Débat préalable au Conseil européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Le Conseil européen des 22 et 23 mars donnera lieu à plusieurs réunions importantes sur le semestre européen et le marché unique, le paquet numérique et le projet d'union de l'énergie pour atteindre les objectifs ambitieux que l'Union européenne s'est fixés pour 2030 en matière de transition énergétique.
Le Conseil européen, dans sa réunion de jeudi, devait défendre notre approche d'une Europe plus protectrice, en particulier dans trois domaines : la mention d'une forte politique industrielle européenne, qui est une priorité pour la France ; sur le commerce, l'appel à trouver un accord pour un meilleur contrôle des investissements et un meilleur équilibre dans l'ouverture de marchés publics - nous souhaitons aussi que soit rappelée la nécessité que les futurs accords commerciaux prennent pleinement en compte l'accord de Paris ; enfin, le projet d'autorité européenne du travail, proposé par le président Juncker, qui va dans le sens d'une plus grande convergence par le haut, dans l'esprit de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.
Le Conseil européen reviendra aussi sur les décisions du président Trump d'augmenter les droits sur l'acier et l'aluminium - pour des motifs allégués de sécurité ; la commission européenne travaille avec les États-Unis pour une exemption des États membres, mais elle se prépare également, si nécessaire, à prendre des mesures de sauvegarde de notre industrie européenne, dans le respect des règles de l'OMC.
Les chefs d'État et de gouvernement continueront leurs échanges réguliers sur la refondation de l'Europe, en particulier sur le thème - choisi par le président Tusk - de la fiscalité numérique. La discussion portera sur la proposition que la Commission rend publique aujourd'hui, pour taxer les GAFA - ce dossier est fortement porté par la France avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Ce secteur d'activité nouveau doit être régulé.
Les Vingt-Sept se réuniront ensuite en format « article 50 ». Le Brexit sera naturellement abordé à travers un point sur les négociations. M. Barnier a fait état d'importants progrès mais il reste des sujets à préciser, en particulier sur les marchés publics, la gouvernance de l'accord, ou encore la question irlandaise.
Sur la question irlandaise, la question de l'alignement réglementaire est posée mais il n'y a pas de vision commune.
Londres espère rassurer les investisseurs en présentant un accord sur sa sortie de l'Union européenne. Le Conseil européen devra rappeler que rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé.
C'est pourquoi une approche d'ensemble cohérente doit être trouvée. Nous préférons que le Royaume-Uni reste dans le marché unique, mais à la condition du respect des quatre libertés. Sinon, ils devront signer un accord de libre-échange, le seul modèle possible. Des accords spécifiques pourront être passés sur la collaboration policière et judiciaire ou la politique européenne de sécurité commune.
Le Conseil européen évoquera la pêche et la nécessité d'un équilibre entre la vente des produits britanniques dans le marché unique et l'accès des pêcheurs européens aux zones maritimes britanniques.
Les chefs d'État et de gouvernement se réuniront ensuite à 19 en format zone euro. Ils discuteront d'un filet de sécurité et d'une capacité propre de la zone euro. Nous travaillons étroitement avec le nouveau gouvernement allemand à une feuille de route commune d'ici juin.
Les questions internationales seront évoquées, notamment l'attaque de Salisbury contre un ex-espion russe sur le sol britannique dont tout laisse à penser qu'elle vient de la Russie.
Une discussion pourrait porter sur les actions de la Turquie en mer Égée. (Applaudissements sur les bancs de la commission et du groupe LaREM, ainsi que sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. le président. - La Conférence des présidents a décidé d'attribuer un temps de parole de huit minutes aux orateurs de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes et la commission des finances interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis nous aurons, pour une durée d'une heure maximum, une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
M. Franck Menonville . - L'actualité européenne et internationale est extrêmement dense.
Les agissements des États-Unis et de la Russie nous préoccupent : la décision du président Trump sur l'acier, la réélection du président Poutine dont il faut, quoi qu'on en dise, tenir compte. Notre diplomatie doit travailler avec la Russie, qui détient la clé de la résolution du conflit syrien.
Les élections italiennes montrent la montée du populisme avec la victoire du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue du Nord, qui occulte pourtant les vraies attentes des citoyens européens : ce n'est pas moins d'Europe mais plus d'Europe qu'il faut pour régler les problèmes dénoncés par les citoyens, tels que l'immigration. La dimension nationale ne suffit pas, le repli sur soi n'est pas la solution aux phénomènes migratoires, l'Europe a d'abord développé la coopération avec les pays d'origine et de transit, renforcé les contrôles aux frontières extérieures, géré les flux à travers les accords de réadmission et avancé sur la réforme du régime d'asile européen. Sans cela, les États membres auraient été débordés. Espérons que le Conseil européen parvienne à un plan sur la crise migratoire d'ici juin.
Il sera largement question du Brexit. Il ne reste que six mois pour négocier la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. La marge de manoeuvre est étroite. Trois points sont essentiels : la garantie des droits des citoyens européens sur le sol britannique et britanniques sur le sol européen ; la question irlandaise ; le règlement financier.
Un accord sur le marché unique a tout récemment été trouvé. Nous y souscrivons. Les rentrées financières des GAFA atteindraient 5 et 8 milliards d'euros par an pour l'Union européenne. Prouvons la détermination de Bruxelles à lutter contre l'injustice fiscale. Osons la refondation de l'Union européenne. La France et l'Allemagne ont promis de relancer la zone européenne. Réjouissons-nous. Le président de la République a affirmé à la Sorbonne qu'il fallait faire revivre une ambition européenne. Le groupe RDSE partage cette volonté.
La défense de nos préférences collectives, c'est aussi celle de l'agriculture. Le groupe RDSE reste très vigilant sur les accords de libre-échange négociés par l'Union européenne. Le Sénat s'est penché sur le sujet avec des propositions de résolution.
Le groupe RDSE est opposé à toute renationalisation de la PAC, qui ne saurait être la variable d'ajustement budgétaire. Nous y verrons plus clair lors de la présentation du cadrage financer en mai. La construction européenne est consubstantielle au groupe RDSE. Il faut plus, mieux d'Europe. Nous soutiendrons le président de la République dans cet objectif. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM ; MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, Simon Sutour, Philippe Bonnecarrère et André Gattolin applaudissent également.)
Mme Fabienne Keller . - Le Brexit, la zone européenne, les questions fiscales seront abordées par le Conseil européen.
Un compromis a été trouvé et la date du 31 décembre 2020 arrêtée pour la fin de la transition. L'Union européenne a obtenu gain de cause sur les droits des citoyens européens et la non-participation du Royaume-Uni aux décisions politiques pendant la transition au prix de concessions sur le règlement des différends qui sera porté devant un comité mixte et non la CJUE comme nous le demandions. Un projet a été établi par Donald Tusk pour répondre au Premier ministre britannique. M. Tusk a dit que seul un accord de libre-échange serait possible. Madame la ministre, quid de l'inclusion des services financiers, abordée hier en réunion ministérielle ?
L'Irlande du nord est un point sensible des négociations. L'objectif de base était d'éviter une frontière physique pour maintenir l'accord du Vendredi Saint, dernier accord de paix signé et qui a à peine vingt ans. Un important désaccord porte sur l'inclusion de l'Irlande du Nord dans l'union douanière. Madame la ministre, pensez-vous que la future coopération douanière sera assez forte pour éviter une frontière physique, tout en respectant les intérêts européens ?
Le projet franco-allemand pour la zone euro ne sera pas présenté à ce Conseil en raison des élections allemandes. L'union bancaire a pour but de limiter les risques bancaires et protéger les épargnants. Des difficultés techniques - politiques ? - semblent empêcher un accord. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point, Madame la Ministre ?
Avec Vincent Éblé nous avons participé en février à la Conférence article 13 sur le semestre européen, qui réunit des parlementaires nationaux et européens et des membres de la Commission européenne. Les échanges ont été riches et utiles.
Concernant l'impôt sur les sociétés, l'Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis), préparatoire à la convergence des taux, a été adoptée le 15 mars dernier au Parlement européen à la suite du rapport de M. Lamassoure. Ce système unique permettrait une harmonisation et éviterait le différentiel entre les pays.
Sur les GAFA, M. Moscovici a indiqué tout à l'heure qu'il proposerait la taxation à 3 % du chiffre d'affaires des entreprises à partir d'une certaine taille. Cette fiscalité plus juste, plus équitable est souhaitée par nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. André Gattolin . - Le Conseil européen restera peut-être dans les annales par sa forme et la nature des questions posées.
Sur la forme, le Conseil européen démontre - ce que le Parlement et la Commission rechignent à faire - que l'Union européenne ne peut avancer qu'à plusieurs vitesses : à 28, à 27, à 19. Le processus de discussion doit varier selon le degré d'intégration. L'ordre du jour du Conseil est restreint, plus raisonné, hétéroclite. La démocratie gagne en lisibilité.
Le Conseil ne manquera pas d'évoquer la brusque montée de tension entre le Royaume-Uni et la Russie en raison de la tentative d'empoisonnement de Sergueï et Yulia Skripal à Salisbury. Le Royaume-Uni a réagi fermement avec l'expulsion de 23 diplomates russes et la réouverture de l'enquête sur 14 décès suspects ces 15 dernières années sur le sol britannique. La France, l'Allemagne et les États-Unis ont, dès le lendemain, fait part de leur solidarité. Cet épisode démontre que, malgré sa décision tonitruante de quitter l'Union européenne, le Royaume-Uni a besoin de ses alliés européens.
Cette affaire ressoude l'opinion, mais aussi le gouvernement britannique, mise à mal par les divergences sur la gestion post-référendaire. Elle met toutefois en lumière la mansuétude coupable du gouvernement britannique vis-à-vis d'oligarques peu recommandables qu'il a voulu attirer sur la place de Londres. Enfin, le Royaume-Uni a souffert non de trop d'Europe mais de son attitude de cavalier seul. Le Brexit l'a mis en évidence.
Certes, l'Union européenne est imparfaite et peine à relever tous les défis auxquels elle est confrontée. L'Union européenne, selon certains, peine à instaurer la prospérité et la paix durable. C'est vrai, les tensions de plus en plus nombreuses émergent ou réémergent. Mais c'est oublier la réconciliation franco-allemande, la consolidation de la démocratie en Espagne et au Portugal, la pacification des Balkans et, last but not least, la fin de la guerre civile en Irlande du Nord.
Sur la question irlandaise, le blocage idéologique et souverainiste dont fait preuve le gouvernement britannique dans les négociations, va à l'encontre de cette réalité historique : le rôle capital de l'Union dans le règlement de la guerre civile irlandaise, aux relents de guerre de religion. Un rapport de décembre 2016 de la Chambre des Lords rappelle ce rôle de l'Union européenne dans le processus de paix en Irlande du Nord.
C'est incontestable, l'appartenance à l'Union européenne est toujours synonyme de pacification. Souhaitons que Madame May revienne vite à la raison et qu'elle accepte la proposition juste et mesurée faite par les négociateurs européens sur la question irlandaise...
L'Union européenne est un espace de paix mais aussi de prospérité. Elle est certes relative, fragile, et c'est pourquoi la France propose de renforcer la zone euro et de taxer les géants du numérique.
En 2014, M. David Cameron plastronnait et promettait la tenue du référendum sur la sortie de l'Union européenne, alors que le Royaume-Uni affichait une croissance insolente : + 3,1 % du PIB contre 1,3 % pour l'ensemble de l'Union européenne. À l'avenir, le différentiel important sera au bénéfice de l'Union européenne.
« Ce que l'on croit n'a aucune importance : seuls les faits comptent », a dit l'écrivain anglo-australien Arthur Upfield. Inspirons-nous en ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC ; Mme Fabienne Keller et M. René Danesi applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. - Très bien ! Bravo !
M. Pierre Ouzoulias . - Aux débuts de la République romaine, au Ve siècle avant notre ère, la plèbe décida et organisa sa sécession, se retirant hors de la ville pour protester contre les abus de pouvoir des patriciens, le poids des dettes et leur exclusion des magistratures.
Les électeurs italiens viennent de manifester une forme moderne de retirement. Les résultats de l'Italie arrivant après ceux de l'Allemagne, l'Autriche, la Lettonie, la Hongrie, le Danemark, la Suède, la Slovaquie. Dans tous ces pays, une extrême-droite résolument raciste et anti-européenne s'est solidement installée dans les parlements et parfois dans les gouvernements. Au délitement de l'idée européenne fondée sur la démocratie, la paix, les droits de l'homme et la solidarité, elle oppose la fermeture des frontières, la chasse aux étrangers, le repli identitaire et souvent la volonté de constituer de nouvelles entités nationales au-delà ou en deçà des limites actuelles des États.
Des élections européennes auront lieu en mai 2019. Tremblons à l'idée que l'extrême droite devienne la principale force de l'Union européenne. Comment en est-on arrivé là ? Comment l'Italie, pays connu depuis toujours comme l'un des plus actifs partisans de la construction, s'en éloigne aujourd'hui avec autant de violence ?
L'afflux de réfugiés, géré sans la solidarité de l'Union européenne, est une des explications. Plus de 10 000 réfugiés vivent dans des camps de fortune en Italie sans aucune aide malgré les appels du pape, qui a dit : « Les pauvres sont notre trésor ». La Sicile est maintenant jonchée de friches industrielles, signe de l'abandon de l'Europe. La carte électorale de l'Italie est aujourd'hui celle de la pauvreté, celle des régions en voie de sous-développement, celle de l'exode des jeunes diplômés vers le nord, dans un mouvement similaire à celui qui avait poussé hors du pays leurs grands-parents et leurs arrières grands-parents.
Partout en Europe, des régions entières subissent le même déclin et affichent le même dédain pour l'Union européenne.
La production manufacturière ne pèse que pour 9 % du PIB du Royaume-Uni. Ce déclin est associé à la construction européenne et les citoyens n'ont que faire de ce que la City perde son passeport financier, tant le destin de cet îlot de richesse leur est devenu étranger.
En France, des processus similaires sont à l'oeuvre, la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière a été diminuée par deux en quarante ans, le déclassement a touché des régions entières.
À l'échelle du continent, de nombreux emplois parmi les moins qualifiés ont migré vers l'Est de l'Europe et les productions à haute valeur ajoutée sont maintenant concentrées dans un petit nombre de pays de l'Europe du nord qui ont maintenu puis renforcé leur capacité dans ces domaines. Ces emplois perdus ont rarement été remplacés par de nouveaux créés dans d'autres secteurs économiques. Il en résulte de fortes disparités géographiques de richesse qui ne cessent de s'accroître et qui minent les fondements d'une Europe qui ne peut se perpétuer sans être solidaire.
L'Allemagne est considérée comme la responsable ; elle aurait imposé son ordo-libéralisme à l'Union européenne au seul bénéfice de son propre territoire.
La critique est en partie injuste. Sa population a subi les mêmes conséquences sociales. La Commission européenne elle-même notait dans son rapport du 7 mars que la faiblesse de la demande intérieure, la stabilité des salaires et une production inférieure à son niveau de 2009 ont augmenté les inégalités sociales et la pauvreté en Allemagne. Plus de 60 % des richesses y sont détenues par 10 % de la population. La moitié la plus pauvre n'a que 1 % de la richesse et trois millions d'Allemands doivent exercer un deuxième emploi pour survivre.
Le coefficient de Gini désigne l'Allemagne comme le pays le plus inégalitaire de l'Union européenne. Et, une nouvelle fois, on nous dit que la solution est le renforcement de la relation France-Allemagne. Il faut au contraire une analyse radicale de l'ordo-libéralisme qui impose rigueur budgétaire, autonomie monétaire et niveau élevé de concurrence.
Le 21e siècle serait une ère sans idéologie : arrêtons ce dogme qui nous mène à l'abîme. Notre Union n'a pas besoin de grande déclamation, depuis la colline de la Pnyx ou l'amphithéâtre de la Sorbonne, pour convoquer les mânes des pères fondateurs de l'Europe, si nous sommes incapables de comprendre qu'il nous faut d'abord trouver, dans l'urgence de la catastrophe qui vient, des moyens pour soulager le quotidien de millions d'Européens qui vivent dans ces territoires de relégation, condamnés par des processus économiques qui les excluent.
Ayons l'audace salvatrice d'affirmer, dans les discussions à venir, que le seul horizon pour sauver l'Europe est celui de la réduction des inégalités. Des politiques en rupture avec les dogmes de l'ordo-libéralisme sont expérimentées, leur succès prouve qu'il est possible de concilier le développement, la redistribution de la richesse et l'indispensable solidarité entre les individus et les territoires. Sortons de la pensée unique et posons les bases d'une analyse rigoureuse des conséquences sociales des politiques économiques dont on nous explique qu'elles sont sans alternative. Replaçons maintenant l'humain et la société au coeur de nos préoccupations. Soyons humaniste pour tenter d'éviter que l'Europe de demain ne soit plus qu'un espace dédié à la libre circulation des marchandises et livré aux forces anti-démocratiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le président de la République a demandé et obtenu la confiance des Français sur un programme faisant une large place à la construction européenne. Il l'a évoqué à la Sorbonne. Son action est plus que jamais nécessaire. Il y va des intérêts de notre pays. Les enjeux français et européens sont imbriqués. Quels que soient les points de vue des uns et des autres, je note un fil rouge : la gravité du moment et des enjeux. Je partage la mise en perspective historique de certains.
La construction européenne conduite depuis la Seconde Guerre Mondiale doit être saluée, au vu de l'ampleur des chantiers mais aussi des résultats, on vient de nous dire que le couple franco-allemand était sans espoir... Au contraire, il est de nouveau opérationnel. Attention aux formules de style. Le contenu doit être à la hauteur des enjeux.
Je crains le statu quo, entre prudence rédactionnelle et ambition européenne. Rien n'est acquis, en particulier pour notre pays qui doit mener de nombreuses réformes pour reconquérir sa place de leader européen.
Les marchés sont en attente de décisions. La convergence fiscale doit être réalisée. Le cas de Google est caricatural : alors qu'en dehors de l'Europe, cette société paierait 9 % de son chiffre d'affaires en impôts, elle n'en n'acquitterait que 0,92 % dans l'Union européenne - et Facebook parviendrait à payer en impôt moins de 0,10 % de son chiffre d'affaires !
La voix de l'Europe est particulièrement attendue sur la scène internationale. Le découplage entre les enjeux géostratégiques et les pudeurs européennes sur la politique de défense peuvent agacer même ceux qui ont l'Europe chevillée au corps.
L'obsession de nos amis britanniques à rester dans le cercle de la défense européenne est révélatrice.
En matière de sécurité d'immigration, de gouvernance économique, les défis sont nombreux, et l'horizon de leur traitement toujours européen. Ainsi, à ne pas traiter la question de l'immigration, on s'expose aux résultats que nous venons de voir en Italie... La prochaine réforme du droit d'asile sera une étape importante.
Je souhaite que le Conseil puisse prendre des décisions, le plus grave étant la non-décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Sylvie Robert . - L'instabilité et les inquiétudes s'intensifient. Les tensions diplomatiques s'accroissent avec les États-Unis et la Russie. Ce Conseil a un rôle majeur à jouer. Il sera l'occasion de vérifier l'ambition des chefs d'État pour l'Union européenne. La Commission et les dirigeants répètent qu'ils veulent voir l'Union européenne jouer un rôle accru.
Il faudrait augmenter le budget européen actuel. Il était de 1,25 % du PIB européen en 1999, pour 1 % aujourd'hui, et la Commission européenne voudrait le plafonner à 1,1 %...
Les États membres ont acté une baisse des ressources avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Pourtant on ne fait pas plus avec moins. Le Gouvernement est-il prêt à défendre une augmentation des ressources propres de l'Union européenne ? Sinon, la PAC et les politiques de cohésion en pâtiraient. Vous connaissez l'attachement du Sénat à ces politiques.
En ces temps de progrès généralisés du populisme, il est indispensable de rendre concrètes les avancées de l'Union européenne. À ce titre, la PAC et la politique de cohésion sont précieuses.
N'oublions pas que le budget européen est avant tout l'expression de choix politiques qui traduisent une ambition. Cette ambition doit être exprimée par la feuille de route de la réforme de la zone euro attendue pour juin. Or l'achèvement de l'union bancaire est en difficulté, les fonds de cohésion risquent d'être conditionnés à des réformes structurelles... Attention à ne pas tenir les collectivités territoriales pour responsables des choix budgétaires des gouvernements !
Erasmus a fait ses preuves, fabriquant des ambassadeurs de l'Europe. Les ministres de l'Éducation veulent doubler voire tripler sa dotation ; son ouverture à l'enseignement professionnel, voire au secondaire ou aux jeunes diplômés, est envisagée. Y a-t-il un risque de substitution d'un système de bourses à un système de prêts ? Erasmus ne doit pas être réservé à ceux qui ont un capital de départ.
Notre groupe est attaché au dialogue social européen, qui s'est essoufflé depuis vingt ans. Je me réjouis des avancées sur le pilier social : création de l'autorité européenne du travail, pour garantir la libre circulation des travailleurs, élargissement de la protection sociale à tous les travailleurs. Les vingt principes du socle européen des droits sociaux assoient cette ambition sociale de l'Union ; le Conseil européen a invité les États à l'inscrire dans leur ordre interne. Où en est le Gouvernement ?
Enfin, ce Conseil européen permettra de jauger l'ambition européenne des États membres. Espérons que le président de la République mettra ses actes en conformité avec ses déclarations, en prenant des engagements tangibles au service des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mmes Christine Prunaud et Annick Billon applaudissent également.)
M. Simon Sutour. - Très bien !
Mme Colette Mélot . - Le Conseil européen des 22 et 23 mars verra le lancement du semestre européen définissant les priorités économiques de l'Union européenne. Principal outil de convergence économique, il s'articule autour de trois axes : réformes structurelles pour la croissance et l'emploi, politiques budgétaires dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, prévention des déséquilibres macroéconomiques.
Le 6 mars dernier, la Commission européenne a sorti la France de la catégorie des pays à déséquilibre macroéconomique excessif, pour la première fois depuis dix ans ; elle lui a également décerné un satisfecit pour les réformes entreprises, même si la dette publique et le déficit commercial restent préoccupants.
Mme Nathalie Goulet. - Très !
Mme Colette Mélot. - Rigueur budgétaire et poursuite des réformes sont cruciales pour notre crédibilité, et pour retrouver notre capacité d'entraînement. Le volet social va de pair avec le volet économique ; or il a trop longtemps été négligé. Le primat donné au grand marché a conduit au désenchantement des peuples. L'Union européenne doit marcher sur ses deux jambes. En 2007, Benoît XVI évoquait à Vienne la maison Europe, un modèle européen qui conjugue « efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture ». La mondialisation doit être canalisée et régulée, disait-il, pour protéger les plus fragiles et les générations futures. C'est le sens du projet européen.
L'ordre du jour social du Conseil européen est fourni. La mise en oeuvre du socle des droits sociaux est nécessaire pour harmoniser les conditions de vie des travailleurs ; la création d'une autorité européenne du travail remédiera aux failles du marché unique et encouragera la coopération entre États membres. La France doit plaider pour une institution puissante et efficace.
En matière de fiscalité du numérique, il faut concilier efficacité et justice, encouragement à l'innovation et juste contribution aux charges communes. Le prix Nobel français Jean Tirole a attiré l'attention sur les économies en réseau qui échappent à la territorialisation de l'impôt et profitent de la concurrence fiscale entre États. La réponse est européenne. L'Europe doit être unie et forte pour défendre ses intérêts et ses valeurs. Le 55e anniversaire du Traité de l'Élysée a marqué la volonté du président de la République et de la Chancelière de relancer le projet européen autour du moteur franco-allemand. Mais chacun des 27 a un rôle à jouer pour incarner une Europe puissance.
Celle-ci ne fonctionnera que si les institutions jouent le jeu. À cet égard, la nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de l'Union européenne jette une ombre. À l'aube des élections européennes, quel cadeau aux europhobes ! La France doit contester, Claude Malhuret l'a dit, l'opacité de la procédure et la surreprésentation de l'Allemagne aux postes clés. Sans hurler avec les loups populistes et eurosceptiques, il faut avoir le courage de critiquer ce qu'on aime. Une critique constructive et bienveillante, pour rebâtir la maison Europe sur des fondements plus durables. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, RDSE et LaREM, ainsi que sur certains bancs du groupe UC ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - Les négociations sur l'adhésion possible de la Turquie, au-delà des enfumages, vont bon train : le 26 mars à Varna, les dirigeants de l'Union européenne rencontreront Erdogan. Le Premier ministre bulgare parle de normalisation des relations ; M. Juncker déplore que la Turquie s'éloigne d'elle-même de l'Europe... Personne ne s'en cache : il s'agit de renouer le dialogue. MM. Tusk et Juncker parlent de faire avancer notre relation sur la base du respect mutuel et de l'intérêt commun...
Soyons clairs : le Front national ne veut pas renouer le dialogue avec la Turquie et demande l'arrêt définitif du processus d'adhésion. L'Histoire, c'est avant tout la géographie. Regardez une carte, tordez-la, secouez-la, la Turquie n'est pas et ne sera jamais en Europe. Cet État islamique, n'en déplaise aux talibans laïques et aux marchands du Temple, n'a rien à faire dans une Europe à l'héritage helléno-judéo-chrétien. La Turquie dictatoriale d'Erdogan ne fait pas partie de l'Europe démocratique.
Depuis la tentative de putsch de juillet 2016, l'état d'urgence perdure, beau prétexte pour étendre la répression. Cinquante mille arrestations dont cent-soixante journalistes et cent-cinquante universitaires ; cent-cinquante mille fonctionnaires suspendus ou radiés. Cent ans après le génocide arménien, les quelques chrétiens restants sont persécutés dans un pays en pleine réislamisation. Veut-on faire de l'Europe une autre petite nièce de l'Islam ?
Concentration des pouvoirs entre les mains du Président, presse aux ordres, justice sous pression, opposition muselée, islamisme conquérant, la Turquie ressemble décidément de plus en plus à la Macronie ! (Huées sur de nombreux bancs) Pas étonnant que Macron ait déroulé le tapis rouge à Erdogan. Alors de grâce, finissons-en...
M. Olivier Cadic. - Oui, de grâce, finissons-en !
M. Stéphane Ravier. - ... avec cette hypocrisie. La Turquie a reçu 7 milliards d'euros de l'Europe, et doit encore en recevoir 6 pour freiner les flux migratoires - mais, preuve de la validité du principe chiraquien selon lequel « les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent », 5 millions de migrants ont déferlé sur l'Europe... ça rentre comme ça pleut !
M. Fabien Gay. - Vous parlez d'humains.
Mme Nathalie Goulet. - C'est long, cinq minutes !
M. Stéphane Ravier. - Je le redis : non, définitivement à la Turquie en Europe !
M. Antoine Lefèvre. - Ce n'est pas le sujet !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOCR et Les Indépendants) Retrouvons l'esprit de Rome, plaidait le Sénat dans un rapport de 2017. Vendredi dernier, le couple franco-allemand a incarné ce nécessaire leadership. Halte à la dérive bureaucratique, recentrons-nous sur les vraies priorités : sécurité, emploi, immigration, investissements d'avenir.
L'alternative est claire : le sursaut ou la sortie de l'Histoire. En 2050, seule l'Allemagne fera partie des dix premières puissances économiques mondiales. C'est en regroupant ses forces que l'Europe défendra ses valeurs.
Le projet européen doit être renouvelé. Le Sénat a tracé la feuille de route de ce nouveau départ, largement reprise par le président de la République dans son discours à la Sorbonne.
Le Conseil européen abordera les négociations d'adhésion avec la Serbie et le Monténégro. Une ouverture des négociations avec l'Albanie et l'ancienne République yougoslave de Macédoine est envisagée. Certes, les Balkans sont une poudrière ; c'est là qu'a commencé la Première Guerre mondiale, là qu'a eu lieu la dernière guerre majeure en Europe. Franchement, la relance de l'élargissement est-elle souhaitable au moment même où l'Europe doit se refonder et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ?
M. André Reichardt. - Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Ne soyons pas laxistes. Les pays candidats devront être parfaitement prêts le moment venu, l'Union européenne aussi. Est-il raisonnable d'envisager l'adhésion de la Serbie et du Monténégro en 2025 ? Pourquoi fixer ainsi une échéance, au risque de décevoir ? L'Europe doit d'abord se consolider avant de poursuivre un processus d''élargissement qui suscite la défiance des opinions.
M. André Reichardt. - Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - La Turquie, candidate depuis 1999, risque de le percevoir comme un affront. Elle souhaite une accélération de son processus d'adhésion. Nous savons tous que ce n'est pas crédible, au vu de la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Turquie, comme de la montée des tensions qu'elle provoque en Méditerranée orientale : blocage d'une plateforme de forage italienne dans les eaux chypriotes, incidents avec la Grèce. Et je ne parle pas de la situation terrible d'Afrine. (Applaudissements sur tous les bancs)
Néanmoins, nous avons des intérêts communs avec la Turquie, partenaire stratégique et membre de l'OTAN. Elle a respecté l'accord de mars 2016 sur les flux migratoires. La société civile turque nous demande, du reste, de ne pas rompre le dialogue.
Le président de la République a dit vouloir une reformulation du dialogue Union européenne-Turquie ; c'est la bonne voie. Vous nous en préciserez, Madame la Ministre, les modalités.
La France est de retour en Europe. Au Gouvernement de créer une dynamique pour relancer le projet européen ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et LaREM, ainsi que sur certains bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Michel Savin. - Très bien !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Le Conseil européen des 22 et 23 mars sera l'occasion d'un point d'étape sur le Brexit. L'accord final attendu pour octobre devra notamment résoudre la question de l'Irlande, la plus complexe. Comment éviter la reconstitution d'une frontière ? Nous prenons acte de l'annonce d'un accord sur un espace réglementaire commun incluant l'Irlande du Nord, sans frontière intérieure, qui présagerait, je le dis prudemment, d'une réunification de l'Irlande... Pouvez-vous nous en dire plus, Madame la Ministre ? Je saisis l'occasion de saluer le travail de Michel Barnier.
Mme May a clarifié la position britannique. La seule voie d'accord avec l'Union européenne est un accord de libre-échange, comme vous l'avez dit, Madame la Ministre.
Les entreprises seront pénalisées - mais c'est la conséquence du choix britannique. Il ne saurait y avoir un marché unique à la carte.
Les services financiers seraient soumis à un dispositif d'équivalences améliorées. Enfin, la coopération avec le Royaume-Uni devra rester étroite en matière de défense ou de sécurité intérieure.
Donald Tusk a annoncé qu'il n'y aurait pas de barrières tarifaires, mais n'a rien dit des barrières non tarifaires... La période de transition, inévitable, ne doit pas aller au-delà du 31 décembre 2020 et ne sera pas reconductible. Le Royaume-Uni devra respecter l'ensemble de l'acquis communautaire mais ne fera plus partie du processus de décision.
M. André Reichardt. - Heureusement.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Il devra respecter la liberté de circulation. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'accord trouvé par les négociateurs ?
Pendant que le Royaume-Uni organise son isolement, l'Europe doit continuer à avancer. Le Conseil abordera le marché unique du numérique, l'union des marchés de capitaux et de l'énergie.
L'Union européenne doit aussi se doter d'une stratégie industrielle forte adossée à son joyau, le marché unique.
En matière de numérique, l'Union européenne ne doit plus être seulement consommatrice mais aussi productrice, faire émerger des champions. La politique de concurrence a été conçue à une autre époque ; depuis, le monde a changé. Il convient de la réformer pour relever le défi de la reconquête industrielle. Que peut-on attendre sur l'épineuse question de la fiscalité du numérique ?
Autre enjeu crucial, le système multilatéral commercial, qui est en crise, les États-Unis refusant de nommer des juges à l'instance de règlement des différends de l'OMC. Dans ce contexte, des accords commerciaux bilatéraux peuvent être bénéfiques pour l'Union, mais celle-ci doit défendre ses intérêts et exiger la réciprocité. Notre commission examinera bientôt le rapport de Pascal Allizard et Didier Marie sur l'accord avec le Mercosur : ce sera l'occasion de réaffirmer nos positions.
S'agissant des relations avec les Balkans occidentaux, nos rapporteurs, Claude Kern et Simon Sutour, se rendront bientôt en Serbie et au Monténégro. Nous sommes favorables à un engagement commun sur les défis de sécurité et l'immigration mais reconnaissons-le, il convient de confirmer le moratoire sur l'élargissement pour conforter l'acquis communautaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - Le contexte général éloignait la perspective d'un Conseil européen ambitieux, mais l'accord trouvé lundi sur la période de transition pour le Brexit est de bon augure. La question de l'inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange cristallise les tensions ; après un projet d'orientations qui les écartait, les ministres des affaires européennes des 27 États membres ont approuvé hier leur inclusion dans une annexe.
La commission des finances estime qu'un accord couvrant l'ensemble des services financiers ne s'imposait pas. Il serait préférable de les soumettre à des régimes d'équivalence renforcés, dont il faudrait toutefois vérifier par un réexamen régulier le respect de la réciprocité. Madame la Ministre, qu'avez-vous à nous dire sur ce point ?
L'impasse politique semble résolue puisque le Royaume-Uni ne participera pas au prochain cadre financier pluriannuel - mais celui-ci soulève des inquiétudes, notamment sur le financement de la PAC, sachant que le Brexit fera perdre au moins 10 milliards d'euros au budget de l'Union européenne.
S'agissant du sommet de la zone euro, la Commission européenne a fait des propositions plus pragmatiques que celles du président de la République. Mais les blocages demeurent : huit pays dont les Pays-Bas refusent toute réforme ambitieuse. Le Fonds monétaire européen pourra prêter en dernier ressort au Fonds de résolution unique en cas de défaillance bancaire. Mais il devra être responsable devant les parlements nationaux. Dans ce contexte, il semble que la consolidation de la zone euro devra attendre le sommet de juin. Une feuille de route franco-allemande sera probablement nécessaire pour avancer, notamment autour de la résilience du système bancaire et de la convergence des économies.
Concernant la fiscalité du numérique, la Commission européenne a présenté ce matin trois textes pour taxer les entreprises du numérique dans les pays où ils réalisent leurs activités, sur la base de 3 % des recettes brutes. À plus long terme, il est envisagé de taxer les bénéfices sur la base de la notion de présence numérique significative. Ces propositions vont dans le sens préconisé par notre groupe de travail sur le sujet. Cependant, nous craignons que la démarche graduée de la Commission européenne ne produise pas de résultats avant longtemps, en témoigne l'approche retenue sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (Accis), qui a montré ses limites.
J'espère que la France saura jouer un rôle moteur dans ce dossier. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM, Les Indépendants et RDSE)
Mme Nathalie Loiseau, ministre . - Merci pour vos interventions.
Les électeurs italiens ont signifié non pas un trop d'Europe, mais un manque d'Europe, à un moment où ils avaient besoin de solidarité pour faire face aux conséquences de la crise financière ou à l'afflux massif de migrants.
M. Jean-Yves Leconte. - Il faudra le dire à votre collègue !
M. Gilbert Roger. - Dites-le au ministre de l'intérieur !
Le mode de règlement de la question irlandaise, je le reconnais, est encore flou. Mais l'accord des Britanniques sur l'appartenance de l'Irlande du Nord à la zone douanière européenne - le back-stop - est un petit progrès.
Le Royaume-Uni, nous l'avons rappelé, ne bénéficiera plus du passeport financier et les services financiers seront traités en dehors de l'accord de libre-échange, par un mécanisme d'équivalences renforcées défini unilatéralement par l'Union.
Le sénateur Gattolin a rappelé la gravité de l'attaque de Salisbury. Que le Royaume-Uni quitte l'Union européenne ou non, il reste notre voisin, notre partenaire, notre allié, et nous sommes pleinement solidaires. Le Conseil européen s'exprimera sans doute fortement. Cette double tentative d'assassinat est le premier cas d'utilisation depuis 1945 sur le sol européen d'un agent neurotoxique prohibé.
Nous travaillons tous au renforcement de la zone euro. Il faut achever l'union bancaire, renforcer le mécanisme européen de sauvegarde, augmenter les capacités budgétaires pour faire face aux chocs économiques. Malgré les obstacles techniques, nous progressons. La France et l'Allemagne présenteront une feuille de route au Conseil européen de juin. La priorité est à la finalisation de l'union bancaire, au renforcement du budget et à l'union des marchés de capitaux.
Malgré la sortie de la catégorie de déséquilibre excessif, nous ne relâcherons pas nos efforts. La reprise est là, il faut la soutenir par des réformes structurelles, pour la soutenabilité des finances publiques. En 2017, pour la première fois depuis dix ans, nous sommes sous la barre des 3 % de déficit public.
Le prochain cadre financier pluriannuel devra définir de nouvelles priorités. Nous ne voulons pas pour autant sacrifier les politiques traditionnelles et sommes opposés à toute re-nationaliation de la PAC.
Il faut fixer les priorités avant de définir l'enveloppe du budget européen. Nous sommes prêts à explorer de nouvelles ressources propres. Mario Monti y a travaillé. Il faut maintenant passer aux travaux pratiques. Il est temps de mettre fin, à la faveur du Brexit, à toute forme de rabais. La politique de cohésion doit être conditionnée à l'État de droit et à la convergence fiscale et sociale. La fiscalité numérique est un défi majeur ; nous sommes déterminés à aboutir, sans attendre un règlement international, à une taxation européenne des géants du Net. Le statu quo ne peut perdurer, et nous sommes pleinement en phase avec les propositions présentées ce matin par la Commission européenne.
Nous regrettons que les négociations sur l'Accis ne progressent pas ; mais nous allons avancer en bilatéral avec l'Allemagne sur une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, pour donner l'exemple. Le travail a repris avec le nouveau gouvernement allemand.
La Commission européenne vient de présenter son projet d'Autorité européenne de travail, pour mieux lutter contre les fraudes au détachement des travailleurs notamment. Il s'agit d'encourager la mobilité en convergeant par le haut.
S'agissant des Balkans occidentaux, vous soulignez à juste titre qu'il est artificiel de fixer des échéances théoriques pour l'adhésion de nouveaux membres ; mais M. Junker a rappelé que les critères d'adhésion étaient impératifs. Nous considérons que la Macédoine et l'Albanie ne sont pas en situation de les remplir dans les délais rapprochés, ce qui ne permet pas d'ouvrir les négociations.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'Union européenne doit toutefois renforcer son partenariat avec les Balkans, sur l'état de droit, la sécurité ou l'intégration dans les transports et les télécoms. C'est l'objet du sommet de Sofia du 17 mai et de nos échanges bilatéraux. Ne laissons pas le champ libre à la Turquie, la Chine ou la Russie...
Une guerre commerciale avec les États-Unis sur l'acier et l'aluminium ne ferait que des victimes parmi nos producteurs. Face aux mesures protectionnistes américaines, l'Union européenne recherche d'abord une exemption, mais le temps presse. En cas d'échec, la réaction devra être forte et respectueuse du multilatéralisme. Nous nous y préparons.
Nous jugeons essentiel de dialoguer avec la Turquie, partenaire difficile mais essentiel pour la lutte contre le terrorisme et le contrôle des migrations qui préoccupent tant M. Ravier... Mais nul ne songe à poursuivre les négociations d'adhésion, tant les choix politiques d'Ankara l'éloignent chaque jour davantage des valeurs de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM et RDSE)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très juste.
Débat interactif et spontané
M. Pascal Allizard . - Le Conseil européen s'ouvrira sur une Europe en crise, confronté aux menaces extérieures et intérieures. Populisme, division, risque de désintégration : Royaume-Uni, groupe de Visegrád, et maintenant l'Italie...
Les causes en sont profondes. L'Union européenne a géré maladroitement la crise migratoire, laissant trop longtemps l'Italie en première ligne. Il y a quelques jours, à Bruxelles, j'ai été choqué par le verbiage technocratique et condescendant des fonctionnaires européens vis-à-vis de ceux qui pensent mal ou ne comprennent rien. Il est toujours plus commode de montrer du doigt les égarés plutôt que de trouver des solutions.
Quelles leçons la France tire-t-elle du scrutin italien, et quelle politique migratoire défendrez-vous auprès des instances européennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Les électeurs italiens ont adressé un message clair : l'Europe n'a pas été suffisamment présente pour les aider à faire face au défi migratoire.
C'est pourquoi la France s'est engagée auprès des pays d'origine, en orientant l'aide au développement en faveur de la formation et de l'emploi des jeunes en Afrique sub-saharienne, en oeuvrant pour la stabilisation des pays de transit, telle la Libye, et incite à développer l'examen des demandes d'asile dès le Niger ou le Tchad.
Il faut maintenant attendre d'avoir un gouvernement italien issu des dernières élections. Évitons de blâmer la bureaucratie de Bruxelles - les Italiens ont souffert du manque de solidarité de ceux qui veulent bien recevoir des crédits, mais pas de demandeurs d'asile.
M. André Reichardt. - Très bien.
M. Jean-Yves Leconte . - On ne peut pas esquiver le débat sur les rapports entre élargissement et approfondissement de l'Union européenne. Contrairement à d'autres régions, l'Europe centrale connaît une embellie économique. Il faut saluer l'évolution du président Juncker, qui offre une feuille de route viable pour les pays des Balkans. Il fallait sortir de l'état de négociation, totalement coincé.
En laissant prospérer l'instabilité dans ces pays, on prend des risques. Cent ans après le front d'Orient, essentiel pour l'image de la France, il est triste que cette dernière ne soit plus objet que de nostalgie.
L'Allemagne a compris les enjeux, contrairement à la France. Quelles mesures préconisez-vous pour que la France ne soit pas à la remorque de l'Allemagne sur cette question des Balkans ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Nous partageons avec les Balkans une histoire et un destin. Lors du sommet de Sofia le 17 mai, nous pousserons pour aboutir à un agenda positif - sur la mobilité étudiante par exemple, mais sans alimenter la fuite des cerveaux, des technologies ou des infrastructures.
Ce que nous voulons, dans les Balkans, c'est rendre service aux réformistes de ces pays par le renforcement de l'État de droit, la lutte contre la corruption et le crime organisé ; nous sommes prêts à les y aider.
Mme Nathalie Goulet . - Comme le dit Jean Arthuis, l'Europe ne parle pas aux Européens. La priorité est aux marchés financiers.
Elle est muette face aux barbaries. Le Yémen en subit une depuis des années. Depuis 2015, l'Europe a fourni 200 millions d'euros d'aide.
L'Arabie saoudite a proposé plus d'un milliard d'euros ; les Émirats et d'autres pays l'ont suivie mais l'argent pourrait tomber dans des mains hostiles. De plus, le problème principal de ces aides est qu'elles n'arrivent pas à leur destinataire, la population.
L'Europe pourrait assister ces pays à diriger l'aide humanitaire, alimentaire, médicale, financière. Une aide technique européenne en ce sens est-elle possible ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - C'est une tragédie que vit ce pays, où le conflit dure depuis des années : le Yémen est en guerre civile, ses aéroports sont détruits, ses installations portuaires sont occupées et les convois humanitaires ne peuvent pas circuler, des médecins de MSF ont été pris pour cible.
L'urgence est de mettre fin aux hostilités et de trouver un règlement politique, mais aussi de travailler à la distribution de l'aide à la population et à la reconstruction du Yémen. Compte tenu de leur responsabilité, il n'est pas anormal que les pays du Golfe soient loin devant pour participer à ce travail.
M. André Reichardt . - L'approfondissement de l'Union économique et monétaire sera au menu du sommet de la zone euro de vendredi.
Le président Macron avait fait des annonces fameuses : la création d'un Parlement de la zone euro, pouvant contrôler un budget autonome de centaines de milliards d'euros, listes transnationales uniques pour les élections européennes... Mais il semble que l'idée même d'un Parlement et d'un budget subisse le même sort que ces dernières : tout disparaît - la Commission européenne n'a pas estimé utile d'aller au-delà d'une simple ligne budgétaire intégrée au budget général de l'Union, les pays de l'Europe du Nord estiment - à juste titre - que la priorité est à la remise en ordre budgétaire et économique et aux réformes dans chacun des pays.
L'accord de coalition du nouveau Gouvernement allemand ignore totalement ces propositions françaises. Le budget autonome de la zone euro est-il donc encore une proposition de la France ? Pour quel montant ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Le contrat de coalition du gouvernement allemand comprend le renforcement de la zone euro. Il peut paraître facile d'écrire dans la presse qu'il vaut mieux remettre à plus tard la réforme de la zone euro - quand ? Quand tout ira mal ?
Quand une crise surgira ? Le manque de démocratie dans les décisions de la zone euro est précisément ce qui a fait des pays du Sud des pays eurosceptiques, eux qui étaient les plus enthousiastes à l'égard de l'Europe. Il s'agit de prendre des responsabilités. La prévention des risques, c'est bien ; le partage des risques, c'est important aussi et c'est une conséquence normale de la monnaie commune et de l'union bancaire, afin de favoriser la croissance et l'emploi.
Nous travaillons avec l'Allemagne - je ne peux hélas pas vous donner la primeur de nos premiers entretiens avec le nouveau Gouvernement.
Mme Sylvie Robert . - M. Vaugrenard aurait voulu vous poser la question suivante, qui a trait aux droits sociaux. Ceux qui travaillent à temps partiel ou sans être salariés représentent 40 % des emplois. Ces personnes n'ont pas toujours une bonne couverture sociale, ne bénéficient pas systématiquement d'une assurance chômage et n'ont pas obligatoirement accès à des droits à pension. La proposition de la Commission européenne en la matière vise donc à fixer un cap aux États membres afin de favoriser l'accès à la protection sociale pour tous les travailleurs salariés ou non. Cela va dans le bon sens, mais la lenteur de l'application des décisions est patente.
Les négociations à 27 sont très difficiles et complexes. Il est urgent de modifier les lourdeurs du processus de décision européen et de réfléchir à la remise en cause du recours systématique et absolu à l'unanimité, pour rendre possibles des décisions à la majorité, ou à géométrie variable, au moins sur les droits sociaux. Le Gouvernement partage-t-il cette ambition ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Le sommet de Göteborg a été une étape importante. Il faut maintenant passer au concret. Nous soutenons la création d'une autorité européenne du travail.
Les pays du Nord ont peur que l'harmonisation sociale dégrade la situation chez eux ; ceux du Sud pensent que la croissance repose sur le dumping social. Il devrait ne plus être possible de financer une politique de main-d'oeuvre low-cost sur des fonds européens.
Si une avant-garde est possible, cela risque d'entretenir une concurrence entre États membres alors qu'il faudrait plutôt oeuvrer pour la cohésion.
Mme Denise Saint-Pé . - La semaine dernière, à l'occasion des 30 ans du GIEC et de sa 47e assemblée plénière à l'Unesco, des scientifiques et économistes européens ont avancé des propositions pour un « Pacte finance climat » ambitieux.
Dans un contexte international houleux, où les États-Unis se désengagent de l'Accord de Paris et laissent entendre un éventuel retour négocié, l'Union européenne doit afficher une volonté ferme de conduire la transition énergétique et de sauver le climat.
L'écologie sera-t-elle une priorité ? La France cherchera-t-elle à pousser l'Europe à agir sur le climat. À quand un budget Climat ? Il faut agir avant que les migrations climatiques ne secouent l'Europe.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Nous avons fixé un cadre ambitieux : 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 ; 27 % d'énergies renouvelables dans le mix énergétique ; 30 % dans le domaine de l'efficacité énergétique.
Le travail a déjà été accompli aux deux tiers et sera achevé à la fin de cette année. Nous avons rénové le marché du carbone. Nous achevons la négociation du paquet énergie propre de 2016 - soit huit directives et règlements : chaque État membre devra se doter d'un plan en cohérence avec ces engagements européens.
M. Michel Canevet . - On peut se réjouir des avancées vers une Europe plus harmonieuse mais les difficultés demeurent, notamment les distorsions de concurrence dans le secteur primaire, surtout dans les secteurs du porc et du lait. En Allemagne, les exploitations porcines sont aidées indument ; aux Pays-Bas, des exploitations fantômes laitières ont été identifiées...
Attention à la situation de nos marins-pêcheurs, dont les zones de pêche sont pour l'essentiel dans les eaux britanniques. L'accord de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne devra pas les oublier. C'est très important.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La PAC est une des premières et des plus importantes politiques intégrées de l'Union. Elle a des défauts : c'est pourquoi sa réforme tend à les corriger pour mieux encourager la durabilité de nos filières, raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à sa renationalisation. Nous sommes attentifs aux crises : la PAC doit mieux y répondre.
Contrairement à quelques déclarations politiques un peu rapides au Royaume-Uni, nous avons obtenu l'accès aux eaux britanniques pour les marins français et l'accès des produits de la mer britannique ne se fera pas sans accord.
M. Benoît Huré . - Le projet des pères fondateurs est en danger ; il a pourtant permis de vivre en paix pendant soixante-dix ans, une première sur notre continent.
Les autorités européennes doivent être fermes sur le respect des règles de coopération, mais sans donner non plus l'impression de vouloir les enrégimenter, notamment en ce qui concerne le vivre ensemble particulier de chacun.
Les États doivent mieux se connaître ; les échanges Erasmus seront utiles, comme les contacts entre parlements nationaux mais il faudra agir avec détermination pour continuer à les encourager. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Il faut effectivement être attentif à ce que disent les États membres. C'est ce que nous faisons, le président de la République et moi : nous nous sommes rendus dans un très grand nombre d'entre eux. Fermes dans nos convictions, nous nous attachons à dialoguer avec tous. Nous n'aurions pas réussi à réviser la directive Travailleurs détachés sans cette démarche. L'Europe n'est pas seulement un marché unique, pas plus qu'un carnet de chèques. Elle suppose une adhésion à des valeurs. Il faut avoir conscience des obligations en termes de règles démocratiques et de valeurs.
Mme Gisèle Jourda . - Le Brexit entraînera des conséquences en matière de coopération policière et judiciaire. Le traité de Lisbonne a augmenté les compétences d'Eurojust et d'Europol, qui agissent à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières. Or la criminalité se joue de ces dernières. Il est essentiel que le Royaume-Uni continue de coopérer avec Europol, dont le directeur général est britannique, ainsi qu'avec Eurojust.
Le Brexit est donc un challenge majeur pour ces institutions. Quelles sont les modalités de coopérations possibles entre le Royaume-Uni et ces agences, ainsi qu'avec les institutions de l'Union européenne ? Où en sont les négociations dans ce domaine ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - En effet, pour les criminels et les terroristes, les frontières n'existent pas.
La nouvelle directrice générale d'Europol est belge ; je viens de la rencontrer. Les 27 sont déterminés à maintenir un partenariat étroit avec les Britanniques sur les sujets ayant trait à la justice et aux affaires intérieures, à la coopération judiciaire et policière. Ces aspects seront traités ; les directives de négociations qui seront données à M. Barnier après le Conseil européen en témoignent.
M. Olivier Cadic . - À propos des Balkans, auxquels il convient effectivement d'être très attentif, j'ai été surpris par vos annonces sur la Serbie et le Monténégro : le président Macron semblait dire à la Sorbonne que leur adhésion serait rapide.
J'en viens au Brexit : David Davis et Michel Barnier se félicitent d'un accord sur les citoyens. Pourtant, j'ai en main (L'orateur brandit un livre.) un ouvrage très intéressant, sur lequel j'espère que nous pourrons nous pencher bientôt en commission, reprenant des témoignages poignants de citoyens européens résidant au Royaume-Uni. M. Tusk affirme que les trois millions de ressortissants européens au Royaume-Uni pourront continuer à y vivre sereinement. J'ai longuement parlé avec eux, récemment, lors d'un évènement à Londres intitulé « Should I stay or should I go ? ». Ils ont l'impression d'un accord qui se fait sur leur dos. Ils devront se soumettre à une procédure d'immigration sans garantie de succès. Ils perdront des droits, de regroupement familial notamment. Un jeune Français de Londres ne pourra pas ramener sa femme britannique selon les règles du regroupement familial. Les Britanniques dans l'Union européenne perdront leur liberté de circulation... (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Les textes sont formels : tous les droits sont garantis pour les personnes entrées au Royaume-Uni avant le 29 mars 2019. C'est un succès de M. Barnier. Bien sûr, après cette date, cela sera différent, mais c'est une décision souveraine du peuple britannique. Nous resterons attentifs à la situation de nos compatriotes.
M. Sébastien Meurant . - Je suis très inquiet. L'Union européenne est perçue comme très éloignée des préoccupations des populations. Évoquons la Turquie : quel est ce drôle d'allié qui occupe Chypre depuis plus de quarante ans, occupe maintenant la Syrie, a fourni du pétrole à Daech et massacre nos alliés objectifs ? (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
J'en viens au Brexit. L'Angleterre, qui préfère toujours le grand large, comme le disait le général de Gaulle, a gagné ! L'Europe est le lieu de la concurrence fiscale et sociale exacerbée dont les travailleurs français et nos entreprises sont les victimes.
Allez voir, chers collègues, sur Schengen le texte E12-809. La France est incapable d'assurer la sécurité intérieure à Roissy et en d'autres points d'entrée sur son territoire. Que fait-elle pour tenter de respecter les acquis de Schengen ?
M. Ladislas Poniatowski. - Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Ce sont des remarques plus que des questions...La Turquie est un partenaire nécessaire pour la lutte contre le terrorisme. C'est aussi un partenaire difficile. Nous comprenons qu'elle se préoccupe de la sécurité de la frontière ; pas qu'elle avance loin dans le territoire syrien en causant des déplacements de population.
Le président de la République l'a dit, le projet européen ne peut progresser qu'avec plus de convergence fiscale et sociale. C'est pourquoi nous plaidons pour un corridor de taux de fiscalité des entreprises, par exemple.
L'heure n'est pas venue d'élargir Schengen. Il faut d'abord le réformer, avec plus de moyens.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Merci, Madame la Ministre, d'avoir bien voulu vous prêter à cet exercice difficile. Les questions traduisent l'inquiétude de nos concitoyens, qui veulent une Europe qui protège. Or l'Union européenne n'avait pas été dimensionnée pour la vague migratoire qu'elle a connue.
Mme Robert a insisté sur l'unanimité. La majorité qualifiée, utilisée dans certains cas, n'est pas non plus facile à réunir.
Sur le plan des marchés financiers, l'Union européenne a pu construire un corpus satisfaisant, très solide, mais cela a mis du temps.
Elle essaie aussi de construire une défense européenne. Là aussi, cela prend du temps.
Il n'est pas normal de constater des fraudes, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas. Ne nous emballons pas : cela sera corrigé.
Il faut trouver un équilibre entre coopération renforcée - l'Europe des « premiers de cordée » - et l'Europe des 27 - l'Europe des valeurs.
La séance, suspendue à 17 h 15, reprend à 17 h 30.