SÉANCE
du jeudi 23 novembre 2017
22e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président
Secrétaires : Mme Annie Guillemot, M. Michel Raison.
La séance est ouverte à 11 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Projet de loi de finances pour 2018
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2018, adopté par l'Assemblée nationale.
Discussion générale
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances . - Vous transmettrez au rapporteur général tous mes souhaits de prompt rétablissement.
Ce projet de loi de finances pour 2018 est le premier du nouveau quinquennat. Il traduit la stratégie économique du nouveau Gouvernement et s'inscrit dans la volonté du président de la République, annoncée pendant sa campagne, de transformer le modèle économique de notre pays.
La reprise mondiale se confirme avec une croissance de 3,6 % pour 2017, qui se poursuivra sans doute en 2018. Le continent européen est dans le peloton de tête avec une croissance de 2 % en moyenne cette année dans l'Union monétaire.
Les principaux indicateurs économiques se redressent : création de 300 000 emplois marchands, rythme soutenu de l'investissement et de la création d'entreprise, retour de la confiance chez les entrepreneurs. J'estime que la croissance française est désormais solide.
Dans cette conjoncture favorable, nous voulons transformer le modèle économique de notre pays : parce que les choses vont mieux, permettons au pays d'exploiter ses atouts.
La réforme du marché du travail, ce budget, la réforme de la formation professionnelle et demain celle de l'assurance-chômage, y concourent. La détermination du président de la République, du Premier ministre et de tout le Gouvernement à aller jusqu'au bout de la transformation nécessaire, est totale. Le monde, la Chine, les puissances de demain, ne nous attendront pas. Si nous ne saisissons pas notre chance, nous serons rejetés aux marges.
Première exigence : permettre à nos entreprises d'investir, et pour cela, leur rendre de la profitabilité en allégeant la fiscalité sur le capital. Les solutions du passé, la redistribution avant la création de richesses, cette stratégie a échoué. Regardez les taux vertigineux d'imposition sur le capital : 62 % sur les intérêts, 44 % sur les dividendes, contre 26 % en Allemagne ! Comment investir avec un tel boulet aux pieds ? Sans capital, pas d'investissement ; sans investissement, pas d'innovation ; sans innovation, pas d'emplois.
Nous renverserons la dynamique. Nous voulons rompre avec des habitudes qui ont affaibli les Français et la souveraineté de la France. Pour alléger la fiscalité sur le capital, nous avons pris une décision historique, en mettant en place le prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % sur tous les revenus du capital. 80 % des pays européens ont déjà une fiscalité proportionnelle de ce type.
Pour récompenser le travail, nous renforcerons aussi l'épargne salariale. Il faut redonner sa valeur au travail. Car travail et capital vont de pair : il faut à la fois alléger la taxation du capital pour ne pas le faire fuir dans un monde où il est de plus en plus mobile ; et redonner sa valeur au travail. (M. Jean-Paul Émorine approuve.)
Tous les Français doivent percevoir la récompense de leurs efforts. Nous préserverons les produits d'épargne populaire plébiscités par les Français : livret A, livret de développement durable resteront entièrement défiscalisés pour les ménages français. Nous maintenons les avantages des produits fortement investis en actions comme le PEA, par cohérence avec le besoin de financement de notre économie.
S'agissant de l'assurance-vie, seuls les futurs versements et les encours supérieurs à 150 000 euros seront concernés par les mesures nouvelles, soit 6 % des contrats. Le prélèvement forfaitaire unique (PFU) demeure une option : les contribuables préférant choisir le barème peuvent continuer à être imposés sur ce fondement si cela est plus avantageux pour eux.
Nous supprimons l'ISF (Mme Christine Prunaud le regrette.) car il faut attirer les investisseurs européens, récompenser le risque. Arrêtons avec l'idéologie, regardons ce qui marche ! C'est une manière de respecter le travail des Français et le goût du risque.
Chacun sait que notre tissu de PME est trop fragile, qu'elles dépendent trop de la dette ; redonnons-leur du capital pour conquérir les marchés qui fourniront de la croissance à la France et des emplois aux Français. Pourquoi, en lieu et place de l'ISF, créer un impôt sur la fortune immobilière (IFI) ?
Parce qu'un euro investi dans l'immobilier, ce n'est pas la même chose qu'un euro investi dans nos entreprises. L'IFI ne fera aucun perdant. Il aura les mêmes caractéristiques que l'ISF sur l'immobilier : l'abattement de 30 % sur la résidence principale est conservé. On viserait les classes moyennes ? Mais nous n'avons pas les mêmes définitions de la classe moyenne ! L'IFI concerne les biens immobiliers de plus de 1,3 million d'euros, avec un abattement de 30 %, donc il touchera ceux qui possèdent une maison de plus d'1,7 million d'euros...
L'exonération de la plus-value sur la vente de la résidence principale, le prêt à taux zéro, les dispositifs Pinel, dont bénéficie le secteur du logement, seront pérennisés. On nous accuse d'instaurer un système plus inégalitaire. Je crois exactement le contraire.
Je n'accepte pas que l'on prétende que le budget du président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement serait un budget pour les riches (Murmures sur certains bancs des groupes SOCR et CRCE) : c'est un budget pour les Français, pour le travail, pour l'emploi.
La première des inégalités, c'est le chômage. La meilleure arme contre le chômage, c'est la récompense de l'effort, celle des salariés, de ceux qui travaillent, prennent des risques, c'est la souveraineté financière d'une Nation qui cesse de taxer et qui permet de créer des richesses.
Je rappelle que 66 % de la redistribution provient des prestations sociales, que 10 % des contribuables paient 70 % de l'impôt sur le revenu. Regardons l'ensemble de l'architecture de notre modèle social.
Nous baisserons l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % d'ici la fin du quinquennat. Nous abaissons les charges sur les entreprises de 11 milliards. C'est un choix structurant, que nous revendiquons. Nos entreprises doivent redevenir profitables. Leur taux de marge s'est redressé, mais pas suffisamment. Nous commencerons avec un taux de 28 % dès 2018 sur la fraction de bénéfice inférieure à 500 000 euros. Nous baisserons ensuite le taux à 31 % pour tous les bénéfices à partir de 2019, tout en maintenant le taux de 28 % pour les bénéfices inférieurs à 500 000 euros.
Ce sera ensuite 28 % en 2020 pour tous les bénéfices, 26,5 % en 2021 et 25 % en 2022, soit le taux le plus faible depuis plusieurs décennies. Le taux réduit de 15 % pour les PME, qui ont le plus besoin de notre soutien, sera maintenu.
Je n'évoquerai pas à nouveau la contribution exceptionnelle, qui ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, parce qu'elle est... vraiment exceptionnelle. (Marques d'incrédulité sur certains bancs du groupe Les Républicains) Pour 2007, point barre ! Puis nous retrouverons le cap du soutien à nos entreprises.
Nous transformons le CICE en allégement de charges pérenne, avantage fiscal considérable. Il passe de 7 % à 6 % en 2019, mais la même année ce sont plus de 24 milliards d'euros d'allégements dont bénéficieront ces entreprises !
Le président de la République a souhaité ouvrir le débat de l'allégement des charges au-dessus de 2,5 SMIC. C'est un changement majeur car il faut, au-delà de l'emploi, réfléchir à la compétitivité de notre industrie.
N'oublions pas que nous avons perdu 1,4 million d'emplois en vingt-cinq ans dans l'industrie. Celle-ci représentait 25 % de notre PIB il y a vingt-cinq ans, contre 13 % aujourd'hui. Le statu quo n'est pas une solution. Le redressement passe par l'allégement des charges sur les plus qualifiés. Nous le ferons après que les comptes publics auront été redressés.
Le CIR, efficace, sera renforcé. Un fonds de 10 milliards, financé par des cessions d'actifs, sera créé pour investir car il vaut mieux investir qu'entrer au capital d'entreprises que nous ne contrôlons pas pour toucher des dividendes.
Je suis prêt à une évaluation d'ici deux ans de notre politique fiscale. La mission qui en aura la charge sera composée de parlementaires, de membres de la Cour des comptes, de représentants des administrations compétentes - Trésor et Insee, de personnalités qualifiées - et pourquoi pas d'entrepreneurs ? Ils examineront les effets de notre réforme sur l'orientation de l'épargne des Français, sur l'investissement des entreprises, sur l'attractivité du territoire, sur l'emploi et sur les inégalités de revenus et de patrimoine. Elle examinera les effets de notre politique sur l'emploi, la compétitivité, les inégalités, le pouvoir d'achat. Nous rendrons des comptes, assumerons avec honnêteté les effets de notre politique.
Nous travaillerons avec les banques pour améliorer les produits qu'elles proposent à leurs clients. Un travail a été lancé sur ce thème par des députés dont Amélie de Montchalin. Un premier rapport sera remis l'an prochain.
J'ai lu comme vous hier les remarques de la Commission européenne sur les déficits et la dette. Je veux redire ici la détermination totale du président de la République, du Premier ministre, de l'ensemble du Gouvernement, à tenir nos engagements européens. Nous serons sous les 3 %, limite que nous avons nous-mêmes choisi de respecter.
La France qui se moque de ses engagements européens, c'est fini ! La France qui balaie les critiques de ses partenaires, c'est fini. La France qui ne se soucie pas de bien tenir ses finances publiques, c'est fini. La France qui vote des budgets insincères, c'est fini. (Murmures sur les bancs du groupe SOCR, ainsi que sur quelques bancs du groupe CRCE) La France qui ment, c'est fini. (Murmures croissants sur la plupart des bancs, sauf sur ceux du groupe LaREM) La France qui trompe, la France qui triche, c'est fini ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOCR, quelques sifflets sur les bancs du groupe Les Républicains, applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Didier Guillaume. - Attention aux mots trop forts qui peuvent blesser !
Mme Sophie Taillé-Polian. - Oui, parce qu'ils sont excessifs !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous avons dû absorber, dès 2017, 8 milliards d'euros de dépenses dont nous avons hérité et qui n'avaient pas été budgétées. (Murmures sur les bancs du groupe SOCR) Le contentieux de la taxe de 3 % sur les dividendes, à hauteur de 10 milliards d'euros, s'y est ajouté. C'est ce fardeau de 18 milliards d'euros qu'il nous a fallu intégrer à nos comptes pour 2017.
Je ne suis pas là pour juger. (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe SOCR) Mais je le redis : un fardeau de 18 milliards pèse sur nos comptes. Malgré cela, nous respecterons nos engagements. (M. Martin Lévrier applaudit, ce que l'on observe avec ironie sur certains bancs des groupes SOCR et Les Républicains.)
La Commission européenne a confirmé que nous sortirons en 2018 de la procédure pour déficit excessif dans laquelle nous sommes depuis 2009.
Je le redis, je ne juge personne, je ne suis pas là pour évaluer le passé... (Exclamations sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-François Husson. - Retirez vos propos alors !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous vous proposons de sortir de la procédure de déficit excessif et comptons sur votre soutien. Nous vous avons proposé, dans des délais très courts, une loi de finances rectificative pour tenir compte de la taxe à 3 %, les obligations européennes nous imposant de réduire graduellement notre déficit structurel. Cette baisse sera de 0,1 % en 2018. La Commission européenne a une autre appréciation, mais il est arrivé que notre jugement se révèle plus proche de la réalité que le sien. Nous en discutons avec elle, pour faire converger nos chiffres.
La Commission doit aussi prendre en compte les réformes structurelles engagées sur la fiscalité, la formation professionnelle, l'assurance-chômage, etc. En respectant nos engagements européens, nous restaurons la crédibilité de la parole de la France en Europe. Grâce à cela, le président de la République a obtenu une révision de la directive sur les travailleurs détachés, et a ouvert le débat sur la taxation juste et équitable des géants du numérique qui opèrent en France et en Europe...
M. Didier Guillaume. - C'est bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Sur ce point, nous ne lâcherons rien, car la situation est injuste pour les autres entreprises. (Applaudissements et marques d'approbation sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
Nous sommes également déterminés à lutter contre le dumping fiscal et social. Certains pays objectent : « C'est notre modèle ». Mais pas plus que le modèle français de dépenses publiques élevées, le dumping fiscal, ni le dumping social ne peuvent être des modèles pour l'Europe. Parce que nous avons entendu nos partenaires européens, nous avons fourni des efforts, nous baissons le taux de l'IS, créons le PFU. Ce n'est que si chacun fait des efforts que tous les citoyens européens bénéficieront pleinement de l'Europe.
Nous transformons notre modèle économique pour que tous les Français bénéficient des résultats que nous obtiendrons. Le travail doit payer pour tous les Français. Les salariés verront leur salaire augmenter grâce à la suppression des cotisations chômage et maladie. Les indépendants auront accès à un régime simplifié.
Je vous engage à compléter votre lecture du projet de loi de finances par celle du projet de loi de financement de la sécurité sociale, présenté par Agnès Buzyn et Gérald Darmanin. Celui-ci contient un rehaussement du minimum vieillesse, de l'AAH, des mesures pour les familles monoparentales. Avec le plan d'accès territorial aux soins, nous protégeons les Français les plus fragiles car on peut concilier croissance économique et réduction des inégalités. C'est même en retrouvant la croissance que nous y parviendrons.
J'ai réuni au ministère des chercheurs et des entrepreneurs pour réfléchir ensemble à la lutte contre les inégalités. Comment faire en sorte que la nouvelle économie n'entraîne pas une hausse des inégalités ? Comment l'Europe peut-elle retrouver sa place demain dans le monde alors que les cinq GAFAM sont américains et deux autres géants du numérique sont chinois ? Comment éviter la division des pays entre ceux qui deviennent toujours plus riches et ceux qui s'appauvrissent ?
M. Éric Bocquet. - C'est mon propos !
Mme Sophie Taillé-Polian. - Attendez et écoutez nos propositions !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Ce n'est certainement pas en distribuant l'argent que nous n'avons pas que l'on y parviendra ! (Protestations sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Paul Émorine. - Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. - En agissant comme nous nous y efforçons, en vous présentant ce budget au service de nos priorités, nous voulons rendre à la France sa voix en Europe et dans le monde, celle de la justice et de la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - J'ai à mon tour une pensée pour Albéric de Montgolfier, à qui je souhaite un rapide rétablissement.
Le projet de loi de finances s'inscrit dans le prolongement de la loi de programmation des finances publiques.
J'évoquerai quatre points. La « sincérisation » du budget, tout d'abord. Je sais et j'apprécie combien le Sénat est attaché à la sincérité des comptes publics. Il reste du travail à faire tant la marche est haute. Vos rapporteurs, le Haut Conseil des finances publiques ou la Commission européenne, ont salué notre effort. La Cour des comptes a relevé une sous-budgétisation de 7 milliards d'euros, concernant des dépenses « de guichet » - AAH, allocations logement - mais aussi des budgets insincères - ministère de l'agriculture - dans le budget précédent. Nous rebudgétons donc 7 milliards Il est normal de cesser cette pratique et de fournir des chiffres crédibles au Parlement qui contrôle les comptes. Je serai ouvert à toute proposition à cet égard.
Je plaide pour une révision de la procédure d'examen parlementaire du budget et je souhaite consulter les présidents Larcher et de Rugy. Ne serait-il pas opportun d'examiner ensemble les volets recettes du projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances ? Pour les Français, elles sortent de la même poche !
De même, est-il bon pour la démocratie de passer des semaines, des mois d'automne à débattre et voter des crédits, pour expédier en une demi-journée estivale la discussion de la loi de règlement ? Peut-être un peu moins de débat budgétaire a priori, un peu plus de contrôle de l'action budgétaire a posteriori ou en train de se faire, seraient utiles. Je souhaite donc un travail avec vos commissions des finances, avec vos rapporteurs spéciaux plus fréquent, plus en amont et plus en aval.
Nous voulons limiter la croissance de la dépense publique. Essayons de tenir la promesse du Premier ministre, dans son discours de politique générale, de la limiter, voire de la diminuer ! Un éditorialiste écrivait ce matin, dans Les Échos, que la France était droguée aux dépenses publiques. La hausse de ce projet de loi de finances sera de 0,5 %. C'est toujours trop, c'est plus de zéro, mais c'est tout de même deux fois moins que ces deux dernières années et cela montre le courage du Gouvernement. Trop de dépenses publiques, c'est trop de fiscalité, trop de déficit et trop de dettes. Nous voulons renverser cette dynamique : diminuons les dépenses pour réduire la fiscalité, baisser le déficit, contracter la dette.
Dernier point, les collectivités territoriales. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous proposons une autre relation entre État et collectivités territoriales. Les élus souhaitent que l'effort des collectivités territoriales soit proportionné à leur part dans la dépense publique. C'est vrai qu'elles ont fait un effort important...
M. Philippe Dallier. - C'est bien de le reconnaître !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Oui, puisque nous ciblons une augmentation de 1,2 % des dépenses, soit le double de la progression des dépenses de l'État. Au total, les efforts obtenus seront dus pour un sixième aux collectivités locales et pour un cinquième à l'État.
Il est vrai que la nature des dépenses de l'État et celle des collectivités territoriales n'est pas la même. La voie choisie est celle de la contractualisation avec les collectivités territoriales. Seules les dépenses de fonctionnement seront visées par l'investissement. Les élus seront ainsi maîtres de gérer leur GVT. Nous n'augmentons pas le point d'indice et rétablissons le jour de carence, conformément aux attentes des élus.
La réforme des collectivités locales est fondée sur la confiance. Au total, les dotations augmentent légèrement, la DETR et DSIL sont maintenues à leur niveau et la dynamique de baisse est stoppée.
Pour la première fois, une ligne budgétaire, de 700 millions d'euros, est dédiée à la transformation numérique de l'État et des services publics. Aux mesures uniformes, nous préférons une réflexion, ciblée, au cas par cas. Trois grandes transformations de nos politiques publiques sont prévues. Sur le logement d'abord : 40 milliards d'euros sont dépensés chaque année. Or nous avons encore 4 millions de mal-logés.
Sur le travail ensuite, la formation professionnelle, qui sera rendue plus qualifiante, et les emplois aidés diminués. Sur les transports enfin, car il faut comprendre que la suppression de l'écotaxe a réduit les recettes. Mais ce n'est pas parce qu'un budget baisse qu'il est mauvais ! Nous augmentons ceux des priorités régaliennes : les armées, avec une hausse sans précédent depuis le général de Gaulle, l'Intérieur, la Justice, de même qu'une augmentation sans précédent depuis les années quatre-vingts concerne l'Éducation nationale et les Universités qui accueillent 40 000 étudiants de plus cette année.
D'autres ministères ont lutté contre leur inertie tendancielle à la hausse et viendront vous convaincre, s'il était besoin, qu'il n'est point nécessaire d'augmenter son budget pour progresser... (Sourires)
Enfin, la question du pouvoir d'achat. Le dégrèvement de la taxe d'habitation concernera 80 % des Français. Même s'il baissera pour 10 millions de nos concitoyens, gagnant moins de 2 500 euros par personne, cet impôt restera injuste et 20 % le paieront toujours.
M. Philippe Dallier. - En effet !
M. Gérald Darmanin, ministre. - La fiscalité locale devra être reconsidérée. Voilà quarante ans que les valeurs locatives n'ont pas été revues. Et il y aurait urgence ? Nous ne saurions le faire en quelques mois ! De même la fiscalité sur les valeurs locatives des locaux commerciaux est complexe ! En moyenne, grâce à cela, les Français gagneront ainsi 200 euros par an.
L'AAH et le minimum vieillesse augmenteront aussi. Le Gouvernement sera ouvert à toutes les propositions du Parlement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)
M. le président. - Je salue la présence sur nos bancs de M. le président Larcher.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - La commission des finances a décidé ce matin que M. Longuet s'exprimerait en remplacement de M. de Montgolfier à qui je souhaite un prompt rétablissement.
M. le président. - Je m'associe à ce souhait.
M. Gérard Longuet, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - J'ai une pensée pour Albéric de Montgolfier, dont je partage les convictions, mais pas l'aisance sur ces questions, ce dont je vous prie de m'excuser. Les indicateurs économiques se sont améliorés. L'économie européenne va mieux. Nous pouvons espérer une croissance de 1,7 %, de meilleures recettes fiscales et voir le déficit passer sous la barre des 3 %.
Le rapporteur général ne conteste pas les prévisions macro-économiques. Vu ce contexte porteur, on peut toutefois s'étonner que le déficit structurel ne baisse pas plus, de 0,1 % seulement. Avec un déficit courant proche des 3 %, nous resterons le mauvais élève de l'Europe, et la dette ne diminuera pas.
La Commission européenne nous a d'ailleurs adressé une petite remontrance vigilante. Beaucoup d'efforts sur la dépense publique sont reportés en fin de mandat. Le Gouvernement rompt avec le matraquage fiscal ! On ne peut s'en plaindre. Le PFV est bienvenu et renforcera notre attractivité.
J'en viens aux points de divergence. D'abord, vous continuez à matraquer les familles, on le voit sur la prestation d'accueil du jeune enfant. Aussi proposerons-nous de relever le plafond du quotient familial pour enfin envoyer un signal positif aux familles.
Deuxième élément : l'innovation. Le rapporteur général conteste non l'existence de rentes immobilières. Encourager l'investissement mobilier est une bonne chose pour attirer les investisseurs, mais ce que vous faites sur l'immobilier méconnaît la réalité même de notre pays et risque de casser le léger renouveau.
Troisième désaccord : la hausse de la fiscalité sur l'énergie, car elle pénalisera les nombreux Français qui ont besoin du diesel pour aller travailler, tout simplement, parce qu'ils habitent loin des réseaux de transports en commun.
Le ministre du budget souhaitait stabiliser la dépense publique en volume. Initialement, l'objectif était une baisse de 20 milliards d'euros par rapport à l'évolution tendancielle. Finalement, la baisse ne sera que de 14 milliards : c'est dire quel cas vous faites de la baisse des dépenses publiques - et vous en faites supporter le principal sur les collectivités locales.
Vous plafonnez à 0,5 % la progression des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, c'est en contradiction flagrante avec leurs missions sociales. Quant à la maîtrise des dépenses sociales, vous l'engagez avec le PFLSS mais sans identifier ni flécher précisément les économies : vous risquez d'en rester au voeu pieux.
Il y a un progrès, cependant, sur la sincérité des prévisions - vos quelque 4,2 milliards d'euros de rebasage démontrent au passage l'ampleur des turpitudes du Gouvernement précédent, que nous dénoncions à l'époque et qui avaient motivé notre refus de voter le budget.
Seules trois missions voient leurs crédits baisser de plus de 100 millions. Travail et emploi d'abord, avec une baisse de 1,5 milliard d'euros. Sur les emplois aidés, nous ne contesterons pas l'analyse - ils ne sont pas ma solution durable -, mais la brutalité de la décision qui pose des problèmes sérieux à la vie locale et associative. Même chose sur la baisse de 1,7 milliard à la cohésion des territoires, qui va poser des problèmes insolubles. Il est certes toujours difficile de réduire les dépenses publiques (On ironise sur les bancs socialistes.), mais sur le logement par exemple, il aurait été bon de réfléchir à des solutions globales plutôt que de donner des coups de pied dans la fourmilière.
Vous ne faites ainsi rien de significatif sur la masse salariale des fonctionnaires, qui va continuer à progresser. Emmanuel Macron candidat avait annoncé une baisse d'effectifs de 50 000 fonctionnaires d'État sur les 2,2 millions que compte notre pays, ce sera 1 600 équivalents temps plein pour l'an prochain, soit le huitième à peine de l'engagement pris. C'est pourquoi la commission des finances proposera d'augmenter le temps de travail dans la fonction publique, pour le faire converger avec le privé, et nous vous proposerons également de porter le délai de carence de un à trois jours, ce qui augmentera mécaniquement la force de travail dans le secteur public.
Votre réforme de la taxe d'habitation, enfin, est injuste et précipitée. D'abord parce que vous reportez aux calendes grecques la révision des valeurs locatives, vétustes, alors qu'on aurait pu attendre d'un gouvernement qui se dit « en marche » qu'il fasse quelque chose sur ce sujet devenu un vrai serpent de mer. Injuste, parce que comme l'ont établi les services de la commission, votre réforme va faire que dans quelque 3 200 communes, il n'y aura plus, au maximum, que cinq contribuables qui acquitteront cette taxe - et parfois un seul : imaginez le climat d'injustice que propagera cette décision ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains).
M. Julien Bargeton. - C'est déjà le cas dans bien des communes !
M. Gérard Longuet, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier rapporteur général. - Les quelque 20 % de contribuables qui paieront la taxe d'habitation, acquittent déjà 80 % de l'impôt sur le revenu... Sans compter que 22 milliards de taxe d'habitation, cela représente un tiers des recettes du bloc communal. Vous dites que l'exonération de taxe d'habitation augmentera le pouvoir d'achat de ceux qui en bénéficieront, mais c'est un tour de passe-passe car la dépense des collectivités territoriales n'étant pas appelée à diminuer et l'État s'engageant à compenser la perte de taxe, vous devrez bien augmenter l'impôt - je n'insiste pas, le congrès des maires s'en charge légitimement.
J'aimerais dire également à nos collègues députés, en particulier à ceux qui s'enthousiasment en découvrant la vie publique, la vie parlementaire (On ironise sur les bancs du groupe LaREM.), je veux dire qu'un débat parlementaire, cela prend du temps, et qu'il est bon que cela en prenne non seulement parce qu'on y décide de sommes colossales, mais également parce qu'on y confronte des visions différentes de la vie en collectivité.
Et puisqu'en plus de débattre au Sénat, on y consulte, on y écrit aussi beaucoup - voyez les 41 rapports de contrôle budgétaire pris ces six derniers mois - j'invite le Gouvernement à explorer nos travaux et à y découvrir les très nombreuses pistes que nous y traçons pour réduire la dépense publique.
Sous réserve de l'adoption d'amendements concernant les familles, l'investissement et la réduction de certaines dépenses - modestes - la commission des finances préconisera l'adoption de ce budget. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances . - Nous poursuivons une session budgétaire au cours de laquelle nous avons déjà examiné beaucoup de textes. La réouverture du débat sur l'organisation des discussions budgétaires au Parlement est bienvenue, la commission des finances jouera son rôle. Les pratiques doivent évoluer. Le Parlement, pour être éclairé, doit bénéficier de toute l'information utile. Je salue les 76 rapporteurs pour avis et les 48 rapporteurs spéciaux.
Le Gouvernement bénéficie des efforts engagés par le précédent gouvernement pour redresser notre économie, en particulier sa compétitivité : le CICE, le pacte de compétitivité, la modernisation du marché du travail ont porté leurs fruits. Les parts de marché à l'export et les projets d'investissement internationaux sont au plus haut.
Le Gouvernement a dramatisé l'analyse de la Cour des comptes sur le déficit pour, ensuite, se contenter de surfer sur la reprise, qui facilite grandement l'objectif de 3,2 milliards d'économies. Même chose pour la taxe sur les dividendes : le Gouvernement commence par dramatiser, puis fait des propositions technocratiques que seule l'embellie conjoncturelle rend possibles.
Le Gouvernement profite de la reprise pour reculer sur la maîtrise des dépenses, au risque de se trouver en porte à faux. Avec une progression des dépenses de 0,5 %, on est loin de la stabilité - et le Gouvernement reporte les économies à la fin du quinquennat. La réduction du déficit structurel est loin de vos engagements : - 0,1 point au lieu de - 0,6 point. Cela porte atteinte à notre crédibilité en Europe. La France est le seul grand pays dont le ratio d'endettement dépasse 80 % et ne se réduira pas.
Le Gouvernement ne se prive jamais de fustiger la précédente majorité alors qu'il profite des mesures prises depuis 2012 : la moitié des améliorations qu'il revendique, ne font que prolonger l'élan du quinquennat précédent.
Le projet de loi de finances ne porte pas la marque du sérieux budgétaire. Le déficit avait baissé sans interruption depuis 2012, pour atteindre 69,3 milliards d'euros. À 76,9 milliards en 2017 et 82 milliards en 2018, il se dégrade à nouveau ! Depuis six mois, deux fonds de 10 milliards ont été annoncés, financés par des cessions. Le flou règne sur leurs missions. Je crains que l'on brade notre patrimoine pour débudgétiser certaines missions.
La loi de programmation institue une nouvelle contractualisation mais, au 23 novembre, les collectivités territoriales ne savent rien des intentions de l'État : elles vont devoir voter leur budget sans aucune visibilité. La péréquation progresse moins, la dotation aux investissements perd 200 millions et la réserve parlementaire a été supprimée. La fiscalité locale est à bout de souffle. Arrêtons le bricolage, osons une réforme globale, changeons de logiciel.
Le pouvoir d'achat n'est pas revalorisé ! Les réformes paramétriques consistent à reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre. Hors logement, les leviers d'économies ne sont pas identifiés. Si la réforme de la taxe d'habitation franchit l'obstacle du Conseil constitutionnel, le gain par foyer est estimé à 166 euros ; mais il faut le rapporter aux hausses de la facture énergétique, entre autres...
Les ménages modestes ne seront pas épargnés. La politique fiscale du Gouvernement se résume à des gains relatifs ou inexistants pour les ménages modestes, et à des gains certains pour les plus aisés. Je m'opposerai à l'IFI, qui fera gagner 1,1 milliard à ceux qui en bénéficieront, alors qu'on en attend, au mieux, quelques milliers d'emplois.
Ce budget est moins celui du nouveau monde que celui des vieilles ficelles. Le groupe socialiste ne le soutiendra pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-358, présentée par MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi, Cohen, Cukierman, Gréaume et Prunaud et MM. Collombat, Foucaud, Gay, Gontard, P. Laurent, Ouzoulias et Watrin.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2018, adopté par l'Assemblée nationale.
Mme Éliane Assassi . - Tous mes voeux de prompt rétablissement au rapporteur général.
Pierre Moscovici, pour la Commission européenne, a alerté sur un risque de non-conformité - mais à quoi, et qui pour en juger ? On se le demande. Il s'agit encore de ces critères libéraux des traités de Maastricht et de Lisbonne, refusés par le peuple en 2005 parce qu'ils font primer la rentabilité financière sur les besoins humains, en particulier l'accès à des services publics de qualité.
Le Gouvernement répond avec zèle aux souhaits de Bruxelles, aux préceptes du Traité de Lisbonne en réformant les cotisations sociales, en diminuant les APL, en rendant l'université plus sélective, notre commission des finances enfonce le clou de l'austérité en proposant d'aller plus loin dans la casse des services publics. M. Macron a-t-il été élu pour cela ? Nous ne le pensons pas.
Seul groupe d'opposition à cette politique faite « au bonheur des riches », comme l'a écrit un journal non complaisant, nous refuserons ce budget - puisque cette motion a peu de chances d'être adoptée, au moins servira-t-elle à l'expression de l'opposition.
Le projet de loi de finances s'inscrit dans un système idéologique qui prospère depuis des années. Mais où vivons-nous ? Voilà trente ans que les salariés pâtissent de la flexibilité, que l'on cède aux sirènes du Medef, offrant à la majorité des Français la précarité des contrats courts, des petits boulots et de l'intérim.
Les allégements de charges rapprocheront le SMIC français de celui des pays de l'Est de l'Europe : quel progrès ! Les cadeaux aux plus riches doivent cesser. Oui, le chômage coûte cher à la Nation. Mais ce qui plombe les finances publiques, c'est la priorité donnée aux intérêts financiers, pas à l'humain.
Réduction de l'ISF, PFU.... Ces débats sont éloignés de la situation des neuf millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Dans notre pays, 300 entreprises génèrent 1 620 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit 80 % du PIB du pays et s'acquittent de 94 % de l'impôt sur les sociétés, soit 30 milliards. Les chiffres disent tout. Hélas, le Gouvernement aggrave les travers du passé : année après année, on allège toujours plus la fiscalité des entreprises, mais pas au bénéfice des petites entreprises et encore moins à celui des collectivités territoriales... Et dire que certains soutiennent que notre économie manque d'argent à investir. Notre impôt sur les sociétés pèse ce que pèse l'impôt sur les sociétés perçu par l'Irlande !
Le taux de l'impôt sur les sociétés n'a pas été baissé pour aider les PME mais accélérer l'attractivité pour les grands groupes. Et notre président de la République de vanter les premiers de cordée : les Bernard Arnault et sa retraite chapeau, les Marc Ladreit de Lacharrière et ses relations douteuses dans le Golfe, les Patrick Drahi et ses dettes que vont acquitter les 5 000 suppressions de postes chez SFR...
Le temps me manque pour évoquer le scandale de l'évasion fiscale. Il faut sanctionner ces pratiques, réunir une COP sur ce sujet planétaire !
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Éliane Assassi. - Les mêmes qui profitent de l'évasion fiscale, bénéficient de la réforme de la fiscalité, de la baisse de droits. Relayant l'appel de Grigny, nous ne laisserons pas faire ce Gouvernement qui s'attaque aux collectivités territoriales, aux fonctionnaires, sans apporter aucune réponse aux problèmes sociaux dans notre pays. Tout cela justifie notre question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Gérard Longuet, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous pouvons et nous voulons débattre : avis défavorable.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Même avis.
M. Claude Raynal. - Je partage l'avis de M. Longuet mais je suis surpris qu'il n'ait pas eu le même avis l'an passé ! (Sourires)
M. Didier Rambaud. - Certains souhaitent le statu quo. Ce budget est un budget de transformation qui baisse pour la première fois depuis longtemps la fiscalité sur les ménages ou les entreprises - et qui augmente le pouvoir d'achat des ménages. Je vous invite à rejeter cette question préalable.
M. Michel Canevet. - Le groupe UC ne votera pas non plus cette question préalable.
M. le président. - Un scrutin public ordinaire est de droit.
La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°29 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 14 |
Contre | 328 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
M. Julien Bargeton . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Comme tout projet de loi de finances, ce texte n'est pas anodin. Il intervient dans un moment très particulier : Brexit, crise en Espagne, incertitudes en Italie, en Allemagne... Notre pays est à présent un îlot de stabilité dans un continent secoué par les frissons et nous pouvons contribuer au retour de la France dans l'Europe.
L'avis de la Commission européenne est un aiguillon. Nous devons avoir un regard critique sur notre budget, nos politiques.
Le contexte économique est favorable. Profitons-en pour supprimer les dépenses inefficientes. Il n'est pas rare de voir ceux qui s'opposent à la baisse de la dépense publique en première partie réclamer des hausses de dépenses en deuxième partie.
Entre 2002 et 2008, la dépense publique a progressé de 2,1 % par an. Le Sénat a creusé le déficit du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 7 milliards. Son attitude sur le projet de loi de finances va dans le même sens. Étonnant, non ? aurait dit Pierre Desproges, que le ministre du budget affectionne.
Âgé de 44 ans, je n'ai vécu que deux ans dans un pays en excédent puisque depuis 1975, le budget est systématiquement en déficit. Ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis. Le Sénat - et je le regrette - n'est plus une évidence pour les Français. Soyons responsables !
La commission des finances a ajourné l'exonération de la taxe d'habitation pour 80 % des Français.
M. Philippe Dallier. - C'est inconstitutionnel !
M. Julien Bargeton. - Au contraire, le groupe LaREM soutiendra la réforme de la fiscalité locale. De même, le PFU ne vise pas à faire des cadeaux aux entreprises mais à soutenir l'investissement. L'ISF est un épouvantail pour les investisseurs et l'investissement immobilier, hors résidence principale, ne contribue guère à l'économie de la connaissance et de l'innovation. Je salue aussi la transformation du CICE en baisse de charges.
Quelques jours après le transfert de l'Agence bancaire européenne à Paris, la suppression de la surtaxe sur les hauts salaires va dans le bon sens. La hausse de la TVA frapperait tout le monde, à l'inverse de la hausse compensée de la CSG.
Ce projet de loi de finances, en définitive, réunit l'eau et le feu de la politique fiscale française de ces vingt dernières années...
M. Philippe Dallier. - C'est beau comme l'antique, mais c'est too much !
M. Gérard Longuet. - Le rouge et le noir... (Rires à droite)
M. Julien Bargeton. - ...conciliant efficacité et solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Éric Bocquet . - Liberté, égalité, fraternité : notre devise est en contradiction flagrante avec la réalité de la vie quotidienne des Français. Le Gouvernement aurait dû commencer par un état des lieux avant de légiférer. Les données ne manquent pas.
Les 10 % les plus riches détiennent 56 % des richesses quand 50 % des plus pauvres n'en détiennent que 5 % ; un tiers des Français a connu la pauvreté. Le seuil de pauvreté - 1 015 euros - se rapproche dangereusement du niveau du SMIC.
La pauvreté s'enracine dans notre pays. Beaucoup de Français doivent renoncer à des soins car ils sont trop coûteux : 20 % aux soins dentaires, 12 % à acheter des lunettes, 16 % à consulter un spécialiste. Mais il est vrai que si l'on regarde le haut de la cordée, on découvre que certains sont très aisés.
Selon un magazine en papier glacé, le patrimoine des 500 premières fortunes de France a été multiplié par sept depuis 1996, passant de 80 milliards à 570 milliards. Les milliardaires sont passés de 11 à 92 ! Et le président de la République de conseiller aux jeunes de vouloir devenir milliardaires...
Les 3 250 ménages les plus riches ont transféré 340 milliards d'euros dans les paradis fiscaux. Mais silence... le scandale continue.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Éric Bocquet. - Il faut pourtant lutter sans faiblesse contre ces pratiques. Le Gouvernement s'est soumis à de nombreux carcans : RGPP, TSCG, dogme de la réduction de la dépense publique, etc...
La suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages est démagogique et suscite des inquiétudes. Il y avait pourtant lieu de revoir les bases locatives. L'État compensera dites-vous, - mais chacun se souvient que la suppression de la taxe professionnelle n'a pas été compensée comme il avait été promis... Quelles conséquences pour les collectivités territoriales ? Qui paiera, sinon nos concitoyens, via la fiscalité locale et la tarification des services publics ? Les collectivités territoriales représentent 70 % de l'investissement public et seulement 9 % de la dette publique : faites-en un levier, plutôt qu'une variable d'ajustement. Qui plus est, cette réforme devrait être sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
Le PFU n'est pas une idée nouvelle, il était dans le programme de François Fillon ; il est contraire à la progressivité de l'impôt ; il profitera aux plus aisés, facilitant l'optimisation fiscale du travail vers le capital, moins taxé. Vous transformez une fiscalité déjà injuste en une gigantesque machine à redistribuer à l'envers !
L'IFI remplacera l'ISF. Symboliquement, le mot de solidarité disparaît. Ni Sarkozy, ni Hollande n'avaient osé y toucher : Emmanuel Macron l'a fait - alors qu'en 2014, il qualifiait ce projet de « lubie du Medef ».... La perte de ressources pour l'État sera de 3,2 milliards par an, mais les plus riches en profitent.
Selon vos propres services, Messieurs les ministres, les cent premiers contribuables à l'ISF gagneront chacun, via le PFU, 582 000 euros par an, 44 % du gain de la réforme iront au 1 % des plus gros revenus. Et les cent premiers contribuables à l'ISF gagneront chacun 1,5 million d'euros par an grâce au cumul des réformes de l'ISF et du PFU, soit un montant supérieur à leur ISF d'aujourd'hui ! Et vous retirez les yachts et les lingots de l'assiette, autre symbole éclatant. Vous ressemblez à Don Salluste de la Folie des grandeurs ! (M. Gérald Darmanin, ministre, s'en amuse.) Un PDG possédant un appartement de 1,5 million et 15 millions d'actions paiera 3 900 euros à l'IFI au lieu de 190 000 euros à l'ISF !
La taxe sur les transactions financières avait été élargie de haute lutte aux opérations intraday. C'est fini ! Il s'agit de donner un signal aux banques. On nous annonce un nouveau monde. Mais la théorie du ruissellement ou des « Premiers de cordée » n'est pas nouvelle : elle remonte à Mme Thatcher ! Elle n'a jamais fait la preuve de son efficacité. Moins de 2 % des transactions financières dans le monde ont un lien avec l'économie réelle...
Ce budget aurait dû être l'occasion de s'attaquer frontalement à des inégalités devenues criantes, au nécessaire renforcement des services publics, à la domination insolente des marchés. Ce n'est pas le chemin que vous avez choisi. Dès lors, le groupe CRCE ne pourra pas soutenir ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Bernard Delcros . - La ligne qui guidera les choix du groupe UC en toute indépendance durant les prochaines années repose sur deux idées simples. D'abord, mettre un coup d'arrêt à l'endettement sans limite de notre pays : 2 200 milliards ! Au-delà de nos engagements européens, au-delà de la crédibilité de la France dans le monde, il y va de notre responsabilité à l'égard des générations qui viennent. Les conditions politiques et économiques sont réunies pour prendre des décisions courageuses. Nous serons toujours à vos côtés sur ce sujet, Messieurs les Ministres.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Merci !
M. Bernard Delcros. - Ensuite, la réduction de notre déficit et de notre endettement ne doit en aucun cas avoir pour corollaire d'aggraver les fractures sociales et territoriales. Nous le devons à nos concitoyens, nous le devons aux territoires. Redresser la situation financière de la France tout en veillant avec exigence à réduire les inégalités, voilà la ligne de crête où nous nous tiendrons.
La suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages ? Le candidat s'était engagé, le président honore cet engagement - c'est primordial pour réconcilier nos concitoyens avec l'action publique. Sur le fond, nous sommes favorables à un allégement de charges pesant sur les plus modestes, surtout si la CSG augmente. Les avis sont partagés, je le sais. À titre personnel, je soutiens cette mesure tout en m'interrogeant : peut-on maintenir cette taxe pour 20 % des Français si elle est injuste ? Les collectivités s'inquiètent de la perte de leur autonomie fiscale. Dégrèvement et possibilité d'augmenter les taux, leur avez-vous répondu. Soit, mais que se passera-t-il après 2020 ? À mon sens, cette mesure amorce une réforme plus globale pour bâtir une fiscalité locale juste et garantissant l'autonomie fiscale. Le Sénat, représentant des territoires, devra y être associé.
Concernant les dotations, je le dis comme je le pense, les collectivités ne peuvent pas ne pas participer à l'effort de redressement. Elles y ont d'ailleurs largement contribué : ces dernières années, 11 milliards d'euros de DGF en moins chaque année. Vous proposez, pour 2018, un pacte cohérent : fin de la baisse de la DGF, attribution d'une part de la ressource dynamique que constitue la TVA aux régions, hausse de la péréquation verticale qui s'accompagne cependant d'un élargissement de l'assiette des variables d'ajustement à la DCRTP du bloc communal, maintien de la péréquation horizontale avec un FPIC stabilisé, maintien de la DSIL créée en 2016 bien qu'à un niveau moindre que 2017 et, enfin, contrat avec les plus grandes collectivités pour plafonner leurs dépenses de fonctionnement - attention, pour les départements, à tenir des comptes de leurs dépenses de solidarité sur lesquelles ils n'ont pas prise.
Si nous partageons ces grandes orientations, nous voulons répondre à l'inquiétude des élus, en particulier ceux des plus petites communes. Ils ont besoin de visibilité sur la fin de leur mandat. Rassurez-les, Monsieur le Ministre, en garantissant le maintien de l'enveloppe DGF durant les trois prochaines années.
Ce texte traduit une volonté de réforme que nous approuvons, tout en considérant que certaines mesures devront être complètement revues - c'est le cas de celles sur le logement, qui pénalisent les territoires ruraux.
L'Union centriste sera un partenaire exigeant et attentif pour répondre aux enjeux de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Emmanuel Capus . - L'examen de ce premier budget du quinquennat représente un moment politique fort, un moment de dialogue entre l'exécutif et la représentation nationale. Le groupe Les Indépendants espère une discussion franche et pragmatique guidée par le seul intérêt général.
Ce texte a déjà été abondamment commenté ; il a fait l'objet de critiques, voire de caricatures. Un budget pour les riches ? C'est oublier où nous a menés la frénésie fiscale sous le quinquennat précédent.
Mme Éliane Assassi. - Nous n'y sommes pour rien.
M. Emmanuel Capus. - Nous saluons, nous, un budget équilibré, qui restaure en partie l'attractivité de notre pays, relance l'investissement dans l'économie réelle et rend du pouvoir d'achat à ceux qui en ont le plus besoin. Le prélèvement forfaitaire unique nous rapproche du niveau européen de la fiscalité sur le capital.
Un budget insincère ? C'est oublier que nous sortons d'une ère d'insincérité et d'irresponsabilité budgétaires sans précédent.
M. Bruno Le Maire, ministre. - En effet.
M. Emmanuel Capus. - Nous saluons, nous, l'un des budgets probablement les plus sincères depuis dix ans. Ceux qui se croient autorisés à donner des leçons de courage politique oublient les renoncements du passé. À la tiédeur du pouvoir succède soudain le jusqu'au-boutisme de l'opposition
Mme Éliane Assassi. - Où étiez-vous, vous ?
M. Emmanuel Capus. - Madame le président...
Mme Éliane Assassi. - LA présidente !
M. Emmanuel Capus. - Madame la présidente, je ne fais que reprendre votre argumentation sur la droite...
Mme Éliane Assassi. - Où étiez-vous ?
M. Emmanuel Capus. - À Angers, je n'étais pas encore élu...
Nous saluons, nous, un budget courageux où l'on aborde de front de vieux problèmes français. Nous voyons d'un bon oeil la suppression des trois quarts de l'ISF. Nous veillerons à ce que l'IFI ne pénalise pas à outrance l'investissement immobilier.
Quelques points de vigilance, néanmoins. Si les efforts budgétaires sont réels, ils ne doivent pas nous tromper : le Gouvernement profite de la relance, l'effort structurel est faible tandis que les dépenses publiques restent élevées. Le plan Action publique 2022 apparaît bien modeste.
Les maires sont les piliers de la République. Nous veillerons à ce que la refondation de la fiscalité locale ne se traduise pas par une moindre autonomie financière des collectivités territoriales, ne se fasse pas au détriment de leur liberté et de leur capacité d'action. La révision des bases locatives, vieux prétexte à l'inaction, est indispensable.
Le groupe Les Indépendants est prêt à vous aider, Messieurs les Ministres, à améliorer ce texte, en responsabilité, sans complaisance, avec pour souci l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et LaREM)
M. Stéphane Ravier . - Je souhaite au rapporteur général un prompt rétablissement.
Marseillais, j'irai droit au but. Ce budget est contraire à notre philosophie...
Mme Éliane Assassi. - Heureusement !
M. Stéphane Ravier. - Je ne suis pas de ceux qui compartimentent les travailleurs dans des catégories ou dans des classes ; ceux qui veulent diviser les Français sont déjà trop nombreux, y compris dans cet hémicycle. Vous vous attaquez aux classes moyennes et caressez dans le sens du poil les grandes puissances financières. Privilégier la détention de valeurs boursières au détriment des biens immobiliers, comme vous le faites avec la création de l'IFI, c'est détruire les attaches et les liens qui forment la France durable, celle des petits propriétaires. La fin de l'ISF vient pénaliser ceux qui n'ont qu'un bien immobilier, fruit d'une vie de labeur ou d'un héritage familial. La protection du patrimoine est pourtant vitale à l'heure du grand déracinement ! Même chose pour le prélèvement forfaitaire unique, vous favorisez les plus aisés.
Vous choisissez non seulement de ne pas lutter contre l'immigration de masse mais de la favoriser...
Mme Éliane Assassi. - ...il fallait que ça sorte !
M. Stéphane Ravier. - L'aide médicale d'État augmente. Contrairement aux annonces du président de la République, la France continuera d'accueillir toute la misère du monde.
Vous fermez les yeux sur les vrais problèmes de nos quartiers : immigration et insécurité, le communautarisme, la haine de la police et de tout ce qui peut représenter la France. Vous poursuivez une politique de la ville ruineuse et inefficace. Le budget de l'armée reste insuffisant.
Permettez-moi une digression sur un événement survenu la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Alors que je défendais des amendements, notre collègue Alain Milon, du groupe Les Républicains mais dont le coeur est en marche, s'est demandé comment ces amendements qui seraient discriminatoires avaient pu arriver jusqu'ici.
Mme Éliane Assassi. - Il a bien fait !
M. Philippe Dallier. - M. Milon est absent.
M. Stéphane Ravier. - Je dénonce cette tentative de censure. Qu'en est-il de la liberté d'expression dans ce pays ?
Mme Éliane Assassi. - Il ne tolère pas le racisme !
M. Stéphane Ravier. - Nous ne sommes ni à Pyongyang ni à La Havane, Madame Assassi !
Sur 577 députés et 348 sénateurs, 10 seulement représentent le Front national, dont le poids de l'électorat est bien plus grand. Les Français, et eux seuls, décideront de leur destin, pas des Fouquier-Tinville d'opérette !
Ce budget est mauvais ; nous le pensons, le disons et continuerons de le faire, si M. Milon et Mme Assassi nous y autorisent !
Mme Claudine Kauffmann. - Très bien !
M. Philippe Dallier. - Attaquer une personne en son absence, cela ne se fait pas.
M. Yvon Collin . - J'ai, moi aussi, une pensée pour notre rapporteur général. L'embellie économique marque un changement après ces années de croissance atone. Vous restez pourtant sur une prévision de croissance sage, quel luxe, alors qu'elle a été revue à la hausse. Le Haut Conseil des finances publiques salue un scénario prudent pour 2017 et raisonnable pour 2018. Je souscris à cet effort de sincérité budgétaire, nous ne sommes pas à l'abri d'un aléa - on l'a vu avec le fiasco de la taxe de 3 % sur les dividendes. Si la France profite de la bonne santé de la zone euro, reconnaissons aussi que certaines des mesures prises sous le précédent quinquennat, tel le CICE, portent leurs fruits.
Qu'attendre de ce projet de loi de finances ? De l'audace, de la justice, de l'efficacité. La maîtrise des dépenses, insuffisante, repose sur les traditionnels outils que sont le toilettage, les aménagements et le rabotage. Le prélèvement à la source est reporté... L'audace réside surtout dans la création de l'IFI, le prélèvement forfaitaire unique et dégrèvement de la taxe d'habitation dont on s'en serait bien passé... L'autonomie fiscale des collectivités territoriales est de plus en plus attaquée. Puisse le président de la République trouver les moyens de rassurer les élus locaux cet après-midi Porte de Versailles.
Justice ? Revalorisation de la prime d'activité, de l'AAH, baisse des cotisations salariales mais réduction des emplois aidés qui représentaient pourtant une opportunité d'embauche pour les plus fragiles.
Efficacité ? Seul l'avenir nous le dira. Le PFU et l'IFI sont un signe fort en direction des entreprises ; il faut souhaiter que l'épargne soit réinvestie. Nous regrettons l'insuffisante prise en compte des besoins de l'agriculture - les amendements de mon groupe y remédient, notamment en faveur du micro bénéfice agricole.
La majorité des membres du RDSE considère ce budget avec bienveillance, elle sera bien sûr attentive aux débats qui vont suivre.
La séance, suspendue à 13 h 30, reprend à 15 heures.
présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann, vice-présidente