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Table des matières
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics
Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur
M. Philippe Bas, président de la commission
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État
Revalorisation des pensions agricoles
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales
Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Ordre du jour du jeudi 8 mars 2018
SÉANCE
du mercredi 7 mars 2018
61e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
Secrétaires : Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Rappels au Règlement
Mme Éliane Assassi . - Je souhaite faire un rappel au Règlement sur la base de l'article 36.
Le groupe CRCE a inscrit dans son espace réservé de cet après-midi une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 2 février 2017, sur la revalorisation des pensions agricoles. Elle est très attendue par le monde rural, la commission des affaires sociales la soutient à l'unanimité. L'adoption conforme était acquise et voici que le Gouvernement dépose, ce matin, un amendement qui a pour effet de reporter la mesure sine die puisqu'est exigée sa compatibilité avec la future réforme des retraites. Il s'agit d'un coup de force d'une rare violence contre le Parlement. Pour la première fois, l'article 44-3 de la Constitution, sorte de 49-3 du Sénat, est utilisé contre un texte inscrit dans l'espace réservé d'un groupe parlementaire. Ce coup de force s'inscrit dans une série : recours aux ordonnances, application anticipée d'un texte avant son adoption par le Sénat - la loi instituant Parcoursup - mais aussi liquidation du droit d'amendement annoncée hier par le Premier ministre. Le moment est grave pour notre démocratie, face à un Emmanuel Macron qui accapare tous les pouvoirs.
Le Gouvernement doit abandonner le vote bloqué. Monsieur le président, le groupe CRCE demande la réunion d'une Conférence des présidents en urgence pour que le Sénat, à la plus large unanimité possible, décide comment riposter à ce coup de force. (Vifs applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Inutile de vous dire combien il est urgent de revaloriser les retraites du monde agricole, nous en sommes tous d'accord. Si je prends la parole, c'est parce que la commission des lois est aussi celle du Règlement qui, orné de la majuscule, est celui du Sénat. Pour la présider, je veux m'associer aux propos de Mme Assassi. Je n'ai pas connaissance de l'utilisation de l'article 44-3 de la Constitution autrement que pour faire aboutir un texte du Gouvernement. L'opposer à un texte adopté à l'unanimité dans un espace réservé constitue un précédent extrêmement dangereux...
M. Bernard Jomier. - Honteux !
M. Philippe Bas, président de la commission. - Certes, il y a le droit mais il y a aussi l'abus de droit quand l'on s'écarte de l'esprit de la Constitution. La décision du Gouvernement me paraît d'ailleurs largement improvisée. Elle augure mal des discussions à venir sur le débat parlementaire.
Monsieur le Ministre, je vous demande solennellement de prendre les mesures nécessaires dans la journée pour que le débat ait lieu. Il n'est pas bon de soumettre ainsi le Parlement à un rapport de force inadmissible. Recourir à des instruments de rationalisation du parlementarisme quand l'on dispose d'une telle majorité constitue, à mes yeux, un aveu de faiblesse de la part du Gouvernement. Nul besoin de recourir à de tels artifices si l'on dispose d'arguments convaincants. Pardonnez la véhémence et la solennité de mon propos mais un autre ton ne pouvait convenir quand le moment est si grave. (Vifs applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM ; M. Pierre Ouzoulias se lève.)
Mme Nathalie Goulet . - Je m'associe au rappel au Règlement de Mme Assassi. Le président Bas a dit tout ce qui devait l'être et bien mieux que moi ; je veux cependant souligner que ce climat de tension procédurale est de mauvais augure pour une réforme constitutionnelle qui, pour aboutir, doit être consensuelle. Le Gouvernement confond vitesse et précipitation, légiférer vite et légiférer mieux. Le débat est très mal engagé. (Applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Je m'engage à rapporter ces interventions au Premier ministre dans les plus brefs délais.
M. Marc Daunis . - Le groupe socialiste et républicain, qui s'associe avec force à ce rappel au Règlement, veut dire son indignation et son incompréhension devant ce passage en force. La réaction du Premier ministre à notre interpellation sera déterminante dans les positions politiques que nous prendrons dans l'hémicycle. (Applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM)
M. Jean-Claude Requier . - Le groupe RDSE, dans sa diversité et sa liberté, s'associe à ce rappel au Règlement. Sénateur depuis six ans, je n'ai jamais vu utiliser la procédure du vote bloqué contre une proposition de loi. Nous sommes attachés à la liberté du Parlement et à la liberté d'amendement. (Applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM)
M. Philippe Bas, président de la commission. - Dans la mesure où le ministre nous a proposé d'informer le Premier ministre toutes affaires cessantes, je suggère, pour l'y aider, une suspension de séance. Il y a urgence, le texte doit être examiné à 18 h 30. (Vifs applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM)
M. le président. - Deux groupes politiques, le CRCE et le RDSE, souhaitant une réunion de la Conférence des présidents, nous transmettons leur demande au président du Sénat en conformité avec l'article 29-2 du Règlement.
La séance, suspendue à 14 h 45, reprend à 14 h 50.
Qualité des études d'impact
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi.
Discussion générale
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Les deux textes que le groupe socialiste vous propose cet après-midi répondent à l'objectif largement partagé d'améliorer la qualité de la loi.
La situation internationale nous oblige à repenser les normes, notamment au regard des enjeux du développement durable. Le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, commandé par Nicolas Sarkozy, a ouvert la voie en 2009 en indiquant que la croissance n'était soutenable que si elle permettait de transmettre notre patrimoine aux générations futures. Ce patrimoine est économique, humain, social, naturel ; certains économistes ajoutent qu'il est aussi démocratique. Pour Jean-Paul Fitoussi, le bilan patrimonial, avec la dette publique et la dette privée, permet d'éclairer les choix politiques et budgétaires de la Nation.
Dans le même esprit, la loi du 13 avril 2015 portée par la députée écologiste Éva Sas a consacré de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Selon le Premier ministre, cette dynamique a un sens politique profond : il s'agit de savoir ce que nous entendons par la croissance, le bien-être et le progrès. À le suivre, notre article premier n'était pas incongru.
Du reste, nos collègues Hervé Maurey, président de la commission du développement durable, et Jérôme Bignon, ne semblent pas penser autrement. En juillet dernier, lors de la table ronde sur les objectifs du développement durable, le premier s'interrogeait sur la façon dont les parlementaires pouvaient mieux appréhender ces objectifs dans la mise en oeuvre des différentes politiques publiques ; le second insistait sur la nécessité de territorialiser les indicateurs, d'y associer la société civile et, pour les commissions, de ne plus travailler en silo.
En 2011, l'OCDE a adopté la démarche « L'initiative du vivre mieux », autorisant des comparaisons internationales sur des thèmes aussi importants pour la qualité de vie qu'emplois et salaires, articulation entre vie professionnelle et vie privée, logement, qualité de l'environnement, état de santé, éducation et compétence, liens sociaux, engagement civique et gouvernance ou encore le bien-être subjectif. L'Union européenne a développé son propre modèle.
La profusion des indicateurs nuit à leur compréhension et à leur appropriation. Le PIB restera la référence tant que nous n'aurons pas mieux défini lesquels nous souhaitons prendre en compte. C'est ainsi que nous avons ouvert le chantier de la fabrique de la loi. Nous avons été rattrapés, si j'ose dire, par le projet de réforme constitutionnelle. Le président de la République a appelé à réserver du temps au contrôle et à l'évaluation. Le président du Sénat, en introduction du rapport Pillet, souhaite davantage investir cette mission, jusque-là parent pauvre de la Ve République. C'est précisément ce à quoi tendent les deux textes que je vous propose.
Le premier consiste à penser l'action publique au regard des objectifs de développement durable que notre pays a consacré dans l'accord de Paris issu de la COP21. Les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas peuvent en être une traduction pertinente, qui est bien entendu perfectible. L'essentiel est de les prendre en compte, de nous y référer dans nos études d'impact et nos évaluations. Ce n'est pas contradictoire avec la volonté de la commission des lois d'insister sur l'indépendance des organismes chargés de réaliser les études d'impact. Pour notre part, nous tenons également à leur caractère pluraliste - c'est un principe de droit, non une lubie de circonstance. Nous approuvons les autres modifications introduites par la commission.
La France a donné la meilleure image d'elle-même lors de la COP21. À nous d'en tirer toutes les conséquences dans notre travail quotidien de législateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Marie Mercier applaudit également.)
M. le président. - Je vous informe que le président du Sénat réunira la Conférence des présidents à 18 h 45, en salle 216.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois . - Notre collègue Franck Montaugé nous donne l'occasion de revenir sur l'étude d'impact que certains voyaient, lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2008, comme une grande innovation quand d'autres, et j'étais de ceux-là, considéraient que l'impact de la loi est l'affaire du débat parlementaire - s'il est positif, on vote pour le texte ; négatif, on vote contre. Si les expertises peuvent être bénéfiques, il est difficile d'imaginer qu'elles contiendraient une vérité totalement objective qui surplomberait les divergences politiques. Pensez à une étude d'impact sur les OGM...
L'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit que le Gouvernement fera nécessairement appel à un organisme indépendant pour procéder à l'étude d'impact. Dans la pratique, le ministre, qui présente un projet de loi, demande à ses services de réaliser une étude d'impact ; laquelle montre naturellement que l'impact de la loi sera positif. En votant l'article 2, la commission des lois a choisi de rompre avec ce monolithisme - un ministre qui présente à la fois le projet de loi et l'étude d'impact. Cela crédibilisera l'expertise.
Les évaluations doivent prendre en compte non seulement des mesures quantitatives mais aussi des mesures qualitatives, M. Montaugé y tient beaucoup. Ces nouveaux indicateurs relèvent cependant davantage de l'application de la loi que du corpus législatif.
La commission des lois a retenu un amendement de Mme Lamure selon lequel les conséquences des projets de loi sur les collectivités territoriales et les entreprises figureront dans les études d'impact ainsi que trois amendements issus du groupe de travail Larcher, portant sur les moyens mis en oeuvre par le projet de loi, la simplification des normes et les délais dans lesquels la Conférence des présidents peut s'émouvoir de l'insuffisance d'une étude d'impact auprès du Conseil constitutionnel. C'est une manière d'avancer dans la réforme constitutionnelle qui, j'espère que vous y êtes sensible, Monsieur le Ministre, doit renforcer les pouvoirs du Parlement. (Sourires)
Enfin, nous avons introduit un amendement au sujet du Conseil national d'évaluation des normes. M. Richard avait suggéré de joindre les avis de ce conseil, que j'ai contribué à créer avec Jacqueline Gourault, aux projets de loi au même titre que les études d'impact. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Ces deux propositions de loi entendent améliorer les deux phases de la procédure législative, à l'aune des nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi du 13 avril 2015. Il s'agit d'informer différemment sur l'évaluation des politiques publiques.
Le premier texte est né d'une déception car les études d'impact définies dans la loi organique du 15 avril 2009 n'ont pas toujours été à la hauteur des attentes : elles sont parfois incomplètes, biaisées voire orientées. Le Sénat l'a relevé à plusieurs reprises notamment par la bouche de Jean-Jacques Hyest, actuel membre du Conseil constitutionnel, qui ne les a jamais tenues en haute estime.
Pour le Gouvernement, les études d'impact sont un stimulant pour améliorer la qualité de la loi. Ce texte fait écho à la proposition de loi organique déposée par Mme Lamure le 28 septembre 2017.
Si nous comprenons votre préoccupation, le Gouvernement est réservé. Le texte ne correspond pas aux orientations données par le président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle. La qualité de l'étude d'impact ne préjuge en rien de la qualité de la loi, et inversement. Le Conseil constitutionnel a toujours refusé, et à raison, de définir une bonne étude d'impact. Il a donné tort au Sénat sur la loi NOTRe, que le Sénat avait refusé d'inscrire à son ordre du jour au motif que l'étude d'impact était insuffisante. Le président de la République souhaite que le Parlement marche sur ses deux jambes : le vote et le contrôle. Priorité doit être donnée au renforcement de l'évaluation. Ainsi le Gouvernement passera-t-il moins de temps à convaincre et davantage à rendre des comptes. Enfin, une réserve juridique forte : faire de l'étude d'impact un diagnostic préalable par un organisme indépendant n'est pas conforme à l'article 39 de la Constitution.
Des raisons tant de principe que de calendrier expliquent l'avis défavorable du Gouvernement à cette proposition de loi organique.
Mme Maryse Carrère . - Le comité présidé par M. Balladur recommandait en 2007 que les études d'impact conditionnent la recevabilité d'un projet de loi, à charge pour le Conseil constitutionnel de les contrôler. Dans la pratique, on s'est éloigné des principes définis lors de la révision constitutionnelle de 2008. La généralisation des études d'impact n'a pas produit les effets escomptés, à savoir une amélioration de la loi. Certains se souviennent de l'étude accompagnant la loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales en 2014 : ni les calculs retenus, ni le détail des options possibles, ni les raisons expliquant pourquoi certains découpages avaient été préférés à d'autres n'étaient expliqués. Dans d'autres cas, le lecteur est noyé sous les détails encyclopédiques.
L'avenir du parlementarisme en France dépend de l'aptitude des membres de nos assemblées à disposer de données agrégées à partir desquelles formuler des propositions réalistes, répondant aux attentes des citoyens constatées sur le terrain. D'où l'amendement de M. Requier visant à soumettre aux études d'impact les amendements substantiels déposés par le Gouvernement sur ses propres textes. La commission des lois l'a déclaré irrecevable - belle illustration à nos dépens de l'autorégulation dont nous sommes capables !
Nous sommes favorables à l'extension de la liste des informations devant figurer dans les études d'impact : données concernant les collectivités territoriales et les entreprises, données relatives aux moyens humains et informatiques nécessaires à la mise en oeuvre de nouvelles dispositions. En cas de création d'une nouvelle norme, l'étude d'impact précisera celles qui devront être supprimées ; c'est une bonne chose. Nous nous réjouissons de l'implication d'organismes indépendants dans les évaluations mais resterons vigilants sur leurs choix et la manière dont ils travaillent. L'allongement des délais de saisine du Conseil constitutionnel par la Conférence des présidents pourrait aussi aller dans le bon sens.
Le groupe RDSE est favorable à cette proposition de loi organique qui est un premier débat sur la voie de la réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je rends hommage à l'auteur de cette proposition de loi organique. Il n'imaginait sans doute pas le contexte politique dans lequel il aurait à défendre son texte. Je salue le rapporteur et la commission des lois qui ont enrichi son texte.
Dans un avis du 8 mars 2017, le Conseil d'État constatait que les études d'impact lui étaient transmises très tardivement, qu'elles ne servaient souvent qu'à justifier la réforme décidée, qu'elles n'étaient jamais confrontées aux destinataires de la norme à l'exception des collectivités territoriales et que leur champ était souvent insuffisant. Le jugement était sévère.
Selon le Conseil national d'évaluation des normes, les obligations imposées par la loi sur la transition énergétique et pour la croissance verte ont coûté 4,41 milliards d'euros aux collectivités territoriales. L'amendement du rapporteur est important pour les collectivités territoriales, trop souvent abandonnées.
Autre axe important, la simplification. Les normes supprimées doivent être de la même dimension que celles qui sont créées. Je salue le travail de la délégation sénatoriale aux entreprises. Il est indispensable d'évaluer les coûts pour les entreprises si nous voulons qu'elles se développent.
Quel travail législatif voulons-nous pour demain ? Alors qu'une réforme constitutionnelle est annoncée, les signaux qui émanent de l'exécutif sont fort préoccupants. Le projet de restriction du droit d'amendement qui fait aujourd'hui la une est inacceptable.
Je crois au courage politique et à l'action des parlementaires. À rebours du discours populiste selon lequel le temps parlementaire serait inutile et trop long, j'estime que le débat parlementaire est fondamental pour faire des choix structurants pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur certains bancs des groupes SOCR et RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Alain Richard . - L'instauration de l'étude d'impact préalable au dépôt d'un projet de loi était à nos yeux un excellent apport de la révision constitutionnelle de 2008. Sept ans après, il n'est pas injustifié d'envisager en renforcer la qualité ou la précision.
L'étude d'impact a été un progrès ; elle offre des outils d'analyse utiles au législateur. Observons toutefois que la masse pléthorique d'informations apportées ne permet que difficilement de cibler celles qui sont réellement pertinentes, et le temps consacré par le parlementaire moyen à la lecture d'une étude d'impact d'une centaine de pages n'est pas toujours à la hauteur de son contenu.
Cette proposition de loi part d'une bonne intention mais certaines mentions paraissent quelque peu superfétatoires. La loi organique de 2009 dit déjà que doivent être évaluées les conséquences sur chaque catégorie d'administration publique et chaque catégorie de personnes physiques et morales, ce qui inclut collectivités territoriales et entreprises. De même, elle prévoit déjà l'évaluation des conséquences sur l'emploi public. La proposition de loi organique a donc un aspect inflationniste.
L'obligation de faire réaliser une partie de l'étude d'impact par un organisme extérieur à l'État me parait en outre être très discutable et peu motivée. Le Gouvernement peut déjà demander une analyse à un organisme indépendant - en sus du Conseil d'État. En faire une obligation remettrait en cause le fait que l'étude d'impact est partie prenante du projet de loi, donc de l'entière responsabilité du Gouvernement. C'est en outre suggérer que l'évaluation serait plus rigoureuse venant d'un organisme extérieur que du service public...
Le Conseil d'État exerce déjà une vigilante surveillance, certes informelle, sur la qualité des études d'impact, et alerte le Gouvernement s'il les juge insuffisantes. En outre, la Conférence des présidents de chaque chambre a le pouvoir souverain de demander une nouvelle étude d'impact.
Malgré des dispositions utiles, la proposition de loi organique est exagérément complexe et surtout prématurée au regard de la révision constitutionnelle à venir. Remettons son examen à plus tard. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Pierre-Yves Collombat . - Quand on se rappelle avec quelle désinvolture le Conseil constitutionnel a validé l'étude d'impact accompagnant le projet de redécoupage régional, on constate que les prétendues avancées de la réforme constitutionnelle de 2018 ont surtout fait du sur place...
La proposition de loi initiale de M. Montaugé a rétréci au lavage de la commission des lois, comme tant d'autres. (Sourires) Pourtant, la prise en compte de l'impact qualitatif d'un projet de loi au regard des indicateurs de richesse définis par la loi Sas du 13 avril 2015 - indicateurs d'inégalités, de qualité de vie, de développement durable - était bienvenue. Cela aurait été bien utile lors de l'examen de la loi NOTRe, qui a généré gagnants et perdants - surtout les petites communes rurales. Rappelons que le PIB n'intègre pas les activités non marchandes, mais bientôt le trafic de drogue !
Autre point positif : que les études d'impact ne soient plus mitonnées par les services de l'État, juges et parties, mais confiées à des organismes indépendants et pluralistes. J'ai déposé un amendement pour que ces derniers saisissent les commissions parlementaires saisies au fond des points qu'elles souhaitent voir aborder - car les études d'impact répondent rarement aux interrogations des parlementaires. On y trouve surtout ce que l'on ne cherche pas.
M. Roland Courteau. - En effet !
M. Pierre-Yves Collombat. - En revanche, je ne vois pas bien l'intérêt d'un Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être composé de dix-huit députés et dix-huit sénateurs, accompagnés d'un comité scientifique pléthorique...
Le groupe CRCE soutiendra la motion de renvoi en commission.
Nous soutiendrons en revanche le rétablissement de l'article premier de la proposition de loi organique, étrangement supprimé en commission, et la réaffirmation du caractère public des organismes indépendants chargés des études d'impact. Être à la merci du marché ne semble pas la meilleure garantie d'indépendance.
L'amendement de M. Requier a été jugé irrecevable au regard d'une interprétation fort extensive de l'article 45 de la Constitution. Il y a urgence à renforcer le pouvoir du Parlement : à lui de commencer !
Je regrette que la commission des lois ait transformé une proposition de loi organique simple, claire et utile en un texte trop compliqué pour survivre à la navette, mais peut-être était-ce le but ?
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Une question préalable, si j'ose dire, est posée : la proposition de loi organique telle qu'elle résulte des travaux de la commission anticipe-t-elle la future révision constitutionnelle ?
La commission des lois a substantiellement fait évoluer le texte en intégrant dans l'étude d'impact l'évaluation des conséquences sur les collectivités territoriales et les entreprises ainsi que des moyens humains, financiers, informatiques nécessaires ; le bilan des normes créées ; le recours à des organismes indépendants. Enfin, elle a intégré la proposition n°18 du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle, s'agissant de la Conférence des présidents.
Ces propositions recueillent l'agrément du groupe centriste, mais la question demeure : faut-il mener ce débat aujourd'hui, ou l'intégrer dans celui, plus large, qui devrait nous être proposé ?
Une question n'est pas posée : celle de l'intégration de la démocratie participative. Il existe dans la société française une large aspiration à ce que notre démocratie soit plus participative, pour une meilleure complémentarité avec la démocratie représentative, ce qu'Henri Cabanel et moi avions appelé, dans notre rapport, une démocratie « coopérative ». Les modalités numériques - le civic tech - faciliteraient l'expression des citoyens : réactivation du droit de pétition devant les chambres du Parlement, tombé en désuétude, consultations numériques ou conférences de consensus et autres panels citoyens.
La question des études d'impact peut être vue comme plus générale et mérite, à ce titre, d'être retravaillée par notre assemblée. Toutefois, j'admets que les propositions de ce texte sont de bon aloi. C'est pourquoi le groupe UC le soutiendra. Notre regard est toutefois dirigé vers la probable réforme des institutions, dont nous sommes nombreux à souhaiter la réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur certains bancs du groupe SOCR, ainsi que sur le banc de la commission.)
M. Alain Marc . - Depuis 2008, obligation est faite au Gouvernement d'éclairer, en principe, le Parlement sur les raisons de légiférer, les options alternatives et les conséquences envisagées d'un projet de loi. La proposition de loi organique initiale prévoyait que les études d'impact comportent une évaluation qualitative de l'impact au regard des nouveaux indicateurs de richesse et que les conséquences de la future loi soient analysées par des organismes publics indépendants et pluralistes.
Le président de la République, le 3 juillet 2017, a annoncé une révision constitutionnelle - qui sera l'occasion d'évoquer les études d'impact.
L'obligation d'information du Parlement date de la loi organique du 15 avril 2009. C'est une incontestable avancée mais la pratique des études d'impact s'est révélée décevante. La proposition de loi organique est l'occasion d'introduire des propositions formulées en 2018 par le groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle.
Je me réjouis que la commission des lois ait relevé, à l'unanimité, le niveau d'exigence vis-à-vis des études d'impact. Celles-ci, réalisées notamment par des organismes indépendants pour plus d'objectivité, devront comporter une évaluation des conséquences en termes de moyens humains, budgétaires et informatiques, et des coûts spécifiques des normes pour les collectivités territoriales et les entreprises. Les études d'impact devront également indiquer quelles normes sont supprimées, joignant l'avis du Conseil national d'évaluation des normes.
La Conférence des présidents de la première assemblée saisie aura trente jours, contre dix actuellement, pour évaluer la qualité de l'étude d'impact et saisir le Conseil constitutionnel, le cas échéant.
Le groupe Les Indépendants votera en faveur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur le banc de la commission)
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Il n'aura échappé à personne, sauf peut-être au Gouvernement, que c'est dans cet hémicycle que se fait la loi. Cela appelle un niveau d'exigence et de responsabilité permanent. L'objectivation de nos décisions passe par un certain nombre d'outils visant à confronter des points de vue pluralistes : auditions, rapports, etc. L'émotion, l'air du temps ne devraient pas avoir droit de cité.
Pour à la fois renforcer la qualité de la loi et limiter l'inflation législative, la révision constitutionnelle de juillet 2008 et la loi organique de janvier 2009 ont imposé l'étude d'impact, dont le rôle est d'éclairer le Parlement. Toutefois, l'utilité, le contenu et l'honnêteté dans l'élaboration des études d'impact ont été mis en cause - tantôt pure formalité, tantôt justification a posteriori.
Cette proposition de loi organique vise à améliorer leur qualité et garantir leur indépendance. Franck Montaugé veut des études d'impact qui répondent réellement à leur objectif. Je le remercie de son travail.
Il n'est plus possible de se fonder uniquement sur le PIB, qui conditionne notre façon d'observer le monde et donc les politiques publiques. C'est un indicateur indispensable mais qui n'est plus suffisant. Les Nations Unies, l'OCDE, la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ou encore France Stratégie estiment qu'il faut d'autres mesures du progrès social : une approche pluraliste, à critères multiples, s'impose. Développons des indicateurs alternatifs au PIB qui prennent en compte les enjeux sociaux et environnementaux.
M. Montaugé propose d'intégrer les nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi Sas de 2015. Édouard Philippe, dans son éditorial du rapport Sas de 2017, estime que ces dix indicateurs sont un outil unique, un constat sans appel de l'évolution de notre société.
Nous regrettons que l'article premier de la proposition de loi organique ait été supprimé par la commission des lois et soutiendrons l'amendement qui le rétablit, profitant de ce que le droit d'amendement existe encore ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOCR ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Il faut recourir à des organismes indépendants pour garantir l'objectivité de l'étude d'impact : celle-ci ne peut être rédigée par ceux qui rédigent le projet de loi ! Nous tenons à des organismes publics, ne serait-ce que pour mettre en valeur notre recherche publique, mais la position consensuelle trouvée par le rapporteur est intéressante.
Enfin, l'intégration des propositions issues du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle est bienvenue.
Simplification, évaluation des coûts induits pour les collectivités et les entreprises, prolongation du délai dont dispose la Conférence des présidents pour saisir le Conseil constitutionnel : autant d'objectifs que nous partageons et qui enrichiront notre culture de l'évaluation.
M. le ministre et Alain Richard nous disent qu'il faut attendre de délibérer sur ces sujets, puisqu'il y aura bientôt une réforme constitutionnelle...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est le contraire !
M. Éric Kerrouche. - Connaissant l'amour immodéré du président de la République pour le Parlement, nous devrions voter incessamment... tant que nous le pouvons encore ! (Sourires ; applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Maryse Carrère applaudit également.)
M. Didier Mandelli . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La proposition de loi organique vise à améliorer la qualité des études d'impact - louable objectif. En effet, les études d'impact n'ont que peu ou pas de poids pour l'examen des projets de loi et sont souvent incomplètes. On l'a constaté lors de l'examen de la loi NOTRe en 2014 : la Conférence des présidents avait décidé le retrait du texte de l'ordre du jour au vu des lacunes de l'étude d'impact, dénoncées par plusieurs groupes, mais le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, avait jugé que le projet de loi avait été présenté dans les conditions conformes à la loi et s'était dit impuissant à juger la qualité de l'étude d'impact...
Une modification de la loi organique s'impose pour que l'étude d'impact comporte des indicateurs précis.
Au regard de ces critiques, la commission des lois a modifié en profondeur le texte proposé pour en faire un texte de simplification des normes, alors leur nombre ne cesse d'augmenter et que le Premier ministre dit vouloir en supprimer deux pour toute nouvelle norme créée.
Il est de notre intérêt de revoir en profondeur la réalisation des études d'impact. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, nous avons un formidable outil à notre disposition pour améliorer le travail parlementaire. Nous devons nous en saisir. Je saisis l'occasion de souligner le rôle essentiel, dans l'équilibre de nos institutions, d'un Parlement fort. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)
M. Philippe Bas, président de la commission. - Exactement !
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Qui trop embrasse, mal étreint. Le législateur a complexifié les normes, multiplié les dispositifs et imposé des études d'impact. Or celles-ci sont très loin de l'outil d'aide à la décision imaginé en 2009.
Loin de combattre l'inflation législative, elles n'apportent rien au débat parlementaire. Les délais sont trop contraints, les conséquences financières ne sont pas abordées... Pourquoi dans ce cas en étendre le champ et en élargir le contenu ?
À travers les collectivités territoriales et les entreprises, ce sont les Français qui supportent le coût de l'inflation normative. Les obligations réglementaires et administratives sont une charge en termes d'emploi, un fardeau qui pèse lourd dans la balance commerciale, comme l'a souligné le rapport Lamure-Cadic « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises ».
Il est louable d'évaluer a priori le projet de loi mais il faut aussi imposer une évaluation a posteriori, au-delà du contrôle formel, pour plus de pragmatisme. Dans un monde qui évolue aussi rapidement, il faut évaluer les politiques mises en oeuvre sans esprit partisan, à l'aide d'éléments factuels.
Je suis réservée sur la pertinence de ce texte. À l'heure où les Français réclament de la simplification et de la lisibilité, il est temps d'améliorer l'efficience des études d'impact. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°9, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart.
Avant l'article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « et les critères d'évaluation de son efficacité au regard de ceux-ci ».
Mme Élisabeth Lamure. - Sur le fondement de notre rapport « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises », cosigné avec Olivier Cadic, la Délégation aux entreprises a déposé une proposition de loi organique relative aux études d'impact.
L'étude d'impact ex ante d'un projet de loi doit non seulement définir les objectifs du texte mais aussi les critères de l'évaluation de son efficacité au regard de ces objectifs, afin de rendre possible une évaluation rigoureuse de la loi ex post.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement porte sur l'évaluation de la loi, dont traite la prochaine proposition de loi. Retrait ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Retrait ou avis défavorable. En outre, il est compliqué de définir des critères d'évaluation sur un texte appelé à connaitre des évolutions au cours de la navette parlementaire.
Mme Élisabeth Lamure. - Si on part du principe que lorsque c'est compliqué, on ne fait rien, on n'avancera jamais ! (Marques d'approbation) On ne peut se passer d'une évaluation chiffrée des conséquences de la loi. Je retire l'amendement puisqu'il a peu de chances de prospérer, mais à regret.
L'amendement n°9 est retiré.
L'article premier A est adopté.
ARTICLE PREMIER (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après le huitième alinéa de l'article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« - l'évaluation qualitative de l'impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse créés par la loi n°2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; ».
M. Franck Montaugé. - Je regrette que la commission des lois, en supprimant cet article, ait négligé la question de la pertinence des indicateurs utilisés dans les études d'impact. La commission Stiglitz a relancé le débat sur les indicateurs de richesse ; l'Union européenne, l'OCDE, l'ONU, avec ses dix-sept objectifs de développement durable, ont élaboré leurs propres indicateurs de richesse au-delà du PIB.
Comment articuler les objectifs de développement durable, auxquels la France a souscrit, et l'évaluation des politiques publiques ? En réintroduisant l'article premier de la proposition de loi initiale, qui reprend les indicateurs de richesse issus de la loi Sas. Les objectifs de développement durable ne doivent pas être déconnectés de notre travail de législation et d'évaluation. Tel est mon credo.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement est contraire à la position de la commission. L'intérêt des critères qualitatifs - qualité de vie, développement durable, égalité - est indéniable, mais il est préférable de les inscrire dans les textes d'application plutôt que dans le corpus législatif. Avis défavorable.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Avis défavorable pour les mêmes raisons.
M. Éric Kerrouche. - Le groupe socialiste soutiendra cet amendement. On ne peut avoir comme seul prisme de lecture le PIB, indicateur daté qui néglige des dimensions essentielles, qu'il s'agisse de développement durable ou d'inégalités sociales.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Malgré ma sympathie pour l'auteur de l'amendement, je suis obligé de dire que nous ne pourrions voter ce texte si cet amendement était adopté.
M. Pierre-Yves Collombat. - Au moins c'est clair ! Le problème n'est pas métaphysique mais très concret. Songeons à la réforme territoriale. Toute la question était : quel effet sur l'égalité - ou l'inégalité - entre les collectivités territoriales ? Les inconvénients constatés auraient pu être atténués si nous avions été mieux informés des conséquences possibles...
Les critères dont nous disposons pour juger doivent être pertinents. Nous sommes noyés sous les informations, sauf celles dont nous aurions besoin. J'appelle à soutenir cet amendement.
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
L'article premier demeure supprimé.
L'article premier bis est adopté.
ARTICLE PREMIER TER
Mme Élisabeth Lamure . - Cet article dispose que pour toute norme supplémentaire, l'étude d'impact propose une norme à abroger. La délégation aux entreprises s'en réjouit. Au cours de ses multiples rencontres avec les entreprises, elle ne cesse d'être saisie du problème de la lourdeur et de l'instabilité des normes. Le temps passé à gérer la complexité normative est autant de temps perdu pour la conquête de nouveaux marchés. L'OCDE en a estimé le coût à 60 milliards d'euros. La France est classée 115e sur 138 pays pour la complexité normative !
Nous avons adopté l'an passé, à la délégation aux entreprises, un rapport d'information sur la simplification des normes, pour libérer les entreprises - et proposé qu'une loi organique introduise la simplification dans les études d'impact législatives, et qu'une loi constitutionnelle introduise l'obligation de compenser toute nouvelle charge pour les entreprises, par la suppression d'une charge équivalente.
Cet article va dans le même sens, je m'en réjouis. Cependant, avec mes collègues de la délégation aux entreprises, je présenterai un amendement pour vérifier que la charge financière de la norme abrogée, pour les entreprises et les collectivités territoriales, l'emporte sur celle de la norme créée. Nos voisins allemands ont ainsi pu économiser 14 milliards en cinq ans.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que les économies de charges en résultant, en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises
Mme Élisabeth Lamure. - C'est le principe dont je viens de parler, il faut s'assurer que la charge financière engendrée par les normes nouvellement créées soit inférieure à la charge financière représentée par les normes supprimées en contrepartie.
Le 12 janvier 2016, nous avions adopté une proposition de loi constitutionnelle exigeant déjà que toute mesure législative ou réglementaire ayant pour effet de créer ou d'aggraver une charge pour les collectivités territoriales, soit compensée par la suppression de mesures représentant une charge équivalente ou par une enveloppe financière.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La commission a estimé cet amendement redondant avec la notion de « coûts et bénéfices », d'où son avis défavorable. Mais à titre personnel, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Retrait : l'article 8 de la loi organique de 2009 suffit. Vous proposez des dispositions trop contraignantes.
M. Jean-Pierre Grand. - Avec la réforme constitutionnelle que le Gouvernement s'apprête à déposer, Monsieur le Ministre, nous n'aurions pas d'autre choix que de nous en tenir au texte de la commission, alors même que, vous le voyez, le rapporteur peut être d'un avis contraire et que le débat peut, chacun y donnant son avis, ouvrir sur des positions nouvelles. Ici, l'amendement a prospéré, cela nous montre ce qu'il est important de faire et de ne pas défaire ! (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Élisabeth Lamure. - Je ne retire pas mon amendement, il est utile car la suppression d'une norme en compensation d'une norme nouvelle n'a guère de sens si leur impact financier n'est pas équivalent...
L'amendement n°10 est adopté.
L'article premier ter, modifié, est adopté.
ARTICLE 2
M. Franck Montaugé . - Cet article prévoyait initialement que les études d'impact devaient être produites par des organismes publics ; c'est cela même qui garantit l'indépendance. L'OFCE a été créé début 1980 pour renforcer l'indépendance de l'expertise, alors exclusivement aux mains de l'administration. Le rapport de René Lenoir et Baudoin Prot, rédigé en 1979 à la demande de Valéry Giscard d'Estaing, a joué un rôle important pour la démocratisation de l'expertise et a conduit également à la création de l'OFCE et de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) - leur mission, utile, est de mettre au service du débat public les fruits de la rigueur scientifique et de l'indépendance universitaire.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Collombat.
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« Ces évaluations sont réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes comprenant notamment le Conseil économique, social et environnemental, l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'Institut national de la statistique et des études économiques.
« Ces organismes publics indépendants préalablement au commencement de leurs travaux, consultent les commissions saisies au fond à l'Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets que ces dernières souhaitent nécessairement voir traiter dans l'étude d'impact.
« Pour réaliser ces évaluations, l'Assemblée nationale et le Sénat peuvent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence par rapport aux domaines du projet de loi. Le mode de désignation des universitaires et des personnes qualifiées est déterminé par le règlement de chaque assemblée.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je précise dans cet amendement que les évaluations sont réalisées par des organismes publics, indépendants et pluralistes ; que les commissions législatives des assemblées sont consultées sur les sujets qu'elles souhaitent voir traitées par l'étude d'impact - c'est la pertinence qui compte, pas la masse d'information ! - et que les deux assemblées désignent les personnalités qualifiées qui seront chargées de l'évaluation.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
organismes
insérer le mot :
publics
M. Franck Montaugé. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 2, première phrase
Compléter cette première phrase par les mots :
et pluralistes
M. Franck Montaugé. - Il est défendu.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Sans cacher ma sympathie pour l'amendement n°2 de M. Montaugé, je me dois de vous exprimer l'avis défavorable de la commission.
M. Pierre-Yves Collombat. - Argumentation imparable !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Avis défavorable. Ces amendements touchent à l'élaboration de la loi, pas à sa présentation - ce qui les rend inconstitutionnels...
M. Alain Marc. - Cela me gêne que seuls des organismes publics évaluent. Mon expérience à l'éducation nationale montre que l'évaluation interne n'a rien pu contre le recul dans les classements internationaux...
M. Éric Kerrouche. - Nous disposons d'un appareil de recherche publique à niveau mondial. Valorisons-le !
L'amendement n°7 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos2 rectifié et 3 rectifié.
L'article 2 est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Grand.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les versions des projets de lois transmis au Conseil d'État, y compris, le cas échéant, celles des saisines rectificatives et l'avis de celui-ci ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d'intérêt général s'opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations sont joints à l'étude d'impact. »
M. Jean-Pierre Grand. - En vertu de l'article 39 de la Constitution, le Conseil d'État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi, avant leur adoption par le Conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.
Si le Gouvernement n'est pas tenu de suivre l'avis du Conseil d'État, le Gouvernement modifie bien souvent son texte en fonction de cet avis, ce qui complexifie le travail parlementaire.
Cet amendement propose donc que les versions des projets de loi et les éventuelles saisines rectificatives soient jointes à l'étude d'impact, ainsi que l'avis du Conseil d'État, qui est rendu public depuis la fin du précédent quinquennat.
J'avais proposé de nous saisir de cette proposition de loi, pour modifier d'autres aspects de l'organisation de nos travaux, la commission m'a fait savoir, hélas, que mes amendements étaient irrecevables. En quelques mots, sans remettre en cause le droit d'amendement, j'estime que le Gouvernement devrait être soumis aux mêmes délais que les parlementaires. Il devrait par ailleurs être astreint à l'obligation d'une étude d'impact pour ses amendements.
Nous en débattrons lors de l'examen de la révision constitutionnelle.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Grand.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'avis du Conseil d'État ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d'intérêt général s'opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations est joint à l'étude d'impact. »
M. Jean-Pierre Grand. - Il est défendu.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avis défavorable. L'avant-projet soumis au Conseil d'État n'a pas à être publié. Ce qui engage le Gouvernement, c'est le projet de loi qu'il dépose, pas les moutures préalables ; elles ont certes de l'intérêt, de même que les brouillons des romans pour ceux qui étudient la littérature, mais elles ne sont pas à leur place dans l'étude d'impact.
Faut-il publier l'avis du Conseil d'État ? Le débat est légitime, mais, ici encore, il me semble que cet avis n'a pas sa place dans l'étude d'impact.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Même avis sur les avant-projets. Les avis du Conseil d'État sont des documents administratifs ; les publier serait trahir le secret de la délibération du Gouvernement. En revanche, conformément à la déclaration du président de la République du 20 janvier 2015, ils sont intégralement rendus publics dès qu'ils ont été délibérés en Conseil des ministres, sauf les projets de loi de finances, projet de loi de financement de la sécurité sociale, ordonnances et ratifications de conventions internationales.
Les amendements nos4 et 5 sont retirés.
L'article 3 est adopté.
M. Jean-Claude Requier. - J'avais déposé un amendement mettant à égalité le Sénat et le Gouvernement, en rendant l'étude d'impact obligatoire pour les amendements. Mais la commission des lois l'a déclaré irrecevable.
Je voterai toutefois ce projet de loi qui va dans le bon sens.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Cet amendement rejoignait une aspiration qui nous est commune. Des textes examinés en première lecture au Sénat prennent parfois un volume inattendu à l'Assemblée nationale, avec l'introduction d'amendements qui viennent trop souvent du Gouvernement - je pense par exemple à la loi sur la justice du XXIe siècle.
Quand l'urgence est déclarée, il n'y a pas de deuxième lecture. En CMP, comment savoir ce qu'aurait voté le Sénat ?
L'absence de règles restreignant les amendements en deuxième lecture est une remise en cause sournoise et insidieuse du bicamérisme.
La seule manière d'y remédier, c'est que la Constitution exige que les mesures nouvelles introduites par la deuxième chambre saisie, doivent obligatoirement être examinées par la première chambre avant la CMP ! (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Sophie Joissains. - Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. - Nous aurions bien suivi nos collègues sur ce texte intéressant, mais il est devenu très insuffisant. Nous nous abstiendrons.
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°67 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 309 |
Pour l'adoption | 309 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être.
Discussion générale
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi . - Ce texte, comme le précédent, a pour objectif d'améliorer la fabrique de la loi grâce à l'implication effective et structurée des parlementaires dans le processus d'évaluation des politiques publiques. L'article 24 de la Constitution donne au Parlement la mission d'évaluer les politiques publiques, mais aucun organe n'en est chargé explicitement - alors que cette science de l'État en action est la branche la plus récente de la science politique.
Au-delà de l'expérience personnelle de chacun, la question de l'efficience des politiques publiques est posée dans le débat public. La réforme institutionnelle répond à cette nécessité.
Pour ce qui est d'engager le Parlement dans la voie de l'évaluation des politiques publiques, la réponse n'est pas institutionnelle, mais organisationnelle. Les expériences de l'office parlementaire d'évaluation de la législation ou de l'office public d'évaluation des politiques publiques n'ont pas été probantes. Il faut donc montrer nos compétences, en nous appuyant sur le monde académique et les actions de nos deux chambres.
Les politiques publiques sont le lieu où les sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes. Elles se traduisent par un programme d'action gouvernementale. L'évaluation est une activité de contrôle.
L'article premier de ce texte établit un conseil de dix-huit députés et dix-huit sénateurs, assisté d'un conseil scientifique de trente membres nommés pour trois ans, devant informer les parlementaires, animer une plateforme citoyenne participative et organiser chaque année, lors de l'examen de la loi de règlement, une conférence nationale.
L'article 2 dispose que le conseil parlementaire d'évaluation évalue, tous les trois ans, la pertinence des indicateurs de richesse existants.
L'article 3 prévoit qu'une contre-expertise sera organisée tous les deux ans pour l'évaluation des politiques publiques.
La commission des lois considère ce texte comme trop lourd et elle proposera donc un renvoi en commission. C'est décevant, mais peut-être est-il plus sage que notre assemblée se penche sur le sujet dans le cadre de son Règlement intérieur. Les enjeux de développement durable ne souffrent pas le travail en silo : il faut être transversal. Le plus souvent, l'évaluation des politiques publiques concerne plusieurs secteurs, donc plusieurs commissions permanentes ; il faudra en tenir compte.
Les nouveaux indicateurs de richesse sont nombreux. Ils doivent être pertinents - donc évalués. Le consensus entre institutions libérales et moins orthodoxes devrait inciter le Sénat à être exemplaire dans la mesure des inégalités.
La République doit respecter l'équilibre entre les trois valeurs de sa devise ; nous proposons donc que soit organisée chaque année une conférence sur les inégalités. Nous devons changer de paradigme. Depuis la Libération, les politiques publiques ont été le produit d'un État fort, central. La mondialisation, la Constitution européenne, le battent en brèche !
Pierre Muller, chercheur au CNRS et spécialiste de l'évaluation des politiques publiques, le dit bien : nous devons réfléchir au découplage entre évaluation et définition normative. Les responsables politiques devront trouver les nouvelles formes de médiation pour éviter le populisme et les visions simplistes et dangereuses.
Je souhaite que le renvoi en commission ne soit pas un enterrement de première classe. Cela serait une occasion manquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois . - Il existe un pouvoir qu'ont tous les membres du Gouvernement, c'est de ne pas appliquer la loi. C'est scandaleux - et pourtant vrai : la non publication d'un décret d'application rend la loi qui le prévoit non applicable. C'est scandaleux, car le premier rôle de ce serviteur de la loi qu'est le ministre, c'est bien de l'appliquer.
C'est pourquoi il est essentiel de parler d'application et d'évaluation des lois. (M. Claude Kern approuve.) Certes, on peut demander au juge administratif de condamner l'État pour non-application. Mais la procédure très lourde est peu employée.
En 2004, le Sénat a voté une disposition relative au distilbène, produit qui a un effet sur les petites filles et les femmes qu'elles deviennent. Nous avons donc considéré qu'elles devaient bénéficier d'un congé maternité spécifique. Cette disposition a été votée par l'Assemblée nationale ; deux décrets d'application étaient prévus, l'un pour la fonction publique et l'autre pour le secteur privé. Après de multiples rappels, le deuxième décret a été pris 5 ans, 6 mois et 14 jours après le vote définitif. Les femmes concernées étaient contrariées : certaines demandaient si on attendait qu'elles ne puissent plus avoir d'enfants...
Cela ne doit plus exister dans la République française. On pourrait citer des centaines d'autres exemples. Il faut donc que nous suivions l'application des lois que nous votons. C'est une impérieuse nécessité.
Franck Montaugé propose de créer un organe de 36 membres : 18 parlementaires de chaque assemblée. La commission des lois a trouvé l'objectif de cette proposition de loi pertinent mais a considéré que l'instrument n'était pas le plus adapté. Le contrôle doit être mené de la manière la plus pratique possible, c'est-à-dire en commission. Un organe comme l'Opesct ne pourra pas examiner les dispositions ligne à ligne... Nous continuerons d'en parler.
Avec Franck Montaugé, je déposerai une proposition de résolution relative au Règlement du Sénat, afin que notre Règlement prévoit que le rapporteur d'un texte le resterait jusqu'à la fin de son mandat, pour chaque année d'application de la loi. Ainsi, le rapporteur suivra l'élaboration de la loi, mais il en suivra aussi l'application, chaque année. Il pourra dire au ministre : sur 20 décrets, il n'y en a que 3 de parus ; et le président de la commission concernée ne manquera pas de relayer cet appel à mieux appliquer la loi.
Nous allons ensemble travailler aux différents outils d'un scrupuleux et vigilant suivi de l'application de la loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE et UC)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Cette proposition de loi favorise le développement des nouveaux indicateurs de richesse pour développer une autre culture de l'évaluation. Elle enrichit la loi de 2015 en créant un conseil parlementaire sur le modèle de l'Opecst, en charge d'évaluer tous les trois ans la pertinence des nouveaux indicateurs ; elle dispose que le rapport du Gouvernement soit l'objet d'une contre-expertise.
Le Gouvernement et le président de la République veulent donner au Parlement tous les outils nécessaires à sa mission de contrôle. Nous passons trop de temps à imaginer les effets attendus d'une réforme et pas assez à évaluer leurs effets réels. Il n'est pas sain que le Parlement marche ainsi sur une seule jambe.
Les discussions engagées cette semaine en vue de la révision constitutionnelle permettront d'avancer, avec les missions revues de la Cour des comptes par exemple.
Le calendrier de l'examen de ce texte perturbe celui de la révision constitutionnelle.
L'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (Opepp) a été supprimé en 2000 et l'Office parlementaire d'évaluation de la législation (OPEL) en 2009, celui-ci ayant produit que trois rapports en treize ans. Le Gouvernement ne voit pas d'un très bon oeil la création d'une nouvelle instance - d'autant qu'il se l'est interdit pour l'exécutif. La commission parlementaire permanente est plus qualifiée pour évaluer et contrôler l'application d'un texte qu'elle a examiné. Le Gouvernement soutient donc la motion de renvoi en commission et la proposition du rapporteur Sueur de modifier le Règlement du Sénat.
Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) est aujourd'hui chargé d'un suivi des décrets d'application de manière à éviter les situations évoquées par M. Sueur.
Les nouveaux indicateurs des richesses prévus par la loi Sas sont d'ores et déjà pris en compte dans de nombreuses administrations et notamment dans les indicateurs de performances à Bercy. Dès l'année prochaine, les études d'impact en tiendront compte.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont également pris les choses en main, avec la mise en place d'un groupe de travail au sein de leurs commissions du développement durable respectives, qui examinera les expériences étrangères de présentation du budget à l'aune d'objectifs de développement durable.
Cette proposition de loi contribue utilement au débat sur l'évaluation des politiques publiques. Il est vertueux qu'en cette première année de législature, si importante pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, alors qu'est lancée la révision constitutionnelle, nous prenions le temps du dialogue. Comme votre commission des lois, le Gouvernement relève donc l'utilité de cette proposition de loi mais l'estime insuffisante pour répondre aux enjeux de l'évaluation des lois. C'est pourquoi il soutiendra la motion de renvoi en commission.
Mme Josiane Costes . - Le bien-être dépend des ressources économiques et des caractéristiques non économiques de la vie des gens : ce qu'ils font, ce qu'ils peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel, leur environnement. Telles étaient les conclusions du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, commandé par Nicolas Sarkozy en 2008. Depuis, peu d'initiatives législatives ont été prises pour leur donner forme. C'est qu'elles s'adressaient en premier lieu aux instituts de statistiques à partir desquelles sont construites nos politiques publiques, ainsi qu'à la communauté scientifique. Néanmoins, elles continuent de faire leur chemin : le Parlement s'est récemment saisi de la question en adoptant la loi du 13 avril 2015.
Dans le même temps, la position de la France s'est dégradée dans le classement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : entre 1995 et 2016, elle est passée de la 8e à la 21e place ; la valeur absolue de l'indice s'est également affaiblie, passant de 0,93 à 0,89.
À raison, les auteurs de cette proposition de loi cherchent à prolonger le débat ouvert en 2008. Pour autant, l'échec de l'office parlementaire d'évaluation de la législation puis de l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques respectivement supprimés en 2000 et 2009 ne plaide guère pour la création d'un Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être. Les nouveaux indicateurs sont contestés. En 2017, l'indice de développement humain pour la Libye en guerre était supérieur à celui du Maroc ; certains s'en sont étonnés.
Avant de créer un nouveau conseil, intégrons les indicateurs de bien-être dans les études d'impact et associons davantage nos chercheurs, dont certains se distinguent sur la scène internationale sur les questions de l'élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, de l'évaluation des inégalités, de la prise en compte des activités non marchandes ou encore de l'évaluation de la soutenabilité. Entre parenthèses, que des pays à faible densité comme la Norvège ou le Canada se trouvent en tête des classements devrait nous inciter à mieux prendre en compte le mal-être lié aux grandes concentrations de population dans nos politiques publiques.
Le groupe RDSE votera la motion tout en soulignant l'intérêt du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. François Bonhomme . - En 2008, le Gouvernement sollicitait la création d'une commission sur la performance économique et le progrès social, présidée par J. Stiglitz. Dans son rapport final, cette commission établissait que le seul indicateur du PIB comme instrument de richesse nationale posait problème. Depuis, les indicateurs de prospérité se sont multipliés. En 2012, lors de la conférence Rio+20, l'ONU a proposé un nouvel indicateur de richesse globale, un « PIB vert » intégrant le « capital naturel ».
La France a, de son côté, adopté une loi en 2015 visant à prendre en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
La proposition de loi de M. Montaugé s'inscrit dans cette lignée. Elle institue un Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être composé de dix-huit députés et dix-huit sénateurs, appuyé par un comité scientifique indépendant chargé d'organiser une conférence citoyenne - adjectif galvaudé. Elle prévoit que le rapport gouvernemental prévu par la loi de 2015 devra faire l'objet d'une contre-expertise réalisée par des experts indépendants. Ça se complique dans un pays où chacun est expert de quelque chose...
Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir une réflexion intéressante. Pour autant, la multiplication des structures risque d'être contre-productive. Pourquoi créer de nouveaux indicateurs alors que leur utilisation est encore limitée ? La loi Sas est peu appliquée : pourquoi prévoir l'intervention d'experts indépendants ?
Le groupe Les Républicains est réservé sur ce texte qu'il ne votera pas.
M. Pierre-Yves Collombat . - Un Conseil parlementaire, assisté d'un comité scientifique encore plus pléthorique... Qu'en penser ? Peu de chose quand les nouveaux indicateurs de richesse ont disparu, enfin quasiment... Franchement, je ne vois pas le bénéfice qu'il y aurait à créer une délégation parlementaire chargée d'évaluer des indicateurs, qui feraient eux-mêmes l'objet d'une contre-expertise - ça fait beaucoup !
Le groupe CRCE soutiendra, en toute logique, la commission des lois. (M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur, applaudit.)
M. Philippe Bonnecarrère . - Est-il, oui ou non, pertinent d'examiner des dispositions qui seront à nouveau soumises à notre débat dans quelques semaines, à l'occasion de la révision constitutionnelle ? Le groupe UC n'est pas opposé au renvoi en commission. Notre assemblée reproche régulièrement au Gouvernement de créer trop d'autorités administratives indépendantes. N'alimentons pas, par une sorte de parallélisme parlementaire, une forme de « comitologie » !
Plus fondamentalement, nous avons des marges considérables de progrès sur l'évaluation et le contrôle de l'application des lois. En aval, les rapporteurs pourraient assurer le suivi du texte, a minima que les décrets d'application ont été publiés. En amont, on pourrait imaginer, en reprenant les recommandations que nous avions formulées au sein de la mission sur la démocratie, une plate-forme numérique de consultation, des panels citoyens ou encore des conférences de consensus sur les grandes questions de société. Quoi qu'il en soit, un continuum est souhaitable.
Je forme le voeu que nous poursuivions cette réflexion que ce soit dans le cadre de la révision constitutionnelle ou celui, plus modeste, de l'évolution de notre Règlement intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur celui de la commission)
M. Alain Marc . - Un Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, un état bien difficile à évaluer ; une contre-expertise sur le rapport prévu par la loi Sas, plus simple, il n'y a pas ! L'évaluation et le contrôle, insuffisamment valorisés, sont au coeur de la mission du Parlement. Les commissions permanentes pourraient mieux l'exercer si on leur donnait la faculté de saisir la Cour des comptes d'une demande d'enquête comme peuvent le faire actuellement les deux présidents des assemblées. Autre piste, lever l'impossibilité de créer des commissions d'enquête sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires sans l'accord du garde des Sceaux. Cette règle de recevabilité a, par le passé, limité les investigations sur le Service d'action civique, les sectes, le régime étudiant de la sécurité sociale ou encore le Crédit Lyonnais. Le comité Balladur s'était prononcé en faveur de sa suppression.
On pourrait également penser à imposer au Gouvernement un délai impératif de deux mois pour répondre aux questions écrites des parlementaires.
Une réflexion plus large semble nécessaire. Le groupe Les Indépendants votera le renvoi en commission. (Applaudissements sur le banc de la commission)
M. Jérôme Durain . - L'indicateur du PIB a été instauré en 1945 pour quantifier les besoins des Français, en période de pleine reconstruction. Il a besoin d'évoluer car trop lacunaire, il ne mesure pas la répartition des richesses ; il ne prend en compte ni les ressources naturelles ni la pérennité de la croissance. Ce n'est qu'un indicateur-bilan. Notre société ne doit pas se focaliser sur les enjeux économiques.
Ce constat est largement partagé : création de la commission Stiglitz en 2008 par Nicolas Sarkozy ; institution dès 2000 de nouveaux indicateurs de richesse dans la région des Hauts-de-France, chère à Xavier Bertrand. Plus récemment, le député Bruno Bonnell du nouveau monde se plaignait de n'entendre parler que du pouvoir d'achat « comme si la vie se résumait au pouvoir d'acheter ». Si je refuse d'occulter la question du pouvoir d'achat, je pense également que le PIB ne dit rien de la situation écologique ou de la soutenabilité de la dette.
Au vrai, la problématique est beaucoup plus large que le seul contrôle parlementaire. Il s'agit d'une véritable révolution culturelle. Le PIB n'a pas de vocation sociale ni transformatrice. Satisfaction dans la vie, empreinte carbone, artificialisation des sols : les indicateurs de la loi Sas forcent le Gouvernement à changer de politique. « Cette dynamique n'est pas un travail en chambre. Elle a un sens politique profond » disait Édouard Philippe. Voyez, j'ai de belles références ! (Sourires)
Les nouveaux indicateurs de richesse sont révélateurs des valeurs de notre société. Encore faut-il les évaluer dans leur efficacité, leur utilité et leur impact concret, ce qui conduira nécessairement à les compléter. On pourrait ainsi imaginer des blocs d'indicateurs, un bloc social par exemple, un autre sur le patrimoine national ou encore un bloc écologique.
Pour l'instant, le rapport annuel est principalement utilisé dans le cadre des lois de finances. Un élargissement est essentiel.
Pour des indicateurs efficaces, il faut favoriser une évaluation qualitative des lois en prenant en compte leurs incidences sur la vie de nos concitoyens. La proposition d'une contre-expertise indépendante est importante car elle garantira l'impartialité des données, favoriserait la confiance dans la vie politique - pour reprendre l'intitulé d'un projet de loi que nous avons examiné cet été.
Le groupe SOCR soutient la création d'un Conseil d'évaluation des politiques publiques et du bien-être. L'Opecst, la délégation aux entreprises auraient-ils été créés si l'on avait raisonné à l'époque avec les arguments avancés par la commission des lois ? L'impatience de M. Montaugé fait honneur au Parlement. Dire que le calendrier n'est pas idéal est un faux argument. Ce n'est jamais le bon moment. Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, pleins d'espoir dans le travail à venir. Cependant, nous nous abstiendrons avec sagesse car il ne faut pas toujours remettre à demain des dispositions que nous souhaitons et qui n'arrivent jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Duranton . - On ne peut évidemment s'en remettre à la seule création de richesse pour mesurer la bonne santé d'un pays et de ses habitants. Les indicateurs de richesse doivent prendre en compte le développement durable selon l'objectif défini en 1987 par la commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'ONU, soit un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. L'idée que la performance économique améliore automatiquement la situation sociale est fausse.
Pour mesurer la richesse d'un pays, il faut aussi s'intéresser aux facteurs physiques, psychologiques et sociaux et éléments constitutifs du bien-être d'une personne : l'espérance de vie en bonne santé, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les liens sociaux, l'accès à l'éducation pour ses enfants ou encore le respect des droits fondamentaux.
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens mais le dispositif reste insatisfaisant. L'OPEL et l'Opepp créés en 1996 ont été supprimés de même que la commission sénatoriale pour l'application des lois, créée en 2011. Instaurer une nouvelle structure entraînerait un risque de dispersion des parlementaires et un travail moins efficace.
La mission d'évaluation des lois et des politiques publiques est le coeur de mission des commissions permanentes. Le manque de pertinence du PIB pour évaluer les politiques publiques est reconnu par tous. Poursuivons la réflexion afin de la parfaire. Nous voterons le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
Discussion de la motion
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Sueur, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être (n°611 rectifié, 2016-2017).
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Je ne peux que me référer aux arguments avancés lors de la présentation de mon rapport pour défendre cette motion qui constitue une ardente incitation à travailler sur l'amélioration de l'évaluation des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission . - Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle présidé par Gérard Larcher, et dont M. Pillet est le rapporteur, est parfaitement conscient du problème soulevé par cette proposition de loi puisqu'il a formulé des propositions utiles ; entre autres, sur le renforcement des études d'impact dont la substance n'est pas suffisamment vérifiée par le Conseil constitutionnel. Autrement dit, notre assemblée est force de proposition pour améliorer la qualité de la loi. Quand l'on parle de modernisation des institutions, le Sénat répond toujours présent. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État . - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions. Le Gouvernement est favorable à la motion de renvoi pour les mêmes arguments que ceux défendus par le rapporteur.
La motion n°1 est adoptée.
En conséquence, la proposition de loi est renvoyée en commission.
La séance est suspendue à 18 h 20.
La séance reprend à 19 h 35.
M. le président. - Je vais immédiatement suspendre la séance. (Protestations) La Conférence des présidents a eu lieu ; certains groupes souhaitent se réunir avant l'examen de la proposition de loi sur la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France, qui a posé quelques problèmes. La séance reprendra à 21 h 30. (Huées)
La séance est suspendue à 19 h 36.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Avis sur des nominations
M. le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis, d'une part, un avis favorable à la nomination de Mme Chantal Jouanno aux fonctions de président de la commission nationale du débat public et, d'autre part, un avis favorable à la nomination de M. Arnaud Leroy aux fonctions de président du conseil d'administration de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Revalorisation des pensions agricoles
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Discussion générale
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, on s'en amuse à droite.) Cette proposition de loi entend remédier à une situation à laquelle le Gouvernement est sensible : la faiblesse des retraites agricoles. (Marques d'ironie sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Cécile Cukierman. - Nous attendons des actes, Madame !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Les pensions des exploitants agricoles, et plus encore des conjoints et aides familiaux, sont, à durée d'activité équivalente, plus faibles que celles des autres retraités, même s'ils sont souvent polypensionnés. C'est avant tout la conséquence de la faiblesse des revenus agricoles, de la mise en place tardive de la complémentaire obligatoire, en 2003, et dans les DOM, des durées de cotisations plus courtes et des cotisations plus faibles.
Face à cette situation, la solidarité nationale se manifeste via le mécanisme de compensation démographique et l'affectation de diverses taxes. Ces transferts représentent 73 % des dépenses du régime de retraite des exploitants agricoles. Le soutien de la solidarité nationale s'est également manifesté dès la création du régime de retraite complémentaire, avec l'attribution de points gratuits aux chefs d'exploitation.
M. Claude Bérit-Débat. - Par qui ?
M. Roland Courteau. - Jospin !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - La loi du 20 janvier 2014 a revalorisé les retraites agricoles en les fixant à 75 % du Smic pour une carrière complète, mesure pleinement effective depuis l'an dernier...
M. Claude Bérit-Débat. - Merci Hollande !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - ... et attribué de nouveaux droits gratuits aux conjoints et aides familiaux.
Le Gouvernement est particulièrement attentif aux petites retraites. (Exclamations ironiques sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Laurence Cohen. - Ça ne se voit pas !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Conformément à l'engagement du président de la République, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a majoré de 100 euros le minimum vieillesse pour le porter à 900 euros par mois d'ici à 2020, avec une première hausse de 30 euros dès le 1er avril prochain. (Exclamations ironiques sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Esther Benbassa. - Formidable !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Engagé dans sa démarche de solidarité, le Gouvernement ne peut en revanche être favorable en l'état à cette proposition de loi (Exclamations), pour des raisons de méthode et de calendrier.
Question de méthode d'abord.
M. Pierre Ouzoulias. - Parlons de la vôtre !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Pour couvrir le coût de cette mesure, 400 millions d'euros, il est prévu d'augmenter de 0,1 % la taxe sur les transactions financières et de relever les droits à tabac. Des gages pour ordre, que beaucoup d'entre vous ne jugeraient pas pertinents.
Mme Cécile Cukierman. - C'est faux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - L'alternative est de creuser le déficit de la sécurité sociale ou de faire supporter la charge par la collectivité nationale et par l'impôt.
Le Gouvernement est attaché à une gestion avisée des finances publiques et au retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale à horizon 2020. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
On ne peut adopter de telles dispositions sans garantir un financement pérenne. Le schéma de financement de la loi de 2014 n'a pas été opérationnel, et il a fallu un apport supplémentaire en 2017.
Mme Laurence Cohen. - Et l'impôt sur la fortune ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Question de calendrier, surtout. Cette proposition de loi est prématurée...
M. Roland Courteau. - Pas pour les anciens agriculteurs !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - ...au regard du débat qui va s'engager sur la réforme de nos régimes de retraites.
Le Gouvernement est en ordre de marche (Exclamations ironiques) Jean-Paul Delevoye reçoit l'ensemble des parties prenantes ; nous recevrons ensemble les représentants agricoles.
Avant ce débat qui concerne l'ensemble des Français, le Gouvernement considère logiquement qu'aucune modification de paramètres importants des régimes existants n'a vocation à intervenir, a fortiori de façon sectorielle.
Mme Laurence Cohen. - Scandaleux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Le Gouvernement ne refuse pas de prendre en compte la situation des retraités agricoles, mais considère que les conditions ne sont pas réunies pour légiférer aujourd'hui. (Vives exclamations)
M. François Bonhomme. - Et hop !
M. Gilbert Bouchet. - Scandaleux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - En conséquence, en application de l'article 44 alinéa 3 de la Constitution, et de l'article 42 alinéa 7 du Règlement du Sénat, le Gouvernement demande à la Haute Assemblée de se prononcer par un seul vote sur l'ensemble du texte... (Huées et vives exclamations sur les bancs des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE ; les sénateurs frappent énergiquement sur leurs pupitres jusqu'à ce que Mme la ministre ait quitté la tribune.)
M. le président. - En application de l'article 44, dernier alinéa, de la Constitution et de l'article 42, alinéa 7, du Règlement, le Gouvernement demande au Sénat de se prononcer par un seul vote sur les articles et les amendements en en retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement, ainsi que sur l'ensemble de la proposition de loi. (Vives protestations sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE)
M. Pierre Cuypers. - Scandaleux !
M. le président. - On peut en penser ce que l'on veut, c'est la Constitution et c'est le Règlement.
Seul l'amendement n°3 est retenu par le Gouvernement. Acte est donné de cette demande.
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; Mme Françoise Laborde applaudit également.) La décision du Gouvernement de recourir au 44-3 a fait l'effet d'une douche froide ce matin en commission : recul de la démocratie, procédure insupportable, incompréhensible sur un sujet qui fédère... Voilà des remarques venues de tous bords. (On renchérit à droite comme à gauche.)
M. Claude Bérit-Débat. - Les retraités agricoles vous regardent !
M. Dominique Watrin, rapporteur. - En renvoyant le sujet à une hypothétique réforme systémique des retraites, le Gouvernement signe l'arrêt de mort de la proposition de loi. Cela engage votre entière responsabilité.
L'Assemblée nationale avait adopté cette proposition de loi à l'unanimité le 2 février 2017, sur le rapport d'André Chassaigne. Unanimité aussi à la commission des affaires sociales du Sénat, qui l'a adoptée sans modification le 21 février dernier. Unanimité enfin ce matin en commission pour émettre un avis défavorable à l'amendement du Gouvernement et condamner le recours au vote bloqué.
Au lieu de dialoguer, le Gouvernement a choisi de fermer le débat.
J'étais pourtant prêt à répondre à vos objections. Sur le coût budgétaire, d'abord. L'article premier fait passer le minimum garanti de 75 % à 85 % du Smic net agricole, soit de 871 à 987 euros par mois ; l'article 3 assouplit les conditions d'accès au minimum de 75 % pour les exploitants agricoles ultramarins.
L'impact financier est évalué à 350 millions pour l'article premier et à 50 millions pour l'article 3, soit 400 millions pour 2018, selon le ministère de l'agriculture. Le régime des non-salariés agricoles est celui qui sert les plus petites pensions, avec une moyenne inférieure au seuil de pauvreté et au minimum vieillesse. Cette mesure se traduirait par un gain de 100 euros pour les 230 000 bénéficiaires actuels et une hausse pour 30 000 retraités agricoles supplémentaires.
Il est urgent d'accorder à chaque agriculteur une retraite décente. En outre, la dépense budgétaire baissera avec l'arrivée à la retraite de nouvelles générations qui auront beaucoup plus cotisé que leurs aînés. En 2014, le coût du minimum à 75 % était estimé entre 140 à 160 millions d'euros par an jusqu'en 2030. En 2018, il ne coûtera finalement que 130 millions, et 125 millions en 2020.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit un financement suffisant et même dynamique. La hausse de 0,1 % de la taxe sur les transactions financières représente un centime de plus sur l'achat d'une action de 10 euros et rapportera au moins 450 millions d'euros par an, ce qui consolidera le régime de retraite des non-salariés agricoles sans rien coûter au contribuable.
L'article 4 étend la retraite complémentaire aux salariés agricoles de la Réunion, Guadeloupe et Mayotte, mettant fin à une discrimination.
Nulle contradiction avec la réforme systémique annoncée, puisque le minimum garanti fonctionne déjà sur un système d'attribution de points à titre gratuit. Rien ne s'oppose à ce texte qui permet une revalorisation immédiate des retraites agricoles modestes - sauf si votre intention est de minimiser les dispositifs de solidarité.
J'ai mené de nombreuses auditions qui ont consolidé l'esprit de consensus face à l'urgence sociale. Les représentants des administrations de l'agriculture et de la sécurité sociale n'ont pas été en mesure de nous communiquer la position du Gouvernement ; je n'ai appris qu'hier soir votre décision de vous opposer au texte et de recourir au vote bloqué, au mépris d'un dialogue respectueux avec le Parlement. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM) Cette procédure n'avait pas été utilisée sur une proposition de loi depuis 1993 ! L'argument de l'obstruction ne tient pas puisque la commission a voté unanimement pour l'adoption conforme. Je ne peux que répéter cette position. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. François Patriat. - Le concours de démagogie peut commencer...
M. René-Paul Savary . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC) Quel message, Madame la Ministre, adressé au monde agricole, au lendemain du Salon de l'agriculture ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Ce sont eux qui nous nourrissent, protègent l'environnement et font la transition écologique. La société leur doit reconnaissance.
Quel message, Madame la Ministre, adressé au Sénat, à la veille de la réforme constitutionnelle. Quelle mesure violente, quel manque de respect envers le Parlement ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Sur le fond, le régime des non-salariés agricoles est particulier : les revenus ne sont pas calculables, les prestations pilotées ; le système par points, fonction des cotisations, n'arrangera rien pour les retraites agricoles.
Pour le monde agricole, c'est l'ensemble de la carrière qui compte contre les quinze meilleures années pour les salariés et les six derniers mois pour les fonctionnaires... La solidarité nationale ? Certes, elle existe, mais ce sont les actifs - sachant qu'il n'y a qu'un seul cotisant pour trois pensionnés - qui paient une cotisation supplémentaire pour financer le régime complémentaire obligatoire (RCO). C'est un exemple à ne pas suivre !
Sur la forme, que dire ? Le 44-3 est au Sénat ce que le 49-3 est à l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
M. René-Paul Savary. - Ce n'est pas acceptable. Vous sortez l'artillerie lourde sur une simple proposition de loi...
M. François Patriat. - 400 millions d'euros !
M. René-Paul Savary. - ... en donnant aux sénateurs le sentiment d'être muselés. (Huées et applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Ce n'est pas aux retraités agricoles de payer pour la méthode brutale du Gouvernement. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Martin Lévrier . - (Exclamations et huées sur plusieurs bancs) La pension moyenne des agriculteurs demeure inférieure au seuil de pauvreté et au minimum vieillesse : 710 euros en 2014, 850 pour les hommes et seulement 570 euros pour les femmes.
Les retraités agricoles attendent un geste de soutien, une reconnaissance de leur travail (« Ah ! » sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Ils veulent vivre dignement de leur travail. (On renchérit sur les bancs du groupe UC.)
Loin de nous l'idée de rejeter tout message de solidarité. (Exclamations) Pour autant, la solidarité doit être associée à la réalité et à l'équité. (Exclamations) Le Gouvernement a engagé une grande réforme pour l'harmonisation des retraites.
Voix à droite. - Et en attendant ?
M. Martin Lévrier. - Quelle est la finalité du travail parlementaire ?
Voix à droite. - Le 44-3 !
M. Martin Lévrier. - Pourquoi faire une loi qui, à peine publiée, sera modifiée puisque d'autres textes sont en gestation ? (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Françoise Laborde. - C'est la démocratie !
M. Martin Lévrier. - Cela ne servirait qu'à nous donner bonne conscience. Il ne faut pas faire primer l'urgent sur l'important. (Vives exclamations) La défiance des Français envers le travail parlementaire tient aussi à ces lois qui vivent ce que vivent les roses, ou ne sont jamais appliquées.
À l'aube de la grande réforme voulue par le Gouvernement, comment proposer unerevalorisation d'un seul type de pension ?
M. Pierre Laurent. - C'est Emmanuel Macron qui a parlé des retraites au Salon de l'agriculture !
M. Martin Lévrier. - Le groupe LaREM votera cette proposition de loi amendée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; huées à gauche)
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains) Le président Larcher rappelle souvent que nous sommes les représentants des territoires, et, pour beaucoup, des territoires ruraux. Vous avez sans doute tous reçu ces courriers manuscrits de retraités agricoles, noté ces écritures frêles mais déterminées, fébriles mais pudiques, ces mots résignés mais courageux, ces montants précis au centime près. Avec peu, on peut faire beaucoup. Mais l'imprévu, l'hiver plus froid, l'appareil ménager qui tombe en panne, la maladie, le décès d'un proche... et voilà que la peur et la colère font sortir du silence.
Demandes au Fonds de solidarité logement pour l'achat de bois ou de fuel, impossibilité d'assumer les frais de réparation d'une voiture indispensable, difficultés pour l'achat d'appareils dentaires et auditifs, pour des frais d'ambulance ou d'obsèques... Qui d'entre nous n'a pas été sollicité ? Et que répond la MSA ? Qu'ils n'ont pas assez cotisé... (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains) Mais à une époque, on ne cotisait pas - surtout les femmes ; les cotisations étaient faibles, comme les revenus.
La pension moyenne demeure inférieure au minimum vieillesse - certes revalorisé mais toujours inférieur au seuil de pauvreté. L'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) n'est demandée que par 1,3 % des retraités agricoles, le recours sur succession étant un barrage psychologique pour qui a mis une vie de labeur à se constituer un petit patrimoine, sanctuarisé pour faire face à la dépendance.
Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui ont travaillé dur toute leur vie. Et à la pauvreté s'ajoute l'inégalité pour les femmes - je vous renvoie aux travaux de la Délégation aux droits des femmes.
L'article premier de la proposition de loi porte la pension minimum de 75 à 85 % du Smic. Cela représenterait 55 000 bénéficiaires supplémentaires sur 280 000 retraités et un coût de 350 millions d'euros. Les recettes attendues de la taxe additionnelle prévue à l'article 2 s'élèvent, elles, à 450 millions d'euros.
Pour une carrière complète, un non-salarié des DOM touche en moyenne 200 euros de moins qu'un retraité en métropole - or moins d'un quart des monopensionnés ultramarins ont eu une carrière complète. La moyenne des pensions est inférieure à 300 euros.
L'ensemble du groupe Union centriste avait décidé de voter conforme ce texte. L'annonce du recours à l'article 44-3 a suscité de vives indignations : mépris du monde agricole, du travail parlementaire...
Historiquement partisan d'un régime de retraite unique à points, nous estimions que ce texte n'était pas contradictoire avec une future réforme systémique. Aujourd'hui, nous était donnée l'occasion d'effacer une honte nationale ! (Applaudissements nourris sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Nadine Grelet-Certenais . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Lors du Salon de l'agriculture, le président de la République a dit connaître les souffrances et les angoisses des agriculteurs qui l'interpellaient. Mais ce soir, le Gouvernement passe outre le vote unanime de l'Assemblée nationale et de notre commission et enterre ce texte en recourant au vote bloqué, procédure rarissime pour une proposition de loi.
Courage, fuyons ! Vous attendiez la fin du Salon pour afficher vos intentions. Quelle brutalité, quel déni de démocratie ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM) Cette méthode augure mal de votre réforme constitutionnelle...
On ne peut pas dire que l'on défend les agriculteurs et exercer ainsi un marchandage tactique sur leur dos. (Mme Victoire Jasmin applaudit.) Nous ne participerons pas à cette mascarade.
Le rapport de la MSA avait tiré la sonnette d'alarme : un tiers des retraités non-salariés perçoivent moins de 400 euros. Le déséquilibre démographique du régime agricole explique le recours à la solidarité nationale. Sans ressources pérennes, le déficit se creusera. Cette proposition de loi esquisse une bonne piste de financement.
Cette proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la politique volontariste de François Hollande (Marques d'ironie sur les bancs du groupe LaREM) et auparavant de Lionel Jospin. (M. Roland Courteau renchérit.)
Les nouvelles avancées de ce texte corrigeaient des injustices.
Cette proposition de loi était unanimement soutenue par les syndicats agricoles et associations de retraités agricoles, présents en tribune. Tous appellent de leur voeu un vote conforme, pour une application rapide ! Repousser l'entrée en vigueur, c'est nier l'urgence sociale. Garantir une retraite décente, c'est donner espoir et c'est penser à l'avenir, faciliter les transmissions.
La commission des affaires sociales avait ouvert la voie à une adoption conforme, une solution clés en main. Nous aurions pu saisir une opportunité inédite. Le message aux agriculteurs aurait été fort.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Hélas, le Gouvernement musèle le Sénat... Le groupe socialiste ne prendra pas part au vote. Quelle occasion manquée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE, RDSE et sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Pierre Decool . - La situation des pensionnés agricoles est douloureuse. Ils ne peuvent plus tenir. Comment accepter au XXIe siècle que ceux qui nous nourrissent à la sueur de leur front souffrent de misère sociale ? Et ce, alors que la MSA a commis en décembre dernier une erreur regrettable dans le versement des pensions... Le Gouvernement et la MSA se sont engagés à échelonner les remboursements de trop-perçu qui ne devaient pas dépasser 15 % des revenus, mais il est terrible de voir les retraités devoir produire des attestations et réviser leur déclaration de revenu.
Sully ne disait-il pas que labourage et pâturage étaient les deux mamelles dont la France est alimentée ? Le monde agricole fait la fierté de notre pays. Notre devoir est d'être à l'écoute de nos agriculteurs et de réparer les injustices à leur égard.
Avec un revenu moyen de 736 euros, ils ne peuvent vivre décemment. Certes, plusieurs avancées sont intervenues depuis 2014 : revalorisation des petites retraites, points gratuits pour les conjoints et aides familiaux, retraite minimum à 75 % du Smic en 2018.
Le groupe Les Indépendants ne peut soutenir qu'une revalorisation réelle des retraites agricoles, fiable et durable. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur certains bancs des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. Stéphane Ravier . - La volonté du Gouvernement d'utiliser le 44-3 comme les braqueurs, le 11,43 sur la tempe du législateur (Sourires) est une nouvelle agression du Parlement et de la démocratie, une nouvelle violence infligée aux paysans. Rien ne garantit que cette mesure figurera dans la réforme des retraites. Les parlementaires sont traités comme quantité négligeable, méprisés. La détresse du monde paysan devrait faire honte, mais le Gouvernement reste sourd. Pourtant, un agriculteur se suicide tous les deux jours ! Le débat serait prématuré. Ce sont ces deuils qui sont prématurés ! Il est scandaleux, alors que des millions de personnes souffrent de la faim, que les transferts sociaux en faveur des nouveaux venus n'ayant jamais cotisé soient supérieurs aux retraites versées à ceux qui ont travaillé toute leur vie, douze à quinze heures par jour ! (Exclamations sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
Mme Éliane Assassi. - Chassez le naturel, il revient au galop...
M. Stéphane Ravier. - Nous accueillons très favorablement cette proposition de loi, même entachée du coup de force de l'exécutif qui exécute tout débat. Porter le minimum à 85 % du Smic est une mesure salutaire.
Le déficit structurel du régime agricole est le fruit des politiques agricoles des dernières décennies favorisant la concentration des exploitations et la baisse des prix alimentaires. Il faut s'attaquer aux causes et rémunérer les paysans à la juste valeur de leur difficile et noble travail.
En 2015, un tiers des agriculteurs touchaient 350 euros par mois et la MSA a reçu, en 2016, 200 000 demandes de RSA !
Je voterai cette proposition de loi mais honte à ce Gouvernement qui utilise des méthodes de voyou, piétine le Parlement et prend en otage les agriculteurs. Mais que le président du grand déracinement veuille en finir avec la paysannerie française n'a rien de surprenant.
M. Martin Lévrier. - Poil aux dents !
M. Éric Gold . - Cette proposition de loi votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale semblait faire consensus.
Nous sommes tous sensibles aux inquiétudes des agriculteurs. À la retraite, une majorité d'entre eux n'ont pas accès à un revenu décent. En moyenne, la pension d'un chef d'exploitation est de 730 euros, et de moins de 600 euros pour les conjoints collaborateurs. Outre-mer, la situation est encore plus alarmante ; les articles 3 et 4 apportaient de réelles améliorations. Notre groupe y était tout particulièrement sensible.
Les causes sont connues : carrières discontinues, effort contributif insuffisant, problèmes structurels de la caisse de retraite. Malgré les réformes, l'écart ne cesse de se creuser avec les autres régimes. Le groupe RDSE avait ainsi déposé une proposition de loi revalorisant les retraites agricoles dès 1998.
M. Jean-Claude Requier. - Exact !
M. Éric Gold. - Les différentes mesures prises au fil des ans, comme la loi Peiro du 4 mars 2002, n'ont pas suffi. Le précédent Gouvernement n'est pas resté inerte, avec le plan quinquennal de revalorisation et la réforme de 2014 - mais l'amélioration repose sur le régime de retraite complémentaire obligatoire, dont le financement reste fragile.
Porter le minimum à 85 % du Smic permettait un rattrapage bienvenu. Certes, le financement des retraites est délicat compte tenu du faible nombre d'actifs. Cela ne doit pas nous exonérer d'agir pour ceux qui ont consacré leur vie à nous nourrir, qui contribuent à la richesse économique du pays et à l'équilibre de nos territoires. C'est pourquoi il est juste de faire appel à la solidarité nationale.
Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale comme par la commission des affaires sociales du Sénat.
Le candidat Macron avait fait de la revalorisation des retraites agricoles une priorité. Toutes les conditions étaient réunies pour une adoption définitive et une mise en oeuvre rapide. Le groupe RDSE a été très surpris par la position du Gouvernement. Nous regrettons vivement le procédé employé, c'est un signal bien inquiétant adressé aux territoires ruraux. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Cécile Cukierman . - Comme beaucoup, j'avais prévu une intervention saluant l'unanimité des votes sur le travail de Mme Bello et M. Chassaigne - deux ans de rencontres -, saluant la qualité des travaux de la commission des affaires sociales, qui avait voulu répondre à l'urgence sociale en votant conforme la proposition de loi. Entre 700 et 800 euros, 100 euros dans les outre-mer, on ne peut pas vivre dignement. Je salue les retraités agricoles qui sont ce soir en tribune. Ils ont vécu comme nous l'annonce à 9 h 23 de votre décision indigne, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre. Les retraités - pas plus que les parlementaires - ne sont les paillassons du Gouvernement, ni du président de la République. Nous sommes les représentants du peuple...
M. François Patriat. - Nous aussi !
Mme Cécile Cukierman. - ... l'expression de la démocratie. Vous utilisez un article 44-3 très rarement utilisé : six fois depuis 1959 pour une proposition de loi, la dernière fois en 1993. Vous multipliez les ordonnances. Continuez ainsi : il n'y aura plus besoin de réduire le droit d'amendement et le nombre de parlementaires !
Ce soir, le dialogue social que vous invoquez gît dans son cercueil, car vous le tuez en niant le dialogue qui a permis l'élaboration de cette proposition de loi. Et vous stigmatisez telle ou telle catégorie sociale, comme le président de la République qui, au Salon de l'agriculture, a opposé les cheminots aux agriculteurs - mais pour les renvoyer maintenant dos à dos et pour les laisser à leurs difficultés et à leurs misères.
Monsieur le Ministre, rappelez-vous ! Vous apparteniez à un groupe qui ne s'était pas opposé à l'adoption de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale. (M. Roland Courteau le confirme ; applaudissements sur tous les bancs, sauf sur ceux des groupes LaREM et Les Indépendants)
Vous démontrez là un véritable mépris pour le monde agricole, pour ses retraités. Vous nous reprochez de ne pas financer notre mesure, mais c'est de la mauvaise foi - parce que dans votre amendement, vous ne vous souciez nullement de trouver un financement ! (Mêmes mouvements)
Vous prenez en otage les retraités agricoles et faites aujourd'hui, au Sénat, un coup de force pour faire la démonstration que seul le Gouvernement décide.
Votre monde est indigne et dangereux. Il n'est qu'une pâle copie des pires caricatures de l'ancien monde. Pour changer le monde, il faut le vouloir, mais vous n'avez d'autre conviction que le goût du pouvoir. Un pouvoir qui ne prend pas en compte la diversité des populations, ni celle des territoires.
Nous sommes tous déçus de ce coup de force ; mais surtout pour ces hommes et femmes qui pensaient pouvoir rentrer chez eux la tête haute (La voix de Mme Cécile Cukierman se brise.) et vivre dignement ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Viviane Malet . - Durement frappés par les pluies diluviennes de ce début d'année, les agriculteurs réunionnais méritent qu'une loi vienne les aider. Qu'ils soient éleveurs, planteurs de canne, producteurs maraichers, ces hommes et ces femmes travaillent sans relâche sur leurs terres. L'insularité et le climat tropical rendent leurs conditions de travail plus difficiles ; leurs terres sont plus exiguës ; les pluies diluviennes peuvent avoir des conséquences catastrophiques. À la fin d'une vie de labeur, comme l'a dit Mme Bello, ces agriculteurs retraités touchent en moyenne 375 euros et un quart d'entre eux perçoivent moins de 100 euros. C'est indigne !
La situation est aussi critique pour les salariés agricoles réunionnais. Des départs à la retraite différés, c'est moins de jeunes qui peuvent s'installer. La Réunion compte 1 077 actifs de plus de 62 ans, dont 124 ont plus de 42 ans d'activité non salariée agricole. Ne laissons pas les agriculteurs dans la misère. Je déplore l'initiative du Gouvernement du vote bloqué. Nous devons aller vite, pour eux, pour reconnaître la valeur du travail ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Victoire Jasmin . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La façon de faire du Gouvernement est indigne, il bafoue le travail de nos deux assemblées qui veulent restaurer la dignité des agriculteurs retraités et cela avait un prix, celui de la dignité de notre démocratie elle-même.
Cette façon de faire ne grandit pas nos institutions. Les petits calculs politiciens du Gouvernement pour repousser aux calendes grecques une amélioration raisonnable et attendue, sont attristants.
Abus de droit, mais surtout aveu d'indifférence envers des retraités pauvres. Il s'agit d'une non-assistance à un secteur en danger. Il y a urgence à agir. Il s'agit de 1,5 million de personnes ! Cette profession mérite une retraite digne après une vie de dur labeur.
La retraite d'un chef d'exploitation est de 766 euros par mois, soit moins que le seuil de pauvreté et que le minimum vieillesse. C'est 350 euros pour un salarié agricole !
Il est regrettable qu'après le long marathon médiatique du président de la République dans les travées du Salon de l'agriculture, ce Gouvernement procède ainsi.
Nous ne devons pas hiérarchiser les douleurs ; mais comment résister à l'appel de la misère, notamment outre-mer ? 43 000 exploitations pour 130 000 hectares et 1,5 % de PIB, l'agriculture y est une activité traditionnelle. Depuis 1988, le nombre d'exploitations a été divisé par deux. Outre-mer, la pension moyenne des plus de 27 600 retraités est de 293 euros.
Le groupe socialiste ne prendra pas part à cette mascarade du Gouvernement, qui veut que les agriculteurs continuent à se suicider. C'est triste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Daniel Chasseing . - Nous devons garantir aux quatre millions de retraités agricoles qui perçoivent des retraites indignes une retraite correcte - c'est le sens de cette proposition de loi.
Leur garantir une retraite d'au moins 85 % du Smic, c'est s'engager aussi dans la modernisation de l'agriculture. La solidarité nationale doit bien cela à ceux qui ont nourri les Français et contribué à l'excédent commercial de notre pays.
Tant d'écrivains de la terre l'ont dit : ce métier mérite notre respect.
Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. Madame la Ministre, les agriculteurs méritent qu'elle soit appliquée le plus vite ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, RDSE, CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Vivette Lopez . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Cette proposition de loi a recueilli un appui unanime. Le niveau des pensions agricoles est très faible. Pour une carrière complète, les non-salariés touchent 730 euros par mois, moins que 846 euros - le seuil de pauvreté.
Je ne parlerai pas des agriculteurs d'outre-mer. Nombre de retraités font appel à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, mais avec mesure, car ils craignent les recours sur succession, tout particulièrement.
Cette proposition de loi accordait 116 euros par mois en plus. Il fallait donc prévoir un financement pérenne - résistons à la tentation d'augmenter les cotisations, ce qui ferait baisser les revenus agricoles déjà faibles.
Après la hausse de la CSG, voilà nos retraités agricoles effondrés par la décision du Gouvernement de recourir au vote bloqué. Quelle annonce déplorable après le Salon de l'agriculture ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Jackie Pierre . - (Applaudissements soutenus sur les bancs du groupe Les Républicains) Les agriculteurs sont dans le désarroi. Leurs difficultés sont extrêmes et leur situation ne cesse de se dégrader. La retraite leur est une source supplémentaire d'inquiétude. Après une vie de dur labeur, ils ne pourront pas avoir une pension décente, malgré les progrès constatés depuis les années cinquante.
Il faudrait leur permettre de gagner décemment leur vie pour cotiser davantage. Comme la proposition de loi de Jean-Claude Lenoir, adoptée en mars 2016 au Sénat, il faut encourager l'investissement et contrôler la volatilité des prix.
Malheureusement, le Gouvernement va dégrader encore la situation. Les agriculteurs voient leurs revenus baisser. C'est pourquoi je pensais voter cette proposition de loi. Mais votre demande de vote bloqué, Madame la Ministre, est ressentie comme un coup de force... comme une future dictature. (Quelques applaudissements) Nous devons soutenir l'innovation dans l'agriculture. J'espère, Madame la Ministre, que les agriculteurs seront entendus dans la réforme des retraites ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - (Huées sur les bancs des groupes CRCE et Les Républicains) Mme Cukierman prétend que j'ai voté ce texte. (Vives exclamations sur de nombreux bancs)
Mme Cécile Cukierman. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - C'est ce que j'ai entendu, le compte rendu permettra de trancher. Stéphane Le Foll, à l'époque, avait répondu cela : « Vous souhaitez que l'on fasse plus ; le débat est donc l'opportunité d'une taxe nouvelle. » Car, ce soir, nous parlons bien d'instituer une taxe nouvelle de 400 millions d'euros ! (Vives protestations sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM) Assumez votre position, plutôt que d'en faire un jeu politique... (Vives protestations) En l'état, la taxation des transactions financières ne peut être une solution.
Personne en France ne pense que les retraites agricoles sont suffisantes. (Vives protestations)
Mme Laurence Cohen. - Faites donc quelque chose !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - Le Gouvernement veut valoriser les retraites.
M. Pierre Ouzoulias. - Faux ! C'est nous qui voulons les valoriser !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - Le rapporteur désigné par le groupe Les Républicains pour parler du sujet dans la loi de financement de la sécurité sociale, il y a quelques semaines, disait : « le coût est estimé à 270 millions d'euros ; ce sujet mérite un débat plus approfondi. » Le Gouvernement ne dit pas autre chose aujourd'hui !
J'ai entendu des mots d'une rare violence.
Mme Esther Benbassa. - Et la violence du vote bloqué ?
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - La Constitution française, quand elle s'applique, n'est pas une dictature. Si le vote bloqué était une anomalie démocratique...
M. Pierre Laurent et Mme Esther Benbassa. - C'en est une !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - Si c'était le cas, le président Larcher proposerait de le retoucher : ce n'est pas le cas ! Vous dites que le vote bloqué est rarissime : il a été utilisé 226 fois ! (Vives exclamations sur de nombreux bancs)
Mme Cécile Cukierman. - Nous parlions des propositions de loi !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - Le Gouvernement vous propose une application réaliste, au 1er janvier 2020. Ce n'est pas un soir de mars qu'on peut trouver 400 millions d'euros. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, vives exclamations sur de nombreux bancs)
M. Raymond Vall. - Nul !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Ces propos sont dérangeants. Ce qu'a dit le sénateur Les Républicains dans le débat du PLFSS est clair : il faut trouver un financement, c'est vrai ! Vous refusez celui qui est proposé, soit ! Mais ce que nous vous reprochons, c'est de ne pas avoir proposé un autre financement ! (Applaudissements sur tous les bancs des groupes, sauf sur ceux des groupes LaREM et Les Indépendants)
Ensuite, le vote bloqué n'a été utilisé que neuf fois sur une proposition de loi. (Applaudissements vifs et prolongés sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM ; quelques sénateurs du groupe Les Républicains frappent leurs pupitres.)
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Revenons à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution. Cette proposition de loi a été adoptée en toute fin de législature. Ce n'est pas correct, sur un sujet d'une telle importance, que l'Assemblée nationale élue récemment ne puisse pas se prononcer dessus : les parlementaires doivent jouer tout leur rôle ! (Vives exclamations)
Mme Esther Benbassa. - Quelle excuse !
Mme Éliane Assassi. - Quel argument !
M. Pierre Laurent. - Il n'y aura bientôt plus que des députés « En marche » !
M. Mathieu Darnaud. - C'est nul !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il faut être cohérent : attendons la réforme systémique. Vous pouvez compter sur notre engagement... (Marques d'ironie)
Mme Esther Benbassa. - Quel cynisme !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - ... mon engagement à ce que les retraités agricoles soient pris en compte.
Mme Esther Benbassa. - Quand ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous proposez une augmentation des droits à tabac, le Gouvernement l'a fait, mais le surplus de recettes va à la prévention du tabagisme, la hausse du tabac s'inscrit dans un plan de santé publique. Ici, il faut trouver une solution pérenne.
Mme Cécile Cukierman. - Nous vous proposons une solution !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous avez eu des paroles injustes. Stéphane Travert, à peine nommé, a convoqué des états généraux de l'alimentation. (Vives protestations) L'objectif, c'est bien d'accroître les revenus que les agriculteurs tirent de leur travail, en agissant sur la chaîne de valeur. Les agriculteurs en France méritent notre pleine attention.
M. François Bonhomme. - Des actes !
M. Gilbert Bouchet. - Vous n'avez pas de convictions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Nous traiterons du cas des agriculteurs en même temps que de celui de tous les Français. (Huées sur les bancs du groupe CRCE ; applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Rappel au Règlement
Mme Cécile Cukierman . - Tous les groupes, sauf un, ont protesté contre votre méthode : le recours au vote bloqué est certes constitutionnel, mais il n'a été que très rarement utilisé contre une proposition de loi - parce qu'il revient à entendre le Parlement seulement lorsqu'il dit la même chose que le Gouvernement.
Je n'ai jamais dit, Monsieur le Ministre, que vous aviez voté cette proposition de loi, mais que votre groupe ne s'était pas prononcé contre.
M. François Patriat. - Il avait quitté le groupe à l'époque !
Mme Cécile Cukierman. - Il faut trouver une solution. Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous décidons de remettre à notre niche du 16 mai l'examen de ce texte. Il est indigne d'utiliser des faux arguments et des artifices de procédure pour tacler une proposition de loi, surtout le matin-même. Ces méthodes montrent que vous n'avez jamais cherché une solution constructive pour les retraités agricoles ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM ; les membres du groupe CRCE, ainsi que Mme Nadia Sollogoub, applaudissent debout.)
M. le président. - L'examen de cette proposition de loi est donc reporté.
Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l'harmonisation et la justice fiscales.
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution . - Nous pouvons tous citer les affaires d'évasion fiscale qui scandent l'actualité - HSBC, UBS, Offshore Leaks, LuxLeaks, Footleaks, Panama Papers et autres Paradise Papers...
Ce que chacun peut retenir, c'est l'ampleur des chiffres et le caractère systémique de l'évitement fiscal, qui déstabilise les États et pose de sérieux problèmes démocratiques. Cette proposition de loi, pour instaurer une COP de la finance et de la fiscalité mondiales, est donc constructive.
L'évasion fiscale représente 1 000 milliards d'euros de pertes annuelles pour l'Union européenne, 100 milliards d'euros pour les pays en développement, 60 à 80 milliards pour la France - soit davantage que notre déficit public. Autant de moyens qui échappent à la collectivité, posent des problèmes de consentement à l'impôt. Il y va de l'harmonie de la société.
Selon l'ancien secrétaire d'État au Trésor américain, Henry Morgenthau dans les années 1930, « l'impôt, c'est le prix à payer pour vivre dans une société civilisée ».
À l'heure du shopping fiscal, les États organisent les soldes. Les sommes de l'impôt sur les sociétés chutent. À cela s'ajoutent les paradis fiscaux, véritables lessiveuses qui recyclent l'argent du blanchiment, de la fraude, du commerce des armes, de la prostitution, de la drogue voire ces derniers temps du trafic des migrants vers l'Europe ou encore du terrorisme.
À ce système tout le monde perd, sauf les Gafam - Google, Amazon, Facebook, Appel, Microsoft - et les plus fortunés.
Les paradis fiscaux sont au coeur du capitalisme mondialisé. Cela favorise les pactes sociaux. Selon Oxfam, 82 % des richesses ont profité aux 1 % des plus riches et, en un an, la richesse des milliardaires a augmenté de 762 milliards de dollars.
Trop souvent, le financier a pris le pouvoir. La finance de l'ombre représente 45 000 milliards de dollars. Le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s'accumule et l'austérité s'aggrave.
En dépit des progrès de l'OCDE avec le système BEPS, les choses empirent. La France devrait être à l'initiative d'une COP sous l'égide de l'ONU, qui amorcerait une définition universelle des paradis fiscaux, menant à terme à une organisation mondiale de la finance. Pourquoi l'égide de l'ONU ? Les autres organisations s'apparentent à un club de pays riches. Il faut garantir à tous un accès aux décisions. Le G77 n'a-t-il pas déclaré que la lutte contre les paradis fiscaux était sa priorité ?
Notre pays a vocation à être le porte-voix des plus fragiles, notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice, de démocratie. Une COP isolerait ceux qui seraient tentés par l'aventure fiscale et financière.
« Vivre sans espoir, c'est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Cela prendra plus d'une génération. Mais il faut lancer le mouvement.
Notre démocratie se veut aussi européenne. Si l'Union européenne n'avance pas résolument vers l'harmonisation fiscale, elle disparaîtra sous les coups des populismes les plus noirs. Le Parlement européen, à propos des Panama Papers, a voté une résolution pour l'organisation d'un sommet mondial.
Notre Sénat a montré sa sensibilité à ces sujets : votes unanimes en 2010 et 2012, position contre le verrou de Bercy (Mme Nathalie Goulet approuve.), création d'un groupe de suivi sur la lutte contre l'évasion fiscale à la commission des finances. Le Sénat a l'occasion de se joindre à l'Assemblée nationale sur cette proposition de résolution. Les deux chambres du Parlement sont les deux jambes de la démocratie. Voter cette résolution ce soir, c'est faire oeuvre utile pour l'intérêt général et les générations futures (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, RDSE et UC)
M. Didier Rambaud . - La fraude fiscale est illégale et se distingue, de ce fait, de l'optimisation fiscale, qui vise à alléger la charge fiscale. La fraude se développe, grâce à quatre leviers : la complexité des règles, le travail dissimulé dans une économie de service, l'internationalisation, les évolutions technologiques.
Selon le Conseil national des prélèvements obligatoires, le manque à gagner représente 30 à 40 milliards d'euros pour notre pays. La fraude viole l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Les outils de lutte ne manquent pas : une personne se rendant coupable risque 2 millions d'euros d'amende et sept années d'emprisonnement. Je salue le travail des services de l'État, bien loin des caricatures de ce texte. Le G8 et le G20 ont donné mandat à l'OCDE pour agir en la matière. La réponse passe par l'échange automatique d'informations. Le 30 septembre 2017, un accord a été passé sur un tel échange, il concerne actuellement 51 juridictions, dont les îles de Jersey et de Man. Il faut aller plus loin.
Les échanges d'informations fiscales sont donc une réalité. L'Union européenne a conclu des accords bilatéraux : le 1er janvier 2018 a marqué la fin du secret bancaire suisse pour les non-résidents.
Depuis septembre 2017, la France est à la tête du combat pour que les Gafam paient des impôts. Il y a beaucoup à faire et cette proposition de résolution nous le rappelle. Le cadre utile est multilatéral.
Le groupe LaREM regarde avec réalisme cette complexité. Il y travaillera au Sénat mais ne soutiendra pas cette proposition de résolution qui, peu normative, n'est pas la bonne solution.
M. Pascal Savoldelli . - La liste des mauvais élèves de la fiscalité, des paradis fiscaux, est fort restreinte. Ces paradis sont paradisiaques par les facilités qu'ils offrent à quelques entreprises à vocation transnationale de domicilier sur leur territoire et, le plus souvent, dans des « immeubles boîtes aux lettres » tout ou partie de leurs activités au détriment de leur population.
En 2015, les Bahamas comptaient officiellement 13 % de chômeurs - plus de 35 % chez les jeunes, 12,3 % pour la Barbade, 11,3 % pour le Belize. La même année, la dette d'Antigua et Barbuda atteignait 105,5 % du PIB ; celle de la Barbade 103 % du PIB.
Parmi les vingt premiers pays affichant un excédent commercial, on retrouve seize pays ayant à voir, de près ou de loin, avec le commerce des produits pétroliers bruts ou raffinés ou de matières premières stratégiques, à savoir les pétromonarchies du Golfe, le Sultanat de Brunei, les ex-républiques gazières et pétrolières de l'URSS, les Pays-Bas, ainsi que le Luxembourg, Singapour, les Maldives et l'Irlande, qui ont développé des pratiques d'opportunisme fiscal bien connues dans le secteur des « services financiers ».
L'optimisation fiscale est une forme légale de fraude. Il y a une évidente co-construction entre les milieux d'affaires et politiques. On le voit aux États-Unis avec Trump qui pratique la guerre des taux, en Italie où la coalition victorieuse prône une flat tax de 15 % comme tout impôt ou encore en France où le Gouvernement s'emploie à réduire le taux facial d'un impôt sur les sociétés qui représente moins de 1,5 % du PIB. Et ce serait pour aider les entreprises ? Qui peut le croire ? Les entreprises peuvent se financer par la réaffectation de leurs bénéfices à l'investissement ou le recours au prêt bancaire - qui reste moins coûteux que le versement de dividendes. En France, elles peuvent se développer grâce aux réseaux de transports routiers et ferroviaires mais aussi grâce aux politiques d'éducation qui forment les ouvriers qualifiés et les ingénieurs de demain ; le tout, financé par l'impôt.
Une proposition concrète de lutte contre l'évasion fiscale serait d'aviser les représentants du personnel aux comités d'entreprise du montant des royalties de cessions de brevets ou d'actifs immatériels, des prêts intragroupes ou des prix des transferts. Voilà ce qui serait de l'innovation sociale et politique !
Monsieur Rambaud, souvenez-vous de ce qui disait Victor Hugo qui a siégé dans cet hémicycle : « Rois, la fraude est vilaine et donne un profit nul ; mentir ou se tuer, c'est le même calcul ». (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Joël Labbé applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je regrette que l'hémicycle se soit vidé. Nous discutions des pensions de retraite des agriculteurs, nous débattons maintenant de l'évasion fiscale. D'un côté, 766 euros par an ; de l'autre, 80 milliards d'euros. Il y a une relation de cause à effet entre ces deux sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, CRCE, et SOCR ; M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
Puisque nous sommes entre nous, faisons-nous plaisir en reprenant l'excellent rapport qu'a publié Éric Bocquet en 2012 car si certains pensent que l'on avance, je regrette, pour ma part, que l'on fasse du sur place. La carte du tendre des paradis fiscaux est à géométrie variable... Il y a des paradis fiscaux perdus, qui ne le sont pas pour tout le monde ; des paradis retrouvés où pointe parfois un peu de transparence - si l'on veut bien oublier les milliers de mètres carrés de ports francs en Suisse et au Luxembourg et je ne parle pas d'Andorre et de Monaco et les paradis technologiques - une question sur laquelle le Sénat a eu tort d'avoir raison trop tôt.
La simple signature d'une convention fiscale avec la France suffit à sortir un État de la liste des paradis fiscaux. La radiation ne devrait avoir lieu qu'a posteriori, après constatation de la réalisation des engagements pris par l'État. C'était la proposition n°40 du rapport, elle n'est pas appliquée six ans plus tard.
Nous soutiendrons cette proposition de résolution comme la proposition de loi du député Fabien Roussel en vue d'une liste française des paradis fiscaux car, pour résumer, c'est toujours « un scandale, une annonce ». En 2015, après LuxLeaks, la Commission européenne publie une première liste noire paneuropéenne de paradis fiscaux. Dépourvue de sanctions, laissée à la libre appréciation des États, la liste dans laquelle Gibraltar et Jersey ne figurent pas ne suffit pas à une opinion publique secouée par le nouveau scandale des Paradise Papers. Là encore, une annonce et, deux ans plus tard, en décembre 2017, une liste qui exclue par principe les membres de l'Union européenne. Si l'on suivait les critères d'Oxfam, il y aurait 58 paradis, et non 17. Ce bricolage européen est une insulte réitérée à notre intelligence.
Puisque, selon le Conseil constitutionnel, le Parlement ne peut pas participer à l'élaboration de la liste, je vous propose, Madame la Ministre, en cette saison de révision constitutionnelle, d'ajouter dans la Constitution, après l'alinéa 4 de l'article 34, « les dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale. » (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et CRCE ; MM. Jean-Marc Gabouty et Joël Labbé applaudissent également.)
Les travaux semblent converger vers une disparition de cette anomalie procédurale que constitue le verrou de Bercy. L'Assemblée nationale, après une remarquable commission d'enquête, recommande sa suppression que le Sénat a déjà votée par trois fois. Dans la maison de Victor Hugo, espérons que les murailles de Jéricho du verrou de Bercy s'écrouleront au septième tour. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE, SOCR et CRCE)
M. Éric Bocquet. - Bravo !
Mme Sophie Taillé-Polian . - Merci aux auteurs de la proposition de résolution dont je salue le travail. La compétition que se livrent les juridictions fiscales à l'échelle mondiale est désastreuse parce qu'elle tarit les ressources financières des États et freine la coopération entre les pays. Ce sont autant de ressources qui devraient être mobilisées dans l'objectif d'une redistribution plus juste des richesses.
La fraude fiscale et l'optimisation, si elles diffèrent par leur nature, sont toutes deux immorales : elles visent à éviter de payer la part légitime de la contribution de tous aux dépenses publiques. Ces phénomènes, facilités par des progrès technologiques qui rendent possible la création d'une société-écran en trois clics, sont difficiles à maîtriser dans un système bancaire traditionnel, ils le sont plus encore dans la zone grise du shadow banking.
Pour les pays en développement, c'est dix fois l'aide au développement. En France, c'est 60 à 80 milliards. Comme Mme Goulet, je pense qu'il y a un lien entre ce débat et celui sur les pensions agricoles. Il n'y a pas d'addiction à la dépense publique mais une addiction à l'évasion fiscale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
La fraude fiscale est le cancer de la démocratie. Quand le Gouvernement baisse les impôts des plus riches et fait la chasse aux fraudeurs sociaux en stigmatisant les statuts prétendument privilégiés, la moindre des choses serait qu'il se montre intraitable avec les fraudeurs fiscaux.
Des progrès ont été réalisés sous le précédent quinquennat mais ils doivent être largement complétés par la fin du verrou de Bercy, la protection renforcée des lanceurs d'alerte et le reporting pays par pays. On nous promet un projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale. La France ne doit pas attendre la communauté internationale pour agir mais être avant-gardiste.
Les organisations internationales prétendent toutes vouloir lutter contre les paradis fiscaux mais ne s'accordent pas sur une définition. Les listes de paradis fiscaux découlent de tractations diplomatiques, et non de statistiques. Cela rend impossible toute action concrète. Je suis donc très favorable à une Conférence des parties sous l'égide de l'ONU à laquelle serait associée la société civile qui joue un rôle essentiel de garde-fous - il faut saluer le travail des ONG.
Une coopération internationale est indispensable. Nous regrettons le choix du groupe LaREM de ne pas soutenir la proposition de résolution, cela nous fait douter de la volonté du Gouvernement d'agir. Leur nouveau monde n'est pas le nôtre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et UC ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Joël Guerriau . - On a beaucoup diabolisé la finance ces dernières années. Soyons prudents dans les mots et dans les actes : ce monde, loin des caricatures, n'est pas monolithique. Sachons préserver le secteur financier français qui fait l'envie des étrangers.
Évitons de l'amalgamer avec la fraude derrière laquelle il y a une galaxie d'acteurs dont les intérêts convergent, mais surtout des particuliers et des entreprises coupables. Comme vous, je la déplore.
Toutefois, nous croyons à l'efficacité des marchés et à l'internationalisation des flux de capitaux, pourvus qu'ils soient régulés. Je salue le français Pascal Saint-Amans de l'OCDE qui a entamé une véritable croisade pour la régulation de la finance. Une norme d'échanges automatiques d'informations bancaires a été récemment adoptée.
L'Union européenne agit aussi contre la concurrence fiscale entre les États membres. Des progrès ont été accomplis, d'autres sont encore possibles. Les listes de paradis fiscaux sont insatisfaisantes de même que les passeports dorés consentis par Malte ou Chypre et les rescrits. Enfin notre système fiscal est inadapté aux Gafam. Poursuivons nos efforts contre la fraude mais dans une logique d'équité, non dans une logique punitive. Je crois en la volonté des institutions et des professionnels d'aboutir, ajouter une institution de plus serait nous éloigner d'une approche pragmatique.
Le groupe Les Indépendants, comme le groupe LaREM, n'approuvera pas cette proposition de résolution.
M. Jean-Marc Gabouty . - L'opacité de la sphère financière à la mathématisation extrême inquiète, le mini krach de février dernier est passé presque inaperçu. Le mathématicien Nicolas Bouleau, dans Le Monde, évoque des « marchés fumigènes », brouillant l'information sur l'état réel de l'économie.
Le bien-fondé de la lutte contre la fraude fiscale ne fait pas de doute. Nous en avons débattu en octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté une résolution sur le même sujet début 2017.
La fraude fiscale mine les ressources des États : elle avoisinerait les 1 000 milliards d'euros en Union européenne ; 60 à 80 milliards en France, ce qui équivaut à notre déficit public. La liste des paradis fiscaux adoptée en décembre dernier se voulait une réponse globale ; malheureusement, les États européens en sont exclus de facto malgré des interrogations sur l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Chypre. De grands pays extra-européens qui ne remplissent pas les critères, comme les États-Unis ou la Russie, n'y figurent pas non plus.
Malheureusement, la France n'est pas en reste. Elle assure des exonérations très avantageuses aux non-résidents de certains États du Golfe via des conventions fiscales qui coûtent plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d'euros. M. Jean-Louis Borloo avait proposé de revenir dessus en 2012-2013. Pour investir en France, mieux vaut être Qatari que Canadien. On peut également s'interroger sur la tolérance, sinon la complaisance, à l'égard de sportifs ou d'artistes résidant en Belgique ou ailleurs, érigés en héros nationaux. Comment la France et l'Europe peuvent-elles donner des leçons si elles n'ont pas mis d'ordre dans leur maison ?
Si l'on souscrit à la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas que l'organisation d'une conférence des parties masque les enjeux nationaux ou européens. C'est pourquoi la majorité des membres du groupe RDSE s'est prononcée pour une abstention bienveillante ou un vote positif. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et CRCE)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution a plusieurs mérites : celui de vouloir réguler la finance ; celui de souligner la constance du groupe CRCE et d'Éric Bocquet, en particulier.
Nous partageons avec lui certaines préoccupations : l'évasion fiscale est un phénomène global qui appauvrit les nations. Notre groupe Les Républicains s'interroge toutefois sur la pertinence d'une conférence des parties. Ce serait faire croire que ce sujet n'est pas déjà une préoccupation des décideurs. Or ce n'est pas vrai, le G20 de Londres en 2009 l'a montré, de même que l'accord du 29 octobre 2014 sur l'échange d'informations, obligeant chaque pays à demander à tous les établissements de recueillir les données des non-résidents. Le programme BEPS est un autre progrès de l'OCDE pour faire face à l'érosion de la base d'imposition en mettant fin au treaty shopping qui conduit de nombreuses multinationales à placer leur siège à Maurice, pour profiter d'un traité avec l'Inde.
Nous sommes en désaccord avec le considérant 39 de la proposition de résolution, qui rend obligatoire la publication du reporting par pays. Nous sommes attachés au patrimoine informationnel de nos entreprises, ce qui nous avait conduits à nous opposer aux amendements à la loi Sapin II, qui ont d'ailleurs été censurés à l'article 137 par le Conseil constitutionnel. Il aurait au moins fallu, comme l'a prévu le Parlement européen, prévoir une exemption de publication pour les informations commerciales jugées sensibles.
Le projet BEPS est porté par l'OCDE et les pays du G20 qui n'en sont pas membres, soit 90 % de l'économie mondiale. Le dynamisme de la communauté internationale nous amène à plaider pour une démarche intégrée. En décembre, le Conseil de l'Union européenne a publié une liste noire et une liste grise qui semblent être efficaces puisqu'elles font réagir les pays.
Peu à peu, les lignes bougent, l'amende record infligée à Apple par la Commission européenne en témoigne. Le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, dit ACCIS, ambitionne une plus grande intégration fiscale en Europe en supprimant les disparités entre pays membres. Il a été relancé en octobre 2016, la Commission européenne espère aboutir en 2019.
Enfin, aujourd'hui même, ont été mis au ban sept pays européens dont l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas, à cause de leurs pratiques contre-productives - cette actualité semble avoir échappé à certains...
Les avancées au niveau français, européen et mondial ne signifient pas que le combat est gagné mais elles nous éclairent. Les voeux d'Éric Bocquet ont été en partie réalisés. La conférence qu'il propose pourrait être considérée comme superfétatoire.
Enfin, l'exposé des motifs est excessivement idéologique ; le tableau caricatural du capitalisme et les termes provocateurs utilisés nous empêchent d'apporter notre soutien à cette proposition de résolution.
M. Thierry Carcenac . - La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un combat de tous les instants. Des progrès ont été réalisés. L'appui des médias, des ONG, de l'opinion est précieux pour mettre fin aux abus.
Cette proposition de résolution a le mérite d'ouvrir le débat. La liberté de circulation des capitaux a mené certains pays à se lancer dans la fuite en avant de la concurrence fiscale. Il ne faut pas baisser la garde, la créativité de nouveaux montages est sans limite. L'OCDE a permis des progrès indéniables, mais les failles sont apparues tels les visas pour investissement.
La directive prévue par la Commission européenne visant à taxer les Gafa n'est pas acquise. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Dès 2012, le Sénat dénonçait les pratiques du « double irlandais » et du « sandwich hollandais » bien connues des multinationales du numérique.
Le verrou de Bercy laisse supposer que certains pourraient échapper à la sanction, il mérite un réexamen approfondi. Notre arsenal répressif est trop complexe, les agents devraient être mieux formés.
Le groupe SOCR vous invite, Madame la Ministre, à mener ce combat contre la fraude.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Je salue cette proposition de résolution qui, malgré des termes excessifs, suscite un débat de qualité.
D'importantes avancées ont été obtenues ces dernières années. La France est à la pointe du combat contre la fraude fiscale, de même que contre l'optimisation fiscale. Cette dernière s'appuie sur des failles de la loi fiscale quand la fraude est une violation. Il s'agit de faire respecter la justice fiscale, très attendue par nos concitoyens.
Les révélations médiatiques ont illustré l'absolue nécessité de renforcer nos actions. Le Gouvernement est très déterminé sur la transparence fiscale. Au niveau du G20, de l'OCDE et de l'Union européenne, la France agit. Le G20 a demandé la création d'une liste des paradis fiscaux à l'OCDE. Le forum de l'OCDE, qui rassemble 148 membres, a abouti à la création, pour 100 pays, de la convention sur l'assistance administrative mutuelle, qui fixe les règles de l'échange d'informations.
La France a aussi joué un rôle moteur dans le développement mondial de l'échange automatique d'informations sur les comptes bancaires grâce auquel nous avons mis fin au secret bancaire.
L'Union européenne s'est dotée d'un cadre juridique renforcé, en matière d'échanges d'informations. Une proposition de directive obligeant les intermédiaires à déclarer les montages fiscaux qu'ils créent devrait être adoptée très prochainement.
Quelques États, dont la France, travaillent sur le chantier BEPS de l'OCDE. Près de 110 États et territoires y ont adhéré. Progrès important, l'instrument multilatéral BEPS est juridiquement contraignant.
La France a signé le 7 juin 2017 cet accord qui devrait être ratifié prochainement.
L'Union européenne s'est engagée dans une action résolue dans la transparence et l'équité fiscale. Elle a établi une liste des États non coopératifs, qui diminue à raisons des engagements pris par les États, qu'ils devront respecter sous peine de se voir rétrograder. Mais des défis restent à relever : nous devons encore convaincre nos partenaires d'adopter des contre-mesures concrètes. La France transposera dans son droit la liste de l'Union européenne au cours de l'année.
En matière de taxation des entreprises numériques, il faut adapter la législation pour que les entreprises paient l'impôt là où la valeur est créée. Des mesures nationales seraient inadaptées et même contre productives. Nous avons proposé à nos partenaires européens une taxe sur le chiffre d'affaires réalisé dans chaque pays de l'Union, qui compenserait l'impôt sur les sociétés qui aurait dû être payé. Bruno Le Maire a signé le courrier exhortant le G20 à avancer sur la taxation du numérique.
La France agit là où son action est efficace, à Bruxelles et au G20. Ce sont dans ces enceintes que les négociations se mènent. Multiplier les instances ne serait pas efficient. L'Union européenne n'a pas intérêt à s'imposer systématiquement des règles plus dures que d'autres comme les États-Unis.
Je ne partage pas votre volonté de publication des rescrits, ceux de portée générale le sont déjà. Ce serait remettre en cause le secret fiscal. (M. Joël Labbé fait un geste d'impuissance.) Nous continuerons à oeuvrer avec une grande résolution.
Mme Laurence Cohen. - Cela ne se voit pas !
À la demande du groupe LaREM, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme Éliane Assassi. - Non, le groupe Les Républicains l'a demandé au groupe LaREM ! Quelle hypocrisie !
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°68 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 170 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 8 mars 2018, à 15 heures.
La séance est levée à 00 h 40.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus
Annexes
Ordre du jour du jeudi 8 mars 2018
Séance publique
À 15 heures
Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente
Secrétaires : Mme Catherine Deroche - M. Daniel Dubois
1. Questions d'actualité au Gouvernement.
De 16 h 15 à 20 h 15
Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente
2. Proposition de loi de simplification, de clarification et d'actualisation du code de commerce (n°790, 2013-2014).
Rapport de M. André Reichardt, fait au nom de la commission des lois (n°657, 2015-2016).
Texte de la commission (n°658, 2015-2016).
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°67 sur l'ensemble de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :324
Suffrages exprimés :309
Pour :309
Contre :0
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (146)
Pour : 144
N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, M. Philippe Dallier, Président de séance
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 50
Groupe LaREM (21)
N'ont pas pris part au vote : 21 - MM. Michel Amiel, Julien Bargeton, Arnaud de Belenet, Bernard Cazeau, Michel Dennemont, André Gattolin, Abdallah Hassani, Claude Haut, Antoine Karam, Martin Lévrier, Frédéric Marchand, Thani Mohamed Soilihi, Robert Navarro, Georges Patient, François Patriat, Didier Rambaud, Mme Noëlle Rauscent, M. Alain Richard, Mme Patricia Schillinger, MM. Dominique Théophile, Richard Yung
Groupe RDSE (21)
Pour : 21
Groupe CRCE (15)
Abstentions : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Pour : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 5
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Stéphane Ravier
Scrutin n°68 sur l'ensemble de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l'harmonisation et la justice fiscales.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :333
Suffrages exprimés :322
Pour :152
Contre :170
Le Sénat n'a pas adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (146)
Contre : 145
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 49
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Vincent Delahaye, Président de séance
Groupe LaREM (21)
Contre : 21
Groupe RDSE (21)
Pour : 10 - MM. Guillaume Arnell, Jean-Pierre Corbisez, Ronan Dantec, Mme Nathalie Delattre, MM. Jean-Marc Gabouty, Jean-Noël Guérini, Mmes Véronique Guillotin, Mireille Jouve, MM. Joël Labbé, Franck Menonville
Abstentions : 11
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
N'ont pas pris part au vote : 11 - MM. Jérôme Bignon, Emmanuel Capus, Daniel Chasseing, Jean-Pierre Decool, Alain Fouché, Joël Guerriau, Jean-Louis Lagourgue, Claude Malhuret, Alain Marc, Mme Colette Mélot, M. Dany Wattebled
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier