pas aujourd'hui de lacunes dans notre droit positif qui rendraient indispensable une intervention du législateur. Nos services de contrôle et nos juridictions pénales disposent de tous les outils juridiques pour sanctionner les atteintes à l'environnement commises sur notre territoire. De nombreuses incriminations pénales permettent de sanctionner, par exemple, les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces, la pollution des eaux, le rejet dans l'atmosphère de substances polluantes ou la mauvaise gestion des déchets. Des incriminations pénales plus générales peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l'environnement lorsque des individus en sont victimes, par exemple l'atteinte involontaire ayant entraîné la mort, ou encore la mise en danger de la vie d'autrui.

Les pouvoirs publics ont également une palette de sanctions administratives pour mettre un terme à des infractions environnementales : l'autorité administrative peut ainsi mettre en demeure un exploitant de se conformer à ses obligations, sous peine de sanctions financières, sans qu'il soit nécessaire de saisir le juge pénal.

Dans ce contexte, l'introduction dans notre droit d'une nouvelle incrimination de portée générale, et aux contours assez flous, ne s'imposait nullement ; mieux vaut mobiliser d'autres outils pour renforcer la protection de l'environnement, à l'échelle internationale et nationale.

À l'échelle internationale, la France pourrait par exemple soutenir la conclusion d'un traité définissant un socle de sanctions, qui seraient ensuite déclinées dans le droit national de chaque État partie, afin d'encourager ceux dont la législation environnementale est la moins développée à se rapprocher des meilleurs standards. Dans le cadre national, nous pouvons certainement améliorer nos moyens de contrôle afin que nos règles environnementales soient mieux respectées. Le projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, adopté le 11 avril, contient des mesures intéressantes, comme le rapprochement de l'Agence de la biodiversité et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l'environnement.

De plus, une mission conjointe du ministère de la justice et du ministère de la transition écologique a été lancée en 2018 pour améliorer l'application du droit de l'environnement, notamment en renforçant la formation des magistrats et en mettant à l'étude une meilleure spécialisation des juridictions dans la protection de l'environnement et de la biodiversité.

Enfin, il nous appartient notamment de mobiliser une palette d'outils comme la fixation de normes plus exigeantes en matière de protection de l'environnement, le levier fiscal pour orienter les comportements, ou le financement de programmes de recherche pour développer des technologies vertes, pour progresser sur le chemin de cette transition écologique que nous appelons de nos voeux.

Je suis donc réservée sur la notion d'écocide, tout en étant consciente de l'urgence à agir. Mais la solution proposée n'est pas techniquement aboutie. Je suis en revanche convaincue que nos échanges nourriront la réflexion du Gouvernement.

« Il n'y a pas de passager sur le vaisseau Terre : nous sommes tous membres de l'équipage » a dit Marshall Mc Luan, inventeur de l'expression « village global ».

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - D'abord je vous remercie de me donner l'occasion d'aborder ce sujet en détail avec vous, car c'est un sujet qui me tient à coeur. Je signale que la plateforme intergouvernementale scientifique et politique pour la biodiversité (IPBES) est réunie actuellement à Paris à l'initiative du Gouvernement.

Vous avez rendu hommage, monsieur le sénateur, à Polly Higgins, remarquable juriste qui a tenté de convaincre la communauté internationale d'inscrire le crime d'écocide dans le droit international. Elle utilisait une image éclairante : sur le côté pile d'une pièce, les droits de l'homme ; sur le côté face, ses responsabilités. Le droit à la vie va de pair avec la responsabilité de ne pas tuer - ici, de ne pas détruire l'environnement.

La reconnaissance pénale du crime d'écocide est une reconnaissance des services que nous rend la terre. L'IPBES travaille justement sur ce thème. Mais un pays peut-il seul assurer des droits qui nous concernent tous ?

Il ne s'agit pas de nous dédouaner de nos responsabilités. Mais la France a déjà un arsenal robuste et, au niveau international, le président de la République oeuvre en faveur du pacte mondial pour l'environnement.

Nous travaillons aussi à la lutte contre les crimes environnementaux, Mme la rapporteure a cité la création de l'Office français de la biodiversité. Les ministères de l'écologie et de la justice travaillent ensemble à renforcer le droit de l'environnement, avec une spécialisation de magistrats chargés des atteintes à l'environnement.

Quant aux incriminations spécifiques comme le terrorisme écologique, certaines incriminations de droit commun sont déjà applicables. La commission transnationale des faits d'écocides justifierait l'élaboration d'un cadre international avant l'élaboration d'un arsenal national.

La définition de l'incrimination est assez imprécise. Qu'entend-on par destruction partielle ? Comment définir un écosystème ? Travaillons collectivement sur ces notions fondamentales à l'échelle internationale.

Ce texte est relativement flou sur certains points, source d'insécurité juridique. Cependant nous restons ouverts à la poursuite des réflexions sur le renforcement du dispositif pénal en alourdissant les peines liées aux crimes existants ou en faisant avancer la notion d'écocide au niveau mondial.

M. Michel Canevet .  - Le groupe UC se félicite que s'ouvre ce débat sur les questions environnementales. WWF annonce qu'en cinquante ans, 60 % des vertébrés pourraient avoir disparu. Nous voulons tous une planète où l'on peut bien vivre.

Cependant, la proposition de loi appelle certaines observations. Ne laissons pas nos compatriotes craindre d'être mis en cause malgré leur bonne volonté. Le dictionnaire Larousse définit l'écocide comme la « destruction totale d'un milieu naturel ». La définition de la proposition de loi est différente et manque de clarté. C'est source de risques. La proposition de la rapporteure de prolonger la réflexion sur le sujet me semble empreinte de bon sens.

Imaginons les conséquences de la construction d'un barrage hydraulique de montagne, qui pourrait opposer partisans des énergies renouvelables et défenseurs des écosystèmes. Y a-t-il écocide ?

Le propriétaire d'un boisement qui voudrait le supprimer se trouverait dans une situation similaire : ce serait positif aux yeux de certains, négatif pour d'autres.

Dans le Finistère nous avons connu de nombreuses catastrophes maritimes - l'Erika, l'Amoco Cadiz il y a plus longtemps, et le dernier en date, le Grande America. Mais ces navires opèrent dans les eaux internationales. Le problème n'est pas franco-français, et l'approche internationale, ou minima européenne, doit prévaloir.

La période, avec l'approche des élections européennes, est favorable.

On doit privilégier une démarche protectrice pour le monde entier, qui n'isole pas la France et ne crée pas de décalages.

Les crimes écologiques sont déjà punis dans le code pénal de vingt ans de réclusion criminelle et 350 000 euros d'amende.

Il est très aisé d'alourdir ces peines, si nécessaire, pour dissuader la réalisation de méfaits à l'encontre des milieux naturels, auxquels nous sommes attachés.

Le groupe UC apprécie ce débat mais ne juge pas la question assez mûre pour voter un tel texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Alain Marc .  - Cette proposition de loi introduit un nouvel article dans le code pénal pour réprimer le crime d'écocide, de provocation à l'écocide ou la constitution d'un groupement en vue de préparer un tel crime.

La proposition de loi définit, en son article premier, la notion d'écocide, crime qui serait puni de vingt ans de réclusion criminelle et 750 000 euros d'amende.

Conformément aux articles 1213-2 et suivants du code pénal, les peines pourraient être prononcées en cas d'infraction sur le territoire français, mais aussi en cas de commission hors de France si des Français sont concernés.

Par analogie avec le génocide, l'écocide serait imprescriptible.

Comme Marie Mercier, j'estime que nous disposons de tout l'arsenal nécessaire. La France pourrait prendre des initiatives diplomatiques.

La sensibilité environnementale est très prégnante.

M. Canevet a parlé de la construction d'un barrage : serait-ce un écocide ? Ce serait d'un autre côté une contribution à une énergie propre. De plus, les travaux dommageables pour l'environnement peuvent être compensés.

Il apparaît difficile d'articuler le mouvement international et cette initiative purement nationale. Certes, il faut montrer l'exemple, mais nous ne représentons qu'1 % de la population mondiale, ne l'oublions pas...

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi. (Mme Marie Mercier, rapporteur, applaudit.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Ces dernières années nous avons constaté une grande prise de conscience environnementale.

En septembre, des centaines de milliers de Français ont manifesté pour le climat.

Les températures augmentent de 0,2 degré par décennie. Dérèglement climatique, événements météorologiques extrêmes, développement de la pauvreté, perte de ressources... En outre-mer nous constatons ces phénomènes en premier.

Les auteurs de la proposition de loi, à qui je rends hommage, révèlent que la criminalité environnementale est au quatrième rang mondial des commerces illicites.

Cette proposition de loi crée une nouvelle incrimination pénale, l'écocide, dont elle donne la définition. Imprescriptible, ce crime serait puni de vingt ans de prison et 750 000 euros d'amende. La provocation suivie d'effet serait punie de même.

Si je partage la préoccupation des auteurs de lutter contre les atteintes à l'environnement, je rappelle que ce texte manque de précision et de clarté. Elles sont pourtant essentielles au vu de la gravité des faits.

Parle-t-on d'actions qui détruisent un écosystème volontairement ou non ? Le caractère intentionnel est déterminant. Quant aux conséquences de l'infraction, elles sont caractérisées comme des « atteintes graves et durables », sans plus de précision.

Qu'est-ce qui est visé par l'existence d'une population ? Combien de personnes doivent être atteintes pour caractériser l'incrimination ? Les exemples de Probo Koala ou de Texaco concernent des infractions à l'étranger. Un dommage environnemental peut affecter plusieurs pays : quelle serait la législation compétente ?

Il faut un cadre international. Encourageons plutôt les juridictions à être plus dissuasives. La loi pour une justice du XXIe siècle donne justement la possibilité de spécialiser les tribunaux sur les contentieux écologiques.

Le groupe LaREM partage les intentions des auteurs de cette proposition de loi, qui prennent acte de la mobilisation internationale et soulignent l'urgence de la discussion. Nous nous abstiendrons.

Mme Esther Benbassa .  - Le 14 mars 2019, Greenpeace, Notre affaire à tous, la fondation Hulot et Oxfam attaquaient l'État français en justice dans le cadre de « l'affaire du siècle » après une pétition signée par plus de 2 millions de personnes.

La France est particulièrement concernée. Ainsi, par exemple, les trafics font de Roissy une plaque tournante mondiale des crimes environnementaux.

Nos paysages, faunes et flores sont défigurés. L'utilisation abusive des produits phytosanitaires détruit les sols et provoque des maladies graves. Les atteintes pourraient détruire l'humanité. Un écocide, c'est, étymologiquement, tuer la maison.

EELV appelle de ses voeux depuis plusieurs années l'ajout de cette incrimination dans notre législation.

Il n'existe actuellement pas d'échelle des peines dans ce domaine. Il existe des contraventions ou des sanctions administratives pour les entreprises mais c'est très résiduel.

Les entreprises peuvent donc poursuivre leurs crimes en bénéficiant de l'adage « Too big to fail ».

Que pourrions-nous faire contre un nouveau Fukushima ? Comment sanctionner le braconnage des rhinocéros ? Comment agir contre Bolsonaro qui veut bétonner le poumon vert qu'est l'Amazonie ? Pas grand-chose.

Il faudrait une chambre environnementale à la cour pénale internationale. Mais compte tenu des obstacles politiques pour réviser le statut de Rome de 1998, dotons-nous de législations nationales.

Selon le GIEC, nous n'avons plus que douze ans pour inverser la tendance avant que les dommages ne deviennent irréversibles.

Pendant ce temps, les géants comme Monsanto continuent en toute impunité à vendre le glyphosate dont ils connaissent la toxicité depuis 1999. Les générations futures en paieront le prix.

« Les climatocyniques ne me font pas rire ; s'il faut être responsable, c'est maintenant », a dit le centriste Jean-Louis Borloo. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

M. Olivier Jacquin .  - Hier, le parlement britannique s'enorgueillissait d'être le premier parlement au monde à déclarer l'urgence climatique ; suivons-le. Je remercie Jérôme Durain de porter ce texte.

Vous dites : pas ici, pas maintenant. Mais l'urgence nous oblige à développer un arsenal législatif. Madame la ministre, amenez une bonne nouvelle à la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) demain ! Vous l'avez cité plusieurs fois !

Certains disent que cette proposition de loi est trop floue et trop large. Amendez donc et de grâce avançons.

Cette proposition de loi vise spécifiquement les axes les plus graves, clairement délimités.

Nous voulons réunir au-delà des clivages politiques, pour punir et dissuader les auteurs d'atteintes les plus graves à l'environnement.

Les entreprises ne sont pas défavorables à une clarification de notre législation, pour plus de sécurité juridique et pour éviter des distorsions de concurrence.

Monsieur Canevet, un barrage n'est pas un crime ! Sa construction suit une procédure rigoureuse et n'est nullement concernée par la qualification d'écocide.

Les sanctions administratives ne sont plus adaptées aux enjeux actuels et à l'urgence qui apparaît clairement.

L'aéroport de Roissy est devenu une plaque tournante. Les mafias environnementales qui se développent et datent de la mondialisation ne sont nullement impressionnées, pas plus que certaines entreprises, par les 75 000 euros d'amende et deux ans de prison maximum qui punissent leurs crimes : une bagatelle au regard de leur puissance financière ! Souvent, les atteintes à l'environnement font l'objet de peines alternatives. Or le seuil ouvrant la possibilité d'investigations poussées et de perquisitions est souvent fixé à trois ans de prison.

Il faut par conséquent revoir la hiérarchie des sanctions et le quantum des peines, comme nous l'avons fait après l'Erika, en 1999 - imposant notamment des doubles coques aux pétroliers, lorsque notre droit est enfin devenu efficace contre les marées noires.

Des peines lourdes sont dissuasives ; elles entraînent aussi une prise de conscience.

Ne soyons pas, une fois de plus, à la remorque des événements ! Madame la ministre, tenez compte des critiques récentes adressées à votre Gouvernement sur ces thématiques. Soyons courageux sur le climat comme nous l'avons été sur les droits de l'homme ! Soyons les Lumières de cette lutte contre la criminalité environnementale ! Au Brésil, le président Bolsonaro a lancé un détricotage systématique de l'arsenal législatif brésilien, qui était très avancé : ce poumon « vert » de la planète est en passe d'être rasé ! Et ne parlons pas du président américain Trump, qui assoit son pays, le plus grand pollueur mondial, sur les accords de Paris...

Monsieur Marc, j'ai été peiné par votre remarque sur notre population représentant 1 % de celle du monde. Elle ne reflète pas la France que j'aime et que je porte. (M. Alain Marc proteste, tandis que l'on approuve sur plusieurs bancs du groupe SOCR.) Plusieurs têtes de liste aux élections européennes sont favorables à la taxation des transports aériens, à l'exemple de la Suède - notre ministre des Transports avait pourtant jugé cela impossible, il y a à peine un mois, lors des débats sur la loi Mobilités.

Sous le dernier quinquennat, un pas en avant avait pourtant été fait avec la création du devoir de vigilance impulsé par Dominique Potier, député de ma circonscription, en 2017, afin d'étendre la responsabilité des entreprises donneuses d'ordre.

Madame la ministre, vous avez fait un pas en arrière sur la reprise de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy sur l'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires : nous attendons toujours !

L'urgence climatique réclame que nous prenions, ici et maintenant, nos responsabilités. Puisque nous sommes tous membres de l'équipage du navire Terre, avançons ensemble.

Reconnaître l'écocide, c'est reculer l'écosuicide. Le temps de l'électrochoc est venu. Ayons le courage de nous engager au-delà de nos clivages politiques !

M. le président.  - Veuillez conclure...

M. Olivier Jacquin.  - Jacques Chirac disait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »...

M. le président.  - Même en citant Jacques Chirac ! (Sourires)

M. Olivier Jacquin.  - Ne regardons plus ailleurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Joël Labbé .  - Madame la ministre, vous avez évoqué la 7e session de l'IPBES. Son président Robert Watson rappelle que les preuves de la destruction de la biodiversité et des services écosystémiques sont incontestables et menacent notre bien-être au moins autant que le changement climatique induit par l'homme.

Je remercie mes collègues socialistes d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour.

Des voix s'élèvent dans la société pour reconnaître l'écocide ; il faut que la France coalise les bonnes volontés qui émergent au niveau national et international.

Madame la rapporteure, vous avez dressé un parallèle avec l'interventionnisme militaire américain, en évoquant le risque de présenter la France comme le « gendarme du monde » en matière environnementale. Il est des risques qu'il faut savoir prendre lorsque la conscience de l'urgence à agir nous pousse. La Charte de l'environnement de 2005 a été une avancée majeure, mais elle attend ses traductions législatives. Ce texte en est une. Apportons-lui des améliorations plutôt que de le rejeter en bloc !

Comment reprendre les constats terrifiants du GIEC tout en soutenant que le droit en vigueur est suffisant, que « tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes » ? Nous souscrivons à la réglementation européenne qui veut que les sanctions pénales soient un dernier recours ; mais justement, nous avons assez usé du droit mou.

Nous avons déjà joué le jeu du « droit mou ». ll faut à présent repenser totalement l'agencement de notre droit pénal pour intégrer notre environnement en tant que personne propre dans le droit pénal. Le recours à l'agent orange au Vietnam doit ainsi être reconnu, et sanctionné comme tel, au niveau international, comme un crime environnemental.

Gardons à l'esprit que ce n'est pas l'écologie qui est punitive. J'en ai vraiment assez d'entendre cette expression ! C'est la société qui l'est quand elle ne protège pas contre l'écocide !

Agissons aux échelons national et international, comme le suggère Valérie Cabanes, qui propose une sanction, dans le droit international. Il faut reconnaître comme crime les agissements des industriels qui attaquent l'habitabilité de la Terre par certaines de leurs activités, nuisibles au climat, à la biodiversité, à la qualité des sols, à l'approvisionnement en eau potable, à l'Océan, à la santé...

Je conclus en m'adressant à ceux qui appellent, à juste titre, à la refondation du pacte social et politique de notre pays : quelle meilleure illustration du principe de fraternité, quel plus beau projet collectif, en particulier pour les générations nouvelles, que d'oeuvrer au sauvetage de la planète et à la sauvegarde du plus grand nombre ? (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, SOCR et CRCE)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe les Républicains) Les efforts mondiaux pour enrayer le changement climatique et protéger l'environnement ne sont pas suffisants. La France n'est cependant pas en reste. Depuis 2005, elle prend pleinement sa part, notamment à travers les accords de Paris de 2015.

La Cour pénale internationale ne reconnaît pas encore les crimes contre l'environnement en temps de paix mais a encouragé les législateurs nationaux à se saisir de la question.

Cette proposition de loi est louable mais pose des problèmes terminologiques et de définition. Celle-ci, à l'article premier, est fragile. « Écosystème », « atteintes à l'environnement », « conditions d'existence » sont des notions très floues juridiquement. L'écosystème est ainsi l'ensemble formé par une communauté d'êtres vivants, animaux et végétaux, et le milieu dans lequel ils vivent. C'est large !

Quelles destructions ou dégradations seront jugées acceptables ? Lesquelles seront graves ? Selon quelle échelle de valeur ? Il faudrait des actes juridiques supplémentaires pour le préciser sans équivoque.

Quant aux « conditions d'existence », elles sont sujettes à interprétation. Une incrimination sur ce fondement doit être suffisamment précise pour être efficace. Et la loi doit être claire et sans ambiguïtés.

Dernière remarque, la proposition de loi n'apporte aucun outil juridique véritablement novateur à notre arsenal qui comporte notamment la notion de préjudice écologique, la sanction pénale de certaines pollutions, la répression des atteintes à l'environnement dont des individus sont victimes.

Quid des atteintes à l'environnement dans un cadre parfaitement légal ? Je songe au projet de mine d'or industrielle soutenu par le président de la République en Guyane. Il faut certes éviter la destruction ou la dégradation de l'environnement, mais la frontière entre le légal et l'illégal n'est pas nettement fixée.

La Russie et le Vietnam ont adopté le crime d'écocide dans leur législation, en raison de leur histoire, mais cela n'a débouché sur aucune condamnation.

Mettre sur le même plan destructions d'espèces et de groupes humains est contestable.

La proposition de loi vise notamment à réprimer le braconnage transnational, le trafic d'espèces.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Marta de Cidrac.  - Mais cela relève du droit international. Je proposerai au Sénat de ne pas adopter cette proposition de loi...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - En l'état !

Mme Marta de Cidrac.  - Exactement ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le troisième alinéa de l'article 211-1 du code pénal est complété par les mots : « par tout moyen, dont l'altération de l'environnement naturel de cette population ».

M. Joël Labbé.  - La répression des actions de destruction volontaire de milieux naturels dans le cadre d'opérations de guerre nécessite un consensus international. L'agent orange, au Vietnam, continue à provoquer des malformations importantes chez les enfants. Notre code pénal réprime déjà les pollutions internationales, notamment l'article 421-2 du code pénal. Mais un juge condamnera-t-il un État, en particulier le plus puissant d'entre eux ? C'est pourquoi cet amendement introduit dans la qualification de génocide prévue à l'article 211-1 du code pénal la notion d'altération de l'environnement naturel. Il s'agit de prendre en compte la durée très longue des atteintes à l'environnement et de dissuader les chefs d'États de recourir à de telles techniques de guerre.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Cet amendement a le mérite de faire le lien entre la survie d'une population et son environnement naturel. Mais cette précision est superflue sur le plan juridique. Le code pénal ne dresse pas la liste des moyens qui peuvent être utilisés pour détruire une population. Ainsi, empoisonner un cours d'eau pour détruire la population qui s'y approvisionne relève déjà du génocide. Demande de retrait.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - L'ajout qu'opère cet amendement ne respecte pas le principe constitutionnel de précision de la loi pénale. Qu'est-ce qu'une altération, qu'est-ce qu'un environnement naturel ? Avis défavorable.

M. Joël Labbé.  - Cet amendement a une portée symbolique, qui a une importance bien plus grande en matière diplomatique que législative. Je maintiens l'amendement.

M. Patrick Kanner.  - Notre hémicycle se transforme-t-il en casino ? Je vois les bulletins de vote de ses collègues s'accumuler, tels des jetons, devant Mme Di Folco, signe que la majorité sénatoriale, minoritaire à cet instant, demandera des scrutins publics et plombera ainsi notre travail. Sur un texte d'une telle portée, pour l'avenir de la planète, vous auriez pu faire l'effort d'être présents en nombre suffisant pour ne pas avoir à recourir à un tel artifice ! Prenez donc vos responsabilités, nous prendrons les nôtres en défendant ce texte et les intérêts de nos concitoyens. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et RDSE)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°3 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°89 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 111
Contre 230

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec et Mmes N. Delattre et Laborde.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 223-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Après le mot : « immédiat », sont insérés les mots : « ou futur » ;

2° Après le mot : « mutilation », sont insérés les mots : « , une maladie ».

M. Joël Labbé.  - J'ai peur que nous ne puissions achever l'examen du texte à temps, avec la multiplication des scrutins publics... Or je veux absolument défendre mes amendements. Je vais aller vite !

M. le président.  - N'ayez crainte, vous pourrez défendre vos amendements : vous avez jusqu'à minuit trente !

M. Joël Labbé.  - Il est absolument nécessaire d'adapter notre droit pénal. Les infractions environnementales ne représentent que 2 % de l'activité des parquets. Le faible effet dissuasif des sanctions administratives, les difficultés du juge civil à imposer des dommages et intérêts rendent nécessaire cette adaptation.

Cet amendement le fait en élargissant la notion de mise en danger de la vie d'autrui. Ces dommages immédiats, mais aussi futurs seront pris en compte.

Mme Marie Mercier, rapporteure.  - Cet amendement sanctionne le risque immédiat mais aussi futur de mort ou de blessure.

Une réflexion plus approfondie sur le champ d'application de cet article paraît indispensable. L'établissement du lien de cause à effet pourrait être difficile. Retrait ou avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - L'amendement est satisfait par les délits de blessures involontaires ou d'homicide involontaire. Le délai de prescription court à partir de l'apparition de la blessure. Retrait.

M. Joël Labbé.  - Il y a risque futur. Je maintiens mon amendement en espérant un vote à main levée pour gagner du temps.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°2 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°90 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 111
Contre 230

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 218-24 du code de l'environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le montant de l'amende prévue par le présent article peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de la commission de l'infraction, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. »

M. Joël Labbé.  - Le droit pénal de l'environnement doit s'adapter aux conséquences graves des comportements de certaines entreprises.

Cet amendement proportionne le montant de l'amende aux avantages tirés de la commission de l'infraction en matière de rejets de substances polluantes dans les eaux, calculée sur le chiffre d'affaires de la personne morale.

On prétend que les termes définissant l'incrimination ne sont pas assez précis. Mme la rapporteure affirme que le quantum est assez dissuasif. Je soutiens le contraire. On sanctionne plus lourdement de simples arnaques que la destruction durable de la biodiversité. Le droit actuel renvoie ainsi les responsabilités aux générations futures.

Certaines grandes entreprises au chiffre d'affaires annuel atteignant des dizaines de milliards d'euros ne sont aucunement freinées par ce qui n'est qu'un accident de parcours.

Mme Marie Mercier, rapporteure.  - Cet amendement augmente le quantum des amendes pour les personnes morales. Si une réflexion sur ces peines est intéressante, il faut réfléchir à l'échelle des peines de manière globale. Les amendes infligées aux personnes morales peuvent atteindre 75 millions d'euros pour les pollutions les plus graves liées aux rejets des navires auxquels s'ajoutent des dommages et intérêts significatifs. Avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Cet amendement est très intéressant. Il faut muscler l'arsenal pénal du droit de l'environnement, en effet. Toutefois, il faut tenir compte de la nécessité d'assurer une proportionnalité des quanta de peines, suivant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a censuré la fixation d'un montant maximum dépourvu de lien avec l'infraction, parce qu'il était fondé sur le chiffre d'affaires.

La mission confiée en janvier 2019 par François de Rugy et Nicole Belloubet à l'inspection générale de la justice et au conseil général de l'environnement et du développement durable, sur la politique pénale en matière environnementale, devant rendre ses conclusions en septembre prochain, je vous propose de retirer votre amendement et de le retravailler ensemble.

M. Joël Labbé.  - Madame la ministre, je vous fais confiance pour que nous travaillions ensemble...

M. Jean-Claude Requier.  - Très bien !

L'amendement n°7 rectifié bis est retiré.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par Mmes Costes et N. Delattre, MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Corbisez, Dantec et Gabouty, Mme Guillotin, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville et Requier.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 20° de l'article 706-73 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :

« 20° Délit prévu par le code de l'environnement, lorsqu'il est connexe avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 19° du présent article ; ».

Mme Françoise Laborde.  - Cet amendement étend le champ des infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées. Pris au sérieux par Interpol depuis les années quatre-vingt-dix, les crimes environnementaux relevant de la criminalité organisée pourraient avoir des conséquences importantes sur l'environnement mondial et la qualité de vie des Français. Donnons à nos magistrats les moyens d'enquête répondant aux dispositions de l'article 706-73 du code de procédure pénale et prémunissons-nous contre une spécialisation des réseaux criminels dans l'environnement comme c'est le cas ailleurs en Europe.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Les enquêteurs et magistrats disposent déjà des pouvoirs renforcés en matière de crimes et délits commis en bande organisée. Ils peuvent mettre en oeuvre des techniques particulières de surveillance, d'infiltration, d'enquête sous pseudonyme, d'interception des correspondances, de sonorisation du véhicule, attentatoires à la vie privée. De plus, des règles dérogatoires s'appliquent aux gardes à vue comme aux perquisitions. Il nous paraît hasardeux d'étendre, sans réflexion préalable approfondie, le champ de ces techniques très intrusives à un si grand nombre de délits, d'une gravité variable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Cet amendement présente en effet un fort risque d'inconstitutionnalité. Retrait ?

Mme Françoise Laborde.  - Je ne suis pas convaincue.

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Votons les amendements à main levée, puisque la majorité des groupes ont annoncé leur intention de rejeter le texte à l'issue de la discussion ! (Marques d'assentiment sur plusieurs bancs du groupe SOCR ; expressions dubitatives sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - En pratique, vous avez sans doute raison, mais le groupe Les Républicains a demandé un scrutin public. S'il ne change pas d'avis, nous y procèderons. (Mme Catherine Di Folco le confirme.)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Il est très difficile de rejeter un texte dont on adopte tous les amendements. Il y a une cohérence à observer. Le scrutin public est un mode de votation qui permet l'expression de chacun des membres de notre assemblée.

L'exigence de cohérence et de responsabilité nous impose donc de poursuivre.

M. Jérôme Durain.  - Nous faisons de la procédure et non du débat ! Je partage l'avis du président Bas. Chacun doit prendre ses responsabilités. Je regrette donc que les membres du groupe Les Républicains ne soient pas en nombre suffisant sur ce texte important, ce qui nous contraint à cette succession de scrutins publics.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°8 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°91 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 111
Contre 230

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié bis, présenté par Mmes Costes et N. Delattre, MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Corbisez, Dantec et Gabouty, Mme Guillotin, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et M. Requier.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 3° de l'article 689-11 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Les crimes et délits mentionnés à l'article 706-73 du présent code, lorsqu'ils sont accompagnés d'atteinte à l'environnement. »

M. Jean-Claude Requier.  - Cet amendement crée une compétence extraterritoriale des juridictions françaises en matière de lutte contre les atteintes à l'environnement, indépendamment de l'insertion d'un crime d'écocide au sein du code pénal.

Comme le prévoit la Charte de l'environnement, l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains. Il convient donc de doter nos institutions judiciaires des moyens de lutter contre les atteintes à ce patrimoine commun exploitées par des réseaux de délinquance et de criminalité organisée là où elles adviennent.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Cet amendement rend les juridictions françaises compétentes pour des infractions commises à l'étranger. Je comprends les auteurs de l'amendement, mais prenons garde aux conséquences diplomatiques. La France s'érigerait en gendarme du monde en poursuivant des délits qui ne seraient même pas sanctionnés par le pays concerné.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Il est certes nécessaire d'avoir une approche internationale. Deux réserves cependant : l'amendement n'est pas conforme aux exigences de précision de la loi pénale et une telle disposition extraterritoriale doit être adossée à une convention internationale reconnaissant les mêmes infractions. Avis défavorable.

M. Jean-Claude Requier.  - Cet amendement unit les rives de la Dordogne aux cimes du Cantal (Sourires) ; je le maintiens.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°9 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°92 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 111
Contre 230

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Esther Benbassa .  - Cette proposition de loi est un pas majeur vers la reconnaissance des détériorations de la faune et de la flore par l'activité humaine. Mais pour que les sanctions soient efficaces et effectives, elles doivent devenir dissuasives à l'échelle internationale. Il est nécessaire que la qualification des crimes environnementaux soit adoptée par tous les États membres de la CPI.

En tant qu'historienne, je me suis interrogée sur le terme « écocide ». Ne rappelle-t-il pas trop le terme de génocide, ce qui pourrait heurter des États comme l'Allemagne ou l'Arménie ? Ce terme lourd de sens pourrait desservir la lutte contre les préjudices environnementaux. Ne peut-on le renommer en « crime contre la sûreté de la planète », dénomination moins connotée, comme l'a proposé Mme Cabanes ? Tout bien pesé, le terme d'écocide étant désormais entré dans le vocabulaire des associations et des experts, on ne peut aller contre le chemin parcouru par les mots qui roulent à leur rythme, tels des cailloux...

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Angèle Préville .  - Voici ce qu'écrivait Lamarck en 1820 : « l'homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, pour son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l'avenir et pour ses semblables, semble travailler à l'anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce (...) Il amène rapidement à la stérilité de ce sol qu'il habite, donne lieu au tarissement des sources, ou écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance (...) De grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées, à tous égards sont maintenant stériles, inhabitables et désertes. On dirait que l'homme est destiné à s'exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable. »

Deux siècles plus tard, nous y sommes ! Nous faisons courir des dangers à la vie même par la destruction irréversible des écosystèmes. Marées noires, chlordécone aux Antilles, boues rouges à Gardanne... Les milieux, les personnes sont durablement affectés.

L'écocide est un mot qui par lui-même cause un électrochoc. Il nous faut être précurseurs ; c'est la noblesse de la politique. Madame la ministre, étoffez le texte, amendez-le, mais avançons !

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec et Mme N. Delattre.

Alinéa 6

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. 230-1.  -  Constitue un écocide le fait de porter délibérément une atteinte étendue, irréversible et grave à l'environnement. L'infraction est également constituée lorsque l'auteur des faits ne pouvait pas ignorer qu'ils pouvaient causer une telle atteinte.

« L'auteur ou le complice d'un écocide ne peut être exonéré de sa responsabilité du seul fait qu'il a accompli un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou un acte commandé par l'autorité légitime. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le montant.

M. Joël Labbé.  - Pourquoi la France, qui peut être fière d'accueillir la COP21, ne rejoint-elle pas les pays qui ont introduit l'écocide dans leur législation nationale ? Cet amendement propose la notion d'atteinte étendue, irréversible et grave à l'environnement.

Cet amendement s'inspire en partie de ce que la juriste Valérie Cabanes propose en guise d'amendement au Statut de Rome de la Cour pénale internationale : l'intention de nuire ne doit pas être retenue en raison des devoirs que nous avons vis-à-vis des générations futures.

L'infraction serait constituée, que l'atteinte soit délibérée ou non-intentionnelle, lorsque l'auteur fait preuve d'une imprévoyance consciente. Pour que ces comportements graves puissent être sanctionnés, il convient d'intégrer la responsabilité pénale de l'auteur, y compris lorsqu'il a accompli un acte prescrit ou autorisé par la loi ou le règlement, à l'instar de ce que le code pénal prévoit en matière de génocide.

Il aurait été préférable de réfléchir à l'aggravation de l'ensemble des sanctions, mais en tout état de cause il faut agir.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 6

Remplacer les mots :

d'une population

par les mots :

des populations présentes et futures

Mme Esther Benbassa.  - La chlordécone continue à polluer massivement eaux et sols aux Antilles, avec des conséquences directes pour les générations futures. L'introduction du principe de précaution permettrait la sanction des auteurs d'écocides, même en l'absence de certitudes scientifiques.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - M. Labbé propose à l'amendement n°5 rectifié une définition plus simple que le texte initial, mais la notion d'atteinte grave manque de précision.

De plus, l'amendement rend impossible la poursuite, au titre de l'écocide, de faits pourtant commis dans un cadre légal. Avis défavorable.

L'amendement n°1 rectifié pourrait même rendre l'infraction plus difficile à circonscrire. Avis défavorable également.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Ces amendements ajoutent de l'imprécision à une définition déjà imprécise. Avis défavorable.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Je soutiens ces deux amendements. L'écocide, c'est passer du délit au crime, en incluant des activités industrielles légales peut-être, mais intenables pour notre planète et qui menacent l'espèce humaine. Je songe aux pollutions au jour le jour, qui contaminent les terres et acidifient les océans. Il faut opposer à ce modèle économique flou les limites de la Terre.

Adoptons une définition large, pour tenir la position la plus forte possible dans les discussions internationales. La dette financière, même lourde, peut être remboursée, elle. La dette écologique, si souvent niée, ou sous-estimée, est pourtant réelle. Il faut supprimer les externalités négatives en faisant en sorte qu'elles ne soient plus rentables.

Nous avons vu ce soir beaucoup de sourires terriblement gênés, de remerciements à Jérôme Durain d'avoir porté cette proposition. Mais où sont les sénateurs et sénatrices, pour discuter de ce texte important ?

M. Jérôme Durain.  - Le groupe socialiste s'abstiendra sur l'amendement n°5 rectifié, car nous avons fondé cette proposition de loi sur le caractère délibéré du crime.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°5 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°93 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 251
Pour l'adoption   22
Contre 229

Le Sénat n'a pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°94 :

Nombre de votants 333
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption   92
Contre 241

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de la commission de l'infraction, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. »

M. Joël Labbé.  - Cet amendement fixe le montant de l'amende en fonction des avantages tirés par la commission de l'infraction, jusqu'à 10 % seulement du chiffre d'affaires moyen annuel de la personne morale pénalement responsable.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

M. Joël Labbé.  - Je le retire pour gagner du temps.

L'amendement n°6 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec et Mme N. Delattre.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Après le 3° de l'article 689-11 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Les crimes prévus à l'article 230-1 du même code. »

M. Joël Labbé.  -  Dans le même esprit que le n°9 rectifié bis, cet amendement accorde une compétence extraterritoriale aux magistrats français en matière d'écocide, afin de renforcer l'efficacité de leur action.

Le champ s'étend à tous les crimes d'écocide, pas seulement ceux qui ont été commis en bande organisée.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Nous avons déjà abordé la question de l'extraterritorialité. Avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°4 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°95 :

Nombre de votants3 41
Nombre de suffrages exprimés3 41
Pour l'adoption  9 6
Contre24 5

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Jérôme Durain.  - Je remercie tous ceux qui nous ont remerciés ce soir... Nous avons eu une bonne nouvelle, celle de juridictions spécialisées annoncées par Mme la ministre. Cela va dans le bon sens. J'observe avec ironie que beaucoup se sont réjouis de ce débat, pour le refermer aussi vite ensuite ; ils partagent le sentiment de l'urgence écologique, mais estiment qu'il faut prendre le temps... de ne rien faire, sans doute ?

Enfin, plusieurs d'entre vous ont objecté que la question relevait du niveau européen, mais qui l'a inscrite à son programme pour les élections européennes ?

Certains disent qu'un pays seul ne peut rien faire. Mais Laurent Neyret et la procureure générale de la CPI ont invité les États à inscrire ce crime dans le droit international.

Vous nous reprochez des imprécisions : que n'avez-vous alors présenté des amendements ?

Enfin, on nous oppose la robustesse du droit administratif. Quant à moi, je le trouve quelque peu pataud face à l'agilité de la criminalité environnementale.

L'échelle des valeurs protégées était au coeur de notre réflexion. À partir de l'écocide, nous souhaitions revoir toute l'échelle des peines dans le domaine environnemental.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jérôme Durain.  - Je veux conclure par le devoir de vigilance. Et si nous ne représentons que 1 % de la population mondiale, cela ne signifie pas que nous ne pouvons changer les choses.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°96 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 299
Pour l'adoption   92
Contre 207

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté, non plus que les articles 2 et 3.

Prochaine séance, mardi 7 mai 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit trente.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus