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Table des matières
Mise au point au sujet d'un vote
Obligations comptables des partis politiques et des candidats (Procédure accélérée)
M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois
Devoir de vigilance des sociétés mères (Nouvelle lecture)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois
M. Christophe-André Frassa, rapporteur
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Discussion de l'article unique
« Faut-il supprimer l'École nationale d'administration ? »
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE
Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique
Ordre du jour du jeudi 2 février 2017
SÉANCE
du mercredi 1er février 2017
50e séance de la session ordinaire 2016-2017
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Jean-François Longeot. - Le 26 janvier dernier, lors du scrutin public n°92, sur le projet de loi de ratification de trois ordonnances instaurant une collectivité unique en Corse, Mme Joissains a été inscrite comme ne participant pas au vote alors qu'elle souhaitait voter pour.
Mme la présidente. - Acte vous en est donné. Il en sera tenu compte dans l'analyse politique du scrutin.
Obligations comptables des partis politiques et des candidats (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques.
Discussion générale
M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi s'origine dans l'emprunt russe contracté par le Front national, révélé par la presse, contesté par le parti avant d'être reconnu par lui. Il n'était d'ailleurs pas illégal, mais il pose la question de la transparence du financement des partis politiques, question soulevée par la loi Sapin 2. Un amendement de l'Assemblée nationale a d'ailleurs été adopté dans ce cadre, mais le Conseil constitutionnel, l'a censuré, y voyant un cavalier, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution. C'est pourquoi je dépose une proposition de loi reprenant substantiellement ces dispositions.
L'article premier vise les candidats et têtes de liste aux élections, le deuxième les partis et groupements. Ils visent tous deux à rendre publiques les informations relatives aux emprunts souscrits : identité et nationalité des prêteurs, montants, etc.
Nulle révolution, puisque ces informations sont déjà transmises à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), mais sans obligation de publication.
Reste la question de la conformité de ce texte à l'article 4 de la Constitution, qui, disposant que les partis concourent librement à la vie politique de la Nation, instaure une égalité entre toutes les formations politiques. Après moult réflexions et analyses, rendre publiques des informations existantes, déjà transmises à la CNCCFP ne paraît pas entraver le rôle démocratique des partis et organismes politiques.
La constitutionnalité de la publication des flux financiers entre partis étant plus discutable, je me range à la position du rapporteur. M. Grand a, pour sa part, déposé des amendements fort intéressants et utiles.
Cette proposition de loi ne traite pas de l'élection présidentielle, qui nécessiterait une loi organique.
Merci au Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte, dont je souhaite également l'adoption rapide à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte reprend des dispositions introduites par l'Assemblée nationale dans la loi Sapin 2. François Pillet, rapporteur de ce texte au Sénat, y avait vu des cavaliers : le Conseil constitutionnel lui a donné raison, en les censurant sur le fondement de l'article 45.
Les conditions d'examen de ces dispositions sont aujourd'hui beaucoup plus favorables. Le Gouvernement a déclaré la procédure accélérée, qui restreint la navette parlementaire, pourtant nécessaire sur des questions aussi épineuses. C'est pourquoi la commission des lois s'est montrée ouverte aux seuls amendements n'abordant pas des questions dont la complexité appelait des débats approfondis.
Sous réserve de modifications rédactionnelles et d'une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2018 seulement, la commission des lois a adopté cette proposition de loi en veillant à sa constitutionnalité.
Son article premier s'applique aux candidats aux élections tenus d'établir des comptes de campagnes, à l'exception de celles qui relèvent de l'article 6 de la Constitution et d'une loi organique ; l'article 2 s'applique, lui, aux partis et groupements politiques dans un cadre constitutionnel un peu plus contraignant. L'article 4 de la Constitution dispose en effet qu'ils « se forment et exercent leur activité librement »...mais la jurisprudence constitutionnelle sur ce point est très réduite. Aussi avons-nous fait preuve d'une certaine prudence, afin d'éviter de franchir les limites constitutionnelles.
Innovation de ce texte, l'obligation de faire figurer dans leurs comptes les informations relatives aux emprunts souscrits et consentis - tel l'emprunt russe d'un parti d'extrême droite - méconnaît-elle l'article 4 de la Constitution ? A priori non, puisque ces informations sont déjà transmises à la CNCCFP, laquelle pourrait en outre disposer d'une certification par les commissaires aux comptes, et peut dès à présent publier de tels documents à la demande d'un tiers, dès lors que ceux-ci sont considérés comme administratifs, donc communicables. La proposition de loi rendrait cette publication automatique.
Le président de la CNCCFP m'a dit que cette obligation entraînait pour ses services un surcroît de travail, mais difficile à chiffrer. La vie privée n'est pas menacée, puisque les donateurs privés ne seraient pas identifiables.
Un amendement de François Pillet lèvera les craintes qui subsistent en ce qui concerne les flux financiers entre partis.
La commission des lois, sous réserve de l'adoption des amendements auxquels elle est favorable, vous invite à voter ce texte. (Applaudissements)
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales . - Cette proposition de loi modifie le code électoral et la loi du 11 mars 1988 pour améliorer la transparence sur les relations financières existant entre candidats aux élections politiques, partis politiques et acteurs économiques et financiers. Il s'agit d'enrichir en particulier leurs obligations comptables, en les obligeant à transmettre certaines informations à la CNCCFP, et à informer les citoyens, en faisant la lumière sur les flux financiers entre partis, ainsi qu'entre partis et particuliers.
Le texte, conformément à l'objectif de transparence financière de la vie publique mis en oeuvre par le Gouvernement depuis 2012, s'inscrit dans le prolongement des lois ordinaire et organique du 11 octobre 2013, relatives à la transparence de la vie publique, qui marquaient des avancées significatives, et reprend les termes de l'article 30 de la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que le Conseil constitutionnel avait censuré pour des raisons de procédure. Cette proposition de loi conforte le droit des acteurs de la vie politique à souscrire un emprunt et, en ne s'imposant qu'aux partis politiques bénéficiaires de l'aide publique, qui choisissent donc librement de se soumettre aux dispositions de la loi de 1988, renforce le principe de liberté de formation et d'organisation des partis politiques, protégé par l'article 4 de la Constitution.
L'entrée en vigueur différée au 1er janvier 2018 proposée par le rapporteur est de bon sens et fidèle à la tradition républicaine. Quant à son extension aux présidentielles, une loi organique sera nécessaire...
Bref, ce texte est essentiel pour réaliser le double impératif d'exemplarité et d'information de nos concitoyens, et ainsi renforcer la confiance dans notre système politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Yves Leconte . - Cette proposition de loi est particulièrement opportune. Autant que de transparence, c'est une question d'indépendance nationale ! En avril 2014 à Moscou, des parlementaires russes m'ont expliqué que si Marine Le Pen était reçue les bras ouverts en Russie, c'est que l'Union européenne agissait contre les intérêts de leur pays, et que Marine Le Pen voulait la fin de l'Union européenne... En septembre 2014, on apprenait que le Front national avait reçu un prêt de 9 millions d'euros d'une banque russe, la First Czech Russian Bank, soumise à la législation bancaire russe. Curieux de voir un parti qui prétend défendre à ce point la souveraineté nationale dépendre ainsi d'un pays étranger et soumis à ses intérêts !
C'est pourquoi cette proposition doit être adoptée le plus rapidement possible : il y a urgence à informer les Français des liens financiers que tissent les partis - qu'ils financent par ailleurs. C'est une question d'indépendance, de transparence.
Ce texte ne demande qu'une description plus complète des choses, afin que les Français soient informés des liens de dépendance financière entre partis politiques : pourquoi vouloir en repousser l'application ?
Si l'on voulait aller plus loin, on pourrait inclure les garanties des emprunts dans le champ de ces obligations ; voire exiger que les financeurs soient Français ou résident en France, ce à quoi je suis sensible, en tant que représentant des Français de l'étranger. La CNCCFP pourrait aussi se voir donner la possibilité de tracer les fonds déclarés.
Je regrette la suppression dans l'article 2 de la mesure relative aux informations sur les flux entre partis politiques.
Car je ne vois pas en quoi cela serait inconstitutionnel : le juge constitutionnel, en 1993, n'a pas fait obstacle à de telles dispositions, conformes à l'objectif légitime d'information et de transparence de la vie publique.
Enfin, imposer le changement des commissaires aux comptes tous les six ans ne me paraît pas opportun.
Mais afin de favoriser l'entrée en vigueur rapide de ce texte, nous acceptons les amendements déposés par le rapporteur tout en regrettant de ne pouvoir aller plus loin. (Applaudissements sur la plupart des bancs des groupes socialiste et républicain et sur ceux du groupe écologiste)
Mme Éliane Assassi . - Cette proposition de loi discrète soulève de grandes questions.
D'opportunité d'abord : pourquoi ce texte ne vient-il en débat que maintenant, à l'initiative d'un parlementaire et non du Gouvernement ? Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il jugé bon de censurer une disposition analogue dans le cadre de la loi Sapin 2 ? Quelle est sa légitimité à revenir ainsi sur les votes des représentants du peuple, en balayant récemment pas moins de 36 articles du projet de loi Égalité et citoyenneté ? Le texte peut-il prétendre répondre à la grande attente de refondation de la vie politique exprimée par nos concitoyens, alors que leur confiance est fortement atteinte par la polémique provoquée par les malversations supposées de l'un des candidats à la présidentielle, et non des moindres ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Quel rapport ?
Mme Éliane Assassi. - Cette proposition de loi de surcroît ne serait pas d'application immédiate si elle était votée en l'état. Répond-elle à la colère du peuple ? Êtes-vous donc à ce point coupés de la réalité ? Nos concitoyens veulent une transparence totale, la probité, dès lors que l'argent public est mêlé à la politique, car leur vie à eux est dure ! S'étant serré la ceinture pour payer leurs impôts, par solidarité avec les difficultés du pays, ils ne supportent plus de constater les pratiques frauduleuses de ceux qui sont mandatés pour les gouverner ou les représenter.
Selon le rapport, cette proposition de loi a pour origine un amendement de l'Assemblée nationale retoqué par le Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier. Bien cavalier à mon goût ! La raison m'échappe quelque peu, mais passons.
Alors que certains candidats organisent des repas à 7 000 euros le couvert à la City, ne faudrait-il pas une plus grande transparence sur les dons ou emprunts reçus de personnes physiques ?
Si l'on veut assainir la vie politique, pourquoi avoir abaissé, dans la loi du 25 avril 2016, d'un an à six mois la période de comptabilisation des dépenses de campagne lors d'une élection présidentielle ? Et pourquoi le plafond des dépenses de campagne n'a-t-il pas été abaissé en conséquence ?
Nous y sommes, au groupe CRC, très favorables...
Ce texte ne pourrait certes pas s'appliquer à l'élection présidentielle, soit. Mais pourquoi donc évoquer les emprunts russes du FN, qui financent sa campagne dès cette année ? Pourquoi ne pas plutôt déposer une loi organique simultanément ? Pourquoi repousser l'entrée en vigueur à 2018 ? L'opinion y décèlera des intentions inavouables alors que je suis persuadée que ce n'est pas le cas. Nous proposerons, pour que ce texte ne soit pas un coup d'épée dans l'eau, de rétablir sa version initiale. Car en l'état, il manque singulièrement d'ambition. Ne pouvant l'adopter, mon groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Yvon Collin . - Ces dernières années, nous avons eu de multiples occasions de débattre des moyens de renforcer la transparence de la vie publique. Depuis 1988, la France s'est dotée d'un arsenal juridique parmi les plus rigoureux du monde selon les critères de l'OCDE. Sous ce quinquennat, une énergie considérable a été mobilisée pour ériger l'impératif de transparence à un rang quasi constitutionnel. Mais prenons garde aux effets pervers : on n'ira jamais assez loin ; la transparence nourrit paradoxalement la défiance...
Les travaux de Transparency International, référence des défenseurs de la cause, montrent que cette perception s'est faiblement améliorée entre 2015 et 2016 et stagne entre 2016 et 2017. II faut donc s'interroger sur les effets réels de ces textes, sur nos relations avec nos concitoyens.
Cette proposition de loi méconnaît la réalité des financements des partis politiques. La CNCCFP dispose déjà d'informations utiles. En 1995, un prêt reçu par Édouard Balladur et inscrit dans les comptes de campagne a été requalifié par le Conseil constitutionnel.
En 2012, une étude publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel a montré que 46 % des financements de campagne provenaient d'apports personnels, 26 % de dons de particuliers et 25 % du financement des partis. C'est dire que l'emprunt est devenu incontournable.
Or les nouvelles exigences de transparence peuvent entraîner, à terme, une forme de découragement des établissements de crédit et limiter ainsi le financement de la vie politique.
C'est totalement contraire à ce que nous défendons et incarnons au sein de notre groupe ! La diversité des sensibilités politiques font la richesse de notre vie démocratique. La défiance des Français envers la politique vient pour une grande part de cette bipolarisation accrue et de ce dualisme partisan qui verrouille le débat et empêche la construction de majorité d'idées... Soyons modernes ! Dépassons le vieux clivage droite-gauche !
Cette proposition de loi pose en définitive la question de l'équilibre entre transparence et représentativité...Sous un intitulé séduisant, elle représente un danger pour la démocratie. Les membres du RDSE ne pourront la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE)
M. Michel Mercier . - Ce texte est une nouvelle contribution au problème lancinant du financement de la vie politique. Ce n'est pas la seule question qui se pose. Le problème est en effet à regarder de manière globale et à relier à la liberté d'organisation et d'action des partis politiques, principe constitutionnel. Il faut trouver un équilibre entre ce principe et l'exigence de transparence à l'égard de l'opinion publique. L'édifice sera toujours fragile et imparfait...Rien n'est jamais achevé !
Ce texte se fonde sur deux grandes idées : la volonté d'informer le plus possible sur les emprunts contractés par les formations politiques et, ce qui est plus neuf, dans la proposition de M. Anziani, de veiller aux transferts entre partis politiques. Beaucoup de dispositions ont été inspirées par la commission des comptes de campagne, dont l'acronyme est sensiblement plus long. L'obligation de publier la liste des prêteurs se heurte à la difficulté croissante et réelle qu'ont les partis à emprunter - du fait de la réticence des banques. Ce n'est pas en publiant les noms des partis auxquels elles consentent encore des prêts qu'elles feront leurs placements ! Si l'on veut aller plus loin, il faudra organiser un service public du financement des partis politiques. Un organisme public comme la Caisse des dépôts et consignations pourrait assurer une telle mission, pour toutes les forces politiques reconnues par la loi. Voilà un vrai projet !
Deuxième acte du texte : l'information relative aux transferts entre partis. Notre pays compte des partis unitaires et des fédérations de partis - quand il n'existera qu'un seul grand parti centriste, tous les problèmes de la France seront résolus... (Sourires) On ne peut empêcher des flux financiers entre des partis qui se réunissent.
Ce texte est néanmoins intéressant. Il est une clé pour construire la maison commune. Les réserves que peut susciter ce texte ne sont pas suffisantes, au regard des attentes en matière de transparence, pour empêcher le groupe UDI-UC de le voter. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
Mme Corinne Bouchoux . - Ce texte intervient en pleine période électorale. L'arsenal législatif est devenu important en la matière, depuis une vingtaine d'années, mais il faut le confronter à la pratique. À l'origine de cette proposition de loi, une disposition de la loi Sapin 2, abondamment citée, mais aussi un rapport du député Romain Colas, datant de juillet 2015.
Les intentions sont tout à fait louables. Il s'agit d'améliorer la transparence, de combler un vide juridique, ce qui va dans le bon sens, en améliorant l'information transmise à la CNCCFP relative aux emprunts souscrits par les candidats et les partis. Cette commission a attiré notre attention à plusieurs reprises sur les limites de la législation actuelle à cet égard. En l'état du droit, des doutes peuvent subsister sur la nature et la provenance de certains prêts.
Nous devons rester vigilants sur la question des moyens dont disposera la CNCCFP pour traiter ces informations qui n'a pas trouvé de réponse. La transparence ne sera sans doute jamais suffisante mais il faut nous astreindre à la renforcer, dans le respect de l'article 4 de la Constitution.
Faut-il enfin reporter à 2018 l'entrée en vigueur de ce texte ? Mieux vaut faire bien l'an prochain que mal dès cette année, et nous sommes déjà le 1er février... Mais si je me réfère à la presse du jour et aux discussions dans le bus 38 que j'ai pris ce matin, je doute de notre capacité à résoudre par ce texte le problème de la confiance placée dans les responsables politiques... (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et socialiste et républicain)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du quatrième alinéa de l'article L. 52-5 et au septième alinéa de l'article L. 52-6 du code électoral, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « six ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Nous proposons d'harmoniser les délais en les allongeant de trois à six mois afin de mettre en concordance la cessation des fonctions du mandataire et la décision de la CNCCFP.
Il s'agit d'une recommandation de cette commission.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable. Cette souplesse est opportune.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Oui.
L'amendement n°9 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°10 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la troisième phrase du quatrième alinéa de l'article L. 52-5 et à la deuxième phrase du dernier alinéa de l'article L. 52-6 du code électoral, après le mot : « financement », sont insérés les mots : « ou à un mandataire financier ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Permettons au mandataire personne physique de percevoir des dévolutions comme l'association de financement.
Il s'agit d'une recommandation de la CNCCFP.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même si une telle mesure paraît souhaitable, le Gouvernement préfère s'en tenir strictement au champ d'application du présent texte. Une réforme plus globale du droit applicable aux comptes de campagne nécessiterait d'autres procédures juridiques. Sagesse - c'est d'ailleurs aussi l'avis que j'entendais donner au précédent amendement.
L'amendement n°10 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article, L. 52-8 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les partis ou groupements politiques, pour lesquels un manquement comptable a été constaté conformément aux dispositions de l'article 11-7 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement interdit à un parti sanctionné pour manquement comptable de participer au financement d'une campagne puisqu'il redevient alors une personne morale de droit commun, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Certes, la jurisprudence du Conseil d'État énonce une telle interdiction, mais l'amendement semble en faire une sanction : ce n'est pas le cas actuellement et cela pourrait ouvrir une forme de droit de recours. Aussi pourrait-il, s'il était adopté, provoquer des effets paradoxaux, au regard des intentions qui animent ses auteurs. D'où des difficultés induites peut-être plus importantes que les avantages espérés. Retrait ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Je rejoins ces arguments. Cette proposition de loi n'a pas, je le répète, vocation à traiter tous les problèmes de financement de la vie politique et une telle réforme nécessiterait un travail parlementaire plus approfondi. La procédure accélérée a été engagée pour rendre le texte applicable rapidement : ne l'alourdissons pas. Retrait ?
L'amendement n°8 rectifié quater est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°11 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après l'article L. 52-8-1, il est inséré un article L. 52-8-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 52-8-2. - Dans le cadre de leur participation au financement de la campagne électorale d'un candidat, les partis ou groupements politiques ne peuvent :
« 1° Fournir des biens ou des services à des prix supérieurs à leurs prix d'achat effectif ;
« 2° Consentir des prêts ou avances remboursables à un taux supérieur au taux légal en vigueur trois mois avant le scrutin. » ;
2° L'article L. 113-1 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Est puni d'une amende de 3 750 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, tout parti ou groupement politique qui a, pour le compte d'un candidat, d'un binôme de candidats ou d'un candidat tête de liste, fourni des biens ou des services, ou consenti des prêts ou avances remboursables en violation de l'article L. 52-8-2. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Cette proposition figurait dans une proposition de loi déposée en 2004 sur le financement de la vie politique dont vous étiez cosignataire, madame la ministre...
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Cet amendement est intéressant mais un peu risqué. Les partis pourraient en effet tirer profit de l'ambiguïté de la loi. Cela mériterait une rédaction plus précise, d'où ma demande de retrait - mais j'aurai plaisir à entendre Mme la ministre...
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Retrait, même si je partage votre objectif.
Les délais, pour la proposition de loi que j'avais cosignée, n'étaient pas aussi contraints.
L'amendement n°11 rectifié quater est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa de l'article L. 52-9 du code électoral, les mots : « de l'article précédent » sont remplacés par les mots : « des articles L. 52-8 et L. 113-1 ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Il s'agit d'informer les donateurs pour éviter un dépassement accidentel des plafonds.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Précision utile. Avis favorable.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - C'est très utile. Avis favorable.
L'amendement n°4 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°16 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize.
I. - Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article L. 52-11-1 du code électoral, le taux : « 47,5 % » est remplacé par le taux : « 45 % ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement fait passer de 47,5 % à 45 % le taux de remboursement du plafond des dépenses de campagne.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Ce plafond avait déjà été abaissé en 2011, de 50 à 47,5 %. Retrait ? Si les excès qui vous motivent se poursuivent, on y reviendra...
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même avis. Une telle mesure mériterait à tout le moins une concertation avec les partis politiques.
L'amendement n°16 rectifié quater est retiré.
L'article premier est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l'article L. 308-1 du code électoral est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Il n'est pas procédé à une telle actualisation à compter de 2018 et jusqu'à l'année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul. Ce déficit est constaté dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 3 du Règlement (CE) n°479/2009 du Conseil du 25 mai 2009 relatif à l'application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - L'article 112 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a gelé l'actualisation annuelle par décret de certains plafonds des dépenses électorales jusqu'au retour à l'équilibre des comptes publics. Cet amendement fait de même pour l'élection des sénateurs.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Votre amendement est satisfait par l'article L. 308-1 du code électoral, qui prévoit un gel temporaire des plafonds des dépenses électorales, y compris pour les élections sénatoriales. Cet amendement pourrait s'interpréter a contrario comme excluant les sénateurs représentant les Français établis hors de France de la loi. Retrait ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Cet amendement est satisfait. Retrait ?
L'amendement n°5 rectifié quater est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :
1° Après le troisième alinéa de l'article 11-4, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cadre d'une participation au financement d'un autre parti ou groupement politique, les partis ou groupements politiques ne peuvent :
« a) fournir des biens ou des services à des prix supérieurs à leurs prix d'achat effectif ;
« b) consentir des prêts ou avances remboursables à un taux supérieur au taux légal en vigueur à la date du versement du capital. » ;
2° L'article 11-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mêmes peines sont applicables à un groupement ou parti politique qui a, pour le compte d'un autre parti ou groupement, fourni des biens ou des services, ou consenti des prêts ou avances remboursables en violation des dispositions de l'article 11-4. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement interdit la fourniture de prestations surfacturées ou de prêts à un taux supérieur au taux légal entre partis et groupements politiques. Il reprend une proposition de loi du député Le Roux que Mme la ministre avait cosignée quand elle était députée...
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avec cet amendement, le risque constitutionnel est avéré. Retrait ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°12 rectifié quater est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'avant-dernier alinéa de l'article 11-4 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par les mots : « et la mention des dispositions des premier et troisième alinéas du présent article et du premier alinéa de l'article 11-5 ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - Là encore, il s'agit d'informer les donateurs afin d'éviter notamment les dépassements de plafond accidentels.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable à cette précision utile.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Avis favorable aussi. Un mot encore sur la proposition de loi que j'avais cosignée : elle date de décembre 2015, le calendrier politique n'était pas le même qu'aujourd'hui, convenez-en.
L'amendement n°2 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l'article 11-4 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est supprimé.
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - Oh, moi, c'est il y a six ans que j'ai déposé un texte sur le revenu universel ! Il est vrai que ce n'était pas pour 100 milliards mais seulement pour 33... (Rires)
Cet amendement rétablit la peine contraventionnelle, accidentellement abrogée le 20 avril 2011. C'est là aussi une recommandation de la CNCCFP.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Je rends hommage à l'humour du sénateur Grand. Qu'il ait déposé un tel texte est un signe d'espoir.
Concernant l'amendement, là encore, une concertation s'imposerait. Retrait ou avis défavorable.
L'amendement n°3 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°15 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase du premier alinéa de l'article 11-7 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, après les mots : « groupement politique », sont insérés les mots : « et de ses entités locales ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement inclut les entités locales des partis politiques dans leur périmètre comptable.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Recueillir les budgets de toutes les entités locales est irréalisable. Retrait ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même avis. Une réflexion sur le périmètre de la loi de 1988 serait bienvenue, mais le champ de l'amendement dépasse celui du texte.
L'amendement n°15 rectifié quater est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°13 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
I. - Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
A la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 11-7 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, la première occurrence du mot : « et » est remplacée par les mots : « , si les ressources annuelles du parti ou du groupement dépassent 230 000 euros, ou par un commissaire aux comptes. Ces comptes sont ».
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement libère les partis dont les ressources sont inférieures à 230 000 euros de l'obligation de certification des comptes par deux commissaires aux comptes.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Je serais tentée de donner un avis défavorable, pour les raisons déjà évoquées, mais en bonne Normande, je m'en remets à votre sagesse.
L'amendement n°13 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Pillet et Mmes Di Folco, Deromedi et Troendlé.
Alinéa 2, première et seconde phrases
Remplacer les mots :
entre partis et entre les partis et
par le mot :
avec
Mme Catherine Di Folco. - L'article 2 pose un problème constitutionnel. Cet amendement y remédie.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - L'adoption de l'article en l'état pose en effet un risque constitutionnel. J'invite le Sénat à adopter cet amendement.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Un parti peut consentir un don ou un prêt à un autre sans limitation de montant. En revanche, la publication de tels transferts pourrait répondre à une exigence légitime de transparence. Sagesse.
M. Jean-Yves Leconte. - Une telle mesure est indispensable. Que certains ne souhaitent pas la transparence, j'en prends note, mais il n'y a pas de risque constitutionnel comme le montre la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Sapin 1.
L'amendement n°1 rectifié est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Le commissaire aux comptes, personne physique, et, dans les sociétés de commissaires aux comptes, les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 822-9 du code de commerce, ne peuvent réaliser cette mission de certification durant plus de six exercices consécutifs. Ils peuvent à nouveau participer à une mission de contrôle légal des comptes de ces partis ou groupements politiques à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de clôture du sixième exercice qu'ils ont certifié. »
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement limite l'exercice du mandat des commissaires aux comptes à six exercices consécutifs.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - L'intérêt de cette nouvelle contrainte n'est pas évident. Retrait ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°14 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du deuxième alinéa de l'article 11-7 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi rédigée :
« Si la commission constate un manquement aux obligations prévues au présent article, elle peut priver, pour une durée maximale de trois ans, un parti ou groupement politique du bénéfice des dispositions des articles 8 à 10 de la présente loi et de la réduction d'impôt prévue au 3 de l'article 200 du code général des impôts pour les dons et cotisations consentis à son profit, à compter de l'année suivante. »
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement permet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de moduler les sanctions et leur durée en cas de manquement aux obligations comptables pour une meilleure proportionnalité entre les motifs du constat et ses conséquences juridiques. Aujourd'hui, nous sommes dans le tout ou rien.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Avis favorable, l'auteur ayant bien voulu rectifier l'amendement.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est favorable à une règle de fond sur les pouvoirs de la CNCCFP, mais ce n'est pas l'objet de la proposition de loi. Sagesse.
L'amendement n°6 rectifié ter est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article 11-7 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pendant la durée des sanctions, les partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement d'un parti ou groupement politique pour lequel la commission a constaté un manquement aux obligations prévues au présent article. »
M. Jean-Pierre Grand. - Cet amendement interdit à un parti ou groupement politique sanctionné de recevoir des contributions financières d'autres partis ou groupement politiques. Cela évite la création de partis politiques « frères » dans le but de contourner la législation.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - C'est un sujet épineux. Par cohérence avec notre avis sur un autre amendement, retrait.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Retrait ou avis défavorable.
L'amendement n°7 rectifié bis est retiré.
ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°17, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Alinéas 1 et 2
Supprimer ces alinéas.
Mme Éliane Assassi. - Défendu.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Défavorable.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Même avis. C'est contraire à la tradition républicaine de stabilité des règles électorales à l'approche des échéances.
L'amendement n°17 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 15.
Devoir de vigilance des sociétés mères (Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la nouvelle lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics . - Cette proposition de loi poursuit des objectifs humanistes partagés par le Gouvernement. La mondialisation est une réalité ; elle doit être non combattue mais encadrée, notamment pour éviter l'exploitation sans retenue des personnes et de l'environnement. Ce texte résulte d'une large concertation avec la société civile pour mettre en place un devoir de vigilance des entreprises sur les activités de leurs filiales et de leurs sous-traitants à l'étranger. Ce n'est pas une idée nouvelle. Cette loi s'inscrit dans le droit fil de la loi du 7 juillet 2014, sur la politique de développement et de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin 2. Ce n'est qu'un début, nous continuons ce travail : la directive européenne du 22 octobre 2014 sur la responsabilité sociale et environnementale sera bientôt transposée.
Cette proposition de loi relève des mêmes principes qui guident notre action. Or vous allez, semble-t-il, refuser de débattre sur ce texte déjà mal accueilli en première lecture. Je m'en étonne.
En effet, cette proposition de loi élargit le champ de la loi Sapin 2 aux atteintes graves aux droits et libertés fondamentaux, à la sécurité des personnes, à l'environnement.
De plus, l'Assemblée nationale a précisé le texte en deuxième lecture pour améliorer sa sécurité juridique. Les entreprises seront guidées dans la mise en oeuvre de leurs obligations. Les conditions d'engagement de leur responsabilité civile ont été précisées. Elles devront être mises en demeure avant toute saisine du juge. Enfin, le nouvel article 4 détaille l'application du dispositif dans le temps.
Poursuivons ce travail de précision rédactionnelle ! Il y a là de quoi être fier. Nos entreprises ne devraient-elles être vertueuses qu'à l'intérieur de nos frontières ? Je suis accoutumé à vos barouds d'honneur - en témoigne votre obstruction sur le projet de loi de finances. (M. Alain Gournac proteste)
Les préoccupations du respect des droits des travailleurs et de l'environnement devraient nous rassembler. Les ONG, les organisations syndicales et patronales ont oeuvré de concert.
Il ne sera aucunement porté atteinte à la compétitivité de nos entreprises. Le travail parlementaire aurait pu, aurait dû, se poursuivre. Nous avions quelques réserves sur la proportionnalité des sanctions, mais le travail parlementaire avait pu y remédier.
Les entreprises coupables de mauvais comportements ne doivent pas rester impunies. Nous devons combattre des négligences d'une autre époque ; nos concitoyens l'exigent. Nous serons fiers de doter la France d'une législation de référence dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois . - Nous avions en deuxième lecture fait un pas en proposant la transposition de certaines dispositions de la directive européenne. La CMP a échoué ; l'Assemblée nationale a récrit son texte sans en remettre en cause son caractère punitif.
Le Sénat avait considéré que le niveau pertinent était celui de l'Union européenne. Nos réserves demeurent entières. Certes, l'Assemblée nationale a précisé le contour des obligations du plan de vigilance. Mais les incertitudes demeurent et portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines.
Je déplore en outre le manque de cohérence entre ce plan et les dispositions de la loi Sapin 2.
Je note des imprécisions à l'article premier.
Certaines imprécisions subsistent à l'article premier. Les sous-traitants et fournisseurs des sociétés contrôlées par la société mère sont-ils également visés ? Il y a alors risque d'incompétence négative du législateur ou d'atteinte au principe de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Qui pourrait mettre en demeure une société de respecter son obligation de vigilance avant une saisine du juge ?
Dans la nouvelle rédaction, le plan « a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société ». Lesquelles ? Est-ce une obligation ou une simple faculté laissée à l'appréciation de la société ? Je m'interroge au demeurant sur la normativité de cette disposition.
Les autres difficultés constitutionnelles soulignées dès la première lecture persistent, concernant le régime de l'amende civile et le régime de responsabilité.
La rédaction précise certes désormais que le montant de l'amende civile est fixé par le juge « en proportion de la gravité du manquement et en considération des circonstances et de la personnalité de son auteur », mais son montant manifestement disproportionné porte atteinte aux principes constitutionnels de proportionnalité et de nécessité des peines.
La rédaction de nouvelle lecture dispose que le manquement aux obligations concernant le plan de vigilance « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice que l'exécution de ces obligations aurait permis d'éviter ». Une telle formulation, de portée incertaine et ambiguë, aggrave le risque constitutionnel en dénaturant le lien de causalité entre faute et dommage et instaure un régime de responsabilité pour la faute d'autrui.
Enfin, la mise en demeure adressée par une association et l'engagement de l'action en responsabilité pour le compte de tiers semblent heurter le principe traditionnel selon lequel nul ne plaide par procureur, sur lequel le Conseil constitutionnel se montre très rigoureux.
Enfin, l'entrée en vigueur différée, introduite par le Sénat en deuxième lecture, a été approuvée par l'Assemblée nationale mais la rédaction est curieuse : que signifie une application à compter d'un rapport ? Est-ce à compter de la publication de ce rapport ?
Ainsi, outre les objections de nature économique et pratique, de sérieux problèmes constitutionnels demeurent. L'ambition généreuse des auteurs ne saurait conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit. Si les entreprises françaises doivent veiller aux conséquences sociales et environnementales de leur activité, les obligations qui leur sont imposées doivent être raisonnables et proportionnées ; elles ne sauraient se substituer à des législations étrangères défaillantes. Cette loi n'améliorerait pas la situation sociale et environnementale des pays en développement mais ne manquerait pas de perturber le tissu économique français.
Puisque les députés ont voulu conserver leur approche punitive, il est vain de persister dans notre approche de conciliation en tentant d'améliorer et de clarifier le texte. Je propose donc l'adoption d'une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Éliane Assassi . - Je me fais le porte-voix d'Évelyne Didier. En 2011, plus de 2 400 travailleurs se sont évanouis d'épuisement dans des usines de confection au Cambodge. Pour donner un aspect usé à leurs pantalons, des entreprises utilisent la technique du sablage, nocive pour les ouvriers : des centaines de travailleurs turcs sont décédés de la silicose, maladie respiratoire incurable, des milliers sont potentiellement touchés.
Ces exemples, cités par le Collectif éthique sur l'étiquette, sans parler du drame du Rana Plaza, justifient pleinement que nous légiférions.
Avec cette proposition de loi, la France pourrait être l'un des premiers pays à protéger les atteintes à la santé et à l'environnement. Hélas, après deux lectures qui l'ont vidée de sa substance et l'échec de la CMP, la commission des lois opte pour une motion d'irrecevabilité.
La multiplication des crises environnementales et sociales impliquant des sous-traitants impose de nouvelles régulations. Trop souvent, les multinationales, non contentes de se soustraire à l'impôt, refusent d'assumer la responsabilité civile et pénale de leurs activités et se cachent derrière des filiales opaques.
Nous regrettons l'entêtement du rapporteur. Comment considérer que faire valoir les droits humains et environnementaux nuirait à la compétitivité de nos entreprises ? Comment considérer que le business justifie tout ? Au contraire, la transparence est un atout dans la compétition économique. Le capitalisme sans règle, c'est la jungle. Il importe d'encourager les entreprises qui ont fait le choix du mieux-disant social et environnemental et de rétablir les conditions d'une concurrence plus juste. Loin de faire fuir les investisseurs, cela les rassurera !
Ce texte contribue aussi à la lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale.
Le choix de la motion d'irrecevabilité nous prive d'un débat utile. Nous nous en remettons donc aux députés pour porter nos amendements et faire preuve d'audace et de modernité. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Bertrand . - Ce texte fera sans doute long feu puisque le rapporteur a déposé une motion d'irrecevabilité. Il est vrai qu'à l'issue des deux lectures, les positions apparaissent difficilement conciliables entre ceux qui veulent affirmer la responsabilité sociale et comptable des entreprises et ceux qui y voient une entrave, punitive et antiéconomique, à la liberté des entreprises.
La mise en place d'un reporting extra-financier sur les activités des sous-traitants à l'étranger vise à prévenir des accidents comme celui du Rana Plaza, en avril 2013. Il impose un plan de vigilance, assorti de sanctions en cas de manquement : une amende civile pouvant atteindre 30 millions d'euros.
Le texte est ambitieux - plus que la directive européenne de 2014. Je m'interroge toutefois sur son effectivité et sa portée.
M. Didier Guillaume. - Oh !
M. Alain Bertrand. - Pour les nombreuses entreprises qui ont déjà mis en place en interne une politique de responsabilité sociale et environnementale, le plan de vigilance ne fera que standardiser les procédures. Pour les autres, la nouveauté sera plus ou moins bien accueillie, en fonction des ressources qu'elles pourront y consacrer...
En France, la jurisprudence Erika permet déjà d'engager la responsabilité d'une entreprise via l'activité de ses filiales pour des faits commis en dehors du territoire français. Elle s'applique en théorie à des catastrophes comme celle du Rana Plaza.
Le talon d'Achille de ce texte est la territorialité du droit applicable : avec ce texte, une entreprise pourrait être condamnée pour des pratiques dans un pays hors Union européenne... La mondialisation, on le voit, a bouleversé notre conception du territoire. Face à cette complexité, la proposition de loi paraît somme toute modeste. Je souscris à son intention originelle, mais suis conscient de ses limites. Le risque d'un contentieux excessif, le risque pour la compétitivité des entreprises françaises peut s'entendre - mais l'argument de l'inconstitutionnalité est à manier avec prudence.
Majoritairement, le groupe RDSE s'abstiendra et votera contre la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Mme Anne-Catherine Loisier . - Je regrette que les députés soient restés figés sur leur texte, refusant un débat constructif. En seconde lecture, le Sénat avait pourtant adopté une approche conciliante : nous avions ainsi élargi le champ de la proposition de loi initiale aux entreprises de plus de 500 salariés et prévu le recours à un organisme vérificateur indépendant et le recours devant le tribunal de grande instance. Certes, nous étions restés hostiles à l'amende civile et au régime spécifique de responsabilité. Or la nouvelle rédaction de l'Assemblée nationale aggrave le risque constitutionnel en créant un régime de responsabilité pour le fait d'autrui, qui dénature le lien de causalité entre la faute et le dommage. Le montant de l'amende, jusqu'à 30 millions d'euros, méconnait manifestement le principe de proportionnalité.
Le contenu du plan, quant à lui, se heurte aux principes constitutionnels de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Dommage que nous ayons laissé passer l'occasion de transposer la directive d'octobre 2014, qui aurait démontré l'intérêt de l'Union européenne. Il aurait fallu une démarche incitative, reposant sur la transparence, afin d'adapter la directive aux entreprises françaises, que nous voulons à la fois exemplaires et performantes. Malheureusement, notre vision responsable et pragmatique n'a pas trouvé d'écho chez des députés arcboutés sur leur position.
Le groupe UDI-UC adhère à l'obligation de vigilance mais s'oppose au contenu du texte et votera, dans sa majorité, la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Corinne Bouchoux . - Bonjour à tous et bonjour aussi aux internautes. Le groupe écologiste ne votera pas la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité car nous souhaitons faire la preuve de l'utilité du Sénat, des améliorations qu'apporte la navette entre les deux chambres. Ne nous dérobons pas face au travail parlementaire.
Ce texte poserait des problèmes juridiques, ferait courir un risque constitutionnel ? Cela ne serait pas la première fois... et il serait toujours possible de saisir le Conseil constitutionnel.
Je suis étonnée de la franchise avec laquelle de nombreux collègues accusent ce texte de nuire à la compétitivité de nos entreprises. Les multinationales savent profiter des législations moins protectrices d'autres États, déjouer les règles fiscales et manier l'opacité. Nous ne saurions nous dérober, même si le débat est inconfortable : l'être humain n'est pas un simple capital productif que l'on laisserait mourir en ne respectant pas les normes sanitaires ou environnementales élémentaires.
Le ministre a évoqué un texte équilibré et raisonnable ; nous l'aurions aimé plus ambitieux, mais mieux vaut un texte modeste qu'un renoncement pur et simple, quand il s'agit de vies humaines... Je regrette que le Sénat ne montre pas sur ce texte, comme il l'a fait sur le précédent, qu'il sait travailler de manière constructive. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Deux ans pour aboutir à ce texte, deux ans de bataille. Je salue l'initiative de Dominique Potier et l'action des ONG et syndicats qui ont plaidé sans relâche pour ce devoir de vigilance.
Monsieur le rapporteur, vous êtes constant. En première lecture, vous aviez renoncé à une motion préjudicielle, pour mieux supprimer tous les articles l'un après l'autre. La seconde lecture avait laissé entrevoir une lueur d'espoir... mais las, vous revenez aujourd'hui à votre stratégie d'entrave. À croire qu'il y a de puissants intérêts à protéger...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur - Ah là là...
M. Didier Marie. - Ce texte s'appuie sur des principes internationaux vieux de soixante-dix ans : ceux qui fondent l'OCDE, l'OIT ; le pacte mondial des Nations Unies incite les entreprises à promouvoir les droits de l'homme. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a déjà souligné que la responsabilité des entreprises s'étendait à l'action de leurs sous-traitants et fournisseurs.
Cette proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001, de la loi Grenelle II et, plus récemment, des lois Biodiversité et Sapin 2.
Ce texte serait inutile, stigmatisant pour les entreprises, contraire à la compétitivité ? Faux ! Il impose une obligation de moyens, pas de résultats, il n'y a pas d'inversion de la charge de la preuve. L'élaboration d'un plan de vigilance suffira à décharger les entreprises de leur responsabilité. De plus, dans la compétition mondiale, les entreprises savent qu'une bonne image est un avantage concurrentiel. Ne décourageons pas les bons élèves ! Milton Friedman considérait que cette responsabilité se limitait à faire des profits : cette vision est dépassée, et la bonne réputation est un argument dans la compétitivité.
Ce texte ne serait pas sûr juridiquement ? Il a été amélioré au cours de la navette, grâce à un dialogue constructif entre la société civile, le Parlement et le Gouvernement - que je remercie.
Le champ d'application a été précisé ; le renvoi au décret s'impose pour prendre en compte l'émergence de nouveaux risques, par exemple pour les entreprises présentes dans des zones de guerre.
Les modalités d'élaboration du plan seraient contraires au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ? La démarche RSE implique tous les acteurs, dont les partenaires sociaux. Le principe de proportionnalité des peines ? Le montant de l'amende civile est modulé : 10 millions en l'absence de plan et de 30 millions au maximum en cas de non prise en compte d'un risque conduisant à une catastrophe.
Un régime de responsabilité pour le fait d'autrui ? Mais l'entreprise ne pourra être condamnée qu'après mise en demeure et refus de mettre en oeuvre des mesures précises.
Distorsion de concurrence enfin ? Toutes les avancées sociales et sociétales ont été faites par la volonté politique, par la loi qui affranchit. La France a toujours été en pointe : abolition de l'esclavage, du travail des enfants, comptabilité plus transparente des entreprises, reporting non financier... Chaque fois le patronat et les conservateurs ont dénoncé une atteinte à la compétitivité ! Chaque fois, les droits humains et les conditions de travail en sont sortis renforcés. Les droits des ouvriers n'entravent pas la compétitivité des entreprises ! Comment accepter le travail des enfants, l'exploitation des êtres humains ?
Cessons de donner une prime aux mauvaises pratiques. La RSE est un atout dans la mondialisation. L'éthique n'est pas un supplément d'âme mais la raison d'être de l'activité économique.
Ce texte n'est pas politique ou idéologique, mais humaniste ; il rappelle que la France est la patrie des droits de l'homme. Il aurait dû nous rassembler, vous l'entravez. Nous ne voterons pas la motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)
Mme Élisabeth Lamure . - Il est malaisé d'analyser les initiatives qui ont l'apparence de la supériorité morale, lorsque l'émotion s'en mêle. Ce texte n'aurait pas empêché le drame du Rana Plaza. La réponse ne peut être franco-française, elle doit être internationale. C'est le cas des principes directeurs de l'OCDE, relayés par les Points de contact nationaux (PCN) ; dès décembre 2013, le PCN français proposait de faire évoluer les pratiques des entreprises françaises sur la base d'un dialogue et d'un consensus.
Pourquoi la France ne transpose-t-elle pas la directive-cadre européenne du 22 octobre 2014, qui privilégie l'incitation et prévoit que les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations s'en expliquent publiquement, selon le principe « appliquer ou expliquer » ?
Ne pénalisons pas nos entreprises avec des contraintes qui ne s'appliquent nulle part ailleurs en Europe. D'ailleurs, les entreprises françaises sont en pointe en matière de RSE : une étude de mars 2015 révèle qu'elles sont même leaders mondiales : 47 % des entreprises françaises ont un système de management de la RSE performant et exemplaire, contre 40 % à l'échelle de l'OCDE, et 15 % dans les BRICS. Attention aux désavantages compétitifs qui risque de se traduire par des suppressions d'emploi !
Ce texte s'appliquerait à 243 entreprises - qui représentent quatre millions de salariés, 33 % de la valeur ajoutée produite en France et 50 % de notre chiffre d'affaires à l'export. Ses conséquences seraient très importantes. Les entreprises, pour satisfaire à leurs obligations, seraient obligées de demander des garanties et des plans de vigilance en cascade à tous leurs sous-traitants. Autant de procédures lourdes, alors qu'au contraire il faudrait alléger le fardeau administratif. La situation de nos entreprises et de l'emploi est-elle si bonne dans notre pays, pour qu'on leur impose encore des contraintes ?
Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte, qui procède d'une vision idéologique de l'entreprise. Cessons de mettre des boulets aux pieds les entreprises, laissons-les travailler en toute responsabilité : ce sont elles qui créent la richesse et l'emploi ! (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale est close.
Rappel au Règlement
M. Didier Guillaume . - Au Sénat, un gentlemen's agreement prévoit que l'on ne dépose pas de motion sur une proposition de loi défendue par un groupe politique, pour ne pas entraver le droit d'initiative parlementaire. Hier, le groupe socialiste a ainsi retiré sa motion pour ne pas bloquer la discussion de la proposition de loi de MM. Buffet et Retailleau. Certes, cette pratique ne figure pas dans le Règlement du Sénat, mais l'ignorer, c'est faire peu de cas de la minorité et de l'opposition ! J'en prends acte, mais je demande que le président du Sénat précise les orientations en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)
Mme la présidente. - Acte est donné de ce rappel au Règlement. Il en sera fait part au président du Sénat.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois . - En Conférence des présidents, il a été précisé que le gentlemen's agreement que vous évoquez ne concerne que les propositions de loi d'initiative sénatoriale, en première lecture.
M. Didier Guillaume. - Non, il s'applique aux espaces réservés aux groupes politiques !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. - Je regrette, votre rappel au Règlement n'est pas fondé.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par M. Frassa, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre (n°159, 2016-2017).
M. Christophe-André Frassa, rapporteur . - La motion a été défendue.
M. Didier Marie . - Issu de l'Assemblée nationale et inscrit dans l'espace réservé à notre groupe, ce texte aurait dû être discuté dans le respect des traditions de notre Haute Assemblée.
Si vous persistez à juger ce texte inconstitutionnel, rien ne vous empêche, après le vote de l'Assemblée nationale, de saisir le Conseil constitutionnel ! Pour nous, toutes les garanties ont été apportées, je les ai rappelées. Ces précisions ont été discutées avec le Gouvernement.
Cette motion est un paravent de procédure pour masquer une posture idéologique que nous dénonçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est défavorable à cette motion. Quel signe enverrait-on aux ONG, aux entreprises, en France et dans le monde ? J'aurais souhaité que la Haute assemblée examine, voire améliore le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
Mme Jacky Deromedi. - Dès la première lecture, le groupe Les Républicains a émis des doutes sur la constitutionnalité du texte. Nos débats les ont confortés.
Le texte méconnaît d'abord le principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Le renvoi à un décret pour définir les obligations des entreprises crée un cas d'incompétence négative du législateur, que le Conseil constitutionnel censure régulièrement. L'amende civile, lorsqu'elle a le caractère d'une punition, doit respecter le principe de légalité valable en matière pénale.
Seules les entreprises qui ont leur siège en France seront visées et non leurs concurrents : le principe constitutionnel d'égalité n'est pas respecté.
Enfin, le texte pose un problème de garantie des droits : même en l'absence d'implication directe ou de fraude, les entreprises ne pourront dégager leur responsabilité en cas d'accident. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera cette motion.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le groupe socialiste votera bien sûr contre cette motion.
Les arguments de Mme la vice-présidente de la commission des lois ne nous ont pas convaincus : nous sommes dans un espace réservé, et peu importe que cette proposition de loi vienne de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Si le dépôt de motions de procédure est admis dans le temps réservé aux groupes, toute discussion d'une initiative parlementaire d'un groupe minoritaire ou d'opposition sera impossible ! C'est inacceptable, au nom des relations démocratiques, justes et respectueuses qui prévalent au Sénat.
Ce texte est essentiel : il concerne la responsabilité des entreprises vis-à-vis d'êtres humains qui vivent dans la misère ; on ne pourra jamais oublier le drame du Rana Plaza.
Lorsque Victor Schoelcher a défendu ici même l'abrogation de l'esclavage, on lui a aussi répondu que cela pénaliserait les entreprises françaises ! Il faut en passer par là pour défendre le progrès social. À la France de montrer la voie, d'ouvrir le chemin. Notre position est éthique, c'est pour cela que nous sommes très attachés à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. - Permettez-moi de vous renvoyer au compte rendu intégral de la Conférence des présidents qui traite de la question : je l'ai sous les yeux, je le relis et vous confirme que nous sommes bien dans le cas, expressément visé par celui-ci, où, « pour tous les autres textes inscrits dans les espaces réservés, commissions et sénateurs peuvent exercer la plénitude de leurs droits d'amendement, déposer des motions (...) tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, ou la question préalable (...) à chaque stade de la procédure, qui peuvent être discutées après la discussion générale (...) Les commissions et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions de renvoi en commission ou des motions préjudicielles qui auraient pour effet de suspendre la navette... ».
Vous y étiez, monsieur Guillaume, et je vous redis que les motions sont bien recevables dans le cas présent.
M. Didier Guillaume. - Empêcher ainsi l'opposition de débattre, cela s'appelle du sectarisme !
Mme la présidente. - Arrêtons là pour l'instant. Nous y reviendrons.
M. Alain Bertrand. - Le très grand groupe du RDSE (Sourires) est très attentif au maintien des espaces réservés, mais aussi au maintien, et je le dis avec ma propre prononciation de l'anglais, des gentlemen ou gentlewomen agreement...(Rires) Nous sommes historiquement un des premiers pays industriels au monde avec l'Angleterre. Nous aurions très bien pu débattre de ce texte ; les membres du RDSE y sont en tout cas favorables.
Mme Corinne Bouchoux. - Sans entrer dans le fond de la discussion ni de la procédure, songez que nous ne sommes pas entre nous : des centaines, voire des milliers d'internautes, suivent nos débats en direct sur le site du Sénat.
Évidemment, c'est un texte politique. Bien sûr, il y a des postures, de part et d'autre... mais nous avons été élus pour débattre et voter des textes. Je pense ici à mes élèves du collège où j'étais avant de vous rejoindre, à ceux du lycée Auguste et Jean Renoir d'Angers que je vais retrouver à la rentrée de septembre, avec lesquels on passe du temps à expliquer la procédure législative, le rôle du Parlement, à quoi sert le Sénat... Je vous le dis calmement, sans donner de leçons : dans le climat actuel, de défiance à l'égard de la politique, on ne peut se permettre de marteler : « circulez, il n'y a rien à voir » et d'interrompre ainsi nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
À la demande de la commission, la motion est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°93 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 186 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
Mme la présidente. - En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 17 h 40.
présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente
La séance reprend à 18 h 30.
Avis sur une nomination
Mme la présidente. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis défavorable (dix voix pour, seize voix contre, deux bulletins blancs) à la nomination de M. Philippe Martin aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité.
Accord en CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables est parvenue à un texte commun.
Transport sanitaire héliporté
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d'utilisation du transport sanitaire héliporté.
Discussion générale
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi vise à ce que la stratégie du transport sanitaire héliporté n'oublie aucun territoire. Je pense certes à la montagne et aux territoires ruraux, mais aussi à des zones urbaines. Six millions d'habitants de France métropolitaine n'ont pas accès aux urgences en moins de trente minutes. Un grand nombre de départements sont concernés au moins en partie, particulièrement les Ardennes, la Moselle, le Doubs, la Savoie, la Haute-Savoie, les Alpes-Maritimes, les deux Corse, la Lozère et même l'Oise et la Seine-Maritime.
Lors de l'examen de la loi Montagne, nous avions voté pour un contrat de mission de santé, imposant au transport sanitaire héliporté, sous l'égide de l'État, de garantir une prise en charge en moins de trente minutes. Hélas, la CMP n'a pas retenu l'article 8 quaterdecies en question. C'est pourquoi le groupe RDSE le présente sous la forme d'une proposition de loi. C'est une cause juste.
Nous nous appuyons sur le rapport présenté en octobre 2016 par M. Collombat et Mme Troendlé, selon qui la politique du transport sanitaire héliporté n'est ni claire ni logique. Les relations entre la flotte des 45 héliSMUR blancs et celle des 35 appareils rouges de la sécurité civile, sans oublier les 56 bleus de la gendarmerie, sont problématiques. C'est une flotte considérable.
Une part de la flotte de la sécurité civile relève des seuls SAMU. Les auteurs du rapport proposaient l'unification des flottes de la sécurité civile et de la santé sous l'autorité du Premier ministre. Ils réclament aussi une stratégie nationale et déclinée dans chaque région. C'est de bon sens.
Je me rallie à l'avis de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, Gilbert Barbier, qui a récrit l'article.
La proposition de loi est-elle fondée ? Oui. D'abord six millions de nos concitoyens sont concernés. Ensuite, la disparité de qualité de prise en charge sur les territoires est infondée. De plus, nous dépensons beaucoup d'argent pour le transport sanitaire héliporté. Autant le mobiliser à bon escient.
Les carences dans certains territoires ont des séquelles : invalidité, infirmité. C'est un coût très élevé.
Les médecins de l'hôpital de Mende m'ont dit que les délais de prise en charge secondaire peuvent dépasser cinq heures aller-retour. Engagements aléatoires, délais de mise en route entraînent une nette perte de chances pour le patient.
Nous voulons que cette proposition de loi rende plus efficients les moyens existants. Sur ce sujet grave et transversal qui doit nous réunir, je vous demande l'unanimité. Tout notre pays est concerné. Le rapporteur me confiait qu'il n'y a pas de honte à demander ce qui est juste. C'est ce que je fais aujourd'hui. (Applaudissements)
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales . - Le professeur Pierre Carli, médecin-chef du SAMU de Paris, m'a confié lors de son audition que « chaque hélicoptère du SAMU a son histoire ». Dans nos collectivités, le financement par les hôpitaux de rattachement des Structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) permet rarement la location d'un hélicoptère dédié. Ce sont donc les collectivités qui réunissent le financement nécessaire pour doter l'équipe d'urgence de moyens héliportés.
Il y a en France 45 hélicoptères affectés aux SAMU. Ils exercent deux types de missions. Les missions dites primaires impliquent de se rendre sur le lieu de la prise en charge des personnes malades ou blessées pour assurer leur transport vers les services d'urgence. Les missions dites secondaires sont celles du transport des patients entre hôpitaux pour une prise en charge adéquate ; ces transports peuvent être programmés.
Le double impératif de qualité optimale des soins prodigués et de sécurité entraîne nécessairement la concentration des plateaux techniques très spécialisés et, par là même, renforce le besoin en moyens de transport médicalisés et rapides. L'attractivité de l'hélicoptère est donc forte.
Les moyens en hélicoptères sont cependant mal répartis et le mode de financement des héliSMUR rend leur gestion complexe. Les appareils sont loués à des entreprises. Les possibilités techniques de ces appareils, ainsi que le niveau d'habilitation des pilotes, restreignent souvent l'usage qui peut en être fait.
Les médecins régulateurs des SAMU ont donc régulièrement recours aux autres hélicoptères de secours disponibles, essentiellement ceux de la sécurité civile, les hélicoptères de la gendarmerie n'intervenant que pour les secours à personne en haute montagne.
Près de la moitié des hélicoptères de la sécurité civile sont en pratique employés pour des activités de transport sanitaire. Ce sont des appareils plus polyvalents avec des pilotes hautement entraînés et habilités notamment au vol de nuit.
Si le SAMU peut faire appel aux hélicoptères de la sécurité civile, il ne peut en disposer à sa guise. Les appareils ne sont pas forcément basés à proximité des hôpitaux et, surtout, ils sont prioritairement affectés aux missions de sécurité civile pour lesquelles ils ont été créés, et donc pas toujours disponibles.
Tant du côté des SMUR que de celui de la sécurité civile, on appelle logiquement à une rationalisation de l'implantation et de l'emploi des hélicoptères en matière sanitaire. L'important travail de nos collègues Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat sur l'aide à la personne plaide en ce sens. C'est aussi l'objet de cette proposition de loi.
La commission des lois a estimé que cette proposition de loi pose effectivement une vraie question, mais ne peut être adoptée en l'état.
L'hélicoptère n'est qu'un moyen parmi d'autres pour le transport sanitaire et, même dans les cas d'urgence, il n'est pas toujours le plus approprié. Accessoirement, il est relativement coûteux. Plusieurs retards peuvent se cumuler : il faut savoir où se trouve l'hélicoptère du SAMU ou celui de la sécurité civile, et dans ce cas combien de temps il lui faudra pour embarquer une équipe SMUR, et si les conditions météo et la situation géographique lui permettront de voler et de se poser. Bref, l'avantage sur les véhicules terrestres n'est pas toujours établi. De nuit, donc lorsque seuls les hélicoptères de la sécurité civile peuvent voler, le transport par un véhicule du SMUR peut, quand les routes sont dégagées, aller plus vite qu'un hélicoptère indisponible dans l'immédiat.
Il faut donc utiliser l'hélicoptère là où il présente un avantage évident. Si l'engagement de rendre partout sur le territoire les soins urgents accessibles en moins d'une demi-heure se justifie par des raisons sanitaires, il n'est pas pertinent pour les déplacements programmés entre hôpitaux.
La solution adoptée dans le texte initial, d'une gestion des transports sanitaires héliportés par les agences régionales de santé dans le cadre d'un contrat national, revient à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux SAMU. Cette solution a le mérite de la cohérence sur le plan sanitaire, mais elle est difficilement acceptable sur le terrain.
La solution la plus adaptée au plan législatif me paraît être celle préconisée par nos collègues Troendlé et Collombat dans leur rapport : mutualiser les hélicoptères au moyen d'un service rattaché au Premier ministre. La gestion des hélicoptères serait faite à l'échelon le plus adéquat, sans doute la région. Les objectifs assignés à ce service seront ainsi d'assurer le maillage territorial et de garantir l'accès aux urgences en moins de trente minutes. Cette solution serait équilibrée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, écologiste et UDI-UC)
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - Cette proposition de loi aborde une question opérationnelle : l'aide médicale d'urgence par hélicoptère. Elle vise à réaliser l'engagement du président formulé en 2012 : rendre les services d'urgence accessibles à tous en moins de trente minutes.
Le secours à personne et l'aide médicale d'urgence sont complémentaires. La seconde a pour objet d'assurer aux patients les soins d'urgence appropriés à leur état. Le premier est assuré par les pompiers et consiste à assurer les premiers secours et évacuer les victimes vers le lieu le plus approprié.
Le champ d'action des hélicoptères de la sécurité civile dépasse le champ du secours à personne, puisqu'il inclut aussi la lutte contre les incendies ou la projection d'équipes.
L'AMU relève du ministère de la Santé et les missions civiles de l'Intérieur, mais leur coopération, impérative, est engagée sur le terrain.
Le volet II de la feuille de route santé intérieure de 2014 affiche l'objectif de complémentarité des moyens héliportés. Un comité de pilotage interministériel a été fixé. Un document détaillera l'emploi le plus adapté de la flotte d'hélicoptères.
Les avancées sont d'ores et déjà notables sur le terrain. Dans certaines régions, l'articulation des deux flottes la nuit est déjà en oeuvre. Une mission inter-inspections a salué le travail de coordination effectué, sans recommander la mutualisation des flottes.
Le dispositif proposé par le texte initial, comme dans le cadre du PLFSS relevait principalement du cadre réglementaire. Je salue donc la cohérence de votre commission, qui l'a récrit.
Vous avez cependant vous-même soulevé, monsieur le Rapporteur, le risque d'hélico-centrisme. L'accès aux soins d'urgence est d'ores et déjà assuré en moins de trente minutes pour 98 % de la population grâce à la complémentarité des transports terrestres et aériens.
La mutualisation des deux flottes sous l'angle exclusif des soins d'urgence est une réponse insuffisante. Le secours à personne est aussi assuré par la gendarmerie, la mairie et l'armée de l'air, le cas échéant.
De plus, une gestion centralisée, plutôt qu'au niveau des ARS, contreviendrait au principe de subsidiarité.
Le travail de coordination que vous appelez de vos voeux avance. Il convient d'attendre la fin des travaux engagés par les deux ministères concernés avec les acteurs opérationnels. Nous ne sommes, par conséquent, pas favorables à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Annie David . - Le transport sanitaire héliporté est parfois la solution la plus rapide d'accès aux soins d'urgence, en particulier en montagne. Il y va des chances de survie du patient.
Avec cette proposition de loi, le groupe RDSE rappelle le président de la République à l'engagement formulé en 2012.
Aux termes de la proposition de loi, une stratégie nationale doit être mise en place, avec la création de commissions régionales de transport héliporté. Le rapporteur l'a récrite en proposant une mutualisation nationale sous l'égide du Premier ministre et une mise en oeuvre à l'échelle la plus adaptée. Reconnaissons-lui son souci du compromis, et à l'auteur de la proposition de loi sa persévérance.
Au-delà du transport sanitaire héliporté, la question des soins d'urgence est posée. La réduction de l'offre de soins, la fermeture des centres hospitaliers ont éloigné les citoyens des soins d'urgence. Les 1 100 hôpitaux de France ont été regroupés sans concertation en 150 groupements hospitaliers de territoire qui, loin de réduire les déserts médicaux, laissent les inégalités s'aggraver.
L'avancée que représente la proposition de loi est à saluer, mais elle ne s'accompagne d'aucune stratégie d'investissement du Gouvernement pour développer la flotte d'hélicoptères. Les collectivités territoriales doivent seules faire face aux besoins.
Malgré ces réserves, nous voterons en faveur de la proposition de loi. Les travaux en cours s'en trouveraient quelque peu accélérés. (Applaudissements)
M. Olivier Cigolotti . - Le transport sanitaire héliporté, par sa rapidité, améliore la qualité et la rapidité des soins d'urgence. Deux organisations de moyens héliportés coexistent : les héliSMUR et la flotte d'État relevant de la sécurité civile. Chacune présente avantages et inconvénients.
La première est mobilisable à tout moment mais son utilisation est contrainte par la réglementation aérienne civile. Ce n'est pas le cas de la seconde qui bénéficie d'un régime dérogatoire, mais elle est aussi mobilisée sur d'autres missions. Il est, de plus, difficile d'en évaluer le coût réel. On estime toutefois à 3 500 euros le coût d'une heure de vol.
L'absence de stratégie globale empêche l'optimisation des implantations d'hélicoptères. Dans de nombreuses régions, l'offre de soins est incomplète.
Les transferts secondaires peuvent prendre une heure à une heure trente, contre trente minutes en hélicoptère. Le transport a toute son utilité.
Le contrat de missions de santé prévu par la proposition de loi permet une meilleure mobilisation. Confier aux ARS l'organisation du transport sanitaire au niveau régional devrait assurer une bonne mise en oeuvre du contrat de mission, appuyée sur une cartographie précise et une doctrine d'emploi adaptée aux besoins.
Le transport sanitaire héliporté est très coûteux, mais un peu moins pour les héliSMUR. Il convient de pérenniser et d'harmoniser le financement. Une nouvelle organisation nécessitera une adaptation des services existants ; la mission sanitaire deviendrait une mission principale des hélicoptères d'État intégrés à la stratégie. Pour les héliSMUR, l'utilisation doit être standardisée.
Je salue la clairvoyance de notre rapporteur, qui propose de mutualiser les moyens employés en les soumettant à une même tutelle.
Nous voterons par conséquent la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et RDSE)
M. André Gattolin . - L'accès aux services sanitaires est une réalité, mais l'attente est mal satisfaite. La disparité, apparue avec la création des CHU en 1958, a été aggravée par les restructurations qui ont suivi à partir des années soixante-dix, avec les schémas régionaux d'organisation sanitaire.
Il est vrai que le coût de la prise en charge de qualité est très élevé. Celle-ci réclame un personnel bien formé et un outillage de pointe ; mais on a souvent sacrifié le principe d'égalité des soins à une logique comptable par les regroupements. C'est pourquoi je salue l'initiative du groupe RDSE.
Il y a quatre ans, notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond m'avait montré à Gap la réalité de l'enclavement territorial. Il avait obtenu un centre hospitalier. Rappelons aussi la situation grave dans les outre-mer, en particulier en Guyane.
La ministre assure que cette initiative va perturber le long travail engagé... Mais c'est au politique de prendre l'initiative ! Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ainsi que sur certains bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Catherine Génisson . - Cette proposition de loi met en place une stratégie nationale du transport sanitaire héliporté. Ses auteurs veulent optimiser le recours aux hélicoptères sanitaires, en mettant l'accent sur le transport primaire. Nous souscrivons pleinement à cet objectif.
Dans le Pas-de-Calais, nous avons depuis plus de vingt-cinq ans un hélicoptère qui dessert nos sept SMUR. En 2014, il a assuré 704 heures de vol, à 75 % pour du transport secondaire. Loué à une société belge, il répond parfaitement aux normes. La prescription du transport héliporté revient au médecin régulateur du SAMU.
Notre groupe s'interroge néanmoins sur le bien-fondé d'une commission régionale. L'article unique de la proposition de loi prévoit une gestion mutualisée par les services du Premier ministre, avec une gestion à l'échelon le plus adapté. Mais on peut s'interroger aussi - Mme Bricq l'a fait en commission - sur l'opportunité d'une délégation interministérielle : dans les faits, cette formule s'avère inefficace.
La Direction générale de l'offre de soins et celle de la sécurité civile ont mis en place un comité de pilotage interministériel. Les deux directions générales se sont accordées sur un texte commun, acté le 30 juin 2006, appuyé sur le principe de complémentarité. Une expérimentation menée en PACA devrait fournir des enseignements utiles et, surtout, permettre une définition précise des principes de gouvernance.
La majorité de notre groupe s'abstiendra sur ce texte mais quelques-uns d'entre nous le voteront pour aiguillonner le Gouvernement sur cette question d'importance. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, UDI-UC et RDSE)
M. Cyril Pellevat . - Le candidat François Hollande avait promis que personne ne se trouverait à plus de trente minutes d'un service d'urgence. La promesse n'a pas été tenue. Les déserts médicaux continuent de constituer une entorse au principe d'égalité, de continuité du service public - sans parler de la vitalité des territoires.
Ce n'est pas au milieu rural de s'adapter à l'offre de soins mais bien l'inverse. En territoire montagnard, le transport héliporté est une évidence, et l'implantation des moyens aériens doit être améliorée.
Ce texte s'inspire du rapport 2016 de l'IGAS qui visait à rationaliser le maillage sur le territoire des hélicoptères étatiques et privés et à réduire les coûts.
La première version de ce texte transférait une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux ARS, sous le contrôle des médecins régulateurs - difficilement acceptable sur le terrain. Le texte de la commission propose une gestion mutualisée par un service placé auprès du Premier ministre et une gestion territoriale coordonnée des transports terrestres.
Le groupe Les Républicains le votera.
Il conviendrait en outre d'autoriser les hélicoptères privés à utiliser des jumelles de vision nocturne ou le treuillage, comme c'est le cas en Suisse, en Italie, en Autriche. Cela simplifierait considérablement les secours. En Haute-Savoie, nous avons un domaine franco-suisse : il est regrettable que la qualité de service varie de part et d'autre de la frontière.
Je conclurai en saluant les professionnels des secours en montagne, très sollicités en cette période. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et à droite)
M. Pierre-Yves Collombat . - J'aurais mauvaise grâce à ne pas remercier la commission et le rapporteur, car sa rédaction s'inscrit dans le droit fil du rapport que j'ai signé avec Mme Troendlé, intitulé « Secours à personne : propositions pour une réforme en souffrance ».
Notre système souffre d'un manque de coordination entre des acteurs multiples, enfermés dans des logiques institutionnelles érigées au rang de « cultures », et défendues, ce semble, jusqu'au plus haut niveau... Il souffre du peu de coordination entre le ministère de la santé, les SDIS et la sécurité civile, dont l'organisation théorique et réglementaire diffère de la réalité sur le terrain.
Ce texte confie la gestion des secours héliportés à un service unique auprès du Premier ministre, ce qui nous satisfait. Confier la gestion des hélicoptères au ministère de la santé n'aurait été ni possible, ni souhaitable, tant les missions divergent.
Toutefois, comme le secours à personne représente 80 % des missions de la sécurité civile, une coordination des flottes s'impose. La nouvelle autorité créée pourra décliner une doctrine d'emplois garantissant l'accès à un SMUR en moins de trente minutes.
Les moyens terrestres et aériens doivent être considérés comme un tout ; au médecin régulateur de déterminer le moyen de transport le plus adapté.
La généralisation sur tout le territoire de plateformes d'appel communes 15-18 facilitera l'élaboration d'une culture commune en matière de traitement de l'urgence.
S'agissant des moyens héliportés, le niveau territorial le plus adapté semble bien être la zone de défense.
Dans les territoires ruraux et les îles bretonnes, l'hélicoptère est le seul moyen de répondre aux cas les plus graves. C'est aussi cela, l'égalité réelle ! Concentrer les moyens médicaux dans les villes au nom de la qualité des soins serait une tromperie si seuls les citadins pouvaient en bénéficier. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, écologiste, communiste républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Yves Roux . - Merci à Alain Bertrand et au groupe RDSE de mettre en lumière le quotidien de bien des territoires ruraux et montagnards. Ce texte répond à deux enjeux : assurer l'accès réel à des soins en moins de trente minutes et améliorer la coordination des transports sanitaires héliportés.
L'accès rapide à des soins de premiers recours est une priorité du Gouvernement et l'un des engagements du pacte territoire santé 1. Le diagnostic doit tenir compte de la topographie, des variations de population, de la totalité des acteurs disponibles.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il faut trente à quarante-cinq minutes par la route, quinze minutes seulement pour un hélicoptère, pour atteindre un SMUR.
De nombreux outils législatifs et réglementaires ont été mis en place, dont l'instruction du 24 novembre 2016 qui charge les ARS d'actualiser le diagnostic, attendu pour la fin du premier trimestre, sur les territoires où les populations sont les plus éloignées des services d'urgence.
Avec la récente loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, les ARS auront la possibilité de compléter l'évaluation et de consacrer un volet de leur action aux besoins de santé spécifiques en zone de montagne. La stratégie nationale de transport sanitaire héliporté en tirera le plus grand bénéfice.
Il est plus efficace de privilégier la coordination des moyens que la mutualisation, et les ARS ne sont pas le seul échelon pertinent. Les hélicoptères de la sécurité civile sont, en effet, polyvalents : lutte contre le feu, hélitreuillage, intervention de nuit ou pendant des intempéries... Avec ceux de l'armée, ils sont en première ligne en cas de drame d'ampleur - je l'ai constaté lors du crash d'un avion dans mon département, qui a mobilisé tous les acteurs pendant deux jours. Mieux vaut donc une coordination entre deux directions générales distinctes.
Enfin, l'efficacité passera aussi nécessairement par un accès suffisant et itinérant à la téléphonie mobile, y compris dans les territoires les plus isolés. C'est une bataille que nous devons mener de front. (Applaudissements à gauche)
M. Daniel Chasseing . - Il appartient au médecin régulateur du SAMU de déterminer les moyens de transport les plus adéquats d'un patient lors d'un transport sanitaire, en fonction de l'état de celui-ci : glycémie, conscience, oxygénation, etc. Le SMUR est composé d'une voiture avec un pilote, un infirmier et un médecin ; il intervient au domicile ou va à la rencontre de l'ambulancier. Si le blessé ou le malade est dans un état très grave, avec dégradation rapide des fonctions vitales, le médecin régulateur enverra l'héliSMUR. Le mode de transport est déterminant en zone rurale ou hyper-rurale en cas d'AVC, d'infarctus, de polytraumatisme ou encore de choc anaphylactique : une simple injection d'adrénaline dans les temps peut alors sauver le malade. L'hélicoptère sera envoyé en fonction des conditions de circulation sur la route, des circonstances, de la gravité extrême de l'état du patient.
Comment faire en sorte que tout le territoire soit desservi ? Suivant le professeur Carli, la première version de ce texte préconisait de confier aux ARS la gestion des héliSMUR et des hélicoptères de la sécurité civile - ce qui se heurte à des objections pratiques.
M. Barbier, qui est un homme sage et d'expérience a proposé, à la place, une mutualisation des flottes sous l'égide d'un service unique rattaché au Premier ministre, avec une gestion au niveau régional - solution préconisée par le rapport Troendlé-Collombat.
Les Français doivent être égaux dans l'accès aux soins comme ils le sont en droits. (M. Alain Bertrand approuve) Je voterai ce texte tel qu'amendé par la commission, pour assurer au plus vite une répartition équitable des transports sanitaires héliportés sur l'ensemble du territoire de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UDI-UC et RDSE)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
L'article unique est adopté.
En conséquence, la proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Alain Bertrand. - Merci !
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
« Faut-il supprimer l'École nationale d'administration ? »
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Faut-il supprimer l'École nationale d'administration ? ».
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE . - Ce débat, qui pourrait être qualifié de « marronnier », est néanmoins utile. En 1936, Jean Zay propose de créer une nouvelle école d'administration...
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est bien de parler de Jean Zay !
M. Gilbert Barbier. - Un radical !
M. Jacques Mézard. - ... afin que l'État ne soit pas contraint de recruter ses principaux serviteurs dans une classe privilégiée, restreinte, dont les sentiments et les intérêts peuvent ne pas coïncider avec ceux de la Nation.
Dès le début du XXe siècle, alors que le recrutement par concours s'impose progressivement dans les ministères, on s'interroge sur la possibilité d'en finir une bonne fois pour toutes avec la cooptation. À la Libération, et sous l'impulsion de Michel Debré, l'ENA est créée. Elle a formé d'éminentes personnalités dans la vie de la Nation, dont trois présidents de la République, nombre de ministres sans parler des parlementaires.
Il est déstabilisant de constater que, plus de soixante-dix ans après sa création, elle suscite les mêmes critiques que l'ancien régime de recrutement des fonctionnaires. Dès 1967, Jean-Pierre Chevènement, sous le pseudonyme de Jacques Mandrin, évoque une Enarchie, qui existe bel et bien, succédant à une Synarchie imaginaire. Et notre pays la découvrant ressent « l'effroi d'un honnête homme qui se réveille ficelé par des brigands ».
Loin de moi l'idée de faire le procès de nos grandes écoles telles que l'École polytechnique ou l'ENS. Je n'oublie pas que la guerre de 1914-1918 a été gagnée par des généraux polytechniciens.
Cependant, l'ENA jouit du quasi-monopole de formation des cadres supérieurs de l'État sans que ses élèves soient suffisamment représentatifs de l'ensemble de la Nation.
Pas moins de 28 % des membres des grands corps de l'État ont au moins un parent énarque. Les grandes écoles parisiennes y sont surreprésentées, au premier rang desquelles Sciences Po Paris. La reproduction sociale fonctionne à plein régime... La possibilité d'offrir aux docteurs une voie d'accès au concours interne sur titre a été abandonnée en mars 2013. Cette éviction sociale est également territoriale : les formations préparatoires, tant plébiscitées par le jury de l'ENA, recrutent dans le Bassin parisien, pour ne pas dire dans certains arrondissements bien précis de la capitale.
La formation dispensée pose également problème : elle fabrique trop de hauts fonctionnaires stéréotypés sur la forme et sur le fond. Lors de leur arrivée sur le terrain, les énarques éprouvent sa distorsion avec la réalité de leurs tâches quotidiennes. Comme les officiers dont Marc Bloch rapporte les propos dans L'étrange défaite, beaucoup ont le sentiment d'avoir été trompés par l'enseignement qu'ils ont reçu.
La porosité avec le privé est également problématique : le pantouflage est, d'une certaine manière, encouragé par les dispositions normatives encourageant une meilleure « respiration » de la haute fonction publique. Quant aux anciens élèves qui se lancent en politique, ils devraient, eux aussi, rembourser leurs frais de scolarité. Ce sont souvent les premiers à vouloir abaisser les pouvoirs du Parlement, voire à critiquer le bicamérisme. Qui contrôle le respect de l'engagement décennal ? Comment est-il calculé pour les énarques qui proviennent de l'ENS ou de Polytechnique ? Qui s'assure du remboursement éventuel des frais de scolarité ?
La haute fonction publique devrait se recentrer sur sa raison d'être : servir son pays en exécutant les décisions des élus. Or on observe l'inverse ! J'ai constaté le mépris de certains à notre encontre en conduisant la commission d'enquête sur les autorités administratives indépendantes.
Le poids des grands corps a des conséquences plus qu'indirectes sur la vie de la Nation : l'inflation constante des directions centrales des ministères ; la multiplication d'autorités, d'agences et de hauts conseils ; surtout, une diarrhée réglementaire au point qu'on a parfois le sentiment que la machine administrative a inventé le mouvement perpétuel. (Sourires)
La pérennité de l'ENA dépend de sa capacité à se réformer. D'abord il faut diversifier son recrutement en jetant une passerelle avec l'université mais aussi en refondant les épreuves du concours d'entrée. À la question « quelle est la hauteur de la Seine à Paris ? », l'on ne sait pas forcément, quand on n'est pas bien nés, qu'il faut répondre : « Sous quel pont ? ». Ce mode de sélection a ses limites... Donnons moins de poids à la culture générale pour évaluer la capacité à répondre à la commande politique. Obligeons également ceux qui ne respectent pas leur engagement décennal à rembourser leurs frais de scolarité. Bref, faisons en sorte que la devise de l'ENA demeure « servir » plutôt que « se servir ». Cette école ne doit plus être considérée par des étudiants aussi brillants qu'ambitieux comme un ticket d'entrée vers une carrière politique accélérée ou les sommets du CAC 40.
Faire l'ENA, c'est avoir le sens de l'État, vouloir servir son pays en assistant le pouvoir politique, le seul qui bénéficie de la légitimité démocratique de l'élection. En somme, il ne s'agit non de supprimer l'ENA mais de la réformer. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent aussi)
Mme Éliane Assassi . - Merci au groupe RDSE et au président Mézard d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. Son intitulé pose deux questions bien distinctes. D'abord, faut-il un cadre commun de formation pour les hauts fonctionnaires ? Michel Debré mais également Maurice Thorez ont voulu, en somme, mettre en oeuvre l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme en créant l'ENA : démocratisation de la haute fonction publique, méritocratie et égalité de fait entre classe dirigeante et classe populaire, voilà les principes qui les animaient. Nous étions au sortir de la guerre, dans un pays ravagé matériellement et moralement, où l'administration avait failli à sa tâche et détourné le principe de la neutralité administrative pour se dédouaner des crimes commis sous Vichy et l'Occupation.
Deuxième question : l'ENA remplit-elle la fonction qui lui a été assignée ? Dès les années soixante, Bourdieu et Passeron constataient qu'elle perpétuait une élite. L'énarchie est une caste se perpétuant de génération en génération : les « camarades de classe à l'école » deviennent « copains de promo à l'ENA », pour reprendre les termes des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, à cause d'un système scolaire devenu le champion de l'inégalité au sein de l'OCDE. Accèdent à l'ENA uniquement ceux qui y sont préparés depuis l'enfance ; je peux vous le dire : je me suis présentée au concours, j'ai échoué. Le vivier de recrutement de l'ENA se limite à Polytechnique et Sciences Po, où le nombre de boursiers n'atteint pas un tiers et où deux tiers des élèves sont issus de ménages aisés. Ce constat a été aggravé par la suppression en 1990 de la troisième voie de recrutement, créée en 1983, qu'Anicet Le Pors avait voulue pour promouvoir les dirigeants associatifs et syndicaux - et cela fonctionnait, j'ai connu des personnes issues de classes populaires qui ont réussi l'ENA grâce à elle.
Homogénéité et reproduction sociale... Luc Rouban, dans son étude, en montre les conséquences : les lignes entre le politique et l'administratif sont de plus en plus brouillées depuis les années quatre-vingt. Les énarques se lancent en politique en s'appuyant sur leur réseau de « copains de promo » ; la technocratisation progressive de la politique permet de resserrer les liens sur une base technique, et non idéologique. Le profil des admis, de plus en plus issus d'écoles de commerce, renforce leur caractère de gestionnaires, alors que l'école devrait former des cadres dévoués au service public.
Quant au pantouflage, l'exigence de dix ans de service public en échange de la gratuité de la scolarité n'est plus respectée et les élèves rejoignent vite le privé. L'exemple vient de haut : le directeur du Trésor a rejoint un fonds chinois. Dommage que le Conseil constitutionnel, composé pour moitié d'énarques, ait refusé de confier à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique le contrôle de ces transferts ! La lutte contre cette pratique est une bataille démocratique d'importance dans laquelle notre groupe CRC est profondément engagé ; on l'a vu lors de l'examen de la loi Sapin 2.
Oui, une école doit former notre haute administration pourvu qu'elle redevienne un outil d'émancipation et de formation des plus hauts serviteurs de l'État et des services publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Corinne Bouchoux applaudit aussi)
M. Jean-Claude Requier . - Marc Bloch disait qu'à une monarchie, il fallait des fonctionnaires monarchiques, mais qu'une démocratie tombait en faiblesse quand ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser, ne la servaient qu'à contrecoeur.
Le sens de l'État, difficile à déceler lors du concours, se dévoile au long de la carrière. Le fonctionnement de l'ENA et le statut de la catégorie A + l'affaiblissent malheureusement. Lors de la cérémonie de « l'Amphi Garnison », les élèves choisissent leur affectation en fonction de leur rang de sortie. C'est ainsi qu'un individu ayant une formation d'économiste pourra être nommé au Conseil d'Etat. Ce mode d'affectation empêche d'orienter chacun selon ses compétences. Surtout, le classement final détermine le déroulement de toute la carrière. Cela explique pourquoi il est si contesté. Toute réforme a échoué jusqu'à présent. On pourrait pourtant imaginer que les élèves choisissent une épreuve majeure en fonction du corps qu'ils souhaitent intégrer lors du concours d'entrée ou que l'affectation par classement se fasse dès leur entrée à l'école d'après leurs notes au concours. J'ajoute qu'il ne serait pas inutile qu'ils fassent un stage au Parlement.
L'existence d'une catégorie A +, implicite et rigide, cause de nombreuses difficultés managériales. La loi du 11 janvier 1984 ne prévoit, en effet, que trois catégories, A, B et C. Un cadre A ne deviendra jamais A + sauf à passer un concours interne, pour des postes similaires à ceux qu'occupent les énarques au Quai d'Orsay, dans les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes. Les outils de promotion interne devraient être dynamisés. L'accès direct aux grands corps pourrait être remis en cause, en s'inspirant du fonctionnement de l'ordre judiciaire. Conseil d'Etat, cours des comptes, inspections générales devraient être réservés à des fonctionnaires ayant fait preuve de leur mérite au cours de leur carrière, et non lors du seul concours. Cette refondation devra s'accompagner d'une réflexion sur la question du pantouflage que les commissions de déontologie ne règlent pas.
Vous l'aurez compris, nous devons valoriser le sens de l'État, qui devait être la première qualité recherchée chez les aspirants à l'ENA. (Applaudissements)
M. Yves Détraigne . - On parle beaucoup de l'ENA : les parents en rêvent pour leurs enfants car elle est synonyme de réussite, elle suscite aussi des regrets ou des déceptions de la part de ceux qui ont raté le concours ou sont sortis mal classés.
Toutefois, comme le disait ma grand-mère, il vaut mieux faire envie que pitié. Si l'on supprime l'ENA, par quoi la remplacer ? Sinon, comment la réformer ?
On lui reproche de ne plus assurer l'accès démocratique à la haute fonction publique. L'ENA a constitué un rempart au népotisme, faisant primer le mérite et les qualités des candidats sur les origines sociales. Il n'y a pas que des fils de préfets à l'ENA. Je suis moi-même fils d'agriculteurs qui n'avaient que le certificat d'études. Il est vrai que j'étais le seul de ma promotion. Selon une étude de deux chercheurs de l'EHESS de 1985 à 2009, les enfants de cadres constituent 72 % de la promotion, 12 % de professions intermédiaires et seulement 6 % d'employés et d'ouvriers. Soit mais on retrouve les mêmes chiffres à Sciences Po, à l'École normale supérieure ou à Polytechnique !
Le système de concours reste le moins mauvais, d'autant que le nombre de postes ouverts au concours interne s'est rapproché de celui du concours externe.
On reproche aux énarques une trop forte influence dans les cabinets ministériels. On formule le même reproche aux enseignants pour le ministère de l'éducation nationale. On touche ici à la responsabilité du politique. S'il suffisait de remplacer un énarque par un non énarque dans un cabinet pour régler différemment les problèmes, cela se saurait...
Précisément, ce sont souvent les énarques qui connaissent le mieux l'administration. Il en va de même des magistrats au ministère de la justice et des enseignants au ministère de l'éducation nationale.
Des améliorations peuvent certes être apportées à l'ENA. Les épreuves du concours d'entrée de l'ENA pourraient être plus professionnelles et moins théoriques. Les aspects pratiques de la formation pourraient être renforcés par davantage de stages en collectivité ou en entreprise.
Enfin, il importe que le politique reprenne la main, notamment pour assurer le service après-vote de ses décisions.
Pour conclure, je paraphraserai Churchill : l'ENA est la pire des formations à l'exception de toutes les autres... (Applaudissements sur la plupart des bancs)
Mme Corinne Bouchoux . - Les griefs formulés à l'encontre de l'ENA sont nombreux. Merci, donc, d'avoir organisé ce débat. Le recrutement des énarques pose la question : qui sont nos élites ? Elles sont majoritairement masculines, issues des mêmes milieux et des mêmes écoles. Le système actuel ne prépare ni au doute ni à l'innovation.
Le troisième concours devrait être développé, comme le concours interne. Développer la diversification passe aussi par la lutte contre l'autocensure des candidats. Parmi les lauréats de la rentrée 2016, un quart seulement de femmes et trois quarts issus de Sciences Po Paris !
Parmi les pistes de réforme, il faut renforcer la lutte contre les conflits d'intérêts, enseigner la gestion des conflits car demain, les hauts fonctionnaires devront répondre à des questions très difficiles dans un monde conflictuel. (M. Jean-Pierre Sueur approuve) Quant à l'intelligence émotionnelle, elle n'est pas enseignée à l'ENA. C'est dommage...
Les liens entre ENA et universités devraient aussi être renforcés. Il est incompréhensible qu'il y ait si peu de docteurs dans nos élites. C'est une particularité française. Nos énarques devraient être initiés à la recherche. L'open data a, par exemple, été très bien comprise par quelques énarques de la génération geek, mais pour d'autres, la loi Lemaire a été un calvaire. Pour favoriser ce rapprochement entre l'ENA et l'université, les énarques issus de milieux privilégiés pourraient recevoir un traitement moindre, reversé à la faculté.
Oui, nos énarques doivent connaître l'entreprise et la compétitivité mais il faut prévenir les abus et le pantouflage qui se perpétuent malgré les commissions de déontologie.
Une suppression pure et simple n'aurait pas de sens, nous voulons une ENA à l'université et avec l'université. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Jean-Pierre Sueur . - Je rends hommage aux anciens élèves de l'ENA que j'ai rencontrés et qui m'ont frappé par leur haut sens de l'intérêt public et du service public. Attention à ne pas imputer à cette école les maux de notre société. Il serait regrettable de commettre une erreur de raisonnement, qui ne manquerait pas d'être sanctionnée lors d'un concours, en supputant des liens entre des causes et des effets sans jamais les prouver. M. Mézard a dit que les énarques n'aimaient ni le Parlement ni le parlementarisme...
M. Jacques Mézard. - Certains !
M. Jean-Pierre Sueur. - Qu'est-ce qui le prouve ? Un certain nombre d'entre eux contribuent à notre travail.
Un certain nombre de critiques adressées à l'ENA valent pour toutes les grandes écoles. Je suis allé en classe préparatoire parce qu'un collègue, moniteur de colonie de vacances, m'en a parlé - je ne savais pas que cela existait. Ne dénigrons pas la méritocratie républicaine. Les chiffres de la sociologie de l'ENA valent aussi pour HEC ou Polytechnique. Pour en finir avec ces inégalités, il faut beaucoup de temps scolaire et concentrer l'apprentissage sur les savoirs fondamentaux. Nous ne pouvons plus accepter qu'un élève entre en sixième sans savoir lire et écrire ! Refondons une école de l'exigence.
Les grandes écoles, spécificité française, prospèrent hors de l'université, les enseignants de classes préparatoires ne sont pas soumis à l'obligation de recherche. Comme Mme Bouchoux, je crois que les liens entre les grandes écoles et l'université doivent être resserrés.
La formation de l'ENA est critiquée car elle serait trop générale. Je suis pour ma part favorable à la formation générale. Apprendre à penser, s'exprimer, analyser, c'est primordial ! Il faut enseigner l'essentiel avant de disperser les séquences de formation. Les stages sont importants à condition que le reste de la formation soit substantiel.
Une ancienne élève de l'ENA, devenue magistrate à la Cour des comptes, expliquait dans un article publié dans Le Monde, que ce qui manque dans cette école est connu depuis des décennies : c'est un programme, une pédagogie, un corps enseignant. Ne faut-il pas créer un corps enseignant permanent, suivant une pédagogie définie ?
Le classement de sortie, à mon sens, est problématique. Et, d'abord, parce qu'il crée une hiérarchie, tout à fait contraire à l'esprit républicain. Une ancienne ministre, maire de Lille, avait surpris en choisissant le ministère du travail à sa sortie de l'ENA. Comme s'il était plus noble d'être à Bercy qu'au ministère des affaires sociales et du travail ! Lorsqu'on compare les moyens de tel service de Bercy à ceux de la Direction de l'administration pénitentiaire, il y a plus que des nuances... Il y a quelques années, Jean-Pierre Jouyet avait proposé une réforme consistant à faire converger, par un processus itératif, les souhaits des élèves et les besoins des administrations. Tout cela s'appuyait sur quantité de commissions et d'entretiens. C'était revenir à un système fondé sur la connivence contre lequel l'ENA a justement été créée. C'est pourquoi, avec Catherine Tasca, nous nous y sommes opposés.
Concilions l'esprit de réforme avec le souci rigoureux de l'égalité et de la justice. M. Mézard a dit juste : il faut, non supprimer l'ENA, mais la réformer. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Pascal Allizard . - Après les élections, on assistera à la valse des cabinets ministériels, des directeurs d'administration, des préfets, des ambassadeurs, issus pour la plupart de l'ENA et remplacés par d'autres énarques.
L'ENA forme nos hauts fonctionnaires et pourtant elle est très critiquée, souvent par d'anciens élèves d'ailleurs. Un ancien ministre du redressement productif l'a vivement critiquée avant qu'on ne dévoile l'influence des énarques dans son cabinet, lui qui avait raté le concours...
L'École exaspère. Pantouflage, suffisance, protection du statut de la fonction publique, les causes de désamour sont nombreuses. Il est vrai qu'il faut séparer les genres : si un énarque veut s'engager en politique, il doit démissionner de la fonction publique.
La vocation de l'État s'amenuise. Les profils changent : de cadre supérieur au service de l'État, on est passé au dirigeant multicarte, passant d'un cabinet ministériel à un autre, avant d'aller présider une grande banque privée.
Je regrette le manque de culture européenne des candidats à l'ENA. J'aimerais qu'ils passent davantage les concours de la fonction publique européenne.
Depuis soixante-dix ans, l'ENA n'a pas réussi à renforcer le brassage social. Si l'on peut regretter le conformisme de ses anciens élèves, c'est dès la préparation du concours que ce problème se pose.
Non, il ne faut pas fermer l'ENA : il faut l'ouvrir davantage ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nicole Duranton . - Faut-il supprimer l'ENA ? Question récurrente... L'ENA est source de nombreux fantasmes. Après la débâcle de 1940 et l'effondrement de l'appareil d'État, Michel Debré et le général de Gaulle voulaient renforcer l'unité de la Nation, en formant des fonctionnaires à l'exercice pragmatique du pouvoir.
Pourtant quarante ans après, l'ENA est devenue la cible de critiques parfois populistes - machine à reproduire les élites, école endogame, étanche au monde qui l'entoure -, le symbole des gens qui servent en se servant. Cette critique est facile : l'ENA permet de recruter au mérite nos hauts fonctionnaires en évitant la distribution des postes selon le copinage. Supprimer l'ENA, cette richesse française, n'est pas la bonne réponse à cette défiance.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas la réformer. Le concours a été ouvert aux fonctionnaires en poste, pour répondre au souhait des citoyens de disposer d'une classe dirigeante plus en phase avec la société.
Restent le blocage de la botte, ce concours de sortie qui reproduit une caste déconnectée du réel. Cette question ne doit pas occulter toutefois celle de la formation des fonctionnaires, au service d'un État fort et compétent. La suppression de l'ENA ne serait pas une solution. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Grosperrin . - Nous demandons-nous s'il faut supprimer Polytechnique, l'ENS ou HEC, pourtant nettement plus anciennes que l'ENA ? L'ENA est-elle le bouc émissaire des crispations de nos sociétés ? Les énarques sont perçus comme une caste, des mandarins, intéressés avant tout par leur classement de sortie. La France, comme la Pologne ou l'Italie, a confié à l'ENA le soin de former ses fonctionnaires. En Allemagne, les fonctionnaires sont recrutés à l'université. Ses résultats ne sont pas plus mauvais. Dans La ferme des énarques, Adeline Baldacchino dénonce le manque de vision critique.
I have a dream... On se prend à rêver d'une école sans cooptation, qui forme ses élèves aux réalités du monde d'aujourd'hui.
Je conclurai comme à l'ENA, en trois points : il faut améliorer les conditions d'accès ; revoir la formation pour la rendre moins théorique ; et éviter l'omniprésence des énarques dans les cercles de pouvoir. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Voilà une question qui transcende les clivages politiques : depuis sa création, cette grande école créée pour former les hauts cadres chargés de reconstruire la France au lendemain de la guerre, n'a cessé d'être contestée. Encore récemment, Bruno Le Maire proposait de la supprimer et 82 % des 47 753 personnes interrogées pour le Figaro le souhaiteraient aussi.
Actuellement, 70 % des énarques exercent dans les grandes administrations d'État, 23 % dans les collectivités territoriales, 7 % dans les entreprises privées. Faut-il supprimer cette école qui forme une élite recrutée à 25 ans à vie ? Qui crée une élite et une super élite ? Sans doute faut-il améliorer la formation, mais l'ENA avait pour ambition de faciliter l'ascension sociale, au mérite.
On est loin toutefois des ambitions. Malgré les efforts de sa directrice, Nathalie Loiseau, la part des femmes y reste très minoritaire.
La structuration en grands corps de notre société n'est-elle pas un blocage ? Les énarques occupent tous les postes d'influence. On peut s'interroger sur la capacité d'un ministre, énarque, à réformer la haute administration de laquelle il est issu. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique . - Je remercie vivement le RDSE d'avoir posé cette question à laquelle je réponds par la négative. Mais, s'il ne faut pas supprimer l'ENA, il faut la réformer.
Notre gouvernement vise à donner une plus grande place aux jeunes et à l'exemplarité. L'ENA a répondu à l'appel : 47 élèves sur 90 sont issus du concours interne et du troisième concours. Elle incarne la jeunesse, l'avenir de notre service public. L'enthousiasme de ses élèves est rassurant pour l'avenir.
Nous avons besoin de l'ENA pour former les hauts fonctionnaires. L'ENA est une école d'application, elle ne délivre pas de diplôme. Elle joue un rôle essentiel. Notre haute fonction publique est reconnue à l'étranger. Elle accueille régulièrement des étudiants étrangers.
L'ENA se réforme. On lui reproche souvent de reproduire les élites parisiennes, issues de classes aisées, ou de proposer en guise de formation un moule auquel quelques-uns seulement peuvent s'adapter. Bref, de favoriser un entre-soi et l'endogamie. Selon Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, « si les élèves recrutés via le concours externe, très sélectif, sont incontestablement brillants, leur profil social est très homogène ». Pour une part, c'est un effet de l'inégalité des chances d'accès à l'enseignement supérieur et des difficultés de notre système scolaire à assurer l'égalité des chances. À ce propos, je tiens à saluer le travail de recherche précis mené sur les cohortes d'élèves.
Je salue le travail de sa directrice depuis 2012, Mme Nathalie Loiseau, deuxième femme à diriger cette école - un symbole, d'autant que cette diplomate n'est pas énarque.
Le concours a évolué avec la reconnaissance des acquis de l'expérience, dont le doctorat. Un arrêté sera publié. L'épreuve orale collective permet d'apprécier la capacité d'intégration.
Le Gouvernement soutient les classes préparatoires intégrées avec des bourses de scolarité ; le nombre de places a doublé et sera porté à 1 000.
Il faut aussi revoir le concours externe en valorisant l'expérience pour mieux prendre en compte les années de stage, de service civique. La scolarité a évolué : gestion publique, management, dialogue social, apprentissage de la négociation, de l'innovation, de l'évolution de la dimension européenne.
Allons plus loin en renforçant les liens avec l'université. La délivrance de master en partenariat avec l'université est désormais possible. Une première chaire sur l'innovation publique a été créée. D'autres suivront. Je souhaite aussi modifier le statut de l'école pour lui permettre de délivrer des diplômes.
Pour lutter contre l'entre-soi, je souhaite modifier la composition du conseil d'administration pour qu'il ne soit pas exclusivement composé d'anciens énarques et rapprocher l'école de l'INET et de l'École des hautes études de santé publique.
L'ENA suscite bien des fantasmes. En réalité il n'y a que 5 % des énarques à s'engager en politique et 8 % à pantoufler. Il est vrai toutefois que l'engagement de servir l'État après la scolarité n'est pas suffisamment exigeant. Un énarque qui pantoufle ne rembourse ses frais de scolarité qu'au plus tôt quatorze ans après sa sortie de l'école, au bout de dix ans de pantouflage.
La formation d'un énarque est un investissement important pour l'État : 83 000 euros par an. C'est pourquoi je propose qu'un fonctionnaire doive consacrer les dix premières années de sa carrière au service des Français, sinon il devra démissionner et rembourser la pantoufle. J'ai soumis un projet de décret en ce sens au président de la République et au Premier ministre.
Les grands corps ? Nous avons créé des comités d'audition, pour accroître la diversité des recrutements dans les administrations. Une mission de réflexion, installée par Marylise Lebranchu, n'a pas préconisé de supprimer les grands corps mais de les fusionner. J'invite le Parlement à formuler des propositions.
Enfin, s'interroger sur l'ENA, c'est aussi s'interroger sur l'État. Leurs modernisations sont liées, pour mieux s'adapter aux attentes des usagers, permettre à l'État de relever les défis de demain, comme le numérique ou la sécurité.
Plus largement, c'est bien la question des institutions qui est posée. Pour faire face à l'avenir, nous devons être prêts à les changer. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE, écologiste et UDI-UC)
Le débat est clos.
Prochaine séance demain, jeudi 2 février 2017, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 15.
Marc Lebiez
Direction des comptes rendus
Ordre du jour du jeudi 2 février 2017
Séance publique
À 10 h 30
Présidence : M. Thierry Foucaud, vice-président
Secrétaire : M. Jackie Pierre
- Débat sur le thème : « Violences sexuelles : aider les victimes à parler ».
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°93 sur la motion n°1, présentée par M. Christophe-André Frassa au nom de la commission des lois, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :342
Suffrages exprimés :341
Pour :186
Contre :155
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 142
N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, M. Michel Bouvard
Groupe socialiste et républicain (108)
Contre : 108
Groupe UDI-UC (42)
Pour : 40
Abstention : 1 - Mme Anne-Catherine Loisier
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Jacqueline Gourault, présidente de séance
Groupe communiste républicain et citoyen (21)
Contre : 21
Groupe du RDSE (17)
Pour : 1 - M. Gilbert Barbier
Contre : 16
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 3
N'ont pas pris part au vote : 3 - MM. Robert Navarro, David Rachline, Stéphane Ravier