Accord économique et commercial global (CETA)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conditions de mise en oeuvre de l'Accord économique et commercial global (CETA).
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.
Je vous rappelle que l'auteur du débat disposera d'un temps de parole de 8 minutes y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - Notre groupe a souhaité ce débat sur le CETA, traité de libre-échange de l'Union européenne avec le Canada, car il règne une grande opacité autour de ce traité nouvelle génération : dans sa négociation, sa mise en oeuvre, sur ses effets, son échéance et sa ratification.
Ce traité n'est pas un accord commercial comme un autre, il ne se contente pas d'abaisser les barrières tarifaires mais il amoindrit toute entrave au commerce même quand l'intérêt général est en jeu, c'est-à-dire qu'il abat les barrières non tarifaires y compris lorsqu'elles protègent nos services publics, notre santé et l'environnement.
Or d'autres accords de cet ordre sont en préparation, avec Singapour, le Mercosur, le Vietnam, l'Indonésie, le Japon.
Le CETA a été négocié à Bruxelles, au 3e sous-sol, par la Commission européenne en 2014.
Même si nous avons gagné en transparence sur les mandats de négociation, publiés sur le site du Parlement européen, et même si l'Union Européenne a toute compétence pour ces négociations depuis le traité de Lisbonne, l'association des Parlements nationaux reste un enjeu majeur.
Le CETA, signé le 30 octobre 2016, est entré en vigueur de manière provisoire le 21 septembre 2017 pour les barrières tarifaires. Mais nous devions nous prononcer sur les barrières non-tarifaires. Nous venons de voter la timide loi EGalim et demandons à nos agriculteurs qualité et traçabilité, alors que le Canada autorise encore 46 substances actives interdites ailleurs.
Monsieur le ministre me dira que les quotas de viande porcine - de 75 000 tonnes - et bovine - de 35 000 tonnes - ne sont pas atteints. Mais il est impossible d'étiqueter la viande aux hormones. Qui nous dira que le saumon nourri aux OGM ne se retrouvera pas un jour dans nos assiettes ?
M. Roger Karoutchi. - Ah !
M. Fabien Gay. - Nous restons dans la logique : « pas chez nous, mais ailleurs, oui » ! Allez-y ! Polluez ! Nous cautionnons par les importations des pratiques destructrices de l'environnement. Le climat est le grand oublié, sachant que le trafic maritime entre l'Europe et le Canada doit augmenter de 7 % après ce traité.
Avec les sables bitumineux et la montagne d'or en Guyane, votre slogan c'est effectivement : make our business great again !
Jusqu'à quand allons-nous laisser l'exécutif nier aux parlementaires le droit de se prononcer sur le CETA ? Il a été ratifié côté canadien et par le Parlement européen. Chacun des États membres devait ensuite le ratifier, ce qu'ont fait la Lituanie, la Lettonie, le Danemark, la Croatie et le Portugal.
Mais ici comme en Italie, rien ne vient. Est-ce pour laisser au gouvernement italien un moyen de le faire accepter ?
Nous et nos camarades communistes européens proposons un grand référendum sur le CETA - qu'il faudrait respecter, celui-ci, pas comme celui de 2005. Monsieur le ministre, vous pourriez l'intégrer dans vos clips de propagande... (Sourires)
Dernier point, qui devrait nous rassembler : les tribunaux d'arbitrage. Allons-nous laisser les multinationales décider à notre place ? L'association Les Amis de la Terre a récemment révélé que Vermilion Energy, une entreprise canadienne, a menacé la France de poursuites. Si nous baissons les bras, autant démissionner tout de suite et déménager l'hémicycle au conseil d'administration des GAFA !
Cette citation a 170 ans mais elle est toujours d'actualité : « En général, de nos jours, le système protecteur est conservateur tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l'extrême l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce sens révolutionnaire, messieurs, que je vote en faveur du libre-échange ».
Ces mots de Karl Marx, je les fais miens aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Merci de me donner à nouveau l'occasion de débattre de ce sujet, déjà abordé en auditions de commissions et dans cet hémicycle, ainsi qu'à l'Assemblée nationale. Mais vous ne m'aurez pas à l'usure ! (Sourires)
Lorsque je siégeais sur ces bancs, j'étais déjà très vigilant sur le CETA. Il ne me semblait pas de bonne méthode en 2014 d'apprendre des éléments de cette négociation, non de la Commission européenne mais du négociateur canadien ou québécois... Au Gouvernement désormais, je suis résolument déterminé à améliorer la procédure de négociation par la Commission, pour plus de transparence.
Cet accord a permis au Gouvernement de prendre des engagements en matière de politique commerciale.
Nous avons adopté un plan d'action pour le suivi de cet accord, afin d'affirmer notre ambition notamment en matière climatique, dans notre relation avec le Canada et pour les négociations à venir.
Un an d'application provisoire après, nous notons des retombées positives : nous exportons 5 % de vins français en plus, 8 % de fromages en plus et certaines craintes se sont révélées vaines. Le Canada est un partenaire important pour défendre le multilatéralisme - il organisait il y a peu une conférence pour sauver l'OMC. Ce que nous visons, plus que le libre-échange, c'est le juste échange. Ce ne sont pas des mots. En effet, nous devons mettre, au regard des inégalités qui tiraillent nos sociétés, de l'équité dans les échanges commerciaux internationaux.
Vous parlez d'opacité. Il y a les auditions parlementaires, les débats comme celui de ce soir, le comité de suivi de la politique commerciale publie des tableaux récapitulatifs de la mise en oeuvre du plan d'action, dont la dernière version est en ligne : tout est à la disposition du public et des parlementaires en particulier.
Du côté de l'agriculture, nous avons obtenu un contingent de 18,5 tonnes de fromage, là où les tarifs douaniers s'élevaient à 245 %. Même chose pour les vins et spiritueux. Il y a eu un peu moins de 500 tonnes d'importations de viande bovine entre janvier et août 2018, soit à peine plus de 1 % du contingent de 45 000 tonnes, qui est loin d'être saturé !
M. Regnard, élu des Français d'Amérique du Nord, vous le confirmera, nos compatriotes connaissent des problèmes dans leur insertion dans les ordres professionnels au Canada et au Québec. Le Canada a reconnu 42 de nos IGP : notamment le jambon de Bayonne, le piment d'Espelette, les huîtres de Marennes-Oléron, le brie de Meaux, le crottin de Chavignol et j'en passe.
M. Christophe Priou. - Et le Chablis ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Et le Chablis, bien sûr ! Nous sommes mobilisés pour suivre la mise en oeuvre de cet accord dans le détail. Il n'y a pas de déferlement de viande canadienne, les Canadiens n'étant pas outillés pour exporter vers l'Europe et n'ayant pas l'appétence pour construire une telle filière. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Artano . - Merci au groupe communiste pour ce débat. Le CETA démontre la prééminence du pouvoir de la technocratie européenne sur le pouvoir politique. On attend avec optimisme la libéralisation des services, qui représenteraient plus de 6 milliards d'euros par an de PIB européen. Cet optimisme n'est certes pas partagé par tous
On est inquiet à Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité de l'article 74, à qui l'Union européenne verse 26 millions d'euros de crédits pour son développement et son insertion dans sa région - soit le Canada qui est à 30 kilomètres.
Or il est navrant que Saint-Pierre-et-Miquelon n'ait jamais été intégrée dans la négociation. En 2016, la Direction générale du Trésor a fourni un rapport qui n'a pas été suivi d'effet.
Le Gouvernement français doit assumer la responsabilité du CETA. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants ; Mme Sophie Primas applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Effectivement, Saint-Pierre-et-Miquelon n'a pas été intégrée dans l'accord économique et commercial global. La France a négocié des délais pour les produits de la mer - jusqu'à sept ans. Une mission en 2016 a conclu que Saint-Pierre-et-Miquelon serait peu impactée par cet accord. Nous redemanderons une nouvelle mission pour s'assurer que c'est toujours le cas.
À chaque fois que la France et le Canada se parlent, nous évoquons Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous avons obtenu l'exonération de l'augmentation des frais d'inscription dans les universités canadiennes.
Vous le savez, Annick Girardin est très attachée à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont tous les sujets de préoccupation sont pris en compte par le président de la République et le Premier ministre. Soyez assuré que nous sommes à vos côtés.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Les exportations sont en hausse - notamment le chocolat belge, le jambon italien, les fromages, les fruits, les produits pharmaceutiques - mais il semblerait que certaines taxes aient augmenté au Canada : la Colombie britannique limiterait la vente des vins européens en grande surface ; l'Ontario appliquerait des taxes de 60 centimes de dollars canadiens par litre, deux fois plus élevées que pour les vins nord-américains ou chiliens. Vigilance, donc.
L'élevage bovin, sans accès aux pâturages, utilise des méthodes en contradiction avec nos lois, mais rien n'empêche à l'avenir cette viande engraissée aux hormones de croissance, aux farines animales et aux antibiotiques de se déverser sur notre marché, grâce au contingent très important, qui concernerait presque exclusivement le morceau le plus rémunérateur pour nos éleveurs : l'aloyau. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Nous l'avons dit systématiquement au Canada, au niveau fédéral, comme au niveau provincial au Québec : il est impensable que les avancées obtenues par l'accord soient remises en cause par des limitations telles que celles que vous évoquez ou par diverses autres mesures. Mme Hudon, la très active ambassadrice du Canada en France, qui nous écoute, aura noté que la Représentation nationale rejoint le Gouvernement sur ce point.
Le quota de viande bovine est de 45 000 tonnes. Je connais la crainte de remplir ce quota de morceaux de choix. D'après les Canadiens, ce risque est infondé : ils devraient exporter des carcasses. Nous restons vigilants.
M. Joël Guerriau . - Le CETA se veut novateur. Il a pour but d'améliorer la croissance et l'emploi. Le Canada a promis la transparence en publiant ses marchés publics sur un site web unique.
Ce débat est aussi l'occasion de s'attarder sur le mode de négociation de la Commission européenne. Elle tend à oublier ces régions périphériques et les enjeux climatiques. Le commerce doit être un levier pour imposer les standards européens.
Enfin, il est fondamental de ne pas être naïfs concernant la réciprocité. Il faut se confronter à la Chine ou aux États-Unis qui font preuve de protectionnisme.
Quelle est la position de la France pour moderniser la politique commerciale européenne ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - La France défend au Conseil européen les intérêts des régions ultrapériphériques. Notre requête figure dans le préambule des deux mandats de négociation. Nous ne baissons pas la garde.
Sur le climat, nous avons obtenu un certain nombre de références aux enjeux qui nous sont chers. L'accord avec le Japon prévoit un engagement à mettre en oeuvre effectivement les accords de Paris. L'accord avec Singapour, signé il y a un peu moins d'un mois, prévoit une baisse préférentielle des barrières tarifaires pour les biens verts.
Sur la réciprocité, vous parlez d'or : l'Union européenne ne peut pas être naïve face au protectionnisme. Nous avançons pour défendre notre souveraineté industrielle et technologique.
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous avons interdit dans la loi EGalim l'interdiction de vente de produits non conformes aux normes européennes et dans le même temps la France ouvre ses frontières aux produits étrangers, tels que le boeuf canadien.
Le traité avec le Mercosur ouvrirait les portes à 99 000 tonnes de viandes non tracées utilisant intensivement antibiotiques et farines animales.
Il y a un vrai déficit d'évaluation de l'impact cumulé de ces accords, comme l'a souligné le Sénat dans sa résolution. Comment en évaluer précisément les conséquences, au moment où nos frontières deviennent poreuses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Nous souscrivons à EGalim pleinement. Sur l'accord avec le Mercosur, la France souhaite des garanties de traçabilité - vous connaissez les scandales ayant été révélés au Brésil. La France fédère régulièrement les États membres de l'Union européenne pour tracer des lignes rouges. Il s'agit de respecter les sensibilités agricoles des différents États, dont la France.
Avec nos amis belges, nous avons obtenu qu'il soit fait référence à l'impact cumulé des traités de libre-échange. C'est une avancée notable.
M. André Gattolin . - La politique commerciale de l'Union européenne focalise les critiques contre l'Union européenne. On lui a souvent reproché d'être trop pro-business, focalisée sur le marché, ou de réfléchir en silo, en ne prenant pas les droits de l'homme et des travailleurs en compte, dès qu'il est question de commerce.
La Commission a aussi été considérée comme une industrie de production de traités, qui n'en assure pas le suivi. Je me souviens des paroles dans ce sens de Matthias Fekl, alors ministre du commerce, prononcées ici même il y a deux ans et demi.
Sous l'impulsion de la demande des opinions publiques et de la présidence Juncker, le mode de négociations est plus équilibré et plus démocratique, moins secret.
L'Union européenne, enfin, met du politique en posant des conditions sur les droits de l'homme et des travailleurs. Elle le fait pour le Vietnam ou le Cambodge. Dans ce dernier cas, on a montré que l'on est capable de remettre en cause des accords pour non-respect de telles conditions sociales. N'est-ce qu'une illusion, monsieur le ministre ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - La politique commerciale européenne est en profonde mutation, vers la transparence des mandats et des négociations.
La France plaide pour la mise en place d'un procureur commercial au sein de la DG Commerce, qui s'assure que les accords sont respectés. Nous nous réjouissons de recevoir des informations sur les accords déjà conclus. Ainsi, nous avons appris que l'accord de 2011 avec la Corée du Sud a permis à notre commerce de redevenir excédentaire, nos exportations de vins et de spiritueux vers ce pays ayant bondi de plus de 150 %.
Notre ambition environnementale, notre ambition politique et notre ambition sociale sont liées. Nous tenons compte en effet des normes de l'OIT, du respect des libertés, dans les feuilles de route de nos négociations avec le Vietnam, le Cambodge, la Birmanie, marquée par le drame des Rohingyas. À propos de ce dernier pays, des discussions sont enclenchées pour la prise de telle ou telle sanction par certaines entités. L'Union européenne promeut ses valeurs dans ces négociations.
M. Guillaume Gontard . - Le 14 février, Nicolas Hulot déclarait à l'Assemblée nationale que les accords CETA et Mercosur n'étaient pas « en l'état climato-compatibles ». Cette lucidité ne nous étonne pas de sa part. Pas besoin d'être un expert du GIEC pour s'en douter. Le fret est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre, et ces émissions devraient augmenter de 290 % d'ici 2050.
Pourquoi le Gouvernement s'est-il donné la peine de commander un rapport le 3 juillet sinon pour que Nicolas Hulot sauve la face en brandissant un « veto climatique » ?
Le 8 mars, Nicolas Hulot déclarait qu'il allait falloir mener un fort travail de conviction. Depuis qu'il a démissionné, c'est le silence radio. Allez-vous enfin le briser ? Où en est la demande française d'instaurer un tel veto climatique ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - L'entrée en vigueur provisoire de l'accord, décidée, non par nous, mais par l'Union européenne, montre qu'on n'a pas été envahis par des substances dont nous n'aurions pas voulu. La France a transmis un texte élaboré sur le veto climatique. Je fais partie de ceux qui se sont battus contre le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, dit ISDS, initialement prévu. Nous l'avons remplacé par la préfiguration d'une cour permanente de l'investissement puisque les arbitres ne seront plus désignés à l'affaire.
Le président de la République a déclaré qu'il était hors de question d'avoir un accord global commercial avec les États-Unis, depuis que ces derniers se sont retirés de l'accord de Paris. Je me remémore un travail très fructueux avec Nicolas Hulot, ses équipes, et le député Matthieu Orphelin.
M. Guillaume Gontard. - Vous ne m'avez pas complètement rassuré. On n'y arrivera pas avec des petits morceaux de sparadrap. Il faut un véritable veto climatique. M. Hulot a démissionné pour montrer l'incohérence du Gouvernement en matière environnementale.
M. Didier Marie . - Si l'accord est présenté positivement sur le plan commercial, il en va différemment sur le plan climatique. Il faut prévoir la neutralité carbone du CETA.
Les dispositions sanitaires et sur le principe de précaution sont insuffisantes. Le CETA est un accord vivant; il doit progresser avant notre ratification. Où en est-on, notamment concernant le code de conduite du futur organe de règlement des différends qui commencerait son activité en cas de ratification ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Le plan d'action prévoyait que nous puissions compléter l'accord. Le 16 avril dernier, neuf engagements très concrets ont été signés, comportant par exemple un travail commun au sein de l'Organisation maritime internationale sur la réduction des émissions du transport maritime.
J'ai recueilli l'accord de la Commission européenne et du Canada sur les clauses interprétatives. Nous avons souhaité des règles arbitrales très strictes avec au besoin révocation de l'arbitre. Les modalités seront prises en 2019. Ce volet n'entrera en vigueur qu'après ratification puisque l'application provisoire ne concerne que l'aspect tarifaire.
M. Didier Marie. - Les intentions sont bonnes mais les inquiétudes persistent sur l'adhésion de l'ensemble de nos partenaires européens à cette voie.
Sur le règlement des différends, nous attendons un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne.
M. Olivier Henno . - Beaucoup de nuages noirs planent sur le commerce international et le multilatéralisme, à l'heure du Brexit, du budget italien et des tweets de M. Trump...
Le groupe UC est favorable au CETA et c'est pourquoi il souhaite sa ratification par le Parlement. Il y a de nombreuses proximités avec le Canada, qu'elles soient linguistiques ou culturelles.
Le CETA doit être une chance pour toutes les entreprises y compris les PME. Comment les intégrer ? M. Gay a cité Marx. Or « l'effet naturel du commerce est de porter à la paix », selon Montesquieu. Le développement du commerce n'empêche pas la régulation, notion familière à l'Europe, mais encore peu présente outre-Atlantique.
Ainsi, le bien-être animal est trop souvent oublié au Canada. Comment le prendre en compte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Oui les nuages noirs s'amoncellent.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Qui sème le vent récolte la tempête.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Les entreprises ont tendance à freiner leurs investissements en conséquence. Pour y faire face, il faut moderniser l'OMC. Nous partageons votre ambition d'un commerce international régulé.
Un travail pédagogique doit être mené dans nos territoires pour exposer aux entreprises les opportunités offertes par le CETA. À titre d'exemple, l'entreprise française Lauak, chère à la sénatrice Espagnac, a pu se rapprocher du canadien Bombardier.
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Avec le CETA, c'est une fois de plus le « en même temps » catastrophique. Quelle incohérence ! D'un côté, la loi EGalim qui stigmatise l'agriculture française et prône un modèle moins intensif, moins polluant, bref, plus bobo... (On s'amuse à gauche.), qui multiplie les contraintes pour nos agriculteurs, interdit les rabais, ristournes et remises sur les phytosanitaires, interdit les néonicotinoïdes, interdit le cumul entre vente et conseil... De l'autre, le CETA : possibilité pour le Canada d'exporter des bovins et porcins élevés selon des méthodes interdites chez nous, des céréales produites avec 42 pesticides interdits chez nous. Le tout, sans droits de douane ! Les Canadiens seront plus compétitifs que nous. Et je ne parle même pas de l'application transitoire puisque nous n'avons pas encore ratifié cet accord.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous faire cela à nos agriculteurs et à nos consommateurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Cohérence, dites-vous ? Cet accord a été initié par Nicolas Sarkozy.
M. Laurent Duplomb. - C'était avant EGalim.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Un élu de votre département faisait du Gouvernement...
Cohérence, dites-vous ? Nos filières agricoles sont exportatrices, elles ont beaucoup à gagner dans la mondialisation.
Monsieur Duplomb, vous avez présidé Sodiaal - ce n'est pas la PME du coin...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Une petite coopérative ! (Sourires)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Septième groupe mondial, elle a bénéficié à plein des opportunités ouvertes pour l'exportation de produits laitiers.
Mme Sophie Primas. - Capitaliste ! (Sourires)
M. Jean-Yves Leconte . - Je partage les réserves et inquiétudes exprimées sur la manière dont les négociations ont été engagées, qu'il s'agisse de la définition de nos intérêts ou des exigences environnementales. Mais face au monde selon Trump, le rapprochement de deux espaces économiques aux valeurs communes pour faire primer les règles sur le rapport de force est à saluer.
Matthias Fekl avait fait avancer les choses sur les appellations d'origine protégée. Mais le CETA, c'est deux parties : 90 % de l'accord, le tarifaire, relève de la Commission. Mais le reste, les chapitres 8 et 13 attendent la ratification par les 27 États, soit 37 parlements nationaux et régionaux. Ne faudrait-il pas attendre que la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la Belgique, se soit exprimée ?
Quand le Gouvernement assumera-t-il de demander la ratification du CETA devant le Parlement français ? Comment gérerez-vous un refus de ratification par l'Italie ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Vous avez raison, le monde selon Trump, c'est la loi du plus fort. Le dialogue entre l'Union européenne et le Canada sur des questions réglementaires est une belle chose. Si la Chine et les États-Unis se mettaient d'accord sur les normes, nous ne pèserions plus grand-chose. Il est important d'être offensifs dans les accords de juste échange, d'imposer nos IGP, de garder la main.
Je reconnais volontiers avec vous le rôle positif de M. Fekl sur l'arbitrage. Initié sous la droite, continué sous la gauche, chacun a eu à coeur de faire de cet accord une chance.
Avant de prévoir la ratification, nous attendons une étude d'impact française. Nous avons mandaté un organisme de recherche et des inspections pour évaluer l'impact de l'accord sur des filières sensibles, notamment agricole. C'est à la fin de ce travail que le Gouvernement proposera la ratification au Parlement. Je sors d'ailleurs d'une réunion avec des experts sur la méthodologie.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il faut un moratoire !
M. François Bonhomme . - Quels soutiens financiers pour la filière bovine, dès lors que les importations à droits nuls seront tout à fait ouvertes ? Les quotas canadiens sont fixés à 45 000 tonnes, soit 0,6 % de la consommation européenne. Le CETA prévoit certes une clause de sauvegarde en cas de déséquilibre brutal du marché - mais celui de la filière bovine risque d'être progressif.
Quand les contingents seront tout à fait ouverts, la filière canadienne deviendra structurellement plus attractive. Dès lors, quel accompagnement, quelles compensations financières le Gouvernement prévoit-il pour aider nos éleveurs confrontés à ce déséquilibre compétitif ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Accompagner les éleveurs, c'est leur offrir des marchés extérieurs. Nous sommes au rendez-vous. Le marché chinois est rouvert aux éleveurs européens. Les accords avec le Japon et avec le Vietnam sont porteurs de nombreuses opportunités, pour le boeuf comme pour le porc. Si nous nous barricadons tous, nous n'aurons plus, nous non plus, de débouchés.
Merci d'avoir rappelé que 45 000 tonnes, c'est 0,6 % du marché européen. Actuellement, nous en sommes à moins de 500 tonnes, soit 1 % de 0,6% ! (M. Laurent Duplomb proteste.)
Nous veillons aux clauses de sauvegarde pour pouvoir reprendre la main en cas de déstabilisation, de même que dans les négociations à venir, nous tenons compte des consommations passées - c'est le mécanisme dit de Single Pocket. Nous avons obtenu cette référence dans la négociation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Bref, nous sommes mobilisés aux côtés des éleveurs.
M. Christophe Priou . - Sur le principe de précaution, l'accord est insuffisamment explicite : il prévoit que l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas faire obstacle à l'application du traité de libre-échange. Quarante ans après l'Amoco Cadiz et vingt ans après l'Erika, il n'est pas inutile de prévoir une harmonisation des normes de sécurité maritime selon la procédure d'équivalence.
Il n'y a en effet pas de convergence des instruments de lutte contre le changement climatique ni la sécurité maritime. La mission parlementaire sur le fonctionnement du fonds d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures a fait des préconisations. Le CETA fait mention d'un forum de coopération réglementaire. Comment fonctionnera ce dispositif ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - À l'époque de la négociation du CETA, les accords de Paris n'étaient pas signés. C'est désormais la boussole dans tout accord commercial. Au dernier comité de suivi, nous avons veillé à ce qu'il soit fait mention de ces engagements. Je sais votre engagement de longue date sur la sécurité maritime ; le sujet ne ressort pas de la politique commerciale mais nous serons attentifs aux propositions issues de vos travaux que nous pourrions porter au niveau européen. Nous avons besoin de protéger nos littoraux.
M. Christophe Priou. - Nous avons besoin d'échanges sûrs, surtout avec l'ouverture de nouvelles routes maritimes au nord de l'Amérique.
M. Damien Regnard . - Le Canada est le dixième partenaire commercial de l'Union européenne ; il compte cinq pays européens parmi ses premiers partenaires économiques. Le CETA promet la suppression progressive des barrières douanières pour stimuler l'investissement des deux côtés de l'Atlantique. Les échanges commerciaux représentent 60 milliards d'euros par an : l'accord en augmentera le volume à terme de 25 %, générant 12 milliards d'euros supplémentaires par an pour le PIB européen.
En un an, la France en a profité, avec une hausse de 5 % de ses exportations agroalimentaires, 8 % pour les fromages, 14 % pour les vins. Le Canada fait en un an avec la France ce qu'il fait en trois jours avec les États-Unis.
Pour que les entreprises françaises puissent en profiter, il faut le soutenir : le CETA ne remet aucunement en cause nos normes sanitaires, n'en déplaise aux partisans du repli sur soi... Il préserve la souveraineté des parties, leur modèle social et leur réglementation environnementale.
Je reviens du Canada ; la ministre québécoise Nadine Giraud s'inquiète. Quand le Gouvernement suivra-t-il les douze États membres de l'Union européenne en proposant à la représentation nationale de ratifier le CETA ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Les autorités fédérales et provinciales le savent, le Gouvernement soutient cet accord, sans ambiguïté. C'est un bon accord, nous avons obtenu des engagements du Canada pour le compléter. Nous voulons une mise en oeuvre exemplaire.
Oui, il y a là matière à renforcer nos échanges. Jacques Attali parle de francophonie économique : en voici un exemple concret. Le Canada est un espace francophone, cela facilite les échanges. Nous sommes déterminés à mettre en oeuvre cette feuille de route, sous votre regard vigilant. Je me réjouis que la première résolution ait été prise par le Sénat sur l'accord à venir avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Une fois de plus, le Sénat est en avance ! (M. Fabien Gay s'amuse.)
M. Cyril Pellevat . - La communication sur le CETA en direction du grand public pose problème. On a entendu beaucoup de contre-vérités et peu de voix pour défendre l'accord. Les informations sont rares, et souvent en anglais. Comment vulgariser les accords commerciaux et redonner confiance aux citoyens ? Quelles seraient les conséquences en cas de non-ratification ? Où en est le Gouvernement de son plan d'action ? Il faut plus de transparence.
Les entreprises françaises sous-exploitent les possibilités offertes par les accords de libre-échange. Seules 258 entreprises exportatrices françaises s'étaient enregistrées pour profiter du CETA, contre 410 belges, 1 200 allemandes et 12 000 britanniques. Comment aider nos entreprises à saisir ces opportunités ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Vous avez raison, il faut expliquer au grand public et aux entreprises les opportunités qui s'offrent. Il faut faire partager les succès, pour dédramatiser. Les inquiétudes souvent sans fondement ont la vie dure.
En cas de non-ratification par un Parlement, l'accord tombe. Ce n'est pas rien. Chaque Parlement devra se prononcer en responsabilité ; nous vous soumettrons une étude d'impact complète.
Le plan de suivi est mis à jour tous les quatre mois ; la version de septembre est en ligne.
M. Fabien Gay . - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses : il y a eu un débat ce soir.
Vous avez cité les hausses de nos exportations : vins, chocolat, produits pharmaceutiques, machinerie... Mais quid des importations ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Dynamiques.
M. Fabien Gay. - Assurément : en hausse de 206 % pour l'aluminium, de 78 % pour la chimie, de 45 % pour le pétrole et les combustibles. Notons l'incohérence à interdire la production d'hydrocarbures sur notre sol et à augmenter l'importation...
Mme Sophie Primas. - Merci !
M. Fabien Gay. - À quand la ratification ? Vous ne pourrez esquiver indéfiniment la question, même si votre réponse sur ce point était un bel exercice d'équilibrisme... La ratification initialement prévue en septembre a-t-elle été repoussée à cause de la position italienne ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - C'est indépendant.
M. Fabien Gay. - Je le tiens de Patrick Le Hyaric, qui est quelqu'un de sérieux. Je vous adresserai demain une question écrite. Peut-être aurais-je avec vous plus de chance qu'avec vos collègues.
Pas un mot sur l'environnement, sur nos PME ! Le CETA ne profitera qu'aux grandes entreprises, à coup sûr.
Le débat doit porter sur les barrières non tarifaires, sur le service public, l'impact environnemental et sanitaire. Nous avons du mal à harmoniser nos législations - en tout cas vers le haut. Je rappelle que le glyphosate est autorisé au Canada. Il est impossible de distinguer un saumon nourri aux OGM. C'est impossible à étiqueter, comme le boeuf !
Le problème démocratique des tribunaux arbitraux reste entier et vous le savez : vous avez d'ailleurs changé votre fusil d'épaule pour les traités en cours de négociation. Mais pour le CETA, la société Vermilion a fait pression... J'espère que nous pourrons nous retrouver sur ce sujet quand nous débattrons de la ratification. Merci pour ce débat de bonne tenue.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance demain, mercredi 21 novembre 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 5.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus