Mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Le Brexit aura des conséquences dans toute l'Europe. Ce divorce sera encore plus douloureux quand il faudra le mettre en oeuvre. Le Gouvernement nous propose de nous y préparer avec ce projet de loi d'habilitation, sur lequel la CMP a trouvé un accord.
Le vote du 15 janvier 2019 réactualise l'hypothèse d'une sortie sans accord. L'accord du 25 novembre 2018 n'est pas négociable. C'est le seul possible, car il ménage une clause de sauvegarde sur la question irlandaise et préserve les intérêts de l'Union européenne. Merci à Michel Barnier d'avoir réussi à maintenir un front uni des 27.
Ne rêvons pas d'un maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Le Brexit sera un divorce non ordonné, effaçant les acquis de 45 ans de construction européenne. Nous sommes inquiets des conséquences économiques sur les secteurs de l'agro-alimentaire, de la pêche, de l'industrie automobile ; les Britanniques redoutent des pénuries de médicaments.
L'axe Douvres-Calais risque de ne fonctionner qu'à 13 % de ses capacités pendant les six premiers mois du Brexit.
Faute de ratification de l'accord de novembre 2018, les droits des ressortissants européens au Royaume-Uni seront fragilisés. L'incertitude est aujourd'hui totale, et l'urgence ne fait pas de doute.
C'est pourquoi le Sénat, à l'unanimité, le groupe CRCE s'abstenant, a accepté d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Cette méthode ne nous satisfait pas, mais les délais sont brefs et les mesures temporaires ; en outre, cette possibilité est encadrée dans la finalité et le champ d'intervention des ordonnances.
Ce n'est pas un blanc-seing ; en précisant l'habilitation, le Sénat vous prémunit contre d'éventuels recours. Nous avons ainsi précisé le régime applicable aux travaux urgents liés à la sortie du Royaume-Uni comme le statut des Britanniques travaillant en France après le Brexit, renforcé l'attractivité du territoire français pour les entreprises britanniques, facilité la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises au Royaume-Uni...
L'Assemblée nationale a conservé la structure du texte du Sénat. Je remercie le rapporteur de l'Assemblée nationale, Alexandre Holroyd, du dialogue constructif. Grâce aux mesures de contrôle parlementaire de la préparation et de la mise en oeuvre des ordonnances, le groupe de suivi sur le Brexit disposera ainsi de tous les moyens de poursuivre son travail. Ce compromis satisfaisant a fait l'objet d'un accord en CMP.
Beaucoup reste à faire. Madame la ministre, la balle est dans votre camp. Attentifs et mobilisés, nous avons commencé nos travaux dès ce matin pour suivre l'action du Gouvernement et veiller à l'instauration de mesures réciproques par le Royaume-Uni. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et LaREM)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Le rejet avec 130 voix d'écart, le 15 janvier, par la Chambre des Communes, de l'accord, accroît les incertitudes. Si nous n'agissons pas rapidement, un tel Brexit dur touchera fortement nos concitoyens et nos entreprises.
La Commission européenne a publié seize propositions législatives. Au niveau national, le Premier ministre, dès l'automne, a préparé des mesures aboutissant à ce projet de loi. Je me réjouis de l'accord en CMP qui permettra au Gouvernement d'agir - ou non - au moment opportun.
La première ordonnance sera présentée en conseil des ministres la semaine prochaine. Ces ordonnances porteront sur trois sujets : la situation des ressortissants français au Royaume-Uni revenant en France, la situation des Britanniques en France et la circulation des personnes et des marchandises.
Les travaux législatifs ont permis des avancées substantielles. Nous pourrons, par exemple, mener à bien les travaux d'aménagements portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routiers. Cela permet d'assurer une continuité indispensable avant l'adoption d'un accord de retrait ou d'accords bilatéraux futurs.
La promulgation de ce projet de loi est prévue avant fin janvier. La France, avec l'Allemagne, sera l'un des États membres les plus avancés dans sa préparation à une sortie sans accord, et ce projet de loi est un texte de référence pour nos partenaires européens. Je remercie le Sénat d'avoir pris toute la mesure de l'urgence de la situation et accepté l'habilitation sollicitée.
Je vous remercie aussi des débats, de vos contributions sur la structure du projet de loi, des précisions utiles sur la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Le Gouvernement ne ménage aucun effort pour limiter les conséquences d'un Brexit hard. Chaque ministère suit activement les sujets le concernant, qu'il s'agisse du personnel, d'équipement ou d'infrastructures ; une réunion était organisée ce matin autour du Premier ministre. Ce midi, nous déjeunions avec le Premier ministre et les présidents de région pour les informer et les encourager à avancer dans leur propre préparation. Un site internet interministériel unique d'informations sur le Brexit a été créé à destination des entreprises et des particuliers.
Le transport aérien et la pêche relèvent de contingences européennes et non nationales : nous y serons attentifs, même s'ils ne figurent pas dans le projet de loi.
Je vous demande de voter ce projet de loi d'habilitation indispensable pour faire face à toute éventualité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains)
M. André Gattolin . - Ce projet de loi est le fruit d'une CMP conclusive et très constructive, grâce aux deux rapporteurs.
L'urgence de préparer au mieux notre pays au Brexit justifie le pragmatisme et la flexibilité dont le Parlement a fait preuve en acceptant le recours aux ordonnances - ce qui n'est pas rien. En contrepartie, le rôle du Parlement dans l'écriture, le contrôle et l'évaluation des ordonnances a été renforcé. L'intelligence et le pragmatisme de notre représentation nationale ont de quoi faire pâlir de jalousie nos homologues d'outre-Manche !
Si la première ministre britannique est parvenue à sauver sa peau de justesse hier soir, nous sommes inquiets de l'avenir politique et économique du Royaume-Uni et des conséquences d'un Brexit dur pour le peuple britannique, l'Union européenne et pour nous-mêmes.
Certains se félicitaient de possibles retombées positives du Brexit pour la place de Paris. C'est oublier que notre secteur agroalimentaire a tout à perdre : nos pêcheurs, mais aussi le marché de Rungis qui réalise 10 % de son chiffre d'affaires en exportation, en bonne partie vers le Royaume-Uni.
En 1964, Arthur Koestler publiait Suicide d'une nation ?, critiquant les atermoiements d'une Grande-Bretagne attachée à un Commonwealth dépassé, nostalgique de sa grandeur passée... Dix ans plus tard, sous Edward Heath, le Royaume-Uni adhérait à la CEE : une révolution qui sortait la Grande-Bretagne de son apathie et lui apportait un souffle nouveau historique.
Quarante-cinq ans plus tard, le Royaume-Uni prend le chemin inverse, en sortant de l'Union. Richard Liscia a raison de déplorer que l'ADN démocratique d'un très grand pays ait été génétiquement modifié par une bande de voyous populistes comme Boris Johnson et Nigel Farage - des hommes qui ont menti à des fins purement politiciennes et dont le comportement n'est pas éloigné... de la trahison pure et simple. (MM. Jean Bizet et Olivier Henno applaudissent.)
Ce grand pays voisin demeure culturellement européen, mais il s'est engagé dans une forme de suicide dont nous n'avons pas à nous réjouir.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. André Gattolin. - Comme dans tout suicide, les proches sont des victimes collatérales, c'est notre cas. Espérons que le Royaume-Uni profitera des prochaines semaines pour se ressaisir. (M. Jean Bizet et Mme Colette Mélot applaudissent.)
M. Éric Bocquet . - Ce débat illustre la crise traversée par l'Union européenne et tout le projet européen - je ne partage pas les propos d'André Gattolin. C'est une crise inédite, elle dépasse le cas britannique : l'Union n'est plus jugée à même de faire la richesse des nations ou d'assurer la prospérité des peuples. Nous n'avons pas analysé toutes les causes du vote britannique.
Nombre d'observateurs de la vie britannique ont souligné le peu de docilité des parlementaires britanniques vis-à-vis du Gouvernement. Theresa May l'a dit : la Chambre a parlé, l'exécutif l'écoutera.
Le Gouvernement britannique a donc trois jours pour présenter un nouvel accord, ou bien le Parlement s'en chargera. Le Parlement britannique est un véritable contre-pouvoir à l'exécutif et les parlementaires de la majorité ne sont pas de simples godillots. C'est cela, une véritable démocratie représentative.
La CMP a supprimé une bonne partie des apports du Sénat alors qu'ils n'avaient pas pour but d'enquiquiner le Gouvernement. Celui-ci s'arroge trop de domaines par ordonnances.
Toutefois, la finalité des ordonnances a été respectée et l'information du Parlement est renforcée.
Le groupe CRCE s'abstiendra comme en première lecture car, notamment, le projet de loi répond aux incertitudes des ressortissants français au Royaume-Uni.
M. Jean-Marc Todeschini . - De l'Entente cordiale à nos jours, nos relations avec le Royaume-Uni sont le fruit d'une longue construction qui a toujours tenu bon. Nos deux pays sont liés et le resteront : ils sont voisins, séparés par une bande de mer de 36 km, partageant une histoire entremêlée et marquée par les 200 000 Britanniques sur notre sol et 300 000 Français résidant au Royaume-Uni.
Les liens sont aussi économiques : 300 000 entreprises françaises exportent au Royaume-Uni l'équivalent de 3 % du PIB.
Après le vote de mardi, aucun doute n'a été levé par le Royaume-Uni et de nombreuses interrogations demeurent. Il s'agit ici de ne répondre qu'aux urgences. Nous serons difficilement prêts le 29 mars.
La gestion des espaces frontaliers nous inquiète. Des questions concrètes se posent. Les ports maritimes français nécessitent la même attention que les ports néerlandais ou belges. Cherbourg et Le Havre seront capables d'accueillir les nouveaux flux en provenance d'Irlande.
Notre travail de parlementaires est d'accompagner le Gouvernement pour qu'il agisse avec flexibilité et réactivité. Toutefois le Parlement doit pouvoir contrôler toutes les actions du Gouvernement avec un retour le plus direct possible du terrain.
Nous avons apprécié la rédaction de l'Assemblée nationale au premier alinéa de l'article 4 sur le contrôle parlementaire. Le projet de loi donne de larges marges de manoeuvre au Gouvernement, c'est pourquoi il fallait un contrôle. (Applaudissements sur les bancs de la commission et sur ceux du groupe SOCR ; M. André Gattolin applaudit également.)
M. Jean Bizet. - Très bien !
M. Jacques Mézard . - Pendant trente-sept ans, comme avocat, j'ai rarement connu des divorces heureux. Il est plus sage de se préparer au pire que de le subir.
Il n'est pas opportun de jeter l'opprobre sur les populistes britanniques, car nous avons les mêmes, sinon pire, et l'exemple britannique doit nous faire réfléchir. Mardi, la Chambre des Communes britannique a rejeté le projet d'accord négocié par Michel Barnier, qui a eu le mérite de maintenir l'unité des Vingt-Sept. La réciprocité est non-négociable.
Le groupe RDSE, attaché par nature à la construction européenne, constate tristement les dégâts à venir.
Nos deux pays ont construit un tunnel - surtout payé par les petits actionnaires français - avec l'espoir d'arrimer la Grande-Bretagne au continent, tout en maintenant ses caractéristiques, et maintenant c'est un mur qui s'érige. Un Brexit dur serait une catastrophe pour la Grande-Bretagne comme pour l'Europe. Nous devons songer à nos ressortissants au Royaume-Uni comme à nos amis britanniques sur notre sol. Le Gouvernement a beaucoup travaillé, mais le Parlement aussi, en particulier le Sénat. En ces temps, il m'est agréable de rappeler l'utilité du Sénat et le caractère indispensable du bicamérisme.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - C'est bon de le rappeler !
M. Jacques Mézard. - Le groupe RDSE, quoique peu partisan des ordonnances, votera ce projet de loi d'habilitation.
Par le passé, j'ai rappelé nos liens avec la Grande-Bretagne et l'importance de ne rien faire qui accentue la fracture. Dans les heures les plus sombres de notre pays, des grands-bretons ont fait beaucoup pour lui. Je ne peux que penser à Winston Churchill.
Faisons en sorte que, malgré toutes ces difficultés, un jour, nous puissions reprendre un dialogue constructif ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM, Les Indépendants et sur le banc de la commission ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
M. Olivier Henno . - Le scénario d'un Brexit sans accord est de plus en plus probable, ce qui justifie l'adoption de mesures d'urgence.
Ses conséquences seront graves pour nos entreprises, notamment dans le Nord et dans les départements voisins. Elles entretiennent des relations commerciales quotidiennes avec nos voisins britanniques et je ne suis pas sûr qu'elles aient toutes pris les mesures nécessaires.
L'activité portuaire sera congestionnée. Nos entreprises ne pourront agir seules, elles devront être accompagnées.
Le projet de loi répond à ces enjeux. Le Gouvernement entend agir selon un principe de réciprocité. Toutefois, les Britanniques n'ont pas répondu clairement sur ce qu'ils feront.
Il semble que nul, au Royaume-Uni, ne sait ce qu'il veut. Il est plus facile de construire une majorité contre que pour. Tirons-en des leçons pour un éventuel référendum d'initiative populaire.
David Cameron a voulu jouer au plus malin. « Or tel est pris qui croyait prendre », comme le dit la fable de La Fontaine. Malgré son manque singulier d'humilité, qui le conduit à prétendre ne rien regretter, Cameron - et le référendum - est hors-jeu pour longtemps au Royaume-Uni. N'est pas Churchill qui veut !
Je salue le travail des rapporteurs de la CMP. Le Parlement est rarement favorable aux ordonnances, mais c'est ici la méthode la plus adaptée.
Espérons que nos intérêts seront préservés au mieux. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Mme Colette Mélot . - « Les bons Européens sont ceux qui savent identifier les difficultés, pour trouver des solutions », disait Paul-Henri Spaak.
Le Royaume-Uni semble réagir de façon désordonnée, en rejetant le texte négocié pendant 17 mois par Michel Barnier, que je salue.
Il reste 70 jours pour éviter un départ dans le chaos. En dépit d'élections catastrophiques et de démissions en série, Theresa May a fait preuve d'une résilience peu commune.
Que dire du parti conservateur qui précipite le Royaume-Uni dans l'abîme et la coalition baroque qui s'oppose au texte de l'accord ? Que faire ? Renégocier ? Poser des conditions ? Certains évoquent même le report de la date limite fixée au 29 mars avec des conséquences ubuesques sur les élections européennes.
Le Brexit s'inscrit dans la perspective plus large de relations à maintenir dans l'avenir.
Nous devons aussi réfléchir à l'avenir d'une Union européenne à 27. Les citoyens ne doivent pas penser qu'elle se construit sans eux.
Nous devons sécuriser nos relations avec le Royaume-Uni en prenant des mesures d'urgence. La Commission européenne a prévu 14 mesures mais c'est loin d'être suffisant. Ce projet de loi n'est pas la panacée mais il fait face à la perspective d'un no deal, pour éviter de clouer des avions au sol ou de subir une pénurie de médicaments.
Le groupe Les Indépendants espère que le Gouvernement n'aura pas à prendre des ordonnances mais les probabilités qu'elles soient nécessaires a fait un bond impressionnant en moins de 48 heures.
Un no deal est préférable à un mauvais deal : madame la ministre, vous avez raison. Le groupe Les Indépendants votera pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs de la commission et du groupe LaREM)
M. Jean Bizet . - Les parlementaires apprécient généralement peu les ordonnances. Toutefois, cette solution est en l'espèce justifiée pour limiter les effets néfastes du Brexit, en particulier faute d'accord. Le vote de la Chambre des Communes, mardi, a encore accru cette urgence. Le scénario catastrophe du no deal a pris davantage corps.
Le départ du Royaume-Uni aura lieu dans 70 jours, c'est-à-dire demain. Les conséquences restent difficiles à appréhender mais elles devraient être importantes, notamment pour la France, seul pays à partager une frontière terrestre avec la Grande-Bretagne, bien qu'elle soit souterraine.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi. Je salue le travail du rapporteur Ladislas Poniatowski.
L'adoption de ce projet de loi ne règle rien. Je n'oserai dire que ce n'est qu'un point de départ, mais le Parlement et le Gouvernement devront prendre toutes les mesures nécessaires et réaliser les investissements humains et matériels indispensables.
Je pense aux domaines sanitaires et phytosanitaires. La France apparaît à cet égard en retard par rapport à ses voisins belges et néerlandais. Il est essentiel qu'un défaut d'adaptation de nos structures portuaires ne crée pas un désavantage compétitif pour la France, la privant de la captation de flux commerciaux.
Le Royaume-Uni a porté de 2 à 4 milliards de livres les fonds destinés à préparer un no deal. Quels seront les moyens mis en oeuvre par notre pays ? Les relations commerciales entre le Royaume-Uni et la France pourraient être régies par les seules règles de l'OMC ; or le président du Medef international l'a dit, il reste des problèmes à régler.
Nous souhaitons être informés des progrès dans la rédaction des ordonnances. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants et UC)
Les conclusions de la CMP sont adoptées. En conséquence, le projet de loi est définitivement adopté.
Prochaine séance, mardi 22 janvier 2019, à 9 h 30.
La séance est levée à 18 h 50.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus