Maintien de l'ordre public lors des manifestations (Deuxième lecture - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la suite de la discussion de la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations.
Discussion générale (Suite)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Le contexte a évolué entre la première lecture et aujourd'hui. Il est vraisemblable que les gilets jaunes ont empêché cette proposition de loi de disparaître dans les limbes de la navette parlementaire. Vous connaissez l'attachement du groupe RDSE aux libertés individuelles et au respect de l'ordre républicain, qui garantit l'exercice pacifique du droit de manifester. Le calme et la dignité des foules qui manifestent outre-Méditerranée nous incitent à réfléchir.
Sur l'encadrement des manifestations, les pistes de réflexion sont nombreuses : définition de l'attroupement, de la zone grise entre celui-ci et la manifestation non déclarée, ou modalités de la procédure de déclaration en préfecture notamment.
De nombreuses questions de constitutionnalité et d'applicabilité de ce texte restent en suspens, comme vous l'avez signalé courageusement, madame la rapporteure.
Pourquoi confier au Conseil constitutionnel un rôle qui dépasse son office et nous incombe, en refusant de continuer l'examen de ce texte ? Chaque fois que le Parlement se dessaisit de ses prérogatives, c'est mauvais signe. Montrons, par notre débat, que le bicamérisme est essentiel en démocratie, plutôt que de nous en remettre fébrilement au Conseil constitutionnel. Le Sénat, législateur de plein exercice, doit assumer son rôle de gardien des libertés publiques, comme le disait notre ancien collègue François Pillet. Le Conseil lui-même, selon sa propre jurisprudence, ne peut se substituer à « l'acte de légiférer », comme l'a dit Philippe Bonnecarrère en commission des lois.
À l'Assemblée nationale, certains députés ont souhaité parvenir à une rédaction plus proche de celle du Sénat.
Le Gouvernement lui-même sait le texte perfectible. Votons donc en conscience plutôt que de chercher à prémunir l'autre assemblée contre ses propres états d'âme.
La majorité d'entre nous votera tout amendement qui prolongera de façon constructive la navette parlementaire. Ainsi les dévoiements possibles de ce dispositif pourront être prévenus par ces modifications. Les Français demandent le retour de la paix civile, mais si nous votions ce texte en l'état, nous manquerions à notre devoir de législateur, celui de s'extraire des contingences et de voter pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) Disons-le franchement : parfois, sur ce texte, le Gouvernement a pu nous dérouter. En octobre, vous étiez plutôt contre. Récemment, vous étiez franchement contre. Mais, depuis quelques heures et l'annonce de la saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République - pour la deuxième fois seulement pour toute la durée de la Ve République - on ne sait pas si vous êtes pour, contre ou tout au contraire ! (Sourires) Sans doute cherche-t-il à trancher un différend sur un texte que son Premier ministre a appelé de ses voeux, que votre propre majorité, à votre initiative, monsieur le ministre, a conforté à l'Assemblée nationale ? « Pensée complexe » inaccessible ? (Sourires) Rétablissons un esprit de clarté !
Pourquoi avons-nous voulu déposer ce texte ? Sans doute pas pour apposer nos deux noms, monsieur le ministre, en en-tête... (Sourires) Je ne veux pas vous compromettre, comme l'a tenté M. Durain ; franchement, vous ne le méritez pas ! (Nouveaux sourires)
Comme l'a dit Christophe Priou, en se référant aux manifestations, à Nantes, des opposants à Notre-Dame-des-Landes, on ne peut plus manifester pacifiquement dans notre pays. Chaque rassemblement fait l'objet d'ultraviolence. Ce n'est plus tolérable. Vous avez rappelé le nombre de blessés parmi les forces de l'ordre. Le Parlement ne peut pas renoncer à agir ! Le texte ne vise pas les gilets jaunes, mais les cagoules noires, qui profitent d'un angle mort de notre droit pénal. Pour qu'un juge puisse condamner l'auteur d'un acte délictueux, il faut l'identifier - comment le faire si les casseurs dissimulent leur visage ? Voilà pourquoi il y a tant de gardés à vue et pourquoi les suites judiciaires sont si décevantes.
J'entends parler de cagoules pour se protéger des gaz lacrymogènes - et pourquoi pas contre les UV ? (Sourires à droite ; Mme Esther Benbassa proteste.)
Nous devons donner les moyens à la République de se défendre. « La République affirme le droit, mais elle exige le devoir », déclarait la grande figure tutélaire de Victor Hugo, que je cite à mon tour, après Patrick Kanner. (« Très bien ! » à droite)
Si vous laissez faire les plus violents, vous serez face au dilemme : interdire les manifestations ou éradiquer les plus violents qui dévoient le droit de manifester pour propager la haine anti-flics et en définitive, la haine de la République ! Législateurs, nous avons le devoir de légiférer pour empêcher ce grand retournement du droit d'expression contre l'État de droit.
Le devoir qu'exige la République, c'est celui du législateur, d'opposer à la loi du plus fort la force de la loi.
Nous voulons voter ce texte conforme, car nous refusons de laisser la moindre place à l'ultraviolence.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Bruno Retailleau. - L'État régalien n'a pas à s'excuser lorsqu'il protège ses concitoyens. Ce qui est en cause, c'est le droit, en France, de manifester pacifiquement, tranquillement. L'État démocratique n'est pas celui de l'impuissance ! Voici pourquoi nous voterons ce texte avec beaucoup de conviction. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Pierre Charon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a quelques mois, nous étions loin de savoir que l'actualité donnerait de l'importance à ce texte.
Nous voulions mettre fin à l'impunité chronique des casseurs avec des solutions pratiques. Je rends hommage à cet égard à l'initiative de Bruno Retailleau.
Si nous l'avions adopté à temps, dès sa transmission à l'Assemblée nationale, certains problèmes auraient pu être évités. (M. François Bonhomme le confirme.) Nous avons là un exemple de l'utilité du Sénat. À bon entendeur, salut !
Sous l'effet des circonstances, le Gouvernement a fait preuve d'une conversion salutaire. Il a fallu plusieurs samedis de violences pour que le ministre lui-même parle de « loi anticasseurs » ! Une sémantique trop prudente est malvenue et inhibe l'action. Protéger les personnes et les biens, ce n'est pas restreindre le droit de manifester. Les brutes et les voyous ne comprennent que le langage de la force. Que faut-il faire pour aller en prison en France ?
Jeter des boules de pétanque, ou des cocktails Molotov, c'est être plus que délinquant, c'est être criminel. N'ayons pas peur de les qualifier ainsi !
À Paris, nous n'en pouvons plus, de ces fins de manifestations où des commerces sont saccagés, des monuments profanés, des immeubles incendiés ! Les maires d'arrondissement, que je salue, le savent bien, eux qui ont parfois fait face à une gestion inefficace de l'ordre public. L'impunité des casseurs peut se transformer en permis de tuer si l'on persévère dans la lâcheté !
L'inscription au fichier des personnes interdites de manifestations, comme l'interdiction de dissimuler son visage sont indispensables.
J'appelle nos collègues à voter ce texte, nonobstant la curieuse décision du président de la République de saisir le Conseil constitutionnel, pour la deuxième fois seulement depuis 1958.
M. Henri Leroy . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a 28 ans, je rendais mon uniforme de la gendarmerie après avoir servi la France pendant un quart de siècle. Depuis trop longtemps, - je vous le dis avec gravité et émotion - des délinquants armés et organisés s'infiltrent dans les manifestations pour en découdre avec les forces de l'ordre.
Depuis 2018, 430 gendarmes et plus de 1 000 policiers ont été blessés, parfois grièvement. C'est alarmant.
Merci à Bruno Retailleau pour sa proposition de loi, que l'Assemblée nationale n'a pas dénaturée. On voit là l'utilité de notre assemblée.
Le président de la République a annoncé qu'il saisirait le Conseil constitutionnel. C'est un mauvais message pour nos forces de l'ordre. Nous devons les soutenir sans ambiguïté. Envisager que le fait de défendre et de protéger nos forces de l'ordre pourra être anticonstitutionnel est déplorable. Nous devons agir vite. Combien de blessés supplémentaires aurons-nous sinon à comptabiliser ?
Monsieur le ministre, continuerez-vous à être spectateur des violences contre des policiers et des gendarmes dont vous êtes le chef ?
Interdire de manifester des personnes présentant une menace relève du bon sens. Les forces de l'ordre ne peuvent pas, jusqu'à présent, prendre des mesures en amont d'une manifestation. Ce texte y remédie, avec les facilités apportées à la fouille de sacs et l'inscription au fichier des personnes recherchées, qui sera appliquée immédiatement.
Je voterai ce texte sans hésitation. Nos policiers et gendarmes nous protègent au péril de leur vie. À nous maintenant de les défendre ! C'est notre devoir de parlementaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER A
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, N. Delattre et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall.
Au début,
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.... - À la première phrase du premier alinéa de l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».
Mme Françoise Laborde. - Comme l'a indiqué Maryse Carrère en discussion générale, les manifestations non déclarées se situent dans une zone grise, entre la manifestation déclarée et l'attroupement, en l'absence d'un risque pour l'ordre public.
Les forces de l'ordre ont adapté leurs pratiques notamment grâce au renseignement sur internet. Il convient de réfléchir à déclarer autrement la volonté de manifester.
À l'Assemblée nationale, une évolution s'est faite par la rédaction du nombre de déclarants nécessaires à deux. Notre amendement adapte, en le fixant à cinq jours avant la manifestation, le délai incompressible pour rendre le droit au recours des personnes visées par une interdiction plus effectif.
Nous le savons, le dispositif alourdi peut rendre les déclarations plus difficiles mais il faudra au moins imaginer des alternatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Nous nous étions attachés en première lecture à rendre le droit de recours effectif. Mais le délai de cinq jours que vous proposez, très contraignant, risquerait de dissuader encore plus qu'aujourd'hui les organisations à déclarer les manifestations, alors que le but est de les y inciter.
Avis défavorable, notamment parce que la commission des lois veut une application rapide du présent texte.
M. Christophe Castaner, ministre. - L'article que vous citez a été ajouté par l'Assemblée nationale pour simplifier la déclaration de manifestation. Votre proposition, au contraire, la compliquerait. Avis défavorable.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'amendement pose la question de l'effectivité du recours. Le délai est tellement court que le juge administratif ayant 48 heures pour statuer, ne peut le faire avant que la manifestation ait lieu, c'est vrai. Mais nous ne voterons pas cet amendement qui complexifie trop la déclaration. Peut-être aurait-il fallu imposer au juge administratif de statuer en 24 heures ? L'effectivité du recours est un droit constitutionnel. J'ai noté toutefois que la rapporteure avait admis avec une certaine sincérité qu'il nous fallait voter ce texte conforme....
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par M. Grand.
... - Le deuxième alinéa du même article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle indique également les moyens mis en oeuvre pour informer les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l'article L. 211-9. »
M. Jean-Pierre Grand. - Les amendements nos10 et 11 que je présenterai conjointement, sont des amendements d'appel.
M. le président. - Soit.
M. Jean-Pierre Grand. - Les récentes manifestations des gilets jaunes font l'objet de troubles à l'ordre du public particulièrement violents.
Lors de manifestations, les attroupements peuvent être dissipés par la force publique, après deux sommations de se disperser demeurées sans effet. Dans les faits, l'autorité annonce sa présence en énonçant par haut-parleur les mots : « Obéissance à la loi. Dispersez-vous ! » puis « Première sommation : on va faire usage de la force ! » et enfin « Dernière sommation : on va faire usage de la force ! ». Si l'utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut être remplacée ou complétée par le lancement d'une fusée rouge.
Totalement désuètes, ces modalités de sommations sont en outre inconnues du grand public. Que pourrait faire le Gouvernement pour rendre ces dispositions réglementaires plus opérantes ?
M. le président. - Amendement n°11, présenté par M. Grand.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le premier alinéa de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il peut également obliger les organisateurs à informer par tout moyen les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l'article L. 211-9. »
M. Jean-Pierre Grand. - Il est défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement n°10 impose aux organisations d'indiquer dans leur demande d'autorisation de la manifestation les modalités de sommation avant dispersion. Certes, les procédures sont désuètes et méconnues. Mais ce sont aux autorités publiques, et non pas aux organisateurs, comme vous le proposez, de les clarifier, d'autant que nous souhaitons faciliter les déclarations. Je crois aussi savoir que le ministère de l'Intérieur travaille sur ce sujet.
Demande de retrait ou avis défavorable.
L'amendement n°11 traite du même sujet. La commission des lois partage le constat de l'auteur mais ne juge pas adapté le dispositif proposé. De même, retrait ou avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Je comprends la logique des deux amendements. Notre système est archaïque. J'ai demandé aux services concernés de travailler sur une nouvelle doctrine de l'ordre public. Je souhaite d'ailleurs associer au groupe de travail formé à cet effet un sénateur et ne manquerai pas de vous contacter à ce sujet, monsieur le président de la commission des lois, comme je le ferai avec la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Demande de retrait.
Les amendements nos10 et 11 sont retirés.
L'article premier A est adopté.
ARTICLE PREMIER
M. François Bonhomme . - Cette proposition de loi comporte deux volets, dont le volet préventif qui est essentiel à une politique de maintien de l'ordre efficace et adaptée.
En l'état actuel du droit, l'interpellation au plus tôt des casseurs professionnels, ces cagoules noires qui affaiblissent notre République et instrumentalisent les manifestations pour s'en prendre à tout ce qu'ils considèrent être les symboles de « l'État capitaliste et policier », n'est pas possible. Combien de manifestants pacifiques ont été effarés devant le déferlement de violence de ces Black Blocs ?
Le problème n'est pas récent. Ces groupes anarcho-libertaires ne cherchent, depuis longtemps, qu'à détruire. C'est faire preuve de naïveté, d'irénisme, voire d'aveuglement idéologique que de penser le contraire. Ce texte n'est pas une loi de circonstance.
Les mesures de cet article premier vont dans le bon sens. Les policiers, comme les citoyens, attendent du législateur qu'il fasse preuve d'une action ciblée, déterminée et rapide.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Un député Les Républicains a qualifié cette mesure de « bricolage législatif ». Il s'appelle Éric Ciotti, un expert en législation pas en bricolage... (Sourires)
La position du groupe Les Républicains du Sénat me plonge dans des abîmes de perplexité. Il défendait une mesure de police administrative, l'Assemblée nationale a préféré le terrain judiciaire. Dès lors, l'article premier n'apporte rien au droit positif mais, formidable, vous y êtes désormais favorables ! Notre groupe vous renvoie à vos contradictions et à vos changements de pied.
Plusieurs voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Et nous, aux vôtres !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Comme en première lecture, nous voterons contre cet article.
M. François Grosdidier . - On a beaucoup entendu d'exercices rhétoriques lors de la discussion générale. Notre but est d'empêcher les casseurs de s'introduire dans les manifestations pour les gâcher. Nous nous sommes inspirés de la loi contre le hooliganisme,...
M. François Bonhomme. - Elle a été efficace !
M. François Grosdidier. - ... qui paraît déjà un phénomène ancien.
L'Assemblée nationale a modifié certaines de nos dispositions mais sans revenir sur l'esprit de l'article premier. Nous avions imaginé un périmètre comme il en existe pour la prévention des attentats. Les députés ont, à juste titre, préféré la notion « d'abords immédiats », plus souple. Ils ont aussi rendu nécessaire une réquisition du procureur. Dès lors, je ne comprends pas la position du groupe socialiste. Vous souhaitez accorder davantage de place au juge judiciaire, c'est justement ce qu'a fait l'Assemblée nationale ; vous devriez être pour !
M. le président. - Amendement n°19, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Céline Brulin. - Les dispositions prévues à l'article premier sont déjà couvertes par les articles 78-2-4 du code de procédure pénale et 315-1 du code de la sécurité intérieure.
En réalité, cet article, calqué sur le droit antiterroriste, criminalise la liberté de manifester. (Marques de lassitude sur les bancs du groupe Les Républicains) Il rend inopérant la notion d'armes par destination. Pour l'heure, leur caractérisation résulte de la constatation d'un fait ou d'une preuve tangible d'une intention de détournement. Avec cet article, loin de toute rhétorique, une hampe de banderole deviendra une arme à tout moment et en tout lieu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'article premier présente un intérêt opérationnel majeur pour les forces de l'ordre : avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué avoir participé autrefois à des manifestations. L'expérience doit être ancienne... En effet, pour avoir manifesté contre une loi que portait un gouvernement que vous souteniez, je sais que les fouilles sont une pratique fréquente depuis trois ou quatre ans. Je me suis vu confisquer mes lunettes de piscine et du sérum physiologique que j'avais emportés pour protéger mes yeux fragiles.
M. Jean-Yves Leconte. - Certes, comme le dit Pierre Ouzoulias, il est déjà possible de fouiller aux abords des manifestations mais l'article donne de nouveaux pouvoirs au procureur, dont on sait que le lien organique avec la Chancellerie déplaît à la Cour européenne des droits de l'homme. Depuis 2013, il est d'ailleurs question de le réformer. C'est indispensable avant de lui donner de nouvelles prérogatives.
Nous voterons cet amendement.
L'amendement n°19 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°12, présenté par M. Grand.
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
et 1° ter
par les mots :
, 1° ter et 2
M. Jean-Pierre Grand. - Initialement, la proposition de loi prévoyait que des agents de sécurité privée ou des agents de police municipale puissent aider policiers et gendarmes à effectuer les fouilles. Cette possibilité a été supprimée en première lecture par notre commission des lois.
Si le maintien de l'ordre ne figure pas dans les missions des policiers municipaux, ils sont régulièrement appelés en renfort, notamment lors des manifestations des gilets jaunes en province. Je propose de les réinsérer dans le dispositif, en espérant que la prochaine réforme de la fonction publique soit l'occasion de renforcer leur formation.
Je retirerai cet amendement pour permettre le vote conforme du texte tout en profitant de l'occasion pour souligner les conséquences des manifestations des gilets jaunes à l'est de Montpellier : une hausse de 45 % des cambriolages. Il est temps que ça s'arrête !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Pour des raisons opérationnelles, ce n'est pas souhaitable. Les policiers municipaux ne sont ni formés ni autorisés pour intervenir dans des opérations de maintien de l'ordre.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis ! J'ajoute que le Conseil constitutionnel a jugé le 10 mars 2011 qu'il n'était pas possible d'associer des policiers municipaux ou des sociétés privées à l'exercice de missions exercées dans un cadre judiciaire ; c'est le cas ici.
L'amendement n°12 est retiré.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2
M. Guillaume Gontard . - Les épisodes violents qu'ont connus certains mouvements sociaux ne justifient pas tout. Légiférer, c'est faire la part des choses ; mettre à distance l'actualité pour faire la loi. Les majorités passent, les lois restent. Les lois de circonstance affaiblissent notre État de droit. Une démocratie qui recourt à des lois liberticides pour se défendre risque de perdre son fondement.
Le droit de manifester, consacré à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a marqué notre histoire, de 1789 à 1830, de 1936 à 1968. Et voici que l'article 2, par une interprétation stricte de la notion de « troubles à l'ordre public », piétine le droit de manifester. C'est un redoutable outil, aux mains du pouvoir, contre les oppositions politiques.
La loi ne doit être modifiée que d'une main tremblante, pour reprendre la formule de Montesquieu. D'ailleurs la main de Jupiter tremble aussi puisque le président de la République, lui-même, a annoncé saisir le Conseil constitutionnel pour nettoyer le texte de ses scories autoritaires. Évitons ce ridicule et défendons la démocratie et la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Esther Benbassa . - L'histoire bégaie... François Mitterrand a abrogé la loi du 8 juin 1970 et voici que nous sommes convoqués pour examiner un texte autorisant des interdictions de manifester à titre préventif. Cette frénésie sécuritaire ouvre la voie à l'arbitraire.
La mesure est disproportionnée et injustifiée ! Le président de la République lui-même souhaite en vérifier la constitutionnalité. Nous espérons sa censure.
M. François Grosdidier . - Légiférer, c'est mettre de la distance avec l'actualité, mais pas une distance stratosphérique... Les casseurs ne sont pas un épiphénomène, mais un phénomène récurrent. Nous n'attentons pas à la liberté de manifester, qui est un droit fondamental. Nous ne visons pas tous les citoyens, nous visons les individus qui ont des agissements qui portent atteinte aux biens ou ont des comportements violents. Le nier, ce serait faire preuve d'aveuglement ou d'idéologie.
M. Yves Daudigny . - Je condamne sans ambiguïté toutes les formes de violence. Comme vous, j'ai été choqué par les images de policiers agressés, de commerces vandalisés et j'ai vu des gens animés d'un pur désir de destruction. Mais on ne peut juger du droit de manifester à la seule aune de ces débordements. Les casseurs peuvent déjà être réprimés. Hélas, la mode est d'accueillir la liberté avec sarcasme et de la regarder comme un fossile. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOCR ; M. Pierre Ouzoulias et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
Mme Éliane Assassi . - Nous discutons en toute connaissance de cause d'un article dont l'inconstitutionnalité est certaine. Le président de la République a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel. L'extension de l'interdiction de manifester sur tout le territoire et pour une durée d'un mois n'est pas proportionnée. De même, on laisse au préfet le soin de déterminer si les agissements justifient une interdiction de manifester. Le terme est imprécis. Résultat, le préfet est tout puissant, et des personnes simplement coupables de tags pourraient être interdites de manifester...
M. Loïc Hervé . - L'intérêt des travaux parlementaires est d'éclairer le juge si par bonheur cet article n'était pas censuré. Relisez l'alinéa 2, il est édifiant. Que veut dire le mot « agissement » monsieur le ministre ? Il apparaît sept fois dans le code pénal et fait toujours référence à des incriminations très précises et circonscrites. D'après Le Larousse, « agissement » signifie « manière d'agir » ; voire « manoeuvre » ou « intrigue ». Je ne savais pas que l'on pouvait condamner quelqu'un sur ce motif... Monsieur le ministre, peut-on savoir si ces agissements doivent être en lien avec une personne ou avec les circonstances d'une manifestation ?
Mme Éliane Assassi. - Très bien !
M. Jean-Yves Leconte . - M. Hervé a raison. Au-delà de ces remarques, puisque ce texte est censé cibler les casseurs, on attendrait des peines mais rien ! Une seule sanction est prévue, celle dans le cas où une personne ne se soumet pas à l'interdiction de manifester prononcée par le préfet.
Le président Macron en 2017 a souhaité conserver les mesures de l'état d'urgence qui avaient été prises pour lutter contre le terrorisme.
M. Alain Richard. - Ce sont des actes de violence !
M. Jean-Yves Leconte. - Il ne s'agit plus de menace terroriste, mais de liberté de manifester.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - Depuis quatre ans, notre conception du droit administratif et des libertés a singulièrement évolué et a dangereusement glissé !
M. Pierre Ouzoulias . - Raisonnons sur du concret. L'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay aurait pu être dramatique, des fonctionnaires auraient pu périr. Trois suspects ont été arrêtés et mis en examen. Il ne s'agissait pas d'anarcho-libertaires ou de casseurs organisés mais de petits délinquants bien connus des services de police. Alors, monsieur le ministre, exigerez-vous, demain, pour manifester un casier judiciaire vierge ?
M. Philippe Bonnecarrère . - Nous sommes confrontés à un problème de violence dans les manifestations, la question est de savoir si nous avons les moyens de lutter contre ces violences. Oui, à mon sens puisque 2 000 personnes, ce n'est pas un petit nombre, ont fait l'objet d'une judiciarisation.
Soutenir la constitutionnalité de ce texte de circonstance, dont le sujet n'est en rien comparable au hooliganisme, est difficile.
Gardons à l'esprit que la loi doit être intemporelle. L'idée qui commence à prévaloir en Europe que notre société sera mieux protégée si nous renonçons à nos libertés est dangereuse. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, SOCR et CRCE)
M. Jérôme Durain . - Si personne dans nos rangs n'a parlé de hordes de barbares, chacun est unanime à condamner la violence. Le Défenseur des droits estime que le droit existant suffit, il s'interroge sur l'application de mesures inspirées de l'état d'urgence, il s'inquiète pour l'affaiblissement de l'État de droit. La lutte contre le hooliganisme ne constitue pas un précédent d'autant qu'on a vu des mesures administratives prises parfois à la hâte et de manière aléatoire. Je plains les malheureux qui devront rédiger les circulaires d'application de cet article ; c'est si flou, si imprécis !
M. Yves Daudigny. - Très bien !
M. Marc Laménie . - Le sujet est important, comme cet article qu'il convient de maintenir. Faisons confiance à notre administration, à son appréciation et à son bon sens. Respectons aussi nos forces de sécurité intérieure : nos gendarmes, nos policiers, nos militaires, nos pompiers. Je soutiens le texte de la commission des lois.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - La rédaction de cet article est si touffue qu'un point aura sans doute échappé à la vigilance de notre assemblée, de son application dans le temps. Rien n'impose que les faits aient été commis récemment. Une personne pourra donc, ad vitam, se retrouver sujette à une interdiction administrative de manifester. (MM. Roland Courteau et Jean-Luc Fichet applaudissent.)
M. Jacques Bigot . - La rédaction proposée de l'article L. 211-4-1 est problématique. Le préfet, qui doit motiver son arrêté, doit avoir la preuve des agissements des personnes visées. S'il existe des preuves, pourquoi ne pas préférer des poursuites judiciaires ?
M. le président. - Amendement n°13, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - Les pouvoirs donnés au préfet par cet article sont par trop discrétionnaires et trop larges : une interdiction de manifester sur tout le territoire pendant une durée allant jusqu'à un mois ! Les garde-fous putatifs sont très limités.
M. le président. - Amendement identique n°20, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ce n'est pas la première fois que le législateur tente de contraindre les libertés constitutionnelles par la voie administrative. Les interdictions administratives de stade sont fortement contestées, plus de dix ans après leur instauration. On se rappelle aussi que certains ont voulu l'étendre aux fraudeurs dans les transports en commun. Pour les députés En marche, l'idée est de faire tampon entre la constatation des faits et le jugement. On sait comment cela se termine. La décision reste, en dépit d'une relaxe.
Le droit au recours est limité en dépit des promesses. Ne restera que l'option d'un recours devant le préfet dont on sait l'inefficacité.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois est réservée sur certaines formulations de l'Assemblée nationale, qui ne remettent cependant pas en cause l'interdiction de manifester. Cette interdiction administrative de manifester vise seulement les personnes les plus dangereuses. Selon le préfet de Paris, 80 à 100 personnes maximum seraient concernées en Île-de-France ; on est loin d'une atteinte massive à la liberté de manifester.
« Agissement » est un substantif qui cible des actes qui ne sont pas visés par le code pénal, comme le fait d'encourager les violences. Ce sont les meneurs qui sont ciblés.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - C'est écrit nulle part !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Mes propos, consignés au Journal officiel, pourront être utilisés par le juge administratif pour interpréter le droit. La décision du préfet devra être motivée par des éléments prouvant la menace d'une particulière gravité à l'ordre public. Le juge administratif exercera son contrôle.
M. Christophe Castaner, ministre. - L'interdiction de manifester se fonde bien sur « la menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » - c'est le niveau le plus haut. Cette menace peut être due à des agissements antérieurs dans une manifestation qui a donné lieu - là encore - à de graves atteintes. Le préfet devra caractériser de façon précise et objective, notamment par des notes des renseignements, le caractère violent des actes de la personne.
N'ayons pas peur des préfets ! Ceux-ci n'aiment pas voir leurs décisions annulées par le juge administratif. Ils veulent d'abord prévenir avant de réprimer. Nous sommes dans une logique préventive ; en aucun cas, dans une logique répressive.
Il y a un paradoxe à accepter qu'un préfet interdise une manifestation, mais pas qu'il interdise de manifestation une personne menaçant l'ordre public - car c'est bien de cela que nous parlons.
M. Bruno Retailleau. - C'est l'enjeu.
Les amendements identiques nos13 et 20 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°16 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Alinéa 2
Remplacer les mots :
Lorsque, par ses agissements à l'occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi qu'à des dommages importants aux biens ou par la commission d'un acte violent à l'occasion de l'une de ces manifestations, une personne constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public
par les mots :
Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que la présence d'une personne dans une manifestation constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public et en raison, dans les six derniers mois, de sa participation à un attroupement tel que défini à l'article 431-3 du code pénal ou de ses agissements lors de manifestations ayant fait l'objet de poursuites ou d'une condamnation pénale
Mme Josiane Costes. - Les amendements que nous présentons soulignent des difficultés juridiques justifiant une poursuite de la navette parlementaire.
À l'alinéa 2, l'action administrative pourrait concurrencer l'action judiciaire, puisque l'infraction vise le code pénal. Et comment articuler sanction administrative et pénale ? Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de mars 2015, a clairement établi que le cumul peut exister dès lors qu'il n'est pas automatique.
La rédaction actuelle ne pose pas de limite dans le temps. Théoriquement, un individu ayant commis des actes violents dans son jeune âge pourrait être interdit de manifester bien des années plus tard.
Nous introduisons une nécessité de mesurer la proportionnalité et de disposer d'éléments objectifs tels que l'ouverture d'une procédure judiciaire. Notre rédaction s'inspire du droit des étrangers.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois s'est interrogée sur le champ de l'interdiction administrative de manifester. Mais au regard des assurances du Gouvernement, nous n'avons pas souhaité modifier l'article 2.
Votre rédaction n'est pas plus restrictive. La participation à un attroupement sur la voie publique est un délit, mais n'est pas pour autant à l'origine des troubles. Votre rédaction empêcherait de viser les meneurs. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis défavorable.
L'amendement n°16 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux et Vall.
Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou dont il a connaissance
Mme Mireille Jouve. - Cet amendement pointe la limite de la législation actuelle, floue entre la manifestation et l'attroupement, défini à l'article 431-3 du code pénal. Dès lors, l'interdiction contreviendrait à la liberté d'aller et de venir. Supprimons cette insécurité juridique, d'autant que nous ne disposons ici d'aucune étude d'impact.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Supprimer l'interdiction administrative pour des manifestations non déclarées limiterait fortement le dispositif. Dans le cas des gilets jaunes, dont la plupart des manifestations n'étaient pas déclarées, aucun casseur n'aurait pu être interdit de manifestations. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
L'amendement n°6 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
ni le domicile d'un membre de sa famille
Mme Maryse Carrère. - Cet amendement précise le périmètre géographique de l'interdiction de manifester. La première lecture a utilement précisé que l'interdiction ne pouvait porter sur la commune du domicile ni celle du travail de la personne, mais il faut aller plus loin, en tenant compte des difficultés sociales. Nous proposons que l'interdiction ne puisse porter non plus sur la commune des parents de la personne, les relations familiales participant du droit à une vie familiale normale tel que défini par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Le Sénat avait exclu le domicile de la personne et son lieu de travail. Votre élargissement ne répond pas aux exigences du Conseil constitutionnel telles que définies le 9 juin 2017, et limitées au domicile et au lieu de travail. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, Collin, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Roux et Vall.
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
Mme Maryse Carrère. - Cet amendement supprime une disposition introduite à l'Assemblée nationale, qui étend la possibilité de prononcer une interdiction de manifester sur un mois à l'échelle de tout le territoire national.
Compte tenu des faibles garanties juridictionnelles de ce texte, nous craignons une déchéance temporaire et partielle de citoyenneté.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Alinéa 5
Supprimer les mots :
ou à une succession de manifestations
et les mots :
pour une durée qui ne peut excéder un mois
Mme Maryse Carrère. - Il est défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Cette interdiction à l'échelle nationale est utile d'un point de vue opérationnel, afin d'empêcher une personne interdite de manifester quelque part d'aller manifester ailleurs.
L'interdiction sur un mois nous pose plus de problèmes, mais nous avons été rassurés par les services du ministère de l'Intérieur, qui nous ont dit qu'un très faible nombre de personnes seront concernées. Avis défavorable aux deux amendements nos5 rectifié et 7 rectifié.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Mme Carrère pointe les dangers de cette rédaction qui correspond à une interdiction générale de manifester, dans le temps et l'espace.
Madame la rapporteure, comment pouvez-vous vous satisfaire des propos du ministre, qui ne l'engagent en rien ? Nous sommes parlementaires, notre rôle est de défendre les libertés publiques, par des règles précises - sans nous contenter d'assurances verbales, a fortiori quand il ne s'engage pas au moins devant notre hémicycle...
M. Christophe Castaner, ministre. - Je l'ai fait précédemment !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Le groupe socialiste votera l'amendement n°5 rectifié.
M. Alain Richard. - Notre discussion rebondit sur des mesures d'ordre public calquées sur un raisonnement qui relève de l'ordre judiciaire. Le Conseil constitutionnel a confirmé les décisions combinées du Conseil d'État et a clarifié que les mesures limitatives de liberté relevaient de l'ordre administratif alors que les mesures privatives de liberté relevaient de l'ordre judiciaire. Y aura-t-il des interdictions de manifester sur tout le territoire ? Oui, mais uniquement si le degré de dangerosité de la personne le justifie. Une personne pourra-t-elle être interdite bien des années après les faits qui lui auront été reprochés ? Assurément non, car ce serait disproportionné. Les principes de base de la police administrative ont déjà tranché le débat depuis des décennies...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ce n'est pas l'argumentaire de Mme la rapporteure.
M. Alain Richard. - Je la complète.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Je ne me satisfais pas seulement des explications des services du ministère et de la Chancellerie. Parlementaire, je suis convaincue du bien-fondé, de l'utilité et de l'efficacité de cette mesure - et c'est à ce titre que je me prononce.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°7 rectifié.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Alinéa 6, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
M. Jean-Claude Requier. - Cet amendement supprime la dérogation de notification s'appliquant à l'interdiction administrative de manifester.
Pour être revêtue de force exécutoire, une décision administrative individuelle négative doit être notifiée. Le juge administratif a toutefois considéré qu'une information orale suffisait. Le problème, avec l'interdiction de manifester, c'est qu'une notification verbale ne saurait suffire dès lors qu'on entre dans une matière pénale. Mieux vaut supprimer cette phrase.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Cet ajout par l'Assemblée nationale répond à un impératif opérationnel. Lorsque la manifestation n'est pas déclarée, le préfet peut en être informé très tard. Dans ce cas, le délai de 48 heures ne pourra être respecté. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9 rectifié, présenté par MM. Menonville, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty et Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Après l'alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'arrêté concerne un mineur, un avis préalable du procureur de la République de Paris ou du procureur de la République territorialement compétent est requis.
M. Franck Menonville. - Cet amendement propose un régime plus protecteur pour les mineurs. Il prévoit qu'une interdiction de manifester ne puisse être prise qu'après un avis préalable du procureur de la République.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Malgré une intention louable, la portée de l'avis du procureur n'est pas précisée : avis simple ou conforme ? Comment concilier cette demande avec des délais contraints ? Cette mesure est-elle bien compatible avec la séparation des pouvoirs ? Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis défavorable.
L'amendement n°9 rectifié n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 3
M. Jean-Yves Leconte . - Monsieur le ministre, j'apprécie votre pirouette rhétorique qui consiste à dire : il peut y avoir interdiction individuelle de manifester puisque le préfet peut déjà interdire une manifestation. Mais on ne peut pas confondre les situations ! Les circuits juridictionnels ne sont pas les mêmes. Ensuite, s'il existe bien un principe jurisprudentiel de proportionnalité, il revient au législateur de déterminer les peines qu'il souhaite appliquer.
M. Alain Richard. - Le pouvoir d'appréciation sous le contrôle du juge existe depuis un siècle et demi ! C'est comme cela !
M. Jean-Yves Leconte. - Précisons la loi !
M. le président. - Amendement n°22, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Esther Benbassa. - Dans sa version initiale, l'article 3 prévoyait un fichier de personnes interdites de manifester. Nous avions, en première lecture, alerté sur la dangerosité d'un tel fichier, rappelant des précédents de sinistre mémoire... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) L'Assemblée nationale souhaite le fusionner avec le fichier des personnes recherchées, déjà fourre-tout puisqu'il va des évadés de prisons jusqu'aux adolescents fugueurs ! La manoeuvre est flagrante, puisqu'en passant par le décret, le Gouvernement contourne la CNIL, dont l'avis est pourtant requis quand on touche à la vie privée. L'exécutif ne doit pas s'immiscer dans la vie privée de nos concitoyens. Cet article est attentatoire aux libertés fondamentales.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'article 3 est essentiel : il donne aux forces de l'ordre les moyens de vérifier que leurs mesures sont bien suivies d'effet. Ces modifications introduites par l'Assemblée nationale ne contournent pas l'avis de la CNIL : le fichier existe déjà. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
Mme Esther Benbassa. - Mais comment les vérifications seront-elles faites ? C'est incroyable !
L'amendement n°22 n'est pas adopté.
M. le président. - Suspendons-nous ou bien poursuivons-nous l'examen du texte à condition de débattre dans des délais rapides ?
M. Bruno Retailleau. - Le fait de prolonger la séance ne nous dérange pas... Il faudrait davantage vous tourner vers nos collègues présidents de groupes de l'opposition.
Mme Éliane Assassi. - Je comprends que beaucoup, ici, veuillent précipiter l'issue de ce débat. Mon intervention vaut rappel au règlement.
Rappel au Règlement
Mme Éliane Assassi . - La Conférence des présidents a, je vous le rappelle, inscrit ce texte à l'ordre du jour pour cet après-midi, ce soir, demain après-midi et éventuellement demain soir, afin d'assurer les conditions d'un débat approfondi.
Souffrez que nous puissions exprimer nos désaccords ! Nous essaierons d'aller vite ; mais nous dirons ce que nous avons à dire sur chacun des articles.
M. le président. - Dès lors, effectivement, mieux vaut suspendre, puis reprendre après le dîner.
L'article 3 est adopté.
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE 3 BIS
M. le président. - Amendement n°23, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Michelle Gréaume. - L'Assemblée nationale a introduit cet article prévoyant un bilan d'application annuel des mesures des trois premiers articles. Cela semble inutile dans la mesure où le Parlement contrôle déjà l'action du Gouvernement.
Le contrôle de l'efficacité de l'article premier A est problématique, car le nombre de manifestations déclarées dépend du contexte national.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois a préféré conserver les articles premier, 2 et 3 nécessaires au renforcement de la prévention contre les violences lors des manifestations. Par cohérence, elle est favorable à cet article. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Avis défavorable aussi par cohérence. L'utilisation du fichier des personnes recherchées (FPR) est encadrée et réservée aux forces de police, de sécurité intérieure et aux gendarmes. Seules les personnes agréées y ont accès. Les entrées et sorties de ce fichier font l'objet d'un suivi. Ce fichier enfin est sécurisé.
Je ne puis qu'être défavorable à cet amendement. Si cet article 3 bis était supprimé, il faudrait créer un fichier spécifique qui ne serait peut-être pas aussi souple ni sécurisé.
À la demande de la commission des lois, l'amendement n°23 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°64 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 220 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'article 3 bis est adopté.
ARTICLE 4
M. le président. - Amendement n°14, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - Cet article crée un délit passible d'une sanction d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende pour dissimulation du visage dans une manifestation.
La proportionnalité entre les atteintes portées au droit de manifester, constitutionnellement garanti, et les objectifs poursuivis, n'est pas respectée au regard de la peine envisagée.
Le quantum de la peine n'est pas seul en cause. L'article 4 viserait, outre des personnes qui seraient « au sein » de la manifestation, des personnes qui se trouveraient « aux abords immédiats » alors que des troubles à l'ordre public ne sont pas en train d'être commis mais seulement « risquent d'être commis » et sans qu'un lien caractérisé soit établi entre le trouble et la personne qui dissimule juste « une partie de son visage ».
Or les articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen imposent un principe de modération dans l'utilisation de l'arme pénale qui doit répondre à un impératif de lisibilité et de prévisibilité pour le justiciable.
M. le président. - Amendement identique n°17 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Collin, Arnell, Artano, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Roux et Vall.
Mme Maryse Carrère. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°24, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. - La rédaction de cet article pose deux problèmes majeurs. Premièrement, il met en place une présomption de culpabilité pour toute personne se couvrant le visage dès lors que des troubles se produisent lors d'une manifestation. Deuxièmement, la notion de « motif légitime » est bien trop floue et interprétative pour être opérationnelle.
Qu'entend-on par le fait de cacher tout ou partie de son visage ?
M. Jean Bizet. - C'est avancé masqué !
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas clair. De même, qu'est-ce que l'absence de motif légitime ?
Enfin, qui sera juge pour apprécier comment et quand appliquer l'article ? Il appartiendra aux forces de l'ordre d'apprécier si cet article est applicable, avant même que le juge soit saisi...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il faudra apporter des preuves !
M. Pascal Savoldelli. - Le texte instaure donc une présomption de culpabilité pour quiconque se couvre le visage. Nous sommes nombreux à avoir manifesté... (On le confirme à gauche.) Peut-être pas aux mêmes endroits, ni pour les mêmes causes... (On s'en amuse à droite.) Or, lors d'une manifestation, on se protège le visage contre les gaz lacrymogènes... (MM. François Bonhomme et Philippe Pemezec ironisent.) Comme l'a dit un collègue du centre dont je partage l'opinion, nous ne manquons pas de lois contre les violences. L'article 4 est délibérément très flou, très instable.
L'acquiescement éclairera peut-être vos visages, le refus nous donnera la beauté. (Applaudissements et marques d'appréciation à gauche ; exclamations à droite)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Cet article, particulièrement attendu par nos forces de l'ordre, leur permettra d'interpeller et de garder à vue des fauteurs de troubles casqués ou cagoulés qui viennent dans les manifestations pour casser. Avis défavorable à sa suppression. La commission des lois a souhaité l'adopter conforme.
L'article ne crée pas une présomption de culpabilité puisqu'il appartiendra au parquet de prouver l'inexistence d'un motif légitime, que le tribunal appréciera en fonction des faits de l'espèce, à l'issue d'un débat contradictoire au cours duquel la personne mise en cause pourra se défendre et donner à l'audience toutes les explications de nature à prouver son innocence. Avis défavorable.
M. Pascal Savoldelli. - « Casqués ou cagoulés », dites-vous, mais ces termes ne figurent nulle part dans le texte sur lequel nous allons nous prononcer ! Ne caricaturons pas ! Nous faisons la loi, tout de même ! Il s'agit ici de dissimulation de tout ou partie du visage, et non du port de la cagoule et du casque !
Ensuite, vous parlez du parquet, mais où est-il, dans la manifestation ?
M. Alain Joyandet. - En bas ! (Quelques sourires à droite)
M. Pascal Savoldelli. - Il n'y a pas de quoi rire ! Il appartiendra aux policiers d'apprécier si la dissimulation du visage est susceptible d'être délictuelle ou non. Nous pouvons changer d'avis et cela est déjà arrivé, mais sur la base d'autres arguments !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Je ne prenais qu'un exemple !
M. Pascal Savoldelli. - Soit, mais un exemple ne saurait faire la loi !
M. David Assouline. - Certains, M. Retailleau en tête, appellent à une nouvelle phase pour changer d'arsenal juridique et législatif pour, nous disent-ils, faire face à un nouveau phénomène de violences. Rien n'est prouvé !
J'ai connu des violences inouïes et très organisées, dans des manifestations, des face-à-face, à Paris, entre les forces de l'ordre et des milliers de sidérurgistes munis de boulons. Il y eut mai 68. Puis, dans les années quatre-vingt-dix, nous hésitions à appeler à des manifestations lycéennes, car des centaines de jeunes déferlaient alors sur Montparnasse pour piller des boutiques et personne ne pouvait les contenir.
Je ne parle pas des bonnets rouges, de l'incendie du Parlement de Bretagne à Rennes ou de certaines violences paysannes. Depuis des décennies, les casseurs ont toujours porté casques et cagoules. Mais, dans l'Europe où la démocratie est aujourd'hui menacée, c'est l'arsenal législatif qui défend les libertés qui nous protègera le plus !
M. François Bonhomme. - C'est absurde !
Les amendements identiques nos14, 17 rectifié et 24 ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté.
L'article 5 demeure supprimé.
ARTICLE 6
M. Jean Bizet . - En commission des lois, j'avais déposé un amendement que je n'ai pas redéposé, étant donné la volonté de voter conforme le texte. Cet amendement prévoyait la déchéance des droits aux minima sociaux de celles et ceux qui détruisent les biens d'autrui. Une majorité de Français ne comprennent plus qu'avec une pression sociale et fiscale si élevée, nous ne distribuions pas à meilleur escient. Cet amendement que certains trouvaient brutal était, plus que d'appel, moralisateur.
Le sommet de Göteborg jetait les bases d'une convergence des droits sociaux en Europe. Nous en resterons à des années-lumière si nous continuons à verser des minima sociaux aux casseurs ou aux habitants de zones de non-droit. C'est inacceptable.
Mme Esther Benbassa . - Je regrette l'irrecevabilité de notre amendement portant article additionnel après l'article 6, tendant à mieux protéger les journalistes qui sont devenus, depuis quelques mois, les cibles des violences des manifestants et des forces de police. La liberté des médias, si précieuse à notre démocratie, mériterait en effet d'être mieux protégée.
Cet article renforce encore la législation punitive, en instaurant des peines complémentaires d'interdiction de manifester. Mais il sera inefficace contre les Black Blocs et les casseurs. Pour cela, il faudrait changer notre doctrine d'intervention et donner les moyens nécessaires aux forces de l'ordre.
Les agitateurs dans les cortèges sont très peu nombreux - environ 300. Il est possible de juguler le phénomène en trouvant un équilibre entre maintien de l'ordre public et garantie des libertés constitutionnelles et fondamentales, absent de ce texte.
M. David Assouline . - Les extrémismes sont à l'offensive : nationalités, populistes comme Viktor Orbán ou l'extrême droite autrichienne... par la voie des urnes plus que dans la rue. Nous tremblons que ce courant arrive au pouvoir en France car il y est présent, jusque dans les manifestations des gilets jaunes, et de plus en plus de nos voisins sont touchés. Que fera-t-il alors de nos lois et des moyens de l'État ?
C'est dans ce contexte que les libertés acquises sont fondamentales pour nous défendre contre les anti-républicains si ceux-ci arrivent au pouvoir. Nous devons faire beaucoup plus attention qu'avant. Sinon, comme à d'autres moments de l'histoire, ils mettront le désordre pour mieux apparaître comme les faiseurs d'ordre. Je vous prédis cela si nous cédons. La meilleure défense contre les extrêmes, c'est la démocratie et le respect des libertés fondamentales. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; marques de désapprobation à droite)
M. Jean Bizet. - C'est le laxisme !
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Vous nous préparez une petite France ! La France est grande quand elle est ferme sur les principes. Ayons la mémoire de l'histoire ! Certains pourront utiliser les lois de fichage, d'affaiblissement des libertés contre la République. Nous parlons de manifestations et non de terrorisme !
Dans l'histoire des manifestations, paysannes, parisiennes ou estudiantines, les périodes de débordements, de déstabilisations, qui sont le fait de minorités, ont toujours existé.
Quelle impuissance ! Nos amis européens ont-ils besoin de ça pour lutter contre les Black Blocs ? L'Allemagne a trouvé d'autres solutions pour y répondre. L'ONU, l'Union européenne mettent en cause notre pays. Cela ne vous frappe pas ? (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) Vous affaiblissez la France en donnant une mauvaise image de notre pays au monde et à notre jeunesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe SOCR ; protestations à droite)
M. le président. - Amendement n°26, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Christine Prunaud. - Un pointage au commissariat et le long des manifestations rendrait plus effective cette interdiction de manifester. Mais n'est-ce pas contrevenir à l'une des libertés fondamentales garanties par notre Constitution, celle de circuler librement ? Cette interdiction peut s'étendre à toute une série de manifestations, des festivals aux compétitions sportives !
Avec les dispositions techniques des articles 6 et 6 bis, vous rendez responsables les structures organisatrices qui se substitueraient à l'État. L'équilibre institutionnel n'est pas garanti. Comment expliquer une sanction identique pour quelqu'un utilisant des lunettes de piscine et un peu de sérum physiologique au cours d'une manifestation et pour une personne détruisant des biens publics ? Le droit actuel suffit déjà. La loi de 2011, à laquelle je suis favorable, précisait davantage - en citant notamment les cagoules et les masques - les interdits dans l'espace public.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois veut conserver l'article 6 qui donne aux autorités judiciaires de nouveaux moyens de lutter contre les casseurs, avec l'extension du champ de la peine complémentaire d'interdiction de manifester, et le recours aux procédures rapides, comme les comparutions immédiates, pour les délits liés aux attroupements.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur Bizet, la plus grosse manifestation depuis 1968 a eu lieu à Rennes en 1994 : moment terrible, où 5 000 marins-pêcheurs ont dévasté le centre-ville, causant plusieurs dizaines de blessés, puis l'incendie du Parlement de Bretagne ; dans le même temps, 1 000 pêcheurs saccageaient le pavillon de la marée à Rungis.
De nouveau, ce soir, le Royaume-Uni a refusé le deal proposé avec l'Union européenne. Nos marins-pêcheurs seront les premiers touchés. J'espère que vous n'aurez pas à utiliser l'article 6 contre l'expression de leur désespérance. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe SOCR)
L'amendement n°26 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°18 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gold et Gabouty, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Alinéa 3
Remplacer les mots :
de trois ans
par les mots :
d'un an
Mme Josiane Costes. - Cet amendement réduit la durée de l'interdiction de manifester susceptible d'être prononcée par un juge comme peine complémentaire. Assurons-nous que cette disposition ne puisse pas être dévoyée pour fragiliser des mouvements sociaux.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'interdiction de manifester est une peine complémentaire qui peut être prononcée par un tribunal. Donnons aux autorités administratives et judiciaires de nouveaux moyens d'action. L'interdiction administrative de manifester ne saurait être utilisée en aucun cas pour réprimer un mouvement social. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°18 rectifié n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
ARTICLE 6 BIS
M. le président. - Amendement n°15, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - L'article 6 bis complète la liste des obligations et interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d'un contrôle judiciaire en ajoutant l'interdiction de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention (JLD).
Or le contrôle judiciaire peut déjà comporter l'interdiction, pour le mis en cause, de se rendre dans certains lieux.
Cet article permet au juge d'interdire de manifestation une personne mise en examen et placée sous contrôle judiciaire, sans préciser que la mise en examen est due à des violences commises au cours d'une manifestation.
L'Assemblée nationale n'ayant pas ajouté à l'article 141-4 du code de procédure pénale la nouvelle interdiction de manifester dans des lieux déterminés, on ne peut pas interpeller pour sa violation. Mais c'est sur le fondement de cet article que les services de police ou de gendarmerie peuvent placer une personne soupçonnée d'avoir violé ses obligations en rétention judiciaire, pour une durée maximale de 24 heures, afin de l'entendre sur le non-respect de ses obligations.
Cette disposition est donc inutile et imprécise sur la forme et inaboutie sur le plan opérationnel.
M. le président. - Amendement identique n°27, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. - Déjà opposés au prononcé d'interdiction de manifestation dans le cadre des peines complémentaires, nous constatons que l'article 6 bis est largement satisfait par l'article 6. Il n'y a pas grand sens à inscrire la peine complémentaire d'interdiction de manifester dans le cadre du contrôle judiciaire. La définition extrêmement large des « manifestations sur la voie publique » laisse à penser que cette mesure contrevient au principe de proportionnalité de la peine et aux libertés fondamentales.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Cette mesure de l'Assemblée nationale est opportune sur le fond, car elle réduit rapidement le risque de réitération ; elle est moins contraignante que la mesure actuelle qui interdit de se rendre dans certains lieux et n'est pas redondante. Sur le fond, on peut regretter l'absence d'une coordination qui autoriserait l'interpellation d'une personne qui violerait cette interdiction. Cette petite imperfection ne justifie pas de prolonger la navette.
L'article 6 bis n'est pas satisfait par l'article 6 qui porte sur les interdictions de manifester. Avis défavorable sur les deux amendements.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
M. Pascal Savoldelli. - Monsieur le ministre, prendrez-vous part ce soir au débat, au lieu de tout déléguer à Mme la rapporteure ? Va-t-on vous entendre cette nuit ? Assumez votre politique !
M. Christophe Castaner, ministre. - Vous nous avez manqué cet après-midi !
M. Pascal Savoldelli. - On ne peut pas toujours se cacher mais votre parcours politique est un peu caméléon...
Voix à droite. - C'est le poisson rouge !
M. Christophe Castaner, ministre. - Si vous étiez là cet après-midi, vous m'auriez entendu... Je refuse les mises en cause personnelles ! Un petit peu de respect !
M. David Assouline. - Il est surprenant de constater votre évolution sur un texte provenant de la droite sénatoriale. M. Nunez remarquait, ici même, en première lecture, que des dispositions de cette loi remettaient en cause des libertés fondamentales. Or, désormais, vous êtes d'accord ! Par quel cheminement intellectuel en arrivez-vous à vous aligner sur la droite sénatoriale ?
Vous avez conscience de la fragilité du dispositif. Comme le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel, tout propos non millimétré du ministre fragilisera la position du Gouvernement devant le Conseil constitutionnel. Je n'ai pas d'autre explication. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) C'est une hypothèse !
Depuis le début, c'est une loi de circonstance... Nous avons tous eu peur des premières manifestations des gilets jaunes... (M. François Grosdidier proteste.)
M. Christophe Castaner, ministre. - Monsieur le vice-président, j'ai commencé la soirée en m'exprimant sur un article.
M. Nunez avait émis un avis de sagesse et avait fixé un rendez-vous à la Représentation nationale... le 15 janvier, avec un groupe de travail interne aux deux ministères de la Justice et de l'Intérieur. Nous avons été au rendez-vous et avons éclairé les travaux.
Je pensais m'aligner sur la commission des lois et non sur la « droite sénatoriale », comme vous l'avez dit. Un texte, porté par quelqu'un d'un autre groupe politique, peut ne pas être mauvais. J'ai passé comme vous un certain temps au PS... On se prononçait avant tout en fonction de la couleur politique de l'orateur ou du porteur de proposition, et non du fond de celle-ci. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste vigoureusement.)
MM. François Bonhomme et Alain Joyandet. - Quel aveu !
M. Christophe Castaner, ministre. - J'ai fait aussi une longue intervention sur un amendement en début de soirée, à un moment où l'hémicycle était moins rempli... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le ministre, de sortir de votre mutisme. M. Retailleau soulignait, dans la discussion générale, que le Gouvernement avait une « pensée complexe ».
Monsieur Retailleau, sur Public Sénat, excellente chaine, rigoureuse, vous dénonciez, après son passage à l'Assemblée nationale, une « dénaturation » de la loi. Tels sont vos propos !
M. Bruno Retailleau. - (« Ah ! » à droite) Je les ai tenus après la réunion de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Après le vote en séance publique à l'Assemblée nationale, j'ai acté le fait que certains dispositifs, tels que le délit de dissimulation et d'autres mécanismes de prévention, avaient été heureusement sauvegardés.
Chacun connaît mes convictions, et je n'hésite pas à dénoncer la politique du Gouvernement. Mais lorsqu'il y a des violences, des Black Blocs, quand la République est en danger...
Mme Éliane Assassi. - La République ne vous appartient pas !
M. Bruno Retailleau. - ...il est important que les républicains se serrent les coudes. (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et LaREM ; Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste vivement.)
Les amendements identiques nos15 et 27 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°28, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
I. - L'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après le mot : « public », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « elle saisit le juge des libertés qui peut prononcer son interdiction. Cette saisine s'effectue soit au maximum trois jours francs avant le début de la manifestation concernée lorsque celle-ci a été déclarée plus de quatre jours francs avant sa date de tenue, soit au maximum deux jours francs lorsque celle-ci a été déclarée trois jours francs avant sa date de tenue. En cas d'urgence absolue et d'élément nouveau établissant un risque réel et sérieux de troubles graves à l'ordre public, l'autorité investie du pouvoir de police peut toutefois saisir le juge des libertés et de la détention qui a obligation de statuer avant le début de la manifestation concernée. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « , dans les vingt-quatre heures, » sont remplacés par le mot : « immédiatement » ;
b) À la seconde phrase, après le mot : « échéant, », sont insérés les mots : « dans les vingt-quatre heures suivant la réception de la déclaration de manifestation concernée, ».
II. - Le premier alinéa de l'article L. 332-16-1 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'arrêté est prononcé au plus tard cinq jours francs avant la date prévue du déplacement individuel ou collectif et est notifié immédiatement aux personnes physiques mentionnées aux articles L. 224-1 et L. 224-3. »
M. Pierre Ouzoulias. - Cet amendement concilie liberté de manifester et ordre public. La liberté de manifester est constitutionnelle. Nous regrettons que seul le préfet décide, sans aucune restriction temporelle.
Malgré un référé-suspension, les organisateurs peuvent rarement exercer leurs droits. Il faudrait établir un diagnostic des interdictions administratives de déplacement pour les manifestations sportives.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Le pouvoir d'interdire une manifestation appartient au préfet, sous le contrôle du juge administratif. Il n'est décidé qu'en dernier ressort. Le confier au juge des libertés et de la détention contreviendrait à la séparation des pouvoirs. Ce juge est, de plus, fort mal placé pour savoir si la préfecture a les moyens de garantir le maintien de l'ordre. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - J'allais dire « même avis » mais, pour avoir été maire durant seize ans, je ne peux pas, dans cette assemblée, ne pas prendre la défense des maires à qui appartient, de par l'article 211-4, la compétence d'interdire une manifestation. Rejet.
L'amendement n°28 n'est pas adopté.
L'article 6 bis est adopté.
ARTICLE 7
M. François Grosdidier . - Je me suis absenté pendant l'interruption de séance pour aller soutenir les policiers réunis au Trocadéro pour faire entendre leur cause, après le décès de la présidente de l'Association des policiers en colère, Maggy Biskupski. Ils ne comprennent pas que les propositions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure soient aussi peu suivies. Ils se demandent si la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a été créée pour ne pas enquêter, comme on l'a vu sur d'autres dossiers, ou repousser de six mois des mesures nécessaires.
Frapper au portefeuille les délinquants est toujours une sanction efficace. Des dégradations considérables sont commises durant les manifestations, sans que la responsabilité civile de personne ne soit recherchée.
Grâce à cette proposition de loi Retailleau, on le pourra désormais. La gauche et la droite se retrouvent sur les idées de liberté et d'égalité mais s'il est bien une marque de fabrique de la droite, c'est la défense de la responsabilité. Nous devons à M. Retailleau la reconnaissance du principe pollueur-payeur, avançons et instituons le principe de casseur-payeur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. David Assouline . - Il ne s'agit pas d'un débat entre républicains et antirépublicains. Nous sommes tous républicains dans cet hémicycle du moins à cette heure car ceux qui sont contre la République participent rarement à nos débats la nuit.
La question est de savoir comment défendre la République. Je maintiens que la meilleure défense est notre arsenal de libertés publiques et individuelles face aux violences. Prenez les terroristes, ils ne recherchaient rien d'autre qu'à provoquer des dérapages pour que nous abandonnions nos principes républicains.
Je n'ai aucun problème à m'allier avec Les Républicains pour m'opposer à la privatisation d'ADP. Ce que je ne comprends pas est le cheminement intellectuel qu'a emprunté le Gouvernement, à part la conjoncture, pour en venir à soutenir cette proposition de loi qui vient de la droite. J'aurais aimé des éclaircissements de la part du ministre.
Ce débat sur les moyens de défendre la démocratie et la République est légitime, il n'est pas clos. Nous y reviendrons car le combat est devant nous.
M. le président. - Amendement n°30, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - C'est une citoyenne responsable qui vous demande de supprimer l'article 7. Si la jurisprudence a reconnu le principe de la responsabilité in solidum dès 1975 en dehors de la responsabilité collective conventionnelle ou contractuelle, ce principe doit être manié avec une extrême prudence. L'exigence de « faute collective » et de participation à cette dernière est difficilement lisible et contrevient dans de nombreux cas aux articles 1240 et 1241 du code civil. De fait, le principe de faute collective constitue une exception à la règle de responsabilité individuelle.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Les travaux de la commission des lois ont fait disparaître du texte toute référence à une notion de responsabilité collective pour garantir sa constitutionnalité et les droits fondamentaux. Ainsi, le texte exige un fait générateur, un préjudice réparable et un lien de causalité entre les deux. Avis défavorable.
M. Christophe Castaner, ministre. - Madame Assassi, nous pourrions être tout à fait d'accord...
Mme Éliane Assassi. - Non !
M. Christophe Castaner, ministre. - ...si le texte était différent. Ne confondons pas faute collective, absente de ce texte, et responsabilité solidaire. Il s'agit de créer le principe casseur-payeur et seulement de ça.
L'amendement n°30 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté.
Explications de vote
M. Jérôme Durain . - Dans notre position sur ce texte, aucun angélisme, aucune complaisance pour les casseurs ; nous soutenons avec conviction nos forces de l'ordre mais nous pensons que ce texte est inutile et dangereux.
M. François Grosdidier. - Ce n'est pas ce que disent les policiers !
M. Jérôme Durain. - Dramatiser la situation ne rend service à personne. Dire que le niveau de violence n'a jamais été aussi élevé est inexact ; dire que les violences sont insupportables et doivent être fermement condamnées est juste.
Monsieur le ministre, vous êtes sorti de votre mutisme pour affirmer que les défenseurs de ce texte sont dans la pureté des convictions, loin des calculs politiques et dans le refus du sectarisme ; cela nous a laissés pantois. Jacques Toubon craint un affaissement des libertés individuelles. Je pourrais aussi citer MM. Mignard et Sureau ainsi que M. de Courson, qui ne sont pas connus pour être des adversaires acharnés du président de la République. Mêmes les groupes politiques du Sénat sont partagés.
Ce texte flou fait courir un risque d'arbitraire. Dès demain, nous saisirons le Conseil constitutionnel en espérant que les Sages trancheront. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean Bizet. - Il y aura un embouteillage !
Mme Éliane Assassi . - Le ministre n'a pas eu la courtoisie de répondre aux orateurs des groupes après la discussion générale.
M. Christophe Castaner, ministre. - Ce n'est pas l'usage !
Mme Éliane Assassi. - Il est très rare qu'un ministre ne le fasse pas, et je suis souvent présente dans l'hémicycle !
Ce texte ne répond en rien aux problèmes causés par la violence dans les manifestations mais il dissuadera les Français pacifiques de manifester.
M. Christophe Castaner, ministre. - Cela n'a rien à voir ! C'est par peur des violences !
Mme Éliane Assassi. - Vous portez un uppercut à la liberté de manifester !
M. Christophe Castaner, ministre. - Non !
Mme Éliane Assassi. - Si vous aviez, comme nous et nos camarades, l'expérience des manifestations, vous verriez.
La saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République est un acte fort. Il en retirera un avantage politique comme le soulignait Olivier Duhamel dans un journal du soir, mais surtout un avantage juridique puisque la loi s'appliquera sans être sous la menace d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Monsieur Retailleau, avec tout le respect que j'ai pour vous, (Exclamations à droite) la République n'est pas la propriété de certains, nous sommes tous des républicains ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. François Bonhomme . - Cette loi, qui n'est pas de circonstance, apporte une réponse graduée et ciblée pour mettre fin aux actions violentes que nous connaissons dans les manifestations depuis une quinzaine d'années, comme nous avons, il y a quelques années, endigué le hooliganisme. Elle donne aux autorités les moyens d'agir contre les casseurs qui s'en prennent aux symboles du pouvoir et de l'État avec, parfois, la volonté de tuer. La responsabilité du Sénat est de défendre nos concitoyens face à cette violence froide.
J'ai entendu avec plaisir l'acte de contrition de M. Castaner sur sa trajectoire politique passée. Parfois, le réel se fracasse contre le mur de l'idéologie. La vieille gauche des années 70 et 80 est dans la logomachie, elle s'accroche à ces vieilles images d'Épinal. Alors que la France est un pays où les libertés sont les mieux garanties, certains parlent de « frénésie sécuritaire », d'un texte « liberticide » et comparent les violences dans les manifestations avec les actions des marins-pêcheurs.
Mme Éliane Assassi. - Oui, il y a eu des actions violentes des marins-pêcheurs !
M. François Bonhomme. - La responsabilité du législateur est de défendre le droit de manifester ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Laure Darcos . - J'ai beaucoup d'estime pour mes collègues communistes qui ont évoqué leur expérience des manifestations ou des barricades...
Mme Éliane Assassi. - N'exagérons pas !
Mme Laure Darcos. - Je le dis sans ironie. En revanche, je ne comprends pas leur position démagogique. Les manifestations dont ils sont nostalgiques étaient pacifiques. M. Retailleau a déposé sa proposition de loi après le 1er mai, la fête du travail ! Les Black Blocs ont tout cassé, mon fils était terrorisé !
Mme Éliane Assassi. - La faute à qui ?
Mme Laure Darcos. - Vous dites que la violence a toujours existé mais les images sur les réseaux sociaux décuplent cette violence.
Mme Éliane Assassi. - C'est ça qui vous gêne ?
Mme Laure Darcos. - Vous avez eu à peine un mot pour les commerçants et artisans vandalisés.
Mme Éliane Assassi et M. Jérôme Durain. - C'est faux !
M. David Assouline. - Complètement faux et impossible quand on est un élu parisien !
Mme Laure Darcos. - Il y a quelques années, porter atteinte à un policier ou un gendarme était un acte gravissime...
Mme Éliane Assassi. - Et vous ne vous demandez pas pourquoi cela a changé ?
Mme Laure Darcos. - Les policiers seraient plus sereins face à des manifestants pacifiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Maryse Carrère . - Aucun de nos amendements n'a été adopté, la majorité du groupe RDSE votera contre ce texte. Les articles 2 et 4 en particulier nous inquiètent, le Conseil constitutionnel tranchera.
Les sénateurs RDSE ne sont pas moins républicains que d'autres. Ils ont le respect des libertés et la défense de la République chevillés au corps. Ce texte ne réglera rien. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, SOCR et CRCE ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
M. Alain Richard . - Ce débat très pluraliste a été détaillé et complet. Si aucun amendement n'a été adopté, nous avons clarifié certains concepts. La récurrence des violences met en péril le droit de manifester. Le désaccord entre nous vient du fait que certains pensent que la justice seule permettra de lutter contre les actes de violence alors que, dans les faits, la plupart des auteurs échappent aux poursuites.
Nous avons, de façon proportionnée, élargi légèrement l'arsenal pénal et avons introduit des mesures de contrôle administratif. À ceux qui s'intéressent à ce que pense le Conseil constitutionnel, je rappelle que l'ordre public est un impératif d'ordre constitutionnel - cela est répété dans des dizaines de décisions. Nous nous inscrivons dans une tradition juridique française, selon laquelle l'ordre public et la sécurité du pays sont assurés par des décisions discrétionnaires de l'autorité publique sous le contrôle vigilant d'un juge, pour endiguer un phénomène qui représente une menace pour la vie démocratique de notre pays.
C'est la raison pour laquelle, avec une majorité du groupe LaREM, il faut approuver ce texte. Lorsque le juge constitutionnel se sera prononcé, non seulement on l'appliquera mais, et tous ceux qui ont l'expérience de quelques alternances le savent, il restera. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Madame Darcos, à vous entendre, les opposants à ce texte trouvent que les Black Blocs, les violences, c'est normal.
Mme Laure Darcos. - Vous n'avez rien proposé !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est faux. Ces violences disqualifient les causes pour lesquelles nous défilons dans les manifestations ! La question est : quel prix voulons-nous faire payer à la société française en termes de libertés fondamentales pour contrecarrer une minorité dangereuse ?
C'est une question d'équilibre. Selon M. Richard, l'ordre public relèverait du champ de l'action discrétionnaire. Celui-ci s'accroît d'année en année, sans que cela donne de résultats. Les libertés individuelles sont de plus en plus menacées. Je n'ai pas honte d'être la vieille gauche de Jaurès...
M. François Grosdidier. - Jaurès, ce n'était pas dans les années 70 !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - ...contre le parti de l'ordre, qui fait des courbettes au Front national... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - Caricature !
M. Alain Joyandet. - Le Front national, c'est vous qui l'avez fait monter !
M. David Assouline . - Pas un mot pour les commerçants ? Paris, ma ville, a été en proie chaque samedi à des destructions...
M. François Bonhomme. - Avec d'autres villes !
M. David Assouline. - J'appelle, chaque samedi après-midi, mon fils pour vérifier qu'il n'est pas pris dans une nasse ou pris à partie par des énergumènes comme un philosophe connu. Ces individus s'attaquent aux juifs, aux élus, à tout ce qui peut incarner la République. Cette loi ne résoudra rien...
M. François Grosdidier. - Alors on ne fait rien ?
M. David Assouline. - ...mais elle peut nous affaiblir car ce sont les libertés et les droits de l'homme qui sont à la base de notre démocratie. C'est grâce à eux que nous résisterons.
Arrêtez les procès en antirépublicanisme. Le combat est devant nous. Cessons l'engrenage qui veut qu'en face de ceux, terroristes et autres, qui attaquent notre démocratie, nous réduisions les droits fondamentaux.
Mme Françoise Gatel . - Nous sommes tous des républicains. Les valeurs de la République sont notre honneur et notre force. Elles sont aujourd'hui attaquées ; je vous le dis, monsieur Assouline, avec nostalgie et tristesse. Acceptez que certains les défendent différemment de vous pour combattre les malfaisants qui ne veulent qu'une chose : détruire et ensevelir la République.
J'ai le souvenir de samedis tragiques à Rennes, des saccages, des attaques contre des policiers dans le sillage des manifestations contre Notre-Dame-des-Landes, de la loi Travail et du mouvement actuel. Les casseurs sont des professionnels de la guérilla que nous n'osons pas nommer.
Malgré le risque constitutionnel, je voterai cette proposition de loi comme beaucoup de mes collègues centristes parce que ce texte vise à protéger la liberté de manifester. (Mme Catherine Troendlé, rapporteur, approuve ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
À la demande du groupe socialiste et républicain, l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°65 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 210 |
Contre | 115 |
Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Prochaine séance demain, mercredi 13 mars 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 15.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus