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Table des matières
Nouvelle-Calédonie Déclaration du président du Sénat
M. Gérard Larcher, président du Sénat
Accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée - Suite)
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
Assurance chômage des professions agricoles
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
Situation politique et sociale en Guyane
M. Édouard Philippe, Premier ministre
Conséquences de la hausse du gazole en zone rurale
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Site industriel de Vallourec à Tarbes
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Fermetures de classes uniques dans le primaire
Avenir de l'audiovisuel public
M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture
Ordre du jour du mercredi 21 février 2018
SÉANCE
du mardi 20 février 2018
57e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, M. Guy-Dominique Kennel, M. Victorin Lurel.
La séance est ouverte à 15 h 5.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Communications
Accord en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est parvenue à l'adoption d'un texte commun. (Exclamations sur divers bancs)
M. Philippe Dallier. - Très bien !
Nouvelle-Calédonie Déclaration du président du Sénat
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - À l'approche du rendez-vous référendaire, ce qui est un peu inhabituel, je voudrais dire quelques mots.
Nous avons, vis-à-vis de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie mais aussi par respect pour ceux qui, dans leur diversité, ont scellé avec courage et lucidité les accords de Matignon-Oudinot, puis négocié et signé l'accord de Nouméa, l'ardente obligation de tout mettre en oeuvre pour que le résultat de cette consultation, terme du processus institutionnel qu'ils ont engagé, soit incontestable.
Nous avons en effet vis-à-vis de cette génération d'hommes et de femmes, et je me souviens particulièrement d'un homme politique qui, au-delà des blessures de l'histoire, a permis à la Nouvelle-Calédonie d'accomplir, dans le respect et le dialogue, et dans le respect des valeurs de la République, un immense chemin vers un destin commun, le devoir de garantir la légitimité du scrutin.
L'unanimité rencontrée dans cet hémicycle, lors de l'examen des articles du projet de loi organique, montre, et je ne peux que m'en réjouir, la volonté de notre Haute Assemblée de garantir cette légitimité, marque des principes que nous défendons ensemble et de l'attachement du Sénat au devenir de la Nouvelle-Calédonie.
Accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur le projet de loi organique relatif à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
Explications de vote
M. Jean Louis Masson . - Ce texte fait l'unanimité en Nouvelle-Calédonie. Manifestement, on ne peut pas s'y opposer. Je formulerai toutefois certaines réserves, particulièrement sur le corps électoral.
Tout au long de l'histoire, les Français ont toujours pu voter partout où ils étaient. Le principe du scrutin démocratique, reconnu par la Cour européenne des droits de l'homme, est un homme, une voix...
M. Roland Courteau. - Certes ! (Quelques sourires sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean Louis Masson. - C'est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme. Là, c'est exactement le contraire. Des Français, nés en France et résidant depuis des années en Nouvelle-Calédonie, sont privés du droit de vote - sur le territoire français ! C'est inacceptable. Que ne dirait-on du côté des bien-pensants si l'on excluait du vote, dans l'Hexagone, ceux qui sont nés à l'étranger, en Algérie, par exemple ? Ce serait insupportable ! Là, on trouve cela normal... Je ne voterai pas contre ce projet de loi organique, mais je tenais à soulever ce problème regrettable.
Chacun dit que c'est une exception. Pourquoi, alors, ne pas le clamer ? Je ne veux pas que la Nouvelle-Calédonie devienne une zone de non droit où les principes de la démocratie sont bafoués par ceux-là mêmes qui s'en réclament à cor et à cri.
Dès lors, pourquoi ne ferait-on pas de même pour le vote en Corse, où certains insulaires demandent l'exclusion des Français résidant sur l'île mais originaires du continent inscrits sur les listes électorales ?
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - C'est inadmissible. C'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. Stéphane Artano . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Prévue par l'accord de Nouméa de 1998, la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie nécessite de transcrire dans la loi organique du 19 mars 1999 le résultat de l'accord politique obtenu au sein du Comité des signataires de l'Accord de Nouméa tenu le 2 novembre 2017.
Or le dépôt tardif du texte au Sénat nous contraint à des délais très courts, déplorés par le Conseil d'État dans son avis du 30 novembre dernier.
Depuis 1998, les tensions se cristallisent sur la composition du corps électoral, de 160 000 personnes, dont environ 23 000 Kanaks seraient exclus sur 90 000 en âge de voter. C'est pourquoi nos collègues Gérard Poadja, Pierre Frogier ainsi que les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, ont plaidé pour l'inscription d'office de 11 000 natifs du pays. La conciliation entre cette préoccupation et la nécessité de permettre aux nouveaux résidents français de prendre part à la vie démocratique explique la coexistence de trois listes électorales distinctes. Il fallait garantir la sincérité du vote.
Ce projet traduit fidèlement la volonté commune des signataires de l'Accord de Nouméa, des représentants des institutions calédoniennes et des formations politiques locales. La commission des lois a approuvé ce texte moyennant quelques améliorations auxquelles nous avons souscrit. La semaine dernière en séance le RDSE a défendu des amendements garantissant l'information des électeurs, la sincérité du scrutin et précisant les modalités d'exercice du vote par procuration.
Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, le 23 novembre 2017, s'est exprimé sur le vote par procuration. Le RDSE voulait appeler l'attention de tous sur les procurations et les modalités pratiques du vote. Notre groupe, rassuré sur ce point par la ministre, a retiré ses amendements.
Le président de la commission des lois et rapporteur de ce texte, dont j'ai salué l'engagement, s'est rendu lui-même en Nouvelle-Calédonie. Il a souligné, le 7 février, les risques pour la concorde civile. Gérard Poadja a, quant à lui, alerté notre assemblée sur les tensions ethniques et politiques que pourrait éveiller le scrutin.
Ce projet de loi organique crée les conditions d'un référendum apaisé.
Le groupe RDSE insiste néanmoins sur l'impérieuse nécessité d'une formulation claire, sans ambiguïté, qui appelle une réponse simple par oui ou par non, sous peine de provoquer une crise politique majeure.
Cette consultation ne réglera pas le problème de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Tout doit être fait pour éviter une fracture au sein de la population et renforcer le vivre ensemble et le troisième pilier de notre devise républicaine : la fraternité.
Le destin des populations qui souhaitent un juste équilibre se joue. C'est à la population calédonienne de construire la troisième voie, la voie d'équilibre. Je dis population, et non peuple. C'est important.
La semaine dernière, Gérard Poadja nous a beaucoup touchés en exprimant sa triple identité de Kanak, Calédonien et Français.
Assurons-nous de renforcer cette triple identité. Le groupe RDSE votera le projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ainsi que sur quelques bancs du groupe UC ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur, applaudit également.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue nos deux collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie et en particulier Pierre Frogier qui s'est exprimé à cette tribune la semaine dernière au nom de notre groupe. Il a signé l'Accord de Matignon mais aussi, l'Accord de Nouméa. Il est autant homme du Pacifique, que je le suis de l'Atlantique. Mais nous partageons un même patriotisme et les mêmes convictions sur ce sujet qui engage l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et celui de la France, notre pays. Tout est affaire de point de vue et d'abord, cher Philippe Bas, de point de vue législatif.
Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi organique...
MM. Claude Kern et Bruno Sido. - Oui !
M. Bruno Retailleau. - ...traduction législative et juridique d'un compromis politique qui donnera une force incontestable au référendum Mais nous ne pouvons pas nous en contenter. Il faut passer du juridique au politique. La question fondamentale, c'est le devenir de la Nouvelle-Calédonie et de la France, de l'association entre la Nouvelle-Calédonie et la France, d'une association si importante pour ce territoire et notre pays.
Tout est affaire de points de vue, disais-je et je suis frappé de constater que l'on connaît les points de vue de tous les acteurs, sauf un, qui refuse obstinément de s'engager : celui de l'État, du Gouvernement, le vôtre, Madame la Ministre. L'État doit bien sûr être un « partenaire », selon vos propres termes, le garant neutre du dialogue, certes. Mais il incarne aussi l'unité, la souveraineté et la solidarité de la France métropolitaine et de la France d'outre-mer. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; on applaudit aussi sur quelques bancs du groupe UC.)
Plusieurs voix à droite. - Oui !
M. Bruno Retailleau. - Nous devons redire notre attachement à la Nouvelle-Calédonie pour éviter trois risques et d'abord le risque de l'imprévoyance. Ce référendum n'est qu'un point d'étape. Ce n'est ni un point d'arrivée, ni un point final. La campagne pourrait même antagoniser les points de vue.
Le deuxième risque est terrible : c'est celui de l'ambiguïté. Celle-ci n'est pas seulement constitutionnelle, elle peut toucher la République : songez aux propos du Premier ministre sur le « peuple calédonien amené à s'exprimer souverainement »...
Ce serait distinguer peuple calédonien et peuple français. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Parce que la Nouvelle-Calédonie est située aux antipodes ? Parce que certains de ses habitants ont la peau foncée ?
Non, la France c'est un effort multiséculaire pour conjuguer ce qui est particulier en chaque homme et ce qui est universel chez tous les hommes.
Il faudra formuler la question très clairement. Dès le 24 janvier 1985, un sénateur calédonien, Dick Ukeiwé, exhortait déjà le Gouvernement à ne pas tomber dans le piège de l'ambiguïté.
Troisième risque, la distanciation. N'ajoutons pas à la distance géographique la distance civique, celle de la neutralité, de l'extériorité. La République est-elle extérieure, distante, à l'égard de la Nouvelle-Calédonie ? Le général de Gaulle avait déclaré aux Calédoniens qu'ils étaient un morceau de la France, qu'ils sont la France australe, et qu'ils ont un rôle français à jouer dans cette partie du monde.
Nous voulons une Nouvelle-Calédonie forte et fière, forte de ses atouts, fière de ses visages et de tous ses héritages. Nous la voulons à nos côtés. Nous croyons dans une Nouvelle-Calédonie française, au nom du principe de diversité - celle, évoquée par Mona Ozouf, de toutes les petites patries charnelles qui composent la grande patrie française. (Applaudissements nourris et prolongés sur les bancs du groupe Les Républicains ; on applaudit aussi sur quelques bancs du groupe UC.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Nous allons voter ce projet de loi organique. Mardi dernier, tout a été dit sur ce texte décisif pour la Nouvelle-Calédonie. Je souhaite revenir sur les inquiétudes portant sur l'organisation du référendum. Il risquerait de réduire les Calédoniens à ce qui les oppose, au lieu de les unir. Je rejoins ces inquiétudes, mais l'organisation du référendum est un engagement de l'État pris à l'issue des événements dramatiques, notamment à Ouvéa.
L'organisation du référendum a été précédée d'un large consensus du Comité des signataires.
Si comparaison n'est pas raison, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec Mayotte, mon département. Les Mahorais n'auraient pas compris qu'on les empêche de s'exprimer sur leur avenir. La décision appartiendra donc aux Calédoniens. Personne d'autre qu'eux ne peut décider de l'avenir de leur territoire. Néanmoins, à titre personnel je souhaite continuer à voir la Nouvelle-Calédonie enrichir notre diversité outre-mer au sein d'une même patrie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Roger Karoutchi applaudit également.)
Tout à l'heure, nous voterons tous, ou presque, ce texte.
J'aimerais voir le même consensus sur le développement de nos territoires d'outre-mer, dans tous les bassins océaniques, sur tous les continents, qui sont une chance pour la France.
Calédoniens, restez avec nous. C'est tous ensemble que nous défendrons la cause des outre-mer. (Applaudissements sur tous les bancs, sauf ceux du groupe CRCE)
Mme Éliane Assassi . - Ce projet de loi organique est très important. Il recueillera l'assentiment de notre assemblée. Il ne s'agit pas de modifier le corps électoral, mais de traiter de l'inscription d'office de certains électeurs pour la participation au scrutin. Je souhaite, avec tout le CRCE, que toutes les parties soient respectées et représentées. Je m'interroge sur l'article 3 bis qui encadre les modalités du recours à la procuration. Il vise des dysfonctionnements sans l'étayer. Les justificatifs réclamés pour voter par procuration ne devront pas nuire à la participation la plus large de la population sur place. Aucune contrepartie aux bureaux délocalisés n'aurait dû être exigée. Les restrictions auraient pu être évitées. Nous serons attentifs aux décrets d'application.
Nous nous félicitons de la consultation du Congrès de Nouvelle-Calédonie sur la formulation de la question du référendum. Elle devra être la plus claire possible. De même, la campagne doit être la plus équitable, citoyenne et démocratique possible.
L'équilibre entre indépendantistes et loyalistes reste fragile malgré trois décennies d'équilibre. Faisons en sorte que l'organisation de cette consultation soit une réussite, en apportant notre vote à ce projet de loi organique. Quelle que soit l'issue du scrutin, l'État français devra accompagner les Calédoniens dans leur diversité et dans leurs choix d'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Gérard Poadja . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; MM. Guillaume Arnell et René Danesi applaudissent également.) Rappelons l'esprit et la lettre d'un texte fondateur, le préambule de l'Accord de Nouméa, qui a mis des mots sur les non-dits, qui a su parler des « ombres et lumières de la période coloniale », qui a reconnu que le peuple kanak avait été colonisé et marginalisé dans son propre pays.
Son identité, ses langues, son rapport à la terre, aux morts et au temps, ont été niés et devaient être reconnus. Il faut aussi reconnaître les populations arrivées librement qui participent à la construction du pays.
Ce projet de loi organique, traduction politique et juridique du préambule de l'Accord de Nouméa, apporte une définition ultime sur le corps électoral référendaire. Il contribue à la définition du peuple calédonien, de couleurs et origines diverses, peuple qui conjugue populations autochtone et venue d'ailleurs.
Comme l'a dit dans une belle formule le président du Sénat, devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 23 février 2016 : « depuis les accords de Matignon, les Calédoniens ont refusé que les versions divergentes de l'avenir se règlent par une partition ethnique ou géographique. L'unité du peuple calédonien a prévalu et s'incarne dans la citoyenneté prévue par la loi organique ».
Oui, Monsieur le Président, les Calédoniens ont toujours refusé les partitions ethniques et géographiques et l'unité du peuple calédonien a toujours prévalu. Malgré les inévitables tensions, je souhaite de tout mon coeur qu'il en aille de même après la réforme.
Malgré les inévitables tensions, je souhaite de tout mon coeur qu'il en aille de même au lendemain du référendum.
Pour que les Calédoniens puissent continuer à construire leur destin commun, dans la France, et dans la paix, le groupe UC votera ce projet de loi organique. (Vifs applaudissements sur la plupart des bancs, sauf sur ceux du groupe CRCE)
M. Jacques Bigot . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je tiens à saluer le président de la commission des lois, avec lequel j'ai eu le plaisir de me rendre en Nouvelle-Calédonie, ainsi que Pierre Frogier et Gérard Poadja. Les peuples d'outre-mer nous reprochent souvent de ne pas assez penser à eux. Nous faisons aujourd'hui un travail législatif avec grande modestie puisque ce texte est issu de l'accord des signataires de l'accord de Nouméa et du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
Le groupe socialiste et républicain votera ce texte, dans la logique du travail accompli par Michel Rocard en 1988.
Les accords de Matignon, puis l'accord de Nouméa signé par Lionel Jospin, conduisent l'État à organiser ce référendum avant la fin de l'année.
La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak. La décolonisation permet une association des populations pour construire un destin commun, quel qu'il soit. Le résultat doit être indiscutable.
Les indépendantistes demandaient des inscriptions d'office sur les listes ; il fallait aussi faire droit aux demandes analogues des natifs non kanaks.
Un équilibre du corps électoral a été trouvé. Il fallait faciliter le vote par des bureaux délocalisés ; pour la première fois, des communes ouvriront des bureaux de vote sur le territoire d'autres communes.
Il fallait aussi préciser les modalités du vote par procuration, alors que le Conseil d'État avait exprimé des réserves sur ce point.
En faisant confiance aux territoires, des équilibres ont été trouvés. Enfin, un amendement du Gouvernement précise les modalités d'organisation de la campagne.
Soulignons des acquis importants au fil des années pour la Nouvelle-Calédonie. Si un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande, il pourrait y avoir deux autres référendums. Si la question du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République se pose, l'État devra se prononcer.
La parole de l'État doit être respectée. Espérons, avec Pierre Frogier, que les dissensions ne seront pas accrues. Les Accords de Nouméa ont créé, soulignait Édouard Philippe en visite sur place, une forme politique sans précédent dans l'Histoire et sans équivalent dans le monde. Les contrepoids, les équilibres entre les institutions, ont fondé la paix pendant trente ans en Nouvelle-Calédonie. Souhaitons que le président de la République conserve à l'esprit, lors de la prochaine révision constitutionnelle, ce propos de son Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Le Sénat statue sur un projet de loi organique essentiel. La route a été longue et semée d'embûches. Trente ans après les accords de Matignon, vingt ans après ceux de Nouméa, des interrogations et des tensions demeurent.
Tous les citoyens français de Nouvelle-Calédonie doivent pouvoir participer à la consultation. C'est ce que propose ce texte, qui ouvre le plus possible le corps électoral. Le Gouvernement a proposé des amendements pour favoriser l'équité entre les parties.
On peut saluer le travail d'apaisement du Premier ministre, la « méthode Philippe ».
Saluons aussi, à la suite de notre collègue Jérôme Bignon, membre du groupe de contact créé par le président Larcher, le travail accompli par les acteurs locaux et en particulier les parlementaires calédoniens.
Il convient de penser dès à présent à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, quel que soit le résultat de la consultation, c'est-à-dire : de trouver ce qui unit la population calédonienne.
Pierre Frogier a proposé la tenue de « palabres à l'océanienne », sortes d'états généraux de l'avenir calédonien, fondées sur la recherche du compromis. Le Gouvernement a montré sa disponibilité et sa responsabilité dans ce dossier.
Penser l'avenir, c'est ensuite continuer de prévoir le développement économique et industriel de la Nouvelle-Calédonie, notamment dans le secteur du nickel. Il est nécessaire qu'une feuille de route soit rapidement dressée, ainsi que le comité des signataires l'a souligné en novembre 2017.
Ce projet de loi organique constitue la première pierre pour bâtir la Nouvelle-Calédonie de demain. Tout est à construire : une école plus inclusive, une société plus tolérante, le développement de l'emploi, la baisse de la criminalité, la santé, la lutte contre les addictions. Tendons la main aux Calédoniens, soyons à l'écoute de leur volonté. Donnons-leur la chance de s'exprimer dans une consultation d'ampleur inédite et soyons respectueux de leur choix, car l'avenir heureux ne peut se bâtir que dans le respect mutuel.
Le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi organique car il offre les garanties d'une consultation ouverte, démocratique et transparente, appuyée sur un corps électoral respecté où chacun trouve sa place et peut s'exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)
La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 45.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°64 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 344 |
(Exclamations)
Contre | 2 |
(Quelques exclamations)
Le Sénat a adopté.
(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et SOCR, ainsi que sur de nombreux autres bancs)
Intervention sur l'ensemble
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer . - Ce projet de loi organique, voté à la quasi-unanimité, est un message fort envoyé à la Nouvelle-Calédonie et un véritable soulagement pour celle-ci. Je salue l'apport du Sénat pour le travail qu'il a accompli, afin d'améliorer le texte sans remettre en cause l'équilibre politique trouvé par le comité des signataires en novembre dernier. J'espère que ce texte connaîtra le même sort à l'Assemblée nationale en mars.
Nous continuons à oeuvrer au quotidien pour le bon déroulement de ce scrutin.
La Nouvelle-Calédonie reste une priorité du Gouvernement. C'était l'objet de mon premier déplacement.
Merci de votre vote, qui exprime la confiance de la Nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur ceux du groupe SOCR)
La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 16 h 45.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
J'invite chacun à être attentif au temps de parole, et à la courtoisie.
Crise migratoire
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.) La crise migratoire, sujet de préoccupation majeur, cristallise les passions et les peurs ; la question de l'identité et du contrôle des frontières fait l'objet de toutes les instrumentalisations en Europe. L'euroscepticisme gagne en conséquence du terrain partout.
L'accord avec la Turquie a sclérosé les flux venus d'Orient mais les migrants sont encore des centaines de milliers à arriver de Libye, dans des conditions inhumaines, livrés aux trafiquants.
Le président Macron qui avait donné des gages à son camp pendant la campagne semble s'être converti au réalisme, distinguant les migrants économiques des demandeurs d'asile.
Mais, à Bruxelles, j'ai entendu des officiels de la Commission européenne expliquer que ce phénomène est historique et bénéfique pour un continent à la natalité en berne, plaidant pour que l'on accueille le plus grand nombre...
Que pèse la France face à cette politique irresponsable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - En un an, les flux migratoires ont diminué de moitié en Europe ; en France, les demandes d'asile ont cependant augmenté de 17 % pour atteindre 100 000 en 2017. Nous avons empêché 85 000 personnes d'entrer sur le territoire.
Je présenterai demain au conseil des ministres le projet de loi asile et immigration. Notre ligne est claire : accueillir tous ceux qui relèvent de l'asile ; leur donner un avenir dans notre pays - c'est l'objet du rapport Taché - ; et en même temps, faire preuve d'une certaine fermeté.
En janvier 2018, les éloignements avaient augmenté de 22 % par rapport à janvier 2017. Nous voulons nous aligner sur le modèle allemand, italien ou néerlandais et nous doter du système européen d'asile le plus commun possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Pascal Allizard. - Lors de mon déplacement à Molenbeek, j'ai plutôt vu le communautarisme et la pauvreté, ingrédients de la désintégration sociale. Entre inefficacité et angélisme, l'Union européenne crée les conditions de la défiance à son égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Assurance chômage des professions agricoles
M. Jean-Marie Janssens . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le candidat Macron s'était engagé à mettre en place une indemnisation universelle pour les démissionnaires et indépendants. Nous attendons les conclusions des négociations avec les partenaires sociaux avant d'être saisi du projet de loi.
La situation particulière des agriculteurs sera-t-elle prise en compte ? Chaque semaine, 200 exploitations disparaissent en France, laissant les agriculteurs démunis et sans perspectives. La France agricole doute. Conséquences des traités CETA et Mercosur, reclassement des zones défavorisées simples, crises sanitaires à répétition, préparation de l'après PAC 2020...
L'État se doit de protéger ceux qui exercent ce difficile métier. Quand ils se résignent à abandonner des exploitations souvent familiales, il faut les accompagner, les aider à se reconvertir, leur redonner espoir. Comment allez-vous répondre à cette urgence sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Les agriculteurs sous statut d'indépendant n'ont pas de protection universelle contre le risque de chômage, pas de filet de sécurité. Or les liquidations et redressements judiciaires d'entreprises agricoles augmentent - 1 280 défaillances au cours des dix derniers mois, en hausse de 6,7 % par rapport à 2016.
Plus grave, beaucoup de jeunes hésitent à créer ou à reprendre une exploitation. Or les agriculteurs sont essentiels au développement du territoire, à la sauvegarde de nos paysages. Nous leur devons des garanties.
L'ouverture de l'assurance chômage aux travailleurs indépendants inclura les agriculteurs, pour les protéger davantage, sans hausse de cotisations puisqu'ils participent via la CSG. J'attends les propositions des partenaires sociaux sur ce sujet. L'État a l'intention d'agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Situation politique et sociale en Guyane
M. Georges Patient . - Les Guyanais, en rébellion permanente contre un système inopérant en matière de santé, d'éducation, de sécurité, de développement économique, sont remontés contre l'application trop lente des accords de Guyane signés l'an dernier par le précédent gouvernement, après deux mois de mobilisation. Ils attendaient des avancées rapides, s'agissant d'un plan d'urgence, notamment en matière de sécurité et de santé.
Deux comités se sont tenus un mois avant la visite du président de la République en Guyane mais depuis, les accords marquent le pas, suspendus, semble-t-il, aux Assises des outre-mer. Dans le même temps se tiennent les États Généraux de Guyane.
Cela crée une réelle confusion qui s'ajoute au ras-le-bol, le fameux Nou Bon Ké Sa guyanais. Manifestations, débrayages, violences urbaines et scolaires ont repris de plus belle et font craindre le pire. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous apporter des garanties sur le respect des accords de Guyane dans leur totalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Le président de la République, fin octobre, a fixé les orientations du Gouvernement pour la Guyane et les outre-mer : cette « page nouvelle » est celle des responsabilités partagées.
Les Guyanais attendent beaucoup de l'État en matière de santé, de sécurité, d'éducation. Je sais qu'ils aspirent à un modèle de développement plus équilibré.
L'État a honoré sa parole avec le plan d'urgence. Le budget 2017 revu par le Gouvernement et le budget 2018 conçu par lui traduisent le respect de la parole de l'État. Un exemple : la mobilisation exceptionnelle de 250 millions d'euros sur cinq ans pour les collèges et les lycées, de 150 millions sur dix ans pour les écoles.
La capacité d'investissement sera renforcée avec la recentralisation de la dépense de RSA ; dès 2017, nous avons apporté 50 millions d'euros supplémentaires, dans le cadre du fonds d'urgence, pour faire face à la hausse rapide des dépenses en Guyane.
Mais la politique du Gouvernement ne se résume pas au plan d'urgence : il faut une construction sur le long terme.
Dès cette année, une grande partie des habitants de Guyane bénéficieront de baisses massives de leur taxe d'habitation - très élevée outre-mer - compensées pour les communes.
En matière de sécurité, la Guyane sera l'un des vingt départements prioritaires pour le déploiement de la police de sécurité du quotidien. En matière d'immigration, nous expérimenterons dès juin dans ce seul département la baisse des délais d'instruction des demandes d'asile.
Les outre-mer sont au coeur de nos politiques publiques. Ils le seront encore plus avec le livre bleu qui traduira les conclusions des Assises des outre-mer.
Nous voulons construire des politiques publiques dans la durée pour que les outre-mer soient à la fois une fierté et une richesse pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs des groupes RDSE et UC)
Filière forêt-bois
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Notre pays est couvert par 16 millions d'hectares de forêt, soit 29 % du territoire, la troisième plus grande surface forestière d'Europe. La filière bois représente 440 000 emplois et un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros. Elle contribue au dynamisme des territoires ruraux. Or elle a perdu en quinze ans 20 % de sa valeur ajoutée et 100 000 emplois ; le déficit commercial atteint 6 milliards d'euros par an.
La hausse des exportations vers la Chine de bois brut contraint de nombreuses scieries à fonctionner en deçà de leur capacité. Nous subissons la concurrence d'autres pays. L'Est de la France est devenu l'Eldorado des traders internationaux, et les volumes de chênes bruts disponibles pour nos scieries ont été divisés par deux en dix ans.
Les mesures prises pour limiter les exportations, comme le label « transformation européenne », restent insuffisantes. Il faut du volontarisme et davantage de cohérence dans les politiques publiques pour la valorisation locale du bois.
Quelles mesures entendez-vous mettre en oeuvre pour sortir la filière de la crise qui la ronge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur certains bancs du groupe UC)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser Stéphane Travert, qui préside actuellement le comité national de pilotage des zones défavorisées simples.
La filière bois est un enjeu pour l'aménagement du territoire et représente 440 000 emplois. Or la fédération nationale du bois s'inquiète de l'exportation massive de grumes. Stéphane Le Foll avait pris des engagements, comme le durcissement des conditions administratives et sanitaires pour l'exportation de grumes ou l'interdiction de produits phytosanitaires dangereux, pour ne pas fausser la concurrence.
Le label européen de l'ONF garantit l'origine des grumes. Il faut l'élargir à l'ensemble de la forêt privée et favoriser l'adhésion des producteurs à des coopératives forestières.
Nous entendons améliorer le dialogue dans la filière. Stéphane Travert coordonnera le travail de l'ONF, dans le cadre du grand plan d'investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs du groupe RDSE)
Rapport Spinetta (I)
Mme Cécile Cukierman . - Le rapport Spinetta a fait l'effet d'une bombe : abandon des lignes non rentables, filialisation du fret, privatisation des trois établissements, ouverture du TGV à la concurrence, suppression du statut des cheminots. ... et j'en passe.
Si le statu quo n'est pas une option, le rail a besoin d'investissements massifs, d'une vision claire de ses missions au service de l'aménagement du territoire et du droit à la mobilité.
Ce rapport est une insulte à nos départements ruraux et périurbains. Supprimer des lignes régionales, c'est détruire la cohésion et l'égalité territoriale !
M. Philippe Bas. - Exactement !
Mme Cécile Cukierman. - Le modèle de la Start-up Nation rencontre ses limites, ou plutôt, affiche ses priorités : un libéralisme décomplexé. En créant des déserts ferroviaires, vous encouragez le transport routier, en contradiction avec les objectifs de transition écologique. Allez-vous reprendre les préconisations de ce rapport qui crée un service public à deux vitesses et met au ban les territoires ruraux, dont les habitants sont considérés comme des Français de seconde zone ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur certains bancs des groupes UC et Les Républicains ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports . - L'objectif du Gouvernement reste d'améliorer la mobilité de tous les Français, de lutter contre les fractures territoriales et contre l'assignation à résidence. (Exclamations à droite)
Mais notre service public ferroviaire qui fait rouler 11 000 trains et transporte 4 millions de voyageurs chaque jour, n'est pas au niveau attendu ; la qualité du service se dégrade, les coûts augmentent et sa dette croît de 3 milliards d'euros par an. Pourtant, nous dépensons plus que jamais pour ce service : 20 % de plus qu'il y a dix ans !
Je connais l'engagement des cheminots, l'attachement de nos concitoyens au service public ferroviaire. Mais ce rapport a été demandé pour sortir de l'impasse. Il pose un constat sévère mais juste.
M. Martial Bourquin. - Juste ? Ça se discute.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai engagé une concertation avec tous les acteurs ; nous annoncerons ensuite la méthode et le calendrier. Les « petites lignes » sont essentielles : les 1,5 milliard d'euros d'investissement promis dans le cadre des contrats de plan ne seront pas remis en cause. Ce n'est pas à Paris que se décidera l'avenir de ces lignes mais dans les territoires, avec les régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; exclamations sur certains bancs du groupe Les Républicains)
Mme Cécile Cukierman. - Votre Gouvernement est en marche mais nos concitoyens veulent rouler dans des trains qui s'arrêtent dans leur commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et Les Républicains)
Rapport Spinetta (II)
M. Olivier Jacquin . - Nous attendions tous avec impatience les conclusions du rapport Spinetta. Je songeais à une révolution positive des transports, à un maillage transcendé pour répondre aux défis du XXIe siècle, à une cure de jouvence pour la SNCF, pilier de notre République. Nous en sommes loin. Voilà de vieilles recettes, celles du conformisme libéral.
Au motif d'un endettement trop important, imputable non aux cheminots mais aux choix de l'État, on veut transformer l'EPIC SNCF Réseau et Mobilités en société anonyme.
Après ce rapport qui prend peu en compte l'usager, confirmez-vous que l'approche française de structuration du territoire par les mobilités sera maintenue, qu'aucune halte TGV, souvent cofinancée par les collectivités, ne sera fermée ? Quels investissements, quels financements pour les lignes à faible trafic prévus par les contrats de plan État-Région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports . - Le Gouvernement s'engage à améliorer la mobilité pour tous, dans tous les territoires. (On fait mine d'en douter sur les bancs du groupe Les Républicains.) Les Assises de la mobilité ont fait remonter de nombreuses propositions, y compris sur les zones blanches de la mobilité : 80 % du territoire n'est pas couvert par une autorité organisatrice de la mobilité.
M. Martial Bourquin. - Il y a les bus !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le service public ferroviaire a donc un rôle important à jouer.
Aujourd'hui, nous sommes dans l'impasse, les coûts ne cessent d'augmenter, la dette également, alors que la qualité de service ne répond pas aux attentes. Nos concitoyens, qui se demandent chaque matin si leur train sera à l'heure, constatent que l'on a inauguré quatre lignes TGV ces dix-huit derniers mois alors que 20 % de notre réseau subit des ralentissements. Il faut 1 heure 25 pour parcourir les 70 kilomètres qui séparent Niort de Saintes ; 35 minutes de plus pour faire Limoges-Paris. Le statu quo n'est pas possible.
Nous consacrons 10 millions d'euros par jour pendant dix ans au ferroviaire, soit un total de 36 milliards d'euros. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe UC)
M. Olivier Jacquin. - J'espère que ce train de réforme ne sera pas qu'une promesse de modernité rentable et concurrentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Conséquences de la hausse du gazole en zone rurale
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Le projet de loi de finances augmente la fiscalité sur le gazole au nom d'un impératif environnemental que l'on peut partager - mais avec pour effet d'augmenter les coûts de transports dans la ruralité, où l'on ne peut pas se passer de sa voiture dans la vie quotidienne. Dans la ruralité, les habitants ont souvent des diesels, parce qu'on les a incités à en acheter par le passé, et parce que la rareté des bornes de recharge rend les véhicules électriques souvent inadaptés.
Pour défendre la ruralité fragile et soutenir nos territoires, il faudrait tenir compte de ces Français. Nos concitoyens subissent la concurrence des voisins européens où la main-d'oeuvre et le gazole sont moins chers.
La Cour des comptes suggère de simplifier le remboursement de la TICPE, le Gouvernement aurait engagé une réflexion pour un approvisionnement à taux réduit. Quelles mesures retenez-vous ? Quelle harmonisation européenne pour les prix du gazole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports . - Vous avez raison, les transports sont trop souvent vécus comme une injustice. Nous luttons contre cette assignation à résidence, liée à la fracture territoriale. C'est pour cette raison que le projet de loi d'orientation sur les mobilités prévoira une couverture complète du territoire par des Autorités organisatrices des mobilités et développera les plateformes de mobilité inclusive, ainsi que des plateformes de conseil à la mobilité. Le Conseil d'orientation des infrastructures propose un plan de désenclavement du territoire, pour en finir avec les promesses non tenues des contrats de plan État régions.
La transition énergétique, elle aussi, doit profiter à tous nos concitoyens. Il y a aujourd'hui 22 000 bornes de recharge disponibles et nous accompagnons le remplacement des véhicules diesel par d'autres, plus économes, via la prime de 8 500 euros, l'aide de 1 000 à 2 000 euros pour les véhicules répondant aux Crit'air 1 et 2, et les mesures d'aide et de soutien aux véhicules au gaz (GNV).
Enfin, nous avons préconisé le gel de la TICPE pour nos transporteurs routiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Daniel Chasseing. - Les territoires ruraux sont très fragiles. La baisse des charges va dans le bon sens, mais il faut tenir compte des coûts de déplacement, parce que le maintien de la vie dans nos territoires suppose celui des salariés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe UC)
Fiscalité agricole
M. Daniel Laurent . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La viticulture est un pilier de notre patrimoine. Face à la hausse du foncier et à l'arrivée d'investisseurs extérieurs, la profession propose que les repreneurs soient exonérés des droits de mutation, pour préserver un tissu d'entreprises familiales dans nos vignobles. Elle demande également une réserve d'autofinancement pour les entreprises assortie d'incitation fiscale et la création d'un régime de gestion des risques, le mécanisme actuel de déduction pour aléas apparaissant trop complexe. Enfin, pour encourager la démarche de certification environnementale, il conviendrait de proposer un crédit d'impôt moins lourd que le dispositif actuel.
Allez-vous reprendre ces propositions dans la prochaine loi de finances ?
Enfin, les viticulteurs doivent être associés aux stratégies nationales de santé qui les concernent. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Une concertation est initiée, elle a été lancée il y a quelques jours, avec un groupe de travail transpartisan et représentatif, de 10 députés et 10 sénateurs pour faire des propositions intégrées au prochain projet de loi de finances.
Pour améliorer la résilience des entreprises, la gestion de l'aléa sera améliorée par l'encouragement de l'épargne de précaution. La transmission et la diversification seront elles aussi favorisées, de même que la résilience des entreprises. Ce sera l'objet de la loi Pacte, en lien avec les conclusions des États généraux de l'alimentation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Daniel Laurent. - Les agriculteurs ont besoin de stabilité et de visibilité. Le Salon de l'agriculture arrive : montrez-leur que vous êtes à leur écoute ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Site industriel de Vallourec à Tarbes
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Le site de Vallourec Tarbes est en situation critique, ne figurant pas - comme celui de Cosne-sur-Loire - dans la reprise par l'entreprise américaine National Oilwell Varco. Pas moins de cinquante salariés à Tarbes seront licenciés si la date butoir du 26 février, fixée par Vallourec, est dépassée.
Les Hautes-Pyrénées ont payé le prix fort de la désindustrialisation : 7 000 emplois industriels ont été sacrifiés en 30 ans au profit de la métropole toulousaine qui attire à elle toutes les activités. L'État doit endiguer la désindustrialisation des territoires ruraux.
Le délégué interministériel aux restructurations, qui est venu à Tarbes le 26 janvier, nous a dit que des projets de reprise étaient à l'étude ; pourtant à huit jours du verdict, rien n'a filtré.
Il existe un client, Nexton, qui représente 36 % de la production du site. Il ne faut pas que le couperet du 26 février tombe sur la tête des salariés. L'État saura-t-il faire pression sur Vallourec, dont il est actionnaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOCR et UC)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - La mise en vente de Vallourec Drilling a facilité la reprise de certains sites. Le délégué interministériel est venu à Tarbes le 26 janvier et a fait le point le 16 février sur la recherche des repreneurs. Beaucoup est fait pour donner de la visibilité aux salariés. Deux repreneurs potentiels ont visité le site récemment. Le Gouvernement maintient sa pleine vigilance sur le devenir des salariés du site. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
PAC
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La PAC est l'un des fondements des politiques européennes. Depuis 1957, les pays dotés d'un potentiel agricole important bénéficient de transferts nets des pays qui ne subviennent pas à leurs besoins alimentaires. C'est une mesure de justice et de solidarité.
Au cours de ces dernières décennies, malgré les coups de boutoir répétés de pays non agricoles et des autorités bruxelloises pour en finir avec la PAC, la France a toujours résisté. La défense des agriculteurs en Europe a toujours été une ligne rouge. Or le président de la République et le Gouvernement se préparent à céder et à accepter une baisse du budget de la PAC.
Si cet abandon était vrai, le moment serait mal choisi alors que nos agriculteurs sont au bord de l'asphyxie. Baisser le budget de la PAC de 10, 20 ou 30 % serait une trahison. Le président de la République sera-t-il le premier à l'adopter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Personne, au Gouvernement, ni dans cette assemblée, ne souhaite abandonner la PAC. Le ministre de l'agriculture l'a redit hier : la PAC est et restera une de nos priorités. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) La France en porte une vision ambitieuse et responsable pour transformer notre système de production remplaçant une exigence quantitative par une exigence qualitative. (Mêmes mouvements) Il faudra renforcer son budget pour nos territoires et nos agriculteurs.
Mais il ne s'agit pas que de sommes d'argent, la PAC doit aussi porter une ambition environnementale renforcée. (On se récrie à droite.) Vous n'aimez donc pas l'environnement ? (Mêmes mouvements, couvrant la voix de l'orateur) Je suis surpris ! Il faudra pourtant bien porter cette ambition qualitative pour les agriculteurs et pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Votre réponse me réjouit, mais je ne suis pas rassurée et peine à croire que la PAC ne va pas vraiment baisser. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Carte scolaire
M. Christian Manable . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains) Imaginez, Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale, devoir marcher quatre mois avec des béquilles. On propose des béquilles plus adaptées mais que vous ne pourrez utiliser qu'un mois ; les trois mois restant, vous ne pourrez faire autre chose que vous tenir assis : est-ce bien satisfaisant ? C'est pourtant ce que vous faites avec le dédoublement de classes en éducation prioritaire, qui sacrifie le dispositif « plus de maîtres que de classes » et oppose les territoires, alors qu'il faut tenir compte de la spécificité de chacun d'eux.
Dans la Somme, vous supprimez des postes à Fressenneville et à Eaucourt-sur-Somme dont les effectifs d'élèves y sont stables !
La Somme est le deuxième département de France métropolitaine après l'Aisne, où les enfants ont le plus de difficultés de lecture : 14,9 %, contre 9,6 % dans le pays.
Monsieur le Ministre, faites en sorte que la prochaine rentrée scolaire ne soit pas le naufrage du Titanic ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Parlons de la réalité, plutôt qu'agiter des fantasmes sur cette question aussi importante qu'est l'éducation. À la rentrée 2018, il y a 32 650 élèves de moins dans le premier degré mais 3 881 maîtres en plus. Le taux d'encadrement augmente.
Prenons votre département, Monsieur Manable : 782 élèves de moins mais 15 nouveaux postes de professeur ! 38 fermetures de classes, mais 77 ouvertures ! Certes, des écoles ont été bloquées ; mais les fermetures de classes ont eu lieu aussi sous le précédent gouvernement que vous souteniez - et que je soutenais aussi... (Exclamations sur de nombreux bancs)
Il faut être aveugle pour prétendre que l'on doit maintenir les classes là où les effectifs baissent. (On proteste à droite.) N'opposez pas les zones rurales aux quartiers : dans la Somme, le dédoublement des classes concerne le quart des élèves de CP. (Exclamations à droite, applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Fermetures de classes uniques dans le primaire
M. Jean Louis Masson . - Dans mon département, une classe unique de dix-neuf élèves fermera à cause d'une légère baisse d'effectifs : dans la ruralité, on ferme une classe à dix-huit élèves, alors que le seuil est de douze élèves dans les quartiers sensibles.
On déshabille les zones rurales pour habiller les quartiers à problème ! Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale, pourquoi refusez-vous à la ruralité, ce que vous acceptez pour les quartiers à problèmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Depuis des années, nous savons que, par les effectifs d'enseignants, les classes des écoles rurales sont favorisées par rapport aux classes des écoles urbaines - tout le monde le sait mais on ne le remet pas en cause. Or, ici, vous faites l'inverse ! Pour avoir été élu des Alpes-de-Haute-Provence, je sais les difficultés de l'accès à la scolarité dans la ruralité. Ici, vous nous dites que la ruralité devrait par définition bénéficier des seuils les plus favorables : est-ce parce que vous considérez qu'étant à la campagne, on a forcément des difficultés scolaires ? (Vives protestations à droite) Le déterminisme social, Monsieur le sénateur, est une évidence, c'est là notre échec collectif. En fonction de la catégorie socio-professionnelle des parents, du lieu d'habitation, il y a des conséquences. En dédoublant les classes et en ciblant les publics les plus fragiles, nous faisons oeuvre de justice !
Alors que nous avons 1 003 élèves de moins en Moselle, il y a vingt nouveaux postes d'enseignants de plus.
Au cours de deux quinquennats successifs, vous avez soutenu des majorités (Rires sur de nombreux bancs) qui réduisaient les effectifs chaque année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Jean Louis Masson. - Vous dites n'importe quoi ! Étant non inscrit, je ne soutiens aucun Gouvernement. Si on supprime une classe de dix-huit élèves, on supprime une école dans une petite commune, alors qu'en ville, le seuil ne vise qu'un niveau. Pourquoi dans la ruralité, doit-on être dix-neuf à tous les cours, alors que dans les quartiers à problème et dans les classes où il n'y a qu'un cours, vous fixez ce seuil à douze ? Et en plus, Monsieur le Ministre, vous êtes content de vous. C'est une honte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
La séance est suspendue à 17 h 45.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
La séance reprend à 17 h 50.
Femmes et agriculture
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires ».
Mme Annick Billon, au nom de la délégation des droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - C'est un honneur pour moi d'introduire ce débat sur la situation des agricultrices. Le sujet est mal connu bien que les femmes dirigent pas moins de 30 % des exploitations et représentent 36 % des salariés agricoles.
Six co-rapporteurs, reflétant la diversité politique du Sénat d'alors, ont participé, de février à juillet 2017, à l'élaboration de ce rapport - vous connaissez l'attachement de notre délégation au consensus. Il fait une large place aux témoignages de plus de cent agricultrices, rencontrées à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat le 22 février 2017, puis dans le cadre d'auditions et de tables rondes, mais aussi au cours de déplacements en Vendée, en Bretagne, en Haute-Garonne et dans la Drôme.
Notre rapport analyse le parcours des agricultrices dans toute sa globalité : formation, installation, statut, protection sociale, santé, responsabilités dans les organisations professionnelles agricoles, retraite. Il évoque les spécificités liées à l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale pour des femmes qui exercent un métier où la charge de travail est considérable et dont les contraintes d'organisation peuvent être aggravées par un accès parfois inégal aux services publics, aux soins et aux moyens de communication. Certains ressentis reflètent le malaise d'une profession, que l'on ne peut plus passer sous silence. Une résolution du Parlement européen sur les femmes et leur rôle dans les zones rurales, adoptée en mars 2017, rejoint les constats que nous avons établis.
Premier constat, l'insuffisance des revenus et leur dégradation continue. « On se lève le matin pour perdre de l'argent », nous a expliqué Christiane Lambert, première présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA. Deuxième constat, le métier souffre d'une image négative. Il représente, pour reprendre toujours les mots de Christiane Lambert, « une profession oubliée ». L'histoire des agricultrices est celle d'une longue invisibilité ; longtemps, ces femmes ont été considérées sans profession. La crise actuelle les oblige souvent à travailler à l'extérieur, multipliant par deux leur charge de travail. Elles se heurtent à des obstacles particuliers dans leur parcours de formation et d'installation, qu'il s'agisse de l'accès aux stages ou de l'accès au foncier. Les solutions d'accueil des jeunes enfants manquent.
Nos quarante recommandations ont été votées à l'unanimité. Elles visent, d'abord, à faciliter l'installation : il faut adapter les critères d'attribution des aides au profil atypique des agricultrices, qui exploitent des surfaces généralement plus petites que celles des hommes et s'installent plus tardivement.
Ensuite, prérequis de toute amélioration de la condition agricole, les agricultrices doivent bénéficier d'une retraite et d'un revenu décents. Cela passe notamment par le recensement des agricultrices sans statut - elles seraient 5 000 à 6 000 dans ce cas.
Autre sujet d'importance, le congé de maternité. À peine 58 % des femmes ont recours aux services de remplacement durant cette période. Le Gouvernement veut harmoniser le congé maternité, il faut s'en féliciter. Pour notre part, nous recommandons d'améliorer la communication sur le remplacement, afin que les agricultrices en profitent lors de leur grossesse mais aussi pour suivre une formation continue ou exercer un mandat dans une chambre d'agriculture.
Primes et trophées, dont de nombreuses régions ont abandonné la remise à l'occasion de la refonte de la carte régionale, doivent être réactivés et généralisés. C'est une manière de reconnaître les agricultrices, d'en faire des modèles auxquels les jeunes filles pourront s'identifier. Ces prix des femmes en agriculture pourraient être remis le 15 octobre lors de la Journée de la femme rurale ou lors de la journée de la femme le 8 mars.
Les réseaux d'agricultrices jouent un rôle essentiel dans l'autonomie professionnelle des femmes, la diffusion des bonnes pratiques et la prise de confiance en soi. Le groupe « Agriculture-parité : Agriculture au féminin » de la chambre d'agriculture de Bretagne est une initiative à encourager et à diffuser.
Si la proportion des femmes dans les chambres d'agriculture est de 27 % sous l'effet de la loi du 4 août 2014, leurs bureaux sont très masculins. Nous recommandons que la proportion d'un tiers de femmes, prévue par la loi du 4 août 2014, s'étende aux présidences de commissions et aux bureaux des chambres d'agriculture, comme aux instances dirigeantes des syndicats agricoles.
Notre travail collectif a suscité autant de satisfaction dans les territoires que d'attentes. Nous comptons sur vous, Madame la Ministre, pour qu'ils ne soient pas déçus en donnant corps à nos propositions que j'ai présentées au salon international des productions animales de Rennes en septembre 2017 et devant la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA en décembre. Notre réflexion est d'actualité : la session de la Commission de la condition de la femme des Nations-Unies, qui s'ouvre dans quelques jours et à laquelle j'aurai l'honneur de participer, a pour thème l'autonomisation des femmes et des filles en milieu rural. (Applaudissements)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes . - Je salue l'esprit de consensus qui a guidé votre délégation dans l'élaboration de ce rapport. Traditionnellement, le monde agricole a été considéré comme un univers masculin, la culture du risque étant associée aux normes masculines du pouvoir. Pour autant, les femmes occupent depuis longtemps une place de premier plan dans la vie des exploitations : plus de 150 000 femmes sont chefs d'exploitation, 60 000 sont collaboratrices d'exploitation et 42 000 sont salariées agricoles. Originaire de Corse et élue de la Sarthe, je sais combien les femmes sont essentielles à l'agriculture. J'ai observé à maintes reprises l'égalité en actes depuis ma prise de fonctions. Mes déplacements en Meurthe-et-Moselle et en Corse ont renforcé ma détermination à agir.
Stéphane Travert a désigné, au sein du ministère de l'agriculture, une haute fonctionnaire en charge de l'égalité des droits femme/homme qui a participé activement à vos travaux. Elle a intégré l'essentiel de vos propositions à la feuille de route 2018/2020. Nous en assurerons la mise en oeuvre et le suivi dans la durée.
Le président de la République, vous le savez, a choisi de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. Il l'a dit le 25 novembre dernier : « La loi a changé ; maintenant, c'est la vie des femmes qui doit changer. » Aussi devons-nous agir au plus près des territoires pour atteindre le but qui est le nôtre partout. Avec le Premier ministre, nous avons lancé le tour de France de l'égalité en octobre dernier pour identifier les besoins et les attentes des Français. Hier encore, j'étais en Gironde. Près de 850 ateliers ont été organisés réunissant plus de 55 000 personnes. Les préoccupations exprimées dans le monde rural rejoignent vos recommandations, notamment en matière de protection sociale.
La protection sociale des femmes qui exercent une activité agricole s'est améliorée avec la création du statut de collaboratrice d'exploitation en 1999. Vous proposez de limiter la durée de ce statut dans le temps, je suis favorable à cette orientation. De fait, seul le statut de chef d'exploitation ou de salarié donne accès à une véritable protection sociale, notamment en matière de retraite. Oui, les agricultrices qui travaillent sans aucun statut doivent faire l'objet d'une attention toute particulière.
Nous voulons garantir les droits des agricultrices à des périodes charnières. D'abord, l'arrivée d'un enfant. Il faut mieux faire connaître le droit à être remplacée durant le congé de maternité. Nous travaillons également à un congé maternité harmonisé. Une mission a été confiée à la présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Autre moment charnière, la fin de la vie active. L'attribution de points gratuits de retraite complémentaire obligatoire aux collaborateurs d'exploitation a surtout bénéficié aux femmes. Toutefois, les retraites des agriculteurs demeurent très faibles par rapport à celles servies par les autres régimes et celles des agricultrices, encore davantage. La semaine prochaine, avec Jean-Paul Delevoye, nous serons dans la Vienne pour lancer une réflexion sur ce sujet.
Enfin, le ministre de l'agriculture est le tout premier à avoir lancé une budgétisation sensible au genre, comme il en existe au Canada et au Maroc ; nous en espérons des avancées concrètes. Je serai en mars prochain à New York pour faire avancer les droits des femmes en milieu rural (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM, SOCR, RDSE et quelques bancs du groupe UC)
Mme Annick Billon. - Notre rapport a créé de fortes attentes. À la veille du salon de l'agriculture, il est urgent d'y répondre. Améliorer la situation des Françaises agricultrices, c'est améliorer celle des familles et des hommes agriculteurs. (Applaudissements)
M. Franck Menonville . - Je vous félicite pour cet excellent rapport. Les agriculteurs ont une retraite bien inférieure aux cotisants du régime général : 800 euros par mois, contre 1 300 euros en moyenne dans le régime général. Pour les agricultrices, le niveau est de 500 euros par mois quand le minimum vieillesse est à 900 euros. Ces disparités s'expliquent notamment par des différences de calcul. Le Gouvernement envisage-t-il une convergence des modes de calcul ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le niveau de ces pensions, trop faible, est inacceptable. Celles des collaboratrices sont inférieures à celles des chefs d'exploitation. Depuis la loi du 20 janvier 2014, 66 points de Retraite complémentaire obligatoire (RCO) sont attribués aux collaborateurs d'exploitation. Depuis le 1er janvier 2015, la pension des chefs d'exploitation est égale à 75 % du SMIC. En dépit de ces avancées, la situation n'est pas satisfaisante. Ce matin même, Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire chargé des retraites, a réuni un groupe de travail. La semaine prochaine, dans la Vienne, nous organiserons, avec la députée européenne Élisabeth Morin-Chartier, un grand atelier sur le pouvoir d'achat des retraitées et, en particulier, des femmes rurales.
M. Didier Mandelli . - Karen, Jacqueline, Nathalie, Anne, Sylvie... De la Drôme, des Ardennes, d'Ille-et-Vilaine, elles ont en commun d'être agricultrices. Engagées, parfois militantes, ces femmes sont épanouies et libres d'esprit. J'ai eu la chance de les rencontrer lors des colloques et des déplacements que j'ai organisés avec les co-rapporteurs de la délégation. Il nous revient collectivement de ne pas décevoir leurs attentes. Madame la Ministre, assurerez-vous le suivi des recommandations de notre rapport ? (Applaudissements, sauf sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - La haute fonctionnaire chargée de ce sujet au ministère de l'agriculture s'est largement inspirée de vos recommandations pour élaborer sa feuille de route 2018/2020 articulée autour du soutien renforcé aux projets portés par les femmes, de la promotion de la parité dans les instances et de la lutte contre les violences faites aux femmes en milieu rural. J'ajoute que l'enseignement agricole développe une pédagogie innovante sur les sujets liés à l'égalité entre filles et garçons. Vos recommandations liées à l'aménagement du territoire seront prises en compte dans le cadre des réflexions menées par le Commissariat général à l'égalité des territoires.
Mme Noëlle Rauscent . - Femme d'un éleveur du Morvan, conjointe collaboratrice depuis que le statut existe, mère de trois enfants, je me sens particulièrement concernée par ce débat. Les agricultrices, comme toutes les femmes, ont le droit à l'épanouissement dans leurs vies professionnelle et familiale. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils assurer une prise en charge intégrale du remplacement durant le congé maternité ? Quel accueil adapté pour les enfants en bas âge, y compris le week-end, les jours fériés ou l'été ? Travailler à l'égalité serait la meilleure façon d'assurer la relève dans le monde agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR et CRCE ; Mme Nassimah Dindar applaudit aussi.)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Certaines agricultrices m'ont raconté qu'elles emmenaient au travail leurs enfants en bas âge en les cachant pour éviter les contrôles, faute de solution de garde. Ce n'est pas un choix pour elles. Depuis près de quinze ans, la mutualité sociale agricole, la MSA, sert une prestation sociale unique, encourage les initiatives et expérimentations locales telles que les micro-crèches. Le congé maternité harmonisé est l'un des engagements du président de la République. Une mission a été confiée à la présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Je rappelle que les agricultrices arrêtées pour maladie reçoivent une indemnité journalière, ce qui est bien normal.
Mme Laurence Cohen . - Passion, courage, mais aussi pénibilité, préjugé, invisibilité, tels sont les mots qui me viennent à l'esprit lorsqu'on parle des agricultrices. Elles n'échappent pas à ce que vivent toutes les femmes. Je regrette que seuls « sénateurs » soit écrit sur la couverture du rapport alors qu'il y avait des co-rapportrices. Lisez le livre d'Éliane Viennot, Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! À quand la parité, c'est-à-dire 50 %, dans les organisations professionnelles ? Quel statut pour les conjointes d'agriculteurs ? Enfin, comment améliorer les conditions de vie de ces femmes ? Une agricultrice des Côtes d'Armor témoigne travailler de 6 heures à 19 h 30 sans aucun temps pour les loisirs. Madame la ministre, vous avez lancé une réflexion. Au-delà, quels moyens consacrerez-vous à cet objectif ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il est bien normal de réfléchir avant de mettre en oeuvre une politique publique. Les femmes représentent 45 % du corps électoral des MSA. La part d'élues a augmenté en 2015 jusqu'à 27 % environ pour se stabiliser à ce niveau. Sur les 35 caisses, 7 sont présidées par des femmes. Au niveau national, la parité est en train d'être atteinte avec 12 femmes sur 25 administrateurs élus. Cependant, subsiste un plafond de verre : tant le président que le vice-président sont des hommes. Pour les élections de 2020, une réflexion est menée pour examiner comment peut être appliquée l'ordonnance du 31 juillet 2015. Le ministre de l'agriculture a proposé que les bureaux des chambres d'agriculture soient élus selon des listes respectant la règle de mixité - une femme sur trois candidats. Nous avons le temps de convaincre.
Mme Jocelyne Guidez . - En 2017, seules 58 % des agricultrices ont exercé leur droit à un congé maternité. Le port de charges lourdes et l'exposition aux pesticides menacent leurs grossesses. Cette situation s'explique par la défaillance du service de remplacement : carence de l'offre, manque d'informations sur le dispositif, réticences des agricultrices à confier leur installation à un tiers et, surtout, coût.
Les femmes agricultrices devraient être les premières à bénéficier du congé maternité harmonisé. Le remplacement coûte 145 euros par jour alors que les indemnités seraient de 80 euros par jour. Pouvez-vous vous engager, Madame la Ministre, à ce que les indemnités couvrent les frais de remplacement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - La MSA assure le financement du remplacement, cela n'a pas d'équivalent dans les professions libérales. En 2015, 60 % des femmes ont bénéficié de l'allocation pour remplacement. Il nous désormais lever tous les freins. Je porte le projet d'un congé maternité harmonisé, qui viendra en complément. L'idée étant de protéger les femmes, et non les statuts.
Mme Marie-Pierre Monier . - L'installation des agricultrices est un enjeu majeur quand le nombre d'agriculteurs baisse de 25 % tous les dix ans en Europe. En 2010, seules 28 % des femmes ont bénéficié de l'aide, contre 39 % des hommes au même âge. Cela est dû au fait que, bien souvent, les surfaces exploitées par les femmes sont moins importantes que celles des hommes. En outre, l'âge limite de 40 ans pénalise les femmes qui s'installent plus tard, en général. Il faudrait moduler les critères de surface et d'âge en le remplaçant par l'âge de première installation à titre principal et considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle justifiant la non-réalisation d'engagements du plan d'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il n'existe plus de surface minimale pour obtenir l'aide à l'installation : viabilité, soutenabilité et pérennité sont les nouveaux critères. Le règlement du Conseil européen du 17 décembre 2013 définit le jeune agriculteur comme une personne âgée de moins de 40 ans, avec certaines compétences professionnelles, s'installant pour la première fois comme chef d'exploitation. Cette discussion, de niveau européen, pourrait être abordée lors de la réforme de la PAC post-2020. Considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle imposerait qu'elle respecte le critère d'imprévisibilité... Réfléchissons plutôt à une prise en compte de l'évolution de la structure familiale pour les aides qui seront servies dans le cadre de la PAC post-2020.
M. Jean-Pierre Decool . - Les agricultrices touchent des retraites parmi les plus basses. Le rapport de la délégation aux droits des femmes est aussi excellent qu'alarmant. Les retraites agricoles sont deux fois et demie plus faibles que les autres. Avec 500 euros par mois pour les femmes, il est impossible de vivre décemment. Au XXIe siècle, on ne peut pas accepter cette misère humaine. Qu'envisage le Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - De façon générale, les hommes touchent en moyenne 1 600 euros de retraite contre 900 euros pour les femmes. Cette inégalité est encore plus frappante chez les agriculteurs. Les agricultrices retraitées ne peuvent pas vivre décemment. Jean-Paul Delevoye est totalement sensibilisé à ce sujet. Le Gouvernement fera des propositions.
Mme Françoise Laborde . - Produire de la qualité, être passionné ne suffit plus comme en témoignent les récentes manifestations d'agriculteurs. Les agricultrices ont le choix entre chef d'exploitation, salariée ou collaboratrice. Quelque 5 000 d'entre elles se découvrent sans statut lors d'un veuvage ou après un divorce. Notre délégation énonce trois recommandations : recenser ces femmes, les sensibiliser aux préjudices sociaux qu'entraîne l'absence de statut ; rendre le statut de conjoint collaborateur limité à cinq ans. Qu'en pense le Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - En 1999, la création du statut de collaboratrice a amélioré les droits à la retraite. Depuis 2006, les Groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) sont possibles entre époux. En 2014, des points gratuits de RCO leur ont été attribués. Cela étant, près de 5 000 agricultrices n'ont toujours pas de statut. Nous travaillerons à améliorer leur recensement avec le ministre de l'agriculture.
Le Gouvernement est favorable à la limitation dans le temps du statut de collaboratrice, qui d'ailleurs existe chez les artisans et les commerçants. Nous le ferons évoluer, dans le cadre de la réforme globale des retraites à laquelle travaille Jean-Paul Delevoye.
Mme Frédérique Puissat . - Vous avez oublié le moment où la santé est défaillante. Comment est reconnu un agriculteur handicapé à temps partiel ? Entre la Beauce et la haute montagne, entre un élevage d'escargots ou les grandes cultures, rien de commun, sinon que les charges sont insupportables physiquement. Les procédures de reconnaissance de handicap sont longues et complexes. L'agricultrice est souvent soumise à double peine. Une procédure accélérée de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé existe : ne peut-on l'étendre à tous les départements ? Assurons une meilleure coordination sur le sujet et autorisons le don de jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce point est un angle mort de nos propositions, vous avez raison. Être agricultrice ne signifie pas ne jamais être malade ! D'où le problème de l'accès aux soins. Il y a des déserts médicaux dans la Sarthe, en outre-mer ou en Corse... La reconnaissance du statut de travailleur handicapé relève du régime général. J'interrogerai le ministre de l'agriculture et la secrétaire d'État aux personnes handicapées dès ce soir et vous apporterai rapidement une réponse plus détaillée.
Mme Frédérique Puissat. - Merci.
M. Bernard Cazeau . - Je félicite les six co-rapporteurs pour le travail réalisé. Comment conjuguer vie familiale et professionnelle ? Comment faire garder les enfants, dans des territoires ruraux dépourvus de structures d'accueil ? La future convention d'objectifs et de gestion entre l'État et les CAF prévoit d'ouvrir des places en crèche. Assurons-nous que les territoires ruraux soient couverts, et adaptons les horaires à ceux, atypiques, de l'élevage. Même chose pour l'accueil des enfants de 6 à 17 ans en ce qui concerne l'offre de loisir sans hébergement.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Entre 2016 et 2020, la MSA continuera à soutenir les projets petite enfance dans les territoires ruraux quand l'offre est inadaptée. Entre 2008 et 2016, 235 micro-crèches ont ouvert en zone rurale, pour 2 500 places, de même que des lieux d'accueil enfants-parents pour enfants de moins de 6 ans accompagnés d'un adulte.
Horaires atypiques, accueil d'urgence ou saisonnier, accueil d'enfants différents en milieu ordinaire, des centaines d'innovations ont été répertoriées. La MSA favorise les nouveaux projets, comme les haltes-garderies itinérantes dans des bus.
La MSA a apporté un soutien de 4,5 millions d'euros à 30 000 familles en milieu rural pour l'accueil de loisirs sans hébergement ; la moitié propose des activités aux plus de 11 ans.
Il faut cartographier les attentes et les appels à projet, constituer dans chaque territoire un groupe de travail pour que la démarche soit ancrée dans le terrain.
M. Guillaume Gontard . - Merci à la Délégation pour ces riches travaux. Selon le dernier recensement agricole de 2010, chez les moins de 40 ans, 6,9 % d'exploitations agricoles bio sont gérées par des femmes, 5,3 % par des hommes.
Les explications sont balbutiantes ; un colloque, le 10 avril prochain, présentera des résultats. Sans céder aux stéréotypes de genre, on notera que 30 à 50 % des agriculteurs bio se lancent hors cadre familial. L'agriculture bio associée aux circuits courts nécessite moins de capital et est plus rentable : les femmes ont un meilleur accès au statut d'exploitant car il est moins coûteux de se lancer en bio.
Madame la Ministre, partagez-vous ce constat et défendrez-vous un soutien durable à l'agriculture biologique et une politique foncière favorisant l'accès à la terre de nouvelles arrivantes ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je partage votre constat et prends bonne note de la date du colloque. Toutes les exploitations tenues par des femmes que j'ai pu visiter étaient en bio...
VIVEA est une formation agricole qui s'engage à accompagner les futurs agriculteurs voulant s'installer en bio.
Le plan Ecophyto 2+ vise à réduire, voire supprimer l'utilisation de produits dangereux : c'est un instrument précieux pour les agricultrices.
Des travaux sont en cours pour réduire la taille des emballages, des contenants et limiter les manipulations et l'exposition aux substances chimiques dangereuses, qui le sont tout particulièrement pour les femmes, même s'ils affectent aussi la santé des hommes agriculteurs.
M. Jean-Marie Janssens . - Alors qu'en Europe le nombre d'agriculteurs diminue de 25 % tous les dix ans, il est impératif de favoriser l'installation de nouveaux exploitants. Les agricultrices ont plus de mal à s'installer car elles héritent rarement d'une exploitation et sont pénalisées par le coût de l'accès à la terre.
Elles bénéficient moins de la Dotation jeunes agriculteurs (DJA), en raison de critères d'attribution rigides et inadaptés, notamment le critère de surface minimale, la limite d'âge à 40 ans et l'obligation de présenter un plan sur cinq ans. Or les agricultrices s'installent sur de plus petites surfaces, plus tardivement, et les maternités peuvent retarder le plan d'entreprise. Le rapport de la Délégation préconise d'adapter les conditions d'éligibilité à la DJA. Quelles mesures envisagez-vous pour faciliter l'installation d'agricultrices ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre constat est juste.
Il y a 50 % de filles dans l'enseignement agricole, preuve que ces métiers sont attractifs, mais un phénomène d'entonnoir freine ensuite leur installation. Il faut agir dès l'orientation.
L'enseignement agricole a mis en place des politiques d'éducation à la citoyenneté et peut aider les jeunes filles à construire leur projet professionnel, concrètement mais aussi sur le plan business.
Les bonnes pratiques de l'enseignement agricole sont reconnues par le Haut Conseil à l'égalité et portées par le réseau Égalité des chances qui organise séminaires thématiques et formations. Plus récemment, un colloque au lycée viticole de Mâcon a interrogé les stéréotypes de genre. Le climat scolaire est bon : d'après les enquêtes, plus de 85 % des jeunes filles sont satisfaites des internats dans l'enseignement agricole.
Mme Michelle Meunier . - Félicitations à mes collègues de la Délégation pour avoir ouvert à des points de vue féministes des champs en jachère. Le rapport fait des recommandations en matière de santé, notamment en ce qui concerne l'exposition des femmes aux pesticides.
La proposition de loi Bonnefoy, dont nous débattions récemment, prévoyait un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires. Les connaissances scientifiques nous éclairent désormais sur leurs effets toxiques et sur les précautions à prendre. Ce matin encore, la presse faisait état des dernières recherches sur la toxicité des médicaments vétérinaires et des produits phytosanitaires pour les femmes enceintes et les foetus.
Il faut sensibiliser, diffuser les messages de prévention et les bonnes pratiques.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Cette trentième proposition a attiré notre attention. Les connaissances scientifiques permettent une appréhension fine des conséquences de l'utilisation de ces produits et de la nécessité d'en protéger les femmes. Le plan Ecophyto 2+ interdit les produits les plus dangereux. Le code du travail limite l'exposition aux risques.
Le ministre de l'agriculture cartographie les risques en matière de fertilité mais les connaissances scientifiques sont encore lacunaires. Une campagne de sensibilisation sera bientôt lancée car la protection de la santé des femmes est la condition sine qua non du maintien de l'attractivité de la filière.
M. Guillaume Chevrollier . - Je rends hommage à toutes ces agricultrices, de Mayenne et d'ailleurs, dont le courage force l'admiration ; souvent invisibles, exerçant leur métier dans des conditions difficiles, leur vie est faite de sacrifices, d'engagement, de passion.
Le métier se féminise : un quart des femmes dirigent ou codirigent des exploitations agricoles et le nombre de femmes choisissant cette voie ne cesse de croître. La conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle est malheureusement souvent un frein. Nous devons accompagner les femmes dans la maternité et l'éducation des enfants. Près de 58 % des agricultrices ne prennent pas leur congé maternité, faute d'information ou d'offre de remplacement.
Vous avez lancé un projet pilote de budget genré au ministère de l'agriculture.
Pourquoi ne pas réinjecter les excédents pour le financement de la maternité ? Pourquoi le choix du ministère de l'agriculture ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce budget sensible au genre existe dans certaines collectivités, au Canada ou au Maroc. Le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert, s'est porté volontaire avec la ministre des Sports, Laura Flessel, pour expérimenter ce dispositif. Il s'agit de calculer la répartition des financements publics pour en évaluer l'équité : ainsi de la réalisation d'un skate-park, qui sera utilisé à 90 % par des garçons...
L'expérimentation portera sur les programmes 142 et 143 relatifs à l'enseignement agricole et sur le programme 149, « Économie et développement durable des entreprises agricoles et forestières ».
Mme Denise Saint-Pé . - La féminisation des instances dirigeantes est clé dans le combat pour l'égalité : c'est donner la parole aux femmes, inspirer, susciter des vocations.
Depuis le décret de 2012 et la loi de 2014 qui obligent les chambres d'agriculture à désigner un tiers de femmes, la moyenne nationale s'établit à 27 %, ce qui correspondant à la démographie de la profession. Mais les instances dirigeantes demeurent très masculines, les bureaux n'étant soumis à aucune obligation juridique. Le conseil d'administration de l'APCA compte une élue pour 33 hommes et seules trois chambres sur 83 sont présidées par une femme. Le rapport préconise de modifier la loi pour répercuter cette obligation sur les instances dirigeantes des chambres, des syndicats et autres organisations.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - La parité sur les listes électorales sera complète en 2020, les prochaines élections ayant lieu en 2019. La loi du 13 octobre 2014 inscrit l'amélioration de la représentation des femmes dans les Safer avec un minimum de 30 % de représentants du même sexe dans les conseils d'administration.
Le ministère de l'agriculture s'est engagé dans une démarche de double labellisation : égalité et diversité. Il veille au respect de ces principes chez les opérateurs qui sont sous sa tutelle. Nous souhaitons avancer le plus vite possible.
Mme Victoire Jasmin . - La féminisation a d'abord été perçue comme une contrainte avant de se révéler être une opportunité, tant en politique qu'en agriculture.
Le rapport est allé au plus près du terrain. Fille d'agricultrice, je soutiens la proposition 34 qui vise à encourager les jeunes filles à choisir ce métier. Il faut susciter des vocations et orienter dès le collège, en informant par tous les supports, en insistant sur les aides à l'installation et à l'accompagnement, en créant des internats et des structures d'accueil adaptées aux filles.
C'est un maillon essentiel pour la revitalisation des territoires ruraux. Comment lever les freins à l'insertion des jeunes filles dans le secteur et faire réfléchir les élèves à ce sujet ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le réseau Insertion-Égalité des chances mène des actions de sensibilisation auprès des établissements et développe des projets, comme Filagri, sur huit régions, pendant quatre ans, pour accompagner les jeunes filles dans leur projet professionnel.
Il est important de valoriser les rôles-modèles. J'assistais hier à la remise d'une médaille de l'égalité à une ostréicultrice devant des lycéennes et des lycéens. Le tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes a également mobilisé les lycées agricoles.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Quel chemin parcouru depuis les années 1960 pour faire progresser les droits et la condition des agricultrices ! Mais il nous faut encore nous retrousser les manches... En 1949, Simone de Beauvoir écrivait que seul le travail peut garantir à une femme une liberté concrète. Cette liberté reste à conquérir pour les agricultrices, dont les conditions de travail nous interpellent, voire nous révoltent.
La faiblesse des revenus a des répercussions sur leur statut, leur protection sociale, leur retraite - qui se situe en moyenne entre 500 et 600 euros, quand le minimum vieillesse est de 800 euros, et ne dépasse parfois pas 40 euros !
Les agricultrices, héritières d'une longue invisibilité, ne doivent pas en être prisonnières. Allez-vous leur tendre la main, à quatre jours du Salon de l'agriculture ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ces métiers sont pourvoyeurs d'emplois, il est donc essentiel de valoriser leur image.
L'atelier n°13 des États généraux de l'alimentation a traité de cette question et le ministre de l'agriculture a lancé une campagne de communication.
J'ai déjà évoqué le sujet majeur des retraites sur lequel le Gouvernement et le Haut-Commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, sont pleinement mobilisés.
Mme Maryvonne Blondin . - Depuis sa publication en juin, ce rapport est devenu un best-seller et un outil de travail pour les réseaux d'agricultrices avec lesquelles nous continuons d'échanger. Il les informe également de leurs droits, même si la MSA doit renforcer cette information.
Beaucoup d'aspects ont déjà été évoqués, à commencer par l'articulation entre vie professionnelle, familiale et personnelle. Les bus itinérants de garde d'enfants sont une solution innovante. Lors de son assemblée générale, la section « agricultrices » de la FDSEA du Finistère a souhaité l'extension du dispositif de remplacement ou la mise en place d'un chèque emploi-service prépayé pour la garde d'enfants et les tâches ménagères...
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Maryvonne Blondin. - J'aurais aussi voulu évoquer les violences faites aux femmes...
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est un sujet préoccupant, dont nous pourrons débattre.
Susciter le débat et la réflexion, il n'y a pas de plus beau destin pour un rapport parlementaire : il faut que chacun s'en empare !
Les dispositifs de remplacement posent de vraies questions. Seul le congé maternité est pris en charge par la MSA. En cas d'enfant gravement malade, des allocations journalières de présence parentale sont attribuées mais elles ne permettent pas de financer le remplacement de la mère par un salarié agricole. Nous allons regarder cette question de près avec la ministre de la santé et le ministre de l'agriculture.
M. Christophe Priou . - À mon tour de saluer la qualité de ce rapport.
La commission Agriculture et mer du conseil régional Pays-de-la-Loire compte trois femmes agricultrices, dont l'excellente présidente, Lydie Bernard, qui rayonne également à l'ARF.
Difficile pour une femme de s'installer quand il faut se former tout en assumant une lourde charge de travail et des tâches administratives. Il faut une meilleure protection sociale, un véritable statut. L'exploitation familiale de jadis s'est muée en gestion d'entreprise.
En Pays de la Loire, les agricultrices se tournent vers des filières qualitatives et les circuits courts.
Améliorons le statut, la retraite, l'accès aux responsabilités - même si des agricultrices du Maine-et-Loire et de Mayenne ont exercé des responsabilités nationales - et l'accès aux aides à l'installation. À Notre-Dame-des-Landes, c'est une centaine d'hectares dont il faut envisager la gestion future...
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - J'ai déjà répondu à certaines questions. Les femmes représentent 30 % des contributeurs au fonds de formation, mais seulement 9 % en bénéficient. Vivéa travaille sur des indicateurs de progrès. La moitié des exploitantes ne sont pas passées par l'enseignement agricole, contre un cinquième des hommes seulement, et elles s'installent souvent plus tard. Il faut donc veiller à la parité dans l'accès à la formation professionnelle tout au long de la vie. Le Haut Conseil de l'égalité professionnelle m'a remis ce matin un rapport en ce sens.
M. Pierre Cuypers . - Ce sont les femmes qui, pendant les guerres, ont fait tourner les exploitations agricoles. Longtemps, l'épouse du chef d'exploitation était « sans profession ». En 2014, 113 200 femmes sont chefs d'entreprise, soit 25 % du total ; mais 5 000 femmes salariées de leur conjoint ne sont pas déclarées à la MSA. Elles souhaitent un statut assurant une protection sociale et une retraite calculée sur les meilleures années. Souvent, elles travaillent à l'extérieur pour sauver l'exploitation, et composent ainsi entre deux mondes. Un couple d'agriculteurs vit souvent avec 350 euros par mois.
Les femmes sont les nouveaux catalyseurs du monde agricole, elles doivent bénéficier d'une solide formation ; elles sauront reconvertir une partie du secteur agricole vers les services, pérenniser les exploitations, sans négliger la production.
Que proposez-vous sur les aides à l'entreprenariat, le remplacement pendant le congé maternité et l'aide à domicile ? Quelles mesures d'action locale adaptées à chaque territoire rural ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Nous encourageons à la fois l'orientation et l'installation, la pérennisation et les politiques publiques de soutien aux agricultrices.
Stéphane Travert s'inspirera des propositions du rapport. Les agricultrices ont de fortes attentes sur l'harmonisation des congés maternité. Il n'est pas question de mettre fin au système actuel.
L'autonomisation des femmes, mot-clé de ce débat, est favorisée par les innovations pédagogiques fondées sur le concret de l'enseignement agricole, rendant les femmes actrices de leur parcours professionnel afin qu'elles vivent de leur travail, pour elles et pour la France tout entière.
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Ce rapport et le colloque de février 2017 ont focalisé l'attention. Espérons que ses propositions, qui relèvent du bon sens paysan, seront retenues !
Les femmes s'installent plus tard, avec un niveau d'études supérieur, et mettent en place des projets innovants, dans l'air du temps, répondant aux attentes des consommateurs. Dans les Hautes-Alpes, 17 des 47 nouvelles installations sont dirigées par des femmes.
Le pastoralisme n'est pas en reste puisque de plus en plus de jeunes femmes se destinent au métier de bergère ou d'aide bergère, mais le récent plan Loup peut mettre un coup d'arrêt à cette dynamique. Les mesures d'effarouchement ont montré leurs limites : 10 000 animaux ont été tués par le loup en 2017. Le métier de bergère doit-il être encouragé ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants, RDSE et SOCR)
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je profite de cette dernière question pour saluer à nouveau la grande qualité de ce rapport, sur lequel le Gouvernement compte bien s'appuyer.
Le plan Loup, qui vient d'être annoncé, est efficace. (On le conteste sur les bancs du groupe Les Républicains.) C'est un bon compromis qui permettra aux agriculteurs de se sentir protégés puisqu'ils sont autorisés à se défendre. Le métier de bergère n'est pas un métier du passé, il doit être défendu - je viens d'une famille de bergers corses... Nous ferons tout ce qui est possible, dans le cadre de la loi et du droit européen, pour permettre aux femmes de l'exercer.
M. le président. - Merci à tous les intervenants, à la ministre pour la qualité et la précision de ses réponses, et félicitations pour ce rapport qui fait l'unanimité.
La séance est suspendue à 19 h 40.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Avenir de l'audiovisuel public
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de l'audiovisuel public.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des Présidents.
Je vous rappelle que la commission et le groupe qui ont demandé le débat, disposeront d'un temps de parole de 10 minutes (y compris la réplique), puis le Gouvernement répondra pour une durée de 10 minutes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Face à la mutation numérique, j'ai souhaité de longue date que notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication travaille à l'avenir de l'audiovisuel public, avec la commission des finances notamment.
MM. Leleux et Gattolin ont rendu un rapport sur ce sujet il y a trois ans, dont les conclusions sont toujours d'actualité.
Encore avions-nous sous-estimé l'ampleur de la révolution technologique et l'effet des plateformes américaines. Ainsi les questions posées à l'audiovisuel public sont les suivantes : l'audiovisuel public peut-il répondre aux attentes de tous ses publics ? Ses programmes justifient-ils les 3,7 milliards d'euros qu'il reçoit ? Les entreprises publiques ont-elles pris la mesure du défi numérique ?
Les jeunes regardent peu les programmes et la moyenne d'âge des spectateurs est supérieure à 60 ans. Souvent, les programmes publics sont considérés comme peu innovants et peu exportables. Quant à la situation financière de ces entreprises, il faut distinguer Arte, France Médias Monde et l'INA qui font des efforts pour contrôler les dépenses de France Télévisions et Radio France dont les coûts de structures poursuivent leur progression, notamment pour la masse salariale.
Au-delà des missions à redéfinir, c'est aussi le financement de ces entreprises qui pose question. L'innovation technologique coûte cher, c'est pourquoi l'audiovisuel public doit dégager des marges de manoeuvre financières en faisant des économies sur ses structures.
Pour ce qui est des ressources, c'est l'incertitude qui domine. La publicité - qui compte pour environ 400 millions d'euros pour France Télévisions et Radio France - non seulement banalise l'offre publique mais elle est aujourd'hui accaparée par les plateformes numériques et ne peut donc constituer une ressource d'avenir.
Le paiement de la Contribution à l'audiovisuel public (CAP) reste fondé sur la possession d'un téléviseur. Or, le taux d'équipement baisse à mesure que progressent les nouveaux usages sur les supports numériques. Une réforme de la CAP est donc devenue indispensable.
Nous devons donc faire un choix. Soit, donc, on ne change rien et la banalisation du service public et de ses programmes se poursuivra ; soit on ouvre le chantier.
Certains estiment que le service public coûtera trop cher ; d'autres, à l'inverse, souhaitent le statu quo ; d'autres enfin souhaitent ne payer qu'en fonction de leur consommation.
Les Suisses se prononceront le 4 mars prochain, par référendum, sur la redevance audiovisuelle. S'ils décident de la supprimer, l'entreprise publique, la SSR - ses 17 radios et 7 chaînes de télévision - ainsi que ses 6 000 salariés devront cesser leur activité d'ici un an. Face à cette menace, la SSR a acté la nécessité de se transformer avec un maître mot : rendre accessible l'ensemble des contenus télévisés et radiophoniques sur une plateforme globale multisupports et renforcer l'attractivité de ses programmes. Cette priorité donnée aux contenus est partagée par la RTBF belge et la BBC britannique. Elle doit être le fil d'Ariane de la réforme que nous devons conduire en France.
Renforcer la spécificité de l'audiovisuel public ; donner la priorité à l'audace, à l'innovation, à la rigueur ; regrouper l'ensemble des programmes sur une même plateforme numérique ; mutualiser des services par thématiques - information, culture, sports, territoires -, voilà quelle doit être notre ambition.
Nous devons aller jusqu'au bout de la révolution des usages et ne pas nous apitoyer sur des structures qui nous sont familières mais qui sont vouées à se transformer radicalement si elles veulent perdurer. D'ici peu, les téléspectateurs regarderont leurs programmes sur tous les supports, de manière délinéarisée. Pour la radio, on peut penser que la 5G attendue pour 2020 constituera également une nouvelle frontière permettant de dépasser l'antique FM et ses problèmes de pénurie de fréquences.
Ce nouveau paradigme technologique impose une refonte du service public. Nous proposons la création d'un holding, non pas une fusion qui serait coûteuse en temps et en énergie. Surtout, ce qui importe, c'est de redonner confiance aux salariés et au public. L'essentiel est qu'une personne incarne le service public, l'indépendance des médias et le pluralisme et qu'elle soit responsable de la répartition des crédits issus de la contribution à l'audiovisuel public. Je déplore d'ailleurs les conditions de la démission de la présidente de France Médias Monde.
Nous devons trouver un mode de nomination indiscutable sachant que tout ou presque a été essayé dans ce domaine, sans donner satisfaction. Un consensus semble se dessiner pour prévoir une nomination par le conseil d'administration. Cette modalité de nomination n'aura de sens que si l'indépendance des membres du conseil d'administration est garantie, ce qui signifie que la représentation des tutelles doit être simplifiée.
Des missions réaffirmées, une ambition culturelle et éducative renforcée, des personnels remobilisés, une gouvernance commune et indépendante instaurée... Ces piliers de la réforme doivent être consolidés par une profonde modernisation de la contribution à l'audiovisuel public pour garantir, dans la durée, les moyens nécessaires à l'accomplissement des missions. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin proposent une contribution universelle sur le modèle allemand. C'est une solution efficace.
D'autres questions se posent : faut-il fusionner l'Arcep et le CSA ? Quid de la cession des fréquences hertziennes ? La chronologie des médias doit en outre être modernisée.
Nous avons fait des propositions. C'est donc bien une réforme systémique qui s'annonce. La commission de la culture est prête à jouer son rôle dans cette réforme indispensable, nous poursuivons nos travaux - en particulier par une mission sur France 3 et France bleu.
Ce débat est un point d'étape et un point de départ. Merci, Madame la Ministre, de répondre à nos questions, qui sont nombreuses ! (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains . - Jamais le choix du téléspectateur-auditeur-citoyen n'a été aussi large : des chaînes d'information, de sport, de cinéma, de musique, généraliste... Quelles sont aujourd'hui, dans ces conditions, les justifications à l'existence d'un audiovisuel public qui bénéficie chaque année de plus de 3,7 milliards d'euros de fonds publics et de 400 millions de recettes publicitaires ? J'ai la conviction qu'un audiovisuel public fort est nécessaire pourvu que son offre soit de qualité, différenciée, et qu'il joue un rôle de référence, en particulier dans l'information et l'accès à la culture.
Un pôle audiovisuel extérieur puissant est également une nécessité, c'est la voix de la France dans le monde, même si on peut se demander s'il est pertinent de financer par des fonds publics des programmes en anglais...
Les programmes de Radio France sont, pour l'essentiel, conformes aux attentes, même si des doublons peuvent exister avec certaines offres privées, par exemple à France Musique et Radio Classique. Le bilan de la chaîne franco-allemande Arte est conforme au projet de ses concepteurs : ouverture culturelle et internationale, exigence et accessibilité des programmes, invitation à la curiosité et à la découverte, ambition européenne.
L'enjeu se situe donc à deux niveaux : il est temps de redéfinir les missions de France Télévisions, qui a une double identité, publique et commerciale. Il faudra lever cette ambiguïté. Rien ne justifie de payer une redevance de 139 euros pour des programmes souvent disponibles gratuitement sur les chaînes privées ; rien ne justifie, non plus, de conserver des programmes coûteux, comme le sport, si aucune valeur ajoutée n'est apportée dans leur présentation ; enfin, on peut s'interroger sur l'usage des 400 millions d'euros consacrés chaque année à la production audiovisuelle, compte tenu du caractère peu innovant et marquant des programmes financés.
Second enjeu, la transition numérique : le contribuable est en droit de pouvoir accéder à tous les programmes du service public sur une même plateforme accessible sur tous les supports, ce qui nécessiterait un regroupement des contenus produits par les différentes sociétés de l'audiovisuel public.
Au lieu de cela, France Télévisions s'est lancée dans la création d'une coûteuse plateforme unique SVOD. Où en est-on ?
Comment subir la pression de l'audimat et des recettes publicitaires avec les exigences du service public ? Tranchons cette contradiction en assumant qu'un service public de qualité est incompatible avec une gestion commerciale ! Nous avons fait un premier pas l'année dernière, à l'initiative du Sénat, en supprimant la publicité dans les émissions jeunesse. Il faut aller plus loin, en donnant la priorité à la différenciation d'une offre de qualité, accessible à tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains)
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains . - Le président de la République dénonçait il y a quelques semaines le gâchis de l'audiovisuel public. Ce n'est pas moi...
D'ailleurs, si vous réfléchissez à une refonte de l'audiovisuel public, c'est bien qu'il y a un problème. Celui-ci n'est pas nouveau. Tout le monde est responsable, droite et gauche confondus. L'audiovisuel public reçoit 3,7 milliards de subventions publiques. C'est beaucoup. La commission des finances est très réservée sur une hausse de la contribution à l'audiovisuel public. Ne faudrait-il pas plutôt, au préalable, que l'audiovisuel public réalise des économies, qu'il commence par rationnaliser ses dépenses, en particulier du côté des prix de production, supérieurs à ceux du privé ?
Le service public compte beaucoup de chaînes. Il y en avait moins auparavant - mais avions-nous le sentiment que c'était moins bien ? Non ! Avant de demander plus d'argent, il faudrait aussi réfléchir à la qualité des programmes : les jeux ou les émissions de variété diffusés sur le service public sont-ils si différents de ceux diffusés sur les chaînes privées ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne saute pas aux yeux. Donc, avant d'augmenter les recettes, voyons comment réguler les dépenses ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture . - Merci à votre commission et au groupe Les Républicains pour ce débat, qui est l'occasion de vous présenter nos projets, notre méthode.
Pourquoi vouloir réformer l'audiovisuel public ? Mais parce qu'en quinze ans, le paysage audiovisuel s'est transformé : nouveaux usages, nouveaux acteurs - nous sommes au régime de l'hyper-offre, avec 27 chaînes sur la TNT, des centaines de chaînes sur nos box -, nouveaux contenus avec des séries, des formats web, nouveaux espaces de diffusion, avec en particulier les GAFAN. En un mot, le marché s'est mondialisé.
La transformation de l'audiovisuel public est aujourd'hui incontournable. Plusieurs de nos voisins européens l'ont engagée - je l'ai constaté à Londres, où j'ai rencontré les dirigeants de la BBC, à Bruxelles, où j'ai rencontré ceux de la RTBF. L'idée n'est pas d'importer des modèles étrangers mais de regarder ce qui fonctionne et, vous l'avez dit, de développer un projet pour les dix ou quinze prochaines années.
Nous présenterons une grande loi sur l'audiovisuel, transposant la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) et modifiant la loi de 1986.
Quelle est notre méthode ? Je réunis tous les mois un comité stratégique avec les dirigeants des six sociétés de l'audiovisuel public, nous avons identifié cinq chantiers : la reconquête des jeunes publics, l'international, l'offre de proximité, l'offre en ligne et les synergies sur les ressources transverses.
La réforme de l'audiovisuel public s'inscrit aussi dans le cadre d'Action publique 2022.
La réforme se nourrit également des travaux parlementaires et je suis particulièrement attentive à vos propositions, Madame Morin-Desailly, je connais votre engagement sur ces questions.
Enfin, je souhaite que nous puissions organiser un débat avec les professionnels et nos concitoyens, une fois que nous aurons défini les orientations de cette transformation. Nous ferons des annonces à la fin du mois de mars.
Le premier enjeu est celui des contenus : c'est la question de la singularité de l'audiovisuel public. Nous avons identifié plusieurs missions prioritaires. Tout d'abord, la reconquête des jeunes, car l'âge moyen des spectateurs est supérieur à 60 ans - il est de 10 ans de moins dans le privé.
L'audiovisuel public fait la différence pour les programmes destinés aux moins de 12 ans avec l'absence de coupures de publicité, grâce à la proposition de loi de M. Gattolin.
Il faut reconquérir les adolescents et les jeunes adultes. Les jeunes regardent beaucoup les contenus en ligne : deux tiers des 15-24 ans regardent des vidéos en ligne quotidiennement et un sur cinq est abonné à une offre de vidéo à la demande - contre un sur douze pour la moyenne de la population. L'audiovisuel public doit leur proposer sur le canal numérique une offre de contenus culturels, éducatifs et informatifs de référence, que les jeunes ne trouveraient pas ailleurs.
Autre mission, la proximité. L'offre d'informations et de programmes locaux est une spécificité de l'audiovisuel public. Elle est fondamentale pour la vie de nos territoires, vous le savez parfaitement. Pour renforcer cette mission, je crois à une coopération accrue entre les antennes de France Bleu et France 3, pour produire davantage d'émissions et de programmes locaux. Les équipes travaillent à des expérimentations : autour d'une matinale notamment.
Autre mission prioritaire : la culture. La Grande Librairie, retransmission de spectacles... Il faut renforcer cet axe ; les Français le demandent.
Après les contenus, le deuxième enjeu est l'adaptation au numérique. L'investissement a jusqu'ici été insuffisant : il est de 3 à 4 % dans le budget de France Télévisions, contre 7 % chez certains de nos voisins européens. Il faut repenser la stratégie numérique de l'audiovisuel public à court et moyen terme. Les efforts des sociétés sont éparpillés : il faut plus d'investissements et d'offres numériques communes. Elles sont en train de faire des propositions en ce sens. À terme, il faut répondre à l'enjeu d'un média global.
Troisième enjeu de la transformation : la gouvernance. Nous voulons renforcer la coordination entre sociétés ; nous avons ouvert plusieurs pistes, celle qui distingue une présidence non exécutive et des directions générales, c'est qu'une option de travail parmi d'autres. À ce stade, nous n'avons pas de préférence, sauf pour une méthode souple d'organisation, qui favorise la mise en oeuvre rapide des réformes. La question de la nomination des dirigeants par un conseil d'administration se pose : elle donnerait une assise managériale incontestable.
Quatrième enjeu, le financement sera le point final de la transformation, la conséquence de la réflexion sur les missions. Il n'y aura pas de retour de la publicité après 20 heures. Quant à la redevance, je souhaite que le débat soit ouvert, que la solution respecte l'équité des contribuables. Nous n'avons pas de tabous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR, RDSE, UC et Les Républicains)
M. Roger Karoutchi . - Que pensez-vous, Madame la Ministre, du rôle du CSA ? Dans l'hypothèse d'une holding, de quoi déciderait-il ? Sur Radio France, avant que vous n'interveniez, le CSA a semblé en retrait... Le problème, c'est qu'il est juge et partie ! Envisagez-vous un changement profond sur les pouvoirs du CSA ? Il est curieux en effet que le CSA juge ceux qu'il nomme ! Qui désignerait, dans les faits, le président ou la présidente de la holding ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Le rôle de régulateur du CSA doit être renforcé. Ce sera l'enjeu du projet de loi à venir transposant la directive SMA et modifiant la loi de 1986. Rien n'est arrêté à ce stade sur la nomination à la tête de la holding.
J'ai écouté avec intérêt la présentation par son président de la réponse faite par la BBC. Ce qui est certain, c'est que le pouvoir régulateur sera renforcé.
M. Roger Karoutchi. - L'essentiel est d'éviter de mettre dans les mêmes mains le pouvoir de nomination et de régulation.
M. André Gattolin . - Les missions de l'audiovisuel public sont au coeur du sujet. Il faut l'envisager comme un investissement, et non comme une dépense.
En 1945, l'objectif était clair : informer, mais aussi divertir et éduquer les citoyens. L'accès élargi à la culture fait partie des objectifs fixés par le président de la République au service public, mais on peine à voir la concrétisation de cette mission sur les chaînes publiques. Or nous avons une culture et un patrimoine formidables à valoriser, mais ils manquent de canaux ; de l'autre côté on a des chaînes, mais sans culture... Comment mettre en regard le contenu et les contenants sur le service public audiovisuel, quelles synergies entre la culture et la communication ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Vous savez à quel point, par mon parcours, je suis attachée à la culture. La demande de programmes culturels sur les chaînes publiques est forte, en effet. Les Français voudraient plus de films - à 70 % -, de culture - à 40 % - et de documentaires. C'est un marqueur de la singularité de l'audiovisuel public et un moyen de soutenir la création. Les dirigeants feront des propositions en ce sens - ils sont tous mobilisés, en linéaire comme en digital. Enfin, n'opposons pas trop vite culture et divertissement...
M. Pierre Laurent . - Grande question démocratique, assurément, que celle de l'avenir du service public de l'audiovisuel.
Quel modèle pour le futur établissement ? Coopération renforcée ? Holding ? Des pistes sont manifestement privilégiées, on aimerait en savoir davantage...
Aura-t-on la possibilité d'étudier les hypothèses sur le mode de nomination, ou ne pourra-t-on qu'amender le texte du Gouvernement ? Madame la Ministre, nous vous proposons d'organiser un vaste débat pendant six mois, pendant lesquels chaque partie, professionnels, publics, syndicats, présenterait sa vision de l'audiovisuel public - après quoi, et seulement après, les propositions des uns et des autres seraient évaluées et débattues de manière publique et contradictoire. Cette méthode serait plus ouverte, plus démocratique, car vous semblez indiquer que le débat sera tranché fin mars sur la base de vos propositions ! Le pays est désireux de s'exprimer sur ces questions !
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Merci de m'interroger sur la méthode, car nous avons innové. Nous écoutons nous les acteurs du secteur depuis juillet. Plus d'une centaine de personnes ont été entendues. C'est un changement radical de méthode ! Reste à rassembler le matériau collecté ; je continue à consulter et à me déplacer. Nous ferons des propositions fin mars. Il y aura un débat public. Le Parlement se prononcera.
M. David Assouline . - Considérez-vous que le service public audiovisuel est une honte de la République et coûte trop cher à la Nation ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Question rapide, réponse rapide : les audiences ont augmenté sur France Inter, France Culture, France Musique. L'audiovisuel public est la fierté des Français. L'essentiel est de revoir la manière par laquelle on aborde les questions.
L'audiovisuel public représente 3,9 milliards d'euros quand la culture représente 3,7 milliards. Il faut en tenir compte et achever de faire correspondre le service aux attentes des Français.
M. David Assouline. - Je me réjouis de vous entendre dire que l'audiovisuel public est la fierté des Français, car ce n'est pas ce qu'on entend toujours pour justifier la réforme. Les responsables publics ont l'obligation de rappeler ce que vous venez de dire, de faire la promotion du service public face à nos concurrents, non de le dénigrer.
France Télévisions, c'est 1,3 milliard de vidéos vues sur Internet, 28% de l'audience moyenne ; celle de France 2 et de France 3 est en hausse continue ; les chaînes publiques ont chacune leur spécificité, comme France Ô pour les outre-mer.
N'oublions pas Radio France : France Inter est la deuxième radio de France, et voyez le succès des émissions philosophiques des chaînes publiques ! Voilà ce qu'il faut renforcer !
Mme Colette Mélot . - L'audiovisuel public s'essouffle. C'est l'image de la France qui se relèvera avec le service public audiovisuel : celle des territoires et de la France à l'étranger. Cela suppose de revoir gouvernance, mission, programmes, financement, de redéfinir ses raisons d'être. On lui demande d'éduquer, d'informer et de distraire, ce qui recoupe partiellement les missions du privé. Il est temps de faire de l'audiovisuel public un vecteur de cohésion sociale. Quel rôle lui devrons-nous dans la lutte contre la désinformation et pour porter la voix de la France dans le monde ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Vous posez la question de l'éducation aux médias. Toutefois, Info Intox, Le vrai du faux, L'instant détox, C dans l'air..., toutes les chaînes du service public ont leurs émissions de décryptage, émissions essentielles, surtout pour les publics scolaires.
Au Royaume-Uni, 85 % des jeunes révisent en utilisant la BBC. Mieux faire connaître ce qui existe est une autre action fondamentale sur laquelle se penche le comité stratégique tous les mois.
Mme Mireille Jouve . - Voulue par Jacques Chirac, France 24 oeuvre à notre rayonnement dans le monde. Or, les programmes n'ont pas de visibilité nationale. Comment se rendre en effet à l'international quand dans votre propre pays, on ignore jusqu'à votre existence ?
France 24 est une source d'informations précieuse pour les concitoyens. Dans la mondialisation, mieux connaître l'action de nos voisins n'est pas superflu.
Cette chaîne a-t-elle vocation à être plus largement diffusée sur le territoire national ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty et Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent aussi.)
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Comment améliorer l'offre de l'audiovisuel public ? En se souvenant qu'il est celui qui va vers le public - et pas celui qui se contente de remplir des cases de missions de service public.
Les trois-quarts de nos concitoyens ont accès à France 24, par les canaux que vous avez rappelés. Aller plus loin supposerait qu'on lui attribue une fréquence hertzienne, ce qui n'est pas d'actualité, ou bien qu'on l'associe davantage à France Médias Monde.
Mme Dominique Vérien . - Depuis de nombreuses années, on considère la réforme de l'audiovisuel public par le prisme de la gouvernance et des économies à réaliser. Mieux vaudrait commencer par définir ses missions. Quelles méthodes le Gouvernement emploiera-t-il pour parvenir à un consensus sur les défis et les moyens ? À l'heure où les jeunes sont exposés aux fake news, comment comptez-vous les réconcilier avec les programmes du service public : des programmes digitaux, une chaîne jeunesse ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Je vous ai répondu sur la méthode : travail avec les sociétés, rencontres sur le terrain car il n'y a rien de tel, et, évidemment, consultation publique et grand débat. Vous avez raison, l'audiovisuel public ne peut pas rester éloigné de la jeunesse. Son public vieillit : 58 ans pour France télévisions et 62 ans pour Arte. Il importe de proposer des programmes adaptés, de manière linéaire ou délinéarisée. Des initiatives ont déjà été lancées : Le Mouv', Slash, offre éducative de qualité sur Arte mais les jeunes n'en connaissent pas toujours l'existence. D'où la réflexion sur les canaux de diffusion.
Mme Dominique Vérien. - Ne faudrait-il pas associer l'Éducation nationale à cette réflexion sur une chaîne éducative. La BBC est un exemple à suivre.
M. Jean-Raymond Hugonet . - L'avenir de l'audiovisuel public n'est pas un sujet nouveau. Nous sommes nombreux à penser qu'il est en décalage avec les attentes du public. Un nouveau modèle s'impose. Pour cela, il faut un audit sérieux, financièrement analytique ; analyser la gestion pléthorique des ressources humaines, la filière de production interne dispendieuse... Une rationalisation, et c'est un euphémisme, est indispensable. Où en est ainsi la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et la formation du personnel ? Si une refondation de l'audiovisuel est inéluctable, celle-ci ne réussira que si les objectifs sont clairs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Nyssen, ministre. - J'ai déjà répondu sur les objectifs. Des comités stratégiques est clairement ressortie la question de la formation. Si nous restons spectateurs des évolutions, la catastrophe est certaine. Il est urgent que les chaînes aident leurs équipes à se former. Chaque société y travaille : l'INA, Radio France, France télévisions.
M. André Gattolin . - Fébrilité avant l'annonce d'une réforme ou impéritie des dirigeants, on sent une grande agitation à France Télévisions. Dernier exemple en date : le changement de décor du journal de France 2 le 29 janvier dernier, étonnante dépense à l'heure où une réforme s'annonce. Plus sérieusement, nous avons appris au début de ce mois qu'une réorganisation profonde se préparait : rompant avec le modèle en plusieurs chaînes, celle-ci reposerait sur une organisation transverse, une centralisation de la création, en contradiction avec les engagements de Delphine Ernotte. La tutelle a-t-elle été informée de cette réorganisation ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Je le redis : l'indépendance des médias et de l'audiovisuel public est totale. Je consulte tous les dirigeants et réunis une centaine de membres de leurs équipes. Notre mission est claire : refonder l'audiovisuel public pour mieux informer, divertir, cultiver, en touchant les jeunes, ceux qui n'ont pas accès au numérique... Donc oui, cela s'agite mais cela s'agite pour réfléchir et transformer.
M. Pierre Ouzoulias . - C'est le rôle du service public de permettre à chacun d'exercer son esprit critique. Des contenus remarquables existent sur France Culture, dont l'audience a fortement progressé grâce à la diffusion numérique. Il serait judicieux de mieux les faire connaître encore par des applications plus accessibles. Le service public a besoin d'un plan d'investissement massif dans le numérique.
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Oui, la problématique de l'accès est cruciale. Je le sais pour avoir été éditrice dans une autre vie. Ce n'est pas suffisant d'éditer de bons livres, encore faut-il qu'ils soient lus ! Les crédits pour le numérique sont trop faibles, en effet. La coordination entre les chaînes est un premier pas.
M. Pierre Ouzoulias. - Je dois confesser que, comme beaucoup, j'écoute les programmes essentiellement sur mon ordinateur et sur mon téléphone. J'espère que la loi sur les fausses nouvelles comportera un volet numérique. Le besoin est réel. (MM. David Assouline et André Gattolin applaudissent.)
M. Michel Laugier . - Ma question portera sur l'audiovisuel extérieur. Marie-Christine Saragosse a été suspendue de ses fonctions pour des raisons qui s'expliquent mais que l'on ne comprend pas. France Médias Monde participe du rayonnement de la France dans le monde. France 24 mérite mieux, il aurait pu être le socle de lancement de la nouvelle chaîne d'information française. Quelle place allez-vous donner à l'audiovisuel public extérieur dans votre réforme ? Quelles seront les relations de France Médias Monde avec les autres entreprises de l'audiovisuel public ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Le cas Saragosse, quelle histoire ! Le CSA procédera à la nomination du PDG de France Médias Monde. Les équipes, c'est l'essentiel, n'ont pas changé et continuent à promouvoir l'image de la France et la francophonie dans le monde. Notre audiovisuel extérieur doit faire face à une concurrence accrue - la force de frappe de la BBC n'a échappé à personne. Ses crédits augmenteront de 2,5 % en 2018, dans la continuité des efforts entrepris depuis cinq ans avec une hausse de sa dotation de 8 % entre 2013 et 2017, contre 2 % pour les autres sociétés. Une antenne hispanophone vient d'être ouverte. Des partenariats sont en cours avec Arte, d'autres sont à réfléchir.
M. David Assouline . - La BBC, c'est 21 271 employés et un budget de 9 milliards. En France, l'audiovisuel public, c'est 3,9 milliards et 19 000 salariés. Chiche, imitons la BBC et donnons à l'audiovisuel public les moyens de faire de la qualité sans réduire son périmètre. Un membre éminent de l'exécutif m'a expliqué récemment qu'il était normal que l'État nomme les PDG de l'audiovisuel public comme le PDG de la SNCF. Qu'en pensez-vous ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - En tant que ministre de la culture, je n'ai jamais tenu ce genre de propos. Ne prêtez pas au Gouvernement la volonté de revenir à l'ORTF ! Toutes les pistes sont évoquées. Pourquoi pas une nomination par un conseil d'administration ? L'indépendance des médias est essentielle. Surtout je note que toutes les équipes ont envie de travailler ensemble. L'état des lieux est partagé. Il n'y aura pas de retour en arrière.
M. David Assouline. - Je note l'inflexion de votre ton. Il n'est plus question de dénigrer le service public pour justifier une réforme destinée à réaliser des économies. Je suis aussi heureux d'entendre que la nomination respectera le principe d'indépendance.
M. Éric Gold . - Hervé Bourges, en 1991, annonçait déjà la fin des réformettes et promettait des synergies au service d'une grande ambition pour le service public audiovisuel... Madame la Ministre, vous avez rouvert un chantier qui n'est pas nouveau mais toujours ambitieux : financement, nomination... Un rapprochement entre France 3 et France Bleu est sur la table. Quelle est votre vision ? Quel sera le calendrier ? On évoque des programmes communs pour les tranches matinales. Il importe de placer les citoyens et les élus au coeur de cette offre de proximité.
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Je suis très attachée à l'offre de proximité, ayant travaillé en lien avec ces chaînes lorsque j'étais éditrice. Elle est un maillon de la cohésion sociale et territoriale, un élément qui différencie typiquement le service public du service privé. Son développement est d'ailleurs l'un des cinq chantiers prioritaires que j'ai ouverts. Je suis attachée à l'idée d'un rapprochement entre France Bleu et France 3. Les équipes sont prêtes, et même désireuses de travailler ensemble. Des coopérations existent déjà. Des pistes sont proposées qui pourront donner lieu à des expérimentations.
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Mathieu Gallet est le premier PDG de Radio France à avoir été démis de ses fonctions par le CSA. Le président de la République voulait changer les règles de nomination. C'est pourtant le CSA qui nommera son successeur. Curieux que le CSA soit juge et partie ! Le Gouvernement a annoncé une réforme. Si les présidents sont nommés par les conseils d'administration, comment seront nommés leurs membres ? Quelles seront les garanties d'indépendance ? Quel sera le calendrier ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - J'ai déjà répondu sur le fond. S'agissant de la succession de M. Gallet, un appel à candidatures a été émis par le CSA. La nomination interviendra le 14 avril. D'ici là, le doyen des administrateurs assure la transition. L'essentiel est que les équipes soient au travail, à pied d'oeuvre.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Vous ne m'avez pas répondu sur la nomination des membres des conseils d'administration...
M. Laurent Lafon . - Le mode actuel de financement de l'audiovisuel public n'est plus adapté. La publicité, en particulier, ne fait plus recette : sa bascule vers Internet, que l'on pensait pour 2018, a eu lieu dès 2016. Nous l'avons supprimé après 20 heures sur le service public. Le Sénat a été pionnier dans ce mouvement en l'interdisant dans les programmes jeunesses. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce sujet ? Le retour de la publicité après 20 heures est-il envisageable ou va-t-on vers sa suppression totale ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - La réintroduction de la publicité après 20 heures n'est pas à l'ordre du jour. C'est un élément de différenciation important vis-à-vis des chaînes privées. Une consultation a été lancée, la réflexion est en cours. Il faudra examiner les pistes de travail à l'aune de la singularité du service public.
Mme Claudine Lepage . - Je vais moi aussi vous parler d'audiovisuel extérieur, Madame la Ministre. J'y suis très attachée, en tant que sénatrice des Français de l'étranger. Les résultats de France 24 et RFI sont bons : ce sont les premières chaînes en Afrique francophone. Le lancement d'un service en espagnol en 2017 est l'un des succès des équipes de France Médias Monde, sous la direction de Mme Saragosse. Si des synergies sont indispensables, TV5 Monde et France 24 ont leur identité propre. La présidence commune envisagée par le Gouvernement ne serait-elle pas un frein à l'audiovisuel extérieur ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - J'ai déjà dit notre attachement à l'audiovisuel extérieur. Édouard Glissant préférait le terme de mondialité à celui de mondialisation. Le fait de travailler ensemble ne gomme pas les singularités. Une présidence commune ne nuira pas aux singularités. Elle sera un enrichissement. Et ce, à l'heure où l'on pense la francophonie, non plus comme une langue que l'on apporte aux autres mais une langue qui s'enrichit des autres.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - L'audiovisuel public subit une crise sans précédent avec le départ de Mathieu Gallet et la situation ubuesque de Marie-Christine Saragosse. Au lieu de promouvoir France 24, nous avons préféré créer une chaîne d'informations supplémentaire - j'étais d'ailleurs l'une des rares à m'opposer à la création de cette chaîne très coûteuse. L'audiovisuel extérieur participe du rayonnement de la France. En dépit des économies budgétaires, RFI et France 24 se sont développés en Amérique latine et dans le monde arabe. Alors que la Russie et d'autres font de la télévision un outil majeur de soft power, des éclaircissements sur la stratégie de l'État s'imposent. France Médias Monde ne doit pas être une variable d'ajustement budgétaire de l'audiovisuel public national.
Mme Françoise Nyssen, ministre. - J'ai déjà répondu à cette question. La réforme de la gouvernance du groupe ne menace nullement ses composantes. Le budget de France Médias Monde a été augmenté de 2,5 % pour 2018. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, c'est plutôt une marque de confiance ! Notre politique de soutien à la francophonie devrait également vous rassurer. Le plan Bibliothèques que je présentais ce matin avec Erik Orsenna comprend des modules d'apprentissage des langues développés par France Médias Monde, c'est dire que nous jouons cette carte !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Nous verrons les résultats...
Mme Maryvonne Blondin . - La coopération renforcée entre France 3 et France 2 s'accompagne de fermetures de bureaux en région. Fin 2017, des antennes locales de France 3 s'en inquiétaient déjà. Cette évolution devrait cependant mettre en valeur le travail des journalistes locaux par une meilleure diffusion numérique. Cette décision va dans le sens du rapport d'Anne Brucy de 2014, un travail auquel j'avais eu l'honneur de participer. En Bretagne, France 3 coopère déjà avec France Bleu pour couvrir des événements importants. Ce n'est cependant pas une expérimentation à proprement parler mais une collaboration pragmatique. Madame la Ministre, vous affichez votre attachement à un service public de qualité et à la proximité dans les territoires. En quoi consistera le rapprochement envisagé ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Il s'agit de déployer une offre plus proche de nos concitoyens. Ce ne sont pas les offres privées qui s'y emploieront. C'est donc une mission essentielle du service public. Les équipes sont très motivées, elles collaborent déjà pour les soirées électorales. Ces formidables journalistes ont envie de travailler ensemble à l'élaboration d'une information de référence pour leur territoire. Voilà la direction dans laquelle nous travaillons.
Mme Patricia Morhet-Richaud . - La question de l'audiovisuel public est loin d'être neutre et ses enjeux sont bien réels. Et ils sont financiers, d'abord. À 139 euros par an, la redevance est dans la fourchette basse en Europe - 202 euros au Royaume-Uni, 216 euros en Allemagne, 316 euros en suisse. Les Suisses d'ailleurs se prononceront le 4 mars prochain sur le bien-fondé de cette taxe. Cette forme de solidarité territoriale ne reflète plus la réalité d'aujourd'hui si tant est qu'elle l'ait reflétée un jour. Mon département des Hautes-Alpes n'est pas couvert par France Bleu. Qu'envisage le Gouvernement pour corriger cette fracture territoriale ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Il existe 116 implantations de France 3 et 44 de France Bleu sur le territoire ; la TNT couvre 95 % du territoire, plus que ce qu'impose la loi ! Et le CSA s'est assuré que la couverture numérique soit supérieure à la couverture analogique. Je veillerai à maintenir cette équité dans l'accès au service public audiovisuel.
M. Michel Savin . - Reconquête des jeunes, développement du numérique, gouvernance modernisée, diffusion de la culture, c'est bien ! Il manque peut-être la diffusion des événements sportifs, à l'heure des Jeux Olympiques d'hiver et à l'approche des Jeux Olympiques de Paris de 2024 dont les droits de diffusion ont été acquis par un groupe privé. Les Jeux Olympiques sont l'occasion de diffuser des messages de santé publique, de promouvoir le sport féminin et le handisport, de faire connaître nos sportifs de haut niveau. Notre Gouvernement est-il prêt à soutenir France Télévisions politiquement et financièrement dans cette perspective ? Quelle place le sport occupera-t-il dans l'audiovisuel public de demain ?
Mme Françoise Nyssen, ministre. - Vous avez raison, la couverture télévisuelle des Jeux Olympiques appartiendra pour la première fois à une entreprise privée qui les revendra ensuite aux chaînes publiques à des prix très élevés - 130 millions d'euros au total. La diffusion des compétitions par le service public audiovisuel est légitimement attendue. Les discussions sont en cours pour l'obtenir ; j'y suis extrêmement attentive. Ces droits ne pourront pas être acquis à n'importe quel prix dans la situation budgétaire qui est la nôtre.
M. Michel Savin. - Pas à n'importe quel prix certes, mais nous comptons sur France Télévisions.
Prochaine séance demain, mercredi 21 février 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 25.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus
Annexes
Ordre du jour du mercredi 21 février 2018
Séance publique
De 14 h 30 à 18 h 30
Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente
Secrétaires : Mme Catherine Deroche - Mme Françoise Gatel
(Ordre du jour réservé à l'Union Centriste)
1. Proposition de loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture des établissements privés hors contrat (n°589, 2016-2017)
Rapport de Mme Annick Billon, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°277, 2017-2018)
À 21 h 30
Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente
2. Proposition de résolution, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part (n°229, 2017-2018)
Rapport de Mme Anne-Marie Bertrand, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°301, 2017-2018) et texte de la commission.
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°64 sur l'ensemble du projet de loi organique relatif à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle Calédonie.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :347
Suffrages exprimés :346
Pour :344
Contre :2
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (146)
Pour : 146
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 50
Groupe LaREM (21)
Pour : 20
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Noëlle Rauscent
Groupe RDSE (21)
Pour : 21
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Pour : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 3
Contre : 2 - Mme Christine Herzog, M. Stéphane Ravier
Abstention : 1 - M. Jean Louis Masson