« L'hydrogène, une énergie d'avenir »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe RDSE, sur le thème : « l'hydrogène, une énergie d'avenir ».
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe RDSE . - Il y a un mois, nous débattions des mobilités du futur. J'avais alors insisté sur le potentiel de développement de l'hydrogène. D'où le présent débat.
Les possibilités de l'hydrogène, à présent bien documentées, peuvent fonder et garantir le développement d'une filière d'excellence.
L'hydrogène peut réduire notre dépendance aux énergies fossiles, dans les mobilités, le bâtiment et l'habitat ; développer la mobilité électrique dans l'ensemble du secteur des transports ; être facilement stocké et injecté et être une source d'innovation et de compétitivité de nos entreprises.
Les initiatives existent et il faut les encourager. Le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, lancera prochainement une ligne sur laquelle circuleront des bus diesel, électriques, hybrides et à hydrogène. Une réflexion analogue est en cours à Pau. Les bus à hydrogène peuvent rouler 420 000 kilomètres sans émettre de CO2, alors qu'un bus diésel en émet 88 500 kilogrammes.
Les élus ont fait le choix de stocker l'hydrogène sur place. La station rejettera 374 tonnes d'oxygène, l'équivalent de 66 hectares de forêt. Cet exemple illustre le dynamisme de nos territoires. Les technologies sont prêtes mais les coûts restent bloquants. Créer une filière, en industrialisant la chaîne de production et en rentabilisant les investissements, les diminuerait et serait bon pour l'emploi.
Autre exemple : le vélo à hydrogène, innovation de Pragma Industries, une première mondiale, avec une autonomie de plus de 100 kilomètres, se recharge en une ou deux minutes, contre plusieurs heures pour un vélo électrique ! L'hydrogène restera, faute de portage politique, cantonné aux flottes d'entreprises. Une politique plus volontariste serait bienvenue. Le projet de loi d'orientation des mobilités aurait pu intégrer des mesures incitatives. Je veux d'ailleurs rendre hommage à Nicolas Hulot, à l'initiative, en 2018, de notre premier plan Hydrogène, doté de 100 millions d'euros, dont une partie profitera à nos territoires, via les appels à projets de l'Ademe.
Coupler des sites de stockage d'hydrogène à des sites de production d'électricité solaire ou éolienne est une piste à creuser. Des expériences positives existent, dans la communauté urbaine de Dunkerque, ou à Paris, avec les taxis. Un village de l'Aisne, Pupigny, a installé un site de stockage, couplé à des électrolyseurs produisant de l'hydrogène pour alimenter deux véhicules mis à la disposition des habitants pour effectuer leurs démarches administratives à la préfecture ou à la sous-préfecture...
Le premier appel à projets de l'Ademe a eu un tel succès que tous ne pourront être financés... L'État doit d'ores et déjà inscrire ses financements dans la durée.
Le sujet est passionnant, l'enjeu est réel, et les technologies existent. La France ne doit pas rater ce rendez- vous ! Le recul récent annoncé par le Président de la République en matière d'objectifs de réduction de nos émissions de C02 ne nous rassure pas...
Le retard pris sur les programmes innovants, tels les trains à l'hydrogène, qui commencent déjà à circuler en Allemagne, est préoccupant.
Toutes les conditions sont réunies pour avancer sur les plans écologique et industriel. Nous avons besoin d'une volonté politique forte pour prendre ce tournant technologique que nous n'avons pas le droit de manquer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Alain Fouché applaudit également.)
M. Frédéric Marchand . - Évoquer l'hydrogène, c'est parler de l'industrie, de logistique, d'accessibilité, de transport, d'énergie ou d'économie circulaire. Nos territoires ont pleinement pris conscience des atouts de l'hydrogène pour la transition énergétique, la qualité de l'air. C'est une solution crédible et un outil polyvalent. La communauté urbaine de Dunkerque est en pointe. Le bateau Energy observer y fera bientôt escale, symbole fort pour cette ville qui a choisi de stocker l'énergie renouvelable sous forme d'hydrogène solide. À Cappelle-la-Grande a été installée une centrale power-to-gas dans un nouveau quartier. Il s'agit de stocker l'électricité : un démonstrateur collecte le surplus d'électricité produite par un parc éolien à proximité et par les panneaux photovoltaïques de la communauté de communes, pour les transformer en hydrogène, avant de la déstocker sous forme de gaz. Ce surplus est ensuite utilisé dans le réseau de gaz naturel, alimentant 200 logements.
La part d'hydrogène dans le gaz naturel est passée de 6 %, en juin 2018, à 20 % en janvier 2019, soit le seuil le plus élevé d'Europe.
On pourra donc mesurer l'éventuelle corrosion des chaudières, la résistance des matériaux, le pouvoir calorifique, l'acceptabilité par les consommateurs, la viabilité économique du modèle.
L'hydrogène embarqué fournit aussi de nouvelles solutions pour l'électromobilité et en priorité les véhicules à usage professionnel, terrestres, maritimes, fluviaux ou ferroviaires. C'est donc une ressource précieuse dans le cadre d'une transition énergétique réussie et pour élaborer un mix énergétique décarboné.
Merci aux promoteurs de ce débat : l'hydrogène est donc un sujet essentiel pour nos territoires, et pour la France. Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement de développer cette filière.
M. Fabien Gay . - Je remercie à mon tour le groupe RDSE pour ce débat d'actualité, car il y a urgence à trouver des énergies décarbonées. Ce n'est certes pas la solution miracle pour nous détacher de notre monde fossile et fissile - ne soyons pas naïfs ! - mais les potentialités sont indéniables : l'hydrogène, bien connu et déjà utilisé pour lancer les fusées, peut être stocké, et permet de traiter quatre fois le volume du gaz naturel. C'est aussi un vecteur stable d'énergie qui pourrait, grâce à la pile à combustible, alimenter des véhicules, sans dégager de gaz polluants. C'est pourquoi certains y voient une révolution aussi importante que celle du charbon au début de l'ère industrielle.
Comme le disait Nicolas Hulot lors du lancement du plan Hydrogène, c'est la seule technologie qui permet de stocker l'énergie renouvelable produite.
Néanmoins, la production d'hydrogène provoque des émissions de CO2 et l'électrolyse est consommatrice de grandes quantités d'électricité. Le transport et le stockage se font à très haute pression ou à très basse température, ce qui est cher, lourd et encombrant. Les procédés de fabrication sont coûteux, quant à la pile à combustibles, elle requiert des métaux rares et précieux.
Alors que le Gouvernement a choisi un État régulateur plutôt qu'interventionniste, ce débat nous rappelle que sans intervention publique forte, il n'y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques. En effet, comme le rappelle l'Ademe, les nouveaux réseaux d'hydrogène auront un coût de démarrage élevé, comme ce fut le cas pour le gaz ou l'électricité. Le déploiement d'un réseau exige des investissements élevés. Or les acteurs privés auront tendance à se concentrer sur les zones rentables. Seul l'État peut mettre en place les infrastructures nécessaires notamment à la distribution du carburant, afin de sortir du cercle vicieux qui empêche le démarrage de la filière. L'intervention publique est indispensable pour soutenir l'entrée sur le marché. Difficile, vu les contraintes budgétaires mais nécessaire, comme le dit l'Ademe ! Toutefois, la baisse durable de la dépendance vis-à-vis du pétrole passera par une réflexion globale sur l'aménagement du territoire, la limitation de la place de la voiture individuelle et le développement des transports collectifs, le rapprochement des lieux de travail et du domicile. Bref, il faut un diagnostic, une vision d'avenir et une intervention de l'État, dont nous sommes loin aujourd'hui.
Mme Angèle Préville . - Merci au RDSE d'avoir inscrit ce débat très intéressant et actuel. Alors que la fonte du glacier Thwaites menace d'accroître le risque réel de submersion des côtes, nous sommes à la croisée des chemins pour réduire les gaz à effet de serre, dont les deux principaux sont le méthane et le dioxyde de carbone, et pour faire des choix responsables, afin d'éviter l'irréversibilité du changement climatique. Il y a urgence absolue.
L'hydrogène est un fabuleux espoir : gaz incolore et inodore, très léger, libérant par combustion de la chaleur et de l'énergie, lors de cette réaction chimique, il ne produit que de la vapeur d'eau. C'est dire son potentiel extraordinaire. Toutefois, il n'existe pas dans la nature et la technique actuelle, par vaporeformage de méthane, dégage du dioxyde de carbone, pour produire de l'hydrogène « gris ».
Au contraire, l'électrolyse, passer un courant électrique dans l'eau, est plus propre, mais coûteuse et de rendement moyen, donc peu utilisée. Le Commissariat à l'énergie atomique a montré qu'il est possible de produire un « hydrogène vert » avec des éoliennes et des panneaux photovoltaïques dont l'électricité produite en excès à l'été, peut alimenter l'électrolyse à haute température et haut rendement, qui est testé actuellement à Grenoble, en vue de son industrialisation à cinq ans. Le projet Jupiter 1000 power-to-gas de stockage de l'électricité fonctionnera dès cette année à Fos-sur-Mer.
L'hydrogène est un vecteur stratégique de stockage intersaisonnier de l'électricité : celle-ci ne se stocke pas, celui-là oui. En Allemagne, j'ai vu fonctionner à Cologne un bus à hydrogène. À terme, tout le réseau de la ville sera ainsi équipé. Le remplissage du réservoir est rapide, la capacité équivalente à celle d'un bus diesel, et le moteur est plus puissant que celui d'un véhicule électrique...
En 2035, les trains régionaux roulant au diesel devront avoir été remplacés par des trains propres. Mais nous avons du retard. J'espère que l'objectif de verdissement du parc sera tenu.
Pour que l'hydrogène se développe, il faut une action volontariste, pour installer le réseau sur l'ensemble du territoire national. N'est-ce pas le rôle de l'État stratège ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Yves Roux . - « L'utopie est une réalité en puissance », disait Édouard Herriot. Il s'agit de décarboner notre économie. Année après année, les rapports, du GIEC notamment, nous exhortent à accélérer les investissements. La stratégie climat de la Commission européenne, communiquée en novembre dernier, veut passer à la vitesse supérieure pour développer une énergie décarbonée.
Il ne s'agit plus de tergiverser. La France est en retard pour diversifier son mix énergétique. L'hydrogène peut être une solution. Nous connaissons précisément son fonctionnement. Il pourrait être utilisé pour propulser des véhicules, et des modes de transport lourds, grâce à l'installation de stations de recharge.
Nicolas Hulot avait lancé, le 1er juin dernier, un plan Hydrogène.
L'enjeu est de stocker l'électricité des énergies renouvelables et de l'utiliser ensuite dans les réseaux de gaz ou sous forme de piles à combustible, pour développer des mobilités propres. L'Ademe pourrait proposer des aides, des avances remboursables, par exemple, notamment pour développer les réseaux dans les zones non interconnectées. Cela demande de la constance, du temps et une stratégie. Des territoires ont d'ores et déjà relevé ce pari. Des EPCI se sont dotés de stratégies de diversification à grande échelle.
Il faut structurer davantage la filière. Nous plaidons pour que le plan Hydrogène débouche sur des projets concrets et visibles, accessibles dans tous nos territoires, au service de tous nos concitoyens. En découlera le contrat social et environnemental qui les liera à la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC ; M. Éric Jeansannetas applaudit également.)
M. Alain Cazabonne . - Merci au groupe RDSE pour ce débat. La crise des gilets jaunes illustre l'urgence économique et climatique, à l'heure où le président de la République voulait, avec les accords de Paris, dont les États-Unis sont sortis, faire de la France un pays leader pour lutter contre le réchauffement climatique. L'enjeu est aussi industriel. L'hydrogène, s'il est issu d'une production non carbonée, pourrait occuper une place de choix dans la transition énergétique. C'est l'élément le plus léger que l'on trouve dans l'univers : il se compose d'un seul proton et d'un seul électron. Il est aussi l'élément le plus abondant : 75 % en masse et 90 % en nombre d'atomes.
Cependant, la molécule d'hydrogène (H2) n'est jamais seule mais toujours combinée à un autre élément, comme l'eau (H20) ou le méthane (CH4). L'essentiel est donc de décarboner la production de l'hydrogène, pour l'instant issu d'énergies fossiles à 95 %.
La France vise la neutralité carbone en 2050, soit un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions anthropiques comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Outre les hydrocarbures et le charbon, l'hydrogène peut être produit à partir de l'électrolyse de l'eau et d'électricité d'origine renouvelable. Dans ce cas, c'est vraiment une énergie d'avenir.
Alors que l'Allemagne investit 1,4 milliard d'euros et la Chine 8 milliards d'euros depuis 2015, nous devons le faire aussi : nous lançons bien des fusées avec l'hydrogène, pourquoi ne pas faire rouler nos voitures et nos bateaux à l'hydrogène aussi ? J'ai pu faire l'expérience, il y a cinq ans, d'un tel bateau, lors d'un stage en Floride.
La question est celle du stockage de l'électricité. Deux axes d'action apparaissent : d'abord, stocker l'hydrogène pour le convertir en électricité. En Guyane, le plus grand centre de stockage de ce type existe déjà.
L'autre axe est d'utiliser l'hydrogène pour développer les mobilités. C'est sans doute la source des plus grands bouleversements. Des mobylettes fonctionnent déjà avec des piles à combustibles. En Allemagne, deux trains d'Alstom roulent avec cette énergie depuis septembre 2018.
Depuis la loi NOTRe, les régions se sont pleinement saisies de la compétence transport. Les régions Occitanie et Grand Est ont investi 3 millions d'euros avec la région Nouvelle-Aquitaine, dans un projet de TER hybride. M. Benoît Simian, député du Médoc, souhaite que la première ligne TER à hydrogène relie Bordeaux à Soulac-sur-Mer ; je m'associe naturellement à cet objectif.
Vous connaissez les problèmes de l'usine, vitale pour la métropole bordelaise, de Blanquefort, au bord de la fermeture. Elle pourrait se reconvertir dans la production et le stockage d'hydrogène.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Alain Cazabonne. - Selon McKinsey, la filière hydrogène pourrait générer un chiffre d'affaires de 40 milliards d'euros et représenter 150 000 emplois. Ces investissements ouvriraient des perspectives à l'exportation de 6 milliards annuels.
Dans L'île mystérieuse, Jules Verne écrit : « je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir. » Saisissons cette opportunité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Indépendants)
M. Alain Fouché . - Je salue l'initiative du groupe RDSE sur ce sujet d'avenir. L'hydrogène a de nombreuses qualités, notamment écologiques. Son rendement énergétique est trois fois supérieur à celui de l'essence ; c'est grâce à lui qu'Ariane 5 met en orbite les satellites.
Associé à une pile à combustible, l'hydrogène joue le rôle de batterie. Divers projets sont en cours dans le transport maritime et aérien, notamment grâce à Safran. Alstom a construit un train à hydrogène qui circule déjà en Allemagne. Pourquoi pas en France ?
Selon Guillaume Pépy, la SNCF souhaite sortir du diesel à horizon 2035. Pourquoi encore seize ans de diesel sale et de particules fines ?
M. Martial Bourquin. - Excellent !
M. Alain Fouché. - Si l'utilisation de l'hydrogène ne pollue pas, sa production est bien moins écologique. Plus de 90 % de la production actuelle est réalisée à partir de composés organiques, source de CO2. Des modes de productions non polluants sont à l'étude. La voie la plus intéressante parait être la production par électrolyse, qui lisse la production renouvelable d'électricité. Le village de La Nouvelle, à La Réunion, expérimente déjà un tel mix énergétique.
Mais cette technologie reste très coûteuse. Le développement de l'hydrogène nécessite des investissements d'ampleur. Ce gaz est volatil, très inflammable et explosif ; fabriquer la pile à combustible nécessite du platine, d'où un coût élevé.
Cela suppose une politique d'aménagement et d'infrastructure assurant des conditions de sécurité maximale. L'hydrogène pourrait être utilisé afin d'éviter l'extension coûteuse de lignes électriques pour alimenter des territoires ou des voies ferrées isolés.
Notre groupe suivra avec d'attention l'action de l'État en la matière. Ce vecteur d'énergie aura un grand rôle à jouer dans le mix énergétique de demain, à condition de prendre toutes les précautions de sécurité et d'y mettre les moyens suffisants. Je crois à sa réussite ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, Les Indépendants et SOCR)
M. Martial Bourquin. - Très bien !
Mme Martine Berthet . - À la veille de l'examen de la loi d'orientation des mobilités, ce débat est le bienvenu. Le remplacement de l'hydrogène gris des industriels, peu coûteux mais très polluant, par un hydrogène vert décarboné est prévu par le plan Hydrogène de Nicolas Hulot qui comporte trois volets : décarbonation de l'hydrogène industriel, mobilité et stockage.
Une enveloppe de 100 millions d'euros a été annoncée, mais les mesures présentées ne sont pas à la hauteur des enjeux. On sait produire de l'hydrogène vert grâce à la biomasse mais surtout à l'électrolyse de l'eau. L'avantage est de pouvoir stocker une électricité d'origine renouvelable produite discontinûment - ce qu'auparavant, seuls les barrages hydroélectriques pouvaient faire. Stockage massif, activation flexible et restitution multi-usage, voilà qui justifie l'intérêt des énergéticiens.
En Savoie, Mme Poirson a pu constater les avancées technologiques de l'entreprise Atawey et d'autres start-up. Les industriels sont prêts : H2V ambitionne de produire 200 000 tonnes d'hydrogène vert et de créer 12 000 emplois d'ici 2025.
L'hydrogène entre dans une phase d'hyper-croissance, les industriels attendent qu'on les aide à passer à l'échelle supérieure. La fabrication locale bénéficierait grandement à notre balance commerciale.
À la suite du plan Hulot, l'Ademe a lancé des appels à projets ; de nombreux dossiers ont été déposés mais les moyens ne sont pas à la hauteur - ils sont même en deçà de ceux annoncés mi-2018. Il faut étendre le travail de la CRE, trouver des moyens pour faire baisser les coûts, par exemple en baissant les taxes de transport de l'hydrogène vert. Des critères en matière d'émissions de CO2 valoriseraient la filière française, tout comme un dispositif de garantie d'origine.
Il faudra accompagner la transformation des métiers par la formation continue. Une entreprise française a déjà développé des programmes spécifiques pour préparer la nouvelle génération hydrogène.
Enfin, les élus devront être accompagnés : il faut donner aux territoires l'envie d'hydrogène, développer le maillage des bornes de recharge, aussi rapides que celles de carburant classique, à des coûts moindres. Ainsi seraient conciliés les enjeux du pouvoir d'achat et de l'environnement.
L'hydrogène, énergie d'avenir, a toute sa place dans notre mix énergétique, mais il est urgent d'accélérer les démarches pour rattraper notre retard par rapport à nos concurrents. Je regrette que la loi d'orientation des mobilités ne soit pas plus ambitieuse en la matière... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants, RDSE et UC)
M. Martial Bourquin . - L'hydrogène est un sujet décisif pour notre industrie et pour l'avenir de l'humanité. Il faudrait faire plus que l'effleurer. Faut-il aller vers une économie décarbonée ou une économie de l'hydrogène, faut-il corriger à la marge ou préparer les mutations indispensables de notre économie ?
Notre pays doit investir massivement dans la production d'hydrogène décarboné à partir d'énergies douces, d'autant que l'hydrogène permet de stocker ces énergies propres.
Nicolas Hulot avait réservé 100 millions d'euros par an à la filière pour des investissements massifs. Je regrette que ces crédits aient été réduits à 100 millions d'euros sur trois ans, quand la Californie prévoit cent stations hydrogène en 2020, que le Japon prépare un passage rapide à l'hydrogène. Ce retard risque de se payer industriellement et écologiquement. Les choix technologiques doivent rester ouverts. Doit-on passer du tout-diesel au tout-électrique ? Les conséquences seraient désastreuses pour l'environnement mais aussi l'industrie : selon FTI Consulting, un passage trop brusque à l'électrique se traduirait par 38 % du contenu des voitures en moins à produire par les sous-traitants ; 17 % en moins par les constructeurs eux-mêmes. Nous nous battons pour une usine européenne de batteries, mais sommes loin du compte en termes d'emplois...
Ne nous refermons pas sur une seule stratégie. Le moteur atmosphérique peut se dépolluer ; l'électrique prendra sa part. La Chine proposera bientôt une voiture électrique à 8 500 euros, largement subventionnée. Comblons notre retard sur l'hydrogène !
Cela peut passer par le rétablissement d'une fiscalité pour les plus fortunés mais aussi une baisse de la fiscalité de 10 % à 20 % sur l'hydrogène produit à partir d'énergies renouvelables. Ce sont des idées émises par des industriels qui se préparent déjà à cette révolution.
L'hydrogène est cher mais c'est l'avenir. Ne retardons pas la décarbonation de notre industrie, fondamentale pour réindustrialiser la France et l'Europe. C'est un débat plus politique que technique. Prenons de l'avance, ayons de l'ambition ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) « Je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir », écrivait Jules Verne dans L'île mystérieuse, publié en 1875.
J'ai le sentiment que nous ne sommes plus capables d'audace scientifique, de cette capacité de rêver, que l'enthousiasme autour de la potentialité de découvertes disruptives s'est éteint. Pire, coincée entre les intérêts des uns et les craintes des autres, notre recherche semble au point mort.
Après un siècle et demi de tout pétrole, avec à la clé une pollution devenue insoutenable, se profile une massification du véhicule électrique. Il nous faut réinventer notre production d'électricité. La filière nucléaire, pierre angulaire de notre indépendance énergétique, a toute sa place ; nous devons consolider notre savoir-faire, développer de nouveaux procédés de traitement des déchets radioactifs, envisager de plus petites unités de production.
Mais parallèlement, nous ne pouvons plus négliger l'hydrogène qui, grâce à sa capacité de stockage et de diffusion rapide, a des atouts indéniables. Je ne méconnais pas son bilan carbone très défavorable, mais des alternatives se font jour, notamment par la méthanisation.
Le génie humain est capable de surmonter ces difficultés. Encore faut-il déployer des moyens adaptés, définir une stratégie de long terme. L'annonce en grande pompe du plan Hydrogène n'a pas suffi à retenir Nicolas Hulot. Avec 100 millions d'euros par an sur cinq ans, comment prétendre que nous sommes engagés dans une véritable transition énergétique ? Quelques mois plus tard, le Gouvernement annonçait ne subventionner que les projets les plus avancés. Quelle frilosité ! Donnons un cap, au lieu de porter des coups !
Le projet de loi d'orientation des mobilités, tout orienté vers le véhicule électrique à batterie, ne fait aucune mention de l'hydrogène alors qu'il faudrait diversifier notre approche sur les mobilités propres. Dans trois mois, les programmes aux élections européennes proposeront, je l'espère, un projet européen susceptible de rivaliser avec la Chine. Le président de la République a annoncé un « Airbus de la batterie » avec 700 millions d'euros de contribution de la France ; grand bien lui fasse mais il faudrait qu'il soutienne aussi l'hydrogène pour en faire un acteur majeur de la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il manque au titre de ce débat un point d'interrogation. Quand j'étais étudiant, on nous présentait déjà l'hydrogène comme l'avenir...
Je ne conteste pas les potentialités d'un élément qui renferme trois fois plus d'énergie que l'essence, mais l'hydrogène ne sera une solution durable que si sa production est décarbonée : elle représente 3 % des émissions de CO2 et 94 % de sa production provient d'énergies fossiles. Quand il est produit par électrolyse de l'eau, encore faut-il que l'électricité soit elle-même de source bas carbone.
La deuxième question est celle de sa compétitivité. Pour de grandes quantités, le coût varie encore du simple au double, l'hydrogène propre n'étant compétitif que sur certains usages industriels de niche.
Le Gouvernement veut incorporer 20 % à 40 % d'hydrogène décarboné dans l'hydrogène industriel d'ici 2028, en mobilisant 100 millions d'euros d'investissement. Mais, y compris pour le stockage, l'hydrogène est en concurrence avec d'autres technologies comme les stations de transfert d'énergie par pompage ou les batteries dont le coût ne cesse de baisser. À moyen terme, le stockage par hydrogène peut être une solution pour des cas très spécifiques comme zones non interconnectées, avec des réseaux isolés, ou pour certaines mobilités, en complément de l'hybridation, de la mobilité électrique ou du bio-GNV et pour certains usages comme les transports lourds ou les flottes de livraison en milieu urbain.
L'électrification et le biogaz sont plus adaptés pour les véhicules individuels. Outre les surcoûts à l'achat et à l'usage, l'hydrogène impose de respecter des conditions strictes de sécurité. Comment le Gouvernement compte-t-il accompagner le développement d'une gamme de véhicules lourds ou les flottes des collectivités territoriales ?
Sur ce sujet comme sur d'autres, raisonnons sans a priori ni idéologie : la transition énergétique passera par une multitude de solutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat. S'il est produit à partir de sources décarbonées, l'hydrogène est un vecteur unique de décarbonation de notre économie. C'est un couteau suisse de la transition énergétique car il contribue à la décarbonation de l'industrie, de la mobilité et de l'énergie.
Nous avons en France des acteurs industriels de premier plan et des utilisateurs prêts à s'engager. Le plan Hydrogène, lancé le 1er juin 2018 par Nicolas Hulot, vise à accompagner l'innovation, développer les usages et positionner nos acteurs sur un marché mondial. L'ambition est maintenue, avec 100 millions d'euros d'investissement et des objectifs confirmés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Les trois axes du plan sont la décarbonation des usages dans l'industrie, le développement des usages pour la mobilité propre et l'intégration de l'hydrogène dans le système énergétique.
L'hydrogène représente 3 % des émissions de CO2 en France mais 26 % des émissions de CO2 de l'industrie car il est à 95 % carboné. Nous allons donc soutenir le déploiement des électrolyseurs arrivés à maturité mais encore chers.
Pour réduire les coûts, il faut changer d'échelle. Pour des secteurs comme la chimie ou la verrerie, les électrolyseurs sont aussi compétitifs que l'hydrogène fossile ; il faut convaincre l'industriel d'investir et de changer ses pratiques. Un appel à projets sera bientôt lancé pour la production décarbonée d'hydrogène, avec une aide de l'État dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Nous sommes attentifs à l'équilibre entre usages diffus, plus proches de la compétitivité, et usages massifs où la maturité est plus lointaine mais les volumes permettront de déployer de gros électrolyseurs. Le comité stratégique de filière sur les énergies renouvelables fera des propositions en ce sens.
Le second axe du plan est la valorisation des usages de la mobilité, où l'hydrogène a trois avantages majeurs : faible temps de recharge, autonomie comparable au thermique, poids et encombrement réduits. Près de 5 000 utilitaires légers et 200 véhicules lourds sont équipés, 100 stations sont en cours de construction ; nous visons une flotte de 20 000 à 50 000 utilitaires légers et de 800 à 2 000 véhicules lourds à l'horizon 2028, avec 400 à 1 000 stations. Les exemples de Pau, de Dunkerque et du Pas-de-Calais en général sont intéressants.
Un premier appel à projets a été lancé par l'Ademe en octobre 2018, 24 dossiers sont en cours d'instruction.
La mission du député Benoît Simian a lancé une dynamique en faveur du verdissement du parc ferroviaire, qui réclame un investissement des régions.
Enfin, l'hydrogène par électrolyse est à long terme une solution pour intégrer des énergies renouvelables au système électrique. L'électricité est stockée sous forme d'hydrogène qui peut être valorisé directement, injecté dans les réseaux de gaz ou méthanisé. Les besoins de flexibilité sont forts dans les zones non interconnectées (ZNI), par exemple à La Réunion. L'hydrogène peut y être compétitif à court terme sur le plan environnemental et économique, et à plus long terme en métropole.
Les interactions entre électricité et gaz sont très prometteuses, notamment avec le power-to-gas expérimenté à Dunkerque et Cappelle-la-Grande.
Nous travaillons à identifier les services rendus par l'hydrogène et les moyens de valoriser ce type de service ; une mission est en cours à RTE et Enedis pour préciser le business model. Nous identifions aussi les besoins de stockage pour chaque ZNI et prévoyons d'y lancer des expérimentations en déterminant les conditions d'injection d'hydrogène envisageables. Un rapport est prévu à l'été.
Nous travaillons avec la filière pour constituer une véritable équipe de France de l'hydrogène, avec des engagements concrets des acteurs en complément de ceux de l'État. Il s'agit de lever les freins, d'encourager les regroupements.
Sur le financement, j'entends vos propositions. L'hydrogène, comme les autres énergies renouvelables, est au service de notre objectif zéro net carbone en 2050, soit une division par huit de nos émissions. Cet objectif est maintenu.
Le plan Hydrogène n'est qu'un début, il s'agit de le faire vivre collectivement. C'est un accélérateur formidable de la transition écologique. Le potentiel existe, agissons ensemble pour relever le défi ! Le Gouvernement vous rendra compte régulièrement des progrès accomplis en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)