Nouveau pacte ferroviaire (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire.

Discussion des articles (Suite)

Article 1er A (Suite)

M. le président.  - Nous en sommes parvenus au vote sur chacun des 36 amendements présentés en discussion commune hier soir. Commission et Gouvernement ont déjà donné leurs avis. Je précise que nous avons déjà reçu des demandes de scrutins publics sur les amendements nos232, 3 rectifié octies, 23, 35, 77 et 78.

M. Fabien Gay.  - Épisode trois... Madame la Ministre, je ne comprends toujours pas pourquoi l'on transforme les trois EPIC en société anonyme. L'Union européenne ne le demande pas, les usagers non plus - ils demandent des trains qui arrivent à l'heure, des investissements pour les trains du quotidien. Les cheminots sont massivement opposés à ce changement de statut. Seul Guillaume Pepy y est favorable : c'était déjà son projet, contrarié, lors de la réforme de 2014.

Nous vous avons fourni de nombreux exemples de passages en société anonyme comportant une part de privatisation, à l'instar d'Engie.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Fabien Gay.  - La politique libérale de votre Gouvernement s'illustre dans de nombreux domaines : l'apprentissage, la formation professionnelle seront bientôt livrés aux appétits du privé. Pourquoi cette transformation en société anonyme, sinon pour préparer la privatisation ?

L'amendement n°68 n'est pas adopté.

M. Olivier Jacquin.  - Notre amendement n°232 est plus nuancé car nous jugeons bienvenu de placer Gares et Connexions sous SNCF Réseau. On ne peut pas dissocier le train du rail qui le porte.

Le changement de statut n'apportera pas grand-chose, sinon peut-être un meilleur contrôle par la holding de tête, et ne sera pas favorable à l'emprunt. Dans la perspective d'une privatisation, demain ou après-demain, le statut d'EPIC est plus à même de préserver le domaine public et de donner un nouvel élan à notre belle et grande entreprise publique.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°232 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°108 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 92
Contre 250

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Fabien Gay.  - Épisode quatre : si l'on acte un passage en SA, la question de la dette se posera. Vous nous direz que vous en reprenez une partie. Cependant, le passage en SA dégradera cette dette puisque l'État n'étant plus là pour garantir les taux d'intérêts, ils augmenteront. À un moment, on dira qu'il n'y a plus d'argent pour investir, et il faudra faire appel à une société privée - c'est le modèle Engie - puis demander aux cheminotes et cheminots de faire des gains de productivité pour réduire les coûts, donc s'attaquer au statut.

Est-ce votre volonté politique ? Est-ce le scénario que vous préparez ? Peut-être même avant 2022 ? Il va falloir répondre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.  - Un peu de sérieux, le sujet le mérite. Nous reprenons 35 milliards d'euros de dette, c'est historique. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)

Nous investissons plus que jamais dans le ferroviaire. La loi donne toutes les garanties sur le caractère public de la SNCF. Pourquoi faites-vous circuler des contre-vérités de nature à inquiéter des cheminots au moment où le Gouvernement leur envoie un message de confiance ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Républicains et UC)

L'amendement n°69 n'est pas adopté.

M. Guillaume Gontard.  - Nous n'avons toujours pas obtenu de réponse. Si le sujet de la dette est aussi important que vous le dites, pourquoi n'a-t-il surgi dans le débat que vendredi dernier, lors des annonces du Premier ministre ?

Mme Laurence Cohen.  - Madame la Ministre, vous parlez de contre-vérités, alors que vous nous assénez des affirmations sans arguments. Dans les nombreux exemples étrangers que nous vous avons cités, le scénario est toujours le même : privatisation et dégradation du service public. (Mme la ministre s'exclame.)

La dette ? C'est un faux prétexte. Pour avoir longtemps siégé au syndicat des transports d'Île-de-France, je connais l'ampleur du sous-investissement. La situation s'est dégradée du fait du désengagement de l'État. C'est un devoir de l'État, non une bonne action que d'investir dans le matériel roulant et l'entretien des voies, y compris sur les « petites » lignes qui desservent notre territoire. Quand on porte une réforme, il faut l'assumer et aller au bout de sa logique. La vôtre, c'est la casse du service public. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - 35 milliards d'euros !

M. Claude Bérit-Débat.  - On ne peut que se féliciter que le Gouvernement reprenne une partie de la dette de la SNCF, 35 milliards d'euros en deux fois. En 2014, notre déficit budgétaire dépassait les 5 % ; il a été ramené en deçà des 3 % grâce aux efforts du précédent gouvernement, ce qui permet aujourd'hui à l'État de reprendre cette dette sans dégrader ses comptes. Nous attendons des précisions sur les modalités. Les syndicats allemands nous ont indiqué que même si la dette de l'entreprise ferroviaire avait été reprise par l'État, elle était repartie à la hausse...

Mme Éliane Assassi.  - Madame la Ministre, cessez de dire que nous inquiéterions les cheminots. Ils connaissent parfaitement votre stratégie libérale : on investit pour mieux privatiser ensuite ! Ils l'ont vu pour les autoroutes, pour Aéroports de Paris... Ils connaissent cette réalité et craignent que ce soit l'avenir de leur entreprise.

M. Fabien Gay.  - Épisode cinq. Comme nombre de mes collègues, je suis un usager quotidien du RER B. Je le prends au Blanc-Mesnil, Mme Assassi à Drancy, M. Ouzoulias - un privilégié ! - le prend côté sud. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

Vous le savez, il fonctionne très mal.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - C'est vous qui le dites.

M. Fabien Gay.  - La transformation en SA améliorera-t-elle le quotidien des usagers ? L'urgence, c'est d'investir 300 millions dans le matériel roulant, 3 milliards pour doubler le tunnel à Châtelet. Il faut aussi investir sur la ceinture Mitry-Claye-Charles de Gaulle, rehausser les ponts au sud pour des rames à double étage...

La transformation en SA ne règlera pas ces problèmes, elle a donc d'autres motivations.

Vous nous accusez d'attiser les inquiétudes des cheminots ? Ils ont voté à 95 % contre votre réforme avec une participation de 60 % !

M. Pascal Savoldelli.  - Je constate en passant que si Les Républicains demandent un scrutin public, c'est qu'ils ne sont pas majoritaires dans l'hémicycle...

La dette de la SNCF est composée d'emprunts obligataires privés et publics, dont 90 % à taux fixes, entre 0 % et 4 %. Elle a été contractée pour 15 milliards d'euros en devises étrangères, un tiers en obligations privées, deux tiers en obligations publiques. SNCF Réseau a surtout eu recours à des d'emprunts à court terme auprès des banques centrales, avec des taux d'intérêt négatifs ; en 2017, elle a ainsi emprunté 1,7 milliard. Allez-vous rembourser la dette ancienne, aux taux d'intérêt élevés, ou la plus récente, à faibles taux ? Reprendrez-vous la dette en devises étrangères ? Nous voulons des réponses.

M. Olivier Jacquin.  - La reprise de la dette est salutaire, car il est essentiel de désendetter la SNCF. Pour que le système soit rentable, il faudrait, pour tout investissement, deux tiers de financement public. Tant qu'on n'aura pas trouvé de mécanisme clair et durable qui discrimine positivement le ferroviaire par rapport aux autres modes qui ne paient pas leur infrastructure, comme l'aérien, la dette repartira à la hausse.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - On paie l'aéroport dans le billet d'avion.

M. Olivier Jacquin.  - Selon vos prédécesseurs, MM. Cuvillier et Vidalies, les études évaluaient le surcoût du financement de la dette dans le cadre d'un désendettement de SNCF Réseau lié à un changement de statut à 0,5 %. Il nous faudrait un protocole d'accord et de financement plutôt que les simples paroles d'un ministre.

M. Michel Dagbert.  - Nous ne sommes ni pour l'immobilisme, ni contre les réformes. Je ne reviendrai pas sur la dette ; des choix industriels ont été faits que les élus, désireux de voir leur territoire desservi par le TGV, ont soutenu. Mais, pendant ce temps, le réseau se dégradait.

Madame la Ministre, vous ne m'avez pas convaincu de la pertinence de ce passage en SA. Ce changement de statut est devenu un point de blocage pour la réforme.

L'amendement n°71 n'est pas adopté.

M. Ronan Dantec.  - Édouard Philippe déclarait le 4 avril que la lutte contre le changement climatique serait inscrite à l'article 34 de la Constitution. Il serait paradoxal, vu l'importance de l'enjeu, que cela ne soit pas assigné comme objectif à la SNCF ! La seule occurrence, dans ce texte, était une demande de rapport - que notre commission a supprimé. Du coup, plus aucune mention de la question climatique dans le texte !

La formulation proposée dans l'amendement n°3 rectifié octies semble la plus consensuelle. La SNCF doit dire comment elle anticipe la prise en compte du changement climatique en tant que service public. Ce n'est pas ça qui rendra la loi bavarde !

M. Frédéric Marchand.  - Nul ne peut nier l'importance de ces sujets, fortiori en cette semaine du développement durable. Nous voterons ces amendements.

M. Pascal Savoldelli.  - Idem. Soyons cohérents avec les accords de Paris. La part de la route dans le transport de marchandises est de 88 %, contre 10 % pour le ferroviaire. Le train, c'est 12 grammes de CO2 par kilomètre et par passager ; le car, 58 grammes et la voiture, 171 !

Le rôle du rapporteur est de rechercher le consensus sur cette question, qui est aussi de santé publique. Faisons preuve de responsabilité.

M. Alain Fouché.  - La part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises étant passée de 10,6 % en 2015 à 9,6 % en 2017, il faut une stratégie de promotion des modes de transport verts. Je m'étonne de l'avis défavorable de la commission et de la ministre, car nous avions travaillé avec son cabinet sur cet amendement, cosigné par des collègues des groupes Les Républicains, RDSE, UC, LaREM et Les Indépendants. D'où notre demande de scrutin public.

M. Claude Bérit-Débat.  - Le groupe socialiste votera cet amendement.

M. Guillaume Gontard.  - Il est évident qu'il faut prendre en compte le changement climatique. L'Allemagne achète quatorze locomotives à hydrogène à Alstom et nous ne voterions pas cet amendement ? La question climatique est au coeur du développement de l'entreprise.

M. Olivier Jacquin.  - Le ferroviaire souffre d'une inégalité de traitement alors qu'il est vertueux au niveau environnemental. Il faudrait la compenser par un dispositif financier permettant de souligner les externalités positives du ferroviaire sur le temps long. L'avion entre Paris et Bordeaux, c'est 194 kg de CO2, la voiture 150 kg et le train 22 kg.

M. Marc Laménie.  - Nous sommes tous solidaires de la bataille du rail. On ne peut que regretter la multiplication des camions et des cars au fil des ans, même s'ils ont leur utilité. L'infrastructure ferroviaire est désormais sous-utilisée alors qu'elle est essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique. C'est une question de solidarité et de santé publique.

Mme Martine Berthet.  - Compte tenu de l'importance de la pollution dans nos vallées savoyardes, je voterai cet amendement.

Mme Éliane Assassi.  - Bravo !

M. Gérard Cornu, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Ces trois amendements ajoutaient un élément nouveau : la lutte contre le réchauffement climatique pour le n°3 rectifié octies, la transition écologique pour le n°70, la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le n°183 rectifié. La loi risquait de devenir vraiment trop bavarde, d'autant que figurent déjà dans le texte les objectifs de développement durable, d'aménagement du territoire et d'efficacité économique et sociale, ce qui me semblait suffisant. Cela dit, vu le consensus autour de l'amendement n°3 rectifié octies, je m'y rallie en donnant un avis favorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je n'ai aucun doute sur l'importance du ferroviaire dans la lutte contre le changement climatique. Je suis prête à donner un avis favorable à cet amendement. Cependant, il ne suffit pas d'inscrire des intentions dans un texte de loi ; encore faut-il les mettre en oeuvre. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE) C'est pourquoi nous voulons revoir le contrat signé par le précédent gouvernement avec SNCF Réseau qui prévoit une hausse de 5 % par an des péages fret. Le mouvement actuel met en difficulté le fret et les entreprises qui en dépendent, les céréaliers, la sidérurgie et bien d'autres secteurs. Il faudra mettre la réalité en conformité avec les engagements. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. le président.  - La commission et le Gouvernement donnent donc un avis favorable à l'amendement nos3 rectifié octies.

M. Alain Fouché.  - Notre groupe retire sa demande de scrutin public.

L'amendement n°3 rectifié octies est adopté. (Quelques applaudissements)

M. Pascal Savoldelli.  - Nous retirons notre amendement n°70.

Je soulignerai néanmoins que notre pays a un déficit commercial en lien avec les produits pétroliers qui atteint 39 milliards d'euros. Le développement du fret et du transport fluvial pourrait faire bouger les choses. Bref, notre attitude est constructive, tout sauf dogmatique !

L'amendement n°70 est retiré.

L'amendement n°183 rectifié est retiré.

L'amendement n°24 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°25.

M. Olivier Jacquin.  - Le Gouvernement dit vouloir mieux unifier le ferroviaire en rapprochant train et rail dans la gouvernance. À trop séparer les acteurs, on crée en effet des interfaces qui ont un coût énorme et qui favorisent les accidents.

De l'autre côté, le rapporteur nous dit que, pour une bonne ouverture à la concurrence, les opérateurs doivent pouvoir utiliser le réseau de la manière la plus neutre possible. Étonnant paradoxe ! Pourquoi filialiser autant en créant des sociétés anonymes, au risque de complexifier la bonne gouvernance du rail ? L'Allemagne fait l'objet d'une procédure européenne contre l'organisation trop intégrée de la Deutsche Bahn.

L'amendement n°215 n'est pas adopté.

M. Olivier Jacquin.  - Je retire l'amendement de repli n°234 mais déplore l'absence de réponse de la ministre.

L'amendement n°234 est retiré.

L'amendement n°256 est adopté.

L'amendement n°235 n'est pas adopté.

À la demande du groupe CRCE, l'amendement n°23 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°109 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l'adoption 15
Contre 250

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Guillaume Gontard.  - L'amendement n°35 revient sur la filialisation de Gares et Connexions. Le seul argument donné pour le passage en SA était l'unification du groupe. Et là, on filialise : quelle cohérence !

M. Pascal Savoldelli.  - La direction de la SNCF dit elle-même que le passage en SA, même à capitaux 100 % publics, fera de la garantie explicite de l'État une garantie implicite, avec à la clé un renchérissement des taux d'intérêt de 0,4 point. S'il y avait une argumentation, nous pourrions discuter, mais ce n'est pas le cas - Madame la Ministre, vous éludez le débat. (Mme Elisabeth Borne le conteste.)

M. Fabien Gay.  - Si nos arguments sont faux, dites-le nous ! Mais, effectivement, vous ne répondez même pas !

Lorsque la SNCF sera une SA, elle pourra vendre ses filiales à la découpe, surtout que comme la dette va s'alourdir, il faudra trouver des ressources. Et la première entité à vendre, ce sera Gares et Connexions, parce que c'est avec les gares qu'il y a de l'argent à faire.

Si vous voulez éviter la vente à la découpe, il faut mieux encadrer Gares et Connexions.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de débat ! Il s'est tenu cette nuit jusqu'à une heure moins le quart, j'ai déjà donné les avis argumentés de la commission, mais vous nous demandez d'y revenir : n'ajoutons pas des commentaires aux explications de vote... À un moment, il faut clore le débat. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Républicains et LaREM)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous avez reçu des explications à vingt ou trente reprises. Mais manifestement, vous refusez de les entendre.

Toutes les sociétés ferroviaires d'Europe continentale sont des sociétés à capitaux publics, il n'y a eu de privatisation nulle part, mais vous faites comme si c'était le cas. En plus, le domaine public ferroviaire est incessible et inaliénable. Vous ne voulez pas entendre.

Plusieurs voix sur les bancs du groupe CRCE.  - Pas les gares !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous ressortirez sans doute l'exemple britannique : ce n'est pas notre modèle. Bref.

(M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable applaudit ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

À la demande du groupe CRCE, l'amendement n°35 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°110 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l'adoption   15
Contre 250

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n°214 n'est pas adopté.

M. Olivier Jacquin.  - Nous essayons de faire le distinguo entre SNCF Réseau et l'opérateur public. SNCF Réseau et SNCF Mobilités ne méritent pas un traitement symétrique. Il faut une gouvernance étroitement intégrée pour éviter les coûts d'interface.

Concernant la filialisation de Gares et Connexions, les investissements très lourds qui seront nécessaires appelleront des levées de capitaux, cela passera par des sociétés d'économie mixte. La gare Victoria de Londres a par exemple nécessité 2 milliards d'euros d'investissement. Il faut conserver cette entité dans la sphère publique, à travers une direction dédiée au sein de SNCF Réseau.

L'amendement n°233 n'est pas adopté non plus que les amendements nos168, 236 et 237

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - L'amendement n°129 était très technique, c'est pourquoi j'ai demandé l'avis du Gouvernement. Comme il est défavorable, je le suivrai. Mais je préférerais un retrait de cet amendement très compliqué...

M. Jean-François Longeot.  - Il est logique que la commission se rallie à l'avis du Gouvernement. Je retire mon amendement.

L'amendement n°129 est retiré.

M. Olivier Jacquin.  - Le rapporteur a donné un avis défavorable à l'amendement n°238, arguant que le texte garantit déjà l'association des collectivités territoriales à la gestion des gares. Je propose que le futur décret le précise - le rapporteur ayant jugé hier que cet amendement relevait plutôt du domaine réglementaire. Les gares sont dans les grandes villes de nouveaux espaces de vie ; en revanche, les haltes ferroviaires appellent un soutien.

L'amendement n°238 n'est pas adopté.

M. Olivier Jacquin.  - Mettre une crèche dans une gare en partenariat avec une agglomération, c'est tout à fait pertinent. Trouvons un mécanisme permettant aux collectivités territoriales de développer certaines activités au coeur des gares. La mairie de Metz a ainsi ouvert une antenne dans la gare.

M. Claude Bérit-Débat.  - La crèche n'est qu'un exemple. Ce qu'il faut retenir de l'amendement, c'est la possibilité de réserver un espace public dans la gare. On pourrait ainsi imaginer un espace au service des entreprises.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Comment, au Sénat, refuser que les collectivités territoriales participent à la gouvernance des gares ? Dans l'approche fonctionnelle du XIXe siècle, à un objet correspondait une fonction - la gare ne servait qu'à regrouper les voyageurs en partance ou à l'arrivée. Il nous faut désormais une approche système dynamique, fondée sur les flux et la multiplicité des usages. C'est la logique des pôles multimodaux, où la gare est un noeud multimodal. Désormais, il n'y a plus de honte à mettre des espaces publics dans les supermarchés, pour toucher les gens là où ils sont, en particulier les jeunes, pour les informer, leur faire passer des messages. Nous pouvons ainsi faire vivre nos gares.

M. Ronan Dantec.  - C'est un sujet important - Guillaume Pépy évoquait il y a encore peu des sociétés publiques des gares. L'enjeu est au carrefour de la perception de l'espace public et du rendement que la SNCF, comme tout gestionnaire, entend tirer de son patrimoine. Il faut mettre dans la loi quelque chose qui dise cet enjeu. Cet amendement n'est peut-être pas la meilleure approche, mais il faut à mon sens le voter, pour donner un signal politique - quitte à trouver la bonne rédaction d'ici la CMP.

M. Alain Fouché.  - Je voterai cet amendement. Dans certaines gares, on installe des commerces, des services. Conserver des espaces réservés à la mise en valeur des collectivités territoriales est utile.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Maire d'Athis-Mons, je souhaitais installer une antenne postale dans la gare. Ce fut la croix et la bannière ! Or service public et services privés doivent être complémentaires. Un exemple : les points info énergie. On cherche des lieux de passage publics pour les installer. Les gares centrales, attractives ou périphériques, sont le lieu idoine. Cet amendement est très utile.

Mme Fabienne Keller.  - À mon tour de dire mon attachement à la gare, qui devient la place du village (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.), c'est-à-dire le lieu le plus fréquenté de la localité, celui où l'on se croise. Je ne suis pas sûre que cet amendement d'appel soit le bon outil, mais reconnaissons que les gares ne sont pas les lieux les plus accueillants pour les services publics. Il y a un équilibre à trouver. En Suisse, on y organise des activités culturelles. La gare, Madame la Ministre, doit être le centre de la ville écologique, du bien-vivre. La gouvernance est elle aussi essentielle. Pouvez-vous nous rassurer sur votre vision des gares ?

M. Guillaume Gontard.  - La gare est tout aussi cruciale en milieu rural, où elle est le point central. Réfléchissons à la question dans le cadre du projet de loi Mobilités.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Monsieur Jacquin, tout le monde ne peut qu'être d'accord avec vos explications, avec l'intention de votre amendement. Les collectivités territoriales, notamment les mairies, travaillent en synergie avec Gares et Connexions. Souvent, cela se passe bien. (On en doute sur les bancs du groupe SOCR.)

À Chartres, la coopération entre les collectivités et la SNCF a permis la mise en place d'un guichet unique pour les tickets de bus, de car et de train - nul besoin de la loi pour cela !

Mais le texte de votre amendement va bien plus loin, il obligerait à réserver des espaces... à toutes les collectivités territoriales, pour des activités à but non lucratif ! (On proteste sur les bancs du groupe SOCR.) Franchement, la rédaction de l'amendement ne convient pas. Remettons-nous en au bon sens. Gares et Connexions aura tout intérêt à bien s'entendre avec les élus locaux.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'alinéa 35 de cet article dispose que Gares et Connexions a pour mission de contribuer au développement équilibré des territoires, notamment en veillant à la cohérence de ses décisions d'investissement avec les politiques locales en matière d'urbanisme : le rôle des gares dans le développement et l'aménagement des territoires est donc reconnu. Ensuite, le texte prévoit des comités de concertation qui associeront élus, autorités organisatrices, usagers à la gestion des gares. Tout cela montre la singularité de l'activité de Gares et Connexions, qui justifie sa filialisation. Naguère présidente d'une grande entreprise de transport, j'avais à coeur de développer les espaces consacrés aux divers usages, en concertation avec les élus.

M. Jean-Louis Tourenne.  - Madame la Ministre, vous répondez à côté des questions posées. Bien sûr que la gare est essentielle dans le tissu urbanistique local ! Bien sûr qu'elle est le lieu de la multimodalité ! Mais ne dites pas que cela se passe bien partout. Dans mon département, nous avons dû quémander pour pouvoir implanter des services publics en gare, alors que nous étions cofinanceurs. Les collectivités territoriales doivent avoir la possibilité d'apporter de l'information gratuite dans les gares, mais aussi de la culture, cela exige de prévoir des espaces dédiés. Vous évacuez le problème et je ne vous remercie pas de vos propos.

L'amendement n°239 n'est pas adopté.

M. Olivier Jacquin.  - Nous aurions pu introduire un seuil de population pour mieux distinguer grandes et petites gares. Dans ces dernières, moins porteuses de valeur foncière, Gares et Connexions ne sollicite pas spontanément les élus. Envoyons un signe aux élus locaux. L'amendement n°213, plus neutre et concis que le précédent, le fait.

L'amendement n°213 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos36, 74 et 75.

L'amendement n°257 est adopté.

M. René-Paul Savary.  - Quelle est la position du Gouvernement sur le régime spécial des retraites de la SNCF ? Il compte 147 000 cotisants pour 264 000 pensionnés... Avez-vous engagé des discussions sur ce thème, Madame la Ministre ? Que se passera-t-il en cas de transfert ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement a annoncé d'emblée ce qu'était et n'était pas cette réforme - pas une réforme des retraites, en particulier.

En cas de transfert, les cheminots conserveront la garantie du régime de retraite. Les cheminots recrutés à partir du 1er janvier 2020 le seront hors statut, ils relèveront donc du droit commun.

Par ailleurs, une réflexion sur la pérennité de notre système de retraite a été confiée à Jean-Paul Delevoye, avec l'idée, pour plus de justice et d'équité, qu'un euro cotisé devrait ouvrir sur les mêmes droits. Ce sont deux dossiers distincts. Quant au déficit démographique à la SNCF, il est compensé, comme ailleurs, par la solidarité nationale.

L'amendement n°149 rectifié quinquies n'est pas adopté.

L'amendement n°216 rectifié est adopté.

L'amendement n°150 rectifié quinquies n'est pas adopté non plus que l'amendement n°151 rectifié quinquies.

M. Guillaume Gontard.  - L'amendement n°77 serait de nature à rassurer. Madame la Ministre, vous avez proposé d'inscrire dans la loi l'inaliénabilité, en plus de l'incessibilité : c'est le moment de le faire.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Hier, je n'ai fait que préciser un principe constitutionnel : le domaine public est inaliénable. Nul besoin de l'écrire dans la loi. Quant à l'incessibilité, c'est la commission qui l'a inscrite dans le texte, parce que cela lui a paru ajouter une garantie supplémentaire.

M. Fabien Gay.  - La SNCF, qui est notre patrimoine national, mérite de prendre le temps du débat. Madame la Ministre, hier vous avez commencé par nous dire, spontanément, que vous étiez favorable à l'inaliénabilité. L'incessibilité seule ne suffit pas, nous l'avions démontré. Puis à la fin du débat, vous avez dit : c'est plus compliqué. Vous semblez gênée sur ce sujet.

Si vraiment l'incessibilité n'est pas une garantie suffisante, alors que vous avez évolué dans le débat avant de revenir sur votre position, nous déplorons votre avis défavorable : pourquoi ne pas inscrire l'inaliénabilité dans la loi ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ce débat ne gagne pas à la confusion que vous entretenez. La rédaction initiale assurait une propriété intégralement publique, ce qui était une garantie suffisante. La commission a ajouté l'incessibilité, vous avez trouvé cela suspect.

M. Fabien Gay.  - Je ne l'ai jamais dit !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le rapporteur vous a proposé alors de retirer cette précision, vous y avez encore vu malice et maintenant, vous voulez ajouter une troisième garantie. Votre amendement n'apporte rien d'autre que de la confusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Gérard Cornu, rapporteur, applaudit aussi.)

À la demande du groupe CRCE, l'amendement n°77 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°111 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 264
Pour l'adoption 15
Contre 249

Le Sénat n'a pas adopté.

À la demande du groupe CRCE, l'amendement n°78 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°112 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l'adoption 15
Contre 250

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 h 5.

L'amendement n°76 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°29.

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Je propose de lever la séance à 19 h 30 et de siéger ce soir jusqu'à 1 h 30. Nous avons, en effet, examiné 37 amendements sur 245, soit 7 amendements par heure. À ce rythme, il nous faudrait une trentaine d'heures pour examiner ce texte...

M. Ladislas Poniatowski.  - Un rythme de micheline !

M. le président.  - À défaut d'opposition, il en est ainsi décidé.

M. le président.  - Amendement n°72, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 22

Supprimer les mots :

directement ou par l'intermédiaire de filiales,

M. Pierre Ouzoulias.  - Avec cet amendement, nous rouvrons une discussion forte et lourde que nous avons eue sur les filiales. Tout le monde en convient, y compris le Gouvernement : les difficultés que rencontre la SNCF sont, entre autres choses, liées à la concurrence que se livrent ses filiales dans une opacité absolument générale. Comment service public et filiales peuvent-ils aller de pair ? Les deux termes relèvent de l'oxymore.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Nous avons examiné des amendements similaires portant sur le groupe de tête ; vous proposez les mêmes sur SNCF Réseau et bientôt, je suppose, sur SNCF Mobilités... Avis défavorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je défends, moi aussi, le service public. Et il est dans son intérêt de faire de Gares et Connexions une filiale de SNCF Réseau. Avis également défavorable.

L'amendement n°72 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°184 rectifié, présenté par MM. Dantec, Corbisez, Léonhardt, Arnell, A. Bertrand, Castelli et Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Guillaume, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.

Alinéa 22

Après les mots :

développement durable,

insérer les mots :

de réduction des émissions de gaz à effet de serre,

M. Ronan Dantec.  - Mme la ministre a eu des mots forts sur l'enjeu des péages et du fret pour lutter contre le changement climatique. Cet amendement les confortera en ajoutant aux missions de SNCF Réseau, et non pas de toutes les filiales, la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Nous l'avons déjà précisé pour le groupe de tête, vous avez satisfaction. Avis défavorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Visiblement, nous nous sommes mal compris... Écrire à chaque ligne du projet de loi l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne sert à rien, il faut agir en développant le fret et en jouant sur les péages.

L'amendement n°184 rectifié est retiré.

M. Pierre Ouzoulias.  - Nous le reprenons.

M. le président.  - Ce sera l'amendement n°184 rectifié bis.

M. Pierre Ouzoulias.  - Madame la Ministre, ne vous étonnez pas que nous ayons ce débat trois fois, vous avez voulu trois entités. Avec une seule, nous aurions eu un seul débat.

L'amendement n°184 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°73, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 22

Remplacer les mots :

d'aménagement du territoire

par les mots :

de solidarité nationale permettant de garantir le droit à la mobilité pour l'ensemble des territoires

Mme Michelle Gréaume.  - L'activité de SNCF Réseau doit être exercée dans une logique de développement durable et d'aménagement du territoire. Cette dernière notion est vaste, nous préférons mettre en balance de la rentabilité la solidarité nationale pour un développement humain soutenable. Le service public doit garantir le droit au transport pour tous : anciens, jeunes et familles.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - L'aménagement du territoire inclut la solidarité nationale. Imaginez que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'appelle commission de solidarité nationale permettant de garantir le droit à la mobilité pour l'ensemble des territoires... Avis défavorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - En effet. Le droit à la mobilité sera au coeur de la loi que je vous présenterai prochainement. Je ne doute pas que le groupe CRCE me soutiendra. Avis défavorable.

M. Pascal Savoldelli.  - Le mot solidarité est plus explicite, il renvoie à l'égalité. Que votre solution ait été appliquée partout en Europe n'est pas un argument. En Allemagne, 12 000 km de lignes ont disparu sur 43 000. Ce sera la même chose en France et il faudra l'assumer dans vos départements. En Allemagne, souvent prise en exemple, 50 % des aiguillages ont été démontés...

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Et alors ?

M. Pascal Savoldelli.  - La solidarité entre des territoires qui n'ont pas la même attractivité, ce n'est pas l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

L'amendement n°73 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°34, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 30

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

d) le dernier alinéa est supprimé ;

Mme Cécile Cukierman.  - La loi de 2014 a donné la possibilité à SNCF Réseau de confier à d'autres la responsabilité des « petites lignes ». Pour nous, c'était ouvrir une brèche dans l'unicité du réseau. Jean-Cyril Spinetta, dans son rapport, a préconisé l'abandon de 9 000 km de lignes secondaires. Elles sont finalement renvoyées aux futurs contrats de plan Etat-Région ; on sait que les moyens manqueront. Quand 80 % des déplacements en TER sont effectués pour des besoins professionnels ou de formation, il y a là un enjeu de cohésion sociale.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Vous n'avez manifestement pas mesuré les conséquences de votre amendement. Il supprimerait la faculté dont dispose SNCF Réseau de confier à d'autres la maintenance ou l'entretien de petites lignes, ce qui donne de la souplesse au groupe pour entreprendre des travaux de rénovation. Avis défavorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je partage cet avis. Cette possibilité permet d'accélérer la rénovation du réseau national. La région Grand Est a ainsi pu redynamiser le fret ferroviaire.

Mme Cécile Cukierman.  - On pourrait aussi parler du financement des régions, de leur fusion et des inégalités criantes qui brident leurs capacités d'investissement... C'est l'État qui doit entretenir et qualifier les lignes du réseau ferroviaire, sans quoi le critère de rentabilité l'emportera. L'urgence, ce n'est pas de supprimer des lignes ou de s'en défausser, mais d'améliorer les lignes sur lesquelles circulent encore des trains qui sont indispensables pour désenclaver des pans entiers de nos territoires.

M. Marc Laménie.  - Même si je vote la plupart du temps avec mon groupe, je voterai cet amendement du groupe CRCE. Depuis trente ou quarante ans, on voit des lignes disparaître. Dans le Grand Est, on a effectivement sauvé le fret capillaire mais sur certaines lignes, la vitesse est limitée à 20 ou 40 km/h pour des raisons de sécurité. Qui investira ? Les régions, les départements et les intercommunalités font ce qu'elles peuvent. J'espère que l'avenir du rail n'est pas d'installer une piste cyclable là où il y avait une voie ferrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Pascale Bories.  - Nous sommes attachés aux petites lignes, je l'ai dit en discussion générale, mais supprimer cet alinéa ne les sauvera pas. Au contraire, on se priverait d'une souplesse de gestion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Fabienne Keller.  - Très juste !

M. Michel Dagbert.  - Cette discussion met à jour un problème d'ordonnancement car il est question du problème plus large des mobilités, dont nous parlerons à l'automne. Les petites lignes doivent rester dans le domaine public, ne serait-ce que parce que ces emprises où des trains ne circulent parfois plus depuis 25 ans pourraient être utiles pour d'autres formes de mobilités. Par exemple, des voies pour les véhicules autonomes ou, comme dans mon département, pour des bus à hydrogène.

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Président du conseil général de la Marne, j'ai organisé la réfection des lignes capillaires. Il y avait une volonté locale, les chargeurs céréaliers s'étaient engagés à payer deux euros la tonne. Laissons la liberté aux territoires de s'organiser en fonction de leurs besoins. Les lignes capillaires alimenteront des lignes plus importantes et contribueront au développement du fret ferroviaire. Que les territoires se prennent en main ! (M. Gérard Cornu, rapporteur, approuve.)

Mme Cécile Cukierman.  - Venez dans le Massif central !

Mme Laurence Cohen.  - Formidable, Monsieur Savary, mais toutes les collectivités territoriales n'ont pas les moyens d'en faire de même.

M. Bruno Sido.  - Puisque la Marne y arrive !

Mme Laurence Cohen.  - Le service public, pour qui ? Pour quoi ? On n'en parlera jamais assez. Refuser la responsabilité de l'État, c'est organiser la ségrégation des territoires ; c'est vrai pour le transport des voyageurs comme pour le fret. Et qu'on ne nous accuse pas de dogmatisme. Le gouvernement précédent nous avait fait tout un laïus sur les cars, ont-ils changé quelque chose ? Où est le dogmatisme quand le Gouvernement refuse de renoncer à une réforme qui n'améliorera ni le transport de voyageurs ni le transport de marchandises. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Fabien Gay.  - Pour M. Savary, l'offre répondra aux besoins : non ! L'offre se développera là où ce sera rentable. À Mont-de-Marsan, le vice-président aux transports de Nouvelle-Aquitaine me disait que l'investissement allait devoir passer de 200 millions d'euros aujourd'hui à 1,1 milliard d'euros demain si la loi passe. En a-t-il les moyens ? Bien sûr que non ! Il faudra faire des choix ; on envisage déjà la fermeture de trois lignes, dont celle entre Bordeaux et Mont-de-Marsan où les besoins sont pourtant bien réels ; on remplacera les trains par des bus, ce qui nous ramène au débat écologique...

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ce que vous contestez, ce n'est pas ce texte, ce sont les lois de décentralisation de 1982...

Mme Cécile Cukierman.  - Non !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - ...et le transfert aux régions de la responsabilité des services régionaux en 1997 et en 2000 avec la loi SRU.

Mme Cécile Cukierman.  - Non, nous contestons la loi de 2014...

Mme Éliane Assassi.  - ...et critiquons le manque de moyens !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement croit en l'intelligence des territoires.

Mme Laurence Cohen.  - Donnez-leur les moyens !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La possibilité de développer des lignes capillaires est essentielle pour le fret ferroviaire, que je défends.

L'amendement n°34 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°211, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 30

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les missions mentionnées aux 1° à 4°, 6° et 7° ne peuvent être exercées en partie ou en totalité par une filiale de SNCF Réseau.

« Les missions  mentionnées au 5° peuvent être exercées par une filiale entièrement détenues par SNCF Réseau. » ;

M. Olivier Jacquin.  - Défendu.

L'amendement n°211, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 43

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° L'article L. 2111-11 est abrogé ;

M. Pascal Savoldelli.  - L'IGAS, la Cour des comptes et d'autres font le même constat, unanime pour ainsi dire : les partenariats public-privé sont inefficaces, voire nocifs. Des collectivités de gauche comme de droite en ont fait l'expérience. Dès 2008, la Cour des comptes relevait que l'avantage des partenariats public-privé n'apparaissait qu'à court terme. La Cour des comptes européenne elle-même a fini par mettre en garde les États membres contre le recours à ce type de contrats, qui font augmenter les prix et allongent les délais de livraison des ouvrages. Dans notre beau pays, par exemple, les prix ont augmenté de 73 %. Cet amendement est de vigilance.

M. Gérard Cornu, rapporteur.  - Je ne suis pas un fanatique des partenariats public-privé mais laissons de la souplesse aux gestionnaires d'infrastructures. Avis défavorable.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Tous les partenariats public-privé réalisés dans le domaine ferroviaire ne sont pas des modèles et il faut faire preuve de plus de vigilance...

Mme Fabienne Keller.  - C'est joliment dit.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - ... mais avis défavorable à leur suppression : l'outil est moins en cause que son usage.

Mme Cécile Cukierman.  - Vous ne pouvez nous renvoyer, Madame la Ministre, à notre opposition supposée à la décentralisation : celle-ci exige que les collectivités territoriales aient les moyens de leurs compétences. Quant aux partenariats public-privé, certaines y ont eu recours faute de moyens. Ce que vous nommez souplesse ressemble souvent à de la contrainte. Redonnons de la force à la politique d'aménagement du territoire.

M. Olivier Jacquin.  - Plus loin dans le texte, nous demanderons une évaluation des partenariats public-privé dans le domaine du ferroviaire. Quel est le coût de Tours-Bordeaux pour SNCF Mobilités ? J'ai entendu le chiffre de 140 millions d'euros par an... Veillons surtout à utiliser l'outil à bon escient.

L'amendement n°33 n'est pas adopté.

Mme Éliane Assassi.  - Le groupe CRCE est le porte-voix des usagers, des cheminots de France et d'Europe, là où on avait juré ses grands dieux que la privatisation ne se ferait pas et a eu lieu. Nos amis allemands nous ont solennellement demandé de ne pas voter ce texte, ils ne veulent pas qu'on partage ce qu'ils vivent. Nous redisons notre opposition au changement de statut du groupe en SA. Madame la Ministre, ce n'est pas en répétant vos certitudes que vous êtes convaincante.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Et réciproquement...

Mme Éliane Assassi.  - Oui mais le ministre, c'est vous ! C'est vous qui nous présentez un texte ! Nous voterons contre l'article.

Mme Angèle Préville.  - Je suis, moi aussi, contre la transformation en SA. Je sais deux ou trois petites choses que cela permettra, sans même parler de l'ouverture du capital : la rémunération des dirigeants sera beaucoup plus importante, ils pourront quitter les SA avec des parachutes dorés. Je regrette particulièrement que vous ayez refusé le droit d'option des collectivités sur une partie des gares. Elles sont notre patrimoine, nous aurions pu les réenchanter en y installant des services véritablement publics plutôt que d'en faire des espaces entièrement dévolus à la consommation. La République française est un projet politique performatif, celui de faire reculer l'empiètement de l'espace privé sur l'espace public.

M. Frédéric Marchand.  - Moi, vous m'avez convaincu, Madame la Ministre. (Mme Éliane Assassi rit.) Madame Assassi, trop de caricature tue la caricature. Vous n'avez pas le monopole des usagers, ni celui des cheminots et de la rencontre avec les autres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC et Les Républicains)

M. Olivier Jacquin.  - La transformation des trois EPIC créés en 2014 en SA ne présente pas d'avantage décisif et déterminant pour l'ouverture à la concurrence ou la conclusion d'un nouveau pacte ferroviaire. Le groupe SOCR votera contre cet article qui rend possible une privatisation ultérieure - et j'insiste sur « ultérieure ».

M. Guillaume Gontard.  - Ce débat était important et nécessaire. Je n'y ai pas vu de caricatures mais je n'y ai pas vu de réponses non plus : pourquoi transformer la SNCF en SA ? Nous n'avons certes pas le monopole des usagers mais je vous donne rendez-vous dans quelques années, lorsque les petites lignes fermeront. Si des travaux ne sont pas engagés maintenant, certaines disparaîtront dès 2021. Les aides des régions s'élèvent à 80 %, il manque la part de 20 %. Qui bloque ? L'État !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - De quoi parlez-vous ?

M. Fabien Gay.  - Madame la Ministre, nous n'avons pas eu de réponse ! C'est donc que la transformation en SA est purement idéologique et dogmatique et masque une privatisation partielle ou totale à venir.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ah !

M. Fabien Gay.  - Nous avons rencontré des cheminots anglais, luxembourgeois, italiens, espagnols.... (M. François Patriat ironise.)

Mme Éliane Assassi.  - Oh ! Un peu de respect pour ces gens-là !

M. Fabien Gay.  - Ils ont l'expérience de l'ouverture à la concurrence.

En Allemagne, un trajet qui prenait 96 minutes avant l'ouverture à la concurrence en prend désormais 131. La raison ? L'absence d'investissements. (Mme Fabienne Keller s'exclame.)

Vous ne voulez pas parler de la question qui fâche : la dette et les investissements nécessaires. Nous attendons des réponses.

M. Pascal Savoldelli.  - Monsieur Marchant, personne n'a le monopole de quoi que ce soit dans cette assemblée et personne n'a à se justifier de ses convictions. Nous avons un mandat républicain et sommes tous légitimes.

Nous ne discutons pas de monopole mais de concurrence. Le débat sur les filiales est sérieux. Filiale de la SNCF, SNCF RE est une société de réassurance basée au Luxembourg. Créée en 2010, elle est dotée de 11 millions d'euros mais ne compte qu'un seul salarié. C'est une coquille vide destinée à alléger l'imposition de la SNCF ; son fonctionnement est celui de la captive de réassurance, qui sert à garantir les risques des grands groupes. Nous sommes pourtant tous convaincus de la nécessité de lutter contre l'évasion fiscale...

M. Marc Laménie.  - Une fois de plus, je me démarquerai, modestement, de mon groupe : par cohérence avec mon abstention sur la réforme de 2014, je m'abstiendrai sur cet article. Même avec des capitaux publics à 100 %, des incertitudes demeurent, notamment sur le devenir des petites lignes. Sans l'appui de l'État, qui reste le premier partenaire des collectivités territoriales, des lignes entières risquent de disparaître.

M. Jean-François Husson.  - C'est déjà le cas !

M. Marc Laménie.  - Nous pourrions tous citer nombre de lignes qui ont fermé, dans tous les départements...

Mme Cécile Cukierman.  - Absolument.

M. Pierre Ouzoulias.  - M. Marchand conteste notre légitimité, soit.

M. Frédéric Marchand.  - Je n'ai jamais dit ça !

M. Pierre Ouzoulias.  - Les salariés de la SNCF se sont exprimés sur ce projet de réforme, même si vous contestez le mode de votation. Les salariés d'Air France l'avaient fait eux aussi. En termes de méthode, consulter les salariés préalablement à une grande réforme est parfaitement judicieux. (M. François Patriat s'exclame.) Puisque vous envisagez de privatiser ADP, organisez donc un référendum interne, consultez les salariés ! Cela ne peut que renforcer la démocratie dans l'entreprise. Et vu votre force de persuasion, nul doute que le résultat sera positif.

Mme Fabienne Keller.  - Il y a les salariés, qui méritent le respect, mais aussi les voyageurs, qui n'ont pas été très bien traités ces deux derniers mois, et les Français qui financent le système ferroviaire ! Cet article apporte une double garantie : capitaux publics et incessibilité. Les alinéas sur les gares, sans être parfaits, constituent une avancée. Le financement des infrastructures des petites lignes par l'État ou SNCF Réseau est un vrai sujet, Madame la ministre, et nous avons besoin de vous entendre confirmer que les contrats de plan État-Région seront honorés.

Quant à ceux qui se livrent à des rapprochements hâtifs, je les invite à visiter l'immense chantier de la gare de Stuttgart, qui va être enterrée sous forme de ring. C'est un magnifique projet qui porte une belle ambition pour le fret en Allemagne. Ce texte ouvrira ce genre de possibilité : réformer, pour porter une vraie ambition. Je le voterai et je vous invite tous à le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

M. Yves Daudigny.  - Il n'y a pas d'un côté les progressistes, et de l'autre les conservateurs. Le Monde du 26 mars 2017 titrait : « La patronne de la RATP défend le statut public de l'entreprise de transport ». On y lisait que lors de la présentation de son résultat 2017, la nouvelle présidente de la RATP avait clamé son attachement au statut public de l'entreprise et de ses agents. Samedi dernier sur France Inter, elle estimait que le statut d'EPIC n'était en rien un handicap, y compris dans le contexte de l'ouverture à la concurrence. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Cécile Cukierman.  - Madame la Ministre, vous n'avez pas apaisé nos inquiétudes. Vous vous retranchez derrière la volonté affichée de ne pas privatiser. Pourtant, loin de sécuriser l'entreprise publique, cet article 1er A ouvre bien la possibilité d'une privatisation.

L'enjeu est d'importance car nous avons besoin d'une infrastructure qui irrigue l'ensemble du territoire et réponde aux différents usagers du ferroviaire. Dans la Loire, les besoins de la gare de Noirétable sont loin du grand ring de Stuttgart ! Nous avons besoin d'investissements pour dynamiser les petites gares qui maillent le territoire, qui pour la plupart n'ont rien de pharaonique.

Mme Fabienne Keller.  - Je suis d'accord.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - À vous écouter, on a l'impression que tout va tellement bien qu'il ne faudrait rien changer !

Mme Éliane Assassi.  - Nous n'avons pas dit ça.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous aviez pourtant voté contre la réforme de 2014, que je sache.

Ce n'est pas ma vision, ni celle des usagers qui attendent un meilleur service public ferroviaire. C'est le sens de cette réforme : des trains à l'heure, moins chers, qui fonctionnent mieux, à travers un engagement sans précédent en faveur du ferroviaire.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Bref, un miracle !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Madame Keller, je vous confirme l'attention que le Gouvernement porte aux petites lignes qui irriguent le territoire. L'État tiendra ses engagements aux côtés des régions dans le cadre des contrats de plan. (Mme Fabienne Keller applaudit.)

Monsieur Daudigny, votre référence à la RATP montre bien que la position du Gouvernement n'a rien de dogmatique. Elle ne procède pas d'une hostilité de principe aux EPIC mais de la volonté de réunifier, dans l'intérêt des voyageurs, de la SNCF et des cheminots, un système qui fonctionne mal.

M. Jérôme Bascher.  - Je voterai cet article sans qu'il m'inspire un espoir démesuré. Si les choses allaient bien à la SNCF, cela se saurait !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il y a quand même des choses qui marchent !

M. Jérôme Bascher.  - En ce moment, on patine. Il est temps que le Sénat mette fin à la grève, me disent les voyageurs que je croise. La SA n'est pas la panacée. Ce qui importe, c'est la chaîne complète de commandement. La Cour des comptes constate que la situation de l'entreprise n'est pas saine et que les voyageurs et les contribuables ne sont pas satisfaits. Reprendre la dette ? Très bien. RFF avait été créé pour éviter de faire apparaitre ces sommes dans les comptes de l'État...

J'espère que ces 35 milliards serviront à l'investissement et à la modernisation de la SNCF, car je crois à l'aménagement du territoire par le chemin de fer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Je vous indique qu'au rythme actuel, nous risquons de devoir siéger samedi.

M. Alain Fouché.  - Le groupe Les Indépendants votera cet article. Il fallait avoir le courage de s'attaquer au statut de la SNCF. Le texte apporte un certain nombre de garanties : financières, sur le développement durable, sur la desserte des territoires et pour les usagers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Michel Canevet.  - Le groupe UC appuiera cette nécessaire réforme du statut de la SNCF. Il faut s'adapter à un monde qui change. La Poste l'a bien fait.

Mme Laurence Cohen.  - Nous souhaitons tous des trains qui arrivent à l'heure, qui ne soient pas bondés et desservent tout le territoire ! Notre service public reste excellent, quand on le compare aux pays qui ont privatisé. Les difficultés de la SNCF tiennent au sous-investissement chronique de l'État dans l'entretien des infrastructures et à l'externalisation de certains services.

Je me réjouis des engagements pris par l'État mais l'article 1er n'offre aucune garantie, que des paroles. Lorsqu'on les met en doute, vous nous accusez de caricaturer votre position ! Pourtant, quelle meilleure garantie qu'un service public avec un personnel garant d'un savoir-faire sur l'ensemble du territoire ?

Madame la Ministre, votre réponse n'est pas à la hauteur. Les cheminots ne font pas grève par plaisir mais pour défendre un service qui est mis à mal. Si vous revenez à la table de négociations, la grève sera peut-être levée ! Nous vous avons fait des propositions ; mais vous avez rejeté tous nos amendements...

À la demande du groupe CRCE, l'article 1er A est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°113 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l'adoption 246
Contre 90

Le Sénat a adopté.

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 heures.