Déclaration du Gouvernement relative au grand débat national, en application de l'article 50-1 de la Constitution
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, relative au grand débat national, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Cette séance s'organisera en deux temps. Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis au Premier ministre pour leur répondre. Puis, après une courte suspension, nous procéderons à un débat interactif de 30 questions-réponses.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE) Le grand débat s'est achevé lundi. Tout au long de ces trois mois, les Français ont renoué avec le goût de la discussion politique dans des réunions locales, dans des salles polyvalentes, municipales, les bureaux des mairies ou à travers des cahiers citoyens.
Nos concitoyens se sont ainsi réapproprié la discussion politique. Ils aiment la politique. Mais depuis longtemps, les espaces où l'on peut échanger localement sur la politique ne sont pas si fréquents. Le grand débat a permis aux Français d'échanger à nouveau, de dire ce qu'ils veulent, sur l'avenir du pays.
Je veux d'abord remercier les maires qui ont facilité la tenue de débats, qui ont ouvert cet espace d'expression dans leurs communes. Favorables ou non au grand débat, ils l'ont accompagné pour relayer les attentes des Français. Ils ont été nombreux à prendre la parole, dans leurs rencontres avec le président de la République.
J'ai aussi une pensée pour ceux qui ont fait face à des actes de violences inhabituels lors de certaines manifestations. J'adresse aussi un message de totale solidarité et l'entier soutien du Gouvernement à l'égard des petites entreprises et des commerçants qui ont souffert de ces comportements inqualifiables. Cette violence contraste avec le calme et l'écoute qui ont régné pendant ces trois mois de grand débat. Beaucoup craignaient d'ailleurs un transfert de cette tension dans les salles de réunion. J'observe que le grand débat a eu lieu dans le calme ; près d'un million et demi de Français se sont exprimés, dans le calme et le respect, ce qui contraste avec ce que nous déplorons, samedi après samedi. C'est l'image d'une démocratie vivante, innovante, et respectueuse.
Mais avant il y a eu la colère. Une colère née de la hausse d'une taxe venant après l'augmentation du prix des carburants.
M. Jean-François Husson. - Nous l'avions dit !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Une colère qui vient de plus loin, qui s'est amplifiée au fil des élections et des quinquennats. D'abord de la crise financière de 2008 dont nous subissons toujours les effets : chômage en hausse, croissance stagnante, impôts qui ne cessent d'augmenter (« Eh oui ! » à droite), baisse du pouvoir d'achat. Il y a aussi cette conviction terrible, qui s'est installée chez des millions de Français, que leurs enfants vivront moins bien qu'eux, que leur réussite dépend plus de leur lieu de résidence que de leurs mérites ou de leurs projets. À l'égalité des chances, notre République aurait ainsi substitué l'inégalité de destin.
Enfin, il faut évoquer la colère face à l'éloignement. Je songe à l'éloignement géographique : lignes de trains qui ferment, médecins non remplacés, services publics fermés ou déménagés. Nos modes de vie ont évolué et sont fondés sur l'étalement urbain. En témoigne la désertification commerciale des centres-villes.
L'urbanisme commercial, tel qu'il est pensé et pratiqué depuis quarante ans n'a-t-il pas aussi une part de responsabilité ? Finalement les Français ont le sentiment que ceux qui décident sont loin d'eux, à la fois différents et indifférents.
Mais les causes de cette colère ne sont pas propres à la France. On les retrouve en Grande-Bretagne, en Italie, peut-être même aux États-Unis...
M. Emmanuel Capus. - Absolument !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Les Français ont donc exprimé leur colère. Par pudeur ou discrétion, ils avaient longtemps eu l'habitude de se taire.
C'est l'indignation de ceux qui ne demandent pas la charité mais veulent vivre de leur travail. Nous l'avons entendue. (Murmures dubitatifs à droite) Nous avons déjà pris des mesures...
M. Jean-François Husson. - Merci le Sénat !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - ... pour aller plus loin et nous avons pris le risque d'organiser ce grand débat.
Lundi a eu lieu la restitution. Elle a été fidèle et loyale selon les propres termes des cinq garants, nous permettant d'apprécier les attentes et les préoccupations des Français dans toutes leurs nuances, afin de placer le curseur au bon endroit, sur des enjeux aussi complexes que la transition énergétique : doit-elle être fondée sur l'incitation ou sur l'obligation, la norme ?
Les Français ont joué le jeu du grand débat et celui-ci a permis de faire ressortir certaines vérités, à commencer par l'exaspération fiscale qui a gagné notre pays, le ras-le-bol fiscal. Il ne s'agit pas du consentement à l'impôt. Les Français ne sont pas hostiles par principe à l'impôt. Ils savent qu'il est nécessaire. Mais ils considèrent que le niveau des prélèvements obligatoires qui les frappent est trop élevé. Reconnaissons-le : depuis dix ans, les pouvoirs publics les ont accrus, pour les entreprises et les foyers, de 217 milliards d'euros !
C'est pourquoi nous avions déjà baissé les cotisations sociales, supprimé la taxe d'habitation. Peut-être ne sommes-nous pas allés assez vite, ou ne l'avons-nous pas fait assez clairement. Il faut donc aller plus loin, et le grand débat nous y incite, dans la baisse des impôts. Mais pas à n'importe quel prix. Les Français ont été très clairs sur cette nécessité, et clairvoyants sur les conditions dans lesquelles doit être menée cette priorité : la baisse des impôts ne doit pas être financée par la dette.
Nous devons, en conséquence, diminuer les dépenses publiques, comme nous le faisons depuis deux ans. Nous avons déjà réduit le déficit, de 3,5 % en 2016, à 2,5 % en 2018, puis 2,3 % en 2019...
M. Gérard Dériot. - Ouh là là !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - ... hors basculement du CICE, qui ne sera applicable qu'une seule année. En 2018, pour la première fois, la dépense publique a augmenté moins vite que l'inflation, baissant de 0,3 % en volume.
La deuxième vérité révélée par le grand débat est l'attachement des Français à leur environnement. Les Français veulent un changement, mais ils ne veulent pas pour autant être pris au piège, ni opposer la fin du mois à la fin du monde, selon l'expression du président de la République qui a fait florès... (Murmures à droite) Nous conservons l'ambition (« Ah ! » à gauche), mais nous changeons la méthode, en nous appuyant sur les multiples initiatives des territoires : la transition écologique, est, nous le savons, souvent une transition locale.
La troisième vérité est la défiance profonde envers les institutions et leurs représentants - j'ai évoqué à l'Assemblée nationale hier un mur de haine à l'égard des décideurs, qui concerne tout le monde, à l'exception peut-être des maires : syndicats, hauts fonctionnaires, journalistes, toutes les catégories d'élus. Elle s'enracine dans des échecs collectifs, et j'en prends ma part (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes SOCR et Les Républicains)...
M. Rachid Temal. - Tout de même !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - mais aussi dans des pratiques discutables, auxquelles les lois sur le financement des partis politiques, puis la loi pour la confiance de septembre 2017 ont mis un terme. Rappelons-le, car ces lois font honneur à ceux qui les ont proposées et soutenues, quelles que soient leurs sensibilités.
Pour autant, cette défiance demeure et nous devons entamer ce long et difficile chemin de réconciliation entre les Français et leurs institutions et leurs représentants. Ce grand débat nous invite aussi à construire une démocratie délibérative, plus participative, plus transparente, plus efficace. Le temps médiatique, politique, social s'accélère. On ne peut plus débattre des grandes orientations du pays tous les cinq ans. Les Français veulent être écoutés, considérés. La démocratie participative existe déjà au niveau local. Elle reste assez largement à construire au niveau national...
M. Bernard Jomier. - Le référendum !
M. Olivier Jacquin. - Eh oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Mais il faut aussi renforcer la démocratie représentative. Nous avions fait un projet de révision constitutionnelle. Je regrette que nous n'ayons pu envoyer un signal fort aux Français dès l'été dernier (Exclamations sur les bancs du groupe SOCR) Le président de la République y reviendra sans doute.
Le grand débat national a été aussi un grand débat local sur la justice territoriale, sur les relations entre les collectivités territoriales et l'État...
Mme Nelly Tocqueville. - Parlons-en !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Deux paradoxes me frappent depuis longtemps. D'abord, si la défiance envers l'État est élevée, les Français ne cessent de se tourner vers lui pour qu'il leur donne plus de droits, pour qu'il les protège. En dépit de leur appétence faible pour les nouvelles normes, l'attente est considérable. Ce paradoxe entre défiance et confiance est peut-être très français.
Second paradoxe : alors que jamais dans notre histoire la France n'a été aussi décentralisée, jamais les collectivités territoriales n'ont eu autant de moyens financiers et humains... (Rires, interruptions et protestations à droite et sur plusieurs bancs du groupe SOCR) ...
M. Martial Bourquin. - Oh !
M. le président. - Poursuivez, monsieur le Premier ministre !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - C'est un constat ! (Nouvelles protestations sur les mêmes bancs) Sur une longue période, au-delà même de la Ve République, jamais les compétences des collectivités territoriales, leur nombre d'agents ni leur budget n'ont été aussi élevés ! (Brouhaha sur la plupart des bancs)
C'était vrai il y a deux ans, il y a cinq ans : la République est plus décentralisée qu'elle l'était il y a vingt, cinquante ou cent ans.
M. Philippe Bas. - C'est faux !
M. Martial Bourquin. - On est en recul !
M. François Grosdidier. - Et l'autonomie ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Et pourtant on assiste à une crise de proximité, à laquelle il nous faut répondre.
Les Français ont exprimé leurs besoins de santé, d'éducation, de numérique, de transports, de simplicité et de proximité dans leurs relations avec les pouvoirs publics. Les maires aussi attendent que l'État soit présent mais non omniprésent. Bref, qu'il leur fasse confiance.
Les besoins sont simples à formuler, le défi immense, et les chantiers, nombreux. Commençons par réduire le clivage entre les métropoles et les communes environnantes. Depuis trente ans, nous avons su réduire le fossé entre Paris et la province. Avec succès. Mais, corollairement, les autres parties du territoire ont pu être oubliées. Pour rétablir la justice territoriale, nous devons trouver des mécanismes appropriés pour associer tous les territoires au dynamisme des métropoles, sans les pénaliser.
Plus les lieux de décisions sont proches, plus ils sont respectés. Nous prendrons des initiatives sur les couples métropole-commune et région-département. Nous poursuivrons aussi le mouvement pour rapprocher les fonctionnaires du terrain.
Nous accélérerons nos initiatives en faveur du numérique, des coeurs de ville. Nous avons décidé de mettre en chantier des tronçons de routes nationales après plusieurs décennies de pause.
Les Français sont aussi inquiets sur l'avenir de notre système de santé. C'est une question qui s'est imposée dans le débat. Qui remplacera le médecin de famille partant à la retraite, leur âge moyen étant de 63-65 ans ? Dans quel hôpital accoucher ? Une autre inquiétude s'est imposée dans le grand débat, concernant la prise en charge de la dépendance. Y-a-t-il assez de places dans les Ehpad ? Comment protéger nos aînés ? Comment soutenir efficacement contre les risques de dépendance ? Financer le reste à charge ?
Troisième sujet qui s'est imposé dans le grand débat : l'éducation et la formation. Les Français attendent des solutions adaptées aux territoires et voient en l'apprentissage la meilleure porte d'entrée dans la vie active, ce qui me réjouit.
Depuis mai 2017, nous avons engagé une relation contractualisée avec les territoires, dans la Nièvre, la Creuse, où je me suis rendu le 5 avril, les Ardennes, avec la Sambre, l'Avesnois et la Thiérache...Le pacte breton engage la région vers la différenciation qui figurait aussi dans le projet de loi constitutionnel.
Nous ferons en sorte que les réponses soient adaptées aux territoires. L'État devra également accompagner les projets locaux, comme nous l'avons fait dans la Creuse ; l'État doit savoir accompagner les projets formulés par les territoires eux-mêmes...
M. Vincent Capo-Canellas. - Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Je dirai un mot des sujets peu évoqués lors du grand débat. Le chômage et l'emploi n'étaient que sous-jacents. J'y lis une forme de résignation, ce que je ne peux accepter.
La défense, le monde et ses dangers, n'ont pas été plus abordés. À la question de savoir où faire des économies, la défense et le logement occupent les deux premières réponses. Or nous vivons dans un monde dangereux, et nous devons défendre nos intérêts. Les moyens destinés aux armées, aux magistrats, sont une impérieuse nécessité. Nous n'y renonçons pas. Les exigences nous invitent à corriger les méthodes, à tenir compte des nouvelles priorités, à changer d'échelle. Sur certains points, les remarques des Français rejoignent nos chantiers. Nous devons nous concentrer sur les mesures les plus efficaces, afin que la transformation que nous avons engagée bénéficie directement aux Français.
Le président de la République prendra le moment venu les grandes orientations. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UC) Les décisions qu'il annoncera le moment venu seront puissantes et concrètes. (Sourires et exclamations sur les mêmes bancs) Il fera état de ces choix dans certains domaines, fixera un cap dans d'autres, ainsi que des éléments de méthode. (Murmures sur les mêmes bancs)
Il est assez facile de reconnaître les consensus qui prévalent chez nos concitoyens. Mais passer du consensus sur le diagnostic au compromis démocratique est un exercice délicat.
Avec les élus locaux, les organisations syndicales et patronales, les associations, le Parlement - rien de grand ni de durable ne se fait sans les institutions - (« Ah ! » à droite) nous choisirons ce qu'il convient de faire dans le cadre de la politique contractuelle voulue par le président de la République. C'est un très grand défi que nous lancent les Français, avec de très grandes attentes et de très grandes exigences. Il nous appartiendra d'être à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)
Orateurs inscrits
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) J'ai l'impression d'avoir plus appris ces six derniers mois qu'au cours de 30 ans de vie publique - j'ai entendu aussi plus d'âneries. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)
Si « la politique est l'art d'agiter les peuples avant de s'en servir », comme disait Talleyrand (Sourires), nous avons pris une grande leçon de politique de la part des gouverneurs de ronds-points, qui ont réussi à transformer en fureur la colère de quelques dizaines de milliers de personnes et à leur faire croire qu'ils sont à eux seuls le peuple français. (Vifs applaudissements des bancs du groupe LaREM jusqu'aux bancs du groupe Les Républicains)
Il ne reste plus dans les rues le samedi que quelques agités zigzagant comme des canards décapités sur les boulevards, s'enivrant de selfies sur fond de poubelles en feu, en répétant « on ne lâche rien », sans qu'on sache d'ailleurs ce qu'ils tenaient. (Rires et applaudissements sur la plupart des bancs)
Le spectacle est navrant et pourtant, les inquiétudes sont bien réelles. La principale vertu du grand débat, c'est qu'il a remplacé les révoltés des braseros par les élus locaux qui n'ont pas honte d'employer, même si c'est encore bien timidement, deux mots qu'on n'avait pas entendus jusque-là : l'intérêt général.
Pour parler en termes freudiens, les gilets jaunes étaient le Ça, le grand débat l'ébauche du Surmoi...
Reste que les conclusions du grand débat, lettre au Père Noël, et si le président de la République ne veut pas passer pour le Père fouettard, doivent entraîner ce résultat bien français : l'explosion des dépenses publiques ! (Applaudissements au centre et à droite) Le président de la République devra rappeler l'existence du réel : nous sommes les champions du monde des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires ! (Applaudissements sur de nombreux bancs, depuis ceux du groupe Les Indépendants, jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)
Ni le constat ni les remèdes n'ont changé depuis 2017. Ils s'appellent réforme des retraites, la vraie, de la fonction publique, de l'assurance-chômage, du code du travail, de l'éducation et de la formation, urgence climatique... Si l'issue du grand débat devait être de l'oublier pour céder à tous ceux qui demandent « des annonces fortes », c'est-à-dire encore plus de dépenses, alors tout est perdu.
Le président a promis d'entendre le grand débat, c'est heureux, mais il va falloir aussi qu'il lui résiste, ainsi qu'à la désespérante tendance de ce pays à tout attendre de l'État. Ce ne sont pas les temps qui sont devenus plus durs, c'est nous qui nous sommes amollis. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
Il va nous falloir résister tous ensemble aux nuages qui s'amoncellent sur notre démocratie. Les populistes ont tous un point commun : ils prétendent démocratiser la démocratie, rendre le pouvoir au peuple et chasser les élites, responsables du mal. Le problème n'est pas français, il est global. La crise des gilets jaunes est la version hexagonale d'un péril qui s'appelle ailleurs Brexit, Salvini, Erdogan ou Bolsonaro. (Bravos sur les bancs du groupe LaREM) Elle est aggravée par une technologie numérique dont nous pensions qu'elle serait un formidable outil de dialogue, de transparence, d'information et de raison et qui s'est révélée être un redoutable instrument d'intolérance, un cauchemar orwellien dans les pays totalitaires et un déni de la vie privée chez nous, le plus grand vecteur de désinformation jamais inventé et le porteur du pire de l'émotion et de l'indignation. « Nul ne ment autant qu'un homme indigné » disait Nietzsche. Nous sommes atteints d'indignationnisme, au moment même, monsieur le Premier ministre, où certains vous demandent de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe : faire la loi en un clic, comme on s'achète un costume ! C'est la démocratie des réseaux antisociaux, avec FlyRider comme président ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur plusieurs bancs des groupes LaREM, UC et Les Républicains)
« La foule est traître au peuple » disait Victor Hugo : derrière le masque avenant du référendum d'initiative citoyenne se cache le visage plein de ressentiment du référendum révocatoire. Je comprends que l'on demande une démocratie plus participative dans une Ve République si... jupitérienne (Sourires), mais il faut trouver un équilibre : entre Montesquieu et Tocqueville d'un côté, Drouet et le boxeur du Pont des Arts de l'autre, je choisis les premiers, même s'ils n'ont pas d'amis sur Facebook ! (Applaudissements nourris sur la plupart des bancs depuis ceux du groupe SOCR jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)
Le dégagisme a contribué à l'élection du président de la République. Il en a joué, comme d'autres, et a promis de dégraisser le Parlement, même si la France compte deux fois moins de parlementaires par habitant que la moyenne européenne, non-dit du grand débat.
Le président du Sénat l'a bien compris, qui a accepté le verdict des urnes avec fermeté et discipline républicaine, en disant au chef de l'État que le Parlement était prêt à envisager un plan social, mais pas une hécatombe...(Sourires)
J'ai cru comprendre que les relations du Sénat et de l'exécutif s'étaient... rafraîchies. (Nouveaux sourires) Nous sommes assez expérimentés pour mettre un terme à une guerre qui, à l'heure du bashing des élus, ne ferait que des victimes. Je n'ai pas été transporté par le signalement de hauts fonctionnaires à un procureur. Mais, ce n'est tout de même pas la faute du Sénat si M. Benalla est le seul éléphant au monde qui se promène avec son propre magasin de porcelaine ! (Rires et applaudissements depuis les bancs du groupe SOCR jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)
Il faut sortir de cette crise qui fait tant de mal à la France et à son image. Ce sera difficile parce que le dégagisme ne s'adresse pas qu'aux parlementaires, mais à toute la classe politique, président compris, à toute l'administration, haute ou pas et même pour la première fois jusqu'à certains élus locaux. Il faut en sortir ensemble, sans démagogie et sans faiblesse, sinon c'est ensemble que nous serons balayés par les démagogues et les faibles, par tous ceux qui combattront les réformes courageuses dont la France a besoin. (Tandis qu'il regagne son banc depuis la tribune, l'orateur est longuement applaudi sur les bancs des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains)
M. Bruno Retailleau . - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le 10 décembre dernier, au pic de la crise, de la colère, face aux Français, Emmanuel Macron a avancé deux propositions : un paquet de mesures d'urgence et l'idée d'un grand débat.
Nous avons voté le paquet en un temps record, avec un sens aigu de la responsabilité. Nous savions qu'une sortie de crise ne pouvait s'opérer uniquement par la concession rituelle de dépenses nouvelles massives payées par l'endettement.
Nous savions que les perspectives d'existence de chacun et le destin de tous, plus que l'amélioration du quotidien, étaient en cause. Mais la République était fragilisée et la Nation profondément divisée ; elle l'est toujours.
L'exercice d'aujourd'hui est un peu vain. Nous ne votons sur rien. Pas de propositions puisque nous attendons celles de Jupiter... Je vous plains d'ailleurs, monsieur le Premier ministre, qui en êtes à la troisième séance de restitution cette semaine....
Était-ce vraiment un grand débat ? D'abord, ce débat était-il grand ? Quelque 500 000 contributions de Français, et non « des » Français, dont certaines copiées-collées, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas tout : c'est moins de 1 % du corps électoral français...
Ensuite, était-ce un vrai débat ? Le président de la République a parfois confisqué la parole, jusqu'à laisser croire que le débat, c'était lui...
La démocratie participative est intéressante, mais ce n'est pas tout : elle ne fait entendre que certaines paroles, et ne crée pas la condition de l'égalité parfaite car certaines voix minoritaires portent plus que d'autres. Seul le suffrage nous met à égalité : un homme ou une femme vaut une voix, voilà à quoi tenait le général De Gaulle (Applaudissements à droite), qui disait que la parole du peuple, c'est la parole du peuple souverain. Or celle-ci est trop souvent contournée, du référendum constitutionnel de 2005 à la consultation sur Notre-Dame-des-Landes.
Monsieur le Premier ministre, vous ne soignerez pas la blessure faite à la souveraineté populaire, seulement par des groupes de parole ! Au-delà du pouvoir d'achat, ce qui est en cause, c'est le pouvoir tout court, le pouvoir de chaque Français et du peuple français de maîtriser sa destinée, c'est la grande question démocratique : vous ne pourrez sortir de ce grand malaise sans une consultation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
Prendre les institutions de la Ve république comme victimes émissaires serait trop commode ! Les extrêmes ont fait 45 % des voix en 2017 en France, et à peine 45 % des voix en Italie. La France est pourtant gouvernable, l'Italie l'est difficilement. Une démocratie gouvernée est un bien public important. De grâce, pour vous sauver momentanément, touchez avec parcimonie aux institutions publiques françaises ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)
Bien sûr, il faudra recourir au référendum, mais c'est Robespierre qui disait, le 16 janvier 1793, que la volonté générale ne se représente pas. Je préfère aussi Tocqueville à Éric Drouet, quand bien même il camperait devant le Sénat...(Sourires)
M. Julien Bargeton. - Il ne fallait pas l'inviter !
M. Bruno Retailleau. - L'article premier de la Constitution dispose que la souveraineté nationale s'exerce par la voix des représentants du peuple comme par la voie du référendum. Il faudra rendre la parole au peuple, nous en sommes convaincus et ce n'est pas un gaulliste qui vous dira le contraire !
Vous ne pourrez pas dire pour vous abstraire de vos responsabilités que l'administration fonctionne mal. Les Français attendent une parole de vérité, après tant de faux-semblants, de faux-fuyants...
La vérité, c'est que l'on a tant menti aux Français, en affirmant que l'on pouvait préserver notre modèle social sans rien changer, travailler moins tout en améliorant son pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC) Si notre modèle était si parfait, l'hôpital serait-il si surchargé, l'école si profondément ébranlée ?
Oui, le grand débat est arrivé au terme et il faut en tirer les conséquences. Les classes moyennes se sont senties broyées, déclassées, victimes de la mondialisation. Il fallait naguère trois générations pour se hisser au-dessus de sa condition de naissance, il en faut à présent six !
Disons la vérité : notre économie ne crée pas assez de richesses. Nous avons besoin de plus de travail sur la table pour préserver notre modèle social. Dites sinon aux Français que vous privilégiez le modèle anglo-saxon, sans filet de sécurité en laissant les classes moyennes se débrouiller.
Madame la ministre de la Santé, vous avez eu raison sur l'âge de la retraite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
Tenez un langage de vérité sur les impôts également. Il a fallu 21 semaines de manifestations et un grand débat pour se rendre compte que les Français paient trop d'impôts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques bancs du groupe UC ; M. Stéphane Artano applaudit également.)
Vous avez cédé, enfin, sur la dépense publique, comme sur l'aspect écologique et climatique. Cette urgence, les jeunes en ont une plus claire conscience que nous.
Mais à qui fera-t-on croire que les solutions ne sont que fiscales ?
Dites la vérité enfin sur les territoires ! Vos propos sont trop statistiques, monsieur le ministre. Vous devriez passer quelques jours avec Gérard Larcher ! (Rires et applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)
La vérité, c'est que jamais les maires n'ont été si découragés ! Jamais leurs moyens n'ont été si faibles ! Jamais les structures n'ont été remembrées de manière aussi arbitraire ! (Applaudissements à droite)
Je reprends le terme d'éloignement. Nous avons créé la société territoriale de l'éloignement. L'enracinement serait l'obstacle au changement, mais, au contraire, le lieu, c'est le lien. On le sait quand on a été élu local. Or les communes sont toujours plus grandes, les régions toujours plus vastes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Nous avons tant étiré le lien géographique - et cela, nous pouvons le partager car, chers collègues, de droite comme de gauche, nous formons le Sénat de la République - que nous avons brisé le lien civique. Nous avons voulu la loi du nombre plutôt que la loi humaine. Un monde gouverné par la loi du plus fort est abominable. Mais un monde gouverné par la loi du nombre est ignoble, estimait Bernanos dans La France contre les robots. La loi du nombre n'est pas la loi des hommes. Entre la distance et la confiance, il y a une relation inversement proportionnelle : plus vous êtes loin, plus vous perdez la confiance ; plus vous êtes proches, plus vous gagnez la confiance. C'est pour cela que les maires et les sénateurs plus que le Premier ministre et le président de la République ont encore la confiance des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) Il faudra en tirer les conséquences, toutes les conséquences, sur la décentralisation, sur les compétences, sur les niveaux de subsidiarité mais aussi sur l'action de l'État. Ces grandes administrations régionales, que je connais parfaitement, cassez-les ! Amenez l'action de l'État dans la proximité, dans les départements ! Ne pensez pas, d'un côté, la décentralisation sans penser, de l'autre, l'action territoriale de l'État.
Monsieur le Premier ministre, je vais abréger vos souffrances. (Marques d'amusement sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE) Dans quelques jours, vraisemblablement, le président de la République prendra la parole. Parlera-t-il bien ? Nous lui reconnaissons un certain talent oratoire. Parlera-t-il longtemps ? Nous lui reconnaissons une forme de résistance. (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains) Mais parlera-t-il vrai et clair ? Sans courage de dire, il n'y a pas de courage de faire. Les Français en ont assez des subtilités, du « en même temps » et des pensées complexes ; ils veulent de la simplicité, la simplicité des convictions.
Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé d'espérance. Eh bien, fermez le grand débat et empruntez un chemin d'espérance, celui de la vérité que souhaitent les Français. Si vous le choisissez, vous trouverez, en retour, au Sénat, l'appui nécessaire pour relever la France et redonner confiance aux Français, au nom de la République et de la France. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; quelques sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent pour saluer l'orateur.)
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Difficile d'intervenir après deux grands orateurs d'autant que je ne ferai pas entendre la même musique.
La France qui critique, la France qui dénigre, ce n'est pas celle qui prend son destin en main. La France qui débat, c'est la République qui avance. Jamais les Français ne sont aussi français que lorsqu'ils débattent, argumentent, se rassemblent autour du bien commun. Les Français sont coutumiers du fait, ils ne se dérobent pas devant l'Histoire. Ils se sont emparés du grand débat, n'en déplaise à certains, qui a été fécond.
M. Rachid Temal. - Et coûteux : 12 millions d'euros !
M. François Patriat. - Le grand débat est un succès de participation et de propositions. Ceux qui doutaient de son utilité doutent maintenant de sa portée, ils parlent de faux débat, de déballage... Ce sont les mêmes qui n'ont pas su, par le passé, entendre les Français et répondre à leurs attentes.
M. Jean-Pierre Sueur. - « Par le passé », où étais-tu ?
M. François Patriat. - Moi, j'ai fait mon mea culpa. Amnésie, hypocrisie, cécité laissent bien peu de place à la modestie et au devoir de responsabilité alors que cette crise vient de loin.
Mme Sophie Primas. - Modestie ?
M. François Patriat. - La France a besoin d'être réparée ; de retrouver son dynamisme, sa capacité d'innovation. Oui, des Français souffrent ; nous entendons leurs attentes et, parfois, leur désespoir. Le Gouvernement leur a d'ailleurs répondu en partie. (Protestations sur les bancs des groupes Les Républicains et SOCR)
M. François Grosdidier. - Donc, tout va bien !
M. Rachid Temal. - Suppression de l'ISF, baisse des APL...
M. François Patriat. - Dois-je rappeler les mesures économiques et environnementales prises depuis deux ans ? J'en veux pour preuve le rapport de l'OCDE selon lequel les nouvelles lois sont porteuses d'avenir.
Mme Pascale Gruny. - Un rapport ? C'est tout ce que vous avez comme preuve ?
M. François Patriat. - Les Français veulent plus de justice, une plus grande défense de l'intérêt général, une juste affectation de l'argent public et une plus grande efficacité. Ce sont les promesses non tenues qui alimentent la grogne permanente qui explose en bouffées de colère. C'est pourquoi le Gouvernement tient ses engagements. Si nous devons faire davantage, nous avons déjà beaucoup fait et chacun sait, sinon ceux qui s'improvisent magiciens sans scrupules, que l'effet des mesures n'est jamais immédiat. Suppression de la taxe d'habitation pour 20 milliards d'euros, taxe sur les GAFA, 4 milliards d'euros pour la suppression des cotisations sociales, baisse des impôts pour les entreprises comme pour les ménages !
Cessons de penser que l'on peut toujours dépenser plus sans jamais économiser ; oui, monsieur Retailleau, vous avez raison. Le Gouvernement a consacré un milliard d'euros au plan Pauvreté. Lutter contre la pauvreté, c'est d'abord lutter contre le chômage, priorité du Gouvernement.
Sur la justice territoriale, monsieur le Premier ministre, nous devons aller plus loin.
Mme Michelle Gréaume. - Cause toujours !
M. François Patriat. - Déjà, les dotations de fonctionnement ont été stabilisées et les dotations d'investissement augmentées. Des clés ont été données aux administrations pour adapter leur action aux territoires. Il faut maintenant redéfinir le lien entre communes et intercommunalités en rouvrant intelligemment le chantier de la loi NOTRe. Monsieur le Premier ministre, nous avons entendu l'engagement et la fermeté de votre Gouvernement pour répondre à ces urgences. Nous devons poursuivre les réformes. Oui à la baisse des impôts, oui à la proximité, oui à la réduction de la dépense publique, oui à une société du travail qui paie.
M. Rachid Temal. - C'est la lettre au père Noël !
M. François Patriat. - Si les Français ressentent que les injustices se creusent, il faut mieux indiquer le sens des mesures qui sont prises pour y remédier. Monsieur le Premier ministre, nous serons à vos côtés. Progresser, ce n'est pas s'entêter et critiquer ; c'est écouter, comprendre et agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe Les Indépendants)
Mme Éliane Assassi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE) La première année du quinquennat de Macron, placée sous le signe du « tout pour la finance », semblait consolider un grand fatalisme comme si la résistance ne pouvait s'organiser. La voie semblait libre pour les apprentis sorciers du CAC 40, ces partisans d'un nouveau monde sans droits, sauf pour les plus forts. Et voici que le jupitérisme et le jusqu'auboutisme du président de la République, symbolisé par la suppression de l'ISF, ont fait exploser la colère qui s'exprime depuis cinq mois.
Les discours sans fin, les « en même temps » permanents, les petites phrases méprisantes à l'égard du peuple ont accompagné cette politique de démolition méthodique des derniers vestiges du modèle social français hérité du Conseil national de la résistance.
Depuis des décennies, la solidarité recule en France. Des droits sociaux fondamentaux, droit au travail, droit à la santé, droit à l'éducation ou encore droit à une retraite digne, sont aujourd'hui bafoués. Cela a conduit à une crise profonde qui est économique et sociale mais aussi politique comme dans l'ensemble du monde occidental. Sa source se trouve dans la primauté de l'argent sur l'humain. Emmanuel Macron a prôné un nouveau monde ; il a vite dévoilé son vrai visage, celui d'un régime libéral à l'autoritarisme croissant abusant des coups de com pour masquer de grands bonds en arrière.
La longueur de la secousse sociale souligne la profondeur de la souffrance. Aux actes illégaux de quelques-uns, que nous avons dénoncés avec force, vous avez, monsieur le Premier ministre, répondu par une répression brutale et disproportionnée. Pas un mot sur les blessés et les estropiés. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » Cette souffrance, vous ne l'avez pas évoquée, même d'un souffle.
À peine 1 % du corps électoral a participé au grand débat. Quant aux rencontres régionales, 8 à 9 personnes sur 10 ont refusé d'y participer. Pas question de rétablir l'ISF, pas question de créer le RIC... Faire passer ce grand débat pour l'expression du peuple est sidérant. « Plus c'est gros, plus ça passe » pourrait être votre devise, monsieur le Premier ministre et celle du président de la République... Qui a participé ? Ni les jeunes ni la France qui souffre. Le grand débat, c'est une belle photographie que vous voulez nous vendre pour légitimer votre fuite en avant libérale. Alors que 77 % des sondés sont favorables au rétablissement de l'ISF, seuls 10,3 % des contributeurs au grand débat le sont. Alors que 90 % des sondés veulent la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, seuls 13 % des contributeurs le sont. Alors que plus de 80 % des sondés sont favorables au RIC, seuls 5,8 % des contributeurs le sont. Quel décalage ! Ces chiffres montrent bien que ce grand débat tourne à la grande entourloupe.
Quelle hypocrisie de parler d'écoute alors que vous vous obstinez à brader au privé Aéroport de Paris et la Française des Jeux. Écoutez le peuple, oui, et une bonne fois pour toutes. Je vous mets au défi d'organiser un référendum !
Vous évoquez, avec des trémolos dans la voix, le service public alors que vous vous apprêtez à démolir le statut la fonction publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE) Suppression de 120 000 fonctionnaires !
Monsieur le Premier ministre, le piège s'est refermé sur vous. (M. le Premier ministre en doute.) Si, si ! Vous ne pouvez pas répondre aux attentes de la population si vous appliquez le programme d'Emmanuel Macron. Pour preuve, la petite musique de la nécessaire réduction des dépenses publiques se fait déjà entendre. Jamais vous n'évoquez la scandaleuse évasion fiscale et l'enrichissement sans fin des détenteurs de capitaux. Logique, vous êtes là pour les servir.
Avec Emmanuel Macron, vous prenez le risque d'attiser la colère du peuple et de susciter le désarroi, voire la haine. Une idée devient une force lorsqu'elle s'empare des masses et les masses, monsieur le Premier ministre, ont beaucoup d'idées. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur la plupart des bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Notre pays a connu deux phénomènes inédits : gilets jaunes d'abord, grand débat ensuite. Sans les gilets jaunes, qu'il ne faut pas mépriser, il n'y aurait pas eu de grand débat.
Vous avez pris le risque de qualifier de « grand » ce débat avant qu'il n'ait lieu. Saluons, nous qui déplorons suffisamment l'abstention, l'envie des Français de s'exprimer et de faire des propositions. Socialistes, attachés au débat démocratique, nous avons participé aux réunions. Nous avons également organisé une consultation auprès des Français de l'étranger, qui a recueilli plus de 16 500 réponses ; les préoccupations qui en ressortent sont similaires à celles qui se sont exprimées dans l'Hexagone.
Le débat aurait pu n'avoir jamais lieu, il a été organisé sous contrainte. Sans la poussée de fièvre des Français, la taxe carbone serait toujours là, comme la hausse de la CSG pour les retraités modestes.
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Patrick Kanner. - Vous n'êtes toutefois pas revenu sur la désindexation des retraites. Ces mesures étaient demandées par la gauche depuis des mois. Elles auraient pu intervenir plus tôt pour éviter la paralysie du pays, (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) il a fallu que les Français vous les arrachent. Les 10 milliards d'euros déboursés ont répondu à quelques symptômes, mais sans mettre un terme à la fièvre. La France attend des réponses. La décevrez-vous ?
Vous refusez d'entendre la demande de service public partout sur le territoire, alors que le sentiment d'éloignement s'accroît, alors que les familles monoparentales, les personnes âgées, les personnes isolées, les personnes loin des grands centres urbains se sentent oubliées.
Comment redonner confiance aux Français alors que votre politique a perdu toute crédibilité ? Une grande conférence sociale, territoriale et environnementale s'impose, nous vous l'avions proposée. D'autant que, dans le grand débat, Emmanuel Macron fait à la fois office de sélectionneur, d'arbitre, de gardien de but, d'avant-centre et de commentateur. (Rires) C'est une raison supplémentaire pour vous pousser dans les bras des corps intermédiaires. Personne n'a intérêt, dans cet hémicycle, à ce que vos conclusions créent une nouvelle crise : écoutez-nous ! Comme sur la privatisation d'ADP, vous ne pouvez pas avoir raison partout, tout le temps contre tout le monde. Avec le grand débat, le président de la République a gagné du temps, espérons qu'il ne nous fasse pas perdre le nôtre.
Le grand débat a souligné l'importance de la question des services publics. La question était d'ailleurs posée sous le seul angle budgétaire, rien sur son intérêt social, économique et environnemental. La question des services de santé a animé bien des réunions, notamment en outre-mer, trop souvent oublié. Lorsque nous constatons que l'éloignement des services de santé entache les statistiques sanitaires, c'est qu'il est déjà trop tard. Les services publics ont un coût mais aussi une valeur. Et les plateformes numériques ne peuvent pas tout remplacer, surtout quand de nombreux Français n'ont pas accès à Internet.
Le besoin de plus de proximité est l'un des premiers enseignements de ce débat, sur tous les plans, y compris le plan démocratique. Nous voulons nous faire les porte-voix de ceux qui veulent une meilleure répartition des pouvoirs dans notre pays. Elle passe par un nouvel acte de décentralisation pour plus d'autonomie fiscale et économique des collectivités territoriales, y compris des communes. Les collectivités territoriales doivent être à même de gérer de grands projets. D'ailleurs, nous n'avons aucune information sur la participation de l'État au Canal Seine-Nord Europe. Défendons la gestion de la formation et l'apprentissage par les régions. Vous ne faites pas confiance à l'intelligence des élus locaux. Notre démocratie représentative est le meilleur système mais elle est mûre pour mieux inclure nos concitoyens, au-delà du référendum binaire.
Enfin, l'écologie. Notre époque doit prendre des décisions fondamentales pour les prochaines générations. Les jeunes ont préféré battre le pavé pour l'environnement que de participer au grand débat. Les technologies pour protéger l'environnement, le soutien populaire sont là mais il manque la volonté politique.
J'aurais pu aborder d'autres sujets. Un jour, nous ferons le bilan de nos mauvaises mesures fiscales. La stagnation des salaires mériterait une conférence entre tous les acteurs.
Les sujets portés par le débat sont infinis mais les réponses ne pourront pas l'être. Vous devez apaiser. Hélas, monsieur le Premier ministre, vos déclarations restent anxiogènes sur bien des sujets : âge de départ à la retraite, ressources des collectivités territoriales, libertés publiques, (Mme Françoise Gatel marque son agacement.) école, logement, laïcité... Pour reprendre vos propres mots, monsieur le Premier ministre, continuez de bien écouter pour bien entendre. La paix sociale ne peut se passer de justice sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Le temps de la démocratie n'est ni celui des médias ni celui de la rue. En République, on ne légifère pas sur les ronds-points disait Claude Malhuret, mais par les représentants des peuples. Mais nous vivons depuis plusieurs mois des samedis de manifestations. Certaines réactions défient les Lumières ! Il souffle en Occident le vent mauvais des populismes - États-Unis, Italie, Pologne, Hongrie.
Des colères se sont exprimées avec véhémence, parfois avec une violence que nous condamnons. Les gouvernements successifs portent la responsabilité de cette situation.
Il est bien que cette colère ait pu être transformée en mots. C'est d'ailleurs sur le concept d'agora que fonctionne aussi le Parlement. Les 2 millions de contributions ne sont pas surprenantes pour nous qui avons été élus locaux. Les Français demandent une fiscalité plus juste, des services publics mieux répartis, une démocratie plus transparente et inclusive, une transition écologique non punitive. Il faut maintenant répondre à leurs attentes. Mais on ne peut pas à la fois baisser les impôts et renforcer les services publics...
« Hésiter serait pire qu'une erreur, ce serait une faute. », avez-vous dit, monsieur le Premier ministre. Ne rien faire serait une faute, oui, mais continuer comme avant le serait plus encore. Les Français ne veulent plus d'un pouvoir vertical et déconnecté. Nous serons à vos côtés pour rétablir des services publics de contact, loin des chimères de la dématérialisation, pour rapprocher les territoires périphériques des métropoles et garantir la dignité du travail.
Le groupe RDSE a toujours porté ces valeurs. Elles nécessitent des mesures simples et pragmatiques. L'heure est venue de mettre à jour notre logiciel démocratique, dans le respect de nos principes républicains. Pour cela, les institutions de notre démocratie représentative doivent exercer leurs missions ; à savoir, débattre, confronter les idées, faire des propositions et voter. Notre groupe RDSE, dans toute sa diversité, y prendra sa part. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe LaREM)
M. Philippe Adnot . - Je vous avoue qu'à l'annonce du grand débat, j'étais perplexe. Il y a eu les gilets jaunes qui ont exprimé des revendications contradictoires, les rencontres du président de la République, les interventions par internet, les cahiers de doléances ; pas de débat dans tout cela, à la différence des réunions locales, encore que les Français qui y ont participé n'étaient pas forcément représentatifs. Monsieur le Premier ministre, on ne peut pas dire qu'avant le grand débat, il n'y avait pas de prise en compte de l'attente de nos concitoyens. Chaque semaine, nous rencontrons et écoutons nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR) Vous auriez dû nous entendre lorsque nous vous demandions de renoncer à la hausse des taxes sur les carburants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Un vrai débat est non seulement contradictoire mais son but est aussi de rechercher la cohérence. Or on a entendu des demandes parfois opposées : moins d'impôts mais davantage de services publics. Durant le grand débat, rien non plus sur les questions européennes et internationales, si importantes.
Mon scepticisme provenait aussi de la difficulté à réaliser la synthèse. Je craignais des réponses écrites d'avance, un mauvais coup pour la démocratie réelle. Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore des fausses bonnes idées ! Dans Libération, (Exclamations amusées sur les bancs du groupe Les Républicains) j'ai pris connaissance des propositions de certains députés. On ne peut faire croire que le tirage au sort pourrait remplacer l'élection et le travail mené quotidiennement par les élus. La démocratie du hasard ne peut remplacer la véritable démocratie !
J'attends avec impatience les propositions du Gouvernement. J'espère qu'elles ne décourageront pas ceux qui travaillent, qui assument et qui font la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Hervé Marseille . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La République est fragile. Des milliers de casseurs ont saccagé des quartiers, jusqu'à la tombe du soldat inconnu, et bafoué notre démocratie. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle inversion des valeurs lorsque la violence des manifestants est excusée et les forces de l'ordre mises en doute ! Cela aurait été une bonne entrée dans le grand débat.
Le Gouvernement assure que c'est un succès mais les gilets jaunes de novembre n'ont pas assisté aux réunions ; quant aux manifestants professionnels, ils nous disent, chaque samedi, le pavé à la main, qu'ils ne jouent pas le jeu du dialogue. Je remercie toutefois les élus qui ont organisé les réunions et les Français qui y ont participé. Pour autant, les contributions ne reflètent pas toutes les opinions.
La légitimité démocratique est à l'Élysée, au Parlement, dans les mairies. Oui au droit de pétition, non au mandat impératif !
Peu a été dit lors du grand débat sur la justice, la sécurité, l'Europe ou l'innovation. Ces sujets sont pourtant essentiels. Pour autant, les élites vilipendées ne doivent cependant pas se contenter des contradictions du grand débat. Les sentiments d'abandon, d'injustice, le manque de considération sont réels.
Notre groupe est un fervent soutien de la décentralisation. Nous appelons à un acte III. Il faut aussi déconcentrer mais ouvrir des espaces de différenciation pour adapter les politiques aux territoires. Mais cela suscitera des débats très français sur l'égalité... Les disparités peuvent être encadrées par le législateur et le souci d'unité républicaine.
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Hervé Marseille. - La fiscalité doit être rendue plus lisible. Il faut aussi s'interroger sur son efficacité. Des incohérences minent en effet notre contrat social.
Mais il serait sans issue de se concentrer sur les seules inégalités. Il faut créer de la croissance pour assurer le financement des mesures de lutte contre les inégalités sanitaires et scolaires. Apprendre à lire et à compter, être protégés contre les délinquants, être vite et bien soignés, tels sont les premiers services à rendre aux Français les plus démunis.
Nous demandons au Gouvernement de se concentrer sur la poursuite de réformes maintes fois anéanties par conservatisme. Nous attendons ses propositions pour en débattre. Nous appelons le Gouvernement à poursuivre les réformes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Je remercie les orateurs pour la qualité et la mesure de leurs propos. J'ai vu des débats moins respectueux. J'ai peu de choses à ajouter au propos du président Malhuret. Je remercie le président Patriat pour son inconditionnel soutien. (Rires ironiques sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR) Dans l'épreuve, un soutien fidèle est important. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Je partage bien des propos du président Marseille.
Le grand débat était-il vraiment grand ? Était-ce vraiment un débat ? Faut-il en être fier ou faut-il se méfier ? À son lancement, beaucoup doutaient de l'envie des Français d'y participer et de notre capacité à l'organiser. Il y a toujours un biais dans ce type d'exercice : tous nos concitoyens ne s'expriment pas spontanément dans une réunion ou sur internet. De même lorsque nous mettons un cahier à disposition dans nos mairies, nous savons que tous ne viendront pas le remplir.
Nous avons souhaité que les voies d'accès au grand débat soient les plus diversifiées, de façon à réduire les biais. Les garants ont estimé que cela avait permis la réalité et l'intérêt du débat.
Nous savons tous ici, pour l'avoir vécu, ce que représente l'organisation de réunions publiques. En deux mois, nous en avons organisé plus de dix mille - dans des grandes villes comme dans des petites communes, avec trente ou cinq cents personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette mobilisation est à saluer. Deux millions de Français se sont exprimés : ils sont au moins aussi légitimes que les 30 000 personnes qui manifestent le samedi avec la violence pour seule revendication. Ils ont voulu se saisir d'un espace démocratique. De ce point de vue, le grand débat est un grand succès.
Comme M. Retailleau, je suis attaché aux institutions de la Ve République. Le président de la République en est la clef de voûte. Il lui reviendra donc d'annoncer les décisions qui seront prises à l'issue du grand débat. Il suscite de grandes attentes. Si les espoirs de M. Adnot sont limités, les miens sont immenses !
M. Retailleau nous demande de mettre le travail au coeur de notre politique. C'est exactement ce que nous faisons, pour que le travail paye plus que l'inactivité, que le retour à l'activité soit rémunérateur. Car une société s'élève par le travail, comme l'épanouissement individuel passe par le travail.
J'ai été maire du Havre et je ne pourrais jamais l'oublier. Je me souviens d'une réforme de décembre 2010 qui obligeait les communes à se regrouper.
M. Bruno Retailleau. - Cinq mille habitants !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Aujourd'hui, certains regrettent ces regroupements forcés, mais le mouvement avait été engagé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Je me souviens de la réforme d'août 2015, réorganisant l'organisation territoriale. Nous l'avons dit, il n'y aura pas de nouveau big bang territorial, nous laissons aux collectivités territoriales le temps de digérer des transformations massives et parfois brutales. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Kanner juge anxiogène l'attitude du Gouvernement en matière de financement des collectivités territoriales. Je me souviens, une semaine après les municipales de 2014, de l'annonce de la baisse massive et régulière des subventions aux collectivités territoriales - baisse non pas anxiogène, mais mortifère ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, RDSE et UC)
Nous avons fait le choix de mettre fin à la baisse mortifère des dotations au profit de la stabilité.
M. Martial Bourquin. - Elles baissent encore !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Merci au président Requier d'avoir relevé l'ancienneté de la colère et de ses causes. Oui, les expressions sont diverses, voire contradictoires. La France aime le débat, ce n'est pas un pays de consensus - mais il est possible de construire un compromis démocratique.
Renvoyer à une grande conférence, comme le propose M. Kanner, ne suffira pas à répondre aux exigences des Français. Ces grandes conférences sont parfois utiles, mais débouchent rarement sur des solutions majeures. Pour aboutir à un compromis qui pourra être mis en oeuvre avec constance, il faut travailler avec les parlementaires, avec les corps intermédiaires...
M. Patrick Kanner. - Enfin !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - L'exercice prendra du temps. Malheureusement, comme nous vivons au rythme du temps médiatique, il y aura toujours des insatisfaits. Mais c'est la seule voie pour atteindre les objectifs que définira le président de la République le moment venu. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants ; M. le Premier ministre s'apprête à quitter la tribune.)
Mme Laurence Cohen. - Vous ne répondez pas à Mme Assassi ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Veuillez excuser cet oubli...
Mme Laurence Cohen. - Révélateur !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Je m'en veux ! Merci à la présidente Assassi de son discours vigoureux, qui ne m'a pas surpris. Nous avons eu un grand débat, ce fut, à mes yeux, un grand succès.
La conjugaison entre démocratie représentative et démocratie participative est un sujet compliqué. La participation, l'expression directe sont nécessaires. Le pouvoir est dans les masses, disait un dirigeant chinois...
Mme Éliane Assassi. - Karl Marx !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Il a été repris...
Pour défendre notre démocratie représentative, nous devons lui donner le dernier mot tout en lui permettant de se nourrir d'autre chose que d'elle-même, en faisant une place à d'autres canaux d'expression. L'équilibre est délicat.
Le projet de référendum d'initiative partagée sur un texte longuement débattu tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale donnera à la défense de la démocratie représentative une saveur particulière. Nous aurons l'occasion d'en reparler. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)
La séance, suspendue à 18 h 40, reprend à 18 h 50.
Débat interactif
M. le président. - Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents. Chaque orateur dispose d'une minute trente maximum. Je serai intraitable !
M. Philippe Mouiller . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La crise des gilets jaunes a remis en lumière la crise de notre modèle social, base de notre pacte national. Son financement est déséquilibré car la base contributive diminue sans cesse, ce qui fait que certains paient toujours plus. Or les besoins n'ont jamais été aussi forts. La paupérisation de ceux qui ont travaillé toute leur vie est intolérable, tout comme la régulation des soins par la pénurie. Le financement de grands sujets comme le handicap ou la dépendance est renvoyé à plus tard.
Les premières mesures du Gouvernement en matière de santé et de retraites ne vont pas forcément dans le sens de la solidarité. La vérité passe par la valeur travail, non par la dette et les déficits. Il faudra poser la question des 35 heures et de l'âge du départ à la retraite. Le Gouvernement est-il prêt à porter ce discours ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Il est important de rassurer les Français sur notre modèle social, exceptionnel, qui est notre bien commun. Nous avons l'ambition de l'améliorer encore avec la couverture de nouveaux risques : grand âge, perte d'autonomie, dépendance. Il faut affronter en face le problème du vieillissement et des besoins de santé supplémentaires qu'il entraîne.
Je ne peux vous laisser parler de gestion par la pénurie. Cela, ce sont les choix des années 90, dont nous voyons aujourd'hui les résultats.
Nous, nous ouvrons le numerus clausus et augmentons les dépenses de santé, avec un Ondam à 2,5 % en 2019. Nous sommes en chemin pour améliorer la protection sociale ; les branches retraite et famille sont à l'équilibre et c'est presque le cas de la branche maladie. Le grand enjeu sera celui de la dépendance.
M. Julien Bargeton . - Le prix des députés a été remis à Pierre-Henri Tavoillot pour son livre Comment gouverner un peuple-roi ? J'aimerais pour ma part poser la question suivante : comment gouverner le numérique-roi ? Le mouvement des gilets jaunes a traduit une fracture territoriale liée à une numérisation de l'économie qui favorise les métropoles. Le numérique, c'est le smartphone, la géolocalisation, le traitement massif des données, l'interaction sur les réseaux sociaux - mais aussi les appels à manifester de façon masquée. Cette révolution a aussi rendu possible le mouvement des gilets jaunes. Comment mener des politiques publiques dans un monde numérique ? Comment faire de cet outil parfois cauchemardesque un levier, au niveau local et national, pour faire de la politique autrement, pour rêver tous ensemble ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)
M. le président. - Pour répondre, la parole est à M. Cédric O, pour sa première intervention dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique . - Le numérique peut être un outil utile au service de la démocratie - et sur ce plan les collectivités territoriales ont un coup d'avance. Il permet d'associer les citoyens en libérant la parole. Il y a à cela deux prérequis : d'une part, l'existence de règles pour encadrer l'expression de la parole, de décence ou de non-manipulation de l'information ; il faut, d'autre part, que les gens aient accès à internet. Nous oeuvrons pour cela à réduire la fracture numérique. C'est la mission de Jacqueline Gourault et Julien Denormandie. Il faut former nos concitoyens aux outils numériques, organiser la présence de l'État sur le territoire afin d'assurer l'accès de tous à internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Pascal Savoldelli . - Depuis cinq mois, nos citoyens se mobilisent contre des mesures fiscales injustes et nous interpellent sur l'ISF et la TVA, absents de votre discours de cet après-midi, monsieur le Premier ministre. Avec la suppression de l'ISF, vous privez l'État de 3,2 milliards d'euros et faites un cadeau aux plus riches. Et ne me parlez pas de l'IFI, quand 80 % de l'ISF était du patrimoine mobilier ! Allez-vous écouter les Français et rétablir cet impôt ?
Quant à la TVA, elle est injuste. Corinne, d'Ivry-sur-Seine, me demande pourquoi le savon, le dentifrice, les pâtes, les protections hygiéniques sont trop chers. La TVA à taux zéro sur les produits de première nécessité, ce n'est pas seulement « intellectuellement possible », c'est urgent ! Qu'allez-vous répondre à nos concitoyens ? Et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances . - La première mesure de justice fiscale est de baisser les impôts, qui ont augmenté pour les ménages de 10 milliards d'euros par an, de manière continue, entre 2009 et 2017. C'est ce que nous avons commencé à faire. Notre politique, c'est de récompenser le travail - baisse des cotisations, défiscalisation des heures supplémentaires...
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas la question !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous souhaitons diminuer davantage les impôts, et donc diminuer davantage la dépense publique.
L'intégralité des produits de première nécessité est taxée au taux le plus bas, à 5,5%. Faut-il aller plus loin ?
M. Pascal Savoldelli. - Oui ou non ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Baisser la TVA coûte très cher aux finances publiques mais ne rend que quelques centimes aux consommateurs. Ce n'est pas le meilleur moyen pour rendre du pouvoir d'achat aux Français.
M. Pascal Savoldelli. - Intéressant !
Mme Laurence Cohen. - Pas de réponse sur l'ISF ?
Mme Angèle Préville . - Les Français demandent à pouvoir vivre décemment de leur travail : ils n'en peuvent plus de devoir compter chaque euro, être à découvert chaque mois, s'endetter pour payer leurs factures, renoncer aux loisirs. Les inégalités sociales se creusent.
Les réponses que vous devez apporter devront concilier justice sociale et transition écologique. Pas moins de 8,8 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, soit 1 026 euros par mois, et sont écrasés par leurs dépenses de logement. Les locataires modestes subissent une double peine : assignation à des logements moins-disants et énergivores - 7,4 millions de foyers sont mal isolés - et difficultés à financer les dépenses courantes. Ils subissent les conséquences d'un marché insuffisamment réglementé. La justice, c'est anticiper les problèmes, non panser les plaies.
Quelles mesures comptez-vous prendre en faveur du pouvoir d'achat des plus modestes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement . - Le problème du logement est majeur ; il peut représenter jusqu'à 40 % à 50 % des dépenses mensuelles des ménages. Nous devons construire plus de logements accessibles, sociaux ou très sociaux. Nous devons encore faire diminuer le niveau des charges, en jouant sur l'efficacité énergétique. Les aides existent ; elles sont à la vérité pléthoriques. J'ai demandé à mes services de me les lister en une page : ils n'ont pu faire à moins de quatre pages !
Avec M. de Rugy, nous travaillons à simplifier tout cela. La plateforme que nous avons lancée, faire.fr, joignable au 0808 800 700, y contribuera. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Depuis la royauté, la France s'enorgueillit d'accorder l'asile aux persécutés. Depuis la République, elle mène une politique d'assimilation et d'intégration. Or ces deux modèles sont à bout de souffle. Le droit d'asile est détourné et l'intégration se heurte au problème du nombre et du communautarisme.
Le Sénat a fait des propositions pour une réforme du droit d'asile, une meilleure maîtrise de l'immigration au moyen de quotas, une politique européenne plus ferme, un meilleur contrôle des frontières. Quand on reçoit des étrangers en France, ils doivent respecter les règles de la République ; en contrepartie, nous mettons les moyens pour les intégrer.
Défendre la République, c'est défendre un modèle de la nation, une vision de la société française. Allez-vous enfin mener une politique ferme, mais juste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - L'asile, c'est en effet ce qui fait la France, au-delà des clivages politiques. Merci d'avoir distingué les migrants économiques des réfugiés. Nous devons être à la fois fermes envers ceux qui ont vocation à repartir et généreux envers ceux qu'il faut protéger et intégrer.
Avons-nous réussi l'intégration ces trente dernières années ? Non. L'an dernier près de 36 000 personnes ont reçu le statut de réfugié. Leur intégration passe d'abord par l'apprentissage de la langue française, essentiel pour éviter le repli sur soi et le communautarisme. Depuis le 1er mars, nous avons doublé les heures de cours financées, jusqu'à 600 heures, et le budget de l'intégration a été augmenté de 37 %, soit 137 millions d'euros.
Mme Nathalie Delattre . - Depuis novembre, le mouvement des gilets jaunes a rendu visible la défiance des Français à l'encontre des mécanismes démocratiques. Se sentant déconnectés de l'élaboration des politiques publiques, les Français réclament d'être davantage impliqués dans le processus de décision. Monsieur le Premier ministre, vous avez nommé 700 médiateurs du grand débat, pour transformer une contestation violente en consultations constructives. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?
J'ai déposé avec 57 sénateurs une proposition de loi visant à institutionnaliser la médiation territoriale. Y serez-vous favorable ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Votre question porte sur l'importance de la citoyenneté et sur la vitalité de son exercice, inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La mobilisation des gilets jaunes témoigne de la volonté de revivifier cette expression. Instiller de la démocratie participative dans la vie politique peut se faire de diverses manières et à plusieurs niveaux. Je ne sais si votre proposition mérite d'être imposée par la loi, mais la pratique mérite d'être développée. L'important c'est que cette participation tourne toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
M. Hervé Maurey . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La crise des gilets jaunes a été déclenchée par une hausse forte, trop forte, de la taxe carbone, sans explication ni accompagnement, qui ne visait qu'à remplir les caisses de l'État. Nous avons très vite alerté le Gouvernement et rappelé que la fiscalité écologique devait être incitative et non punitive. Vous ne nous avez pas écoutés et avez dû in fine renoncer à cette augmentation - trop tard, hélas, pour calmer la colère populaire.
Certains pays ont mis en place une fiscalité écologique acceptée et efficace. À la lumière de cet épisode et face à l'exaspération fiscale, quelle est votre vision de l'avenir de la fiscalité écologique, sans laquelle il ne saurait y avoir de transition écologique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je ne partage pas votre analyse. La crise des gilets jaunes a été déclenchée non par la hausse de la taxe carbone, mais par celle du prix du carburant à la pompe, en octobre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) À l'époque, la fiscalité n'avait pas encore été augmentée ! Si l'annonce de la suspension de la hausse de la taxe carbone n'a pas calmé les gilets jaunes, c'est que leurs revendications portaient plus largement sur le pouvoir d'achat, les revenus, la fiscalité dans son ensemble.
La taxe carbone, créée en 2013, mise en oeuvre en 2014, augmentait tous les ans, s'ajoutant à d'autres impôts que les Français trouvent trop élevés. Nous en avons interrompu la trajectoire. Si nous devions la reprendre, il faudrait revoir la transparence, l'affectation des recettes et l'accompagnement social.
Mme Colette Mélot . - Marche du siècle, grève scolaire pour le climat... Inscrire la sensibilisation à la transition énergétique dans les programmes du primaire serait un début.
La rénovation énergétique du parc de logements, notamment ancien, est l'un des moyens les plus efficaces pour diminuer la consommation énergétique à la source. Environ 4 milliards d'euros sont mobilisés chaque année pour la rénovation de l'habitat ; l'objectif est d'éradiquer les passoires thermiques d'ici 2025, mais il faudrait aller plus vite. Les ménages se perdent dans les différentes aides proposées. Quelles actions concrètes comptez-vous engager pour rendre les outils existants plus lisibles, incitatifs et attractifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)
M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - L'énergie la moins chère et la moins polluante est celle qu'on ne consomme pas. La transformation écologique des logements est une source de gains de pouvoir d'achat en ce qu'elle fait baisser la facture de chauffage. Cela suppose de mobiliser des moyens, d'accompagner les ménages.
Exemple de transformation réussie : grâce aux LED, qui ont remplacé les ampoules basse consommation ayant elles-mêmes succédé aux ampoules à incandescence, la consommation liée à l'éclairage a baissé de 25 % à l'échelle nationale !
Avec Julien Denormandie, nous travaillons à simplifier les dispositifs - c'est l'objectif de la plateforme faire.fr. Au 1er janvier, nous avons lancé l'opération « chaudière à 1 euro ». C'est un test grandeur nature, pour que les opérateurs aillent au-devant des Français.
M. Alain Milon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La santé s'est imposée de manière imprévue dans le débat. Le constat ? L'hôpital connaît une crise existentielle liée à des coupes budgétaires sans précédent aggravée par la désorganisation liée aux 35 heures, tandis que les soins de ville souffrent de la désertification médicale. L'objectif ? Un médecin-traitant pour tous, un rendez-vous avec un spécialiste dans des délais raisonnables, des hôpitaux mieux organisés, un personnel serein.
Force est de constater que votre projet de loi Santé ne va pas dans ce sens. Le projet territorial de santé aggrave le millefeuille. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont un modèle centralisateur uniforme, peu adapté à la diversité de nos territoires. Pourquoi le Gouvernement s'obstine-t-il à augmenter le temps administratif des médecins, au lieu de leur rendre du temps médical ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - L'objectif de ce projet de loi est bien de rendre du temps médical aux médecins, tout en maillant les territoires avec un juste partage des tâches entre les professionnels de santé. C'est le rôle des CPTS, qui encouragent la coordination entre ces derniers pour une meilleure prise en charge.
M. Retailleau a prôné la différenciation. Chaque territoire fera son diagnostic et définira son propre projet territorial de santé en fonction de ses besoins de santé. Ce texte n'est en rien un texte normatif ou administratif. C'est au contraire un texte de confiance envers les territoires et les professionnels qui leur donne les moyens de répondre aux besoins de santé des Français.
M. Didier Rambaud . - Le millefeuille administratif a souvent été évoqué dans le grand débat. Les Français ont dit leur attachement à la commune et au département, mais aussi leur ressentiment envers les très grandes régions.
M. Lecornu a mis en avant la piste du conseiller territorial qui permet de réduire le nombre d'élus sans pour autant remettre en cause le conseil départemental ni le conseil régional comme l'avait envisagé le gouvernement Fillon.
Je partage cette position. Le conseiller régional n'a jamais eu la légitimité du conseiller départemental. Mais quel serait le mode d'élection d'un tel conseiller territorial ? Dans ma région, choisir le canton comme circonscription produirait une assemblée de 346 membres ! Ce mandat exigeant sera-t-il compatible avec un autre mandat, municipal ou intercommunal ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - En effet, nos concitoyens jugent notre organisation administrative trop complexe et ne savent pas où trouver le bon interlocuteur. D'où l'idée d'un guichet unique. De même, la région peut sembler trop éloignée, mais le département n'a pas toujours la compétence pour agir. Bref, nous devons simplifier la vie administrative locale.
L'hypothèse du conseiller territorial est intéressante mais soulève en effet des questions. Il faudra veiller à garantir la parité tout en évitant l'explosion de la taille des assemblées locales et en préservant l'ancrage local des élus.
M. Fabien Gay . - Notre devise républicaine, « Liberté, Égalité, Fraternité », est remplacée par « Libéralisation, Concurrence, Privatisation ». Pourtant, les gilets jaunes refusent que l'on confie au privé nos biens communs.
La concurrence devait entraîner baisse des prix et meilleur service. Or les prix augmentent pour des usagers devenus des clients - celui de l'électricité a bondi de 6 % cette année - les salariés sont une variable d'ajustement et les profits s'envolent au bénéfice des actionnaires.
Les Français sont contre la privatisation des barrages hydroélectriques et pour la renationalisation des autoroutes. Ils s'opposent à la privatisation d'ADP ; c'est un enjeu de souveraineté nationale, de sécurité et d'aménagement du territoire. L'an dernier, ADP a versé 180 millions d'euros à l'État actionnaire. Plutôt que d'engraisser les actionnaires de Vinci, ces dividendes devraient venir financer nos hôpitaux et nos écoles !
Monsieur le Premier ministre, pourquoi vous entêter à privatiser ADP au profit des riches plutôt que de défendre nos biens communs qui sont le patrimoine de ceux qui n'en n'ont pas ? Si vous êtes si sûr de vous, organisez donc un référendum ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances . - Au terme d'une dizaine d'heures de débat parlementaire, nous avons renforcé les garanties, sur le tarif, l'environnement, le foncier, la gestion, les investissements et le cahier des charges. Les garanties sont plus solides même qu'avant le projet de privatisation ! (Exclamations à gauche)
Vous avez annoncé que vous demandiez un référendum d'initiative partagée, dans un attelage étrange qui préfigure sans doute un programme commun entre Les Républicains, le parti socialiste et le parti communiste... (Vives protestations sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains, les huées couvrant la voix du ministre qui s'interrompt.)
M. Vincent Éblé. - Ce n'est pas à la hauteur du débat !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je constate que, dans leur sagesse, ni le président du groupe Les Républicains au Sénat, ni son homologue de l'Assemblée nationale ne se sont associés à cette initiative qu'ils ont sans doute jugée surprenante, voire déplacée. (Protestations sur les bancs du groupe SOCR)
Je constate que vous affaiblissez la démocratie représentative en demandant un référendum faisant fi des dizaines d'heures de débats parlementaires, avant même que le projet de loi ne soit voté.
M. Rachid Temal. - C'est honteux!
M. Bruno Le Maire, ministre. - Toutes les garanties ont été données, et j'attends sereinement la décision du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Fabien Gay. - Nous aussi !
M. Vincent Éblé . - Le Gouvernement a lancé ce grand débat en posant la question du niveau des prélèvements obligatoires. Or pour les Français, ce qui compte c'est la justice fiscale, pas le niveau d'imposition. La première raison des contestations, c'est l'accroissement des inégalités, devenues insupportables après les premières décisions budgétaires que vous avez prises, dès 2017.
Vos choix, la baisse des APL, la fin des emplois aidés, la hausse de la CSG pour tous les retraités, un plan Pauvreté en deçà des attentes, la suppression de l'ISF ont affaibli notre pacte social comme jamais.
La suppression de l'ISF et la flat tax sont un cadeau d'1,5 million d'euros par an pour chacun des cent premiers contribuables, pour un coût de 5 milliards d'euros par an...
M. Martial Bourquin. - C'est scandaleux !
M. Vincent Éblé. - Il y a un clair déséquilibre en faveur des contribuables les plus fortunés. Si vous continuez à dire qu'il faut réduire les impôts, vous faites l'aveu que vous refusez de traiter l'équité contributive. (Bravos et applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes SOCR et Les Républicains) Nous ne partageons pas votre constat. Cela dit, vous posez une question très importante : à quoi sert l'impôt ? Est-il un outil juste de redistribution ? Oui ! Quelque 10 % des contribuables paient 70 % de l'impôt sur le revenu, acquitté par 43 % seulement des Français.
Mais les impôts directs ne sont pas les seuls impôts. Les impôts les plus payés par nos compatriotes sont les cotisations sociales, que nous avons supprimées. Il est vrai que nous n'avons pas choisi d'emblée de poser la question de la TVA. La CSG, impôt juste car proportionnel au revenu : nous ne sommes pas revenu dessus !
Enfin, il ne faut pas apprécier la question de l'égalité à travers seulement la question fiscale. Notre système social est en effet parmi les plus redistributifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le grand débat aura été utile car il aura ouvert les yeux du Gouvernement sur la réalité : avec 45 % de prélèvements obligatoires en 2018, la France tient le bonnet d'âne mondial de la charge fiscale ! Comment les Français ne ressentiraient-ils pas une profonde amertume ?
Les Français ne se satisfont plus des grandes envolées lyriques en bras de chemise ou des punchlines sur Twitter. Leur mentir avec aplomb en prétendant que « jamais les impôts n'ont autant baissé depuis vingt ans dans notre pays », ou en comptabilisant en baisse le renoncement à des hausses que vous aviez prévues, ce n'est pas les respecter : qui regarde les comptes publics sait que c'est faux !
Nos compatriotes attendent à présent des faits et chiffres clairs de baisse d'impôts. Supprimerez-vous la hausse de la CSG pour les retraités ? Quels impôts verra-t-on enfin baisser ? Quel est votre objectif en matière de prélèvements obligatoires ? Plus votre réponse sera précise, plus elle sera convaincante ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances . - Précisément, notre objectif est de baisser les impôts d'un point de PIB d'ici la fin du quinquennat. Ce sera inédit. Les ménages ont en effet payé le prix de la crise financière d'il y a dix ans.
Nous avons amorcé cette décrue. C'est l'OFCE qui le dit : en 2019, les impôts baisseront pour deux tiers des ménages, qui économiseront ainsi 440 euros en moyenne.
Nous ferons en sorte que ceux qui travaillent puissent vivre dignement de leur travail. Quant à la fiscalité du capital, très critiquée, elle soutient pourtant l'attractivité, l'innovation et les entreprises de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Josiane Costes . - Il y a une semaine, Richard Ferrand plaidait pour une « loi Macron des territoires ». Nous ne pouvons que partager le projet de redonner de la cohérence à une organisation abîmée par la loi NOTRe et de donner aux collectivités territoriales les moyens de leurs compétences. Mais l'État doit aussi agir, en assumant pleinement son rôle dans les territoires, notamment les plus fragiles. Les préfets doivent voir leurs pouvoirs de décision renforcés et adaptés à la spécificité des territoires pour leur redonner les moyens de leur développement économique.
Comptez-vous lancer le chantier d'une grande réforme des territoires ? (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Je partage tout ce que vous avez dit. Les Français qui se sont exprimés tout au long du grand débat ont manifesté leur attachement à la proximité dont les maires sont les meilleurs représentants.
Le président de la République a souvent dit que déconcentration et décentralisation n'étaient pas antinomiques. On peut très bien imaginer des transferts de compétences nouveaux et le maintien d'une administration territoriale de l'État forte, car les élus et la population sont très attachés à la présence de l'État sur le territoire. C'est pourquoi nous avons créé de nombreuses maisons de services au public qui remplacent les services publics de proximité qui ont disparu depuis une dizaine d'années.
Mme Sylvie Vermeillet . - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le mouvement social de ces derniers mois a permis au président de la République de prendre connaissance de la détresse du monde rural, du sentiment d'abandon, du découragement des maires face aux fermetures de services publics locaux, écoles, hôpitaux, agences du trésor public, bureaux de poste. Ces territoires sont victimes d'une injustice fondamentale insupportable, celle de la répartition de la dotation de base de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes : un habitant d'une commune de plus de 200 000 habitants vaut deux fois plus qu'un habitant d'une commune de 500 habitants, au nom des charges de centralité exercées par les grandes villes ! Mais l'intercommunalité est passée par là et exerce les compétences transversales. L'État peut-il concevoir que certains Français valent deux fois plus que d'autres ? La dotation de base de la DGF est-elle juste ? Allez-vous rendre justice au monde rural et aux petites communes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - On peut en effet se demander si les dotations sont calculées de manière juste, non seulement à l'égard des charges de centralité, mais aussi de la politique de la ville ou de l'intercommunalité. Or tous ceux qui ont voulu réformer la DGF depuis le gouvernement Barre ont échoué. Le gouvernement Jospin est le dernier à l'avoir tenté. Si le Haut Conseil des finances publiques, la Haute Assemblée et l'Association des maires de France sont prêts à revoir les critères de la DGF pour une redistribution différente, alors que pour la première fois depuis dix ans, son enveloppe ne baisse plus pendant trois années consécutives, nous sommes prêts à en discuter. Mais je constate que les avis divergent entre les élus des communes-centres et les autres. Nous pourrions toutefois y travailler ensemble, sous l'autorité de la ministre en charge de l'égalité des territoires.
M. Daniel Chasseing . - Dans certains territoires, dont les services publics s'éloignent, où il faut une voiture pour se déplacer, où l'augmentation du prix du gasoil ne permet plus aux habitants à faibles revenus de se déplacer ou de se chauffer, malgré l'apport, positif, en décembre, de 11 milliards d'euros pour le pouvoir d'achat, nous devons faire évoluer les services publics pour plus d'efficacité.
Il faudrait renforcer les dotations aux communes, développer la téléphonie mobile et l'internet pour tous, maintenir les écoles, les gendarmeries, les sapeurs-pompiers volontaires, développer l'emploi par les TPE et artisans grâce à un préfet développeur, avec des zones franches et des ZRR efficaces, implanter des maisons de services au public (MSAP) pérennes, regrouper tous les professionnels de santé dans les maisons de santé pluriprofessionnelles. À cet égard, la fin du numerus clausus et le plan Santé vont dans le bon sens. Il faut aussi améliorer la prise en charge de la dépendance.
Comment, dans les territoires hyper-ruraux, adapter l'intervention publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Monsieur le sénateur, cher docteur, (Exclamations à droite) vous n'avez oublié aucun service public ! Les problèmes de désertification médicale et de disparition des services publics sont réels. Le président de la République a l'habitude de le constater : depuis une dizaine d'années, on a beaucoup plus réduit le nombre de fonctionnaires dans les territoires que dans les administrations centrales, alors que nous aurions dû faire le contraire.
Il faut plus de maisons de services au public, mais elles doivent aussi délivrer un service de qualité. Nous travaillons à un label dans ce but. Il existe aussi des maisons de services au public mobiles dans les zones rurales, qui marchent bien.
Avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), nous remettrons l'aide de l'État au plus près des élus locaux.
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Si le Gouvernement n'est pas responsable de tous les maux de nos communes, vous l'êtes de l'échec de la Conférence nationale des territoires, qui n'a pas été en mesure de corriger ce que vous appelez les « irritants » de la loi NOTRe. Le Sénat fait des propositions sur l'eau et l'assainissement. Il a également proposé, depuis deux ans, diverses évolutions sur le statut de l'élu, les 80 km/h, par exemple. Il est temps de reprendre ses propositions pour redonner de l'espérance aux territoires. Le président de la République a avancé un nombre incroyable de pistes. Après ces paroles, passez aux actes ! Conjuguez le dire et le faire et reprenez les propositions du Sénat ! Comme disait Churchill, il n'y a aucun mal à changer d'avis, pourvu que ce soit dans le bon sens ! (Sourires)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Il faut, il est vrai, savoir changer d'avis ! La Conférence nationale des territoires, à laquelle le Sénat n'a jamais été très favorable, est un lieu de dialogue très important. En 2019, 180 millions d'euros de péréquation ont bénéficié aux quartiers en difficulté et aux territoires ruraux, où la DGF a augmenté dans la mesure où elle ne subit plus de plein fouet les modifications de la carte intercommunale. Je connais les travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, sous la présidence de Jean-Marie Bockel, sur le statut de l'élu. Nous intégrerons sur ce sujet les propositions du Sénat, dans un esprit constructif.
M. Richard Yung . - N'oublions pas les Français établis hors de France, qui sont plus de trois millions, dans tous les pays du monde, et dont le nombre croît chaque année de 3 % à 4%. Ils ont participé au grand débat, ce qui n'était pas toujours facile : 1 300 contributions écrites, 300 réunions dans 80 pays. Sur les quatre grands thèmes discutés, ils ont classé les questions fiscales et sur la transition écologique en tête de leurs préoccupations. Ils réclament un traitement fiscal juste et égalitaire.
La CSG, pour ceux qui cotisent à un autre système d'assurance-maladie dans les pays membres de l'espace économique européen et la Suisse, a été supprimée, en application d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne, valant pour les ressortissants français à l'intérieur de l'Union européenne mais pas pour les autres. C'est injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Il existe en effet des différences de traitement entre les résidents européens et les autres, dues aux traités européens. L'exonération de CSG et de CRDS sur les revenus du capital ne vaut en effet que pour les résidents de l'Union européenne. C'est la contrepartie d'une harmonisation des systèmes de santé. Elle ne dépend toutefois pas d'un critère de résidence, mais d'affiliation au système social. En dehors de l'Union européenne, en l'absence de conventions spécifiques et de coordination entre les systèmes sociaux, il est normal que le principe de territorialité s'applique.
Mme Céline Brulin . - Les Français ont fait surgir la santé dans le grand débat. Ils vivent en effet douloureusement la destruction de deux piliers de notre système d'accès aux soins, la médecine de ville et l'hôpital public. Personne n'acceptera que l'examen de la loi Santé se poursuive tel quel, que vous fassiez les réponses après avoir fait les questions. Le système libéral étant incapable de se réguler, il faut que la puissance publique intervienne pour rétablir l'équilibre entre les zones surdotées et les autres. Il faudra non seulement cesser de fermer maternités et services, mais en rouvrir ! Si vous ne le faisiez pas, les Français douteraient de la sincérité de votre démarche.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - La loi Santé répond exactement à ce cri des Français, que j'entends depuis mon entrée en fonction.
Vous proposez une solution simpliste, toujours la même : la coercition des médecins. (Mme Cécile Cukierman proteste vigoureusement.) Mais seuls 15 % des médecins acceptent de s'installer en zone sous-dotée. Il n'existe d'ailleurs pas de zones surdotées. Comment ne pas déshabiller Paul en habillant Pierre ?
Mme Cécile Cukierman. - Habillez tout le monde !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Quant à l'hôpital public, nous lui avons au contraire redonné du souffle : pour la première fois en dix ans, leur budget augmente, ainsi que leurs tarifs !
M. Éric Kerrouche . - En matière de transition écologique et de réforme institutionnelle, nous attendions des propositions plus ambitieuses que celles du Gouvernement. Affaiblir les assemblées, cultiver l'antiparlementarisme et supprimer les contre-pouvoirs, corps intermédiaires, jusqu'aux représentants du personnel, est confortable. C'est ainsi que l'ultra-libéralisme produit des dérives autoritaires, sous couvert de neutralité technicienne. Avec le grand débat, on fait dire aux Français ce que l'on veut, dans un exercice de ventriloquie déconcertant de candeur.
Malgré 90 heures de contribution présidentielle au grand débat, subsiste un angle mort, un non-dit : la place du président de la République dans la démocratie n'est pas abordée. Allez-vous rééquilibrer notre architecture institutionnelle, victime d'une présidentialisation excessive, pour passer d'une technocratie plébiscitaire à une meilleure représentation des citoyens ? Quels nouveaux mécanismes délibératifs proposerez-vous pour revivifier une VeRépublique épuisée par une présidentialisation excessive? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Votre question est paradoxale. Le grand débat a fait émerger de multiples questions, mais nul n'a abordé l'architecture institutionnelle ou la place du président de la République, définie par l'article 5 de la Constitution. (M. Rachid Temal s'en étonne.)
Il y a cependant une demande réelle d'évolution de notre démocratie, pour y apporter des éléments de démocratie participative. Des réponses puissantes seront apportées à cette demande, au niveau national comme au niveau local, par le président de la République.
M. Rachid Temal. - Quel suspense !
M. Jacques Genest . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La crise des gilets jaunes a été le cri de colère et de désespoir des territoires ruraux méprisés à Paris face à l'absence de services publics, la fiscalité, la limitation de la vitesse à 80 km/h, aux revenus trop bas. Dans ma commune comme ailleurs, la retraite agricole atteint en moyenne 600 euros. La France devrait avoir honte !
La santé est un sujet crucial pour la ruralité. Les médecins généralistes partent à la retraite et ne sont pas remplacés. Il faut un délai d'un an et parcourir 100 km en, voiture, faute de transports publics, pour aller chez un spécialiste.
Le Gouvernement a été sourd aux appels aux secours, comme ma question d'actualité du 30 octobre dernier. On a vu la suite.
La loi Santé est une loi homéopathique. Il convient désormais de prendre des mesures énergiques, coercitives. La ruralité n'a pas besoin de soins palliatifs mais curatifs. Elle souhaite pouvoir continuer à se soigner, mais ne se contentera pas d'un cachet d'aspirine et de belles paroles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - J'ai pris le problème à bras-le-corps. La loi Santé est une loi structurante pour la médecine de proximité. Il est faux d'affirmer qu'elle est homéopathique ! Elle donne aux médecins de nouvelles responsabilités territoriales, pour s'organiser collectivement afin de garantir l'accès à un médecin traitant !
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Ils sont volontaires. Nous triplerons le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires. Nous réinvestissons dans les hôpitaux de proximité. Nous développons des consultations avancées de spécialistes dans les maisons de santé. C'est ainsi que nous répondrons aux attentes des Français et aux besoins des territoires.
M. Jean-Marc Gabouty . - À la suite du grand débat, au-delà des réformes structurelles, longues à mettre en oeuvre, nos concitoyens attendent des réponses rapides sur le plan du pouvoir d'achat et notamment sur le niveau et la répartition de la charge fiscale.
Une TVA à taux zéro ou réduite sur des produits de première nécessité constituerait une réponse intéressante.
Je connais l'argument sur la captation de la marge par les distributeurs, mais il est absurde dans une économie concurrentielle. Je connais l'argument du droit européen mais la directive européenne permet des dérogations. Quant au manque à gagner, il pourrait être compensé par des droits d'accise sur les produits de luxe. La modulation des taux de la TVA est-elle une option envisageable par le Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - Ce sont beaucoup de questions ! La fiscalité est en effet le premier sujet soulevé par les Français sur la plateforme. J'ai ici un graphique (M. le ministre montre un document.) qui illustre l'overdose fiscale et la difficulté qu'il y a à lisser une fiscalité dans un contexte budgétaire dégradé.
Faut-il aller plus loin que le taux réduit de 5 % ? La Commission européenne dit non, mais nous pourrions discuter avec Bruxelles c'est vrai. En tout cas, ce ne sera pas automatique et immédiat, contrairement aux décisions que nous pouvons prendre sur d'autres impôts que nous maîtrisons totalement.
Cela créera-t-il des emplois ? La baisse de TVA sur la restauration n'a pas créé d'emplois, souvenez-vous !
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le grand débat - réussi - est la preuve du souhait des Français de participer à la décision publique. Nous sommes passés à une démocratie « délibérative », selon les propres termes du Premier ministre, plus participative. Le Sénat a fait dix propositions en ce sens, notamment sur le référendum local, le droit de pétition, des questions citoyennes, ou l'assouplissement du référendum d'initiative partagé.
L'exécutif compte-t-il avancer sur ce sujet dans la révision constitutionnelle ou compte-t-il sur le Parlement pour l'enrichir, dans le cadre de la République contractuelle évoquée par le Premier ministre ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Quatre items ressortent prioritairement s'agissant de la réforme des institutions : le référendum - surtout local -, revoir le rôle des élus et repenser celui des institutions, améliorer la participation citoyenne et réformer le système électoral.
Nous ne pourrons pas reprendre dans sa forme actuelle la révision constitutionnelle - encore qu'elle contenait des éléments allant dans le sens souhaité par les Français. Il appartiendra au président de la République de préciser la manière dont il entend travailler sur ce sujet.
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de remplacer la démocratie représentative par la démocratie participative, ni de confondre l'une et l'autre.
M. Jean-Louis Lagourgue . - L'exaspération fiscale est à son comble. Les Français attendent une baisse massive de la pression fiscale pour augmenter le pouvoir d'achat de tous. Mais il ne faut pas oublier les outre-mer !
En dépit des dispositifs déjà existants, ils restent victimes d'un différentiel de compétitivité, par rapport à la métropole et à leur environnement géographique, qui n'est pas comblé.
Comment la baisse massive des impôts concernera-t-elle les outre-mer ? Qu'apportera le Gouvernement aux dispositifs existants, notamment pour les TPE et PME ? Entend-il élargir les aménagements fiscaux propres à certains secteurs d'activité à toutes les entreprises ultramarines ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Nous nous employons à réduire la pression fiscale. Ainsi, le Gouvernement entend baisser les prélèvements obligatoires de 1 % d'ici la fin du quinquennat.
Nous voulons aussi améliorer la lisibilité de la fiscalité locale avec la suppression de la taxe d'habitation. Nous travaillons en ce sens sur les impôts des ménages comme sur ceux des entreprises. Dans les débats qui traverseront les assemblées, notamment sur les niches fiscales, nous veillerons à ce que la baisse de la fiscalité profite aussi aux outre-mer.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Quelles leçons le ministre de l'écologie tire-t-il du grand débat ? (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains) La fiscalité écologique ne fonctionne que s'il y a transparence, progressivité et acceptabilité sociale. Nos concitoyens attendent de l'authenticité.
Nos politiques environnementales manquent de cohérence et surtout, de réalisme. Soit les objectifs sont lointains, et non respectés, soit ils sont de court terme et excessifs. Le passage à 50 % de l'électricité issue du nucléaire d'ici 2025 est irréaliste. Le délai a d'ailleurs été repoussé à 2035.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Guillaume Chevrollier. - Avez-vous une vision pour une écologie rationnelle et concrète ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - La transition écologique, très présente dans le grand débat, était le deuxième thème après la fiscalité. Les Français sont 62 % à se dire directement touchés et 86 % à penser pouvoir agir eux-mêmes. Ils n'opposent pas économie et écologie.
Les transports et l'agriculture sont deux leviers mis en avant. Avec mes collègues, nous avons tenu ce matin une réunion sur l'écophytosanitaire. Nous voulons réduire la consommation de pesticides de 25 % dès 2020, de 50 % d'ici 2050 et sortir du glyphosate en trois ans.
Les Français nous demandent d'agir sur les territoires et nationalement. N'opposons pas les Français et le Gouvernement sur l'écologie !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - De la rue aux salles municipales, la question de l'accès aux services publics de proximité constitue un sujet récurrent. Ce n'est pas fortuit. En effet, les services publics sont le seul bien de ceux qui n'ont rien.
Quand des écoles ferment, des gendarmeries sont rassemblées au chef-lieu de canton, quand l'hôpital est à plus d'une heure de route, le sentiment d'abandon s'installe inexorablement. La situation est certes ancienne, mais désormais exacerbée. Or le numérique ne fait pas tout. Il peut même, comme l'a souligné le défenseur des droits, aggraver le sentiment de relégation.
La future loi sur l'école fait peser une lourde hypothèque sur le service public de l'éducation. Nos concitoyens demandent des services publics de proximité. Allez-vous faire évoluer la logique gouvernementale en la matière ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Merci pour votre question. Le sentiment d'abandon qui croît depuis de nombreuses années a de multiples explications.
Nous souhaitons inverser cette logique en matière de santé, de services fiscaux notamment, pour lesquels 1 200 points de contact ont fermé en dix ans.
Nous avons la volonté d'accompagner la numérisation des services, pour en numériser l'ensemble d'ici 2022, même si certains Français ont des difficultés d'accès auxquelles il convient de remédier.
M. Jean-Marie Bockel . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les Français sont viscéralement attachés aux services publics mais critiquent aussi la manière dont ceux-ci sont organisés sur les territoires.
La Cour des comptes appelle l'État à améliorer leur organisation et la concertation avec les élus locaux. Que d'énergie perdue dans les maquis de l'appareil d'État et des doublons avec la collectivité territoriale ! Il faut supprimer les doublons, alléger les normes et revoir la loi NOTRe.
Le Gouvernement entend-il ouvrir un nouvel acte de décentralisation, centré autour des territoires avec une subsidiarité réelle et des espaces de différenciation, pour développer une meilleure gouvernance de notre pays, du sommet à la base ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Nous voulons réorganiser nos services pour plus d'efficacité. Plusieurs projets vont en ce sens. Les doublons sont effectivement un problème.
Les services publics doivent s'adapter, sans se réduire au numérique. Il faut accompagner environ 30 % de la population dans l'utilisation de cet outil. N'opposons pas rural et urbain : les Maisons de service public doivent être aussi présentes dans les quartiers.
Dans le grand débat, 95 % des Français qui se sont exprimés se prononcent aussi en faveur d'un regroupement des services publics et de guichets uniques de ces services dans les territoires. C'est une piste.
M. Rachid Temal . - Depuis plus de 22 semaines, notre pays connaît une crise sociale sans précédent. Le pouvoir se résume à celui d'un homme seul. L'instrumentalisation du grand débat national le transforme en grand bluff national. Depuis 22 semaines, toutes les propositions qui n'émanent pas de l'Élysée sont rejetées : ce fut le sort de toutes les propositions socialistes, mais aussi du manifeste présenté par MM. Berger et Hulot. Le président de la République entendra-t-il la demande d'une grande conférence sociale et territoriale réunissant les assemblées, les élus locaux, les partenaires sociaux et l'exécutif ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Le grand débat a été un moment de démocratie inédit avec 1,5 million de participants - 500 000 contributions en ligne, 500 000 participants aux réunions locales, 500 000 cahiers de doléances. On ne peut considérer que cette parole n'a pas d'importance...
M. Rachid Temal. - Je n'ai pas dit cela !
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Elle doit être entendue ! Le grand débat n'a pas opposé les Français aux corps intermédiaires. Au contraire, ceux-ci y ont participé, via des conférences nationales thématiques qui ont émis 40 propositions. Les contributions ont été rendues publiques.
Quant aux suites, le président de la République l'a dit, c'est le moment de refonder le quinquennat. Des décisions puissantes seront annoncées et ne vous décevront pas.
M. Rachid Temal. - Voire !
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Dans sa lettre aux Français, le président de la République n'a pas identifié l'éducation comme un sujet essentiel. Pourtant, les Français sont inquiets pour l'avenir de leurs enfants. L'ascenseur social est en panne en raison du renoncement à la méritocratie républicaine, du déracinement des savoirs, du nivellement. L'école ne fait désormais plus qu'aggraver la fracture territoriale. Elle a cessé de former des citoyens éclairés, patriotes, plus instruits que leurs aïeux. Cela crée échec scolaire, violence, chômage et malaise pour les enseignants comme pour les élèves.
Il est urgent de réaffirmer l'autorité du maître et la primauté de la transmission des savoirs sur le pédagogisme, sans parler des comités Théodule que vous avez installés. Qu'attendez-vous pour rétablir le lien entre la Nation et l'école, garante de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Notre stratégie pour l'école est claire : élever le niveau général et garantir la justice sociale. Le président de la République a abordé ce sujet dans sa lettre aux Français et le grand débat en a fait état. L'éducation, dans le grand débat, apparaît comme une solution. Les Français lui demandent de renforcer le lien avec la vie professionnelle, d'aborder la transition écologique, de former à l'éducation civique et morale. La définition de l'école est claire. Elle doit transmettre les savoirs et les valeurs. Votre vision est beaucoup trop catastrophiste et vos propos sur les comités Théodule désobligeants. Cela n'aide pas ! Nous agissons avec une stratégie claire et très concrète. La réforme du lycée est loin des théories et des abstractions. Nous agissons. Mais il faut pour cela du courage et une certaine unité nationale.
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains) La santé a été largement évoquée par nos concitoyens lors du grand débat. Je veux saluer le plan pour l'accès aux soins lancé en 2017. « Ma Santé 2022 » a été largement plébiscité. Nous débattrons bientôt la loi Santé qui concrétise les ambitions du Gouvernement. En tant que déléguée à l'accès aux soins, je veux proposer quelques outils. Tout d'abord, il faut une boussole : les élus et les Français se perdent dans le dédale des acronymes qui prolifèrent dans ce domaine. Simplifier est une urgence, clarifier aussi. Il faut un baromètre La loi prévoit beaucoup d'ordonnances. Or le flou entoure beaucoup de mesures...
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Élisabeth Doineau. - Il faut aussi que les élus locaux puissent relayer vos décisions. De grâce, un peu de pédagogie et de clarté !
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - J'écoute vos remarques avec attention. Oui, nouer une relation de confiance avec les élus est crucial pour transformer notre système de santé. Nous avons déjà créé un groupe de contacts avec les grandes associations d'élus. Les élus participeront aussi aux conseils locaux de santé et au conseil territorial de la santé, tandis que des parlementaires siégeront au conseil de surveillance de l'ARS, ils seront impliqués dans les décisions de santé territoriales.
Je vous rassure, rien ne se fera sans les élus locaux, ni sans concertation : c'est mon unique boussole !
M. le président. - Merci à tous pour ce débat qui a duré plus de 4 heures. Je voulais aussi féliciter le Premier ministre, et le ministre des relations avec le Parlement, qui a bien joué son rôle de chef d'orchestre. Ce débat n'est qu'une étape dans une réflexion à laquelle il est indispensable que le Sénat soit associé, avec sa préoccupation pour les territoires et les citoyens. (Applaudissements)
La séance est suspendue à 20 h 40.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 22 h 10.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.