Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Discussion générale
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Nous allons examiner un texte défavorable pour l'agriculture de notre pays. Le nombre d'amendements déposés en commission témoigne de la qualité de votre travail.
Si la commission a supprimé dix-huit articles, elle en a créé onze nouveaux ; preuve de la sagesse mais aussi de la grande créativité du Sénat.
Je ne doute pas que nous en débattions, avec pour seul objectif de répondre aux urgences identifiées lors des États généraux de l'alimentation : garantir un revenu décent aux agriculteurs tout en répondant aux attentes des consommateurs grâce à une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous. Les pistes sont nombreuses : les plans de filières, la feuille de route sur les produits phytosanitaires, le plan d'action bio-économie, etc...
Nous avons besoin d'un cadre légal clair et facilitateur que les acteurs pourront s'approprier.
Depuis la semaine dernière, je reçois à nouveau les interprofessions pour faire le point sur la contractualisation et les indicateurs.
Certains veulent que rien ne bouge. D'autres veulent imposer leur vision, sans considérer les difficultés.
Je souhaite une démarche concertée.
L'agriculture est un enjeu stratégique pour la France, au coeur de l'économie, du commerce international mais aussi des exigences de nos concitoyens qui veulent manger sain, sûr et durable sans oublier la dimension conviviale des repas français.
Les agriculteurs sont les gardiens de nos paysages et de la biodiversité, et d'une alimentation saine. Le France ne peut réussir sans eux.
Comment faire réussir la France sans une agriculture française prospère, compétitive et durable ?
Avec ce texte, nous voulons défendre une agriculture riche de sa diversité.
À travers ce projet de loi nous voulons donc défendre avec vous une agriculture riche de la diversité de ses modèles agricoles. Il ne s'agit pas d'opposer ces modèles mais au contraire qu'ils soient complémentaires et créent les ressources suffisantes pour développer nos économies locales, et être présents sur les marchés nationaux et internationaux.
Par ce texte, je veux redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeur. Parce que nous souhaitons dans notre projet de transformation de la France que le travail paie, nous devons nous engager afin que les agriculteurs perçoivent le juste prix de leur labeur. Je veux redonner aux agriculteurs leur part de la valeur, une juste rémunération. Actuellement, ils sont victimes de la guerre des prix entre distributeurs. Mais je ne crois pas que l'on puisse avoir une agriculture de qualité si le prix n'est pas rémunérateur. Nous voulons une alimentation de qualité dans le respect des règles sociales et sanitaires renforcées.
Le titre premier redonne place à chaque maillon de la chaîne. Il prévoit une construction du prix à partir de l'amont, par celui qui vend ; une clause de renégociation plus opérationnelle en cas d'évolution des coûts ; la lutte contre les prix abusivement bas ; le rôle accru de la médiation et des interprofessions ; le statut de la coopération agricole ; l'encadrement des promotions ; la fixation du seuil de revente à perte à 10 %. À cet égard, la hausse des prix pour les consommateurs ne sera pas automatique : les distributeurs pourront compenser la baisse de leur marge sur ces produits en la répartissant sur d'autres produits.
Je ne suis pas favorable à la rédaction actuelle sur l'élaboration des indicateurs. Au-delà du risque juridique, elle fragilise le rôle des interprofessions et déresponsabilise les opérateurs, ce qui est contraire à notre objectif. Si nous ne pouvons faire fi de notre environnement juridique contraint, chacun doit prendre ses responsabilités si l'on veut que cette loi soit opérationnelle. Si chacun joue le jeu, cette loi permettra une meilleure répartition de la valeur, donnant aux acteurs la visibilité nécessaire pour continuer à produire à long terme.
Les titres suivants du texte sont aussi importants que le premier, puisqu'ils concernent l'alimentation de nos concitoyens. Le but final est l'amélioration de notre alimentation afin qu'elle contribue à notre santé, qu'elle soit saine, durable et accessible à tous - et qu'elle contribue à la qualité de notre environnement. Le maintien du capital santé de chacun et du capital environnement vont de pair. Le texte permettra de réduire la consommation des produits phytopharmaceutiques en interdisant les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits, mais aussi en sécurisant les certificats d'économies des produits phytopharmaceutiques par voie d'ordonnance.
Les peines encourues pour maltraitance animale sont renforcées. Les associations de protection des animaux pourront se porter partie civile en cas d'infraction constatée par un contrôle officiel : je me félicite que votre commission ait voté cette disposition dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale.
L'article 11 fait de la restauration collective publique un levier d'amélioration de la qualité de l'alimentation pour tous dès le plus jeune âge. Cette restauration assure la moitié des 7,3 milliards de repas pris chaque année hors du foyer. Ce texte dispose que la restauration collective publique s'approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité à compter du premier janvier 2022. Sur ce point, je regrette que l'objectif d'atteindre 20 % de produits issus de l'agriculture biologique d'ici 2022 ne figure plus dans le texte.
Enfin, le projet de loi propose de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 du projet de loi ont donc pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d'un diagnostic obligatoire et d'étendre à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire le don alimentaire.
Je serai attentif à vos propositions pour améliorer le texte. Il s'agit de nous inscrire résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes - du producteur au consommateur - que l'environnement dans lequel ils évoluent.
Construire une trajectoire pour tirer notre agriculture vers le haut, par l'innovation, par l'investissement, par la montée en gamme, par la confiance, c'est lui donner toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation.
Avec le président de la République et le Premier Ministre, nous voulons refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société pour leur redonner la fierté de leur travail et redonner à la France la fierté de son agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE) Plusieurs mois après la conclusion des États généraux de l'alimentation qui ont suscité beaucoup d'espérance, l'heure est venue d'examiner le projet de loi qui en résulte. Il prévoit de réévaluer les revenus des agriculteurs, ce qui est légitime. Pour assurer la survie de notre agriculture, il faut rendre le métier de paysan suffisamment attractif.
Monsieur le Ministre, soyez sûr de trouver notre soutien dès qu'il s'agira d'assurer une rémunération correcte des agriculteurs actifs ou retraités. (On approuve sur de nombreux bancs.)
Cependant, ce projet de loi prend le risque immense de ne rien changer pour nos agriculteurs. Après tant de promesses semées par le président de la République, je crains que la récolte soit décevante.
Il est à craindre que 40 % seulement des agriculteurs soient concernés par le texte puisque la contractualisation ne concerne pas la majorité des filières. Le projet de loi porte aussi seulement sur le prix, qui n'est qu'une composante. La hausse des revenus agricoles prévue dont il est question ne prend pas en compte les charges, ni le combat qui semble perdu par la France dans la négociation du budget de la PAC (M. le ministre le conteste.)
Après l'examen de l'Assemblée nationale, nous avons davantage affaire à un projet de loi alimentaire et non agricole. Les agriculteurs ont l'impression d'être les oubliés de leur propre projet de loi !
On parle beaucoup d'alimentation saine et durable. Mais c'est depuis des milliers d'années que les agriculteurs améliorent leurs techniques, au point de produire une alimentation tellement abondante et peu chère qu'on a tendance à oublier leurs efforts pour la produire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
J'ai de la peine à comprendre les orientations privilégiées par le président de la République, qui dit un peu tout et son contraire. (On en convient à droite.)
Je suis favorable au seuil de revente à perte (SRP) à plus 10 %. Cependant, s'il ne ruisselle pas comme prévu, il ne fera que gonfler les marges des producteurs.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Michel Raison, rapporteur. - Nous avons travaillé longtemps et n'avons que cinq minutes pour nous exprimer ! Dans les deux ans, nous réaliserons au Sénat un bilan de ce projet de loi.
La commission a instauré une saisine au fond du juge en cas d'échec de la médiation, mais elle a aussi imposé de motiver les écarts des distributeurs.
M. le président. - Il est grand temps de conclure !
M. Michel Raison, rapporteur. - Nous avons travaillé à produire un texte au plus proche des attentes de nos territoires en nous attachant à protéger le revenu des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques . - Notre alimentation sera durable et de qualité si nous avons encore demain des paysans pour la produire. (Approbations à droite) Les liens de causalité entre la première et la deuxième partie de ce texte sont évidents. N'y a-t-il pas une sorte de schizophrénie, Monsieur le Ministre, à augmenter les revenus des agriculteurs dans la première partie, pour leur créer des charges nouvelles dans les suivantes ?
Nous avons veillé à corriger cela au risque de reporter certains débats comme celui sur le bien-être animal. Par cohérence avec les États généraux de l'alimentation, nous avons recentré ce texte sur les agriculteurs.
Je regrette que le Gouvernement ait si souvent rétabli le texte de l'Assemblée nationale. La CMP semble déjà bien compromise. Nous espérons que les enrichissements du Sénat amélioreront le texte.
Je proposerai une plus grande structuration des filières professionnelles agricoles. La commission a ajouté des mesures en ce sens pour mieux promouvoir les appellations françaises, notamment dans le vin et le miel.
En matière de maltraitance animale, le texte de l'Assemblée nationale lui a paru satisfaisant avec des avancées comme la vidéosurveillance.
Sur les produits phytosanitaires, la commission a estimé qu'elle manquait d'informations et d'évaluation. Elle a évité tout surcoût de charges injustifié. Elle a souhaité l'émergence d'un conseil individuel pour éclairer l'exploitant sur l'usage des produits phytosanitaires. Toutes les initiatives favorisant l'usage des produits alternatifs sont encouragées.
Les progrès technologiques et l'agriculture de précision sont des opportunités à développer.
En matière d'énergie la commission a consolidé le droit à l'injection de biogaz dans un périmètre éloigné d'un méthaniseur.
La commission a souhaité ne pas déséquilibrer une agriculture française encore en quête de compétitivité dans un contexte très concurrentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Au-delà des affrontements stériles entre les enjeux économiques, sanitaires et environnementaux, nous devons trouver des solutions pérennes en matière de qualité, de sécurité et de proximité. Nous devons aussi répondre aux attentes des agriculteurs.
La commission du développement durable s'est saisie des articles portant sur la restauration collective, le gaspillage alimentaire et les produits phytopharmaceutiques. Dans le texte de l'Assemblée nationale, nous avons distingué les propositions qui offriraient de réelles avancées, de celles qui ressortaient d'une posture politique.
Je déplore, Monsieur le Ministre, que le Gouvernement propose de revenir sur notre travail : c'est un signal inquiétant sur le peu d'attention que vous accordez au travail parlementaire et au bicamérisme. (Approbations à droite)
L'article 11 vise 50 % de produits de qualité dans la restauration collective publique dont 20 % issus de l'agriculture biologique. La commission des affaires économiques a supprimé ce dernier taux, c'est envoyer un mauvais signal alors que nos concitoyens attendent une telle mesure. Nous devons privilégier les produits bio d'origine française - les Chinois, eux, ne s'y sont pas trompés en investissant massivement dans ce domaine. Il faudra une volonté du Gouvernement pour atteindre un taux de 15 % de surfaces cultivées en bio.
Concernant les plastiques, notre commission a souhaité prévoir une évaluation scientifique des risques sanitaires liés à l'utilisation des contenants alimentaires dans les cantines et nous avons introduit une interdiction des pailles.
S'agissant de l'interdiction des bouteilles d'eau en plastique dans les cantines, de nombreux amendements de suppression ont été déposés. Nous aurons un débat sur ce point.
Nous avons adopté un amendement permettant au Parlement de saisir l'Anses pour bénéficier d'une expertise de qualité.
S'agissant du gaspillage alimentaire, nous avons validé l'utilisation des doggy bags pour ceux qui les demandent à l'établissement.
Nous avons poursuivi la logique de la loi sur la biodiversité en ce qui concerne les produits phytopharmaceutiques... Les préfets pourront encadrer l'usage de ces produits à proximité des zones habitées.
L'avenir de notre agriculture et de notre alimentation est l'affaire de tous.
J'espère que nos débats seront constructifs pour des réponses crédibles mais ambitieuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Pierre Decool . - Nous n'héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants, écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Ces prochains jours, l'hémicycle sera le terreau de discussions passionnantes soulevées par l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable, et accessible à tous.
Edgard Pisani voyait dans l'agriculture l'expression de l'état d'une société. Elle est la traduction du rapport entre l'homme et la terre. Elle est plus que la partie d'un ensemble. Elle concerne l'économie, le social, le sanitaire. C'est un sujet politique, un catalyseur de toutes les divergences.
Je suis certain que nous ferons preuve de bienveillance dans ce débat pour adapter l'agriculture aux évolutions de la société tout en maintenant sa qualité.
La guerre des prix que se livrent les distributeurs depuis 2013 fragilise l'ensemble de la filière.
D'où un certain nombre de dispositions pour mettre fin à ces luttes entre ces gens qui savent le prix de tout mais ne connaissent la valeur de rien, pour reprendre le mot d'Oscar Wilde.
J'avais déposé en 2015 à l'Assemblée nationale une proposition de loi contre le gaspillage alimentaire. Je vous proposerai un amendement dans le même sens.
Sans tomber dans une information anxiogène, les pouvoirs publics doivent donner à nos concitoyens les moyens de décider de ce qu'ils mangent.
D'où l'importance de développer la transparence.
Pour lutter contre cette boîte noire qu'est le bas de gamme, nous renforçons le lien entre le consommateur et le producteur.
Michel Serres a dit : j'enchante ce paysage qui me fait ; agriculture et paysage vont de pair. Nous proposons des mesures limitant l'artificialisation des sols et la déforestation.
En matière de bien-être animal, partons de ce principe : l'animal n'est pas une chose mais un être vivant, et les agriculteurs ne sont pas des assassins. Ne stigmatisons par le personnel des abattoirs. En 1970, un agriculteur nourrissait trois ou quatre personnes ; en 2010, l'agriculteur en nourrissait une centaine. Nous avons besoin de toute l'agriculture du monde. Il faudra aussi une stratégie de gestion de l'eau, élément indispensable.
L'agriculture est une science vieille de 10 000 ans, et elle n'a pas fini d'évoluer. Si nous devons libérer l'innovation, moteur de changement, il nous faut aussi prévoir les transitions pour que la révolution agricole à venir soit la plus acceptable possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et UC)
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Notre agriculture est pourvoyeuse de milliers d'emplois et garante de notre indépendance alimentaire. Elle est soumise à de nombreux aléas. D'où la nécessité de la protéger.
Les États généraux de l'alimentation ont rassemblé tous les acteurs et ont fait naître ce projet de loi qui suscite beaucoup d'attentes notamment sur l'équilibre des relations commerciales. Les agriculteurs ne peuvent pas être les variables de la guerre des prix.
Nous devons faire qu'ils puissent vivre dignement de leur travail : construction du prix autour d'indicateurs, hausse du seuil de revente à perte (SRP) telles sont les mesures du titre I. Il faudra aussi prendre en compte la concentration des centrales d'achat et l'organisation insuffisante des producteurs.
Le projet de loi s'attache à répondre aux attentes des consommateurs. Nous souscrivons à une restauration collective de qualité garantissant la production locale.
Le groupe RDSE est favorable à une réduction des produits phytosanitaires pourvu qu'il existe des alternatives et que les agriculteurs aient du temps pour s'adapter. Le groupe RDSE est sensible au bien-être animal tant que l'on ne crée pas des normes impossibles pour nos agriculteurs. (Mme Françoise Gatel approuve.)
Ce texte n'est qu'une facette de la politique publique agricole. Le Sénat doit se mobiliser pour maintenir des conditions essentielles à la vitalité de nos exploitations. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)
M. François Patriat . - Depuis des décennies, les agriculteurs revendiquent de vivre de leur travail et non de subventions. Ce projet de loi porte une ambition forte pour une agriculture dynamique et innovante. Les objectifs sont difficiles à atteindre mais nous tentons de le faire.
Les revenus de l'agriculture ont baissé. Il faut inverser le rapport de force dans les négociations commerciales et placer les interprofessions devant leurs responsabilités.
Le titre II crée une véritable éthique de l'alimentation. Malheureusement, le projet de loi a été dénaturé par notre commission des affaires économiques. Celle-ci remet en cause l'esprit du texte qui est de responsabiliser les acteurs. Les interprofessions doivent jouer un rôle essentiel, notamment sur la formation des prix.
L'assouplissement sur le bio envoie un mauvais signal. Nous avons réussi à être ambitieux, en Bourgogne, avec la mesure « Bien dans mon assiette. » : il nous a fallu des années pour faire changer les habitudes, pourquoi ne pas tenter l'expérience à une échelle plus large ?
Que voulons-nous pour nos agriculteurs ? Une loi timorée qui ne remet pas en cause notre modèle ? Voulez-vous des débats enflammés qui toutefois ne fassent pas avancer les choses ? L'esprit de la loi ne fera pas tout. Le Gouvernement prévoit d'autres mesures, mais la réforme doit offrir des solutions de court, moyen et long terme pour que les agriculteurs reprennent en main leur destin.
Monsieur le Ministre, je vous félicite de votre combat pour défendre la PAC. Allons vers un régime assurantiel obligatoire pour les agriculteurs face aux calamités climatiques. Pour cela, il faut que l'Europe nous aide. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - Longtemps évoquée comme un phénomène urbain, la précarité, la pauvreté et l'exclusion sociale sont fortes dans la ruralité : on dénombre 24,6 % de ménages pauvres chez les agriculteurs et salariés agricoles.
Au nom de la concurrence libre et non faussée, on a fait disparaître les mécanismes de régulation des prix et des productions. Les agriculteurs et les consommateurs sont devenus une variable d'ajustement dans une guerre des prix féroce entre grande distribution et les groupes industriels agroalimentaires, qui fragilise tout le monde.
Il y a dix ans, nous nous opposions à la libéralisation des relations commerciales. À l'époque, nous dénoncions une contractualisation qui ne pouvait être gagnante en raison du déséquilibre du rapport de force entre les parties. Nous proposions l'identification claire des marges de chacun et une meilleure information du consommateur. Mais aucune de nos propositions n?a été acceptée. Depuis, les distributeurs ont su s'adapter aux nouvelles contraintes imposées par le législateur et le rapport de forces n'a pas changé.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui n'échappe pas à la règle. En outre, il est très en deçà des attentes des agriculteurs.
Les retraités agricoles attendent toujours la revalorisation de leurs pensions ; beaucoup vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Il est étonnant de voir tant de girouettes. Certes, il y a la reconnaissance de la nécessité d'indicateurs plus fiables, mais le refus que ces indicateurs soient publics. Certes, le rôle du médiateur des relations commerciales est renforcé, mais la médiation privée reste possible. Certes, l'Office d'évaluation des prix et des marges est créé, mais le travail est inachevé. Certes, nous notons le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires mais cette mesure va-t-elle ruisseler jusqu'au producteur ? Si l'espoir fait vivre, il ne modifie en rien les rapports de forces.
Ce texte ne changera rien ou presque car il s'inscrit dans un modèle économique qui favorise le plus fort. Nous défendrons notamment l'interdiction de la vente à perte, l'instauration d'un prix plancher et d'un revenu minimum paysan, un encadrement des marges des distributeurs en cas de crise.
Le volet alimentation portait diverses promesses mais pourquoi ne pas avoir prévu une loi uniquement dédiée à cette problématique ?
Les mesures que la commission économique a supprimées étaient nécessaires pour réorienter notre modèle de production et protéger la santé de nos concitoyens.
Nous sommes très loin des conclusions des États généraux de l'alimentation, pour une alimentation saine, durable et accessible à tous. C'est une trahison. Le groupe CRCE ne votera pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je salue l'organisation des États généraux de l'alimentation qui ont mis tous les acteurs du monde agricole autour d'une même table.
Monsieur le Ministre, vous avez développé trois axes lors de la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres : souveraineté alimentaire, ce qui devrait permettre aux agriculteurs de pouvoir vivre demain de leur métier. Alimentation pour une meilleure santé, réduction des inégalités d'accès à une alimentation saine et durable : ainsi serait poursuivie l'action de Stéphane Le Foll avec la promotion de l'agro-écologie qui doit devenir un modèle agricole.
Le prix devra couvrir le coût de revient, sous le contrôle de l'Observatoire des prix et des marges car les coûts de production peuvent varier dans une même filière d'une région à l'autre. Les organisations professionnelles doivent être suffisamment représentatives pour pouvoir négocier avec les transformateurs et les distributeurs. Nous proposerons le développement des contrats tripartites. L'encadrement des promotions est une bonne chose, comme le relèvement du seuil de vente à perte fixé à 10 %.
La responsabilité de la grande distribution est grande. Elle a mis à genoux notre agriculture et elle n'hésitera pas à importer de la marchandise à moindre coût et à poursuivre ses pratiques. Nous voulons le juste prix pour tous, de l'agriculteur au consommateur. Je m'interroge sur la réelle volonté de la grande distribution d'aller dans votre sens. Nous sommes d'accord avec vous sur les dispositions relatives à la restauration collective. Nous nous félicitons aussi de la réintroduction de 20 % de bio. L'approvisionnement local est une volonté sociétale forte.
En matière de produits phytosanitaires, nous sommes favorables à la séparation des activités de conseil et de vente même si cela coûtera aux agriculteurs.
L'interdiction des remises et rabais n'aura aucun effet sur les épandages.
La réciprocité des normes de production et de qualité est un sujet polémique. Je vous renvoie à la proposition de résolution sur la PAC que nous avons récemment votée.
Nous devons favoriser une agriculture saine et durable. C'est ce que les agriculteurs veulent, mais ils veulent aussi disposer des mêmes armes que les autres. Monsieur le Ministre, battez-vous à l'échelon européen pour préserver le budget de la PAC mais aussi pour imposer les mêmes normes à nos voisins.
Dessinons ensemble l'agriculture durable que nous voulons, avec nos partenaires. Sans quoi nous importons des animaux et des produits dont nous ne savons rien. Il faut une traçabilité parfaite et un étiquetage précis.
Faisons confiance à nos agriculteurs. Ils veulent juste vivre dignement de leur métier. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue nos trois rapporteurs et Mme la présidente de la commission des affaires économiques qui ont mené un travail remarquable d'auditions.
Monsieur le Ministre, je suis marqué par votre usage à quatre reprises de l'expression « alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous ». C'est ce à quoi se sont employés les agriculteurs et vos services qui, depuis longtemps, sont convaincus de cette nécessité.
Il y a soixante et un ans, la France a signé le Traité de Rome, dans lequel on affirmait aux paysans européens : produisez, nous vous garantirons un prix conforme à la moyenne des six pays. Les agriculteurs ont tenu leurs engagements, mais les prix ont baissé.
Travailler sur le titre I n'était pas simple : le revenu d'un agriculteur est fait de recettes et de dépenses. Or, dans ce projet de loi, la colonne des dépenses a été alourdie, pas celle des revenus. Il y a un sacré décalage entre la volonté affichée et la réalité.
M. François Bonhomme. - C'est juste !
M. Daniel Gremillet. - On trahit les agriculteurs, mais aussi les consommateurs. Les produits importés n'ont rien à voir avec ceux de nos agriculteurs.
Le débat sur le bio est un faux débat. Des crises sanitaires, il y en a eu et il y en aura, quel que soit le système agricole, même avec le bio, parce que l'on travaille avec du vivant.
Aujourd'hui, les agriculteurs ne sont pas protégés des aléas climatiques et des variations des prix internationaux. C'est absent du texte.
On aurait souhaité un projet de loi qui donne envie aux jeunes de travailler dans l'agriculture. La contradiction entre les discours du président de la République de Rungis et de la Sorbonne est terrible.
Or la confiance ne se décrète pas mais se conquiert. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Férat . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les agriculteurs s'attendaient à un texte fondateur, novateur, consensuel. Cela aurait dû être le grand soir pour nos agriculteurs. Finalement, tout ça pour ça ? La désillusion est cruelle.
Il aurait fallu éviter toute surtransposition des normes communautaires, comme s'y était engagé le président de la République. Il aurait fallu aussi, avant toute interdiction de produits phytosanitaires, s'assurer de l'existence d'une solution de rechange. Nous attendions aussi la reconnaissance des améliorations déjà apportées spontanément par les agriculteurs.
Ces initiatives font évoluer leurs métiers afin de protéger l'environnement, les milieux naturels et la santé des consommateurs.
Évoquons les solutions volontaires avancées par la filière agricole : les agriculteurs répondent aux évolutions sociétales par un contrat de solutions associant une trentaine d'associations et intégrant toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Ce contrat sort des interdits et porte plus de 250 solutions d'avenir : numérique, innovations techniques pour les pulvérisations et la mécanisation. L'État doit s'engager sur ce contrat avec la profession qui doit être gagnant pour toutes les parties. Êtes-vous prêt à vous engager ?
Je regrette que les produits importés ne soient pas soumis aux mêmes contraintes que les produits français.
Les États généraux de l'alimentation ont donné beaucoup d'espoir. Ce projet de loi n'est pas un texte agricole mais il aura un impact sur la profession.
J'ai peur que la déception ne soit à la hauteur des espoirs suscités. Vous avez évoqué l'esprit de conquête, Monsieur le Ministre : chiche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Joël Labbé . - (Exclamations à droite) Merci à mon groupe RDSE de permettre l'expression écologiste.
Comme beaucoup, je suis convaincu de la nécessité de changer de modèle, de préparer l'après-pesticide, produits qui sont nuisibles à la santé et nocifs pour la biodiversité, notamment pour les abeilles. Mes positions ne sont ni idéologiques, ni dogmatiques. Elles s'appuient sur le non-pesticide et la promotion des agricultures vertueuses, comme l'agro-écologie.
Le texte de la commission des affaires économiques est décevant. J'espère que nos débats en séance permettront d'en revenir au niveau d'exigence de l'Assemblée nationale. Je croyais des retours en arrière impossibles, et pourtant vous revenez sur la loi Labbé. J'espère qu'il n'en sera rien.
Ce texte ne suffira pas à fixer des perspectives pour l'agriculture et l'alimentation : une planification pluriannuelle s'impose.
Si j'étais ministre de l'agriculture... (Rires et exclamations à droite), je sortirais des pesticides, je soutiendrais la polyculture-élevage, je réintroduirais les ceintures maraîchères autour des centres urbains. Je soutiendrais la relocalisation de l'alimentation française avec des circuits courts. J'orienterais les recherches de l'INRA vers des alternatives vertueuses, j'agirais au niveau de l'Union européenne et de l'OMC pour une meilleure régulation des marchés agricoles. C'est un nouveau contrat de société dont nous avons besoin. Mais je ne suis pas ministre... (Sourires) Je demanderai des scrutins publics sur les points importants.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Joël Labbé. - Un moment de poésie pour conclure : nous devons continuer à offrir des printemps joyeux et réenchantés aux nouvelles générations, pas des printemps de plus en plus silencieux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Notre agriculture a été durant des décennies une activité économique à part entière et elle a permis de nourrir notre population avec une alimentation qui est la plus saine et la plus sûre au monde.
M. Bruno Sido. - C'est vrai !
M. Laurent Duplomb. - Pourtant, à cause de quelques craintes relayées par des médias friands de nouvelles sensationnelles, un vent mauvais souffle sur notre agriculture qui est la cible de toutes les attaques, à commencer par celles des passéistes, qui souhaiteraient revenir à l'agriculture des années 50, sans rogner sur leur confort toutefois ni sur leur pouvoir d'achat. N'oublions pas que 12 % du pouvoir d'achat est aujourd'hui consacré à l'alimentation alors que dans les années 1950, c'était plus de 40 % !
L'agriculture subit aussi les attaques de tous les fanatiques de l'écologie punitive qui par leur dogmatisme la conduisent à sa perte et favorise des importations massives de produits dont on ne sait rien de leur production.
L'agriculture subit aussi des attaques de politiques qui, par peur, cèdent aux vindictes des vegans, des anti-viandes, et des altermondialistes... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Avec l'arrivée d'un président tout neuf, les agriculteurs, blessés dans leur chair, ont cru à la bonne parole de Rungis. Ils ont participé aux États généraux de l'alimentation, car il est dans leurs gènes de croire que demain sera mieux qu'aujourd'hui, de continuer à semer en dépit des aléas climatiques.
Aujourd'hui, que reste-t-il de cet espoir ? Rien. C'est un vrai gâchis. Vous n'avez pas su tenir vos troupes à l'Assemblée nationale : 2 700 amendements et 76 heures de défouloir où tout y est passé : caricatures, clichés, lieux communs, préjugés allant jusqu'à un obscurantisme digne du Moyen Âge. Le titre II en est un exemple criant : contraintes et charges supplémentaires pour les exploitants.
L'agriculture avait besoin d'une grande loi : le résultat est faible, insuffisant pour protéger les agriculteurs dans la compétition mondiale. Les agriculteurs n'avaient pas besoin d'une loi de punition et d'illusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Louault . - Comme agriculteur, sans doute pas aussi passionné que M. Duplomb, je voudrais faire un bilan de ce texte.
Je partage vos objectifs, Monsieur le Ministre : l'agriculture a besoin d'un électrochoc et d'être accompagnée. Toutefois, vous oubliez que la moitié des agriculteurs gagne la moitié du SMIC, que l'agriculture est un secteur ouvert à la mondialisation - les éleveurs bretons préfèrent acheter du blé ukrainien ou du soja d'Amérique du sud pour engraisser leurs porcs - que les consommateurs préféreront les prix les moins chers. Ainsi, nous avons perdu notre suprématie pour le poulet, avec 60 % d'importations.
Une alimentation saine et durable ? Notre agriculture doit continuer à progresser. Je ne ferai pas le procès du bio. Celui-ci mérite sa place, mais le bio mondial ne vaut pas toujours le conventionnel français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel, MM. Michel Canevet et Didier Guillaume applaudissent également.) Soyons prudents : mettons du bio français ou européen dans les cantines, mais pas de n'importe où !
Notre agriculture a perdu en compétitivité. Nos voisins arrivent à produire moins cher, en dépit des contraintes européennes. Ce texte ne prend pas en compte les productions para-agricoles ni la méthanisation. C'est une erreur.
En un siècle, les agriculteurs sont passés de 10 millions à 250 000. Pourtant, ils nourrissent 60 millions de Français. Et cependant, ils sont sans cesse humiliés, maltraités et souvent persécutés par les bien-pensants. Chaque année, 400 d'entre eux se mettent la corde au cou dans l'indifférence générale.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - C'est vrai !
M. Pierre Louault. - Le paysan est le grand oublié de cette loi. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur divers bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Bonnefoy . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je concentrerai mon propos sur le fonds d'indemnisation pour les victimes de produits phytopharmaceutiques, à commencer par les agriculteurs. Le 1er février, le Sénat a voté une proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation financé par les firmes elles-mêmes. Une mission interministérielle du CGAAER, de l'IGAS et de l'IGF avait été créée. Ses conclusions, rendues en janvier, sont édifiantes : la branche AT-MP agricole, géré par la MSA, ne prend que très partiellement en charge les victimes des produits phytopharmaceutiques. Peu de victimes sont indemnisées - un millier - car le lien de causalité est difficile à établir. Or les victimes potentielles se monteraient à environ 10 000 personnes sur dix ans : deux-tiers pour la maladie de Parkinson et un tiers de leucémies et de lymphomes.
M. le ministre préfère adapter le régime AT-MP pour mieux prendre en charge les victimes plutôt que de créer un fonds d'indemnisation. Pourtant, après le rapport de la mission d'information sénatoriale de 2012, le rapport d'expertise de l'Inserm de 2013 et celui de janvier 2018 de l'IGAS, il serait temps de réparer la souffrance des victimes. Elles attendent la création de ce fonds dans cette loi. Ce sera l'objet d'un de mes amendements. J'espère que vous le voterez, car la santé n'a pas de prix ni de couleur politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)
M. Pierre Cuypers . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Déception et amertume, c'est ce que ressent le monde agricole. Certes, il n'était pas facile d'être à la hauteur des États généraux de l'alimentation, mais nous sommes loin des promesses du président de la République.
Un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois et le prix du lait stagne autour de 330 euros par tonne. L'agriculture souffre d'une crise structurelle dévastatrice. Ce texte entend tout régler par la contractualisation.
Soit, mais sans régulation des marchés au niveau européen, la situation ne changera pas, en dépit de la hausse du seuil de revente à perte. Mieux vaudrait baisser les charges sociales.
Un plan agro-écologique sera nécessaire, mais pas suffisant. Les usages non alimentaires des biocarburants peuvent être une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs.
Les biocarburants sont créateurs d'emplois, et contribuent à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le Gouvernement fait preuve d'un attentisme incompréhensible, autorisant même l'importation d'huile de palme... Voilà sept mois que les mesures anti-dumping n'ont pas été mises en place à l'usine de la Mède. Ce n'est pas digne ! Est-ce ainsi que le Gouvernement entend remercier les agriculteurs qui font des efforts ?
Enfin, je veux remercier notre commission des affaires économiques et sa présidente qui a accepté mon amendement sur la valorisation de certains résidus agricoles pour produire de l'éthanol, conformément aux recommandations de l'Union européenne.
Monsieur le Ministre, vous ne nous écoutez pas. Avez-vous conscience du hiatus entre le texte et les attentes du monde agricole ?
M. le président. - Veuillez conclure, votre temps de parole est largement dépassé !
M. Pierre Cuypers. - Ce projet de loi est un marché de dupes. Je ne conseille pas à nos enfants de devenir agriculteur ; c'est un métier désormais trop dur.
M. Didier Guillaume. - C'est le cas de beaucoup de métiers.
M. Pierre Cuypers. - La balle est dans le camp du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. le président. - Je demande à tous les intervenants de respecter leur temps de parole.
M. Stéphane Travert, ministre . - Monsieur Cuypers, j'ai écouté avec attention tout le monde, au cours de cette discussion générale, même si elle fut parfois un peu mouvementée ! Nous voulons tous soutenir notre agriculture : c'est l'ambition de ce texte qui vise à garantir le revenu des agriculteurs et à promouvoir une alimentation sûre, saine et durable. Cela ne signifie pas que rien n'a été fait avant mais nous devons monter en gamme pour gagner en compétitivité et pour assurer demain à nos agriculteurs des débouchés et des revenus nécessaires.
J'ai entendu dire que le texte ne parlait ni du foncier, ni de la PAC, ni de la fiscalité. Mais bien évidemment, nous travaillons sur l'ensemble des sujets de fond.
Avec Bruno Le Maire, nous avons mis en place un groupe de travail rassemblant entre autres onze députés et onze sénateurs sur la fiscalité agricole, qui sera débattue lors du prochain projet de loi de finances.
Quant à la PAC, nous nous battons pour un budget ambitieux au niveau européen. C'est une des exigences fortes que nous portons. Dès le 2 mai, lorsque la Commission a publié l'avis budgétaire, la France a dit que ce budget était inacceptable. Avec les six pays du groupe de Madrid, puis les quatorze autres membres qui nous ont rejoints au Luxembourg, nous avons présenté le mémorandum pour cette PAC ambitieuse. J'ai pu porter en votre nom la proposition de résolution européenne que le Sénat a votée il y a quelques temps, pour défendre nos objectifs.
On demande beaucoup d'efforts aux agriculteurs. Et la PAC leur enlèverait les moyens de réaliser ces efforts alors même que grâce au titre I du projet de loi nous tentons d'améliorer leurs revenus ? Ce n'est pas possible.
Les retraites agricoles ont fait l'objet d'un débat au Sénat. Nous travaillons à la réforme des retraites avec Mme Buzyn et M. Delevoye. Nous resterons vigilants au sujet des retraites agricoles.
Nous souhaitons avoir une politique agricole commune cohérente avec la politique de la concurrence et la politique commerciale européenne : il en va de la réussite de notre agriculture. La réponse doit être européenne - j'étais hier soir avec mon homologue allemande. Il y va de notre politique et de notre capacité à résoudre ensemble les problèmes de distorsion de concurrence.
Nous souhaitons poursuivre l'expérimentation remarquable lancée par M. Le Foll sur l'étiquetage et l'étendre à d'autres produits que le lait et la viande. Cela contribuera à éviter les distorsions de concurrence.
Je sais le travail que vous avez réalisé sur le fonds phyto. Il nous faut avancer sur l'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Je suis sûr que nous pouvons nous rejoindre pour relever le défi.
Joël Labbé parlait de printemps qui chante. Je souhaite que l'agriculture connaisse un printemps heureux. Ne sous-estimez pas la capacité de notre agriculture à se transformer, à répondre aux défis de la mondialisation et de la concurrence internationale, à investir et innover pour aller vers des modèles plus durables et compétitifs.
Des désaccords subsistent sur certains points mais je ne doute pas que nous aurons l'intelligence collective pour sortir de nos débats avec un texte équilibré au service de nos modèles agricoles qui donne à nos agriculteurs des outils à la hauteur de leurs attentes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE.)
M. Didier Guillaume. - Très bien.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier
M. le président. - Amendement n°41, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du II de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l'atteinte des finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d'un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre ...
Dispositions générales relatives à la politique agricole française
Mme Cécile Cukierman. - En écho aux modifications apportées en commission à l'article 11 undecies, cet amendement instaure une exception pour le secteur agricole lors des négociations d'accords de libre-échange, sur le modèle de l'exception culturelle. Dans une tribune de 2016, plusieurs personnalités, dont l'actuel ministre de la transition écologique et solidaire, demandaient déjà la reconnaissance d'une telle exception dans les échanges internationaux.
La nourriture est un besoin humain et notre souveraineté alimentaire n'est pas une monnaie d'échange. Il nous faut relever les défis climatiques et alimentaires pour préserver notre planète. Or les nouveaux traités bilatéraux comme le CETA favorisent l'abaissement des normes sociales, sanitaires et environnementales.
Dans le Mercosur, le bétail est nourri aux OGM et l'utilisation du glyphosate n'est pas réglementée. Comment rivaliser, sauf au prix de la qualité et de l'éthique ?
En Nouvelle-Zélande et Australie, décontamination chimique des carcasses et hormones de croissances sont autorisées, et la traçabilité moindre rend les contrôles difficiles. Les possibilités très limitées d'export vers ces pays renforcent le déséquilibre.
Ce projet de loi est en totale contradiction avec ces traités. Nous devons nous prémunir de ces risques pour préserver une agriculture paysanne et une alimentation de qualité.
M. le président. - Amendement n°96 rectifié sexies, présenté par MM. Decool, Bignon, Chasseing, Fouché, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot, MM. Wattebled, Capus, Vogel et Paul, Mme Goy-Chavent et MM. Adnot, Daubresse et Moga.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du II de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l'atteinte des finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d'un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
M. Jean-Pierre Decool. - Au vu des engagements de la France à lutter contre le changement climatique et au nom de la défense de notre souveraineté alimentaire, cet amendement entend reconnaître une exception agriculturelle dans les échanges internationaux. Cela déverrouillerait les négociations des autres volets commerciaux des traités multilatéraux, aujourd'hui enrayées par des accords bilatéraux.
M. le président. - Amendement identique n°465 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Arnell, Artano, Guillaume et Vall.
M. Didier Guillaume. - La PAC a été la première et la seule politique intégrée en Europe. Elle a permis le développement de notre agriculture, le maintien des revenus et favorisé les convergences entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe. Après la guerre, c'est grâce à l'agriculture française productiviste que l'Europe a pu se nourrir et se reconstruire.
Les évolutions de la PAC ont été terribles. C'est que l'Union européenne est une fédération d'États-nation... Les quotas laitiers ont été instaurés, puis supprimés ; les accords du Luxembourg remis en cause. Lors des dernières négociations, François Hollande et Stéphane Le Foll ont arraché une PAC à 9,7 milliards d'euros : un coup de maître, et le discours de Cournon d'Auvergne a été salué à juste titre. La France a été la seule à obtenir autant. Cela sera difficile à reproduire.
La réaction de la France à la réunion de Madrid a été magistrale. Ne pas accepter une réduction de 20 % à 30 % du budget de la PAC, c'est défendre les agriculteurs. Tous les groupes de la Haute Assemblée devraient se retrouver pour voter une exception agricole à l'image de l'exception culturelle, pour l'avenir de nos agriculteurs !
M. le président. - Amendement n°533 rectifié bis, présenté par M. Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa du I de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Compte tenu de la nature particulière de l'agriculture au regard des enjeux relatifs à la souveraineté alimentaire, à la sécurité des consommateurs, à la qualité de notre alimentation et à la préservation de l'environnement, la France promeut, dans les relations internationales, un traitement différencié par la reconnaissance d'une exception agri-culturelle dans les échanges commerciaux tant au sein de l'Union européenne que dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
M. Henri Cabanel. - La portée de cet amendement n'est pas que symbolique. L'agriculture n'est pas une marchandise lambda. Notre modèle agricole est unique, notre agriculture performante. Au siècle de la mondialisation et de la concurrence, il faut des garde-fous dans quelques secteurs stratégiques. L'agriculture est un marqueur culturel fort qu'il nous faut défendre, car elle nous renvoie à la question fondamentale de notre souveraineté alimentaire.
Dans les années 1980, la France obtenait la reconnaissance d'une exception culturelle. Il est temps d'en faire autant pour l'agriculture. On n'augmentera pas le revenu des agriculteurs sans traiter d'abord de la préservation de notre modèle face à la concurrence internationale. Ce projet de loi est l'occasion de poser quelques principes forts.
M. Michel Raison, rapporteur. - L'exception culturelle correspond à un ensemble de dispositions qui singularisent la culture dans les traités commerciaux, non dans la loi.
Les objectifs de la politique agricole énumérés à l'article 11 undecies incluent déjà l'indépendance alimentaire, la préservation de notre modèle agricole et l'exigence de réciprocité dans les accords de libre-échange.
Même si l'exception agriculturelle était instituée, nous ne serions pas exempts de négociation.
Enfin, n'oublions pas que la France exporte beaucoup : attention aux conséquences négatives du protectionnisme. Avis défavorable aux quatre amendements.
M. Stéphane Travert, ministre. - Le Gouvernement est mobilisé pour garantir l'équité entre les producteurs français et leurs concurrents européens.
Une exception agriculturelle française qui soustrairait la France au cadre multilatéral des traités nous exposerait à des sanctions de l'OMC, fermerait des débouchés importants à nos exploitants et nous priverait du cadre de régulation des échanges et de protection des standards internationaux. Avis défavorable.
M. Didier Guillaume. - Le temps passe et les administrations, sénatoriale ou agricole, répondent toujours la même chose. Ces réponses sont erronées.
Bien sûr que l'exception agricole se fera par les traités. Cependant, l'exception culturelle a commencé au Parlement. Ces amendements sont d'appel. Les parlementaires français doivent pouvoir dire qu'ils ne se feront pas tondre la laine sur le dos dans les prochaines négociations commerciales. Vous vous privez d'un étai, Monsieur le Ministre ! Vous auriez pu donner un avis de sagesse ou demander le retrait. La France a besoin du soutien du Parlement pour protéger son agriculture. Vous vous rappellerez de cet avis défavorable lorsque vous aurez à négocier la PAC : cet amendement vous aurait aidé !
M. Jean-Michel Houllegatte. - La façon dont un débat s'engage est souvent symptomatique de la suite. Nous avons ici l'occasion de l'entamer par le haut en reconnaissant que l'agriculture n'a pas qu'une dimension économique mais aussi sociale, environnementale, culturelle voire philosophique à en croire Brillat-Savarin : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ». (M. Didier Guillaume applaudit.)
M. Franck Montaugé. - La démarche qui nous est proposée me semble intéressante tout en me laissant dubitatif.
Ce texte instaure une forme d'économie mixte en mélangeant principes de libre-marché et économie administrée. Je m'interroge sur son efficacité sachant qu'en aval des filières, les plus gros pourront toujours s'affranchir des contraintes de ce texte.
Les évolutions de la PAC pourraient annihiler les effets positifs de ce texte.
Nous n'avons pas beaucoup avancé en matière de gestion des risques, malgré l'adoption unanime d'une proposition de loi sénatoriale il y a deux ans. Les textes existent ; reste à les mettre en oeuvre, notamment en ce qui concerne le risque économique.
Il y a 15 000 ans, c'est l'instauration de l'agriculture qui a donné un nouveau cours à notre civilisation. Nous devons aujourd'hui nous poser la question de la centralité de l'agriculture dans nos sociétés. L'exception agriculturelle reconnaît le fait civilisationnel majeur que constitue l'agriculture au XXIe siècle. (M. Henri Cabanel approuve.)
M. Laurent Duplomb. - Je suivrai l'avis du rapporteur. Notre modèle agricole français est fondé sur l'histoire et sur notre capacité à maintenir une agriculture de qualité partout sur le territoire français. Soutenons cette agriculture, défendons ses valeurs à Bruxelles.
Vous ne pouvez pas avoir un double discours : dire à Bruxelles que vous acceptez de baisser le budget de la PAC et le contraire ici !
M. Stéphane Travert, ministre. - Non !
M. Laurent Duplomb. - Le commissaire lui-même nous l'a dit, c'est dans les journaux !
M. Stéphane Travert, ministre. - Dans Politico !
M. Laurent Duplomb. - Ce double discours revient à nous livrer en pâture au commerce mondial. L'essentiel, c'est d'abord de défendre le modèle français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
L'amendement n°41 n'est pas adopté.
Les amendements identiques nos96 rectifié sexies et 465 rectifié bis ne sont pas adoptés.
L'amendement n°533 rectifié bis n'est pas adopté.
La séance est suspendue à 20 h 15.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 21 h 45.