Prévenir et sanctionner les violences lors des manifestations
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, présentée par M. Bruno Retailleau.
Discussion générale
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je souhaite d'abord la bienvenue au Sénat au nouveau ministre : vous avez, avec cette proposition de loi, des outils indispensables aux forces de sécurité.
Désormais, à chaque manifestation, nous assistons à un déferlement de violences de groupes d'individus de plus en plus déterminés et de plus en plus organisés, qui font preuve d'une violence aveugle contre nos forces de l'ordre, nos institutions, et la République. Ces black blocs s'en prennent aux personnes dépositaires de l'autorité publique.
Quand ils cherchent à blesser nos policiers ou nos gendarmes, c'est notre démocratie qu'ils cherchent à abattre et ils ne s'en cachent pas. Ce sont les mêmes groupes qui criaient à Notre-Dame-des-Landes « À mort l'État » et qui saccageaient les centres-villes de Rennes et de Nantes en terrorisant les riverains.
Ces casseurs de vitrines sont des briseurs de la République. La République doit casser ces groupes et ruiner leur logique de haine anti-flics inacceptable, insupportable. Notre rôle de législateur, c'est d'opposer à la loi du plus fort, la force de la loi ; or la loi est trop faible.
Ces individus dissimulent leur visage sous des draps en sachant pertinemment que ce n'est passible que d'une contravention. Sur les 1 200 individus qui ont saccagé Paris le 1er Mai, seule une centaine a été déférée et le nombre de relaxes est sans commune mesure avec ce qui se pratique pour les autres manifestants.
Ma proposition de loi veut renforcer nos outils, les adapter aux modes d'action de ces groupes.
Je vous propose que la loi donne aux forces de l'ordre les moyens d'agir, sur les plans préventif et répressif.
Les fouilles ciblées doivent pouvoir être organisées en amont des rassemblements et il faut pouvoir interdire à des individus violents d'y participer - puisque c'est possible pour les hooligans. Je propose un an de prison et 15 000 euros d'amende pour dissimulation de visage et trois ans d'emprisonnement assorti de 45 000 euros d'amende pour détention ou usage d'une arme lors d'une manifestation sur la voie publique.
Se pose aussi la question des réparations, car ces groupes causent des dégâts matériels considérables qu'il revient au contribuable de payer. Le principe est simple : c'est celui qui casse, qui paie. Je souhaite mettre fin à ce régime d'irresponsabilité en permettant à l'État de faire payer ces délinquants.
Nous sommes tous attachés au droit de manifester, qui est une liberté fondamentale. Le désordre fait la servitude, disait Charles Péguy, notre rôle de parlementaires est de refuser le désordre, de refuser que la République soit asservie par ceux qui créent le chaos. Nous devons agir - nous en avons les moyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois . - Depuis quelques années, les manifestations sont émaillées de violences dues à des black blocs qui se créent au gré des événements - et qui nuisent au libre exercice du droit de manifester.
Le 1er mai, 1 200 individus ont provoqué des dégâts considérables à Paris. L'hôpital Necker-Enfants malades, où je me trouvais, a été vandalisé.
L'autorité administrative a été dotée de nouvelles prérogatives comme la vidéo protection. L'arsenal répressif a été renforcé. Ainsi, la loi du 2 mars 2010 a créé le délit de participation à un groupement violent. Nous devons toutefois questionner l'efficacité de cet arsenal.
La présentation en masse de personnes interpellées aux autorités de police judiciaire n'est généralement pas compatible avec le cadre juridique inhérent au placement en garde à vue. Or, faute d'éléments de preuve ou de procédure solides, les parquets sont, bien trop souvent, contraints de prononcer des classements sans suite.
Les difficultés à engager des procédures judiciaires sont exacerbées lorsqu'il s'agit de black blocs, qui recourent à des modes d'action spécifiques, conçus pour entraver l'intervention des pouvoirs publics. Il est ainsi particulièrement difficile d'interpeller les black blocs au cours d'une manifestation, en raison de leur capacité à se fondre rapidement parmi les manifestants pacifiques, après avoir abandonné voire brûlé leurs équipements.
Sans avoir pour ambition de résoudre l'ensemble des difficultés soulevées qui, pour partie, relèvent de l'organisationnel, cette proposition de loi apporte une première série de réponses et facilite l'action des pouvoirs publics à l'égard de ces groupuscules ultraviolents.
Je regrette que la commission des lois n'ait pas reçu l'avis de la préfecture de police de Paris.
Le premier volet de ce texte est préventif : il dote l'autorité administrative de nouveaux instruments pour prévenir, le plus en amont possible, l'infiltration des manifestations pacifiques par des individus violents. Ainsi, il confère au préfet la possibilité de diligenter, par arrêté, un contrôle des effets personnels des passants dans le périmètre ou aux abords d'une manifestation, lorsqu'il existe des risques de troubles graves à l'ordre public. Ces contrôles comprendraient des palpations de sécurité et des fouilles de sacs et ne pourraient s'effectuer qu'avec le consentement des personnes contrôlées. Il n'est en revanche pas prévu que des contrôles d'identité et des fouilles de véhicules puissent être réalisés.
Il s'agit à quelques différences près, d'une extension des périmètres de protection que nous avons créés dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Cette proposition de loi, ensuite, autorise les préfets à prononcer, à l'encontre de toute personne susceptible de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, une interdiction de participer à une manifestation, assortie, le cas échéant, d'une obligation de « pointage » auprès d'un représentant de l'autorité publique.
L'interdiction de manifester n'existe, actuellement, qu'à titre de peine complémentaire, pour une durée de trois ans. Il s'agirait, ici, d'en faire une mesure administrative préventive, mais en limitant sa durée de validité à une seule manifestation. Il s'agit d'ailleurs d'une proposition qu'avait faite, en 2015, notre ancien collègue député Pascal Popelin dans son rapport fait au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative au maintien de l'ordre.
Enfin, la proposition de loi propose la création de fichiers départementaux recensant l'ensemble des mesures d'interdiction de manifester, qu'elles soient prononcées dans un cadre judiciaire ou administratif, afin d'en faciliter le suivi, notamment à l'occasion des contrôles de police.
Ces mesures ont le mérite de permettre d'écarter, avant même la manifestation, les individus qui sont animés par la seule volonté de commettre des dégradations. Il ne s'agit pas de porter atteinte à la liberté de manifester, mais d'en garantir le libre exercice pour les manifestants pacifiques, en évitant qu'ils ne soient pris en otage par une poignée d'individus désireux de se livrer à une action violente.
Ces mesures complètent utilement l'arsenal juridique à disposition de l'autorité préfectorale, pour une réponse graduée en cas de menace à l'ordre public. Il est préférable d'empêcher quelques individus violents de manifester plutôt que d'interdire la tenue d'une manifestation !
La commission des lois a précisé le dispositif afin de s'assurer qu'il ne soit pas porté d'atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de liberté de manifester.
Le deuxième volet de la proposition de loi sanctionne plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations sur la voie publique. Il érige en délit la dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, qui est actuellement punie d'une contravention de 5e classe.
Ensuite, il élargit l'infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme, pour viser le port d'armes par destination et de fusées et artifices.
Le dernier volet de la proposition de loi réforme le régime de la responsabilité civile applicable en cas de dommages causés dans le cadre d'une manifestation sur la voie publique. La commission des lois a souhaité mieux responsabiliser les auteurs de dégâts.
Le dispositif initial instaurait une présomption de responsabilité civile « collective » des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l'occasion d'une manifestation, y compris pour des dommages sans lien avec la faute commise par chacune de ces personnes. Cette disposition, en permettant de reconnaître la responsabilité d'un individu pour des dommages qu'il n'a pas causés, poserait des questions de constitutionnalité. Elle risquerait aussi d'affaiblir la protection des victimes car il existe actuellement un régime de responsabilité sans faute de l'État pour tous les dommages commis lors des manifestations sur la voie publique, ce qui garantit un remboursement des victimes. En créant un régime concurrent de responsabilité, qui plus est à l'encontre de personnes dont il y a fort à penser qu'elles seraient insolvables, nous ne sommes pas certains des effets engendrés, surtout que les victimes se portent rarement partie civile : le texte de la commission des lois garde le principe d'une responsabilité sans faute de l'État en s'assurant que les responsables des dommages participent à l'indemnisation des victimes.
La responsabilité sans faute de l'État est maintenue, celui-ci pouvant ensuite se retourner contre les auteurs de dommages.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Notre commission a donc jugé ce texte, avec les modifications que nous y portons, suffisamment équilibré pour que nous l'adoptions. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - C'est avec un profond sentiment de responsabilité que j'interviens pour la première fois devant la représentation nationale. Ce texte est particulièrement complexe et sensible puisqu'il touche à la liberté de manifester énoncée très clairement à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Je remercie les sénateurs Retailleau et Troendlé d'avoir pris l'initiative de ce texte. Je remercie aussi la commission des lois.
Le Gouvernement estime comme vous que s'il faut protéger la liberté de manifester, rien ne justifie les violences graves à l'encontre des forces de l'ordre, ni les dégradations du mobilier urbain.
Je salue ceux qui sont engagés dans la sécurité de l'ordre républicain et qui ont largement fait preuve de leur professionnalisme, sur les ZAD de Notre-Dame des Landes, de Bure ou lors des manifestations du mois de mai. Nos forces de l'ordre sont à chaque fois exposées en première ligne et risquent leur vie, face à des groupes organisés qui les provoquent devant les caméras.
Le 8 juin dernier, le ministre de l'intérieur s'est déplacé à Saint-Astier, lieu de formation des gendarmes mobiles. Il y a fait des propositions de doctrines d'emploi opérationnelles pour mieux contrôler les violences dans les manifestations. Il a aussi souhaité renforcer les pouvoirs de l'autorité administrative pour dissuader les agissements de ceux qui viennent spécialement pour en découdre et casser !
L'absence de poursuites pénales ou de condamnation des fauteurs de troubles suscite l'incompréhension légitime de nos concitoyens ; un groupe de travail commun aux ministères de l'intérieur et de la justice, réunissant des représentants de forces opérationnelles, doit rendre ses conclusions le 15 janvier sur les moyens de mieux détecter, interpeller puis sanctionner les fauteurs de troubles. Ces conclusions viendront nourrir votre réflexion, car pour rendre le texte que vous proposez opérationnel, il faut encore l'améliorer.
Qu'il s'agisse de la création d'un périmètre de protection, de l'interdiction individuelle de participer, de la création d'un fichier des interdictions de manifester, ou de la transformation de la contravention de dissimulation d'un visage en un délit, ou encore de l'action récursoire de l'État contre les fauteurs de troubles, ces dispositifs doivent être précisés.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Faites des amendements !
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Quant au délit de port d'armes lors d'une manifestation, à l'article 5, il doit être revu car il n'est pas souhaitable d'introduire des catégories précises d'armes dans la loi.
L'article L. 431-10 du code pénal sanctionne déjà, du reste, le port d'arme lors d'une manifestation.
Cette proposition de loi sera pour le Gouvernement l'occasion d'avoir un échange technique sur les propositions que vous avez formulées et qui pourront être améliorées au regard des conclusions du groupe de travail intérieur-justice. Le but du Gouvernement n'est pas de rejeter cette proposition parce que c'est l'opposition qui la présente, mais de se saisir de cette occasion de débat pour parvenir, dans quelques mois, à un texte qui réponde mieux aux attentes des praticiens : des policiers, des gendarmes, des agents de police judiciaire, des magistrats. Et ceci, pour que nos concitoyens puissent exercer cette liberté essentielle qu'est le droit de manifester en toute sécurité. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Thani Mohamed Soilihi . - La proposition de loi qui nous est soumise fait écho à celle du 3 mai dernier qui visait à interdire la dissimulation du visage lors de manifestations.
Les violences qui ont émaillé les dernières manifestations sont intolérables. Elles ont pourtant cours depuis bien longtemps : mai 1968, loi Devaquet en 1986 - manifestations qui avaient donné lieu à la mort de Malik Oussekine - contrat d'insertion professionnelle en 1994, contrat première embauche en 2006, loi Travail en 2016... Faire remonter les violences au mois de mai dernier et parler des défaillances de l'actuel Gouvernement serait injuste.
Évitons donc de politiser ce débat.
La proposition de loi présentait des risques importants pour les libertés individuelles. La commission des lois l'a améliorée sans parvenir à un équilibre satisfaisant.
Un groupe de travail réunissant les services de la Chancellerie et du ministère de l'Intérieur doit rendre ses conclusions.
Nous proposerons un amendement de repli sur l'article 6 sur le port d'armes ; l'extension du champ de la peine complémentaire à l'interdiction de manifester sont démesurément attentatoires aux libertés individuelles.
À une présomption de responsabilité civile collective, la commission des lois a préféré une responsabilité sans faute de l'État assortie d'une possibilité d'action récursoire - qui risque de se heurter à l'insolvabilité des auteurs de violence.
Malgré le travail de qualité de la rapporteure, ce texte présente encore des risques pour les libertés individuelles. Le groupe LaREM s'y opposera. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Éliane Assassi . - L'arsenal législatif déployé pour lutter contre les violences dans les manifestations est colossal : les prolongations de l'état d'urgence entre 2015 et 2017 et les lois antiterroristes qui ont suivi ont d'ailleurs largement contribué à alimenter cet arsenal. À tel point qu'Amnesty International publiait le 31 mai 2017 un rapport sur le sujet, pointant des « restrictions disproportionnées à la liberté de réunion pacifique sous couvert de l'état d'urgence ».
Selon notre rapporteur et les auteurs de cette proposition de loi, les violences de plus en plus importantes questionnent sur l'efficacité de ces mesures.
Nous condamnons bien évidemment les violences des black blocs dont les agissements nuisent aux revendications des manifestants relégués au second plan par les médias. Il aurait été intéressant que la rapporteure auditionne des organisateurs de manifestations.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Nous l'avons fait ce matin !
Mme Éliane Assassi. - J'espère que vous nous en parlerez... Le chercheur Olivier Catin estime dans Le Figaro que si le niveau de violence dans les manifestations a baissé depuis les années 1970-1980, laissant la place à une vision plus légaliste, l'intervention des forces de l'ordre est de plus en plus musclée, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins.
Pour nous, cette proposition de loi rogne clairement sur les libertés publiques et laisse craindre la mise en place de mesures interdisant toute manifestation. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Ne peut-on pas neutraliser quelques individus ultra-violents autrement qu'en violentant une fois encore les libertés publiques et en s'en prenant au code pénal ?
Les articles premier et 2 sont issus de la législation antiterroriste. Le droit d'exception continue de polluer notre droit commun au détriment des libertés publiques.
Les propos du Défenseur des droits ne sont guère rassurants : dans une contribution qu'il vous a remise, madame la rapporteure, il estime que cette proposition de loi est inutile et dangereuse et qu'elle s'affranchit des exigences constitutionnelles et conventionnelles !
L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce clairement le droit de manifester. Ce ne sont pas les manifestants eux-mêmes qui troublent l'ordre public. C'est davantage l'incapacité de nos forces de l'ordre de démanteler les groupes violents qui explique qu'ils fleurissent.
M. Bruno Retailleau. - Ainsi c'est la faute des forces de l'ordre ?
Mme Éliane Assassi. - En février 2017, les experts mandatés par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU interpellaient la France sur l'usage immodéré de la force par les représentants de l'ordre public. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains) Le Défenseur des droits a fait de même à deux reprises depuis.
Nous nous opposerons fermement à ce texte à l'instar du Défenseur des droits qui l'estime déséquilibré, attentatoire aux libertés et susceptible de dégrader le lien entre les forces de l'ordre et les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je considère cette proposition de loi ni originale, ni anodine. En 1970, le gouvernement avait décidé de mettre à mal la liberté de manifester avec une loi « anticasseurs ». M. Retailleau est un homme d'histoire. Il me pardonnera ces rappels.
En 1970, l'auteur de la loi anticasseurs disait condamner tous les actes de violences dirigés contre la loi républicaine. De la même manière, notre groupe socialiste condamne toutes les violences dans les manifestations, qu'elles viennent des syndicats ou de la Manif pour tous. Rappelez-vous en effet les projectiles lancés en mars 2013 par les manifestants ou les propos racistes à l'encontre de Christiane Taubira ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - La loi est la même pour tous !
M. Jérôme Durain. - Un autre sénateur de la Nièvre, devenu le président de la République le plus populaire de la Ve République...
M. François Grosdidier. - Et l'état d'urgence en Algérie ?
M. le président. - Monsieur Grosdidier, respectez la parole des orateurs et cessez de vous écrier.
M. Jérôme Durain. - François Mitterrand s'opposa avec force à cette loi anti-casseurs : « Les ?formes nouvelles de la délinquance?, il n'y a rien de nouveau sous le soleil ! Et en réalité, nos lois, notre code pénal, permettent de répondre à cette question. (...) En fait, [le Gouvernement] interdit désormais le droit de manifester, le droit de se réunir. (...) Même dans des époques extrêmement rudes, au lendemain de la loi de 1830, au lendemain des événements de 1934, les ligues, les ligues factieuses, de 1936, au moment où il y avait des conflits dans la rue, on n'est jamais allé si loin. »
Je ne veux pas croire que la majorité sénatoriale revendique ce triste héritage de la triste loi de 1970.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Lisez le texte !
M. Jérôme Durain. - D'ailleurs, Philippe Séguin et son groupe RPR ne se sont pas opposés avec beaucoup de vigueur à l'abrogation, en 1981, de cette loi qui avait fait la preuve de sa dangerosité. Dans un éditorial du Monde du 26 novembre 1981, Bertrand Le Gendre observait que les manifestants antinucléaires de Creys-Malville et de Plogoff et même les musiciens anglais d'un groupe punk, les Stranglers, condamnés parce qu'un de leurs concerts avait dégénéré à Nice, payèrent leur tribut à cette loi nouvelle. Il notait que les critiques contre la loi anti-casseurs avaient culminé après les incidents du 23 mars 1979 à Paris qui se conclurent par la condamnation de 35 manifestants ou passants à la suite des violences commises place de l'Opéra.
Certes, les amendements de la rapporteure ont rendu le texte plus acceptable mais nous craignons que le remède soit pire que le mal. Il est erroné de dire que nous sommes démunis, a rappelé Mme Troendlé en commission. À force de vouloir adapter le maintien de l'ordre aux procédés des casseurs, on menace la liberté de manifester.
Plusieurs voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Ne faisons rien alors !
M. Jérôme Durain. - Nous ferions mieux de faire porter nos efforts sur le démantèlement des groupes, a justement dit le sénateur Thani Mohamed Soilihi.
Faisons le parallèle avec la lutte contre le hooliganisme. Monsieur Grosdidier, moi aussi, j'aime le sport. Les mesures contre les hooligans ont-elles porté leurs fruits ?
M. François Grosdidier. - Oui !
M. Jérôme Durain. - Dans une récente tribune publiée par Libération, le vice-champion du monde Vikash Dhorasoo, le journaliste Nicolas Kssis-Martov et l'économiste M. Pierre Rondeau...
M. François Grosdidier. - Aucune légitimité !
M. Jérôme Durain. - ... s'interrogent : les supporters ultra sont-ils devenus des citoyens de seconde zone ? Tous les supporters ultra ne sont pas des hooligans, de la même manière que tous les manifestants radicaux ne sont pas des casseurs...
M. François Grosdidier. - Eh bien, demandez l'abrogation de la loi contre le hooliganisme !
M. Jérôme Durain. - Ce week-end, dans les stades de France, un quart d'heure de silence sans chant d'encouragement a été organisé pour protester contre la répression systématique dont s'estiment victimes les supporters. Ce texte procède de la même philosophie. Doit-on manier davantage le bâton que la carotte ? Le risque est de décourager les manifestants.
Mme Françoise Gatel. - Pas du tout ! Regardez l'article 4 !
M. Jérôme Durain. - Avec près de treize manifestations par jour à Paris, comment, techniquement, émettre des interdictions ponctuelles ? Il existe un autre risque démocratique majeur, celui de cibler certains membres d'organisations politiques et syndicales.
Les historiens nous apprennent que la violence des manifestations diminue depuis le XIXe siècle. (M. Roger Karoutchi s'esclaffe.) Mais la tolérance à la violence, elle, diminue. Mathilde Larrère et Tangui Perron, dans un texte publié là encore par Libération...
Mme Sophie Primas. - Changez de lecture !
M. Jérôme Durain. - ... appellent à scruter les formes manifestantes pour y redécouvrir l'inventivité de collectifs de graphistes, qui s'illustre dans le succès du slogan autocollant « Rêve-toi et Marx », la réapparition encore timide des chorales et des orchestres et, surtout, le syncrétisme de certaines luttes.
Les auteurs de cette proposition de loi ont choisi un autre angle. La violence dans les manifestations, il y en a toujours eu et il y en aura encore ; il faut tout faire pour la contrôler et l'éviter. Mais monsieur Retailleau, que pensent les organisations syndicales, les partis politiques, les autorités judiciaires, les policiers et les militants associatifs de cette proposition de loi ?
Mme Sophie Primas. - Et Libération ?
M. François Grosdidier. - Et les voyous ?
M. Jérôme Durain. - Avez-vous consulté dans un esprit de rassemblement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. François Grosdidier. - On retrouve le bon vieux PS !
M. le président. - Monsieur Grosdidier, interrompre systématiquement les orateurs n'est pas faire honneur au Sénat. Tout le monde a le droit de parler.
Mme Maryse Carrère . - Les événements du 6 février 1934 menés par des ligues nationalistes face à la Chambre des députés (Murmures réprobateurs à droite) avaient provoqué 18 morts et 3 000 blessés. Peu après, était instaurée par le décret-loi du 23 octobre 1935 une obligation de déclaration préalable des manifestations ; d'autres mesures préventives étaient rapidement prises, telles que la dissolution des groupes de combat et des milices privées.
En réponse aux événements de mai 1968, la loi du 8 juin 1970 a instauré une responsabilité pénale et collective des auteurs de violences. Jugée arbitraire, elle fut abrogée en 1981.
Nous partageons l'objectif de lutter contre les casseurs et les black blocs, tant que les libertés sont préservées. Or ces formes de délinquance ne sont ni nouvelles ni plus violentes que par le passé. Je m'étonne d'ailleurs que le renforcement de notre arsenal législatif qui nous est proposé ne soit aucunement justifié par des chiffres.
Je salue le travail de la rapporteure, qui s'est efforcée de remettre cette proposition de loi dans les bornes de la constitutionnalité. Je m'interroge toutefois sur ce texte porteur d'inflation législative : nombre de ses mesures sont satisfaites par notre droit en vigueur ; c'est le cas du contrôle des effets personnels des passants aux abords des manifestations, de l'interdiction de manifester ou encore de l'infraction de dissimulation volontaire du visage. Sur tous ces points, mieux vaut en rester au droit actuel.
L'important est surtout d'augmenter les moyens de la DGSI et de la police pour traquer et démanteler les black blocs. Ce sujet mérite une réflexion plus vaste. En matière de manifestation, la liberté doit rester la règle.
Vous l'aurez compris, le groupe RDSE ne peut pas apporter son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - Les frasques de M. Benalla ne doivent pas nous faire oublier que les manifestations autorisées sont devenues l'occasion pour certains individus de se livrer à des actes ultraviolents - incendie d'une voiture de police occupée, attaque d'un hôpital pour enfants.
Ces faits sont principalement l'oeuvre de mouvements d'extrême gauche et d'anarchistes, camouflés dans le treillis de l'antifascisme, qui transforment manifestation de masse en manifestation de casse, en se saisissant des revendications légitimes des travailleurs lors de loi Travail. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Les uns sont issus du ghetto d'Auteuil-Neuilly-Passy, ces révolutionnaires de foire qui passent du cocktail au Champagne au cocktail Molotov; les autres prétendent renverser la société en passant l'essentiel de leur temps à vivre à son crochet. Les deux n'ont pas la notion du coût de ce qu'ils détruisent et ont en commun la haine de ceux qui nous protègent.
Issus d'Auteuil, Neuilly, Passy, ces fanatiques de la destruction ont cassé une librairie à deux pas du Sénat, sans que personne ne s'en émeuve. Pourquoi tant de complaisance envers cette racaille dont on sait la proximité avec les syndicats, les partis de gauche et d'extrême gauche ?
Mme Cécile Cukierman. - Et les petites frappes d'extrême droite ?
M. Stéphane Ravier. - La nomination de Christophe Castaner au ministère de l'intérieur n'y changera rien : il appelait en 2015 à l'insurrection des quartiers en cas de victoire du FN en PACA.
Dissolution des milices et expulsion des casseurs étrangers suffiraient pourtant. Tout le reste n'est que littérature. (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
M. Alain Marc . - Les violences deviennent récurrentes. Jets de projectiles, voitures incendiées, magasins ravagés... Certains individus veulent ainsi signifier leur haine de l'État et de toute forme d'autorité, leur rejet du capitalisme et de la mondialisation. Trop souvent, ils font la une de l'actualité. Ce phénomène nouveau fait obstacle à la liberté de manifester, garantie à l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
D'où la proposition de contrôler les effets des passants et manifestants, de créer un fichier des personnes interdites de manifester, de transformer en délit la dissimulation du visage, d'interdire toute arme par destination lors de manifestations et de manifester dans certains cas.
Dix amendements de la rapporteure Troendlé ont été adoptés pour garantir le respect des libertés constitutionnelles. Des interdictions personnelles de manifester assorties d'obligations de pointage auprès d'un commissariat ou d'une gendarmerie pourront être décidées par les préfets ; un fichier national des personnes interdites de manifester serait créé ; la dissimulation du visage serait punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
La présomption de responsabilité civile collective a été remplacée par la commission des lois par un régime de responsabilité sans faute de l'État et une possibilité d'action récursoire contre les auteurs de dommages.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Charon . - Monsieur le ministre, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue.
Il y a quelques mois, des violences d'une gravité inadmissible ont été commises à Paris. La préfecture de Paris était confrontée à des casseurs, non des manifestants, qui n'ont que haine pour la société et les forces de l'ordre. Il est anormal, il est choquant, de laisser des individus profiter ainsi des lacunes de l'État de droit.
Ceux qui détruisent les commerces de la France qui se lève tôt ne méritent pas de clémence. La République exige que l'on s'exprime à visage découvert. Une manifestation est un acte public. Je soutiens donc le nouveau délit de dissimulation de visage. En 2010, la majorité avait interdit le port du voile intégral, ce que le Conseil constitutionnel avait validé et personne ne songe à y revenir. Il s'agit de sévir contre les black blocs, pas contre Belphégor.
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Pierre Charon. - Redoine Faïd pourrait sinon préférer le déguisement en black bloc à la burqa !
Il ne s'agit pas de sanctionner ceux qui n'ont rien fait mais de permettre de se retourner contre les auteurs de violence : rien que de très normal.
Il y a urgence, à Paris comme en province ; je songe à Nantes...
Mme Françoise Gatel. - Et Rennes !
M. Pierre Charon. - Je voterai ce texte et invite mes collègues à faire de même. Monsieur le secrétaire d'État, entendez la voix de ceux qui n'en peuvent plus des casseurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme Brigitte Lherbier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Se réunir, manifester, s'exprimer sont des droits fondamentaux. Le code pénal punit sévèrement l'entrave à ces droits. Si l'on peut admettre la véhémence des propos et mots d'ordre, (Mme Éliane Assassi se récrie.) aucune atteinte aux personnes et aux biens ne peut être tolérée.
L'enjeu est de protéger la liberté d'expression dont la liberté de manifester est le corollaire.
Les black blocs ne revendiquent rien ; ils se joignent aux manifestants pour casser des biens publics, du mobilier urbain mais aussi pour « casser du flic ». Ces comportements violents font reculer la liberté d'expression. Cette proposition de loi préviendra les débordements et donnera des moyens légaux à la police et à la justice. Le fichier des personnes interdites est un outil indispensable. De même, l'obligation de pointage a déjà fait ses preuves pour lutter contre le hooliganisme. Ces mesures garantiront des manifestations paisibles.
Le droit de se réunir et de manifester est remis en cause par les casseurs. Défendons l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Je suis totalement favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Priou . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue, moi aussi, le ministre. J'espère qu'il insufflera son esprit d'ouverture à son ministre de tutelle qui s'est montré désagréable avec Philippe Dallier lors des questions d'actualité au Gouvernement la semaine dernière. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Malgré un arsenal complet, voire complexe, de nouveaux phénomènes violents nous obligent à légiférer pour compléter nos moyens d'action tout en garantissant les libertés fondamentales. Manifester, c'est protester ; ce n'est ni casser ni intimider. L'État doit être respecté en tout temps et en tout lieu.
Ces dernières années, l'ouest de la France a été vandalisé, notamment à Notre-Dame-des-Landes, emblématique du fiasco et du renoncement du président de la République face à ses promesses de campagne. C'est la « chienlit »...
Mme Françoise Gatel. - Juste !
M. Christophe Priou. - ... pour reprendre un mot de celui qui a inventé la Ve République dont nous venons de fêter les 50 ans. L'auteur du Coup d'État permanent, François Mitterrand, est le président le plus populaire de la Ve République parce que le général de Gaulle a été jugé hors concours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et UC)
Le centre-ville de Nantes a été saccagé lors de manifestations particulièrement violentes depuis 2014. À Rennes aussi, des individus cagoulés ont harcelé les forces de l'ordre et commis des dégâts. Qu'il s'agisse de la manifestation contre Notre-Dame-des-Landes, de celle contre la loi Travail à Nantes, de celle d'avril 2016 à Rennes ou du 22 mars 2018 encore à Nantes, toutes ces violences sont inadmissibles dans un État de droit.
Cette proposition de loi apporte des outils utiles aux préfets.
L'État doit aussi pouvoir se retourner contre les casseurs, selon le principe du casseur-payeur. Agissons avant que les éléments violents deviennent incontrôlables. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Loïc Hervé . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC, ainsi que sur quelques bancs du groupe Les Républicains) Chacun garde en mémoire les violences et dégradations qui ont émaillé les dernières manifestations, comme celle du 1er mai à Paris. Les atteintes aux biens et plus encore aux personnes sont inacceptables, surtout quand il s'agit des forces de l'ordre.
Une manifestation ne saurait être une zone de non-droit où l'on se sent protégé par une foule anonyme. Les forces de l'ordre doivent disposer de moyens matériels mais aussi juridiques.
Les auteurs de la proposition de loi visent les black blocs qui représentaient près de 1 200 individus en mai dernier, contre 200 en 2016. Ces groupes éphémères ont pour objectif de commettre des violences en se mêlant à la foule, vêtus de vêtements sombres qu'ils quittent aussitôt l'acte commis.
La proposition de loi est préventive et répressive. Nous partageons cet équilibre. Elle ne crée pas l'infraction de dissimulation de visage mais fait de cette contravention un délit passible d'un an de prison et 15 000 euros d'amende, ce qui autorisera l'interpellation immédiate et la garde à vue de l'individu.
Le nouveau fichier de police, dans sa version initiale, pouvait engendrer quelques craintes mais les travaux de la commission des lois corrigent ses défauts et je suis particulièrement attentif sur ce sujet, pour siéger à la CNIL.
Le groupe UC partage la volonté de la rapporteure d'assurer un équilibre entre les outils du texte et la protection des libertés. Cette proposition de loi met hors d'état de nuire les individus les plus dangereux, sans attenter à la liberté de manifester ni se révéler inapplicable. Le groupe UC la votera. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État . - Madame Assassi, les policiers travaillent sous une contrainte extrêmement forte et sont soumis au contrôle de l'IGPN.
Monsieur Priou, M. Castaner partage mon esprit d'ouverture. Nous entendons parfaitement votre message, véhiculé par cette proposition de loi, et nous nous penchons sur ce sujet dans le cadre d'un groupe de travail. Certaines dispositions sont perfectibles.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Madame Assassi, je n'ai pas auditionné préalablement les responsables syndicaux mais je l'ai fait après la consolidation du texte de la commission des lois. Ce matin, j'en ai reçu deux sur les cinq invitations que j'avais lancées. L'échange a été très fructueux. Ils se sont dits préoccupés par la sécurité des manifestants, conscients des problèmes.
Concernant la note du Défenseur des droits, il n'est pas honnête, intellectuellement, de ne pas mentionner qu'elle concerne le texte initial, et non le texte retravaillé par la commission.
Mme Éliane Assassi. - Je l'ignorais !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Monsieur Durain, l'arsenal juridique doit être adapté à la montée en puissance des black blocs. Avec cette proposition de loi, on prend les choses en main pour répondre à une situation nouvelle.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. François Bonhomme . - J'approuve cette proposition de loi, au regard des actions que les black blocs ont menées le 1er mai dernier en faisant irruption, encagoulés, dans la foule au cri de « Tout le monde déteste la police ! ». On peut s'interroger sur le caractère composite de ces groupes : marxistes (Mme Esther Benbassa se récrie.), situationniste, libertaires et même animalistes puisqu'ils s'en prennent aux McDonald's.
Le législateur ne peut se contenter d'observer et de commenter, comme Gérard Collomb qui avait demandé aux manifestants lambda, pacifiques, de s'opposer aux personnes violentes afin de ne pas se faire complices par leur passivité. Réponse baroque, signe de l'impuissance de l'État...
Une partie de ces groupuscules s'est retrouvée lors du blocage de certains lycées ou lors de la manifestation du 22 septembre, à visée antifasciste, à la mairie d'Angers.
Il y a là une forme de nihilisme qui menace l'ordre public et, particulièrement, nos forces de l'ordre. L'État doit réagir contre les apôtres de la violence pour la violence. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Éliane Assassi . - Ce sont les propos caricaturaux de M. Bonhomme qui nous font nous opposer à cette proposition de loi. Attention aux amalgames entre manifestants et groupes violents.
Madame Troendlé, il aurait été intéressant de préciser que la note du Défenseur des droits avait été transmise avant les travaux de la commission des lois.
Cet article premier risque d'entraîner des pratiques discriminatoires dans la fouille des effets personnels aux abords des manifestations alors que les gouvernants successifs n'ont apporté aucune réponse au problème des contrôles au faciès.
Mme Esther Benbassa . - Cet article instaure un contrôle des effets personnels des passants. Il prévoit la mobilisation des agents de la police judiciaire, ce qui confère un pouvoir arbitraire aux forces de l'ordre. C'est impraticable et populiste. Comme si, avec ce procédé, nous pouvions endiguer les violences.
En vérité, nous cherchons à dissuader les Français de manifester alors que toutes nos libertés, si l'on veut bien se reporter au temps long de l'Histoire, sont nées dans la rue. Avec ce texte, la France risquerait d'encourir une condamnation de la CEDH alors que notre société démocratique est en bonne santé. Nous ne saurions tolérer l'autoritarisme et la répression.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - Sur le plan opérationnel, la présente mesure est déjà encadrée par le droit : dispositif de filtrage, par exemple.
L'article premier de la proposition de loi est disproportionné car il envisage d'introduire dans le droit commun le recours au dispositif des périmètres de protection et de sécurité de l'état d'urgence prévu à l'article 226-1 du code de la sécurité intérieure.
Si le Conseil constitutionnel reconnaît un caractère spécifique à la menace terroriste justifiant des atteintes fortes aux droits et libertés individuels, il ne saurait en être de même avec la prévention des actes délictuels commis à l'occasion d'une manifestation.
Le problème ne réside pas dans les textes mais dans la doctrine d'emploi.
M. le président. - Amendement identique n°9 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Éliane Assassi. - Défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Ces deux amendements sont contraires à la position de la commission des lois qui estime que le filtrage des passants sécurisera la manifestation. La commission des lois a prévu l'encadrement dans le temps et l'espace du dispositif.
La commission des lois a supprimé l'intervention des policiers municipaux et des agents de sécurité privée. Les fouilles seront systématiques comme à l'entrée des magasins. Donc il n'y aura pas de possibilité de délit de faciès. Avis défavorable.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Le principe du périmètre de protection présente un intérêt certain mais porte atteinte à la liberté d'aller et venir et au droit constitutionnel de manifester.
Le groupe de travail mis en place par les ministres de l'Intérieur et de la Justice rendra ses conclusions en janvier prochain. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos2 et 9 rectifié ne sont pas adoptés.
L'amendement n°1 n'est pas défendu.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2
M. Guillaume Gontard . - Cet article autorise le préfet à prononcer une interdiction de manifester assortie, le cas échéant, d'une obligation de pointage, mesure inspirée de l'article 3 de la loi antiterroriste du 13 octobre 2017 qui impose des mesures de surveillance en vertu de l'état d'urgence. Ce dispositif avait été censuré par le Conseil constitutionnel puis réécrit pour être réintroduit dans la loi. La rapporteure a procédé aux mêmes modifications pour contourner l'anti-constitutionnalité.
Notre amendement n°10 rectifié s'oppose à la transposition de la législation antiterroriste pour lutter contre les violences dans les manifestations. La disproportion des mesures ne permet pas un équilibre entre maintien de l'ordre public et respect du droit constitutionnel de manifester.
Selon le Défenseur des droits, ce texte favorise les interdictions de manifester personnelles sans en définir les critères ni prévoir de recours effectifs et s'affranchit des exigences légales en matière de preuve.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - La faculté de prononcer une interdiction de manifester existe déjà sous la forme d'une peine complémentaire, à l'article 211-13 du code de la sécurité intérieure. Dans la pratique, la mise en oeuvre est difficile, et se traduit par une charge de travail supplémentaire pour les forces de police. En outre, comment déterminer ab initio que telle ou telle personne pourrait participer à telle ou telle manifestation ? Autant les supporters de football peuvent être individualisés, autant il semble improbable de cibler les manifestants violents. Faisons confiance aux forces de l'ordre dans l'application de nouvelles techniques de désescalade ainsi qu'aux services de renseignement.
Enfin, la mesure préconisée par l'article 2 est disproportionnée car elle conduit, de fait, à transposer dans le droit commun l'interdiction administrative de séjour de l'état d'urgence.
M. le président. - Amendement identique n°10 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Éliane Assassi. - Défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois a considéré que la création d'une interdiction administrative de manifester complèterait utilement le champ des prérogatives aux mains de l'autorité préfectorale. Comme l'interdiction de stade, elle permet d'écarter avant la manifestation des individus motivés par la seule intention de commettre des dégradations.
La commission a mieux caractérisé l'état des personnes visées, encadré l'étendue géographique de l'interdiction et établi une obligation de notification à l'intéressé lui permettant de saisir le juge des référés. Elle est ainsi parvenue à un texte équilibré et proportionné. Avis défavorable à ces amendements de suppression.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - L'article 2 présente un intérêt opérationnel fort pour les forces de l'ordre. La commission des lois l'a encadré. Nous nous interrogeons sur la possibilité de renvoyer à un critère de condamnation pour prendre une mesure de police administrative, ainsi que sur la pertinence du délai de notification - 48 heures avant, tout de même. La possibilité d'interdire sur une ou plusieurs manifestations est également à l'étude au sein du groupe de travail. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos3 et 10 rectifié ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°21, présenté par Mme Troendlé, au nom de la commission.
Alinéa 2
Remplacer les mots :
à l'article L. 211-13
par les mots :
aux articles 222-7 à 222-13, 222-14-2, 322-1 à 322-3, 322-6 à 322-10 et 431-9 à 431-10 du code pénal
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Amendement de coordination.
L'amendement de coordination n°21, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - L'article 3 autorise la création d'un énième fichier, destiné à répertorier les mesures d'interdiction individuelle de manifester. Il existe déjà 106 fichiers à disposition des forces de sécurité, sans compter ceux gérés par la préfecture de police. Les personnes condamnées à une peine complémentaire d'interdiction de manifester sont déjà inscrites au traitement des antécédents judiciaires et au fichier des personnes recherchées. Mieux vaudrait engager une réflexion globale sur la rationalisation des fichiers existants.
M. le président. - Amendement identique n°11 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Esther Benbassa. - Au regard de l'histoire de notre Nation, la notion de fichage ne peut qu'interpeller. Le régime de Vichy (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) n'a-t-il pas été précurseur en la matière avec le fichier Tulard, dès 1940 ?
M. François Grosdidier. - Arrêtez ! On parle ici de délinquants !
Mme Esther Benbassa. - Le Conseil constitutionnel s'est toujours montré réticent à la mise en place de tels listings - il a ainsi retoqué le fichage biométrique par décision du 26 mars 2012.
M. François Grosdidier. - Aucun rapport !
Mme Esther Benbassa. - Le droit de manifester est protégé par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. S'il a pu être encadré dans le passé, notamment après les manifestations de l'Action française en 1934, les actuelles manifestations de l'opposition de gauche contre la politique antisociale du Gouvernement ne sauraient être assimilées au péril fasciste d'antan ! (M. Stéphane Ravier s'amuse.)
Cet article attentatoire au respect de la vie privée et aux libertés risque d'être frappé d'inconstitutionnalité.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Madame Benbassa, le droit de manifester et la protection des libertés individuelles ont guidé les garanties que nous avons souhaité apporter. Le fichier recensera toutes les mesures d'interdiction de manifester, qu'elles soient prononcées dans le cadre judiciaire ou administratif. Ce sera un outil précieux pour les forces de l'ordre. Avis défavorable.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Ce n'est que si le fichier est mis en oeuvre par un service autre que le ministère de la Justice qu'il doit être autorisé par la loi. Or la commission des lois a bien ajouté le ministère de la Justice en tant que responsable du traitement en supplément du ministère de l'Intérieur : inutile dès lors de prévoir une disposition législative.
Les réflexions sur l'intérêt opérationnel d'un tel fichier ne sont pas abouties. Elles se poursuivent dans le cadre du groupe de travail. Avis défavorable.
M. Philippe Bas, président de la commission. - J'ai ressenti de la colère à entendre Mme Benbassa. À présent, cette colère est retombée et je vais lui répondre avec courtoisie. Assimiler la proposition de la commission des lois aux fichiers mis en place par le régime de Vichy ne peut qu'être perçu comme insultant : vous nous accusez implicitement d'être pétainistes. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Nous avons la loi Informatique et Libertés, la CNIL, nous avons des fichiers en matière de sécurité sociale, pour les cartes nationales d'identité ou les passeports, pour la sécurité nationale également. Quand la République se défend, dans le respect du droit, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, via une législation destinée à empêcher les casseurs de venir disqualifier des manifestations pacifiques et de porter atteinte aux biens d'honnêtes citoyens, je ne me sens ni pétainiste, ni fasciste, ni nazi.
Mme Esther Benbassa. - Je n'ai pas dit cela !
M. Philippe Bas, président de la commission. - D'autant que la commission a pris toutes les garanties de proportionnalité pour atteindre l'objectif : lutter contre les casseurs, ces essaims de frelons qui viennent dégrader les biens. Nous respectons les libertés fondamentales, et n'avons pas à supporter des invectives injustes et violentes. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Esther Benbassa. - Nous verrons ce que dira le Conseil constitutionnel !
Mme Éliane Assassi. - Un article dans Le Monde le 19 octobre nous apprend que les députés sont en train de travailler sur le micmac juridique, technique et éthique qui entoure la gestion des nombreux fichiers à la disposition des forces de l'ordre. Est-il opportun d'en créer un de plus ? (M. François Grosdidier s'exclame.)
Les amendements identiques nos4 et 11 rectifié ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°22, présenté par Mme Troendlé, au nom de la commission.
Alinéa 3
Remplacer les mots :
en application de l'article L. 211-13
par les mots :
dans les conditions prévues à l'article 131-32-1 du code pénal
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Coordination.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Nous déposerons un amendement plus général de suppression. Avis défavorable.
L'amendement n°22 est adopté.
M. le président. - Amendement n°12 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Assassi, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa:
« La conformité de ces traitements automatisés de données à caractère personnel est contrôlée, en coopération avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, par un ou plusieurs membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Le contrôle est effectué dans des conditions permettant d'en assurer la confidentialité. »
Mme Esther Benbassa. - Monsieur Bas, vous exagérez en jouant le courroux pour éviter d'avoir à parler du vrai danger des fichiers.
Mme Sophie Primas. - Vous nous traitez de pétainistes !
Mme Esther Benbassa. - Nous, les historiens, nous en avons vu d'autres.
M. François Grosdidier. - C'est très approximatif pour une historienne !
Mme Esther Benbassa. - Je n'ai pas de leçons à recevoir de vous.
Plusieurs voix sur les bancs du groupe Les Républicains. - Ni nous de vous !
Mme Esther Benbassa. - Après la tentative de Nicolas Sarkozy de ficher les personnes atteintes de pathologies mentales hospitalisées d'office, après la généralisation des passeports biométriques pour les exilés arrivant aux frontières de l'Union européenne et le fichage des réfugiés dans les CADA, ce sont maintenant les manifestants qui sont visés par ce procédé démagogique et populiste.
Mme Sophie Primas. - Non, les casseurs ! (On renchérit sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. - Laissez-moi parler - c'est la première des libertés au Parlement !
Cette mesure est une atteinte à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sur la présomption d'innocence.
M. François Grosdidier. - Pas du tout !
M. le président. - Ça suffit, monsieur Grosdidier ! (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa. - La commission des lois a demandé un avis préalable de la CNIL. Nous proposons quant à nous d'encadrer le fichage des manifestants en ajoutant un contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). (On souligne, à droite et au centre, que l'oratrice a dépassé son temps de parole.)
M. le président. - Veillons à respecter le temps ; je vous demande de retrouver calme et écoute mutuelle respectueuse.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - En application de la loi Informatique et Libertés, le fichier prévu sera soumis à un contrôle a posteriori de la CNIL. Un nouveau fondement juridique serait source de confusion. En outre, la CNCTR, dont j'ai été membre, n'est pas compétente pour le contrôle a priori ou a posteriori de fichiers et n'a aucune prérogative en ce sens. Avis défavorable.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - La CNIL exerce déjà une compétence de contrôle a posteriori des traitements automatisés de données. La CNCTR n'est pas compétente en la matière. Avis défavorable.
L'amendement n°12 rectifié n'est pas adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
ARTICLE 4
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Cet article sanctionne plus sévèrement les auteurs de violences en faisant de la dissimulation du visage un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, alors que c'est actuellement une contravention de cinquième classe. Les auteurs de la proposition de loi traitent les symptômes et non les causes. L'échec de la répression a beau être patent, vous continuez de vous fourvoyer. Les comportements visés sont déjà constitutifs de délits. Au lieu de renforcer des sanctions qui existent, donnons aux forces de l'ordre, en déshérence, les moyens de remonter les filières de casseurs ! Les groupuscules violents du 1er mai avaient annoncé leurs intentions la veille sur les réseaux sociaux !
M. Jérôme Bascher . - Si manifester n'est pas mon mode d'expression habituel, je me battrai toujours pour défendre la liberté de le faire en toute sécurité. C'est ce que fait cet article, contrairement à ce que d'aucuns disent. Les individus casqués ou cagoulés empêchent précisément de manifester, en molestant ceux qui manifestent, en cassant les commerces et en s'en prenant aux forces de l'ordre. Nous protégeons d'abord les manifestants qui exercent leur liberté constitutionnelle, les riverains, victimes collatérales, et les forces de l'ordre qui se battent à armes inégales contre ces commandos.
Les gens cagoulés ne sont pas tous des casseurs, mais ils sont tous complices des casseurs, soit qu'ils prennent des photos, soit qu'ils provoquent les policiers. Ils n'utilisent pas les réseaux sociaux...
Mme Éliane Assassi. - Si !
M. Jérôme Bascher. - ... mais le dark net, de manière anarcho-militaire ! Et on les rencontre même à la campagne, où ils viennent s'attaquer à des chasses autorisées ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Éliane Assassi ironise.)
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - Cet article renforce la législation anti cagoule en faisant de cette infraction un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Or le droit en vigueur n'autorise l'interpellation que lorsque la dissimulation du visage s'accompagne de la commission d'un délit ou de la tentative de commettre un délit : il faut apporter la double preuve d'une part, que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié, de manière volontaire ; d'autre part, qu'il existe des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l'ordre public ».
En l'espèce, la création d'un tel délit est inutile voire disproportionnée : en pratique, elle ne rendra pas plus aisé le fait d'aller chercher les individus cagoulés au coeur d'une manifestation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Imparable !
M. le président. - Amendement identique n°13 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La dissimulation du visage est aujourd'hui punie d'une simple contravention de cinquième classe. En faire un délit présente un intérêt opérationnel en ce que cela permet des mesures de contrainte, telle la garde à vue. La sanction qui s'y attacherait - un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende - est en outre plus dissuasive que la contravention, plafonnée à 1500 euros.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Nous sommes favorables sur le principe au passage de la contravention en délit. La réflexion se poursuit, dans le cadre du groupe de travail, sur la proportionnalité de la sanction. Avec une condamnation de six mois de prison et non un an, la garde à vue et la comparution immédiate seraient aussi possibles. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos5 et 13 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté.
ARTICLE 5
Mme Michelle Gréaume . - Cet article vise le port d'armes, d'armes par destination, de fusées et d'artifices. Il vise donc clairement les syndicalistes, notamment les cheminots et les dockers, qui utilisent ces derniers de manière pacifique pour se faire voir et se faire entendre - l'objet même d'une manifestation, me semble-t-il...
La notion d'arme par destination offre une latitude inquiétante. Ne s'agit-il pas tout bonnement de censurer toute forme de manifestation dans l'espace public ?
L'ONG ACAT - Action des chrétiens pour l'abolition de la torture - a publié une étude sur la dangerosité de l'armement de la police en France. La police française est l'une des plus armées d'Europe ! C'est contreproductif, génère tensions et troubles à l'ordre public et accroît à la fois le niveau de violence et la défiance entre la police et la population.
Ce type d'armes est-il indispensable au maintien de l'ordre ? Légifèreriez-vous avec la même ardeur sur le sujet ? Je m'interroge.
M. Loïc Hervé. - Faites une proposition de loi !
M. François Grosdidier . - Il s'agit ici de punir plus fermement la détention d'armes par destination. Pardon de le dire, mais dans une manifestation, une batte de baseball n'est pas un article de sport, ni une fourche un ustensile agricole, ce sont des armes utilisées pour faire mal, voire pour tuer ! La violence croissante dans les manifestations n'est pas le résultat du nouvel armement des policiers mais bien le fruit de la volonté des casseurs d'en découdre et de la possibilité qu'ils ont, noyés dans la foule, d'introduire des armes meurtrières. (« Bravo » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - L'article 5 place sur le même plan le fait de détenir une arme et celui de détenir ou de faire usage de fusées ou artifices dans une manifestation, pour un quantum identique : trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.
Il est inutile car le port d'une arme par destination peut déjà être sanctionné. Il est redondant car le fait de jeter un projectile présentant un danger pour la sécurité publique dans une manifestation est poursuivi et réprimé par l'article 222-13 du code pénal.
M. le président. - Amendement identique n°14 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Michelle Gréaume. - Défendu.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - La détention ou l'introduction d'armes lors d'une manifestation sont déjà réprimées par l'article 431-10 du code pénal. De même, l'article 132-75 du code pénal définit les armes par destination comme tout objet dont l'utilisation ou la destination est susceptible de créer un danger pour les personnes. Introduire des exemples de comportement ou d'armes dans la loi affaiblit le droit.
M. le président. - Amendement identique n°18, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Le quantum de la sanction serait identique que l'on porte une arme ou une fusée. C'est démesuré, excessif. Or ce qui est excessif est vain. L'arsenal législatif existant suffit.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Pour le Gouvernement, cet article n'apporte rien par rapport au droit existant : pour M. Mohamed Soilihi, il menacerait les libertés fondamentales...
Je rappelle que l'article 431-10 du code pénal ne sanctionne que le port d'armes dans une manifestation : nous visons aussi les abords des manifestations.
La proposition de loi sanctionne encore les tentatives de commission de délits : une personne empêchée de jeter un projectile contre sa volonté serait ainsi susceptible d'être poursuivie. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos6, 14 rectifié, 16 et 18 ne sont pas adoptés.
L'article 5 est adopté.
ARTICLE 6
Mme Éliane Assassi . - Cet article étend le champ de la peine complémentaire d'interdiction de manifester. Plutôt que durcir le droit pénal, mieux vaudrait donner aux forces de l'ordre les moyens de démanteler en amont les groupuscules violents. À défaut, toutes les mesures de ce texte seront inefficaces, voire dangereuses pour les libertés publiques.
Entre 1995 et 2017, 32 peines complémentaires d'interdiction de manifester ont été prononcées et aucune condamnation pour non-respect de l'interdiction n'a été prononcée. Pourquoi s'acharner à durcir les peines existantes, sinon par souci d'affichage politique ?
M. François Grosdidier . - Si toute analogie avec d'autres périodes de l'histoire est déplacée, l'analogie avec la lutte contre le hooliganisme, elle, est éclairante. Les policiers demandent certes des moyens matériels, humains, informatiques mais aussi juridiques. La meilleure des préventions est d'empêcher les casseurs répertoriés de s'immiscer dans une manifestation à l'insu des organisateurs. Cet article est bienvenu. Les élus locaux le savent, sans le dispositif de lutte contre le hooliganisme, le phénomène serait bien plus important. Inspirons-nous de la lutte contre le hooliganisme, au bénéfice premier des manifestants et second des riverains.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - L'article 6 conforte notre sentiment : des mesures d'affichage qui confortent l'orientation sécuritaire, mais guère opératoires. La guérilla contre les black blocs est un sujet de doctrine d'emploi des forces de l'ordre davantage qu'un sujet législatif... Ils sont agiles, hyper-mobiles : votre dispositif ne les dissuadera pas.
M. le président. - Amendement identique n°15 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Mme Éliane Assassi. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°17, présenté par le Gouvernement.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - L'article 6 élargit de manière disproportionnée le champ d'application de la peine complémentaire d'interdiction de manifester à des délits de moindre importance comme le délit d'organisation d'une manifestation en méconnaissance de la procédure administrative, puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, ou le nouveau délit créé de dissimulation de son visage dans une manifestation. Plus encore, l'article 6 leur étend le champ d'application de la peine complémentaire d'interdiction de séjour, ce qui est également disproportionné au regard des peines encourues.
Dans la décision du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel indique qu'il doit être tenu compte de la nature des infractions pour lesquelles la peine s'applique.
M. le président. - Amendement identique n°19, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. - L'extension du champ d'application de la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations doit être tempérée par une exigence de proportionnalité, au risque de porter atteinte à la liberté d'aller et venir.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Il est vrai que les condamnations prononcées sont rares. Nous transférons des dispositions du code de la sécurité intérieure dans le code pénal afin d'améliorer la lisibilité du droit pour les magistrats, ce qui devrait entrainer plus de condamnations.
L'extension de la peine complémentaire est un outil de prévention de la récidive. L'obligation de pointage renforce l'efficacité de ces peines. Elles ne sont pas disproportionnées. Le juge précisera toujours les lieux définis, conformément à la décision du Conseil constitutionnel de 1995.
La peine complémentaire d'interdiction de séjour est déjà applicable à des délits punis de faibles peines de prison : demande de fonds sous contrainte ou intrusion dans un établissement scolaire, délits punis de six mois d'emprisonnement. Le Conseil constitutionnel l'a validé. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos7, 15 rectifié, 17 et 19 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°20, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette obligation doit être proportionnée au regard du comportement de la personne.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Cet amendement est de repli, eu égard au manque de garanties constitutionnelles. Il a reçu un avis favorable en commission.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Avis favorable.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Cet amendement, dont je comprends la logique, ne me semble pas indispensable, puisque le comportement de la personne est déjà pris en compte dans la détermination de la peine. Sagesse.
L'amendement n°20 est adopté.
L'article 6, modifié, est adopté.
ARTICLE 7
M. François Grosdidier . - Sur les bancs de cette assemblée, au RDSE, au groupe Les Républicains, nous partageons les principes de liberté, égalité, fraternité, même si nous divergeons sur les modalités de leur mise en oeuvre. En revanche, un principe nous distingue, celui de responsabilité, auquel nous sommes très attachés.
Au Sénat, nous avons introduit le principe de pollueur-payeur dans le code civil. Ici, il s'agit du principe de casseur-payeur. La rédaction initiale introduisait un principe de responsabilité collective, qui est apparu fragile et qui pourrait désengager l'État de son obligation d'indemnisation. Le meilleur dispositif est donc l'indemnisation des victimes par l'État avant que celui-ci se retourne vers les casseurs pour qu'ils paient : c'est la rédaction à l'issue des travaux de la commission.
L'article 7 est adopté.
ARTICLE 8
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jérôme Durain. - Défendu.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Avis défavorable.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°23, présenté par Mme Troendlé, au nom de la commission.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Aux articles L. 282-1 et L. 284-1 du code de la sécurité intérieure, la référence : « L. 211-13, » est supprimée.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Amendement de coordination.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Avis défavorable.
L'amendement n°23 est adopté.
L'article 8, modifié, est adopté.
Explications de vote
Mme Françoise Gatel . - Monsieur le ministre, comme mes collègues, je vous souhaite la bienvenue. Toutefois, je vous suggère de rompre avec une tradition du Gouvernement, celle de rejeter les propositions de loi extrêmement pertinentes du Sénat.
Ces débats montrent que certains vivent dans le pays merveilleux de la théorie sans voir que la démocratie est fragilisée. (Mme Éliane Assassi proteste.) J'ai été à Rennes pendant les manifestations contre la loi Travail. Les vitrines étaient barrées, les personnes âgées n'osaient plus sortir de chez elles, terrorisées.
La démocratie doit d'abord protéger les plus fragiles. Cette proposition de loi sert d'abord à ceux qui ont envie de manifester...
Mme Éliane Assassi. - La manifestation n'est pas une envie, c'est un droit !
Mme Françoise Gatel. - ...ceux qui veulent défendre leurs idées, mais n'osent plus sortir de chez eux.
Je salue le travail de protection des libertés individuelles mené par la commission des lois.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Françoise Gatel. - Il m'arrive de dépasser mon temps de parole tout comme vous quand vous êtes dans l'hémicycle. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. le président. - Je ne fais que rappeler chacun à respecter son temps de parole... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Durain . - Le groupe socialiste est radicalement opposé à toute forme de violence. Monsieur Grosdidier, vous seriez les seuls défenseurs du principe de responsabilité ? C'est extrêmement présomptueux ! Nous ne sommes pas non plus dans la théorie, mais nous défendons une position constante : les articles de cette proposition de loi sont inutiles, redondants et peu opératoires.
Assumons nos différences. Mais il y a ce sous-entendu désagréable, c'est que le désordre serait de gauche. Monsieur Ravier, vous citez les antifascistes d'extrême gauche. Dans vos rangs, certains sont loin d'être des adeptes du tricot ! Arrêtez de faire comme si le désordre était d'un seul côté !
Nous sommes responsables et contre la violence, mais pas avec les mêmes moyens juridiques que ceux que vous proposez.
Nous ne partageons pas votre philosophie et nous sommes pour l'ordre républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)
M. Bruno Retailleau . - Je n'ai aucune susceptibilité d'auteur et je remercie la commission des lois d'avoir modifié ce texte.
Je ne suis tenu par aucune ligne idéologique mais j'ai souhaité par ce texte apporter des réponses à des situations préoccupantes.
Jamais il n'y a eu autant d'agents des forces de l'ordre blessés ! Les black blocs ne se contentent pas d'apporter la chienlit, ils visent les forces de l'ordre, nos institutions, et finalement la République : notre rôle de législateur est d'y mettre le holà.
Monsieur le ministre, j'espère que votre groupe de travail apportera des réponses rapidement. Pour enterrer un problème en France, on crée des commissions, disait Clemenceau. Faites-le mentir.
Je suis navré d'avoir entendu des caricatures dans notre débat - en particulier quand j'entends la Manif pour tous confondue avec les black blocs ! Quelles que soient nos convictions, on ne peut défendre la casse. Avec ce texte, nous luttons non pas contre, mais pour le droit de manifester, pour le préserver contre ceux qui le défigurent.
Nous sommes du côté de la liberté et non de la violence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
Mme Éliane Assassi . - Madame Gatel, on ne manifeste pas parce qu'on en a envie, mais pour exprimer ses opinions !
M. François Grosdidier. - Et pas pour casser !
Mme Éliane Assassi. - Manifester est un droit. Je suis pour la liberté, l'égalité et la fraternité, et la dernière est tout aussi importante que les deux autres. Nous rejetons cette proposition de loi non par dogmatisme, mais parce qu'elle s'affranchit de règles de droit que, moi, je respecte. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. François Grosdidier. - C'est faux !
M. Thani Mohamed Soilihi . - Les préoccupations des auteurs de la proposition de loi sont légitimes. Nous les partageons. Je sais gré des efforts de la rapporteure pour l'améliorer. Sans dramatiser, le problème porte sur les proportions. Il ne sert à rien de s'exciter.
Les travaux de notre assemblée apportent une pierre à l'édifice. Néanmoins le groupe LaREM votera contre cette proposition de loi. (On le déplore sur les bancs du groupe Les Républicains.)
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
La séance est suspendue quelques minutes.