Lutte contre les violences éducatives ordinaires
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, présentée par Mme Laurence Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain (demande du groupe socialiste et républicain).
Discussion générale
Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi . - Merci au groupe socialiste d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour, à Marie-Pierre de la Gontrie d'avoir bâti un consensus à la commission des lois ; à celle-ci et au président Bas ; aux associations présentes en tribunes, qui se sont battues infatigablement, en particulier, Edwige Antier, ancienne députée, qui a déposé il y a plusieurs années une proposition de loi identique et qui sera heureuse de voir enfin aboutir le travail qu'elle a lancé.
Quel oxymore que l'objet de cette proposition de loi ! Par définition, une violence ne peut être éducative. La politique de l'enfance n'a pas été historiquement investie des mêmes ambitions que les politiques des autres âges de la vie que sont la jeunesse et la vieillesse. Elle comporte en effet traditionnellement deux volets : l'accueil des moins de 3 ans et la protection de l'enfance en danger. Mais où est la formation des futurs citoyens actifs, dans toutes ses dimensions, qui constitue la substance de la politique de la jeunesse ?
On est passé progressivement de la lutte contre la maltraitance à la promotion de la bientraitance, qui ne se résume pas à l'absence de maltraitance.
C'est sous cet angle que j'ai abordé ce texte. Les politiques de l'enfance et de l'éducation doivent favoriser l'épanouissement de l'individu et la formation des futurs citoyens. La violence, l'humiliation, les atteintes à l'intégrité corporelle et à l'estime de soi de l'enfant n'y ont pas de place.
Nous examinons régulièrement des textes pour réduire la violence dans la société, dans la sphère publique. Comment alors, tolérer la violence dans la famille ? Comment, aussi, éradiquer les violences faites aux femmes sans lutter contre les violences intrafamiliales ? Souvent les auteurs de ces violences, mais aussi leurs victimes, ont été habitués dans leur enfance à la violence comme mode de régulation « normale ». On ne peut accréditer l'idée d'un usage justifié de la violence envers autrui pour tenter d'obtenir de lui ce que l'on ne peut obtenir autrement.
M. Bas, qui a été, ministre, précurseur, auteur d'une loi importante en 2007, me comprendra : il est difficile de faire la part de la violence « tolérable » à l'encontre des enfants, fût-ce sous couvert d'un droit de « correction », lorsque l'on conduit une politique de prévention, assortie de campagnes d'information.
Cette proposition de loi rendra les politiques de prévention de la maltraitance plus efficace avec un message simple : on ne frappe pas les enfants. L'autorité parentale s'exerce sans violence. Proscrire les violences, ce n'est pas désarmer les parents. Un enfant a besoin d'un cadre et de limites, fermement posés par les adultes. Il n'est au demeurant pas rare de voir des enfants sans limites éducatives mais régulièrement battus.
Si ce texte était adopté, nous serions en présence de deux propositions de loi adoptées, dans des termes identiques, par les deux assemblées. Donc, monsieur le ministre, nous avons fait le travail pour vous : à vous de trouver un véhicule législatif adapté pour une nouvelle définition de l'autorité parentale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois . - Cette proposition de loi répond à l'évolution nécessaire de la société, dans le prolongement de la loi Bas du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, proposée par nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini et soutenue par notre collègue Laurence Rossignol, alors secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Elle complète l'article 371-1 du code civil qui définit l'autorité parentale pour préciser que celle-ci « s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ».
Or 85 % des parents admettent avoir eu recours aux violences éducatives, et pour plus de 50 % d'entre eux, avant que leur enfant ait 2 ans. C'est dire si les violences éducatives restent communément admises et parfois justifiées. Les études montrent que cela conduit à intérioriser et banaliser la violence, à diffuser les comportements antisociaux, addictions et troubles anxio-dépressifs. La recherche récente indique les effets nuisibles sur le développement cérébral des enfants.
Depuis près de quarante ans, beaucoup de pays ont légiféré sur le sujet. En Suède, les violences éducatives sont interdites depuis 1979, avec pour résultat une forte baisse des placements en structure d'accueil. En Allemagne, on constate une baisse de la violence des jeunes à l'école.
Le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants réclament depuis plusieurs années une interdiction des violences éducatives. En effet, si les violences contre les enfants sont passibles de trois ans d'emprisonnement, cinq ans lorsqu'elles sont commises par un ascendant, le droit ne les interdit pas puisque la Cour de cassation admet un « droit de correction » lorsque les violences ont été proportionnées aux manquements commis, si elles n'ont pas eu de caractère humiliant et qu'elles n'ont pas causé de dommages à l'enfant. Mais, entre une punition et une parole humiliante, comment apprécier la gravité de l'acte et ses effets ?
Ce texte, qui n'a pas vocation à punir les parents, accompagnera le changement social à l'oeuvre. Il complète l'article 371-1 du code civil sur l'autorité parentale, qui est lu aux futurs époux lors du mariage. La portée symbolique est donc forte.
De plus, ce texte nous mettrait en conformité avec la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a pourtant ratifiée, et dont on fêtera cette année le trentième anniversaire, alors que 23 pays de l'Union européenne sur 28 ont consacré une interdiction de ce type dans la législation. La France a d'ailleurs été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour « absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants ». Nos enfants, citoyens en devenir, ont le droit de grandir sans violences ni humiliation.
Ce texte n'a pas pour objet de sanctionner ou culpabiliser les parents, mais de les aider à se libérer de leurs habitudes culturelles, de faciliter une prise de conscience. Des programmes de sensibilisation et de soutien à la parentalité pourraient venir en complément.
La commission des lois a voulu faciliter l'adoption du texte dans les deux chambres, en reprenant le dispositif voté à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale, en des termes plus sobres, mais dans le même esprit et avec le même objectif, en posant clairement le principe d'une éducation sans violence.
Nous espérons que ce texte, voté à l'unanimité par la commission des lois, recueillera la même adhésion dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mmes Josiane Costes, Maryse Carrère et Michèle Vullien applaudissent également.)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - « Violenter son enfant, c'est le marquer pour longtemps », nous rappelle la Fondation pour l'enfance. Or, selon celle-ci, 85 % des parents français ont déclaré avoir recours à des violences dites éducatives et plus de la moitié des enfants de moins de 2 ans subiraient des violences. Selon le Défenseur des droits, trop de parents considèrent les gifles ou les fessées comme des actes sans conséquence pour l'enfant et un moyen éducatif.
Or l'article 19 de la Convention internationale des droits de l'enfant proscrit bien toute forme de violences à l'égard des enfants, tout comme l'article 17 de la Charte sociale européenne.
Les violences éducatives ne sont pas encore, pour autant, formellement interdites en droit interne, au nom de la notion jurisprudentielle de « droit de correction ».
Sans justifier, il ne s'agit pas de culpabiliser ni de moraliser. L'expression de certaines violences au sein des familles témoigne d'un besoin d'aide et d'accompagnement auquel il faut répondre.
D'où la stratégie nationale d'aide à la parentalité 2018-2022, lancée par Agnès Buzyn, dont j'aurai désormais la charge. Le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de ce pilier majeur de la protection de l'enfance. Il y consacrera 130 millions d'euros d'ici 2022.
Ni cette proposition de loi, ni celle de la députée Maud Petit, ne sont des textes d'affichage. Je salue, moi aussi, Edwige Antier, Maud Petit, auteurs de la proposition de loi adoptée en novembre 2018, alors que j'étais député, ainsi que Laurence Rossignol. Nous ne devons avoir qu'un but, qu'une urgence : celui de protéger nos enfants.
Aucune violence ne sera jamais éducative ni ordinaire. Vous avez, madame la rapporteure, justement souligné ce double oxymore.
Nous ne pouvons célébrer les trente ans de la Convention internationale des droits de l'enfant, sans adopter une telle proposition de loi.
La violence n'est jamais une solution. J'espère que ce texte, avec celui de Maud Petit, lorsqu'il viendra prochainement devant vous, recevront un accueil favorable de votre assemblée, afin qu'il soit appliqué dans les meilleurs délais, pour le bien de nos enfants et de la société tout entière. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, CRCE, SOCR et RDSE)
Mme la présidente. - Il est 20 heures. Compte tenu du nombre d'amendements déposé sur ce texte, nous pouvons en achever l'examen en prolongeant notre séance sans suspension. (Assentiment)
Il en est ainsi décidé.
Mme Esther Benbassa . - Humiliations, violences et punitions infligées aux enfants ont longtemps été considérées comme composantes de l'autorité parentale, acceptables dans un but éducatif. Ce droit de correction n'est pas sans rappeler celui, ancien, du pater familias, exercé sur sa femme et ses enfants.
Si les violences sont bien interdites dans les établissements scolaires, la Cour de cassation reconnaît néanmoins, selon une jurisprudence constante, un droit de correction à condition « d'user d'une force mesurée et appropriée à l'attitude et à l'âge de l'enfant ». Pourtant, de nombreuses études et travaux scientifiques montrent les effets pervers de cette violence pour le développement de l'enfant. La violence subie dans l'enfance peut générer un terrain propice à la violence conjugale, ou à d'autres violences graves à l'âge adulte.
La Convention internationale des droits de l'enfant comme le Conseil de l'Europe ou le Comité européen des droits sociaux proscrivent les violences sur les enfants.
Nous saluons l'initiative de Laurence Rossignol. Dans sa première mouture, s'appuyant sur les recommandations du Défenseur des droits, son texte inscrivait l'interdiction du châtiment corporel au sein de la définition de l'autorité parentale, sans prévoir de sanctions.
La commission des lois a modifié le texte de Mme Rossignol pour inclure dans l'article 371-1 du code civil l'alinéa suivant : « L'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychiques. » Les châtiments corporels ne sont donc plus mentionnés, au profit d'un renvoi à une notion plus floue et générale des violences, sans définition de ses contours. C'est regrettable alors que nous avons ratifié depuis trente ans la Convention de New York sur les droits de l'enfant. La France ne peut plus rester à l'écart du mouvement européen d'interdiction des sanctions éducatives. Il est temps qu'elle s'engage en faveur de l'éducation bienveillante.
Si cette proposition de loi reste symbolique, son intention est louable et elle enverra toutefois un message fort en faveur de l'interdiction des violences à l'encontre des enfants. C'est pourquoi le groupe CRCE la votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure, applaudit également.)
présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président
Mme Patricia Schillinger . - Les violences dites éducatives subies par les enfants sont autant de freins à leur épanouissement. Elles portent atteinte à la confiance en soi de l'enfant car celui-ci culpabilise. Puis elle conditionne le comportement de l'adulte à venir. La maltraitance se transmet ainsi de génération en génération, passant des parents aux enfants battus. Ces violences contre les enfants entraînent troubles comportementaux et psychiques.
L'article 222-13 du code pénal punit de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende les faits de violence sur mineur de 15 ans commis par un parent ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur.
La proposition de loi, inspirée d'une mesure censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel au sein de la loi Égalité et citoyenneté en 2016, reprend un texte identique adopté à l'Assemblée nationale.
Il est indispensable que la société s'empare de ce sujet et que celui-ci fasse l'objet d'un travail interministériel avec notamment les ministères de la Santé et de l'Éducation. Même si on aurait pu reprendre la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale, et faire l'économie d'un texte supplémentaire, nous le voterons car il va dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR et CRCE ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure, applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'article unique de cette proposition de loi introduit dans le code civil que l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques.
L'intégrité physique des enfants est protégée par le droit pénal et par le droit civil. Pourtant la jurisprudence reconnaît aux parents un « droit de correction » à des fins éducatives. Ce faisant, la France ne respecte pas ses engagements internationaux dont la Charte européenne des droits sociaux qu'elle a signée.
Avec ce texte, nous rejoindrons les 53 États qui ont déjà banni les châtiments corporels de leur droit dont 22 pays de l'Union européenne.
Comme le disait Jean-Jacques Rousseau, père absent néanmoins éducateur innovant...
M. Jérôme Bascher. - Très bonne référence !
Mme Élisabeth Doineau. - ... « il ne saurait y avoir de réforme de la société sans réforme de l'éducation ».
Quelque 85 % des parents français auraient recours à des violences dites éducatives. Pourtant les psychothérapeutes et psychanalystes expliquent que la fessée, geste violent, n'est pas un outil éducatif. Lorsqu'un enfant ne comprend pas les règles qu'il doit respecter, la meilleure solution, c'est l'explication, non pas la violence qui n'est qu'un renoncement.
Il y a une différence entre l'autorité et l'autoritarisme, entre l'éducation et le dressage.
Renoncer aux gifles ou aux fessées n'est pas faire preuve de laxisme. Entre celui-ci et l'autoritarisme, s'ouvre le chemin de la parentalité positive. Je n'ai plus envie d'entendre qu'il y a « des fessées qui se perdent », mais qu'il y a de la confiance à gagner ! L'enfant a besoin de règles et de limites. Il appartient aux parents de les lui donner.
Une critique enfin que je m'autorise à formuler sur la méthode. Je regrette la compétition politique pour faire adopter « le » texte qui aura les faveurs de l'opinion. Cette proposition de loi ne fait pas exception, alors qu'une autre, identique, était déjà dans les tuyaux à l'Assemblée nationale. Il aurait été plus simple de l'adopter tel quel.
Néanmoins, le groupe UC votera, à quelques exceptions près, cette proposition de loi qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.)
M. Alain Marc . - Cette proposition de loi, qui part d'une bonne intention, complète l'article 371-1 du code civil, lu aux époux lors des mariages. Cette nouvelle loi anti-fessée est-elle utile ?
Le code pénal sanctionne déjà les violences contre les mineurs. Soyons attentifs à la portée de ce que nous votons ! La loi ne saurait être seulement symbolique et pédagogique. Elle doit avoir une portée normative, et sa rédaction ne saurait être floue ou imprécise. Nous traquions ce matin en commission les lois obsolètes ou inutiles !
À aucun moment, les termes ne sont définis. Une tape sur une couche-culotte ou sur la main d'un enfant s'approchant d'une plaque de cuisson constitue-t-elle une violence physique ? Contraindre un enfant à aller au coin après une bêtise, est-ce une humiliation ? Est-ce d'ailleurs à la loi de le préciser ? Lorsque François Bayrou, en 2002, a donné une gifle à un enfant qui lui faisait les poches, toute la France a applaudi... C'est bien la preuve que le sujet est délicat. Cette proposition de loi est inintelligible, ou d'une prétention folle en immisçant l'État dans la sphère intime des familles. Ne dérivons-nous pas vers une législation de communication ?
Des actions concrètes sont pourtant déjà possibles, comme celles mises en oeuvre par Marc-Philippe Daubresse dans sa commune de Lambersart, qu'il nous a exposées ce matin en commission.
Ce texte est d'affichage, toutefois dans un esprit de consensus, le groupe Les Indépendants le votera. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Martine Filleul. - Ah !
M. Jérôme Bascher . - « Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors, c'est là en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie » : Platon ! (Marques de surprise et d'appréciation sur plusieurs bancs)
Puisse la sagesse sénatoriale d'aujourd'hui s'inspirer de celle des anciens Grecs, inventeurs de la démocratie !
Quel est l'usage légitime de la violence ? Le texte à venir rapporté par Mme Eustache-Brinio, la proposition de loi anticasseurs, s'intéresse aussi à cette question. La violence contre les enfants, qui explose littéralement, comme le savent bien les élus départementaux que nous sommes ou avons été, est encore plus inadmissible.
Mais ce texte permettra-t-il de lutter contre les violences éducatives ou ne fera-t-il que culpabiliser les parents ? Si les placements des enfants pour les protéger de parents qui les martyrisent explosent, c'est qu'il y a là une vraie urgence. Oui ! Mais, je suis ô combien d'accord avec Alain Marc, arrêtons de légiférer pour le symbole ou pour dire aux parents comment élever leurs enfants ! Laissons-leur un peu de liberté ! Est-ce ce que nous demandent les Français, est-ce ce qui ressort du grand débat ? Non ! Ils nous demandent de faire en sorte que le code pénal punisse les débordements et les extrémismes. Il ne faudrait pas que l'opinion croie que le Sénat, ou l'Assemblée ou le Gouvernement, entendent légiférer pour punir les parents qui donnent une fessée à leurs enfants. Si j'entends le souhait de Mme Rossignol de bannir, au XXIe siècle, les brimades infligées aux enfants au nom de l'autorité, il est nécessaire de maintenir les symboles de l'autorité sans culpabiliser les uns ou les autres.
J'ai toutefois trouvé un motif pour voter ce texte : celui de la lutte contre les dérives sectaires. Mais je préfère montrer en exemple le vrai modèle de la famille tranquille, le meilleur pour assurer l'autorité et l'éducation des enfants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Philippe Bas, président de la commission des lois, et Alain Marc applaudissent aussi.)
Mme Josiane Costes . - Depuis sa ratification en 1989, la Convention internationale des droits de l'homme ne cesse de produire des effets juridiques de notre droit. L'expression « intérêt supérieur de l'enfant » en découle. Le texte s'en inspire aussi. La Convention interdit les violences contre les enfants.
Il est pourtant incontestable que trente après son adoption, l'application de cet article est loin d'être généralisée. La résistance paraît relever d'un habitus bourdieusien, qui agit dans les familles comme dans les institutions. Comment expliquer autrement la survivance de la jurisprudence du droit de correction, par la Cour de cassation ? La moitié des enfants de moins de deux ans y seraient soumis ! On tolère les violences quotidiennes tout en dénonçant les infanticides.
Accoler à « violences » les mots « éducatives » et « ordinaires » prolonge d'autant plus l'ambiguïté que le code pénal ne fait pas de distinction entre violence ordinaire et extraordinaire.
La frontière entre faire acte d'autorité et acte de violence psychologique est fine. Gardons-nous toutefois de tomber dans le simplisme en évoquant l'enfant-roi - qui ne désigne pas seulement l'enfant, mais une forme de relation entre enfants et adultes.
L'État doit accompagner les parents dans leur tâche. La réforme de l'ordonnance de 1945 et en cours de préparation. La crise d'autorité pourrait découler du décalage entre les intentions de façade, celle d'une protection absolue de l'enfance et la réalité, décalage qui placerait les enfants dans une plus grande vulnérabilité face à des parents violents.
Toute la société bénéficiera de la protection de l'estime de soi de ces futurs adultes.
Le groupe RDSE votera cette proposition de loi qui apporte une réponse adaptée à la problématique des violences ordinaires, en incluant leur abolition dans le contrat familial.
Pour lutter contre des habitudes, il faut préparer des évolutions de fond. Il reviendra aux magistrats de la Cour de cassation de prendre en compte cette avancée dans sa jurisprudence. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur le banc de la commission ; M. Marc Daunis applaudit également.)
M. Jacques Bigot . - Je salue le retour de Mme Costes. (Applaudissements sur le banc de la commission) Moi qui suis civiliste de formation, je suis content que l'on s'attaque enfin à la rédaction du code civil.
En 1802, la « puissance paternelle » paraissait logique. La bonne organisation de la famille, disait l'un des auteurs du code civil, est d'intérêt public parce qu'il en résulte une bonne organisation de l'État. (Marques d'approbation à droite) La puissance paternelle, en 1802, c'est une autorisation de puissance et de violence sur la famille, épouse comprise. Il a fallu attendre le 4 juin 1970 pour qu'émerge l'autorité parentale englobant la mère. C'était une révolution en 1970 et nous en sommes les héritiers, qui poursuivons dans cette voie.
Si je ne peux imposer la règle que par la violence, comment puis-je éduquer l'enfant ? L'article 361 du code civil est superbe dans sa rédaction. Il indique que l'autorité parentale a pour objet de protéger l'enfant, d'assurer son éducation, de permettre son développement dans le respect dû à sa personne. C'est cet article que nous lisons lors de la célébration du mariage qui fonde la famille.
L'autorité parentale est pour l'essentiel exercée sans violence. L'enfant a besoin de règles et de savoir que leur non-respect déséquilibre la famille, certainement, mais sans qu'il y ait besoin de violence pour le lui faire comprendre.
Lorsque l'enfant est agaçant, la réaction du parent devient violente. Ce n'est pas une violence éducative, même si elle est légère. L'éducation se fait dans le dialogue, le débat et la bienveillance. Pourquoi ne pas le dire aux parents ?
En 1970, l'autorité parentale conjointe n'était pas non plus acceptée par tous. Ce qui est visé, ce sont les violences inadmissibles. Les parents à qui on n'a pas dit que l'éducation se fait sans violence reproduisent ce qu'ils ont vécu.
La rédaction issue de la commission des lois est meilleure qu'initialement. Il reste, monsieur le ministre, un travail de sensibilisation énorme à faire, pour que le législateur soit compris des parents. C'est l'enjeu de la société de demain d'expliquer aux enfants que le rapport à l'autre passe par le respect et non pas la violence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Josiane Costes applaudit également.)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous convenons tous des bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi.
Le code pénal prévoit déjà un arsenal de mesures sanctionnant et punissant les parents qui vont trop loin. L'article 515 du code civil donne au juge aux affaires familiales la possibilité de délivrer en urgence une ordonnance de protection quand la violence met en danger les enfants au sein de la famille.
La Cour de cassation a confirmé, dans son arrêt du 29 octobre 2014, la jurisprudence du droit de correction, celle-ci devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas revêtir de caractère humiliant.
La nouvelle rédaction de cette proposition de loi n'a qu'une portée symbolique car elle ne prévoit aucune sanction pénale. Je m'interroge sur l'interprétation que les juges en feront. Je me méfie des textes qui sous couvert de bonnes intentions, distribuent des bons et des mauvais points et stigmatisent les parents. Contraindre physiquement un enfant à aller au coin, élever la voix contre lui, lui donner une tape sur la main, est-ce une violence ? Si le devoir du législateur est de lutter contre la violence, ce n'est pas à la loi de dire ce qu'est un bon ou un mauvais parent.
Rien ne prépare à la parentalité - elle s'acquiert d'expérience. Fixer des règles et les appliquer, c'est essentiel pour que l'enfant devienne un adulte respectueux de la société.
Veillons à ne pas contrarier l'autorité parentale car c'est aux parents de trouver les voies de parvenir, dans le respect de la légalité, à la bonne éducation - laquelle varie d'ailleurs selon les familles, leurs références. Au sein même d'une famille, les manières de procéder diffèrent selon les enfants, chacun ayant sa personnalité. Il faudrait plutôt s'attaquer aux agressions sexuelles ou au harcèlement scolaire qui détruit bien plus de vies.
Il faut développer l'aide à la parentalité et banaliser le recours à ce type de services pour éviter la stigmatisation. Il s'agit de couvrir toute la population, en visant tous les besoins concrets, par exemple pour les parents d'adolescents, les parents qui se séparent, les foyers monoparentaux, ceux issus d'origines différentes. N'oublions pas non plus les enseignants qui dès la maternelle font face à des enfants qui ne savent pas ce qu'est une règle. La loi ne doit pas culpabiliser ni opérer des amalgames malsains.
Nous voterons ce texte qui se contente de faire des rappels de bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Duranton . - Quelque 23 pays européens et 54 dans le monde ont interdit la fessée. En 2014, la Cour de cassation a reconnu le droit à la correction. La tape sur les fesses peut se défendre. Ai-je enfreint la loi en en donnant à mon fils de 5 ans qui m'avait échappé pour traverser la rue ?
Un enfant peut-il se corriger tout seul ? La sanction est une forme de prévention. C'est parce que l'enfant compte plus que tout que nous le punissons pour qu'il prenne conscience des dommages ou fautes qu'il a commis.
La sanction aide aussi le jeune à gérer sa culpabilité. La Suède a vu les effets pervers de la loi : la violence augmente chez les enfants, la consommation d'alcool et de tabac augmente chez les jeunes. Pour qu'une sanction soit efficace, elle doit être comprise.
Le code pénal punit déjà les violences verbales et physiques à l'encontre des enfants. On distinguait jadis fessée pédagogique et fessée maltraitante. Ne confondons pas fessée et maltraitance. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Cette proposition de loi complète d'un membre de phrase un article du code civil lu par le maire lors du mariage. La rédaction adoptée par la commission ne constitue pas une disposition pénale. Elle a une vertu pédagogique à laquelle la commission des lois a souscrit en toute simplicité. L'article 222-13 du code pénal punit déjà, heureusement, les violences commises par les parents sur leurs enfants.
Les parents de France n'ont pas le droit de battre leurs enfants, et cela depuis longtemps - et je me réjouis de vivre dans une République qui interdit la violence envers les enfants. Nous n'interdisons pas la fessée ce soir, nous ne cherchons pas un moyen supplémentaire de lutter contre la maltraitance, nous n'interdisons certainement pas l'exercice de l'autorité parentale ; ce que nous faisons avec cet ajout, c'est rappeler la saine inspiration qui doit guider les parents dans l'exercice de leur autorité parentale.
Certains cas de délinquance ont montré combien la défaillance d'autorité parentale était délétère. Si la commission des lois a adopté ce texte, c'est précisément par exigence pédagogique et parce qu'il ne contrevient pas à l'autorité parentale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par Mmes Boulay-Espéronnier et L. Darcos, MM. Daubresse et Panunzi, Mme Morin-Desailly, M. Sido, Mme Goy-Chavent, MM. Kern, Bonhomme, Laménie, B. Fournier, Regnard, Henno et J.M. Boyer, Mmes Lassarade, Gruny et Vullien, M. Vogel, Mmes Kauffmann, Deromedi, Dumas et Renaud-Garabedian, MM. Bockel et Moga et Mmes Noël et Lherbier.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 226-8 du code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après le mot : « téléphonique », sont insérés les mots : « ainsi que d'une information relative à la prévention des violences éducatives ordinaires » ;
2° Sont ajoutés les mots : « et leurs parents ».
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Aujourd'hui en France, 87 % des enfants subissent, quotidiennement, des pratiques punitives et coercitives auxquelles les parents ont recours à titre éducatif.
Cet amendement vise à mettre à disposition des parents une information claire et pédagogique relative aux conséquences de ces comportements sur le développement de leur enfant. Il est indispensable que les parents aient recours à cette aide à la parentalité.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - Nous en avons débattu en commission, et avons trouvé des arguments contre, non pas pour le fond, mais parce qu'outre de viser le code de l'action sociale et non le code civil, il s'ajoute au numéro d'appel 119 qui fonctionne déjà.
En revanche, il serait bon que le Gouvernement mène des campagnes d'information sur la parentalité. Retrait ou avis défavorable pour plus d'efficacité et non par opposition sur le fond.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Retrait ou avis défavorable. Nous misons sur l'efficacité du 119. Ne brouillons pas la lisibilité de ce dispositif. Des mesures d'accompagnement à la parentalité seront prises dans les mois à venir.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je retire l'amendement.
L'amendement n°2 rectifié bis est retiré.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Boulay-Espéronnier, MM. Daubresse et Bonhomme, Mme L. Darcos, M. Karoutchi, Mme Deromedi, M. Kern, Mme Dumas, MM. Sido, Henno, B. Fournier, Laménie et Bockel, Mme Renaud-Garabedian, MM. Regnard, Panunzi, Bonnecarrère et Moga, Mme Kauffmann, M. Vogel, Mmes Vullien et Gruny, M. J.M. Boyer et Mmes Lassarade, Goy-Chavent, Noël, Lherbier et Morin-Desailly.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article L. 421-14 du code de l'action sociale et des familles, après le mot : « secourisme », sont insérés les mots : « , à la prévention des violences éducatives ordinaires ».
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Plus que tous, l'enfant doit se sentir en sécurité dans les lieux qui l'accueillent. Le cadre de la famille ou de tout autre lieu d'accueil se doit d'être sécurisant et entouré d'un climat de confiance.
Un des axes d'intervention est de doter les parents de repères éducatifs et comportementaux répondant aux besoins de leur enfant et aider ce dernier à se prémunir de difficultés affectives ou sociales ultérieures. Cette action de prévention doit passer par la sensibilisation de tout professionnel étant partie prenante de la vie de l'enfant.
Les assistants maternels doivent connaître les conséquences de la violence ordinaire sur le développement cognitif de l'enfant. Ainsi, cet amendement inscrit l'objectif de prévention des violences éducatives ordinaires dans les prérequis de la profession d'assistant maternel.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - Pourquoi ne viser que les assistants maternels ? Ils ne sont pas les seuls concernés. Ne faudrait-il pas étendre la mesure que vous proposez ? Mais cela relèverait davantage du réglementaire, car il s'agit des modalités de la formation de tous les professionnels ou les familles en contact avec les enfants. Par conséquent, retrait ou avis défavorable.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - La prévention des violences éducatives ordinaires est déjà prise en compte dans la formation de ces professionnels. La sensibilisation de l'ensemble des personnes en contact avec la petite enfance reste essentielle. Il faut sans doute la renforcer sur le repérage et la détection des violences. Le Gouvernement y travaille. Votre amendement est satisfait. Retrait ou avis de sagesse.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Il faut certainement former tous les professionnels qui sont en contact avec la petite enfance, mais il faut bien commencer par un bout. Les assistants maternels sont au début de la chaîne. Je maintiens mon amendement.
M. Jacques Bigot. - Je partage la préoccupation de notre collègue de généraliser l'idée que l'éducation ne passe pas par la violence. Cependant, le contexte dont nous traitons est celui de l'autorité parentale. Peut-être devriez-vous renvoyer votre amendement à un autre texte sur l'éducation ?
M. Marc Laménie. - Je suis cosignataire de cet amendement qui a le mérite de s'attaquer à des problèmes de société essentiels. L'éducation des enfants fait appel à de nombreux intervenants. Elle doit se faire dans un climat de confiance qui dépend autant des parents que de l'Éducation nationale ou de l'ensemble de la société. Je soutiens cet amendement.
L'amendement n°3 bis n'est pas adopté.
L'article unique est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur tous les bancs)
Prochaine séance, demain, jeudi 7 mars 2019, à 15 heures.
La séance est levée à 21 h 10.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus