Orientation et réussite des étudiants (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants.
Discussion générale
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Le vote à l'issue d'une CMP réussie est un moment fort et émouvant. Je remercie le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, Gabriel Attal pour son travail et la correction de ses propos, Mme la Ministre pour son écoute et son respect de notre institution. La réussite de cette CMP était loin d'être garantie.
Le Sénat a réussi à apposer sa marque de fabrique sur ce texte. La primauté à l'insertion professionnelle tout d'abord : votre commission a proposé que les modifications de capacité d'accueil prennent en compte le taux d'insertion professionnelle observé, ce qui a ému certains syndicats. Il était cependant nécessaire de marquer dans la loi l'importance de l'insertion professionnelle. De plus, à aucun moment, Madame la Ministre, vous n'avez évoqué des fermetures de filières sous ce critère.
L'autonomie des établissements est le deuxième principe que nous avons défendu, car les établissements sont les mieux placés pour évaluer la situation de terrain. Votre commission a souhaité associer l'établissement à la décision d'inscription d'un candidat qui n'aurait pas trouvé de place à l'issue de Parcoursup. C'est aussi le principe d'autonomie qui nous avait fait proposer que les établissements puissent fixer librement les droits de scolarité des étudiants extra-communautaires.
Troisième principe, la transparence : c'est en son nom que nous avions proposé la publication des algorithmes locaux pour classer les candidatures et que nous avons renforcé les obligations statistiques des établissements d'enseignement supérieur.
Ce texte que nous avons voté en CMP est bien différent de celui que nous avions voté il y a une semaine.
Nous avons dû abandonner certaines de nos propositions pour parvenir à un consensus, mais c'est la loi du genre ; nous avons décidé, en conscience, de parvenir à un texte de compromis, car il aurait été irresponsable de laisser dans l'incertitude les quelque 850 000 étudiants déjà engagés dans Parcoursup.
M. David Assouline. - Avant même l'adoption de la loi !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Vous avez rappelé, Madame la Ministre, combien le Sénat a été précurseur : sur la réforme du régime de sécurité sociale des étudiants, grâce au texte de Catherine Procaccia, sur leur orientation vers et dans le supérieur grâce à Guy-Dominique Kennel, sur la sélection à l'entrée dans le deuxième cycle grâce à Jean-Léonce Dupont.
Permettez-moi de penser et d'espérer qu'ici encore nous avons été précurseurs et que les sujets que nous avons soulevés connaîtront des évolutions dans les mois à venir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Au coeur du projet de loi, il y a l'ambition d'accompagner plus de lycéens vers l'enseignement supérieur et la réussite. C'est l'épine dorsale de ce texte - et la conviction que j'ai souhaité partager avec vous.
Nous le savons tous : la massification a eu lieu au lycée et à l'université, mais la démocratisation reste à construire. D'où le bloc que constitue le plan Étudiants qui ne sépare pas l'accompagnement pédagogique et les politiques d'actions en faveur de l'enseignement.
L'avenir de notre jeunesse est une de ces grandes causes qui peuvent nous rassembler. Dès juillet, j'ai ouvert une large concertation pour entendre les interrogations et dissiper les inquiétudes. Nos débats ont permis à chacun d'exprimer ses convictions. Ce débat est légitime. C'est le rôle du Sénat d'apporter un regard particulier sur les actions du Gouvernement.
Dès la première lecture, nous avons eu à coeur d'avancer collectivement. Je vous en remercie.
Je me réjouis que les conclusions de la CMP aient été positives et j'en remercie Mme Morin-Desailly et le rapporteur. Quelles que soient nos divergences, il nous fallait tourner la page du tirage au sort.
Sur de nombreux sujets : orientation, tirage au sort, régime de sécurité sociale des étudiants, le Sénat a été précurseur.
Qu'il s'agisse d'accueillir toutes les formations sur Parcoursup dès 2019, de renforcer les informations mises à disposition sur la plateforme ou d'élargir à 28 ans les actions de prévention à destination des étudiants, vous avez contribué à améliorer le texte.
Sont restés, cependant, des points de divergence.
Sur l'autonomie des établissements universitaires, d'abord. Les universités sont fortes lorsqu'elles ont l'autonomie suffisante pour construire des projets de réussite. Mais l'État est le garant de l'ouverture de l'enseignement supérieur à tous, c'est pourquoi le recteur doit garder la main lorsque les étudiants se retrouvent sans inscription. Il est bienvenu, également, que le recteur puisse se prononcer en dernière instance sur les refus d'inscription. La rédaction issue de la CMP, articulée autour d'un dialogue tripartite, est équilibrée sur ce sujet.
Deuxième point de désaccord, sur les critères des capacités d'accueil. Vous avez souhaité corréler les capacités d'accueil des établissements aux taux de réussite et d'insertion professionnelle. De nombreux amendements ont consolidé les dispositifs existants en ce sens. Pour autant, une corrélation directe aurait institué une forme « d'adéquationnisme », ce qui risquerait de figer, de scléroser les formations, voire d'empêcher les étudiants d'accéder à des nouveaux métiers que nous ne connaissons pas encore. Je remercie le rapporteur d'avoir su prendre en compte l'intégralité des attentes exprimées, pour parvenir à une rédaction équilibrée - qui prend donc en compte les perspectives d'insertion professionnelle et le projet de formation et de recherche de l'établissement, aussi bien que l'attente des étudiants.
Le Sénat exprime ses différences de point de vue tout en faisant oeuvre législative utile. C'est sa marque de fabrique.
Si vous suivez les conclusions de la CMP, nous pourrons ouvrir le chapitre de la mise en oeuvre de la campagne d'inscription de 2018.
Je suis prête à m'y atteler avec énergie, calme et sérénité dans l'intérêt de notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
Mme Colette Mélot . - L'Assemblée nationale et le Sénat ont trouvé un compromis, mardi dernier. Je salue le travail des rapporteurs qui nous proposent un texte équilibré et essentiel à la refonte de l'enseignement supérieur en France.
Un manque criant d'étudiants en sciences et technologies, des débouchés très variables d'une filière à l'autre, une filière professionnelle très peu suivie - 23 % seulement des 15-19 ans, 9 points de moins que dans l'Union européenne - telle est la situation difficile de notre enseignement supérieur.
La CMP a abouti à un accord qui empêchera le blocage de Parcoursup. Nous pouvons nous en féliciter.
Plusieurs points restaient en débat. D'abord, sur les bourses ; d'un montant de 2 milliards d'euros, elles ne peuvent être délivrées sans vérification. La CMP propose de mettre en place une obligation d'assiduité pour les étudiants boursiers, c'est une première étape dans leur responsabilisation.
Sur la question de l'insertion professionnelle, ensuite. Inutile d'envoyer nos étudiants dans des filières sans débouché professionnel ! La CMP trouve, là encore, un compromis raisonnable : l'ouverture de places sera conditionnée par les perspectives d'insertion professionnelle et l'évolution des projets de formation de l'établissement.
Troisième point : nous voulions autoriser les établissements à fixer librement les droits d'inscription pour les étudiants étrangers hors Union européenne - la CMP n'a pas tranché dans ce sens, nous aurons l'occasion d'y revenir dans les prochains débats financiers.
Dernier point : le droit de véto de l'établissement. La rédaction initiale prévoyait une procédure dite du dernier mot au candidat, obligeant le recteur à faire une proposition d'inscription aux étudiants restés sans orientation. Ce principe n'était guère tenable et allait obliger les rectorats à traiter des milliers de dossiers au coeur de l'été. La CMP met en place une formule intermédiaire : obligation du rectorat de respecter les capacités d'accueil et obligation pour le candidat d'accepter un parcours personnalisé si l'établissement le juge nécessaire.
Nous franchissons une étape qui donnera aux générations futures la possibilité de réussir dans le monde de demain.
Ce projet de loi offre lisibilité et efficacité pour renouveler un système à bout de souffle. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)
Mme Françoise Laborde . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Les mutations de la société doivent être prises en compte par l'État pour permettre à nos concitoyens d'accéder aux savoirs nouveaux. L'intelligence artificielle et les nouvelles techniques changent l'environnement du travail, l'université a un rôle central à jouer pour construire une société où les jeunes s'épanouissent et disposent des outils pour s'adapter à ces bouleversement. Pourtant, comme le disait Jacques Chaban-Delmas, « nous ne parvenons pas à accomplir des réformes autrement qu'en faisant semblant de faire des révolutions ».
Si le groupe RDSE est contre une sélection aveugle à l'entrée universitaire, c'est qu'il la juge discriminatoire : elle ne ferait qu'accentuer les inégalités scolaires déjà très fortes dans notre pays.
Quelques avancées sont à saluer. Les dispositions à caractère essentiellement économiques ont été extirpées du texte. C'est positif car le parcours d'orientation doit être adaptable à tout moment en fonction des aspirations de l'étudiant, des capacités qu'il peut développer. L'orientation ne peut pas être élaborée exclusivement à l'aune des attentes des entreprises.
En première lecture, nous nous étions opposés à ce que les capacités d'accueil soient déterminées ou corrélées au taux de réussite et d'insertion professionnelle des formations. La rédaction issue de la CMP est plus vague et elle fait une place aux projets de formation des candidats : cela va dans le sens que nous souhaitions, même si nous reconnaissons la faible portée législative de ces dispositions.
Je me réjouis que la CMP ait tranché en faveur d'une décision du recteur sur l'affectation des étudiants restés sans affectation, mais aussi dans la procédure de réexamen pour circonstances exceptionnelles : cela traduit le principe que le baccalauréat est bien le premier grade de l'enseignement supérieur.
Préserver l'objectif de maîtrise de la langue française, c'est aussi un objectif bienvenu, même si nous aurions préféré que le principe trouve des traductions concrètes.
Je regrette, en revanche, que l'on ait maintenu le pourcentage maximal de bacheliers hors académie : ce plafond est un frein à l'accès aux universités parisiennes. Le sort des bacheliers non professionnels n'est pas non plus réglé avec le rejet de notre amendement qui proposait des pourcentages plancher de bacheliers dans les filières STSI et les IUT.
L'intervention d'algorithmes locaux est aussi à regretter car elle prive les étudiants d'un accompagnement humain et instaure un contexte discriminatoire.
Ajoutons à cela la réforme annoncée du baccalauréat et l'on ne voit plus très bien où l'on va. Avec la disparition des filières et la mise en place d'un tronc commun assorti de spécialités, le Gouvernement s'engagera-t-il à revoir les critères de Parcoursup ? Le manque de moyens des universités a des conséquences sur les conditions de travail des étudiants. Nous craignons qu'une université à deux vitesses se développe avec d'un côté les filières en tension, de l'autre celles qui sont mieux dotées.
Les membres du groupe RDSE sont favorables au texte dans leur grande majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Antoine Karam . - Ce texte répondra à l'attente de 800 000 jeunes qui préparent leur entrée dans l'enseignement supérieur. Nous avons tous reconnus l'injustice d'Admission Post-Bac et celle de la sélection par l'échec instaurée à l'université. Nos débats ont révélé des désaccords profonds ; cependant, du chemin a été parcouru dans le bon sens. Je salue la volonté du Gouvernement, la sagesse du Parlement et le résultat auquel nous sommes parvenus : assurer à chaque jeune un parcours personnalisé vers la réussite.
J'ai la conviction que ce travail s'approfondira dans les mois à venir. La plateforme Parcoursup ne règlera pas à elle seule la question de l'orientation. Il faudra un changement de paradigme pour que chaque étudiant façonne son projet dès le lycée.
En supprimant le droit de veto du directeur d'établissement à la décision d'inscription du recteur, nous avons introduit de la fluidité dans le système et du dialogue. Il fallait éviter le blocage.
Des inquiétudes subsistent. La détermination des capacités d'accueil doit prendre en compte les souhaits des étudiants. Prendre en compte les perspectives d'insertion professionnelle est une position équilibrée. Les missions de l'enseignement supérieur telles que définies par l'article L. 612-2 du code de l'éducation ne sont pas dévoyées : « accompagner tout étudiant dans l'identification et dans la constitution d'un projet personnel et professionnel, sur la base d'un enseignement pluridisciplinaire et d'une spécialisation progressive des études, dans un but professionnel. »
L'assiduité des étudiants et notamment des boursiers fait l'objet d'une proposition mesurée. Cependant, l'absentéisme ne touche pas surtout les boursiers mais tous les étudiants et plus particulièrement ceux qui ont été mal orientés. Quant à la contribution unique, nous verrons à la pratique si elle produit des effets positifs en partie pour les étudiants ultramarins.
Nous devrons bientôt réfléchir sur l'apprentissage. J'espère qu'il sortira de cette réflexion une solution ambitieuse et complémentaire à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Sylvie Robert . - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Au sortir de la CMP, c'est la déception qui prévaut, car l'intérêt des étudiants a été progressivement perdu de vue. Il a faiblement été question d'orientation et de réussite des étudiants. Il est frustrant que la réflexion ait été aussi cloisonnée sur le sujet, alors que c'est en créant un continuum entre le secondaire et le supérieur qu'on peut penser globalement une politique de l'orientation ambitieuse. Ce manque de liant est une des raisons de l'échec des étudiants en licence. Le projet de loi aurait pu aborder cette problématique et dessiner des pistes ; il n'en a rien été. Nous étions bien sur un texte d'affectation et pas d'orientation.
Les lycéens font souvent leurs choix d'orientation à l'aveugle ; oui ils sont amenés à y réfléchir en classe de Terminale. C'est pourquoi il y a un véritable continuum entre cette classe et la première année de licence : c'est là que l'étudiant confronte son désir d'orientation à la réalité. Il aurait dont été préférable, par des passerelles ou des troncs communs, de lui donner la possibilité de peaufiner son parcours.
Nous avons présenté une trentaine d'amendements pour valoriser les dispositifs d'accompagnement, pour améliorer la procédure de dernier recours. Ils n'ont pas été retenus.
Nous ne pouvons que nous opposer à ce texte. Ce ne seront désormais plus les étudiants qui choisiront leur université mais l'inverse. Cela met à mal la promesse républicaine. Nous espérions que la CMP rééquilibrerait le texte sur ce point. Ce n'est pas le cas. Nous étions favorables à la détermination des places pour chaque établissement par le responsable académique après consultation du chef d'établissement. Mais la majorité sénatoriale a précisé que les capacités d'accueil devaient être liées aux taux de réussite et d'insertion professionnelle. Cela risque de figer les formations, de rater les métiers de demain dans un monde en pleine mutation.
Bien que complétée, la rédaction de compromis - les fameuses « perspectives d'insertion professionnelle et de formation », formule bien alambiquée - relève, sur le fond, du pur « adéquationnisme » ; nous ne pouvons l'approuver.
Sur la procédure du dernier recours, ensuite, la rédaction initiale n'était pas optimale, mais l'article issu de la CMP n'est pas acceptable. Car l'équilibre repose sur le fait que le recteur est bien le garant ; désormais, le droit de véto du chef d'établissement a disparu, c'est une bonne chose, mais la rédaction nouvelle n'accorde pas la confiance et la souplesse nécessaires au recteur dans son dialogue avec l'étudiant pour qu'il trouve une formation qui corresponde aux souhaits du candidat ; et l'obligation du « oui si » durcit encore la procédure de dernière chance. Est-ce ainsi qu'on assure le droit à chaque étudiant de poursuivre ses études supérieures ? Est-ce ainsi qu'on fait primer l'intérêt de l'étudiant sur la régulation des flux, l'opérationnalité d'un système ou le manque de places dans les établissements ? Est-ce ainsi qu'on recherche, réellement, la réussite de tous les étudiants ? Je ne le crois pas.
Notre groupe ne peut approuver le texte tel qu'issu de la CMP. La précipitation est mauvaise conseillère. Certes, Madame la Ministre, il fallait trouver une base légale à Parcoursup. Mais l'urgence nécessitait-elle de porter atteinte aux intérêts de l'étudiant ? Je ne le crois pas. Le compromis porte la marque de la majorité sénatoriale ; c'est une occasion manquée, nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Laurent Lafon . - Nous l'espérons, ce texte garantira une rentrée sereine. Cet esprit a guidé les travaux de la CMP. Nous ne pouvions laisser dans l'incertitude tant de jeunes et de familles.
Cet accord préserve les apports du Sénat : réaffirmation de l'autonomie des établissements et prise en compte de l'insertion professionnelle.
Trois apports du groupe UC sont à signaler. D'abord, un comité scientifique et éthique auprès du ministère pour surveiller le déploiement et les modifications de l'algorithme. Deuxième apport, la modification de la première année de médecine, qui se réduit trop souvent au bachotage et est perçue comme une perte de temps par les étudiants. Enfin, un bilan mensuel avec un vote prospectif pour anticiper les évolutions démographiques.
Les grandes orientations du texte conviennent au groupe UC, mais il faudra les approfondir. Le projet de loi n'améliorera pas l'orientation ni le déroulement de la licence de manière significative. Il faut un système d'orientation du collège à la licence, dans lequel l'élève puis l'étudiant sera accompagné. En licence, il faut un système capitalisé, modulable et semestriel.
Parcoursup, enfin : la formation et l'accompagnement des bacheliers dans leurs choix de filières doivent être simplifiés.
En attendant, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias . - Après les lois Pécresse de 2007 et Fioraso de 2013, ce texte est la dernière étape du chemin vers la sélection des étudiants. C'est la victoire du rapporteur du Sénat, qui affirme sans tabou que la sélection est une chance pour tous.
C'est donc une rupture radicale avec le principe adopté ici même voici cinquante ans à l'unanimité de donner les mêmes droits à tous les bacheliers.
Vous encouragez la concurrence entre établissements, la marchandisation du savoir, avec pour prochaines étapes la hausse des droits d'inscription, les recrutements hors fonction publique des professeurs, l'enseignement en anglais, les filières d'excellence pour les étudiants étrangers. C'est la course au classement de Shanghai, où les premiers de cordée refouleront ceux dont ils ne veulent pas vers des établissements moins côtés, installant un enseignement supérieur à deux vitesses.
Chers collègues qui défendez vos territoires, soyez sûrs que les petites universités que vous avez tant de mal à maintenir en pâtiront. Dans ce domaine pas plus qu'ailleurs le ruissellement n'existe.
Nous savons tous que les victimes du nouveau système à plusieurs vitesses seront ceux qui choisissent les filières scientifiques de l'université par défaut et venant le plus souvent des lycées professionnels ou techniques. La sélection les exclura définitivement de l'enseignement supérieur.
Nous avons proposé, en vain, de leur réserver des places en IUT. Votre Gouvernement a refusé car il n'envisage pas de développer les capacités de l'enseignement supérieur et préfère, Madame la Ministre, attendre l'inversion de la courbe démographique pour résorber l'afflux de bacheliers. En attendant, il faudra expliquer l'exclusion de tous ces jeunes à la rentrée 2018.
En médecine, le taux d'échec de 80 % est une aubaine pour les instituts de préparation privés qui facturent 4 000 euros par an. Parcoursup aggrave cette situation. D'ores et déjà, les lycéens peuvent acheter, pour 750 euros, un CV parfait permettant de satisfaire tous les attendus.
En introduisant le contrôle continu dans le bac, vous allez aggraver les inégalités.
Nous continuerons à opposer à votre modèle libéral notre modèle républicain d'égal accès au savoir et à la connaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Enfin, Parcoursup aura un fondement légal. Le calendrier du Gouvernement a court-circuité le Parlement. Quelle place exacte l'État souhaite-t-il lui accorder ?
Il y a unanimité sur la nécessité de mettre fin à APB. Mais comment fera-t-on face à l'amoncellement des voeux, qui ne seront pas priorisés ? On a parlé d'usine à gaz. La tâche du chef d'établissement sera effectivement alourdie.
Des algorithmes locaux verront le jour sans contrôle national.
En refusant une sélection claire, vous introduisez des dispositifs tortueux. Certains craignent des toilettages cosmétiques à la rentrée. Les conditions d'une bonne rentrée sont loin d'être assurées. Les apports du Sénat sont bienvenus. Il fallait associer le directeur d'établissement à la décision du recteur sur les étudiants n'ayant eu que des réponses négatives.
Notre rapporteur, Jacques Grosperrin, que je félicite pour la qualité de son travail et sa recherche de consensus, a relevé le risque d'atteinte à l'autonomie des établissements et introduit en commission une obligation d'accord de l'établissement.
Autre point majeur, la prise en compte des perspectives d'insertion professionnelle dans la détermination par le recteur des capacités d'accueil des établissements.
Mais il aura fallu réfléchir plus en amont à l'adéquation entre l'offre et les besoins.
Madame la Ministre, ce projet de loi est un point de départ qui répond à un problème ponctuel mais tout reste à faire. Notre groupe le votera en espérant que votre Gouvernement fera preuve d'ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Mme la présidente. - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Explications de vote
M. David Assouline . - Tout çà pour çà... On aurait pu mettre en place par décret un système transitoire, en attendant une vraie loi pour traiter du vrai problème : la sélection sauvage par l'échec.
Vous prétendez que sans cette loi, 800 000 jeunes se retrouvent sans affectation. Certes, il fallait réparer la faute du tirage au sort - que je reconnais volontiers. Mais par cette loi vous instituez une forme de sélection qui laissera, elle aussi, beaucoup de jeunes sur le carreau, souvent d'origine modeste. Cela ne changera pas. Nous aurions pu régler le problème, mais cela aurait nécessité des discussions financières.
L'accompagnement que nous voulons tous en premier cycle de l'université nécessite beaucoup plus de moyens. Mais cette loi Vidal est devenue une loi Dumas-Grosperrin parce que votre Gouvernement s'est engagé avec la droite. Appelez cela le compromis...
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture . - Dois-je vous rappeler que la ministre en charge est Mme Vidal ? Tout ce qui est excessif est insignifiant...
M. David Assouline. - À propos d'insignifiance...
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission. - ... mais je ne peux pas ne pas intervenir pour rectifier : vous parlez de sélection sauvage, vous prétendez que l'on aurait pu se contenter d'un décret.
La réalité : c'est l'échec du précédent gouvernement qui a mis en place un système illégal.
M. David Assouline. - Je l'ai dit !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission. - Il y avait bien urgence. On ne peut laisser des jeunes sur le bord du chemin. Oui, il reste du travail à faire, sur l'orientation, l'enseignement supérieur, l'apprentissage. Les mesures sur le lycée et le baccalauréat seront prises par voie réglementaire, c'est une petite frustration, car nous tenions au bac plus 3 et moins 3.
Nous comptons sur vous, Madame la Ministre, pour être attentive à nos travaux. Nous avons des positions et faisons des propositions d'intérêt général qui nous tiennent à coeur. Je voterai cette loi. Pour le reste, comme vous le savez, le Sénat est prêt à travailler avec vous. Ce texte est à cet égard un point de départ. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Olivier Paccaud . - Même si notre groupe a dû renoncer à certaines de ses propositions, la version finale du projet de loi est un pas indispensable vers une meilleure affectation des bacheliers. Dans quelques mois, nous verrons plus clair sur les atouts et les limites du dispositif. Il faudra une vraie loi sur l'orientation et le suivi des étudiants. Nous y reviendrons sans doute plus vite que prévu.
Mme Angèle Préville . - Ancienne professeure, je vois le taux d'échec à l'université comme un scandale. Dès que nos résultats au bac connaissaient une baisse, ne serait-ce que d'un pour cent, nous étions remis en cause et nous nous interrogions ! Là, rien de tel ! Or les étudiants sont des êtres en devenir dont les capacités sont souvent supérieures à ce qu'ils en montrent. Avons-nous posé les bonnes questions ?
M. Jean-Pierre Sueur . - Ce débat illustre les dégâts de la procédure accélérée. Pour donner au recteur la possibilité de trouver une solution pour les étudiants qui n'ont pas de solution, vous avez, Madame la Ministre, introduit un amendement qui a ensuite été dénaturé par la CMP. En effet, dans la rédaction de celle-ci, le recteur décide dans la limite des capacités d'accueil décidées en amont. Il y a là une contradiction. Ainsi, le texte ne garantit aucunement que tous les étudiants trouveront une affectation. Des jeunes seront exclus et nous ne le voulons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
À la demande du groupe CRCE, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°63 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption25 | 0 |
Contre | 93 |
Le Sénat a adopté.
Le projet de loi est définitivement adopté.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Merci à la Haute Assemblée pour l'adoption définitive du texte. C'est très émouvant pour moi, mais c'est surtout essentiel pour les jeunes qui passeront leur baccalauréat dans les années à venir. Merci aux sénateurs qui ne pensent pas que l'origine modeste de leur famille empêche la réussite et qui conviennent que l'intelligence ne s'évalue pas à l'aune du compte en banque. Aidons l'ensemble des lycéens et bacheliers à réussir dans l'enseignement supérieur : tous y ont leur place à condition d'être accompagnés. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, Les Indépendants, UC et Les Républicains)
Prochaine séance mardi 20 février 2018, à 15 heures.
La séance est levée à 17 h 40.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus