Projet de loi de finances rectificative pour 2017 (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2017.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Si nous sommes de nouveau réunis autour de ce projet de loi, c'est que le Sénat n'a pas voté l'article premier en première lecture, opposition confirmée ce matin par l'adoption en commission des finances d'une motion de question préalable. Je le regrette ; pour ma part, je n'ai jamais refusé la discussion.

Nous demandons aux grandes entreprises - celles dont le chiffre d'affaires excède 1 milliard d'euros - un effort important, mais nécessaire. J'aurais pu me contenter de laisser filer le déficit, en arguant que la responsabilité en incombe à nos prédécesseurs ; ce n'est pas ma conception d'une bonne tenue des comptes publics ni du respect des engagements que nous devons à nos partenaires européens. Je note d'ailleurs que vous avez annulé la mesure sans proposer d'alternative qui tienne la route...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances.  - Si !

M. Jean-François Husson.  - Les participations d'État !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous avons une exigence de rendement, une exigence de solidité juridique et une exigence comptable : il faut agir au plus vite pour imputer 5 milliards d'euros à l'exercice 2017 avant le 20 décembre, et ainsi tenir nos engagements européens en matière de déficit.

Demain, il sera trop tard. Le rapporteur général a reconnu cette exigence comptable et fait des propositions alternatives, j'en conviens.

Je n'ai pas caché que la contribution exceptionnelle ferait des gagnants et des perdants ; tous les chiffres vous seront transmis en décembre, puis affinés quand nous aurons l'intégralité des demandes de remboursement, en janvier. Je tiens à ce que les parlementaires soient parfaitement informés, car sans transparence, pas de débat possible.

Je rappelle que la contribution est exceptionnelle et que les grandes orientations fiscales du Gouvernement restent inchangées : baisse de l'impôt sur les sociétés pour atteindre 25 % en 2022, prélèvement forfaitaire unique à 30 % sur les revenus du capital, suppression de l'ISF...

Je tiens à ce que les responsabilités soient établies sur l'annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes, sans me faire procureur ni chercher de coupable. Aussi ai-je commandé un rapport à l'IGF, qui m'a été remis hier. Je le tiens à votre disposition et vous en recommande vivement la lecture. Il établit qu'en 2012, à la création de cette taxe, personne n'avait anticipé de difficultés ; les opposants à la taxe s'interrogeaient sur sa conformité avec l'article 5 de la directive mère-filles, alors que la Cour de justice de l'Union européenne et la Commission européenne se sont fondées sur l'article 4, sur l'égalité de traitement entre sociétés. Impossible en 2012 d'établir des responsabilités.

En revanche, en février 2015, la Commission européenne engage une procédure et la Direction de la législation fiscale alerte sur les risques d'annulation ; enhardies, les entreprises multiplient les procédures contre l'État. Il est alors clair que la taxe encourt un risque réel d'annulation et constitue une menace pour les finances publiques.

Quelles leçons en tirer ? Je fais plusieurs propositions pour que les failles identifiées par l'IGF ne se reproduisent pas et que la sécurité et la stabilité de la législation fiscale soient garanties.

D'abord, une sécurisation de la procédure d'élaboration de la loi fiscale, en associant davantage les parties prenantes : entreprises, contribuables, Conseil d'État, Commission européenne. Ensuite, davantage de transparence sur les risques de contentieux : toute procédure engagée au niveau européen devrait faire l'objet d'une information de vos commissions des finances. Enfin, une remise à plat du dispositif administratif de suivi du contentieux fiscal assorti d'une procédure d'alerte efficace.

Je propose que le Parlement et le Gouvernement travaillent ensemble sur la base de ces objectifs, et des autres propositions de l'IGF. J'y attache une grande importance. Ce qui s'est passé, qui menace nos finances publiques et le respect de nos engagements européens, ne doit pas se reproduire. Il faut donc traiter le problème à la racine.

Ces propositions sont ouvertes à la discussion. (M. Jean-François Husson sourit.)

En attendant la profonde transformation de la fiscalité dont nous débattrons dans le projet de loi de finances, tournons la page de cette taxe en finançant le manque à gagner pour l'État. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et UC)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Le Conseil des ministres examinera demain le « vrai » collectif budgétaire de fin d'année.

Sur celui-ci, la CMP n'a pas abouti. En première lecture, le Sénat avait modifié l'article le plus important, le premier, qui instaure la contribution exceptionnelle imposée aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 1 milliard d'euros, que le Gouvernement justifiait par la nécessité de rembourser la taxe invalidée sans compromettre le retour à un déficit sous les 3 %. En effet, certains secteurs, comme le commerce et les services financiers dont les banques mutualistes, seront très touchés, en contradiction avec les engagements du Gouvernement de réduire l'impôt sur les sociétés.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale est revenue au texte de première lecture, moyennant une modification rédactionnelle. Lorsque le rapport sera rendu, nous mesurerons mieux les effets de la mesure. L'Assemblée nationale a également adopté l'article 3 dans sa rédaction issue de la première lecture.

Manifestement, les positions des deux assemblées sont inconciliables. La commission des finances, considérant qu'il n'y a pas lieu de revenir sur ce débat, a voté une question préalable.

Les conclusions de l'IGF sont pertinentes, notamment sur la nécessité de mieux préparer les lois de finances et de mieux informer sur le risque de contentieux. Souvenons-nous de la taxe à 75 % sur les hauts revenus, sur laquelle notre commission avait alerté en vain le Gouvernement de l'époque...

Mais ces bonnes intentions doivent aussi valoir pour les projets de loi de finances rectificative de fin d'année : trop souvent, des amendements, transmis sans expertise juridique et dans la précipitation, finissent par être censurés... Le bricolage fiscal donne de mauvais résultats. Ne refaisons pas ce débat et votons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Julien Bargeton .  - Les séances se suivent et, hélas, se ressemblent. Point de spleen baudelairien d'automne mais une déception devant l'échec de la CMP. Nous aurions pu nous mettre d'accord, la majorité sénatoriale en a décidé autrement, en six minutes chrono.

Ce collectif budgétaire n'est pourtant pas qu'une affaire de chiffres, mais de souveraineté. La crédibilité budgétaire de notre pays est la condition sine qua non du retour de la France en Europe après une longue période de déficit excessif depuis 2009. Le texte proposé par le Gouvernement nous sort de l'épreuve par le haut.

Vous avez préféré rejeter tout de go le dispositif proposé qui mettait à contribution les grandes entreprises bénéficiaires - j'insiste sur le mot car c'est le principe même de l'impôt sur les sociétés. Toutes les entreprises ne seront pas taxées. Il y aura, oui, des gagnants et des perdants.

M. Gérard Longuet.  - C'est la loterie !

M. Julien Bargeton.  - Le Gouvernement veillera aux effets de transfert.

Vous avez préféré un texte déséquilibré, qui creuse le déficit - il ressemble aux constructions bancales de Numérobis, l'architecte imaginé par Goscinny dans Astérix et Cléopâtre. (On se récrie à droite.)

Une impasse budgétaire est une impasse politique et démocratique. Un texte d'urgence comme celui-ci n'est pas le véhicule adapté pour réviser les hypothèses de croissance, sauf à vouloir faire passer un chameau par le chas d'une aiguille ! La première partie du projet de loi de finances comporte des mesures positives en faveur du pouvoir d'achat des ménages et de la compétitivité des entreprises. Vivement décembre, pour travailler à nouveau de manière constructive... J'espère une attitude plus responsable et constructive du Sénat sur le budget !

Le groupe LaREM est tourné vers l'avenir. Comment travailler pour éviter à l'avenir ce genre d'OFNI, objet fiscal non identifié ? Je suis favorable à la mise en place d'outils de contrôle et de suivi des contentieux fiscaux au Parlement et de sécurisation de l'élaboration de la loi fiscale, tant les censures du Conseil constitutionnel reflètent nos insuffisances collectives. Le ministre a formulé des propositions, je ne doute pas de la bonne volonté du Sénat pour les regarder avec attention.

Cette nouvelle lecture aurait dû être l'occasion de renouer le dialogue ; cela aurait été l'occasion de donner une belle image de notre assemblée. La question préalable est une nouvelle obstruction, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. (M. Roger Karoutchi se gausse ; applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Pascal Savoldelli .  - Nous avons l'impression d'assister, depuis nos bancs, à une dispute des droites. Vous êtes d'accord pour respecter les contraintes du traité voté il y a cinq ans, pour voter les baisses de dépense publique.

En 2016, Orange SA a généré un chiffre d'affaires de 23,5 milliards, un excédent brut d'exploitation de 4 milliards et distribué 1,6 milliard d'euros de dividendes. Catastrophe, elle a dû payer 200 millions d'euros d'impôt sur les sociétés... C'est dire si la portée de cette surtaxe est limitée !

On nous accuse de vouloir creuser le déficit de l'État. Mais notre groupe fait preuve de responsabilité : nous proposions d'autres recettes. France Trésor a émis il y a un mois 4 371 millions d'obligations à taux zéro. C'est cela, la grande débâcle des comptes publics ? Plutôt que d'inventer de fausses divergences entre vous, vous pouviez simplement prolonger la contribution de solidarité : vous n'auriez pas eu besoin de navette, de CMP !

Notre groupe ne votera pas ce collectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Sans surprise, la CMP a échoué et nous voici en nouvelle lecture. En première lecture, une majorité s'est dégagée au Sénat pour supprimer l'article premier, par scrutin public, sans proposition alternative permettant de tenir notre trajectoire budgétaire et nos engagements européens. Je le regrette car cet article est au coeur du projet de loi, à travers la contribution exceptionnelle demandée aux grandes entreprises.

Un amendement porté par le Gouvernement dans la foulée a tiré les conséquences de cette perte de recettes, votée par le Sénat, qui dégrade notre déficit de 4,8 milliards d'euros. La CMP n'a pu que constater l'impossibilité d'un accord et l'Assemblée nationale a rétabli l'article premier en nouvelle lecture.

Nous sommes face à l'obligation de rembourser 10 milliards d'euros aux entreprises taxées depuis 2013 sur les montants distribués. Nous devons y répondre, en responsabilité.

Le dispositif proposé par le Gouvernement est bien connu. Il répartit l'effort entre l'État et les entreprises. Y a-t-il une meilleure solution ? Fallait-il taxer les Français, creuser le déficit, laisser filer la dette ? Trois pays restent en procédure pour déficit excessif devant la Commission européenne, dont la France depuis huit ans. Il faut tout faire pour alléger une dette insoutenable pour la France de demain.

On pourrait dire : 5 milliards, ce n'est pas grand-chose par rapport à la dette.

M. Philippe Dallier.  - C'est beaucoup pour les entreprises !

M. Bernard Delcros.  - C'est avec cette accumulation de « pas grand-chose » que nous sommes arrivés à une dette qui frôle les 100 % du PIB. Nous devons agir pour les générations futures.

C'est pourquoi le groupe UC soutient pleinement le dispositif proposé par le Gouvernement, qui est pragmatique et réaliste. Il ne dégrade pas le déficit en 2017 et le creuse de 0,2 point de PIB en 2018, ce qui ne remet pas en cause nos engagements européens. Le Sénat peut faire preuve de responsabilité en réexaminant sa position. Nous voterons à l'unanimité contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et RDSE)

M. Claude Raynal .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je ne reviens pas sur les raisons de l'abstention de notre groupe en première lecture. Paru depuis jeudi, le rapport de l'IGF recommande une sécurisation de la législation fiscale ; ses conclusions montrent que nous sommes loin du prétendu scandale d'État et des reproches d'amateurisme. J'entends des collègues dire : il n'y a pas de solution alternative. Nous en avons pourtant proposé, comme le report de la suppression de l'ISF ou du prélèvement forfaitaire unique.

Nous avons souhaité laisser une chance à un accord au Sénat en nous abstenant. Si, malgré les réserves que je viens de formuler, l'intérêt de notre pays appelait à un vote immédiat, notre groupe aurait sans doute fait l'effort que le groupe Les Républicains s'est refusé à faire. Nous ne pouvons toutefois cautionner le décret d'avance du 20 juillet 2017 qui réduit les APL, les contrats aidés et les aides aux collectivités territoriales. Par principe, nous ne voterons pas la question préalable, qui est la négation du débat parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)

M. Emmanuel Capus .  - Le groupe Les Indépendants défend une attitude responsable devant une situation impérieuse d'intérêt général. L'insincérité budgétaire et le laxisme du précédent gouvernement menacent notre sortie de la procédure pour déficit excessif. Nous partageons la volonté du Gouvernement et du président d'y mettre fin au plus vite : c'est la condition nécessaire à la restauration du crédit de la France en Europe.

Ce texte pénalise les entreprises qui investissent et créent des emplois, il crée des gagnants et des perdants, sans tenir compte de leur exposition à la taxe à 3 % ou de leur situation financière. Nous déplorons que le Gouvernement n'ait pu proposer de mesure plus fine, qui répartisse l'effort plus justement.

Néanmoins, nous ne nous opposerons pas à ce texte. Cette nouvelle lecture aurait dû être l'occasion d'une prise de conscience. Il faut solder l'héritage de la crise et des errements budgétaires du passé pour nous tourner vers l'avenir : échouer à sortir de la procédure pour déficit excessif hypothéquerait l'ensemble du quinquennat. Notre indulgence n'ira toutefois pas sans vigilance. Nous demandons qu'une réflexion sérieuse soit engagée sur l'élaboration de la norme fiscale, et que des mécanismes d'alerte soient mis en place.

Nos concitoyens ne nous pardonneront pas les expédients qui ne traitent pas les causes. Le précédent Gouvernement a épuisé leur patience et le consentement à l'impôt atteint ses limites. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Cette énième rustine doit mettre un point final à cette ère d'irresponsabilité, pour que s'ouvre enfin la période de courage et de sincérité budgétaire que le président de la République a promis. (MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Louis Lagourgue applaudissent.)

M. Michel Raison.  - Applaudissements nourris !

M. Gérard Longuet.  - Mesurés... (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Yvon Collin .  - Jeudi dernier, la Haute Autorité a rejeté la principale mesure du texte. Nous le regrettons, car le refus de cette contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises fait passer le déficit à 3,1 %, alors que la France est l'un des derniers pays soumis à la procédure pour déficit excessif.

M. Jean-Claude Requier.  - Exactement.

M. Yvon Collin.  - Ce dispositif était une réponse législative à l'invalidation de la taxe à 3 % sur les dividendes. La décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 était fondée sur les différences de traitement entre les sociétés mères, selon que leurs filiales se situent ou non dans un État membre de l'Union européenne autre que la France. Le 17 mai dernier, la Cour de justice de l'Union européenne avait jugé la taxe incompatible avec le régime fiscal européen. L'État est donc tenu à rembourser 10 milliards d'euros, dont des intérêts moratoires de 4,8 % par an. À noter que ceux-ci devraient à l'avenir être réduits de moitié.

Le Gouvernement estime que les dispositions concerneront 320 entreprises, dont 110 assujetties au taux de 30 %. Le rendement attendu est de 5,4 milliards d'euros, dont 4,8 milliards en 2017. Le solde public serait inchangé en 2017, à 2,9 %. Au-delà, le coût du contentieux serait intégré à la trajectoire des finances publiques ; le solde prévisionnel 2018 serait réévalué de 2,6 à 2,8 %.

À sa création, la taxe à 3 %, née de la volonté de couvrir le contentieux sur les OPCVM, n'avait été mise en cause ni par l'administration ni par le Conseil d'État. En revanche, en 2015, la Commission européenne mettait en demeure la France sur la compatibilité avec la législation sur les sociétés mère-fille. Les contentieux s'étaient ensuite multipliés. Renforcer la solidité de notre législation fiscale, améliorer la transparence sur les risques et le suivi administratif des contentieux par un mécanisme d'alerte : voilà les pistes à explorer.

Le dispositif proposé par le Gouvernement n'est pas idéal mais il est le seul possible. Le groupe RDSE votera contre la motion présentée par le rapporteur général. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'IGF a rendu son rapport hier, ses conclusions sont sans appel. La taxation d'entreprises pour rembourser d'autres entreprises d'une taxe illégale ne tient pas. Le problème était identifié depuis longtemps. Le Gouvernement n'a cessé de repousser la décision, alors qu'il aurait fallu aller plus loin et plus vite pour dégager des marges de manoeuvre. Baisse des dépenses, vente de participations d'État : les solutions existaient.

M. Macron était à Bercy en 2015, lorsque le risque a été clairement identifié par le secrétaire d'État au budget. Or le choix politique fut fait en 2015 de continuer à percevoir la taxe, malgré les incertitudes avérées sur sa conformité au droit.

La mise en demeure par la Commission européenne en 2015 aurait dû faire réagir MM. Macron et Sapin. Le coût du contentieux n'aurait alors pas dépassé les 3 milliards d'euros.

M. François Bonhomme.  - Eh oui !

M. Jean-François Husson.  - En 2016, notre rapporteur général avait soulevé le risque constitutionnel...

Le Gouvernement refuse de prendre à sa charge la totalité des 10 milliards d'euros au motif que cela ferait passer le déficit au-dessus des 3 %. Cependant, depuis 2013, la taxe sur les revenus distribués a rapporté 2 milliards d'euros chaque année au Gouvernement ; elle a donc contribué à amoindrir le déficit public, qui devrait être de 3,3 % ! Voilà la réalité, dont vous n'êtes pas responsable mais comptable.

L'économie repose pour une part sur la psychologie. Le président de la République bénéficie pour le moment d'une relative bienveillance. La confiance revient, mais elle reste fragile. Il faut donc donner des gages car les acteurs ont besoin de stabilité, de visibilité et de confiance. Or les principales promesses ont déjà été repoussées à 2019.

Le Gouvernement promet de ramener l'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 ; mais voilà qu'il commence par taxer certaines entreprises jusqu'à 43,3 % ! Les prendre en otage, ou pour des vaches à lait, c'est oublier que ces fleurons de l'économie génèrent de l'emploi et de la sous-traitance. Sur les 318 entreprises concernées, 223 seront perdantes, dont un tiers perdantes nettes car elles ne recevront pas de remboursement. La plupart d'entre elles, ce seront ces fameuses ETI, qui sont les premières pourvoyeuses d'emplois en France.

Avec près de 800 millions d'euros de contribution, trois grands groupes mutualistes et coopératifs paieront 15 % d'une facture dont ils ne connaissaient pas l'existence il y a quinze jours.

M. le ministre parle de perdants, de perdants nets et de gagnants mais le remboursement au titre de la taxe à 3 % sur les dividendes correspond à la restitution d'un indu. Toutes les entreprises seront perdantes dans cette affaire. Quant au caractère exceptionnel de la taxe, laissez-moi en douter, par expérience.

Le Gouvernement pratique l'échantillonnage des trois cents : 318 entreprises surtaxées à un niveau record ; 319 grandes collectivités soumises à des travaux dirigés par l'État ; 324 emplois supprimés par l'État en 2018 sur un total de 2 millions. Nous constatons combien les efforts demandés varient. L'État en fournit peu tout en continuant de donner des leçons !

Vite fait, mal fait, ce texte a pour but de passer l'éponge sur une ardoise de 10 milliards d'euros, sur le plus gros fiasco fiscal d'État de la Ve République. Le Gouvernement propose une réparation qui pèse pour moitié sur les entreprises sur le seul critère du chiffre d'affaires brut, non corrigé des données de l'emploi, de l'exposition à la concurrence ou encore de la profitabilité. Ce choix injuste augure mal du pacte de confiance que vous voulez proposer aux acteurs économiques.

Le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. de Montgolfier, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat,

Considérant que le projet de loi de finances rectificative pour 2017 déposé en urgence par le Gouvernement a pour objet de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 relative à la contribution de 3 % sur les montants distribués ;

Considérant que pour faire face au montant des dépenses de contentieux, il prévoit la création de deux contributions exceptionnelle et additionnelle sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de 2017 dont le rendement attendu s'élèverait à 4,8 milliards d'euros en 2017 et 600 millions d'euros en 2018 ;

Considérant qu'en première lecture, le Sénat a rejeté la création de ces deux nouvelles contributions au motif qu'elles affecteraient particulièrement l'industrie, le commerce et les services financiers, notamment les banques mutualistes, qui ne pourraient prétendre à des remboursements à la hauteur de ces prélèvements ;

Considérant qu'après l'échec de la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale a, en nouvelle lecture, rétabli son texte de première lecture sans prendre en compte la position exprimée par le Sénat ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de penser qu'un nouvel examen complet du projet de loi par le Sénat en nouvelle lecture permettrait de rapprocher les positions des deux assemblées ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2017, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 84, 2017-2018).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général .  - Certains souhaitent que ce débat se prolonge, j'y suis prêt ! Je pourrais redéposer mon amendement qui visait à tenir compte de l'élasticité des recettes, il aurait sans doute plus de chances d'être adopté que jeudi soir... Plus sérieusement, le débat a eu lieu. Nous pourrions le poursuivre à l'infini sans que les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat ne se rapprochent. Gardons notre temps pour la discussion du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Avis défavorable.

M. Julien Bargeton .  - Le groupe LaREM votera contre cette motion. Botter en touche en écourtant le débat n'est pas à la hauteur des enjeux. Si le Sénat rejette ce texte, il n'aura ni répondu à la question posée ni proposé de solution efficace et pragmatique. Soyons cohérents : dans la loi de programmation, nous avons proposé d'affecter tous les surplus de recettes à la réduction de la dette et du déficit. Travaillons-y. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Les intérêts moratoires courent à 0,4 % par mois. (Le rapporteur général montre à l'assemblée un compteur qui défile sur son téléphone portable.) Prolonger le débat d'une heure, c'est 48 000 euros de plus à payer. Votons au plus vite cette motion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Emmanuel Capus .  - Cette question préalable est motivée par le fait que l'Assemblée nationale n'aurait pas tenu compte de la position du Sénat. Quelle position ? Le Sénat a rejeté l'article premier. L'amendement du rapporteur général visant à diminuer le taux des contributions n'a recueilli que quatre voix. On ne peut sérieusement renoncer à un débat sur la réduction du déficit, qui engage l'image de la France dans le monde alors que nous sommes sous le coup d'une procédure de déficit excessif. Dire qu'on a plus d'espoir de rallier l'Assemblée nationale à nos positions n'est pas non plus un argument. Si on l'accepte, le Sénat n'a plus qu'à fermer boutique. Les Indépendants voteront cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe UC)

La motion n°1 tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°12 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 146
Contre 195

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Didier Guillaume.  - Au nom du groupe SOCR, je demande une brève suspension de séance.

M. le président.  - Elle vous est accordée.

La séance, suspendue à 15 h 45, reprend à 15 h 50.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Claude Raynal .  - Deux questions nous sont posées. La première porte sur le décret d'avance du 20 juillet 2017 à l'article 5 : nous y sommes opposés. La seconde concerne la taxe elle-même. Quand Les Républicains refusent le principe de la taxe, le groupe SOCR, lui, regrette que les entreprises mutualistes, qui n'étaient pas concernées par la taxe de 3 %, soient soumises à ces contributions exceptionnelles. L'absence d'une vision complète des gagnants et des perdants constitue une vraie faiblesse.

Le groupe SOCR votera l'article premier et prendra acte du vote prononcé sur l'article 5. Et ce, dans l'intérêt de notre pays.

M. Roger Karoutchi.  - Quelle agitation !

M. Pascal Savoldelli .  - Cohérent, le groupe CRCE ne participera pas au vote sur l'article premier et votera contre l'article 5. Nous voterons contre le texte in fine.

M. Philippe Dominati .  - Les Républicains sont contre ce texte. D'abord, parce que cette taxe sur les dividendes est une mesure socialiste, une mesure emblématique du président Hollande - d'où le revirement des socialistes du Sénat. Souvenez-vous, l'ennemi, c'était la finance.

Le président Macron, qui nous a expliqué combien la stabilité fiscale était indispensable aux entreprises, opère un revirement en cinq petites semaines. Les entreprises paieront, il n'y aurait pas d'autre solution ? Des privatisations nous apporteraient des ressources.

Au moment où, avec le Brexit, la place financière de Londres est concurrencée par Paris et Francfort, cette mesure est un contresens total quand bien même elle serait une exception - elle n'est même pas compensée l'an prochain.

Il y a une philosophie, une éthique. Ce texte ne la respecte pas. Le monde économique n'est pas une vache à lait ! Le président Hollande a commis une faute, que redouble le président Macron. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°13 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l'adoption 171
Contre 144

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

L'article 3 est adopté.

Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, la première partie du projet de loi, mise aux voix par assis et levé, est adoptée.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)

Le projet de loi de finances rectificative pour 2017 est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°14 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 263
Pour l'adoption 102
Contre 161

Le Sénat n'a pas adopté.

(Exclamations ironiques sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Nous allons interrompre nos travaux afin de permettre la tenue de la cérémonie d'hommage à Georges Clemenceau dans le Salon des Messagers d'État.

La séance reprendra à l'issue de cette cérémonie à 16 h 40 pour poursuivre cet hommage en séance publique.

La séance est suspendue à 16 h 15.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 40.