Création de l'établissement public Paris La Défense (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 3 mai 2017 portant création de l'établissement public Paris La Défense.
Discussion générale
M. Philippe Bas, en remplacement de M. Mathieu Darnaud, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Nous avons là un vrai texte de décentralisation : la ratification de l'ordonnance du 3 mai 2017 fusionne l'établissement de gestion et l'établissement d'aménagement en un seul, l'établissement public Paris La Défense, dont la gouvernance sera exercée majoritairement par les représentants du département des Hauts-de-Seine.
La Défense, premier quartier d'affaires d'Europe, devait franchir une nouvelle étape de son développement, au moment où le Brexit offre de nouvelles opportunités à la place de Paris.
La navette a amélioré le contenu de l'ordonnance, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2018 ; il faut féliciter notre rapporteur, Mathieu Darnaud, et Isabelle Florennes, rapporteur de l'Assemblée nationale, pour leur travail.
À l'initiative du Sénat, l'établissement public aura la propriété des parkings, avec les ressources afférentes ; à l'initiative de l'Assemblée nationale, il aura compétence en matière de sécurité des biens et des personnes ainsi qu'en matière de circulation routière et de propreté des voies et espaces publics.
L'accord trouvé en CMP lui permettra, dans certaines conditions, de créer des filiales et de participer à des sociétés publiques locales dans le cadre de la promotion du site de la Défense. Je vous propose en conséquence d'adopter les conclusions de la CMP.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires . - Nous revenons devant la Haute Assemblée après l'accord en CMP. Je salue le travail des rapporteurs, Mme Florennes et M. Darnaud, qui ont oeuvré pour trouver une solution consensuelle.
Nous avons repris un dossier largement engagé sous le précédent quinquennat, l'ordonnance ayant été signée le 3 mai 2017. Il s'agit d'une opération de simplification, regroupant l'établissement public d'aménagement de La Défense Seine Arche (Epadesa) et l'établissement public de gestion, Defacto, pour doter le quartier de La Défense d'une gouvernance à hauteur de son importance en Europe.
Fragilité de la dalle, dédale des parkings ont été maintes fois dénoncés. Ce texte permettra aux collectivités territoriales, dans un mouvement de décentralisation, d'assumer la responsabilité de la gestion et du développement du quartier d'affaires, sur lequel l'État gardera un oeil bienveillant.
J'ai entendu les inquiétudes de certaines communes qui craignent de n'être plus entendues. L'État, je vous rassure, veillera à l'équilibre général, s'agissant d'opérations d'intérêt national pour lesquelles les autorisations d'urbanisme sont déterminantes.
Je me réjouis qu'un consensus ait été trouvé. Ce dossier a généré trop de complexités sur les questions d'entretien, de surveillance ou de développement : il était temps de simplifier la gouvernance pour sortir des difficultés. Je vous invite donc à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Merci, Monsieur le Ministre.
M. Julien Bargeton . - Saluons la qualité du travail parlementaire dans la clarification du périmètre d'intervention du nouvel établissement public et dans le partage des responsabilités entre l'État aménageur et les collectivités territoriales gestionnaires. Quand on veut se mettre d'accord, on peut !
Ce texte regroupe les deux établissements publics en une structure décentralisée, pour un pilotage unifié du quartier d'affaires, assis sur une coopération territoriale approfondie, laissant une latitude appréciable aux collectivités pour les modalités pratiques de gouvernance. Modernisation et sécurisation du quartier historique, rénovation des accès et ouverture sur les territoires environnants seront les priorités.
Une stratégie de développement pluriannuel, financée à hauteur de de 360 millions d'euros sur dix ans par les collectivités, épaulera cette gestion coopérative. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales trouve ici une heureuse application.
Les points litigieux - périmètres d'intervention, capacité à créer des filiales et à perdre des participations - ont fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées. Il faut en remercier le rapporteur Darnaud, qui a abattu un important travail, notamment sur l'article 3 qui permet à l'établissement public de recourir à des filiales, dans certaines conditions, pour engager une politique d'attractivité.
C'est avec la conscience de répondre à une forte attente des territoires que le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Pierre Ouzoulias . - Ce projet de loi vise à ratifier l'ordonnance du 3 mai 2017, déposé sur le bureau du Sénat le 10 mai, quelques jours avant la fin de la précédente mandature...
La gestion unique met fin à une pluralité d'intervenants jugée préjudiciable à la gouvernance du quartier. Le Gouvernement entendait confier le pilotage et le financement aux collectivités territoriales, avec l'ambition, selon les conclusions d'un rapport rendu par les préfets d'Île-de-France et des Hauts-de-Seine, de « réinventer le modèle de La Défense pour rassembler tous les acteurs ».
Le texte issu de la CMP est loin de cette première intention, puisque le conseil départemental des Hauts-de-Seine sera majoritaire au conseil d'administration. Il a d'ailleurs d'ores et déjà désigné ses neuf membres, tous issus de son exécutif.
Cette prépondérance n'est pas sans poser quelques problèmes. Outre les 160 hectares du quartier d'affaires historique, le nouvel établissement reçoit aussi les attributions exercées par l'Epadesa sur un territoire de 400 hectares, essentiellement sur la commune de Nanterre. Or le texte ne définit pas les formes de la collaboration entre le département des Hauts-de-Seine et la commune de Nanterre : celle-ci serait subordonnée à une autre collectivité territoriale sur un tiers de son territoire... Il aurait mieux valu encadrer par des règles claires les relations entre les deux entités.
Le quartier d'affaires de La Défense, quatrième mondial, est le fer de lance de l'attractivité de la région capitale, et le contexte post-Brexit nous pousse à nous interroger sur sa capacité à accueillir de nouvelles activités. Le président de la République fera bientôt des annonces. Il aurait été bon d'attendre de voir comment les choses vont tourner.
On peut se demander, cum grano salis, ce qu'il adviendra de cette construction si le département des Hauts-de-Seine disparaît dans le Grand Paris, par exemple...
M. Philippe Dallier. - C'est un leurre !
M. Pierre Ouzoulias. - Plus généralement, un examen comparatif des solutions mondiales montre que la coopération entre collectivités est privilégiée pour gérer ce type de quartier, l'entité régionale assurant la coordination. Le département est-il le bon niveau ? On peut en douter.
Un débat étant en cours et un meilleur équilibre paraissant souhaitable, le groupe CRCE estime qu'il est urgent d'attendre avant de sceller le destin du quartier de La Défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Hervé Marseille . - Sauf le nom, qui rappelle la défense de la capitale en 1870 contre l'avancée des troupes prussiennes venant de Rueil-Malmaison, tout commence en 1956 avec le Centre des nouvelles industries et technologies (CNIT), conçu par Bernard Zehrfuss en 1956 et inauguré par le Général de Gaulle en septembre 1958. Puis ce fut l'Établissement public pour l'aménagement de la région de La Défense (EPAD), avant le projet de l'Arche de la fraternité du président Mitterrand en 1982, cette Grande Arche que l'on voit de la place de l'Étoile.
La Défense est le premier quartier d'affaires européen, le quatrième au plan mondial, un bassin d'emploi de 1,5 million de personnes. Pendant soixante ans, l'État aménageur n'a pas fait son devoir : les quatorze tunnels ne sont pas aux normes européennes, la dalle est fragilisée, certaines parties du sous-sol sont à l'abandon et squattées, la circulation est complexe, l'accès est décourageant.
Le succès de la CMP est une bonne nouvelle pour l'attractivité de la région capitale. Dans le contexte du Brexit, La Défense, avec ses 250 000 mètres carrés de bureaux disponibles et autant en construction, attire des grands groupes européens - qui auraient pu être tentés par Francfort ou Berlin... La décentralisation est aussi une bonne nouvelle car l'État, s'il est bon initiateur, est piètre gestionnaire. Il faudra rénover, faire de ce quartier un lieu attractif pour les investisseurs et les habitants. C'est ce à quoi s'emploieront les collectivités territoriales. Je suis convaincu qu'elles sauront s'entendre, comme elles l'ont déjà fait pour la U Arena, Monsieur Ouzoulias.
Le groupe UC votera avec satisfaction les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants ; M. Philippe Bas applaudit également.)
M. Xavier Iacovelli . - La Défense représente 150 000 emplois et 3,2 millions de mètres carrés de bureaux. À l'aube du Brexit, le quartier d'affaires fait l'objet d'une réforme en profondeur. La gouvernance bicéphale de l'Epadesa et de l'établissement gestionnaire Defacto était en effet à bout de souffle. Il fallait innover pour consolider son rang. Ne nous y trompons pas : l'enjeu, plus que départemental, est métropolitain, régional et national.
Mais il ne doit pas conduire à sacrifier la concertation démocratique sur l'autel de l'efficacité. Il faudra mieux associer les collectivités territoriales, à commencer par les communes.
C'est le point de désaccord entre nous. D'abord, l'article 4 ne respecte pas la pluralité : 9 des 17 membres du conseil d'administration sont issus du Conseil départemental, aucun à l'opposition.
En outre, l'article 2 dispense l'établissement public de l'obligation de passer par des conventions d'aménagement avec les communes lorsqu'il intervient hors de son périmètre historique - contrairement à ce qu'avait annoncé le précédent Gouvernement, en mai 2016. Seul un avis consultatif sera requis... Hors ce périmètre non exclusif représente un tiers de la ville de Nanterre ! Quel maire accepterait de ne pas avoir son mot à dire sur son propre territoire ? La présidente Primas le disait sur Public Sénat récemment : pour le Sénat, la commune est la cellule de base de la démocratie.
Enfin, confier de telles compétences au département va à l'encontre de la promotion des métropoles prônée par le président de la République, qui parlait pendant la campagne électorale de supprimer un quart des départements... En cas de suppression du département dans le cadre du Grand Paris, quelle entité sera chargée de la gouvernance du quartier d'affaires ?
M. Philippe Dallier. - La métropole !
M. Xavier Iacovelli. - Ne pouvons-nous attendre pour avoir une vision de long terme ? À quoi sert la métropole si elle n'est pas compétente pour gérer le plus grand quartier d'affaires d'Europe ?
La Cour des comptes elle-même juge la décentralisation trop rapide.
Le Conseil d'État, saisi par le comité d'entreprise de l'Epadesa, se prononce aujourd'hui même sur un éventuel vice de procédure tenant à l'absence de consultation des communes. Allons-nous barrer la route au juge administratif suprême ? La création d'un tel établissement public ne peut se faire dans la précipitation et l'absence de concertation. Vu le blocage de la majorité de l'Assemblée nationale et l'absence de clarification de la part du Gouvernement, le groupe socialiste s'opposera à l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Jérôme Bignon . - L'article 55 de la loi du 28 février 2017 a habilité le Gouvernement à créer par ordonnance un établissement public unique, compétent pour l'aménagement, la gestion et la promotion du quartier d'affaires de La Défense. Nous saluons l'unification des compétences qui facilitera la gestion du quartier et rendra à La Défense la mission offensive qui a permis, il y a 60 ans, de lancer ce qui est devenu le premier quartier d'affaires européen. J'étais ce matin même dans ce quartier, magique sur le plan urbanistique, grouillant d'activité... C'est un émerveillement.
Le conseil d'administration sera composé de 17 membres, dont 15 représentants des collectivités territoriales. Nous espérons que cette représentation accrue des collectivités territoriales s'accompagnera d'une meilleure coordination avec l'État et mettra un terme à des désaccords source de fragilités et de lenteurs.
Puisse cette nouvelle gouvernance être l'ébauche d'une équipe de France soudée autour de la promotion de l'excellence à la française !
La CMP a simplifié et mieux défini les périmètres en débat, grâce à l'action de Mathieu Darnaud, en en retenant deux. Des compétences nécessaires à la bonne gestion ont également été accordées au nouvel établissement : vidéo-protection, propreté de la voirie, gestion des déchets.
Nous estimons que l'État a toute sa place dans la gouvernance du futur établissement public ; il doit pouvoir s'opposer aux décisions ayant un impact patrimonial ou portant atteinte aux intérêts nationaux.
La nouvelle rédaction est équilibrée : le groupe Les Indépendants la votera. (MM. Philippe Bas et Sébastien Meurant applaudissent.)
M. Jacques Mézard, ministre . - Je remercie les intervenants.
Monsieur Ouzoulias, j'entends vos observations, qui relaient les craintes de la commune de Nanterre. Je le redis, l'État sera attentif à ce que les équilibres soient préservés.
Monsieur Iacovelli, qui est allé trop vite ? Il ne s'est rien passé pendant quatre ans, puis tout s'est accéléré à la dernière minute, avec un texte sur Paris en février 2017, puis une ordonnance le 3 mai, transmise le 10 au Sénat de la République...
Dès l'ordonnance du 3 mai, il était prévu que le département des Hauts-de-Seine soit majoritaire au conseil d'administration. Il n'appartient pas au législateur de dire combien de membres de la majorité et de l'opposition doivent y siéger - ce ne serait d'ailleurs guère constitutionnel. L'État entend que l'intérêt national soit préservé, c'est pourquoi il s'est réservé le droit de demander une seconde délibération. L'équilibre trouvé est raisonnable.
Quant à surseoir tant que le Grand Paris n'aura pas abouti, je disconviens : à constamment attendre une réforme à venir, rien ne se fait jamais. Nous en avons suffisamment pâti ces dernières années.
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Les conclusions de la CMP sont adoptées et le texte est définitivement adopté.
La séance, suspendue à 15 h 40, reprend à 15 h 45.