Convention fiscale avec le Portugal
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'avenant modifiant la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - L'avenant du 25 août 2016 entre la France et le Portugal qui vous est soumis est ciblé sur deux catégories de dispositions : résoudre les difficultés de nos compatriotes qui exercent une activité publique au Portugal, principalement les enseignants des lycées français de Lisbonne et Porto, et renforcer la coopération administrative de manière opérationnelle pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.
La France et le Portugal sont liés par une convention fiscale signée en 1971 qui prévoit que le droit d'imposer est partagé entre l'État d'origine et l'État de résidence.
Depuis que le Portugal a décidé d'exercer son droit d'imposition en 2013, des difficultés ont surgi et les agents publics, notamment les enseignants, ont manifesté leur incompréhension devant les contrôles dont ils ont fait l'objet de la part de l'administration portugaise. Le ministère des finances a donc engagé des démarches auprès des autorités portugaises
L'OCDE prévoit que les rémunérations sont imposables uniquement dans le pays d'où elles proviennent. Nos compatriotes résidant au Portugal et percevant une rémunération d'origine française sont donc exclusivement imposables en France. Le Gouvernement portugais a accepté d'aller au-delà et d'étendre ce régime aux binationaux, qu'il en soit remercié. Pour les pensionnés, en revanche, il n'a pas été possible de déroger au modèle de l'OCDE. Cette mesure s'appliquera rétroactivement à compter du 1er janvier 2013 : là encore, merci aux autorités portugaises.
L'autre volet de ce texte concerne la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Conformément à la directive européenne de 2014, la France et le Portugal doivent échanger des informations fiscales de manière automatique à compter du 30 septembre 2017. Il s'agit d'éviter les montages d'optimisation, dans la lignée du projet BEPS (Base erosion and profit shifting) de l'OCDE et du G20.
Cet accord est très attendu. Il a été ratifié par le Portugal le 3 avril 2007. Je vous invite à le ratifier, car il facilitera la vie de nos agents et retraités publics résidant au Portugal. (Applaudissements)
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances . - En décembre dernier à l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait déposé un amendement pour ratifier cette convention fiscale dans un simple article de la loi de finances rectificative. Le Sénat s'y était opposé, et le Conseil constitutionnel lui a donné raison, ce qui a évité de créer un précédent fâcheux. Cet exemple montre, si nécessaire, que nous restons attentifs et que nous avons une expertise, même si celle-ci n'est plus requise d'un parlementaire...
Ce texte met en conformité avec le modèle de l'OCDE les règles fiscales applicables en prévoyant une imposition exclusive à la source. La convention de 1971, dérogatoire sur ce point, est devenue problématique en 2013 quand le Portugal, alors en pleine crise économique, a engagé des contrôles fiscaux sur les personnels des lycées français de Lisbonne et Porto.
Cet avenant modernise également les dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, sur l'échange d'informations et l'introduction de clauses anti-abus. Il s'agit là de modifications bienvenues qui justifient la ratification de l'avenant.
Les nouvelles règles auront un effet rétroactif à compter de 2013. Mais dans le cas des binationaux, l'effet n'est pas le même selon qu'ils sont actifs ou retraités - ces derniers seront imposés à la résidence. S'agissant des dossiers en cours, ces règles, incontestables sur le fond, placent les personnes concernées dans une situation difficile. Serait-il envisageable que le Portugal accepte de clore ces quelques affaires par une mesure de clémence fiscale ? La France a-t-elle engagé une démarche en ce sens ?
Une incertitude plane sur l'ensemble des conventions fiscales signées par la France. Le 7 juin dernier, 76 pays ont signé les mesures du plan BEPS qui modifie en une seule fois les dispositions anti-abus de quelque 105 conventions bilatérales.
Or en l'absence de version consolidée de la convention, nous ne savons pas mesurer l'ampleur et la nature des modifications, par exemple sur la notion d' « établissement stable ».
Le « jaune » annexé au projet de loi de finances permet de juger de la bonne ou mauvaise coopération d'un État avec la France. Or ce document n'a pas été publié pour les années 2015 ou 2016. Le Gouvernement le juge-t-il toujours pertinent ? Sera-t-il publié pour 2017, et quand ? Sinon, quelles alternatives pour l'information du Parlement ?
Enfin, le statut fiscal avantageux des résidents non habituels (RNH) est bien connu et mérite d'être abordé ici. Il permet aux particuliers qui résident au Portugal plus de 183 jours par an, et notamment aux retraités, de bénéficier pendant dix ans d'une exonération totale d'impôts sur les revenus de source étrangère. Certes, ce régime relève de la souveraineté fiscale du Portugal, mais le Conseil d'État a jugé en 2015 qu'il fallait être non seulement imposable mais effectivement imposé dans un État pour se voir reconnaitre la qualité de résident fiscal, ce qui pourrait remettre en cause les exonérations accordées aux RNH français. La France accepterait-elle qu'un autre État remette en cause sa décision d'exonérer une entreprise oeuvrant pour les Jeux de 2024 ? Une clarification s'impose, au cas par cas.
Il n'est pas forcément opportun d'imposer rétroactivement des personnes qui ont fait le choix de résider au Portugal en toute bonne foi.
Reste qu'il y a bien là une forme de concurrence fiscale offensive ; le Portugal offre aussi des golden visas aux étrangers hors Schengen.
Comment le Gouvernement compte-t-il articuler la lutte contre la concurrence fiscale agressive d'une part et le respect de la souveraineté fiscale des États d'autre part ?
M. Thierry Foucaud . - La convention fiscale que nous examinons vise à harmoniser les dispositions de la Convention de 1971 avec les règles de l'OCDE. Il est opportun de rappeler l'apport de la communauté portugaise au développement de la France dans les années 1960 et 1970. Même si l'optimisation fiscale liée au statut de RNH n'a rien de commun avec les montages offerts par les paradis fiscaux, il conviendrait que les pays de l'Union européenne n'aient pas recours à ce type de mesures pour se rendre plus attractifs.
Pour le reste, nous ne pouvons que nous associer à la ratification de cet avenant.
M. Guillaume Arnell . - La convention fiscale avec le Portugal rejoint le débat plus large de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Soixante-seize pays ont manifesté l'intention de signer l'instrument multilatéral de l'OCDE qui impacte notamment les conventions fiscales bilatérales. En attendant, ce projet de loi nous propose de ratifier cet avenant.
Le RDSE approuve ce texte qui répond aux difficultés de nos concitoyens installés au Portugal. Le zèle manifesté par l'administration fiscale portugaise à partir de 2013 a conduit à des redressements dont les enseignants des lycées français de Lisbonne et de Porto font les frais. Nous connaissons tous les bonnes relations entretenues par la France et le Portugal, et les problèmes économiques de ce pays. Reste que, sans remettre en cause la souveraineté fiscale du Portugal, tout ce qui relève d'une concurrence fiscale déloyale doit être combattu. Le groupe RDSE votera unanimement ce texte.
M. Richard Yung. - Bravo.
M. Michel Canevet . - La convention fiscale de 1971 précède l'adhésion du Portugal à la communauté européenne, en 1986.
Le groupe Union centriste se félicite que la France ait signé la convention multilatérale sous l'égide de l'OCDE, car la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales doit être une priorité de l'action publique.
Pourquoi cet avenant ? Un certain nombre de nos concitoyens fonctionnaires au Portugal se sont retrouvés imposés dans ce pays, par effet d'une convention jusqu'alors inappliquée. Le contexte économique qui a conduit le Portugal à faire preuve de rigueur fiscale explique ce revirement. Dans ce domaine, nous devrions prendre exemple sur notre voisin, qui a réduit son déficit à 2 % du PIB en 2016 et affiche une croissance de 1,8 % pour le premier trimestre, au-dessus des prévisions.
Nos amis portugais ont également pris des dispositions fiscales pour renforcer l'attractivité de leur pays : encore un exemple à suivre.
Cet avenant a été ratifié par le Portugal en août 2016. Il n'a pas été remis en cause par la victoire de ce pays à l'Euro 2016, contre notre équipe nationale... Le groupe Union centriste votera ce texte.
M. Richard Yung . - Le groupe La République en marche votera cet avenant. En tant que sénateur des Français de l'étranger, j'ai rencontré la communauté française au Portugal qui a manifesté une émotion de bonne foi. Longtemps, le Portugal n'a pas appliqué le partage de la fiscalité prévu par la Convention de 1971 et tout le monde vivait heureux au bord du Tage. Un beau jour, il s'est réveillé et a décidé de l'appliquer d'où ces tracasseries fiscales dont se plaignent nos compatriotes. Cet avenant est donc bienvenu et je félicite nos négociateurs de l'avoir obtenu, car la fiscalité est plus douce en France qu'au Portugal...
En revanche, les pensions de retraite des binationaux continueront d'être fiscalisées au Portugal. Comme M. Doligé, je souhaite que le Portugal fasse preuve de clémence dans l'application rétroactive de cette dernière mesure. Cela suppose que le Gouvernement demande une faveur aux autorités portugaises...
Quant aux fiscalités douces qui se développent dans certains pays comme au Maroc ou à l'Île Maurice, elles ne sont pas acceptables au sein de l'Union européenne. Il s'agirait de dumping fiscal, alors que nous recherchons au contraire l'harmonisation et la cohérence.
M. Gérald Darmanin, ministre . - Je remercie le rapporteur pour son travail. J'entends votre demande de clémence sur la rétroactivité ; la France n'a pas fait de démarche particulière mais j'écrirai en ce sens à mon homologue que j'ai reçu juste après ma nomination, ainsi qu'à nos ambassadeurs. Vous recevrez copie de ce courrier.
Le traité multilatéral est très innovant en matière fiscale et nous fera gagner en transparence. Je m'engage à ce que vous ayez une version consolidée des textes de base et avenants pour toutes les conventions fiscales, pour une meilleure information du Parlement.
S'agissant de l'échange de renseignements, la coopération fiscale entre la France et ses partenaires est en général très bonne. Le Gouvernement s'engage à publier avant la fin de l'année le rapport demandé.
Une personne morale ne pourra être considérée comme un résident fiscal au Portugal que si elle est assujettie à l'impôt sur les sociétés. À défaut, elle ne pourra bénéficier de l'application de la convention fiscale.
La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est une priorité du Gouvernement - il en va des recettes publiques. Les discussions au niveau de l'OCDE sont riches. Nous y associerons les parlementaires. La France sera aux côtés de tous ceux qui luttent contre ces pratiques.
Enfin, il est normal que le Portugal cherche à renforcer son attractivité ; nous faisons pareil avec le système des impatriés. C'est une question de souveraineté. Si nous obtenons la clémence fiscale que nous désirons, nos relations n'en seront que meilleures : nous parlerons football, et non fiscalité.
La discussion générale est close.
L'article unique est adopté. Par conséquent, le projet de loi est adopté.
Prochaine séance, lundi 24 juillet 2017, à 16 heures.
La séance est levée à 20 h 20.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus