Accueil des gens du voyage
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, en examen conjoint avec la proposition de loi visant à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé.
Discussion générale
M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi n°557 . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Le texte que j'ai déposé s'inscrit dans l'esprit de la loi Besson du 5 juillet 2000, texte équilibré qui accorde droits et devoirs aux gens du voyage, devoirs aussi pour les collectivités territoriales d'aménager des aires pour accueillir ces gens du voyage et droits de voir les pouvoirs publics faire évacuer les terrains illégalement occupés.
Cet équilibre entre droits et devoirs est aujourd'hui rompu, notre cadre légal n'est plus adapté. Les flux sont de plus en plus importants. Les premiers rassemblements en Haute-Savoie ont débuté en février cette année et perdurent encore. (M. Loïc Hervé le confirme.) Des gens en rupture avec la vie urbaine s'agrègent aux voyageurs traditionnels dont ils ne partagent pas toujours la culture.
Les incidents sont de plus en plus fréquents et violents : agressions verbales envers les élus et les agriculteurs, agressions physiques inacceptables... Les maires sont exaspérés face à la multiplication des stationnements. La population est excédée et ressent les mesures envers les gens du voyage comme la manifestation d'un laxisme certain et d'une inaction du maire.
C'est injuste. Dans la plupart des cas, il n'y a ni inaction, ni laxisme. Les procédures sont simplement inadaptées.
La présidente du tribunal de grande d'instance d'Annecy l'a dit aux maires : dans l'état du droit actuel, n'attendez rien de plus de l'autorité judiciaire.
D'où ma proposition de loi pour modifier la loi Besson. Ce texte n'est pas discriminatoire. Le Conseil constitutionnel ne l'aurait pas accepté - ni, avant lui, notre président Philippe Bas. Et le sujet requiert un esprit de concorde, plutôt que d'affrontement.
Il faut éviter deux écueils. L'angélisme naïf tout d'abord : n'ayons pas un double langage en disant que l'accueil des gens du voyage ne pose pas de problème et en pressant les autorités, sur le terrain, de faire respecter la loi. L'amalgame, ensuite, et la stigmatisation des gens du voyage : seule une minorité bafoue les lois, au préjudice de l'ensemble des gens du voyage.
Ma proposition de loi vise à responsabiliser et à sanctionner. Sortons du débat d'un autre siècle qui voudrait opposer information, éducation et sanction.
Les lois Maptam et NOTRe ont confié aux EPCI à fiscalité propre une compétence d'aménagement et de gestion des aires d'accueil, sans en tirer les conséquences sur la loi Besson. Aussi, l'article premier de ma proposition distingue-t-il clairement les compétences des EPCI et des communes. L'article 2 bis rappelle que la compétence en matière de création des aires est bien de la compétence des EPCI à fiscalité propre, en excluant des schémas départementaux les établissements ne comptant pas de commune de plus de 5 000 habitants - c'est le sens de la loi Besson.
L'article 2 supprime la procédure de consignation adoptée par l'Assemblée nationale dans la loi Citoyenneté, car elle est trop coercitive pour les collectivités locales - rappelons qu'une place en aire d'accueil coûte, en moyenne et selon la Cour des comptes, quelque 35 000 euros.
L'article 3 prévoit un mécanisme d'information pour anticiper les grands passages et confie au préfet un pouvoir de police dans ce contexte.
L'article 4 met fin à une interprétation erronée de la loi Besson en ouvrant explicitement le droit à l'évacuation aux communes en règle avec leurs obligations même si elles font partie d'un EPCI qui ne l'est pas.
L'article 5 précise que la mise en demeure de quitter les lieux concerne la totalité de l'EPCI et de la commune - ceci pour éviter que les personnes expulsées ne se réinstallent à proximité.
Ensuite, je vous propose d'ajouter au trouble à l'ordre public - qui autorise l'évacuation - le cas où l'occupation illicite du terrain est de nature à entraver une activité économique ou agricole, y compris les terrains en jachère.
Je vous propose également deux mesures pour accélérer ces procédures administratives : réduction du délai de mise en demeure et fixation à 48 heures du délai de recours contre la décision du préfet. Je vous propose, encore, que le préfet puisse prononcer l'évacuation dès lors qu'un terrain d'accueil est disponible à moins de 50 kilomètres.
L'article 6 double les peines encourues, crée un mécanisme de pénalité financière jusqu'à 1 000 euros par jour et par véhicule. Il permet également le transfert, vers des aires d'accueil, des véhicules servant d'habitation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
À ces mesures s'ajoutent celles proposées par Loïc Hervé et par la commission des lois.
Je salue l'écoute, le pragmatisme et la sérénité de notre rapporteur Catherine Di Folco. La sérénité, voilà ce qu'attendent la majorité des gens du voyage victimes d'une minorité et la population qui sait que le vivre ensemble est l'ADN de la France pourvu que chacun respecte les lois.
La loi doit énoncer clairement les droits et devoirs de chacun car la liberté, fût-elle de circuler, s'arrête là où commence celle de l'autre. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Loïc Hervé, auteur de la proposition de loi n°680 . - Il y aurait dans notre pays des sujets si difficiles que le législateur devrait être précautionneux et s'abstenir plutôt qu'agir : l'accueil des gens du voyage en fait manifestement partie.
Tordons le cou à une inversion des responsabilités. On nous dit que les élus sont fautifs car ils ne respectent pas assez la loi Besson. Or ils ont porté des investissements considérables dont ils assument la charge, c'est souvent un choix difficile à assumer devant nos concitoyens. Dans la communauté de communes dont je suis le président, la construction de 30 places d'accueil nous a coûté un million d'euros hors foncier. La Haute-Savoie est une terre d'accueil et de passage, un département dynamique, frontalier et attractif qui respecte son schéma départemental tant concernant les aires d'accueil, de grand passage et de sédentarisation. Chaque année dès février, des stationnements illicites sont constatés qui gênent l'activité économique. Ne nous leurrons pas : l'offre d'aires aménagées ne répondra pas à une demande toujours croissante.
Un travail de fond avec les élus, les acteurs de l'éducation nationale et les forces de l'ordre nous a permis de faire des propositions.
Redonner aux élus un moyen d'action efficace : voilà la priorité. La réalité du terrain nous appelle à légiférer à nouveau. Le texte de la commission est issu de la proposition de loi de Jean-Claude Carle et de la mienne. Nous sommes tous deux élus de Haute-Savoie. Nous connaissons le terrain et nous nous faisons l'écho de bien des élus, maires, présidents d'intercommunalités ou de syndicats, tous de bonne volonté, qui font face à la loi bafouée avec des dégradations se chiffrant en dizaines de milliers d'euros.
Nos propositions sont concrètes et mesurées. Je ne crois pas utile de réécrire la loi Besson. Clarifier les compétences des communes et des EPCI, renforcer l'arsenal pénal : tout cela est indispensable.
Je remercie Catherine Di Folco pour son travail d'analyse et d'amélioration juridique du texte : chaque mesure en est pesée très finement.
Madame la ministre, vous avez pris le temps de recevoir les élus fin juillet. Vous connaissez les problèmes de terrain, l'inquiétude des élus, parfois leur épuisement. Vous savez que ce sujet menace le pacte social. L'État de droit existe quand les décisions administratives ou judiciaires donnent lieu à une exécution rapide.
Il y va de notre crédibilité collective, celle de tous ceux qui disposent d'une autorité publique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois . - La commission des lois a examiné conjointement les deux textes. En matière d'accueil, d'habitat et de stationnement des gens du voyage, notre droit se caractérise depuis bientôt trente ans par la recherche d'un équilibre entre les droits et les devoirs de chacun.
Toutefois, l'équilibre demeure précaire. Les aires et terrains d'accueil destinés aux gens du voyage ne sont pas en nombre suffisant, en raison notamment du désengagement financier de l'État qui ne finance plus depuis 2009 la réalisation des aires d'accueil et terrains familiaux sauf pour les communes nouvellement inscrites au schéma départemental.
M. Jean-Claude Carle. - C'est vrai !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les crédits de paiement sont passés de 46 millions d'euros en 2008 à 5,3 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018. Quant à l'aide au fonctionnement, selon la Cour des comptes, la réforme de l'aide au logement temporaire à compter du 1er janvier 2015 a fait baisser les montants versés de 36,7 millions d'euros en 2014 à 32 millions d'euros en 2015.
De gros progrès ont été réalisés : le nombre de places disponibles s'élèvent à 26 873, soit 70 % des objectifs des schémas départementaux - mais les objectifs sont atteints pour moitié s'agissant des aires de grand passage en 2014. L'État doit donner aux communes les moyens d'exercer leurs compétences.
Les terrains et aires, cependant, sont loin d'être tous occupés : le taux de fréquentation serait de 55 %. Cependant, les occupations illicites perdurent et auraient même tendance à augmenter. Les élus locaux manquent de moyens pour y faire face.
Entendons-nous bien : il n'est pas question de mettre les gens du voyage au ban de la société, leur mode de vie mérite respect et considération - ils se sont vu reconnaître de longue date par la République le droit d'être accueillis sur le territoire des communes où ils viennent à s'établir. Les représentants de leurs associations nous ont dit vouloir être traités comme tout citoyen français ; mais les citoyens français ont des droits et des devoirs - et ils sont sanctionnés s'ils ne respectent pas ces derniers.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Ces propositions de loi répondent concrètement aux problèmes posés par les installations illicites, elles précisent les conditions de mise en oeuvre des schémas départementaux et permettent une meilleure préparation des grands passages, ainsi qu'un renforcement des mesures pénales.
La commission a adopté à l'article premier deux amendements qui apportent des garanties aux élus sur le contenu du schéma.
À l'article 2, elle a souhaité que le pouvoir de substitution de l'État en matière de consignation des fonds à l'encontre des collectivités territoriales ne s'exerce que six mois après la mise en demeure du préfet.
Sur la gestion des grands passages et grands rassemblements, la commission n'a pas souhaité, à l'article 3, transférer au préfet le pouvoir de police municipale, car cela laisserait les élus démunis - et ce transfert reste facultatif.
Quant au stationnement des résidences mobiles, l'article 4 étend aux maires des communes et au président de l'EPCI un pouvoir de police spéciale, dès lors que la commune est pourvue d'une aire d'accueil.
Concernant l'évacuation des campements illicites, elle reste difficile faute de moyens : l'article 5 accélère sa mise en oeuvre en limitant à 48 heures le délai de recours contre la décision du préfet.
Pour répondre aux préoccupations des élus, la commission a élargi les motifs de mise en demeure, en plus du cas du trouble à l'ordre public : le droit de propriété, la liberté d'aller et de venir des autres habitants, la liberté du commerce et de l'industrie, et la continuité du service public. La commission a également facilité le recours aux procédures juridictionnelles de droit commun que sont le référé administratif, le référé civil et la requête civile. Cette dernière procédure, non contradictoire, est particulièrement adaptée dans l'hypothèse fréquente où il est impossible d'obtenir l'identité des occupants sans titre.
La commission a donné un avis favorable aux amendements de Loïc Hervé visant à rendre plus effectives les sanctions judiciaires. L'article 6 double les peines encourues : un an d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende. Il permet le transfert des véhicules destinés à l'habitation sur toute aire ou terrain aménagé à cet effet dans le ressort du département, et il instaure une amende forfaitaire délictuelle.
L'article 7 renforce les sanctions pénales en cas de dégradation du bien d'autrui.
L'article 8 crée un délit d'occupation habituelle sans titre d'un terrain : au moins quatre contraventions sur une période inférieure ou égale à 24 mois caractérisent l'habitude.
L'article 9 permet l'application de la peine complémentaire en cas d'infraction sur un terrain.
L'article 10 rend la proposition de loi applicable outre-mer.
Une dernière proposition de Loïc Hervé n'a pu être retenue, car réglementaire : la présence obligatoire du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) à la commission départementale consultative du schéma départemental. Il serait néanmoins intéressant de faire un état des lieux de la scolarisation des enfants des gens du voyage - sachant que le taux de scolarisation est faible : 70 % en primaire et seulement 5 % au collège. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Loïc Hervé et Mme Françoise Gatel. - Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Votre Haute Assemblée a souhaité remettre à l'ordre du jour la révision du cadre juridique applicable aux gens du voyage. La loi Besson avait déjà été modifiée en 2014 et 2015, ainsi que par la loi Égalité et citoyenneté en 2017.
Je salue le travail de la commission des lois. Moins d'un an après l'entrée en vigueur de la loi Citoyenneté, cependant, fallait-il remettre en question les mesures qui concernent les gens du voyage ?
M. Loïc Hervé. - Oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'ai reçu le 26 juillet dernier, au ministère, des élus locaux de Haute-Savoie qui souhaitaient m'alerter sur la multiplication des occupations illicites de terrains, d'autant plus important que le département est frontalier.
Au cours de 2017, la Haute-Savoie a été confrontée à des installations illicites qui ont provoqué des tensions vives avec les agriculteurs, et la population, créant un climat délétère, facilitant l'amalgame entre ces pratiques frauduleuses et l'ensemble des gens du voyage.
Nous avons demandé aux préfets d'utiliser les articles existants.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Ils sont insuffisants.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Fin 2016, 26 755 places étaient disponibles en aires d'accueil, soit 70 % de ce qu'avait prescrit les schémas départementaux. Précisons que dans certains départements, le schéma est respecté à 100 %. (Mme Françoise Gatel le confirme.) En Haute-Savoie, vous êtes presque à 100 %.
Mme Françoise Gatel. - Absolument !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le rapport de la Cour des comptes en 2017 montre que le nombre de places continue à progresser - le progrès est de 25 % entre 2010 et 2015.
Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, et Nord-Pas-de-Calais : ces régions ont un taux faible. Cela dit, l'implantation géographique des aires n'est pas toujours pertinente dans ces régions.
La question de l'acceptation par les riverains de l'implantation de ces aires doit aussi être prise en compte. La Cour des comptes relève enfin une tendance à « l'ancrage territorial » des gens du voyage qui conduit à une occupation quasi permanente de certaines aires d'accueil, voire d'aires de grand passage, certaines faisant même l'objet d'une appropriation totale par des groupes familiaux.
Le Gouvernement souhaite une approche équilibrée de la question, dans la sérénité.
II nous appartient à tous collectivement, Gouvernement, administration, élus nationaux et locaux, de donner aux gens du voyage les moyens de pouvoir vivre selon la manière qu'ils ont choisie. C'est tout l'objet et le sens de la loi du 5 juillet 2000 dont l'application doit être garantie, encouragée, accompagnée. Les gens du voyage doivent pouvoir vivre selon le mode de vie qu'ils ont choisi, mais dans le respect des lois de la République. Nous y veillerons.
Le transfert des compétences aménagement et entretien des aires aux communes et aux EPCI n'a pas été accompagné des modifications adéquates de la loi Besson. Les EPCI sont compétents, mais les obligations et les charges pèsent sur les communes. (M. Marc-Philippe Daubresse renchérit.) Ici, les propositions de la commission des lois sont une base de réflexion intéressante. La procédure d'anticipation des grands passages est une autre mesure intéressante. La circulaire du 10 avril 2017 du ministère de l'intérieur définit des conventions d'occupation qui fixent précisément les conditions et délais de stationnement, ce qui responsabilise les acteurs ; restent, cependant, les arrivées parfois inopinées, car les associations ne contrôlent parfois pas les mouvements.
M. Alain Dufaut. - Parfois ? C'est systématique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le Gouvernement ne peut pas accepter, en revanche, l'affaiblissement des obligations figurant dans les schémas territoriaux. (Marques d'approbation sur les bancs du groupe SOCR)
Certes, le soutien de l'État n'est pas le même qu'en 2008.
M. Jean-Claude Carle. - C'est clair !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le soutien à l'action locale n'interdit pas que les communes sollicitent une aide supplémentaire au titre de la DETR.
M. Marc-Philippe Daubresse. - C'est un voeu pieux !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je peux comprendre la réflexion sur le pouvoir de police spéciale pour les communes qui respectent leurs obligations mais qui appartiennent à un EPCI qui ne respecte pas ses obligations. De même l'application de la procédure forfaitaire au délit d'application est une piste intéressante pour lutter contre les installations illicites.
En revanche, l'instauration, à l'article 5, d'un délit d'occupation habituelle d'un terrain à titre illégal paraît bien fragile sur le plan constitutionnel : le Gouvernement ne la soutiendra pas.
MM. Carle et Hervé ont rappelé la disponibilité du Gouvernement à rencontrer les élus. Nous sommes conscients des difficultés locales. C'est dans un état d'esprit constructif que je souhaite débattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe LaREM)
Mme Françoise Gatel . - Je remercie la commission des lois et son président de s'être saisis des propositions de loi de MM. Hervé et Carle qui font écho aux difficultés des élus locaux, en Haute-Savoie mais aussi des départements littoraux comme l'Ille-et-Vilaine.
Je salue l'excellent travail de notre collègue Di Folco. Nier la réalité n'a guère fait disparaître les difficultés. (M. Loïc Hervé renchérit.)
La citoyenneté est faite de droits et de devoirs. La loi de 1990 a prévu l'aménagement d'aires pour les gens du voyage. Dix ans après, seules un quart des communes remplissaient leurs obligations. En 2000, la loi Besson a renforcé les obligations des communes et a prévu une procédure d'expulsion en cas d'occupations illicites si le stationnement porte atteinte à la tranquillité et à la salubrité publiques. Autant dire qu'elle est difficile à appliquer. Trop souvent les maires se retrouvent démunis pour faire face aux altercations violentes avec la population.
Le texte que nous examinons répond aux difficultés liées à l'installation illégale des gens du voyage sur des terrains publics ou privés. Loïc Hervé propose judicieusement de renforcer les sanctions pénales en cas de dégradation d'un terrain appartenant à autrui.
Ce texte poursuit des efforts de cohérence dans la mise en oeuvre des schémas départementaux. Entre 2010 et 2015, 25 % de places supplémentaires ont été créées sur le territoire national. La Cour des comptes a estimé à 35 000 euros le coût de la création des aires d'accueil. Dans le contexte budgétaire restreint que nous connaissons, il est judicieux de prévoir que l'obligation de construire des aires ne s'appliquera pas dans les communes de plus de 5 000 habitants. Attention : le taux moyen d'occupation est seulement de 55 %. Je remercie la commission d'avoir accepté mon amendement qui prend en compte le taux d'habitation moyen dans un secteur donné pour mieux évaluer la nécessité de construire des aires.
Les élus locaux doivent avoir les moyens d'exercer les responsabilités que la loi leur a confiées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Arnaud de Belenet applaudit aussi.)
M. Jean-Luc Fichet . - La proposition de loi de MM. Carle et Hervé me laisse perplexe. Ces mesures remettent en cause un dispositif équilibré voté il y a dix mois à peine au sein de la loi Égalité et citoyenneté. (M. François Bonhomme, Mme Françoise Gatel et M. Loïc Hervé ironisent.)
La question du stationnement des gens du voyage est récurrente, les réformes législatives sont nombreuses depuis une trentaine d'années - et je rends hommage aux élus locaux qui montrent chaque jour combien une action en matière d'aménagement du territoire est essentielle.
C'est pourquoi le gouvernement précédent a voulu une réforme concertée et débattue - et, dans la loi Égalité et citoyenneté, nous avons précisé les conditions d'application du schéma territorial et amélioré la loi Besson, en permettant aux maires d'intervenir en cas de premier stationnement illicite et d'installation sur un autre terrain voisin, mais aussi en renforçant la mise en demeure et l'exécution forcée.
Dans le souci d'une juste reconnaissance des droits et devoirs de chacun, la loi Égalité et citoyenneté a supprimé le livret de circulation.
M. Loïc Hervé. - Nous n'y revenons pas !
M. Jean-Luc Fichet. - Nous sommes conscients des difficultés. Mais nous améliorerons la situation en rappelant les droits et non en instaurant un arsenal répressif supplémentaire. (Protestations au centre et à droite)
Mme Françoise Gatel. - Caricature !
M. Jean-Luc Fichet. - Quel est le rôle de cette proposition de loi, sinon de faire de l'affichage, alors que tous les décrets d'application de la loi Égalité et citoyenneté ne sont même pas parus ! (Marques d'indignation au centre et à droite) Prenons le parti de l'intelligence. (Marques d'ironie au centre et à droite) Seuls ceux qui respectent leurs obligations en matière d'aires d'accueil doivent pouvoir réprimer.
M. Jean-Claude Carle. - C'est ce que nous disons !
M. Loïc Hervé. - C'est le cas en Haute-Savoie !
M. Jean-Luc Fichet. - Mais ce n'est pas le cas partout : la Cour des comptes a relevé que 170 aires d'accueil avaient été construites, sur les 348 prescrites, et que seuls 18 départements respectaient leurs obligations. Mon groupe s'opposera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Paul Émorine. - Évidemment !
M. Dany Wattebled . - De nombreux maires subissent chaque année des occupations illicites de terrains par les gens du voyage. Les élus locaux sont désemparés lorsqu'ils voient les lois de la République violées. Cette situation est inacceptable. Quel sénateur peut nier qu'il a été alerté par les élus locaux sur ce problème ? (Mme Françoise Gatel et M. Jean-Claude Carle le confirment.)
Si nous voulons pacifier les relations entre les gens du voyage et les autres habitants, il faut donner plus de droits aux communes et plus de moyens juridiques à leurs élus afin d?équilibrer les droits et devoirs des gens du voyage et ceux des communes.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Dany Wattebled. - Depuis la loi Besson, avec les établissements publics de coopération intercommunale, elles ont dû consentir de lourds investissements. En 2018, la métropole de Lille doit réaliser 310 places d'aire d'accueil permanente et 210 places d'aire de grand passage, pour un coût de 4 millions d'euros en investissement et près de 3 millions en fonctionnement, pour une recette globale d'un million d'euros. Nous aurons l'occasion de revenir sur l'application de l'article 10 du projet de loi de programmation des finances publiques à cet égard.
Ces deux propositions, réunies en une seule par la commission des lois, tentent d'améliorer l'équilibre entre droits et devoirs, de clarifier le rôle de l'État, des collectivités et de leurs groupements, de moderniser les procédures d'évacuation des stationnements illicites et de renforcer les sanctions en cas d'installations illégales. Une circonstance aggravante serait ainsi créée, selon l'article 3 de la proposition de loi de Loïc Hervé, à l'article 322-3 du code pénal, en cas de destruction, de dégradation ou de détérioration d'un bien appartenant à autrui au cours d'une installation illicite ; les peines seraient alourdies si le bien est détruit, dégradé ou détérioré et s'il est destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique ou chargée d'une mission de service public.
Je suis favorable à cette proposition qui lance un signal aux magistrats : sans sanction, pas de dissuasion et les gens du voyage bénéficient d'une impunité.
Un schéma interdépartemental d'accueil des gens du voyage serait préférable au schéma départemental, actuellement élaboré conjointement par le préfet et le président du conseil départemental.
Je regrette par ailleurs la longueur des procédures administratives et le fait que le Parquet renonce à poursuivre lorsque des biens municipaux sont dégradés.
Ce texte répond aux attentes des élus locaux en restaurant l'équilibre entre droits et devoirs des gens du voyage et ceux des collectivités. Le groupe « Les Indépendants » le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Alain Marc. - Très bien !
M. Stéphane Ravier . - Face à la question des gens du voyage, comme souvent, l'État ne prend pas ses responsabilités, tout en ayant le toupet de réclamer aux communes de nouvelles installations alors qu'il ne cesse de diminuer leurs subventions.
Le coût d'une place en aire d'accueil est de 35 000 euros. La construction de grandes aires revient ainsi à plusieurs millions d'euros. Or les installations sont boudées par leurs bénéficiaires !
À Toulouse, deux aires de grand passage ont été utilisées par trois groupes, neuf groupes préférant s'installer ailleurs.
Le blocage de l'autoroute A1, en août 2015, est dans toutes les mémoires. Les citoyens français que sont les gens du voyage ont des droits et des devoirs.
À Marseille, un terrain de sport a été dévasté, comme c'est le cas chaque année lors du traditionnel rassemblement aux Saintes-Maries-de-la-Mer... Les communautés ne doivent pas se croire partout chez elles. Il ne suffit pas de prononcer les peines, il faut aussi les appliquer.
Le fond du problème, c'est un État lâche. La loi, rien que la loi, mais toute la loi ! Que les moyens soient donnés au maire et aux forces de l'ordre, l'accueil des gens du voyage n'en sera que plus facilement accepté.
M. Yvon Collin . - Le sujet est sensible : s'affrontent la liberté d'aller et venir des uns et le droit de propriété des autres ; l'aspiration à la tranquillité des riverains et les atteintes à l'ordre public.
La République avait soumis les gens du voyage à un statut exorbitant du droit commun. Elle ne saurait non plus accepter que la loi ne soit pas appliquée.
Nous avons tous en tête des exemples de bonne entente ou a contrario d'occupations illicites répétées, qui désorientent les élus locaux.
Nous qui avons un peu d'expérience, nous nous souvenons de la loi Besson, des améliorations de 2003 et 2007, des rapports de la Cour des comptes et de la loi Égalité et citoyenneté, qui date de 2017 et dont toutes les dispositions ne sont pas encore applicables.
La prescription de Nicolas Boileau pour l'art poétique vaut-elle pour l'écriture de la loi ? Faut-il avec tant d'empressement remettre l'ouvrage sur le métier ? Laissons à la nouvelle loi le temps de s'appliquer !
Chacun doit en effet respecter la loi, toute la loi : les collectivités territoriales, responsables de l'accueil ; les gens du voyage, qui doivent respecter les règles collectives ; et l'État, garant de cet équilibre et de la solidarité nationale. Or la proposition de loi n'est pas sans rappeler la proposition de loi Hérisson examinée opportunément fin 2013, début 2014, quelques mois avant les élections municipales. Les sénateurs RDSE sont circonspects.
Certaines dispositions du chapitre premier peuvent avoir notre assentiment ; ce n'est pas le cas pour les articles qui remettent en cause les grands équilibres, dont l'alourdissement des sanctions pénales.
C'est avec responsabilité et un esprit de concorde que nous examinerons ce texte. Notre vote final dépendra du sort de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes CRCE, SOCR, Les Indépendants)
M. Arnaud de Belenet . - Quelle quête que celle de l'équilibre entre mode de vie des itinérants et respect de la réglementation du stationnement des résidences mobiles !
Le Conseil d'État en 1983 avait consacré le droit pour les gens du voyage d'être accueillis dans les communes. Le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision du 9 juillet 2010 que la liberté d'aller et venir était constitutionnellement garantie.
Toutefois, les précédents orateurs ont bien dit l'exaspération des maires.
Dix-sept départements ont rempli leurs obligations. La Seine-et-Marne, aussi attractive que la Haute-Savoie, quoique pour d'autres raisons, figure parmi les bons élèves, avec 811 places sur les 1 214 prescrites. La maîtrise par le préfet du calendrier reste une question.
De plus, comme l'a relevé la Cour des comptes, la scolarisation des enfants est préoccupante, et près de 60 % des places restent disponibles.
L'effort des collectivités territoriales n'est pas suffisant. Nous ne pouvons que partager les objectifs poursuivis. Mais certaines dispositions posent problème.
Il est difficile d'exclure 45 % des intercommunalités - celles qui ne comptent aucune commune de plus de 5 000 habitants - des obligations. Le renforcement des peines laisse sceptique, sachant que l'occupation illicite n'a donné lieu qu'à 60 condamnations, dont 5 à de la prison ferme...
La confiscation des véhicules d'habitation est incompatible avec l'inviolabilité du domicile et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; l'article 8 créant un délit de fraude d'habitude d'installation sur le terrain d'autrui, semble difficile à appliquer.
Cependant, nous soutenons plusieurs dispositifs de la proposition de loi, comme lorsqu'elle tire les conséquences des lois NOTRe et SRU, la création d'un mécanisme d'information obligatoire ou l'extension aux maires du pouvoir d'interdire le stationnement des résidences mobiles. (M. Jean-Claude Carle approuve.)
Nous soutenons l'innovation que représente l'amende forfaitaire délictuelle.
M. Loïc Hervé. - Très bien.
Mme Françoise Gatel. - Absolument.
M. Arnaud de Belenet. - Le groupe LaREM se retrouve dans le positionnement de Mme la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. Pierre-Yves Collombat . - L'accueil des gens du voyage est un véritable casse-tête et une source de conflits et de difficultés permanentes pour les élus locaux qui en ont la responsabilité, comme en témoignent les deux propositions de loi synthétisées dans la version de notre commission.
C'est la loi Besson qui a posé la base de la législation en vigueur dans le domaine. Les lois Maptam et NOTRe transfèrent aux EPCI l'obligation des communes.
Les difficultés sont dues pour une part à la non-application de la loi par les communes : en 2014, 35 % des aires d'accueil permanentes restaient à réaliser et 18 % de celles qui existent ne répondaient pas complètement à leurs obligations.
Il est aussi difficile de faire appliquer la loi, les préfets répugnant à réagir par l'emploi de la force publique lorsque des gens du voyage occupent des terrains comme bon leur semble alors même que parfois il existe une aire d'accueil réglementaire dans la commune.
Nous ne sortirons de l'impasse que lorsque nous ferons appliquer la loi Besson aux uns et aux autres. (M. Jean-Pierre Sueur approuve.)
Le transfert aux EPCI devrait avoir permis la réalisation des aires d'accueil. Le seul tort du texte de la commission, qui prétend clarifier, c'est qu'elle le dit de manière incompréhensible... D'où notre amendement n°1 qui le réécrit clairement.
Notre amendement n°2 rétablit par cohérence la consignation des fonds des aires ne respectant pas le schéma départemental. Car certaines n'entendent aucunement les respecter !
Nous regrettons le durcissement des sanctions : à quoi bon si nous ne sommes pas capables d'appliquer les sanctions existantes ? Quand vous avez confisqué les véhicules d'habitation, que ferez-vous des gens qui les occupent ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Excellente question !
M. Pierre-Yves Collombat. - Quant à la privation de permis de conduire, cela ne fera que multiplier les conducteurs sans permis, déjà trop nombreux aujourd'hui ! (M. Loïc Hervé proteste.) Nous voterons ce texte si nos amendements de bon sens sont acceptés... (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur applaudissent aussi.)
M. Cyril Pellevat . - Ce texte est hautement attendu par de nombreux élus notamment en Haute-Savoie. Ce n'est pas une coïncidence si les trois sénateurs de ce département, comme leurs prédécesseurs, ont tour à tour déposé des questions orales ou écrites, rédigé des propositions de loi et interpellé comme je le fais depuis trois ans les ministres de l'intérieur qui se sont succédé.
Madame la ministre, vous nous avez reçus, avec nos collègues de Haute-Savoie et je tiens à vous en remercier ; vous savez que la situation est préoccupante et que nous sommes assis sur une poudrière. Tout d'abord, différencions la grande majorité des gens du voyage, qui respectent les règles, de ceux qui se comportent comme des délinquants.
Pas une des années que j'ai vécues comme maire d'une commune rurale ne s'est écoulée sans que je n'aie connaissance d'installations illicites. La tension est de plus en plus forte.
Les élus de mon territoire respectent leurs obligations dans le cadre du schéma départemental. Mais certains groupes s'affranchissent du respect des lois et du droit fondamental de propriété : 57 communes ont subi au moins une occupation illicite et 103 demandes d'arrêtés de mise en demeure ont été formulées en 2017, contre 89 en 2016 - plus de 70 % à cause de deux familles. Les élus locaux n'en peuvent plus de subir des invectives, des menaces, de constater des dégradations d'espaces publics...
Le terrain de foot de ma commune - qui avait dépensé 30 000 euros pour l'aménager - a été ainsi détruit. Bien sûr, puisqu'il est impossible d'attaquer un groupe, nous ne pouvons pas porter plainte et les dégâts sont à la charge de la commune. Il faut que cela change.
Les propriétaires privés, les chefs d'entreprise, les agriculteurs, ne comprennent pas les occupations illégales de leurs terrains, de leurs outils de travail, de leurs parkings. Je comprends ceux qui, excédés, crient à l'aide et manifestent, se mobilisent : j'étais récemment à leurs côtés en Haute-Savoie.
Les gendarmes aussi sont épuisés. Les préfets sont lassés de devoir lancer des procédures toujours plus nombreuses.
Il est donc urgent de légiférer. La situation empire d'année en année. Nous frôlons chaque jour la catastrophe et je crains que tout cela n'aboutisse à un cas mortel.
Ces deux propositions de loi apportent des solutions concrètes. Merci à Mme le rapporteur. Chacun espère un rôle du Sénat et une navette, à l'Assemblée nationale, pour une application rapide. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Yves Leconte . - Les occupations illicites sont inacceptables, les dégradations révoltantes, les émotions compréhensibles. Mais nous sommes ici pour voter la loi. Pas pour accroître les émotions.
Jean-Claude Carle présente sa proposition de loi comme la suite de la loi Besson, prétendant qu'elle n'a pas évolué, alors qu'elle a été adaptée par le précédent gouvernement, dans le cadre de la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017, qui a renforcé les procédures administratives. (M. Jean-Claude Carle proteste.)
Comment parler de désengagement de l'État ? Si les communes ne remplissent pas leurs obligations, elles n'ont pas de subventions... (Protestations sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Françoise Gatel. - Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Yves Leconte. - C'est un fait ! Nous espérons que le pouvoir de consignation qui succède à la substitution préfectorale aura des effets : attendons-en l'application ! Ne remettons pas en cause cet équilibre !
Il y a encore 3 100 places à construire sur les 5 471 envisagées, et dix-sept départements seulement respectent leurs obligations.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Dix-huit !
M. Jean-Yves Leconte. - Peut-être, mais en février 2017, c'était dix-sept, d'après la Cour des comptes. Et il n'y a que 170 aires de grands passages, contre 348 prescrites.
Il faut contraindre chacun à respecter ses obligations, mais aussi faire en sorte que les collectivités respectent les leurs. En effet, les communes qui respectent leurs obligations pâtissent des conséquences du comportement des autres...
M. Loïc Hervé. - On ne peut pas dire cela ! C'est inadmissible ! Ne les montez pas les unes contre les autres !
M. Jean-Claude Carle. - Sur le fond, vous avez raison ! (Mouvements divers)
M. Jean-Yves Leconte. - Le président Hollande a reconnu la responsabilité de l'État français dans le génocide tzigane et aboli le livret de circulation et les restrictions au droit de vote. (Interruptions) Ce texte procède d'une autre logique...
Il faut que chacun respecte la loi. Les enjeux, pour les Français itinérants, sont différents. Ne nous fixons pas sur une situation qui a conduit, par la loi Égalité et citoyenneté à des dispositions nouvelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Loïc Hervé. - Venez en stage en Haute-Savoie !
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques bancs du groupe UC) La législation est hautement perfectible. Après dix-sept ans d'expérience, la loi doit être amendée. En octobre 2016, le Sénat avait déjà manifesté sa volonté d'équilibrer la loi Besson, mais l'Assemblée nationale avait préféré le dogmatisme au pragmatisme. (M. Jean-Claude Carle et Mme Françoise Gatel approuvent.)
Certains événements ont marqué les esprits, tel le blocage de la ville de Cannes par 180 caravanes en juin dernier en raison du refus d'un terrain attribué par le préfet.
M. Gilbert Bouchet. - Oui, c'est scandaleux !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Les gens du voyage se déplacent de moins en moins. Proposer un outil juridique pour évacuer dans les meilleurs délais apporte un signal fort aux élus, qui ne peuvent rien faire.
Je pense aux communes avec aire d'accueil à jour de leurs obligations, mais faisant partie d'EPCI où d'autres communes n'ont pas aménagé d'aire d'accueil...
M. Jean-Marie Janssens. - Eh oui !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - C'est une double peine, puisque le préfet peut refuser le concours de la force publique. (MM. Jean-Claude Carle et Loïc Hervé renchérissent.)
Ainsi le squat d'un terrain de rugby à Nice en 2013 a coûté 620 000 euros en réparations alors que les emplacements légaux existaient depuis cinq ans ! La Cour des comptes a chiffré leur coût à 35 000 euros. Le taux de remplissage de l'aire de Nice, l'une des plus anciennes, construite il y a onze ans, est de 83 %. Elle a coûté 2,4 millions d'euros en investissements et coûte 270 000 euros en fonctionnement, soit 2,5 millions d'euros, même si elle reste inoccupée. Le décret de décembre 2014 a de plus réformé les modalités de calcul de l'allocation logement temporaire.
Il est regrettable que les communes qui font des efforts soient encore pénalisées.
Face à la raréfaction des financements publics, les communes doivent avoir la certitude de pouvoir compter sur l'appui de la force publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marc Gabouty, Mmes Françoise Gatel et Jocelyne Guidez applaudissent également.)
M. Alain Milon . - Accueillir les gens du voyage est un devoir. Il mérite l'attention de tous les acteurs concernés, mais la réalité est différente, l'implication souvent insuffisante et l'investissement de l'État recule.
L'aménagement, l'entretien et la gestion des aires d'accueil est désormais une compétence des EPCI, ce qui n'est pas incohérent, car elle peut s'intégrer à la compétence « logement », mais il est très pénalisant de l'exercer sans soutien de l'État - les subventions prévues par la loi Besson ont disparu. Dans mon département, la répartition de la taxe sur les résidences mobiles est inconnue : qui la perçoit ? Comment est-elle répartie ? Est-ce automatique ? Sur demande ? Selon quels critères ?
Les décrets d'application du complément apporté par la loi Égalité et citoyenneté à l'article 2 de loi du 5 juillet 2000, annoncés par la circulaire du 19 avril 2017, ne sont pas encore parus, mais je doute qu'ils prévoiront un financement.
Le critère démographique des 5 000 habitants obligera à construire des aires sans prendre en compte l'occupation des aires existantes sur le territoire d'une même intercommunalité.
Jusqu'en 2014, l'État subventionnait le fonctionnement des aires en octroyant une aide de 132,45 euros par place et par mois. Depuis le dispositif a évolué au détriment des collectivités puisque si l'enveloppe reste a priori similaire, elle se scinde en une part fixe de 88,30 euros et une part variable de 44,15 euros versée en fonction du taux d'occupation. Cette modification est loin d'être anodine pour les collectivités puisque le taux d'occupation est rarement de 100 % et ce suivi entraîne des dépenses de personnel. La Cour des comptes constatait dès 2012 que le « reste à charge pour les collectivités était significatif ».
On se retrouve devant des situations ubuesques d'aires inoccupées, qui coûtent à l'État comme aux collectivités.
Il faudrait beaucoup améliorer l'accueil des gens du voyage - il est dommage que l'État ne s'en préoccupe plus.
La terminologie législative englobe dans les « gens du voyage » des groupes aux histoires et aux réalités bien différentes, dont les dissensions sont patentes. L'arrivée nombreuse de populations d'Europe de l'Est, notamment croates, pose des problèmes. Comme dans certains quartiers dits sensibles, le sentiment d'impunité s'installe : ports d'arme, trafics, prostitution se développent, suspecte-t-on, sans pouvoir le prouver, faute d'intervention suffisante des services de l'État.
Que celui-ci s'occupe donc d'abord des aspects financiers, aide les collectivités : il y a urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Jean Louis Masson . - Cet article pose un problème qui concerne beaucoup de communes et d'intercommunalités. L'équité veut que les communes de plus de 5 000 habitants créent des aires d'accueil. Avec cet article premier, l'EPCI peut décider d'installer les aires dans les petites communes. Chacun sait que ce sont les grandes qui tirent les ficelles. (Protestations à droite) On arriverait à des situations injustes : les petites communes se retrouveront les dindons de la farce ! (Mouvement sur les bancs du groupe Les Républicains)
Ainsi, dans la communauté d'agglomération de Metz, le maire d'une commune de plus de 5 000 habitants s'est débrouillé pour implanter l'aire d'accueil des nomades dans une commune de 160 habitants !
Selon l'esprit de la loi, les communes les plus importantes devraient assumer ce type de responsabilité et non pas les imposer aux autres.
M. Jean-Pierre Sueur . - Merci, madame la ministre, pour votre position équilibrée. Il y a une grande sagesse à dire que chacun doit respecter ses obligations. On ne doit plus accepter que dix-huit départements seulement respectent la loi. Les maires et présidents d'EPCI doivent avoir le pouvoir de la faire respecter. En revanche, n'exaspérons pas les exaspérations !
Présenter un tel texte n'a guère de sens alors que l'encre de la loi Égalité et citoyenneté, qui contenait nombre d'articles dans la philosophie de Louis Besson, est à peine sèche. Chacun le sait, cette loi ne peut s'appliquer pour la simple et bonne raison que nombre de décrets d'application n'ont pas été pris. Demandons au Gouvernement de la mettre en oeuvre...
Mme Françoise Gatel. - Nous ne l'avons pas adoptée !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous, peut-être, mais le Parlement l'a fait. Elle doit donc être appliquée, en vertu de la Constitution.
Gardons un esprit de sagesse et d'équilibre.
La séance est suspendue à 16 h 30.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 16 h 45.