Maintien de l'ordre public lors des manifestations (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations.
Rappel au Règlement
M. Loïc Hervé . - Je m'étonne que le porte-parole du Gouvernement ait annoncé hier, avant même l'examen en seconde lecture par le Sénat, que le président de la République saisirait le Conseil constitutionnel, au titre de l'article 61, sur le texte que nous allons examiner aujourd'hui. Certes, le président de la République est dans son droit, mais l'annonce à ce stade interpelle. Voudrait-on laisser penser que le président de la République défend les libertés publiques plus que ne le fait le Sénat ?
M. le président. - Acte est donné de votre rappel au Règlement.
Discussion générale
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - Ce texte part d'un constat désolant mais lucide. Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez eu raison de déposer cette proposition de loi en juin dernier. La doctrine de maintien de l'ordre est en profonde mutation. À chaque manifestation, des brutes s'infiltrent dans les cortèges, pillent les commerces, détruisent le mobilier urbain, attaquent les forces de l'ordre. Ils défient la République, transformant les manifestations en émeutes.
Cette petite minorité de casseurs n'a rien à voir avec les manifestants - que nos forces de l'ordre savent gérer et doivent protéger. Nous ne pouvons accepter que le droit de manifester soit ainsi confisqué par des vandales.
Vous avez pris les devants et proposé, avant même les manifestations des gilets jaunes, de nous donner les moyens d'agir contre les individus violents, et je salue l'initiative du président Retailleau pour protéger les Français et garantir le droit de manifester.
En tant que ministre de l'Intérieur, je souhaite que les violences cessent, que les préfets et les forces de l'ordre aient un cadre juridique et administratif adapté. En tant que ministre de la sécurité et des libertés, je rappelle que toutes nos décisions sont guidées par les principes de nécessité et de proportionnalité.
En tant que citoyen, militant, élu local, ancien député et ancien manifestant, je vous demande de sauvegarder le droit de manifester.
Cette proposition de loi obéit à un principe simple : protéger.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois. - Tout à fait.
M. Christophe Castaner, ministre. - C'est une loi de protection, pour les manifestants, premières victimes des casseurs qui les prennent en otage ; pour les journalistes, souvent lâchement attaqués ; pour les commerçants ; pour les forces de l'ordre, qui font leur devoir ; pour la République, pour les élus et les institutions que certains ultra-violents croient pouvoir renverser.
C'est une loi de liberté : celle de manifester sans crainte. Cette proposition de loi l'affirme, il n'y a pas de place pour la peur dans les manifestations.
Depuis le 27 novembre, les brutes ont fait 1 500 blessés parmi les policiers et les pompiers. Il fallait agir vite. Je salue le vote conforme en commission des lois ; c'est un choix de responsabilité. Vous avez fait passer le sens de l'État, l'intérêt général avant les intérêts partisans.
Lors de la première lecture, Laurent Nunez avait donné un avis de sagesse. Je salue votre travail et celui de l'Assemblée nationale pour mieux encadrer ce texte et prévoir les garde-fous nécessaires.
L'article premier autorise les fouilles de sacs sur les lieux et aux abords des manifestations, exclusivement sur réquisitions écrites du procureur de la République. Ne soyons pas naïfs : quand on vient à une manifestation avec des boules de pétanque, ce n'est pas pour jouer une partie... Avec cet article, ces armes par destination pourront être confisquées avant le passage à l'acte.
L'article 2 permet de prononcer l'interdiction administrative de participer à une manifestation. Pas une once d'arbitraire : chaque décision d'interdire doit être motivée et proportionnée. Ces dispositions ne ciblent qu'un petit nombre d'individus ultraviolents.
Ce n'est par une loi liberticide ! Le juge des référés peut être saisi et annuler une décision du préfet : il reste l'ultime garant des libertés.
Plutôt que de tout interdire - ce que peut faire le préfet - ce texte cible les casseurs pour que chacun puisse manifester librement.
En première lecture, vous aviez prévu que la personne ait été reconnue coupable au préalable - or une condamnation définitive prend du temps, et nous devons pouvoir agir vite.
L'article 3 prévoit d'inscrire les mesures d'interdiction dans le fichier des personnes recherchées plutôt que de créer un nouveau fichier.
L'article 4 aggrave les sanctions en cas de dissimulation du visage. Il donnera davantage d'outils permettant aux forces de l'ordre d'intervenir.
Enfin, ce texte renforce les peines contre ceux qui détruisent, en introduisant le principe du casseur payeur. Il est temps de mettre les vandales face à leurs responsabilités !
La brutalisation au sein des manifestations est un phénomène qui s'installe : depuis fin novembre, 4 000 personnes ont été blessées, 2 000 magasins attaqués. Nous ne pouvons nous y habituer.
J'entends cependant les craintes de certains, et toutes les garanties de libertés publiques doivent être prises en la matière. Le président de la République saisira le Conseil constitutionnel, sans présumer de l'intention du Sénat ; cela permettra de lever les doutes.
Mme Esther Benbassa. - Pas sûr !
M. Christophe Castaner, ministre. - Détourner le regard, c'est donner un laisser-détruire à quelques brutes, les laisser menacer nos institutions, notre liberté.
J'ai entendu le récit des CRS de Vélizy, confrontés à la haine déchaînée. Ce texte est une occasion d'agir pour eux, une occasion à saisir pour tout républicain, tout protecteur des libertés. Je vous remercie pour votre choix de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et LaREM) Depuis plusieurs mois, nous déplorons en marge des manifestations des gilets jaunes, des dégradations dans nos centres-villes, des agressions des forces de l'ordre, des pillages qui choquent nos concitoyens, y compris ceux qui approuvent les revendications des manifestants.
Cela fait plusieurs années que les manifestations prennent une tournure violente : à Nantes et à Rennes dans le sillage de l'occupation de Notre-Dame-des-Landes, contre la loi Travail en 2016, le 1er mai dernier avec les Black Blocs... Nous voulons doter nos autorités administratives et judiciaires des outils adéquats pour lutter contre cette tendance de fond.
Déposée par le président Bruno Retailleau (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains), adoptée le 21 octobre 2018 par le Sénat, cette proposition de loi a finalement été soutenue par le Gouvernement. Je regrette ce temps perdu : ces dispositions auraient été utiles aux forces de l'ordre ces derniers mois !
Ce texte n'a jamais eu pour but de restreindre les libertés mais de garantir le droit de manifester auquel, comme vous, je suis foncièrement attachée, en ciblant un petit nombre de délinquants qui prennent en otage les manifestants. (M. Charles Revet approuve.)
Ce texte comprend un volet préventif et un volet répressif, auxquels l'Assemblée nationale a apporté des modifications opérationnelles sans remettre en cause les dispositions votées par le Sénat.
L'article premier adopté par le Sénat prévoyait la possibilité pour le préfet d'instaurer des périmètres de contrôle aux abords des manifestations. L'Assemblée nationale a préféré autoriser, sur réquisition du procureur de la République, des fouilles de sac et de véhicules. Les représentants des forces de l'ordre estiment que cette mesure de police judiciaire répond à leurs besoins.
L'article 2 crée une mesure d'interdiction administrative de participer à une manifestation. Je me félicite que les députés aient conservé les garanties auxquelles le Sénat s'était montré attentif, notamment le droit au recours effectif.
L'Assemblée nationale a élargi le périmètre de la mesure aux personnes qui n'ont pas encore été définitivement condamnées pour des actes violents lors de précédentes manifestations. Le préfet pourra prononcer des interdictions de manifester valables sur l'ensemble du territoire, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois.
La commission s'est interrogée sur la proportionnalité de cet élargissement au regard de ses effets sur la liberté d'aller et venir. Il nous a été certifié qu'elle ne ciblerait que quelques centaines de personnes en France. En outre, le juge administratif contrôlera son application.
À l'article 3, l'Assemblée nationale a préféré inscrire les interdictions de manifester dans le fichier des personnes recherchées plutôt que de créer un nouveau fichier. Cette simplification est bienvenue.
Les députés ont ajouté deux articles additionnels, respectivement pour assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l'autorité administrative et pour renforcer le contrôle parlementaire de ces dispositions via un rapport annuel au Parlement.
S'agissant du volet répressif, l'article 4 crée un nouveau délit de dissimulation du visage. En première lecture, notre commission des lois avait veillé à caractériser l'élément intentionnel du délit. L'Assemblée a retenu une rédaction plus concise qui met l'accent sur le « motif légitime » de se couvrir le visage. Est-ce conforme au principe de légalité des délits et des peines ? Selon la Chancellerie et l'Intérieur, oui. Il appartiendra au parquet d'établir l'absence de raison légitime de se couvrir le visage. C'est pourquoi la commission des lois a décidé d'adopter conforme cette disposition.
La commission a confirmé la suppression de l'article 5, satisfait par les textes et par la jurisprudence en vigueur. Elle a enfin approuvé les modifications introduites aux articles 6 et 7.
Notre commission a donc choisi d'adopter la proposition de loi sans modification, compte tenu des garanties apportées par la Chancellerie et par le ministère de l'Intérieur. Le président de la République a annoncé qu'il saisirait Conseil constitutionnel.
Les interrogations sur la proportionnalité de certaines dispositions ne doivent pas faire oublier les nombreuses garanties apportées. Il nous revient de faire preuve de responsabilité en dotant nos forces de l'ordre des moyens nécessaires pour prévenir les violences et de garantir le libre exercice du droit de manifester. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi modifiée par l'Assemblée nationale en première lecture, et adoptée sans modification par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale en deuxième lecture, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (n°364, 2018-2019).
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le 23 octobre 2018, nous avions examiné cette proposition de loi du groupe Les Républicains, inspirée de la loi anticasseurs de 1970. La rédaction a beaucoup évolué à l'Assemblée nationale, mais l'accueil reste tiède...
Je veux réitérer le soutien inconditionnel de notre groupe aux forces de l'ordre, durement mises à l'épreuve...
M. François Grosdidier. - Il faudrait voter en cohérence !
M. Jérôme Durain. - Notre groupe n'a aucune sympathie pour le désordre, les casseurs ou les violences, mais ce texte présente un risque d'arbitraire. Il permet au préfet, donc au Gouvernement, de choisir ses manifestants !
En optant pour une proposition de loi, la majorité sénatoriale se dispensait de toute étude d'impact ou consultation d'envergure.
Depuis cet automne, la concertation a eu lieu, et on ne compte plus les opposants à ce texte. M. Berger de la CFDT dénonce une loi dangereuse, M. Martinez de la CGT aussi... (On ironise sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Durain. - Opposition aussi des avocats et des magistrats, qui ne sont pourtant pas des gauchistes, du Conseil de l'Europe et de l'ONU... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - Et d'Erdogan et Poutine ! (Mme Éliane Assassi proteste.)
M. Jérôme Durain. - MM. Sureau et Mignard, soutiens d'Emmanuel Macron, prennent leurs distances...
Avec le lifting opéré par les amendements du Gouvernement, ce texte a mué. S'agit-il d'un texte de la droite, de la République en Marche, des deux ? On ne sait plus. Des députés de la majorité voulaient voter contre, mais se sont finalement abstenus. La majorité sénatoriale, qui dénonçait la réécriture du texte, ne corrige rien, et fait un pari de Pascal revisité : si le Conseil constitutionnel censure le texte, vous accuserez les députés ; dans le cas contraire, vous revendiquerez la paternité du texte.
Le président de la République a depuis fait le même pari pascalien et saisira le Conseil constitutionnel sur les articles 2, 3 et 6. On a vu mieux comme reconnaissance de paternité ! Cette loi Retailleau-Castaner-Macron se retrouve de facto orpheline, mais sera votée conforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; sourires à droite)
Le texte est inspiré de l'arsenal anti-hooligans et de l'interdiction administrative de stade (IAS). Or l'Association nationale des supporters signale des aberrations : l'IAS est parfois prononcée contre la mauvaise personne, il faut pointer au commissariat, qui est parfois à côté du stade ! Imagine-t-on des queues devant les commissariats avant chaque manifestation ? À quand une évaluation des IAS ?
Cette proposition de loi est dangereuse pour les libertés publiques. Imaginez l'usage que pourrait en faire un parti non républicain ! Elle peut même donner de mauvaises idées à un parti républicain... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
L'article 2, plus répressif que la version sénatoriale, porte atteinte à la liberté d'expression et à la liberté d'aller et venir. Faute de critères suffisamment précis, l'interdiction administrative de manifester sera laissée à la seule appréciation du préfet. Le droit à un recours effectif devant le juge sera impossible. Les garde-fous ne sont que formels ; en effet, la décision du préfet sera immédiatement exécutoire et la notification pourra avoir lieu le jour même, en pleine manifestation !
L'article 4 pénalise la dissimulation du visage dans une manifestation. La rapporteure de l'Assemblée nationale voulait apporter des garanties mais les députés ont adopté l'inversion de la charge de la preuve, qui déséquilibre le dispositif. La personne pourrait être interdite si des troubles « risquent » seulement d'être commis, « aux abords immédiats » de la manifestation. La loi doit être précise, c'est la condition de son intelligibilité et de la sécurité juridique. Que recouvre, en pratique, les abords immédiats d'un parcours Bastille-République ?
L'article 6 bis, inséré à l'initiative de la rapporteure de l'Assemblée nationale, ajoute l'interdiction de manifester dans certains lieux déterminés par le JLD - ce que le contrôle judiciaire peut déjà prévoir. L'article est donc superflu.
Notre groupe souhaite, par cette motion, attirer l'attention sur les dangers de ce texte et donner l'occasion à nos collègues de la majorité présidentielle de réitérer leur opposition. Des réponses juridiques existent déjà : épargnons-nous ce texte inutile et dangereux.
Le Sénat doit jouer son rôle de vigie des libertés publiques : jamais le préfet ne pourra remplacer le juge. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Christophe Priou . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je suis témoin de violences politiques depuis des années. J'ai vu le centre-ville de Nantes et de Rennes régulièrement dévasté par des groupes de casseurs ultraviolents, très organisés, lors des manifestations contre Notre-Dame-des-Landes.
Cette violence poussée à son paroxysme, j'en ai été personnellement victime. Le 15 novembre dernier, je faisais un signalement au procureur pour de nouvelles menaces de mort. Le 24 novembre 2000, à La Baule, un colis piégé explosait, tuant un employé intercommunal. Il m'était destiné. Après des mois d'enquête, trois personnes furent arrêtées ; un quatrième complice avait été éliminé physiquement par les trois autres. C'était un groupe de militants d'extrême droite aux relents néo- nazis.
Cette affaire a donné lieu à trois procès d'assises. Le principal accusé et commanditaire, condamné à 25 ans de prison, a affirmé : « Je suis contre la violence gratuite, mais la violence politique peut se comprendre ». Ce personnage souhaitait être élu à ma place en 2001, ce que seules des conditions particulières pouvaient permettre...
Non, la violence politique ne se cautionne pas ! Elle est fomentée par des extrémistes de droite et de gauche qui espèrent ainsi renverser une démocratie fragile. Regardons l'histoire du XXe siècle, du fascisme et du nazisme aux Brigades rouges et à la bande à Baader, en passant par Action directe...
On ne fait pas revenir à la vie les victimes de la violence politique. C'est pourquoi il faut prévenir. Je n'ai jamais invoqué la loi du talion, j'ai voté des deux mains l'inscription dans la Constitution de l'abolition de la peine de mort en 2007 et applaudit debout Robert Badinter.
Ce texte n'est en rien liberticide. Son âme est l'esprit de la République et de sa devise : Liberté, égalité, fraternité. Vive la République et vive la France ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements nourris et prolongés sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur le banc de la commission ; M. Christophe Castaner, ministre, applaudit également.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Avis défavorable à la motion. Les interrogations soulevées sont légitimes, mais ne doivent pas remettre en cause le bienfondé de ce texte. Nous avons besoin d'outils pour lutter contre les casseurs qui s'infiltrent dans les manifestations pour commettre des violences. Ce sont eux, et non les autorités ou les forces de l'ordre, qui nuisent au droit de manifester !
Il s'agit d'empêcher ces délinquants de prendre en otage les citoyens qui souhaitent exprimer pacifiquement leurs revendications.
Les dispositions du texte ne sont pas arbitraires : toute mesure de police administrative obéit au principe de nécessité et de proportionnalité et est soumise au contrôle du juge administratif, garant des libertés.
Ce n'est pas une loi contre les manifestants, mais contre les casseurs ! Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
Mme Éliane Assassi. - Notre groupe votera sans hésitation la motion car l'équilibre entre liberté de manifester et maintien de l'ordre public est rompu. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen a valeur constitutionnelle. Or le texte offense son article 10.
L'article premier porte gravement atteinte à la liberté d'expression. L'article 2 sera très certainement jugé inconstitutionnel ; l'article 4, qui sanctionne lourdement la dissimulation du visage, est trop imprécis et l'article 6 interroge. L'annonce de la saisine du Conseil constitutionnel par Emmanuel Macron ressemble à une sortie de route... Le président de la République semble pris au piège de ce texte de circonstance.
M. François Grosdidier. - Le phénomène des casseurs ne date pas des gilets jaunes !
Mme Éliane Assassi. - Le groupe CRCE souhaite s'associer à la saisine du Conseil constitutionnel. J'appelle le Sénat à voter cette motion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Dans cet hémicycle, le respect de la Constitution et de la séparation des pouvoirs est essentiel. Je m'étonne donc que le ministre ait applaudi M. Priou... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Éliane Assassi. - Tout à fait !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - La liberté d'aller et venir, celle de manifester et le droit au recours sont autant de principes violés par le texte. Dans le cadre du référé-liberté, le juge administratif a 48 heures pour se prononcer : entre-temps, la manifestation aura eu lieu ! Nul doute que le Conseil constitutionnel censurera le texte sur ce point.
Ne soyez pas dupes, chers collègues de l'opposition, de la manoeuvre du président de la République. Vous pensez lui faire une mauvaise manière, or vous lui servez un texte inconstitutionnel sur un plateau ! Soyez vigilants et votez la motion avec nous ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. François Grosdidier. - Les groupes de gauche s'opposent sans rien proposer...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Si, le respect de la Constitution !
Mme Éliane Assassi. - Attendez le débat !
M. François Grosdidier. - Preuve qu'il n'est pas de circonstance, ce texte est antérieur au mouvement des gilets jaunes, qui a vu des groupes d'extrémistes et des voyous de droit commun s'en prendre aux forces de l'ordre et s'adonner à des actes de vandalisme. Ce phénomène ne peut être toléré ; il faut le prévenir. Les citoyens, les commerçants, les manifestants pacifiques eux-mêmes en sont les premières victimes. Face à ce phénomène, que proposent les groupes de gauche ? Retirer aux forces de l'ordre les armes non létales !
Mme Éliane Assassi. - Nous ne sommes pas seuls à le demander !
M. François Grosdidier. - Nous pensons, nous, qu'il faut agir contre les casseurs en amont et en aval, en sanctionnant le port de la cagoule et en appliquant le principe du casseur-payeur. Ce n'est pas une loi de circonstance, mais une adaptation de notre droit à une situation nouvelle, hélas durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
À la demande du groupe SOCR, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°63 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Pour l'adoption | 90 |
Contre | 242 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Question préalable
M. le président. - Motion n°2, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (n°364, 2018-2019).
Mme Éliane Assassi . - « Avec ce texte, on transfère aux préfets les pouvoirs du juge. Nous touchons à l'État de droit ! » déplorait le député centriste Charles de Courson.
Le changement d'attitude du pouvoir vis-à-vis de ce texte est manifeste. En octobre, Laurent Nunez citait la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et recommandait la prudence ; M. Mohamed Soilihi déclarait que le groupe LaREM voterait contre. Depuis, sous la pression de l'évènement, le Gouvernement tente d'étouffer les revendications des gilets jaunes en mettant en avant les violences commises par une infime minorité de manifestants.
Les fonctionnaires de police ne sont pas responsables de la situation actuelle : vous les envoyez en première ligne avec des ordres qui ne permettent pas l'apaisement.
Notre opposition à cette stratégie de la tension vise autant à protéger les policiers que les manifestants.
Comment ne pas faire le lien avec ces propos d'Emmanuel Macron : « Lorsqu'on va dans des manifestations violentes, on est complice du pire » ? Plutôt que de souffler sur les braises, le président de la République devrait regarder la réalité en face : seule une réponse politique, aux demandes portées par ce mouvement profondément ancré dans les villes et campagnes, résoudra la crise.
Cette proposition de loi suscite un véritable tollé. Le Défenseur des droits, M. Toubon, l'estime déséquilibrée et attentatoire aux libertés ; le texte, pense-t-il, exposera les forces de l'ordre à davantage de risques et dégradera leur relation avec la population. En cela, il est fidèle aux valeurs de la droite républicaine, qui sait les conséquences d'un usage disproportionné de la force.
Le 7 mars, je citais la lettre du préfet Grimaud, en 1968 : « Frapper un manifestant, c'est se frapper soi-même. ».
M. Pierre-Yves Collombat. - Cela date de 1968, c'était autre chose...
Mme Éliane Assassi. - La stratégie de l'escalade met en danger la démocratie. Pour 52 associations et syndicats, « les violences contre les personnes, les biens, les institutions qui ont eu lieu ne peuvent justifier qu'un exécutif s'arroge des pouvoirs exorbitants et décrète qui peut manifester ou ne pas manifester. ». (On se récrie sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Oui, ce texte met en péril la liberté de manifester. L'article 2, dès l'origine, comportait un fort risque constitutionnel ; le président Bas y avait insisté, il fallait l'encadrer strictement. L'Assemblée nationale l'a musclé en se référant à la loi anti-hooligan mais soutenir une équipe, ce n'est pas exercer un droit constitutionnel ! Hier, le président de la République a annoncé qu'il saisirait le Conseil constitutionnel - sans doute, pour faire bonne figure. Pourquoi renvoyer cette mission au Conseil Constitutionnel dont la légitimité n'est pas celle des assemblées républicaines ?
L'article 3 aboutit à mêler, dans un même fichier, délinquants recherchés, terroristes et personnes interdites de manifester !
L'article 4, qui concerne la pénalisation de la dissimulation du visage même partielle, s'expose, lui aussi, comme l'a souligné Mme le rapporteur, à l'inconstitutionnalité. À l'initiative d'un député de la majorité présidentielle, l'élément intentionnel a été supprimé si bien que même les personnes cherchant à se protéger contre les gaz lacrymogènes pourront être arrêtées ! Après le Conseil de l'Europe et l'ONU, 35 ophtalmologistes de renommée mondiale ont écrit au président de la République pour demander un moratoire sur l'usage du LBD 40.
M. François Grosdidier. - Moratoire sur les manifestations, oui !
Mme Éliane Assassi. - Drôle de nouveau monde, celui qui s'inspire d'une vieille loi de 1970, la loi anticasseurs... Faire du vieux avec du vieux, c'est, monsieur le ministre, votre étrange doctrine.
J'espère que le Sénat, gardien des libertés publiques, ne reniera pas sa parole pour dire stop à une dérive autoritaire inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur une partie des bancs du groupe SOCR)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Que nous demande-t-on aujourd'hui ?
Mme Éliane Assassi. - De ne pas voter ce texte !
M. Roger Karoutchi. - De dire ce qu'est l'ordre républicain.
L'ordre républicain est un partage entre la liberté, la démocratie, la sécurité et la République. La liberté figure dans notre devise républicaine : « Liberté chérie » selon le sixième couplet de la Marseillaise. La liberté, guide de Mendès France comme de Léon Blum, qui reconnaît dans À l'échelle humaine qu'il avait dû prendre des décisions difficiles, dissoudre les ligues en 1936, pour que cesse la mise en cause de la République dans la rue. Certains font référence à une loi de 1970 mais la République s'est régulièrement défendue et doit se défendre. Notre police, notre gendarmerie, notre armée font face à des mouvements extrêmes, à des ultras qui ne respectent pas la démocratie, qui ne veulent pas de la démocratie, non seulement en France mais dans toute l'Europe. Que faisons-nous pour la défendre ? Rien, sinon émettre des protestations et organiser des colloques...
Je n'ai jamais été adepte des comparaisons avec les années trente, mais souvenons-nous : ceux, alors, qui ont hésité à défendre la liberté, l'ont amèrement regretté.
Dans l'ancien monde, dont je suis, je me souviens des immenses manifestations de la CGT : 200 000 personnes défilaient sans difficulté... (On approuve à droite ; on se gausse à gauche.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Eh oui !
M. François Grosdidier. - Rendez-nous Henri Krasucki !
M. Roger Karoutchi. - Philippe Martinez hésite désormais à appeler à manifester. Manifester, ce ne doit pas être prendre un risque. C'est un droit, un droit qui est aujourd'hui contesté par une minorité qui profite des manifestations, quelles qu'elles soient, pour remettre en cause la République et la démocratie.
L'équilibre est délicat pour concilier l'exercice de ces libertés et l'ordre public. Ce texte ne fait que donner les moyens d'agir aux représentants légitimes de la République : notre police, notre gendarmerie, notre armée...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'armée ?
M. Roger Karoutchi. - Oui l'armée, qui assure l'opération Vigipirate, Sentinelle. L'armée, ce n'est pas le coup d'Etat militaire ; c'est l'armée de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Il y a quelques années, les manifestations étaient calmes ; elles ne le sont plus...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Pourquoi ?
M. Roger Karoutchi. - ... en France et pas seulement en France.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Pourquoi ?
M. Roger Karoutchi. - Je voterai ce texte sans états d'âme. En revanche, je ne comprends pas pourquoi le président de la République annonce, à la veille du vote du Sénat, son intention de saisir le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Il est des moments où les forces républicaines doivent être chacune dans leur rôle. Le président de la République eût mieux fait d'attendre... (Marques d'approbation sur les bancs du groupe Les Républicains)
Voulons-nous, oui ou non, défendre la République et la démocratie dans notre pays ? Je réponds oui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Brigitte Lherbier se lève pour applaudir.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Avis défavorable. Face aux violences et aux dégradations, notre responsabilité de législateur est de donner aux forces de l'ordre les moyens de défendre notre démocratie. Pouvons-nous accepter que, chaque samedi, nos centres-villes soient pillés par des casseurs ?
De nombreuses voix à droite. - Non !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Pouvons-nous accepter que, chaque samedi, nos forces de l'ordre soient la cible de jets de pavés, de boules de pétanque et de bouteilles d'acides ?
De nombreuses voix à droite. - Non !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - C'est pourquoi la commission demande le vote conforme de ce texte.
M. Christophe Castaner, ministre. - Même avis.
M. Jérôme Durain. - J'admire le talent oratoire de M. Karoutchi. Mais la comparaison avec les années trente n'est pas fondée. Les gilets jaunes, ce n'est pas le 6 février 1934 ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - Vous avez du mal à saisir les nuances !
M. Jérôme Durain. - Vous êtes contre le désordre dans la rue, mais pour, dans l'hémicycle !
Vous évoquez les belles manifestations d'antan, et sans doute ainsi votre jeunesse, mais les historiens ont montré que le niveau des violences en 1968 était bien supérieur, et les forces de l'ordre étaient alors bien plus démunies. Il ne suffit pas d'invoquer la défense de la République et de la démocratie pour avoir raison. Ce texte, déséquilibré, crispera les relations entre les forces de l'ordre et les manifestants.
M. François Grosdidier. - Parce que laisser les policiers se faire tabasser est équilibré ?
M. Jérôme Durain. - Vous ne pouvez pas à la fois avoir des doutes sur la constitutionnalité de ce texte et le voter conforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. François-Noël Buffet. - Après les propos déterminés et mesurés de Roger Karoutchi, je veux indiquer que le groupe Les Républicains apporte son soutien ardent à ce texte dont il est à l'origine. Nos forces de l'ordre subissent des attaques inacceptables, il faut leur donner des outils juridiques pour agir dans un cadre légal et équilibré. Nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis contre....
Plusieurs voix à droite. - Quoi ?
M. le président. - Un peu d'ordre dans l'hémicycle ne nuirait pas à ce débat sur le maintien de l'ordre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Pierre-Yves Collombat. - ... ce texte et voterai donc cette motion. Ma position aurait été différente si ce texte avait été précédé de mesures de fond pour répondre au malaise social qui monte partout en Europe. On nous bassine avec la menace de l'extrême droite mais c'est vous qui fabriquez, tous les jours, des électeurs d'extrême droite avec votre politique. (Protestations à droite) Je sais : ces électeurs sont méchants, pas beaux mais ce n'est pas par génération spontanée ! (Même mouvement)
Ce n'est pas votre grand débat (Plusieurs sénateurs de droite indiquent que le grand débat n'est pas le leur.) qui changera quelque chose.
Alors, où est l'urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. François Grosdidier. - Arrêtez les casseurs !
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Loïc Hervé . - « Il est des questions que l'on ne peut aborder sans un profond découragement ni une profonde tristesse », disait Benjamin Constant, le 7 mars 1820.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - On s'en souvient !
M. Loïc Hervé. - Découragement, tristesse et surprise. En effet, nul ne savait que ce texte sénatorial d'appel deviendrait, avec la crise des gilets jaunes, un texte gouvernemental de circonstance.
Le débat à l'Assemblée nationale a été enflammé ; une chose est sûre, le texte qui en sort n'est plus le même. L'article 4 crée un délit de dissimulation du visage aux abords ou au sein d'une manifestation, ce qui permet d'interpeller et de placer des personnes en garde à vue. Le principe de légalité des délits et des peines est respecté puisque les députés ont précisé l'élément intentionnel. À l'article 3, l'Assemblée nationale a évité la création d'un nouveau fichier. Voilà pour les points positifs.
Mais la nouvelle rédaction de l'article 2 nous inquiète. Sa rédaction manque de clarté et de précision. L'interdiction administrative de manifester pourra valoir pendant un mois sur tout le territoire. Sur quelle base les préfets justifieront une telle interdiction ? Pour des « agissements » !
M. Ladislas Poniatowski. - C'est très bien !
M. Loïc Hervé. - Pouvait-on trouver un terme plus vague ? Ces « agissements » seront-ils soumis au jugement d'un magistrat ? Non !
Je refuse donc ce texte, différent de celui du Sénat. La qualité du travail de notre rapporteur, Mme Troendlé, est parvenue à convaincre la majorité des membres de mon groupe. Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à un équilibre entre préservation de l'ordre républicain et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. (Applaudissements sur une partie des bancs du groupe UC et les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Dany Wattebled . - Le droit de manifester est menacé, menacé par des destructions de bâtiments publics et de mobilier urbain, de violences contre nos policiers... Tout cela ne fait que redoubler depuis novembre dernier. Saccage du musée de l'Arc-de-Triomphe, pillage de commerces, incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, il y a urgence à équiper les forces de l'ordre et à améliorer les outils de l'autorité judiciaire.
Le vote en première lecture de cette proposition de loi par le Sénat était une première réponse. L'actualité confirme son utilité avec son volet préventif et son volet répressif. Sur le premier, l'Assemblée nationale n'a pas remis en cause les choix du Sénat mais a fait quelques modifications : elle a autorisé l'autorité administrative à interdire à une personne de manifester pendant un mois et, dans un souci de simplification, prévu d'utiliser un fichier existant plutôt que d'en créer un autre.
Elle a supprimé l'article sur le délit de port d'arme et le jet de projectiles, considérant qu'il était satisfait par le droit en vigueur.
L'Assemblée nationale, a enfin allégé, le régime de déclaration des manifestations dans un nouvel article.
La plupart de ces modifications faciliteront l'application des mesures nouvelles par les forces de l'ordre. Ces dispositions ne font que garantir le droit de manifester contre ceux qui prennent les rassemblements en otage.
Par pragmatisme, le groupe Les Indépendants votera ce texte sans modification. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Alain Richard . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Un point au moins nous rassemble : consolider le droit de manifester en démocratie. La proposition de loi, après son évolution à l'Assemblée nationale, est une option sur la manière de consolider ce droit.
Par quoi ce droit est-il fragilisé ? Par l'intervention de groupes de combat urbain qui entreprennent, contre l'avis des organisateurs des manifestations, des destructions systématiques et des agressions de force de l'ordre. Ils sont organisés ; par leur dissimulation, ils assurent leur anonymat, ce qui rend difficile leur répression et leur permet de reproduire, aussi souvent que possible, leurs méfaits. Le résultat, on l'observe déjà dans le changement de nos habitudes de pensées. Après une manifestation, le débat porte sur le nombre de blessés et de dégradations, et non sur le message porté par les manifestants.
Qui sont ces groupes ? Il faudrait en faire une analyse plus fine mais personne ne pense qu'ils sont là pour défendre les droits de la personne et les principes de la République, ils sont là pour les combattre.
L'idéal, dans un monde pacifique, serait que les actes individuels dont on peut apporter la preuve soient portés devant le juge, qui pourrait se prononcer. Cela n'est pas possible. Un reportage du Parisien, paru il y a un mois, retraçait le parcours délinquant d'un individu extrêmement organisé que les forces de l'ordre n'ont pu intercepter qu'après cinq heures d'exploits. Intervenir auparavant risquait de provoquer une émeute.
Quelle réponse judiciaire apporter ? Interdire à des gens d'approcher les lieux de la manifestation avec des armes par destination,...
M. Pierre Ouzoulias. - C'est déjà le cas !
M. Alain Richard. - ...ce n'est pas contraire à la liberté de manifester. Monsieur Hervé, le juge administratif dispose d'un recours effectif à travers l'article du code de justice administrative qui prévoit le référé liberté en 48 heures ; donc, l'interdiction individuelle de manifester sera prononcée par l'autorité administrative à partir de données effectives et pourra être contrôlée quasi instantanément par un juge.
Ce texte donnera lieu à une vérification de sa constitutionnalité. Depuis 1958, quatre autorités, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale, le Premier ministre et le président de la République, ont le pouvoir de demander cette vérification. Que le président de la République en fasse usage est parfaitement orthodoxe.
Ce texte, sur lequel certains membres de notre groupe s'abstiendront, (Exclamations de contentement sur les bancs du groupe SOCR) ne vient pas de nulle part ; il répond à une demande des forces de l'ordre, il est un acte de confiance à leur égard. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Républicains ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
M. Jean Bizet. - Très bien !
Mme Esther Benbassa . - Il y a quelques mois, le président Macron disait : « La démocratie, ce n'est pas la rue. ». Au contraire ! C'est aussi la rue.
En quoi cette proposition de loi inquiétera-t-elle les casseurs ? En rien. Les forces de l'ordre ne les interpellent pas avant qu'ils perpétuent leurs violences alors qu'elles en auraient les moyens... (Marques de dénégations de la part de M. Philippe Bas, président de la commission des lois, et sur les bancs du groupe Les Républicains)
Épuisée par des mois de conflits sociaux, notre société est morcelée, scindée, divisée. L'exécutif, par son refus de répondre aux revendications de nombreux Français, a brisé la paix sociale.
Ce texte de M. Retailleau, auquel le Gouvernement avait donné un avis de sagesse, est devenu, à la faveur du mouvement des gilets jaunes, « essentiel » aux dires du ministre. Quelle ironie ! Main dans la main, majorité à l'Assemblée et au Sénat vont adopter ce texte, faisant fi des grandes institutions internationales qui dénoncent l'escalade des violences anti-manifestants dans notre pays. Seuls une cinquantaine de députés LaREM ont fait part de leur grogne.
L'article 2 donne au préfet le droit d'interdire de manifester sans aucun contrôle de l'autorité judiciaire. Sur quels éléments objectifs se fondera cette décision ? J'ai bien peur que des critères tels que l'appartenance ethnique ou politique ne suffisent. C'est ouvrir la porte à l'arbitraire.
L'article 4 interdit de se voiler le visage lors d'une manifestation.
M. Ladislas Poniatowski. - Très bien !
Mme Esther Benbassa. - Les grenades lacrymogènes n'atteignent pas que leurs cibles. Condamnera-t-on des passants ou des manifestants non violents qui ont eu l'audace de se protéger pour ne pas inhaler des substances toxiques ? Selon le président de la République, les manifestants sont complices du pire. En apparence, cette proposition de loi cible les casseurs ; en réalité, des personnes non violentes, comme ces nombreux gilets jaunes mutilés et blessés, et des collègues députés de la France insoumise comme Loïc Prud'homme.
M. Jean Bizet. - Erreur de compréhension !
Une voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Il l'avait cherché !
Mme Esther Benbassa. - Vous mettez en péril l'État de droit tout comme l'égalité des citoyens devant la loi et le principe d'individualisation des peines. Nos acquis sociaux et nos libertés fondamentales sont nés dans la rue et nous continuerons à les défendre.
Le groupe CRCE s'oppose résolument et en toute conscience à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le débat d'aujourd'hui ne peut pas être escamoté. Il s'agit d'un débat de valeurs, ce texte ne doit pas être considéré sous le seul prisme sécuritaire.
Nous assistons à des manifestations d'un type nouveau, c'est vrai. La question de la sécurité se pose car il y a eu beaucoup de violences malgré l'action des forces de l'ordre, que je salue. Mais faut-il accepter la proposition de loi Retailleau-Macron ?
M. Philippe Bas, président de la commission. - Facile !
M. Patrick Kanner. - Ne faudrait-il pas plutôt se demander si la doctrine française du maintien de l'ordre ne devrait pas être revue ? Ce n'est pas ce que fait cette gestion législative pour autrui... (M. Jérôme Durain applaudit.)
M. Bruno Retailleau. - Taquin !
M. Patrick Kanner. - La liberté de manifester découle de la Constitution et de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui garantit la libre communication des pensées et des opinions. Au nom de quoi est-elle remise en question dans ce texte ? De la sécurité mais il existe tout ce qui est nécessaire dans notre droit pour lutter contre les actes séditieux.
M. François Grosdidier. - Faux !
M. Patrick Kanner. - Il existe aussi tout ce qui est utile pour organiser des manifestations dans de bonnes conditions. À condition, toutefois, de ne pas rabaisser sans cesse les corps intermédiaires. Pourrions-nous accepter qu'une personne ayant abusé de sa liberté d'expression soit interdite de publier dans tel ou tel journal ?
M. François Grosdidier. - Ce n'est pas l'objet, on parle d'actes violents ! (Protestations sur les bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner. - Dans l'histoire de notre pays, le droit à manifester a longtemps été inachevé. Revenir dessus, c'est revenir à la République inaboutie, celle qui ne voyait pas dans le droit de manifester le prolongement de la liberté d'expression. Nous sommes déjà l'objet de l'inquiétude du Conseil de l'Europe et de l'ONU.
Nous combattrons donc ce texte maintenant, comme en première lecture, et jusqu'au bout s'il devait être adopté. Que la justice seule puisse restreindre les libertés, c'est un principe intangible pour nous.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Patrick Kanner. - L'État ne peut décider seul de qui est ou n'est pas pleinement citoyen. Aussi, avant de voter, écoutez cette alerte : « Le droit et la loi, telles sont les deux forces : de leur accord naît l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. ». Merci à Victor Hugo de tracer, encore une fois, le chemin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
La séance est suspendue à 16 h 30.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 16 h 45.