Adaptation dans le domaine de la sécurité au droit de l'Union européenne (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la sécurité.
Discussion générale
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Ce projet de loi transpose deux directives européennes dans le domaine de la sécurité : celle du 6 juillet 2016 comportant des mesures pour un niveau élevé de sécurité des réseaux et systèmes d'information dans l'Union européenne, dite NIS, et celle du 17 mai 2017 sur l'acquisition et la détention d'armes.
Il tire enfin les conséquences de la décision n°1104/2011/UE sur l'accès au service public réglementé, lié au système satellitaire mondial issu du programme européen Galileo. En matière de transposition de directives, la marge de manoeuvre du Parlement est limitée.
En première lecture, le Sénat a surtout veillé au respect de la loi d'habilitation. L'Assemblée nationale a conservé la plupart de ses apports sous réserve d'ajouts rédactionnels.
L'article 6 restait en suspens sur la définition des opérations de sécurité essentielles (OSE). Nous avions soulevé un risque d'inconstitutionnalité au regard du principe de légalité des délits et des peines. L'Assemblée nationale a tenu compte de notre position et a revu la rédaction de l'article 6, ce qui lui a été rendu possible par la publication, après l'adoption par notre assemblée, des textes interprétatifs de la décision européenne.
De fait, il restait peu de points de désaccords en CMP portant sur les armes. L'Assemblée nationale avait en effet créé une nouvelle infraction pour la tentative d'acquisition, de cession et de détention illégale d'armes de catégorie C, afin de mettre notre droit en harmonie avec le protocole des Nations unies contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions. Notre commission y voyait un risque de cavalier car le texte d'habilitation n'allait pas aussi loin. La CMP a statué en faveur de la rédaction de l'Assemblée nationale car le sujet est connexe à celui du texte.
L'autre point problématique concernait les collectionneurs d'armes historiques. Le Sénat avait choisi de conserver ces armes en catégorie D, c'est-à-dire de libre détention et acquisition, tout en permettant au pouvoir réglementaire de surclasser les reproductions d'armes historiques plus dangereuses, car utilisant des techniques modernes.
L'Assemblée nationale a rétabli le texte du Gouvernement, suscitant l'émoi des collectionneurs qui sont, au demeurant des gens tout à fait honorables. La CMP a suivi le Sénat.
La CMP du 5 février a donc été conclusive avec un vote unanime.
Le Sénat est traditionnellement hostile à l'égard des surtranspositions. Toutefois, la nouvelle incrimination qui figure dans ce texte en est une chimiquement pure mais elle s'inscrit dans un esprit bienvenu et anticipe sur les évolutions nées de notre droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants)
M. Jean-Noël Guérini. - Bravo !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique . - Ce texte est un texte de transposition mais révèle aussi une prise de conscience des enjeux de sécurité.
La directive « NIS » nous protège collectivement en rehaussant les exigences de sécurité à l'égard des opérateurs d'importance vitale et des fournisseurs. Avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), nous réfléchissons à la définition des OSE. Je reviendrai vers vous pour faire le point.
Un Livre blanc a été publié hier pour faire le point sur l'état de la cybermenace. La directive NIS concerne aussi la protection des données et des systèmes d'information. Il importe que les entreprises prennent conscience du rôle qu'elles ont à jouer.
Le titre II renforce, après les attentats, les contrôles sur les flux d'armes à feu. Comme nous avions été à l'initiative de ce texte en Europe, après les tragiques attentats qui ont frappé la France en 2015, nous devions être exemplaires pour les délais de la transposition qui aura lieu six mois avant le terme !
Les ventes entre particuliers seront plus encadrées ; les armuriers devront vérifier avant livraison l'identité et le titre de détention de l'acquéreur et pourront refuser de vendre en cas de doute.
Le point le plus débattu - et pas le plus essentiel - a été le statut des armes de collection et des reproductions. La CMP a trouvé un compromis habile. Ces armes restent classées par la loi en catégorie D, à la satisfaction des collectionneurs, mais le pouvoir réglementaire pourra surclasser les reproductions à titre exceptionnel. Nous prendrons aussi rapidement les textes nécessaires sur la carte du collectionneur, autre question très sensible.
J'espère que vous voterez cet excellent texte. J'ai été très heureux de travailler avec votre rapporteur. (Applaudissements)
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Ce projet de loi intègre dans notre droit trois directives européennes très différentes. Au Sénat nous avions précisé la rédaction, sans remettre le fond en cause. Il fallait surtout éviter à la fois la sous-transposition et la surtransposition dont nous sommes coutumiers. Les enjeux : l'encadrement de la circulation des armes et la cybersécurité. Un des points de divergence a été le statut des armes de collection.
La CMP est parvenue à une rédaction de compromis en poursuivant le travail d'amélioration du texte : onze articles ont été adoptés dans la rédaction de l'Assemblée nationale, un dans celle du Sénat, cinq dans la rédaction de la CMP.
Elle a trouvé un compromis sur deux points en discussion du titre II, les articles 16 et 17. D'abord les armes historiques, classées par le législateur en catégorie D, tandis qu'un décret en Conseil d'État permet de statuer sur les reproductions.
La création d'une nouvelle incrimination sur l'achat illicite d'armes permet de respecter nos engagements internationaux.
Sinon, le texte n'est qu'une première étape pour renforcer notre cybersécurité.
Un Livre blanc a été publié. Nous y serons très attentifs car une stratégie européenne et nationale s'impose, en matière de cybersécurité. Normalisation européenne ne doit pas signifier certification par le bas.
Avec M. Danesi, nous dresserons, à la demande de la commission des affaires européennes, un état des lieux et proposerons des pistes pour parvenir à une certification efficace.
Le groupe SOCR votera ce texte qui marque un premier pas intéressant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur, applaudit également.)
M. Alain Marc . - (M. Loïc Hervé applaudit.) Ce projet de loi de transposition regroupe trois sujets distincts : la sécurité des réseaux et la lutte contre la cybercriminalité ; le contrôle de l'acquisition et de la détention des armes ; l'accès à Galileo.
Il fallait éviter à la fois la sous-transposition et la surtransposition.
La cybercriminalité ignore les frontières des États.
Les cyberattaques se multiplient ; songez que 80 % des entreprises européennes en auraient été victimes et que dans certains États membres, la cybercriminalité représenterait 50 % des infractions constatées !
Le coût est considérable : 250 millions d'euros environ pour l'attaque contre Saint-Gobain en août 2017 - mais les entreprises de taille plus modeste ne sont pas épargnées. Face à une criminalité sans frontières, une approche européenne est indispensable, fondée sur un socle de mesures de sécurité et de contrôle. Ce texte impose aux opérateurs d'identifier les risques essentiels, de prendre à leurs frais les mesures nécessaires et d'informer l'Anssi, qui assurera la défense contre les cyberattaques. Celle-ci est placée au coeur du dispositif.
L'Assemblée nationale a entendu les réserves du Sénat à l'article 6. Je m'en réjouis.
Sur les armes à feu, un compromis a été trouvé qui rassurera les collectionneurs : les armes de collection seront classées en catégorie D, tandis que leurs reproductions, plus dangereuses, pourront être surclassées. Le décret sur la carte du collectionneur sera publié au plus tard en septembre.
Enfin je salue les avancées sur Galileo, programme dans lequel la France a toujours investi et qui réduira la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Maryse Carrère . - Certaines mesures de surtransposition sont parfois nécessaires. C'est le cas ici sur les armes à feu ou Galileo.
Le travail du rapporteur - notamment ses clarifications sur l'article 6 - et la navette ont permis d'enrichir et de préciser le texte.
Ainsi l'article 6 dans sa rédaction initiale était contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
L'Assemblée nationale nous a entendus en précisant les domaines dans lesquels le Premier ministre fixera les règles de sécurité nécessaires. Tant mieux !
La cybercriminalité ne cesse de se développer, représentant dans certains États 50 % des infractions constatées !
L'Anssi joue un rôle fondamental. Or ce texte confie trop de prérogatives au Premier ministre ; il aurait été plus judicieux de les confier à l'Anssi. Celle-ci nous paraît suffisamment équipée pour exercer le contrôle des opérateurs de services essentiels. Les modalités de contrôle de l'application des normes ne sont pas satisfaisantes
Enfin, le régime de classement et d'acquisition des armes est simplifié et mieux contrôlé. Je me réjouis que nos représentants à la CMP aient fait un pas pour accepter la nouvelle incrimination en cas de tentative d'acquisition illégale d'une arme.
Les collectionneurs ont aussi été entendus.
Le groupe RDSE votera le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur, applaudit aussi.)
Mme Esther Benbassa . - Ce texte transpose la directive dite « NIS ». Des normes communes de cybersécurité sont créées et la coopération entre États est renforcée.
Il transpose aussi la directive sur les armes et les obligations prévues dans la décision sur l'accès au service public réglementé offert par Galileo.
Ce texte a fait l'objet d'un consensus. Espérons qu'il n'est pas simplement dû au peu de temps que le Parlement a eu pour examiner ces dispositions complexes à cause du choix de la procédure accélérée.
Les sujets auraient mérité chacun un texte ad hoc.
Le Sénat avait d'ailleurs souligné le risque d'inconstitutionnalité sur l'article 6, tout en estimant ne pas pouvoir aller plus loin faute d'informations. L'examen à l'Assemblée nationale a permis de lever les doutes. Voilà qui confirme tout l'intérêt de la navette parlementaire, à ceux qui en douteraient...
Restaient en discussion le statut des armes de collection et la nouvelle incrimination relative à l'acquisition et à la cession illégale d'armes, créée par l'Assemblée nationale, qui mettra la France en conformité avec le Protocole des Nations unies sur le sujet. La question du contrôle de l'acquisition des armes est importante et aurait mérité un texte à part. Nous regrettons que le texte ne vise pas le trafic d'armes.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - C'est vrai !
Mme Esther Benbassa. - Il faudra donc aller plus loin, pour continuer à lutter contre les lobbyistes des marchés d'armes. C'est donc avec un sentiment d'inachevé que le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur, applaudit aussi.)
M. Loïc Hervé . - Je tiens d'abord à féliciter notre rapporteur qui a su rendre accessible un texte aride et complexe.
C'est avec satisfaction que je constate que l'Union européenne s'émancipe un peu des États-Unis grâce à Galileo. L'ambition est belle.
Le texte qui nous est soumis pose aussi les bases d'une première tentative d'harmonisation en matière de cybersécurité. La réponse ne pouvait être nationale. Avec la multiplication des cyberattaques, la puissance publique devait réagir. Ainsi, les entreprises victimes d'attaques n'auront plus peur de le dire et d'aider l'Anssi à contrer le phénomène en jouant pleinement son rôle.
Nous avions exprimé nos doutes sur la constitutionnalité de l'article 6 : l'Assemblée nationale a évité l'écueil. La CMP, de son côté, a rassuré les collectionneurs qui peuvent continuer à vivre leur passion. Les armes historiques resteront dans la catégorie D, tandis que les reproductions améliorées pourront être surclassées.
La tentative d'acquisition et de cession illégale d'armes de catégorie C sera sanctionnée, ce qui est conforme à nos engagements internationaux.
La CMP a donc su trouver une rédaction équilibrée. Le groupe UC s'en félicite. Il faut maintenant passer aux textes à venir, notamment le projet de loi sur la protection des données personnelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
M. Alain Richard . - Nous devions transposer des directives européennes. Pour une fois, nous sommes dans les délais !
Le dispositif, fruit d'une longue concertation, était équilibré et compatible avec les exigences des entreprises et leur viabilité économique. Il fallait aussi trouver le bon équilibre pour les OSE et les fournisseurs d'accès à Internet.
La protection de nos systèmes économiques sera renforcée, sans altérer notre compétitivité. Nous observons une claire progression de l'intelligence économique et de la sensibilisation aux politiques de cybersécurité. Il faut souligner le rôle joué par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui organise la sécurité des services de l'État, mais qui sait aussi diffuser des compétences à l'extérieur, pour le secteur privé. Nous faisons donc du bon travail.
Deuxième élément : l'arrivée à maturité de Galileo, à la grande joie de ceux qui, dans un autre millénaire, ont peiné pour mobiliser des fonds publics qui étaient peu abondants. L'Union européenne a investi beaucoup d'argent public dans le doublement d'un système existant et gratuit, à partir de l'idée que l'Europe ne pouvait être absente de ces technologies, que c'était une question d'autonomie. À 20 ans, Galileo est arrivé à maturité. Le train arrive à l'heure.
La directive sur le contrôle des armes est une simple homogénéisation, non une mesure de lutte contre le trafic d'armes. Les possibilités d'interventions pénales contre la détention illicite d'armes ont été élargies, tout en protégeant les collectionneurs. En la matière, la France a rattrapé son retard en consolidant son système interne de contrôle des armes.
Rendons hommage au Gouvernement, aux acteurs économiques, ainsi qu'au Parlement et à son rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Philippe Bas, président de la commission des lois, et Philippe Bonnecarrère, rapporteur, applaudissent également.)
La discussion générale est close.
Explication de vote
Mme Brigitte Lherbier . - Je me félicite de l'accord trouvé en CMP. Comme le rapporteur l'a rappelé, deux points restaient en discussion : la directive sur les armes à feu de collection et l'incrimination de la tentative d'acquisition ou de cession illicite d'armes.
Nous permettons aux collectionneurs, grâce au pas réalisé par l'Assemblée nationale en direction du Sénat, de conserver ces armes en catégorie D tout en laissant la possibilité d'un surclassement réglementaire - par décret en Conseil d'État - des reproductions d'armes historiques. Je me réjouis que le ministère de l'intérieur ait annoncé l'adoption d'une carte de collectionneur.
Enfin, conformément aux souhaits du Sénat, l'Assemblée nationale a fait un pas sur les règles minimales en matière de protection des réseaux et systèmes d'information, en renforçant les garanties constitutionnelles et en précisant la liste des domaines concernés par les mesures de sécurité qui seront imposées aux opérateurs économiques essentiels.
Mes chers collègues, vous avez donc devant vous une sénatrice satisfaite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Prochaine séance demain, jeudi 15 février 2018, à 10 h 30.
La séance est levée à 16 h 40.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus