Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
J'appelle chacun à la courtoisie et au respect dans le débat.
Affaire Benalla (I)
Mme Éliane Assassi . - (Marques d'encouragement sur divers bancs) Dès jeudi, Monsieur le Premier ministre, je vous interrogeais sur l'affaire Benalla, devenue une affaire d'État. Ce n'est pas celle d'un seul homme.
Nous ne saurions nous contenter de réponses dilatoires, car vous n'avez pas agi en temps et en heure.
Votre ministre de l'Intérieur, après avoir dissimulé la vérité au Sénat, jeudi dernier, a joué les ingénus, lors de son audition d'hier, n'ayant rien vu, ni rien entendu, affirmant devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, ne pas connaître M. Benalla.
Notre peuple doit savoir, Monsieur le Premier ministre. Qui est M. Benalla ? Qui l'a recruté ? Par quel contrat ? Sous quel statut ? Pour quelles missions ? D'où vient-il ? Pourquoi de si piètres sanctions ?
Il a mis en place une officine de sécurité privée au sein même de l'Élysée, posant un problème de confiance à l'égard de notre police nationale - conséquence d'un régime hyper présidentiel, d'un pouvoir jupitérien hors de contrôle. (Acclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains) Dans ces conditions, la réforme constitutionnelle doit être retirée définitivement, pour renforcer les pouvoirs du Parlement et en finir avec la dérive monarchique.
L'heure est grave, Monsieur le Premier ministre. Vous devez au peuple français le respect et la transparence. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - C'est la deuxième fois que j'ai le plaisir de vous répondre, Madame la Présidente, sur ce sujet depuis jeudi dernier. Je ne veux pas m'immiscer dans le fonctionnement de la commission d'enquête du Sénat qui posera toutes les questions qu'elle souhaite au ministre d'État, ministre de l'Intérieur, lequel donnera, comme à l'Assemblée nationale, toutes les réponses qui s'imposent.
Je suis en désaccord avec plusieurs de vos affirmations. Il n'y a pas de police parallèle, de systèmes divergents, d'organisation cachée. (Murmures sur les bancs du groupe Les Républicains)
L'organisation de la présidence de la République n'est pas à ma connaissance sous le contrôle de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Il y a ensuite les agissements d'un chargé de mission et d'autres agents publics. Je ne puis me prononcer sur ce que le préfet de police a qualifié de « copinages malsains ».
Quant aux actes de la personne en question, visionnés sur les images, que j'ai qualifiés dès jeudi dernier d'inacceptables, ils n'ont pas été acceptés. Une sanction a été prise, dès le 3 ou le 4 mai, très rapidement. Il est légitime de s'interroger sur son caractère proportionné. Il est incontestable qu'une décision et qu'une sanction ont été prises. Puis les trois pouvoirs se sont saisis de cette affaire en une semaine : commission d'enquête au Sénat et à l'Assemblée nationale, enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, avec des gardes à vue et cinq mises en examen, mission d'inspection de l'IGPN annoncée également ici jeudi dernier par le ministre d'État, ministre de l'Intérieur. De tout cela nous apprendrons, quand l'ensemble des procédures seront assez avancées pour en tirer des conséquences certaines et stables.
M. Pierre-Yves Collombat. - Nous avons beaucoup appris !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Moi, Premier ministre, chef du Gouvernement, je prendrai des décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
Affaire Benalla (II)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Depuis la révélation de l'affaire Benalla, les plus hautes autorités de l'État sont confrontées à une crise politique majeure. Elle a révélé plusieurs graves dysfonctionnements au sommet de l'État (« Eh oui ! » à droite) : sanctions disciplinaires inappropriées et sans conséquence sur la place de M. Benalla dans l'organigramme de l'Élysée ; contradictions entre le ministre de l'Intérieur et le préfet de police qui se défaussent sur les services de l'Élysée ; très grande discrétion du secrétaire d'État aux relations au Parlement, par ailleurs chef du parti majoritaire, employeur de M. Benalla ; le mutisme du président de la République qui reconnaît pourtant des dysfonctionnements, accréditant l'idée que les plus hautes autorités de l'État préfèrent protéger un individu que les institutions... (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et CRCE)
L'engagement du président de la République de faire de la politique différemment est un faux-semblant, propice aux zones d'ombre. L'hypercentralisation que révèle cette affaire est le contre-exemple de ce que nous devons adopter en matière de révision constitutionnelle. Comment renouerez-vous le lien de confiance avec les citoyens ? La République n'est pas inaltérable ni inébranlable ; mais elle doit rester irréprochable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains et sur quelques bancs du groupe CRCE)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Nous partageons les valeurs d'une République irréprochable. Mais une République irréprochable, ce n'est pas une République où rien ne se place... (« Ah ! » et rires sur la plupart des bancs) Rien ne se passe ! Une fois de plus, je tombe dans un péché mignon ! Ce n'est pas une République composée d'individus à jamais infaillibles, mais qui regarde les dysfonctionnements, les comportements individuels en face et en tire les conclusions.
Dès que les faits ont été connus, des décisions ont été prises au niveau individuel.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il a été grondé !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Les fonctionnaires de police auraient probablement transféré des images à un chargé de mission de la présidence de la République. Immédiatement, des mesures ont été prises. (Protestations à droite) Ce qui aurait été contestable, c'eût été l'absence de mesures.
M. Cédric Perrin. - Pendant deux mois et demi, vous avez caché les faits.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - La justice décrira précisément l'enchaînement des faits. L'exécutif n'a aucune volonté de cacher quoi que ce soit. Je ne crois pas que la présidence exemplaire soit devenue si hyperprésidence qu'elle soit insupportable. Nous sommes toujours dans les institutions de la Ve République.
Nous avions l'occasion d'en discuter lors de la réforme constitutionnelle à l'Assemblée nationale. Le débat n'a pas eu lieu car il y a eu 298 rappels au Règlement, ce qu'un esprit taquin assimilerait à de l'obstruction. Le débat reprendra donc, pas pendant la session extraordinaire, mais prochainement, à l'occasion d'une session suivante, pour discuter de cette réforme constitutionnelle qui correspond aux engagements du président de la République et c'est très bien ainsi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Patrick Kanner. - Affaiblir le Parlement, les corps intermédiaires, les collectivités territoriales, la presse, n'est pas bon. Retirez votre réforme constitutionnelle et permettez-nous de l'améliorer par le travail du Parlement dans l'intérêt général. (Applaudissements sur presque tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM et de la plupart de ceux du groupe RDSE ; M. Joël Labbé applaudit aussi.)
Affaire Benalla (III)
M. Claude Malhuret . - M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; M. Benalla a voulu faire de la police sans que cela se sache... mais ça n'a pas marché. (Sourires)
Comment expliquer le contraste vertigineux entre cette grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf-carottes (Rires) et le tourbillon politique qui met en cause les plus hautes autorités de l'État et bloque les travaux de l'Assemblée nationale ?
L'unique raison, c'est le silence, qui devient pesant, du chef de l'État. Ce faisant, le président de la République ne se protège pas mais s'expose ; il laisse les opposants les plus farouches s'ériger en procureurs, sans leur répondre. Il laisse les acteurs se contredire, sans indiquer la voie du rassemblement. Dans l'anonymat des réseaux sociaux les rumeurs les plus folles, les plus abjectes, prolifèrent. Le Général de Gaulle disait que le président de la République était en charge de l'essentiel ; il y a huit jours, l'affaire Benalla n'était pas l'essentiel ; aujourd'hui, que ce soit justifié ou non, elle l'est devenue.
Il y a quinze jours, le président de la République voulait pouvoir répondre aux parlementaires. Désormais, ceux-ci, mais aussi de très nombreux Français, attendent sa parole.
Contrairement à ce que j'ai entendu, cette affaire n'est ni le Watergate, ni les écoutes de l'Élysée, le Rainbow Warrior ou les Irlandais de Vincennes. Mais en l'absence de réponse du président de la République, elle risque de devenir aussi délétère. Dites au président de la République que les Français attendent une réponse claire et définitive de sa part.
Ma question n'en est pas une, c'est plutôt une requête. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Il n'appartient pas au Premier ministre de porter une appréciation sur une question... mais je le ferai. Je transmettrai votre requête.
Mme Esther Benbassa. - À Sa Majesté !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Mais il appartient au président de la République de choisir le moment, le lieu et le message ; le moment venu, il le fera. (Mme Esther Benbassa s'indigne.)
En attendant, le Gouvernement répond aux questions qui lui sont légitimement posées, participe aux auditions des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat et fait en sorte que ce régime qui est le nôtre - à la fois parlementaire et avec un président fort - puisse continuer à fonctionner ainsi. (Protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe RDSE)
Affaire Benalla (IV)
M. Bruno Retailleau . - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il aura fallu moins d'une semaine pour passer de la fête à ce climat opaque et pesant, où nous a plongés cette affaire.
Est-ce une affaire d'État ? Oui ! Au-delà du parcours individuel d'un prétendu bagagiste, c'est beaucoup plus, c'est l'autorité de l'État, c'est le président de la République qui sont en cause : comment un proche du président se déguise-t-il en policier pour passer à tabac des manifestants ? Pourquoi cet individu au passé si lourd s'est-il retrouvé au coeur du pouvoir ? Ascension fulgurante, privilèges exorbitants, sanction trop indulgente : tout converge vers l'Élysée. Or l'Élysée est mutique, contrairement à son habitude.
Quand le président de la République sortira-t-il de son silence pour s'expliquer devant les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC ; M. Olivier Jacquin et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Quand il le souhaitera. Je ne crois pas que les « copinages malsains » évoqués par le préfet de police constituent une affaire d'État ; pas davantage que les dérives d'un individu, qui se prévaut de sa proximité avec le président. (M. Pierre-Yves Collombat et plusieurs voix à droite en doutent.)
Certains souhaitent, à l'occasion des commissions d'enquête et des procédures judiciaires sur les faits du 1er mai place de la Contrescarpe, évoquer des questions relatives à l'organisation de la présidence de la République voire au rôle qu'aurait tenu le président de République. Je ne suis pas sûr que cette évolution dans les questionnements repose sur la moindre réalité. Les comportements individuels inacceptables doivent être sanctionnés. Ils l'ont été.
Vous avez contesté la proportionnalité des sanctions prises par le directeur de cabinet du président de la République ; c'est votre droit. On peut la contester. Mais il n'est pas contestable qu'elles ont été prises immédiatement. (Protestations sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE)
Quant aux faits nouveaux que constituent les transmissions d'images à l'individu concerné, ils ont donné lieu, dès qu'ils ont été connus, à des sanctions.
Je n'ai pas à me prononcer sur des dysfonctionnements supposés dès lors que je n'ai pas tous les éléments. Rendez-vous à l'issue des procédures d'enquête que vous avez vous-même engagées et le Gouvernement fera état devant le Parlement de ses décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Bruno Retailleau. - Donc le président de la République s'est vu imposer à ses côtés, dans l'intimité, M. Benalla ! Un pouvoir solitaire devient un pouvoir arbitraire. Monsieur le Premier ministre, tirons-en les leçons et modifiez votre projet de loi de révision constitutionnelle. Nous n'avons pas besoin de placer encore plus de pouvoirs dans les mains d'un seul. (Le groupe LaREM proteste car le temps est écoulé.)
M. le président. - Concluez
M. Bruno Retailleau. - La République est fragile ! (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs des groupes UC, SOCR et CRCE ; M. Alain Marc applaudit aussi.)
Réforme constitutionnelle après l'affaire Benalla
M. Hervé Marseille . - Le comportement d'un chargé de mission à la présidence de la République occupe l'agenda parlementaire depuis une semaine. C'est fort ! Peu d'entre nous y arrivent...(Sourires) Plusieurs procédures ont été diligentées, que vous avez rappelées, Monsieur le Premier ministre. Laissons-les cheminer. Les conséquences institutionnelles de cette affaire illustrent un effet papillon.
M. Pierre-Yves Collombat. - Un gros papillon, alors ?
M. Hervé Marseille. - D'un fait divers place de la Contrescarpe, nous sommes arrivés à l'équilibre des pouvoirs, du rôle du président de la République et du Parlement. Comme l'a rappelé M. Malhuret, le président de la République a proposé au Parlement une modification constitutionnelle pour répondre au Congrès. Imaginez le président de la République répondre à présent sur le badge et la voiture de fonction de M. Benalla ! On change de République !
Or vous venez de nous dire que vous ne voulez pas changer de République. Quel calendrier pour la réforme constitutionnelle ? Y aura-t-il toujours une réforme constitutionnelle, un projet de loi organique, un projet de loi simple ? Avez-vous infléchi votre opinion sur la place du Parlement dans nos institutions, face à une présidence forte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et SOCR ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - L'affaire est à l'ordre du jour du Parlement depuis une semaine ? C'est inexact : pas au Sénat !
M. Vincent Capo-Canellas. - En effet !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Le travail parlementaire s'est poursuivi ici contrairement à l'Assemblée nationale et je veux le saluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes RDSE et UC)
Mme Cécile Cukierman. - Ce n'était pas le même texte.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Quel enseignement tirer des circonstances ? La règle simple que tout ce qui arrive ou ce qui m'arrive... soit utilisé pour améliorer la qualité de mes actions. Il n'y aurait pire législateur que celui qui ne prendrait pas en compte les éléments nouveaux.
Doit-on renoncer à la réforme constitutionnelle, comme je l'entends ici ou là ?
Plusieurs voix à droite. - Oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Je ne le crois pas. C'est un bon débat, une bonne réforme, il est utile d'en discuter au fond. L'Assemblée nationale n'a pas pu aller au terme de l'examen du projet de loi constitutionnelle. Doit-on le poursuivre ou passer aux deux autres textes, organique et ordinaire, comme c'est techniquement possible ? Je n'ai pas tranché. (MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
Affaire Benalla (V)
M. François Patriat . - (Exclamations prolongées) Nietzsche disait : « Honte à moi, je suis nuance ». Ayons un peu de nuance aujourd'hui... (Nouvelles exclamations) Après les outrances et les manipulations, les interprétations hasardeuses, prenons un peu de recul et de hauteur face à la réalité de ce qui n'est pas une affaire d'État mais une grave dérive individuelle et un comportement inacceptable. Beaucoup de responsables cherchent à opérer une récupération politique en se drapant dans la vertu et l'angélisme, (On s'indigne sur divers bancs.) attitude qui conduit au populisme.
De façon unanime, nous affirmons clairement la gravité des faits qui sont avérés. Nul n'est au-dessus des règles et des lois, il n'y a pas eu, il n'y a pas, il n'y aura pas d'impunité. À cette fin, quatre enquêtes ont été diligentées : deux parlementaires, une enquête judiciaire et une enquête de l'IGPN.
Le nombre et le rythme des auditions demandées par Parlement et le travail des enquêteurs permettront d'apporter tous les éléments de réponse aux interrogations légitimes qui aboutiront aux mesures et aux décisions qui s'imposent.
Le chef de l'État a demandé au Secrétaire général de l'Élysée de faire des propositions afin de faire disparaitre les dysfonctionnements qui sont apparus. (Marques d'indignation à gauche comme à droite)
Affirmons qu'il n'y a ni police parallèle ni milice privée (Mêmes mouvements)
La commission d'enquête a reçu notre approbation. Nous voulons que les Français soient totalement informés et que cesse ce déchainement de haine, d'anathèmes et d'imprécation. (Les exclamations se poursuivent.)
Le Sénat prend ces évènements avec recul et modération, notre chambre assume toute sa fonction et son rôle de législateur et de contrôle du gouvernement et fait preuve de responsabilité en poursuivant l'examen des textes.
Aussi, Monsieur le Premier Ministre, pouvez-vous nous assurer que l'épreuve que nous traversons actuellement n'empêchera pas le Gouvernement de poursuivre les réformes engagées et notamment celle que vous avez évoquée tout à l'heure ? (L'orateur est hué sur divers bancs ; applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Philippe Dallier. - C'est la question et la réponse !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Vous avez raison (Rires sur les bancs à droite), nul n'est au-dessus des lois, même ceux qui sont proches du pouvoir. C'est la garantie que nous vivons dans une démocratie. Je tirerai toutes les conséquences des procédures engagées pour éviter que de tels dysfonctionnements se reproduisent.
Mais je m'engage aussi à appliquer le programme du président de la République.
Si les débats à l'Assemblée nationale ont dû s'arrêter quelques jours, si l'on a voulu faire d'une dérive individuelle une affaire d'État, ce que je conteste formellement, rien ne nous empêchera de mener à bien le projet présidentiel.
M. François Patriat. - Très bien.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Nous ferons de notre pays le plus attractif, le plus compétitif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Affaire Benalla (VI)
M. Jean-Claude Requier . - La presse a joué son rôle de lanceur d'alerte. Des faits graves ont été mis sur la place publique. Des imputations personnelles avancées. Des allégations répétées. L'Assemblée nationale exerce son contrôle. Le Sénat aussi, mais avec sa propre tonalité, en inscrivant son investigation dans un périmètre plus large. Nous faisons toute confiance à notre commission des lois pour faire la lumière sur les faits allégués et les responsabilités personnelles, dans la sérénité et le plus strict respect de la séparation des pouvoirs. Quant à la justice, elle se prononcera le moment venu. Pour autant, la situation survient à un moment particulier, celui de la réforme de nos institutions voulue par le président de la République. Une réforme dont l'examen a été reporté sine die à l'Assemblée nationale. Dans ce qui ressemble à une mise en abyme, nous avons pourtant sous les yeux la démonstration que notre démocratie a besoin d'un équilibre raisonné des pouvoirs avec un Parlement moderne et fort qui exerce pleinement sa mission de législation et de contrôle. Dans ce schéma, le Sénat a bien sûr toute sa place, en tant que contre-pouvoir constitué et responsable, comme il l'a toujours été. Ce qui importe surtout, c'est que les dérives d'un individu ne fassent pas le lit de la démagogie et des populismes, qui avancent à découvert et sans ambiguïté.
Monsieur le Premier ministre, comment va évoluer la réforme constitutionnelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes LaREM et Les Républicains)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Je partage votre confiance dans les institutions, le souci que chacun prenne les bonnes décisions pour éviter que des dysfonctionnements puissent se reproduire. Comme vous, je pense qu'il ne faut pas confondre les rôles et faire en sorte que les procédures aillent librement à leur terme.
Quant à la révision constitutionnelle, elle a été évoquée pour invoquer l'équilibre des pouvoirs, mais aussi en vertu d'oppositions de principe.
C'est un fait, son examen ne se poursuivra pas avant la fin de la session extraordinaire à l'Assemblée nationale. Faut-il y renoncer ? Non. (Exclamations à droite) Nul entêtement dans cette affirmation, mais la marque d'une conviction. Nous voulons soumettre ce projet à la discussion parlementaire en application de l'article 89 de la Constitution.
Nous redéfinirons le calendrier de travail de la rentrée ; il faudra trouver le bon moment pour y insérer les textes relatifs à cette réforme, d'autant que la deuxième partie de l'année est bien occupée par l'examen et le vote du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty et Didier Guillaume applaudissent également.)
M. Jean-Claude Requier. - Le temps médiatique n'est pas le temps parlementaire. Le rythme sénatorial n'est pas le rythme de l'Assemblée nationale. Ne cherchons donc pas à coller au flot de l'actualité, au sensationnel, au renouvellement incessant de l'information. Écartons l'émotion et l'agitation. Gardons plutôt la sérénité, la réflexion et la sagesse qui sont la marque de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)
Affaire Benalla (VII)
M. François-Noël Buffet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs jours, l'affaire Benalla provoque une véritable crise au plus niveau de l'État. Elle révèle le comportement aussi étonnant qu'inacceptable du chef-adjoint de cabinet du président de la République et elle a jeté l'opprobre sur nos services de police et sur le fonctionnement des dispositifs de sécurité du président de la République. Nous attendons les précisions du ministre de l'Intérieur devant la commission d'enquête du Sénat. Le préfet de police a répondu hier avec clarté et précision. De ces différentes déclarations, nous apprenons qu'il y a des mensonges. Une sanction aurait été prononcée le 2 mai pour une suspension de quinze jours, mais cette personne a repris immédiatement après son activité alors même que les faits étaient d'une gravité absolue et qu'ils étaient connus.
La commission des lois fera son enquête. Reste une question : alors qu'un collaborateur très proche du président de la République est en cause, pourquoi ce dernier ne parle-t-il pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - (« Ah ! » à droite) Nous nous connaissons depuis quelque temps, monsieur le sénateur, et vous me savez homme d'honneur. Devant votre commission, je dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, selon la formule consacrée.
Oui, cette histoire est tragique. M. Benalla, de son proche chef, et comme l'a dit le préfet de police, utilisant certains « copinages », est venu sur une opération sur laquelle il n'aurait pas dû aller, en tout cas comme participant aux actions et brutalisant des personnes. Oui, cela doit être condamné, et cela l'a été. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE) Le directeur de cabinet du ministère de l'Intérieur s'est enquis auprès du directeur de cabinet du président de la République pour savoir s'il condamnait ces faits et ce dernier les a condamnés et il a dit qu'il prendrait les sanctions nécessaires. Je parlerai tout à l'heure de l'article 40.
M. François-Noël Buffet. - Le président de la République s'est enfermé dans un silence qui distille un poison insupportable pour l'État et la République. (On s'indigne sur les bancs du groupe LaREM ; applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Conférence sociale
M. Alain Richard . - Quelques défis économiques et sociaux continuent d'interpeller notre pays. Le chef de l'État a reçu il y a une semaine, l'ensemble des partenaires sociaux qui ont établi un programme de travail sur tous les enjeux sociaux, en vue de plusieurs accords collectifs.
Le Gouvernement peut-il nous indiquer ce qu'est le programme de travail de ces différentes concertations et comment dans le cours de ces travaux de réforme sociale, le Parlement pourra y être associé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty et Didier Guillaume applaudissent également.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le dialogue social est essentiel. C'est une constante du président de la République et du Gouvernement d'Édouard Philippe. Si la forme a évolué, avec la réunion multilatérale, cette rencontre s'inscrit dans la continuité des échanges entre le président de la République et les partenaires sociaux. La ministre du travail, qui est à l'Assemblée nationale, pourrait vous indiquer que les contacts ont été constants, même s'il y a des désaccords.
La rencontre a permis, après des échanges constructifs, de déterminer des priorités, notamment la modernisation de l'action publique, la rénovation du paritarisme dans le cadre d'une République contractuelle. Les échanges se poursuivront aussi sur l'inclusion et la lutte contre les discriminations, sur les relations entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants.
La France présidera le G7 et évoquera ces sujets, de même que lors du centenaire de l'OIT. Le Premier ministre engagera dès la rentrée un travail avec les partenaires sociaux. Sur l'assurance chômage, nous devons avoir une discussion assez rapide pour être opérationnels dès le printemps prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Frédérique Puissat. - C'est le 23 février qu'il fallait y aller !
Affaire Benalla (VIII)
Mme Catherine Troendlé . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je vous propose d'en revenir à l'affaire qui intéresse tous nos concitoyens.
Tout ce qui ressort de la presse et des auditions qui ont eu lieu hier à l'Assemblée nationale porte les regards vers l'Élysée et son premier locataire. Le candidat Macron avait déclaré devant les Français, à la télévision : « Dès qu'il y a bavure, il doit y avoir une réponse et une sanction, mais elle est hiérarchique. Je crois, moi, à une République de la responsabilité ». Propos plein de sagesse du candidat que le président semble avoir oublié.
Autrefois si bavard, il est devenu taiseux et la stratégie qui se dessine est de trouver des boucs émissaires. Saint-Exupéry disait sur l'âme du chef : « Le chef est celui qui prend tout en charge » : il dit « J'ai été battu », Il ne dit pas « Mes soldats ont été battus ». Un chef doit assumer. Monsieur Griveaux, où est passé le président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - Aux dernières nouvelles, le président de la République est à l'Élysée... (Sourires)
Le Sénat est réputé pour la qualité et la sérénité des débats qui s'y tiennent. (M. Loïc Hervé renchérit.) Tenons-nous en aux faits : des sanctions ont été prises à l'endroit de M. Benalla dès le 3 mai. (Exclamations sur divers bancs)
M. François Grosdidier. - Et qui d'autre ?
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État. - Un licenciement a été engagé le 20 juillet. (Nouvelles exclamations) Le président de la République a confié au secrétaire général de l'Élysée le soin de tirer les conclusions des dysfonctionnements afin que les dérives comportementales individuelles ne puissent plus se produire. Depuis, trois enquêtes ont été ouvertes : une administrative, une judiciaire et deux au Parlement. Loin de moi de vouloir parler au nom ou à la place du président de la République.
Depuis une semaine, le président de la République s'est voulu le garant impartial des institutions... (On s'indigne sur les bancs du groupe Les Républicains ; quelques huées...) ... plutôt que de céder aux artifices de la communication. Qu'aurait-on dit s'il était allé intervenir dans les médias ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Jean-Claude Carle. - Et l'article 18 ?
M. François-Noël Buffet. - C'est son collaborateur !
Mme Catherine Troendlé. - Le président de la République aime à rappeler qu'il est le chef. Souvenez-vous du général de Villiers qui n'avait fait que son devoir en répondant aux questions des députés... (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Un chef assume ses erreurs et ne se défile pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Droit aux vacances pour les jeunes
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Quelque 36 % des Français, soit 22 millions, ne partent pas en vacances. C'est aussi un jeune de 15 à 24 ans sur trois, un handicapé sur trois, un enfant d'une famille d'ouvriers sur deux qui n'ont pas accès aux vacances.
Or la baisse des aides et le chômage ont fait augmenter la précarité et remis en question ce droit, fondamental, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. C'est un facteur d'inclusion sociale, d'épanouissement et c'est aussi un enjeu de santé publique. Les vacances font partie intégrante du cursus éducatif : c'est l'apprentissage de l'autonomie et du vivre ensemble.
Je salue l'engagement des associations d'éducation populaire telles que le Secours populaire qui emmène de nombreux enfants en vacances. Dans la Drôme, la Fédération des oeuvres laïques emmène 1 200 enfants en colonies chaque année. Mais la réduction drastique des emplois aidés pénalise les associations.
Êtes-vous favorable à la création d'un fonds pour les vacances proposé par l'UNAT, Solidarité laïque et Jeunesse au plein air. Sinon, comment assurer ce droit ? Sera-t-il davantage intégré aux politiques publiques ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale . - Cette question est structurelle. Il y a en effet un problème social sur le départ des enfants en vacances. Ce problème n'est pas nouveau : depuis le début de cette décennie, moins d'enfants partent en vacances chaque année. Il faut donc s'interroger sur ce phénomène.
Environ 1,5 million d'enfants partent en colonies aujourd'hui, ils étaient 300 000 de plus au début de la décennie. De plus, il y a de moins en moins de mixité sociale. Les colonies apparaissent moins attractives qu'avant à certaines familles. Nous avons lancé une enquête pour comprendre ce qui empêche certains enfants de partir. Nous avons récemment lancé une campagne de promotion pour les colonies de vacances. Je suis favorable aux propositions que font les associations que vous avez mentionnées.
Au cours des prochaines années, il nous faudra inverser la tendance, d'où la nécessité d'un diagnostic juste et d'un regroupement des moyens publics et privés.
L'an prochain, nous lançons le plan Mercredi consistant à donner plus de moyens aux caisses d'allocations familiales pour les activités périscolaires. Cela continuera ensuite avec les activités extrascolaires et les vacances ; j'en prends l'engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jérôme Bignon applaudit également.)
La séance est suspendue à 17 h 45.
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
La séance reprend à 17 h 50.