Nouveau pacte ferroviaire (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire.
Rappel au Règlement
(Les membres du groupe CRCE, vêtus de gilets de sécurité au logo de la SNCF, se lèvent et brandissent des pancartes où l'on peut lire : « La SNCF n'est pas à vendre » ; « La SNCF est notre bien commun » ; « Moins de trains = plus de pollution » ; « Mon train, j'y tiens » ; « Je soutiens les cheminots » et « Concurrence = privatisation en marche ».)
Mme Éliane Assassi . - Le projet de loi relatif au nouveau pacte ferroviaire, qui liquide la SNCF comme grande entreprise publique nationale, est porteur d'un choix de société où l'argent et la recherche de profit prennent le pas sur le service public et l'intérêt général. Ce projet de loi livre le service public ferroviaire au dogme de la concurrence et brise la desserte de bien des territoires.
Mais ces dangers, Madame la Ministre, vous tentez de les cacher en rendant les cheminots coupables de tous les maux, alors que chacun sait qu'ils ne sont en rien responsables, mais qu'ils subissent les difficultés de l'entreprise. Vous osez affirmer que leur statut serait responsable de la dette !
Vous faites appel aux ordonnances pour éviter le débat, vous dégainez un amendement de dernière minute à l'Assemblée nationale pour transformer la SNCF en société anonyme, point clé de ce texte en ce qu'il ouvre la voie de la privatisation.
Monsieur le Président, est-ce normal de légiférer par ordonnance sur l'avenir même de notre service public ferroviaire ? Nous appelons le Sénat à la raison parlementaire en forçant le Gouvernement à respecter le Parlement. Le Sénat doit réfléchir à deux fois avant de démanteler plus encore le service public, comme cela s'est fait avec la privatisation de Gaz de France, de France Telecom ou de La Poste.
Mme Fabienne Keller. - Pour sauver le service public ferroviaire, il faut le réformer !
M. le président. - Acte est donné de votre rappel au Règlement.
Discussion générale
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports . - Nos concitoyens et nos territoires ont besoin de mobilité. Nous devons répondre à ceux qui vivent l'isolement comme une relégation. Cette mobilité, c'est aussi une réponse à la tentation du repli sur soi, qui est le terreau des populismes. Je sais que nous partageons une ambition commune, celle des Assises nationales de la mobilité - lesquelles nous ont fait partager un diagnostic large et rigoureux.
Le Gouvernement a une exigence d'efficacité pour remettre en état nos transports ; une exigence de justice territoriale ; une exigence environnementale pour une mobilité plus durable.
Tirons parti de la richesse des nouvelles mobilités, propres, partagées, qui doivent être développées et articulées avec le ferroviaire, véritable colonne vertébrale de nos mobilités. Qui peut nier le rôle central du ferroviaire et la place centrale de la SNCF dans l'imaginaire collectif ?
Parce que notre attachement à la SNCF est profond, nos attentes sont élevées. Elles ne sont pas satisfaites. La qualité de service n'est pas au rendez-vous, les infrastructures sont vieillissantes, la dette menace dangereusement.
Face à l'urgence, le Gouvernement a engagé, dès février, une réforme d'ampleur. En ouvrant à la concurrence, pour que nos concitoyens accèdent à plus de trains, plus réguliers, moins chers. En transformant la SNCF en société à capitaux publics performante. En consolidant le modèle économique de la SNCF.
Le pacte ferroviaire augmente et améliore l'offre de service public. Il le réconcilie avec une valeur fondamentale : l'adaptabilité aux besoins des usagers et des territoires.
Les lignes appelées improprement petites, indispensables, seront entretenues. L'État sera aux côtés des collectivités territoriales pour entretenir ce maillage et respectera ses engagements contractuels. L'ouverture à la concurrence peut être une chance pour les collectivités.
De même, le modèle retenu par le Gouvernement confortera la desserte des territoires par les TGV qui ne se limite pas aux grandes métropoles mais irrigue plus de 230 villes.
Cette réforme ne signifie donc nullement un recul de l'État, mais propose un nouveau modèle ferroviaire, viable sur le long terme. Nous allons investir dans le ferroviaire comme aucun gouvernement auparavant.
M. Charles Revet. - Il y a du travail à faire !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - L'État s'est engagé à investir 36 milliards d'euros dans les dix prochaines années sur le réseau actuel, c'est sans précédent ; cependant, comme cela ne suffira pas, nous ajouterons 200 millions d'euros supplémentaires par an dès 2022 - cela nous permettra, par exemple, d'augmenter de 20 % les trains entre Paris et Lyon et de réduire les aléas entre Marseille et Nice. Le réseau sera plus sûr et le service plus fiable. Les cheminots retrouveront un outil à la hauteur de leurs compétences.
En accord avec l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), nous limiterons la hausse des péages du fret au niveau de l'inflation. Je ne me satisfais pas que la part du ferroviaire dans le fret soit tombée à 10 %, d'autant qu'un train de fret, ce sont 50 camions de moins sur les routes.
L'État reprend la dette de la SNCF à hauteur de 35 milliards sur le quinquennat : 25 milliards en 2020 et 10 milliards en 2022 - cet engagement fort du président de la République est au coeur de ce pacte ferroviaire. La SNCF pourra donc de nouveau investir sans creuser sa dette. Le Gouvernement prémunit la SNCF de la reconstitution d'une telle dette en proposant dans le projet de loi une mesure contraignante - SNCF Réseau ne pourra plus, à l'avenir, s'endetter sans que le Gouvernement ne prenne des mesures de rétablissement.
Le Gouvernement veillera également à ce que la dette reprise soit mise en évidence dans les comptes de la Nation.
Depuis l'annonce, le 26 février, de ce pacte ferroviaire, j'ai mené cette réforme avec détermination et dans un esprit de dialogue. Nous avions préparé un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance. Nous l'avons remplacé avec méthode par des dispositions concrètes, nourries par la concertation avec les organisations syndicales, dont je respecte les divergences. J'ai poursuivi le dialogue avec elles ; elles ont accepté de formuler des propositions concrètes.
Le Sénat a pris toute sa place dans cette oeuvre commune. Après son adoption à une très large majorité à l'Assemblée nationale, le projet de loi sort enrichi de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec laquelle nous avons eu des échanges constants et confiants.
Je pense à la transformation de la SNCF en société à capitaux publics, que vous avez confortée en précisant que ces capitaux seraient incessibles. Entreprise publique hier, aujourd'hui et demain, la SNCF pourra aussi s'appuyer sur le caractère inaliénable du domaine public ferroviaire.
En matière d'organisation, votre commission a précisé la répartition des missions exercées jusqu'ici par l'EPIC de tête, parachevant ainsi la démarche de transformation des ordonnances en article de loi.
Deuxième axe de cette réforme, l'ouverture à la concurrence, dont nous avons débattu en mars dernier. Le principe est accepté par presque tous sur ces bancs, car c'est davantage d'offre et de trains au meilleur prix. Validée par le précédent quinquennat, attendue par les régions, elle est mise en oeuvre par ce Gouvernement.
L'ouverture à la concurrence, je l'ai souhaitée progressive, pour que les régions s'y engagent au rythme et sur le périmètre qu'elles souhaiteront - et protectrice pour les salariés, qui conserveront l'essentiel de leur statut et auront la portabilité de leurs droits.
Votre commission a utilement enrichi le texte, en reprenant des mesures de la proposition de loi du président Maurey et de Louis Nègre sur le transfert des matériels roulants et des ateliers ; en confortant le rôle des autorités organisatrices dans la définition du périmètre des transferts ; en assortissant le principe de transfert obligatoire du service, d'assurances pour les salariés en matière de volontariat, de rémunération et d'option individuelle pour les cheminots revenant à la SNCF. Votre commission a également voté la date d'arrêt de recrutement au statut au 1er janvier 2020 et garanti, au sein d'un périmètre ferroviaire social unifié, l'unité sociale du groupe qui maintient l'application du statut aux actuels salariés, favorise la mobilité professionnelle interne et organise les oeuvres sociales au sein de l'entreprise.
L'ouverture à la concurrence sera également protectrice pour les territoires, puisque le Gouvernement a veillé que la desserte TGV ne soit pas affaiblie par l'arrivée de nouveaux opérateurs.
Reste un élément important, entre les mains des partenaires sociaux : la négociation d'un nouveau cadre social au niveau de la branche, socle des droits communs aux salariés du secteur. Les futurs cheminots bénéficieront à compter du 1er janvier 2020 d'un socle de droits communs à tous les salariés du secteur, dans le cadre de la convention collective qui devra être finalisée d'ici là.
Notre calendrier est ambitieux mais réaliste - nous ne partons pas de rien puisque quatre accords ont déjà été conclus depuis 2015. L'État s'engagera dans la négociation en tant qu'observateur exigeant - je réunirai prochainement les organisations syndicales et l'UTP pour relancer ce processus de négociation.
Par la suite, et pour assurer que le calendrier et les thèmes de la négociation soient respectés, le Gouvernement mettra en place un observatoire du dialogue social dans la branche auquel appartiendra Jean-Paul Bailly. Votre commission sera régulièrement informée de l'avancée des négociations.
Certains contestent notre réforme. Je répondrai à leurs inquiétudes.
Nous devons aussi entendre la colère des usagers fatigués par la grève.
Nous offrirons de nouveaux outils aux collectivités territoriales. Nous conforterons le caractère public de la SNCF tout en lui offrant la souplesse d'une véritable entreprise responsable de son destin.
Nous garantissons le statut des cheminots de ceux qui l'ont aujourd'hui, nous dessinons un nouveau contrat social protecteur pour l'avenir, tout en répondant aux attentes de nos concitoyens, qui bénéficieront de trains plus nombreux, moins chers.
Ce texte est le résultat d'une ambition claire du Gouvernement, ferme sur les principes, d'une négociation avec les partenaires sociaux ouverts au dialogue et des apports du débat parlementaire qui se poursuit. Nous sommes parvenus à un point d'équilibre que nos débats conforteront. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe UC)