Loi de finances rectificative pour 2016
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2016.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics . - Le collectif de fin d'année est un exercice traditionnel ; il n'est pas pour autant un exercice convenu, cette année moins que jamais. Il procède aux ajustements nécessaires à la tenue de nos objectifs budgétaires et surtout conforte le redressement des comptes publics.
Avant de poursuivre dans la présentation de ce texte, je veux vous dire que, en raison de la concomitance d'examen de textes budgétaires et autres au Sénat et à l'Assemblée nationale, je devrai m'absenter ce soir et demain. Dans l'ordre, M. Christophe Sirugue, Mme Martine Pinville, M. Jean-Vincent Placé viendront devant vous avant que je ne vous rejoigne pour conclure les débats. Rassurez-vous, aucun secrétaire de Bercy pas plus que moi-même n'ont piscine, nous sommes tous sur le pont. Mais, si la matière est importante, nous ne pouvons pas nous couper en deux...
Ce projet de loi de finances rectificative prolonge le projet de loi de finances 2017 à travers un volet fiscal très substantiel. Il tient compte des éléments nouveaux dont nous avons pu avoir connaissance depuis le dépôt du projet de loi de finances 2017 et qui ont conduit le Gouvernement à ajuster légèrement sa prévision de croissance pour 2016 à 1,4 %. Cette révision modifie légèrement la composition des recettes fiscales, mais elle ne modifie en rien la cible de déficit 2016, maintenue à 3,3 %. Les informations comptables dont nous disposons, tant en matière de recettes que de dépenses, confirment que cet objectif sera tenu. Le Haut Conseil des finances publiques, dont l'indépendance est connue, a salué le réalisme et la crédibilité des prévisions du Gouvernement. Il y a un peu plus d'un an, ce même conseil estimait, dans son avis sur le projet de loi de finances 2016, qu'il existait des « risques significatifs » de ne pas atteindre la cible que nous nous étions fixée.
M. Francis Delattre. - Attendons la loi de règlement...
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Ceux qui demeurent incrédules peuvent également se reporter à la prévision de déficit public que la Commission européenne a récemment publiée, elle est identique à celle du Gouvernement : à 3,3 %... N'en déplaise à certains, le sérieux de notre action en matière de maîtrise des comptes publics se trouve confirmé. Je le dis à l'opposition, ce n'est servir ni l'intérêt général ni l'avenir de traiter systématiquement d'insincère les textes budgétaires du Gouvernement et parfois même de refuser d'en débattre. (Marques d'approbation sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Ce projet de loi confirme les engagements pris. La remise en ordre des comptes publics se traduit à nouveau par une amélioration du solde budgétaire. Il s'établit à 69,9 milliards d'euros, après une exécution à 70,5 milliards d'euros en 2015, en amélioration de 2,4 milliards par rapport à celui de la loi de finances initiale de 2016. Comme en 2015, l'exécution du budget de l'État sera meilleure que la prévision initiale, grâce à nos prévisions prudentes et malgré les Cassandre qui prévoyaient des dérapages. Certains pourront qualifier cette amélioration d'insuffisante, mais je rappelle que l'État prend en charge ou compense la baisse des cotisations sociales ou l'impact du pacte de responsabilité et de solidarité.
Cette remise en ordre des comptes repose sur la maîtrise des dépenses, ce qui ne signifie pas que nous aurions renoncé à financer nos priorités, bien au contraire. Comme les années précédentes, toutes les dépenses nouvelles sont financées par redéploiement, en respectant la cible de dépenses. Les redéploiements prévus par ce texte comme par le décret d'avance, qui vient d'être publié, représentent 4,5 milliards d'euros ; ils complètent ceux intervenus à l'occasion des deux décrets d'avance de juin et d'octobre, qui avaient notamment permis de financer le plan emploi.
Nos priorités sont connues, dans le seul objectif d'accroître la solidarité et de renforcer la qualité de notre action publique : la politique de l'emploi a été confortée, les agriculteurs ont bénéficié d'un soutien exceptionnel, le traitement de nos agents publics a été enfin revalorisé. Ces derniers ont contribué pendant six ans au redressement de nos comptes publics à travers le gel de leur point d'indice. Nous reconnaissons à sa juste valeur le travail des fonctionnaires, là où certains appellent à une véritable purge qui serait préjudiciable à la qualité du service public. Enfin, les mesures à destination des jeunes ont été amplifiées - garantie jeunes et bourses de l'enseignement supérieur.
En outre, nous finançons les principaux aléas : classiquement, les surcoûts résultant des opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, pour 800 millions d'euros ; la montée en charge plus rapide qu'anticipé de la prime d'activité et l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, pour 800 millions d'euros ; le coût des refus d'apurement de certaines aides agricoles par la Commission européenne, pour 300 millions d'euros.
Les ouvertures de crédits sont d'abord compensées par des annulations à hauteur de 1,7 milliard, essentiellement sur la réserve de précaution, que nous avions portée par prudence à un niveau particulièrement élevé en 2016. En outre, les prélèvements sur recettes seront réduits de 1,9 milliard, grâce notamment à une sous-exécution du budget de l'Union européenne en 2016, et le plafond des taxes affectées aux opérateurs sera abaissé de 200 millions d'euros par plusieurs prélèvements sur fonds de roulement. Si l'on tient compte, comme chaque année, du fait que les crédits ouverts ne seront pas dépensés à 100 %, la cible de dépenses sera respectée en exécution.
Les économies réalisées sont complétées par des annulations importantes sur la charge de la dette, pour 2,9 milliards d'euros. Sur le champ de la norme de dépenses, charge de la dette et pensions comprises, 3,1 milliards d'économies seront constatés par rapport à la loi de finances initiale. Ces économies sur la charge de la dette ne sont pas le fruit du hasard, elles traduisent la confiance que les investisseurs nous accordent - ce n'était pas gagné au début de ce quinquennat... C'est la preuve que nos prévisions étaient prudentes et que les résultats sont là : nous continuons de maîtriser la dépense, comme nous le faisons depuis 2012, en continuant de financer nos priorités.
En ce qui concerne les recettes et les comptes spéciaux, les recouvrements sont en phase avec ce que nous vous présentons. Des ajustements ont été opérés à la baisse sur les recettes fiscales, notamment au titre de l'impôt sur les sociétés, et à la hausse pour les recettes non fiscales et le solde des comptes spéciaux.
Les chiffres ont peu varié depuis le PLF pour 2017, si ce n'est pour intégrer l'opération exceptionnelle de recapitalisation de l'Agence française de développement, qui est globalement neutre sur le solde. Le niveau des recettes tient compte de l'allègement de l'impôt sur le revenu à l'entrée du barème et de la deuxième tranche du pacte de responsabilité.
Ce texte renforce aussi la lutte contre la fraude fiscale. L'administration s'est mobilisée sans relâche au cours de ce quinquennat. Les résultats sont là, 21 milliards de redressements en 2015, contre 16 milliards en moyenne du temps de nos prédécesseurs... L'enjeu est fondamental pour la vie quotidienne de nos compatriotes comme pour l'efficacité et l'autorité de la puissance publique. Des informations plus détaillées ont été données à la présidente de la commission des finances et au rapporteur général.
Conformément à ce qui a été annoncé lors du comité national de lutte contre la fraude du 14 septembre dernier, ce texte comporte de nouvelles mesures qui renforceront l'efficacité du contrôle fiscal tout en garantissant au contribuable une plus grande prévisibilité - dont de nouvelles dispositions contre l'optimisation en matière d'impôt sur la fortune. Le projet de loi de finances prévoit déjà de contrer les montages qui, artificiellement, augmentent le plafonnement de cet impôt. Certains abus ayant également été constatés en matière d'exonération des biens professionnels, nous prenons dans cette loi de finances rectificative les mesures pour y mettre fin.
Ce texte apporte également des réponses à des décisions du Conseil constitutionnel. Premièrement, les contribuables qui ne déclaraient pas un compte à l'étranger étaient jusqu'ici soumis à une amende, forfaitaire ou en proportion des avoirs, indépendamment d'un éventuel redressement fiscal. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré l'amende proportionnelle. La non-déclaration d'un compte à l'étranger restant une infraction grave, les pénalités fiscales en cas de redressement effectif seront désormais de 80 % si les fonds figurent sur un compte à l'étranger non déclaré, contre 40 % la plupart du temps aujourd'hui.
Deuxièmement, le Conseil constitutionnel a censuré, pour rupture du principe d'égalité, l'exonération de la taxe de 3 % dont bénéficiaient les groupes fiscalement intégrés - les filiales de groupes étrangers détenues dans des conditions comparables en étaient privées. Pour épargner aux grandes entreprises françaises une hausse d'impôt de 3,6 milliards d'euros tout en respectant le principe d'égalité, l'exonération sera étendue aux distributions des filiales françaises de groupes étrangers dès lors que le critère de détention de 95 % sera respecté. La neutralité budgétaire de la réforme sera assurée par la création d'un acompte de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sur les plus grandes entreprises.
Ce projet de loi renforce également les politiques publiques en matière de développement économique, de logement et d'environnement. Il met en place le compte PME innovation pour inciter les entrepreneurs vendant les titres de leur société à en réinvestir le produit vente dans des PME ou des entreprises innovantes, et à les accompagner en apportant à la fois leurs capitaux, leur expérience d'entrepreneur et leur réseau. La contrepartie fiscale sera un report de la taxation des plus-values jusqu'à la sortie du compte, avec une compensation entre les plus-values et les moins-values.
Suivant les orientations de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, ce projet de loi de finances rectificative fixe aussi une trajectoire jusqu'en 2025 de la composante de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) relative aux déchets.
Ce texte s'inscrit dans la droite ligne de la politique que ce Gouvernement mène depuis près de cinq ans.
M. Philippe Dallier. - C'est le problème !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Les lignes de force de notre action demeurent les mêmes : nous avons redressé les comptes publics tout en demeurant fidèles à nos valeurs de solidarité et de justice.
M. Gérard Longuet. - À tel point que François Hollande ne peut se représenter !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Aujourd'hui, nous pouvons regarder avec fierté et lucidité le chemin parcouru depuis 2012 car nous sommes parvenus, dans le même temps, à sauvegarder notre modèle social et à conforter l'activité économique de notre pays...
M. Francis Delattre. - Quelque six millions de chômeurs !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - À l'heure où certains voudraient saper les fondements de la république sociale...
M. Charles Revet. - Quelle mauvaise foi !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - ...je ne peux que m'élever contre ceux qui souhaitent dilapider les efforts auxquels la Nation a consenti depuis quatre ans.
M. Roland Courteau. - Il fallait le dire.
M. François Marc. - Ce sont des dilapideurs !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - À gauche, nous ne permettrons jamais que l'intérêt général soit confisqué au profit de quelques-uns. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; exclamations à droite) Mon discours était soft...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - À part la couleur de la cravate, nous avons peu de points de convergence, monsieur le ministre...
Les hypothèses d'évolution du PIB et du solde en 2016 font l'objet de changements mineurs par rapport au projet de loi de finances pour 2017, qui ne modifient pas l'analyse que j'avais développée lors de l'examen du projet de loi de finances.
L'hypothèse gouvernementale de croissance du PIB pour 2016 est abaissée de 1,5 % à 1,4 %. Le Haut Conseil des finances publiques a jugé cette prévision atteignable même si dans le haut de la fourchette. Le même conseil estime la prévision pour 2017 plutôt optimiste.
La prévision d'exécution de solde est conforme à la trajectoire arrêtée dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, mais elle est plus élevée que l'objectif du programme de stabilité d'avril 2016 - qui reste la meilleure référence.
Je ne peux que déplorer l'ampleur des sous-budgétisations. Le Haut Conseil des finances publiques juge leur niveau « sans précédent ». Les montants du décret d'avance sont très élevés, 4,73 milliards en autorisations d'engagement, 3,42 milliards en crédits de paiement. Les prélèvements sur recettes sont revus à la baisse de 2 milliards, dont 800 millions au titre du FCTVA, preuve que l'investissement local a souffert... Les 2,9 milliards de baisse de la charge de la dette ne sont qu'une économie de constatation. Les prévisions de recettes sont en diminution de 2,6 milliards par rapport à la loi de finances initiale, et les recettes non fiscales en hausse de 800 millions.
Au final, le déficit pour 2016 devrait s'établir à 69,9 milliards. On pourrait s'en réjouir, mais nous constatons que cette amélioration résulte d'économies sur la charge de la dette et des prélèvements sur recettes, ainsi que d'un jeu d'écriture sur le compte spécial (CAS) « Participations financières de l'État », une annulation de 2 milliards sur le programme de désendettement. Cela permet au Gouvernement d'afficher un bon résultat qui est sans effet sur le solde.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Comment pouvez-vous dire cela dans la même phrase ? Si le résultat affiché est meilleur, cela a un effet sur le solde.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avons disposé de peu de temps pour examiner ce texte qui nous est parvenu la semaine dernière, un texte qui est passé de 44 à 118 articles après son examen à l'Assemblée nationale.
La commission des finances soutient les mesures renforçant la lutte contre la fraude fiscale. Nous proposerons des amendements pour améliorer le compte PME innovation, pour sécuriser la situation des contribuables s'agissant de l'estimation de leurs biens professionnels dans le cadre de l'impôt sur la fortune, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous sommes favorables aux articles qui accordent la garantie de l'État, mais nous avons besoin d'explication sur la contre-garantie accordée à certaine société étrangère en Nouvelle-Calédonie.
En revanche, la création d'un acompte à la C3S, alors que cette contribution devait disparaître, ne convient pas. Cet acompte s'ajoute à d'autres acomptes qui gonflent artificiellement les recettes en 2017 au détriment des entreprises. Nous sommes aussi opposés à la contribution pour l'accès au droit et à la justice et à la ratification par amendement d'un avenant à la convention fiscale entre la France et le Portugal.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Vous n'avez donc que cela à faire !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'État n'aura pas les moyens de collecter la taxe sur la publicité, dite « taxe YouTube », auprès des opérateurs étrangers, qui représentent pourtant 90 % du marché. Le risque est que cette taxe ne touche que les plateformes françaises.
Nous sommes enfin favorables à la déclaration pour les plateformes en ligne et à l'incitation fiscale à la location de logements anciens, comme nous le souhaitions l'an passé.
La commission des finances proposera d'adopter ce texte amendé par ses soins. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances . - Le texte a triplé de volume à l'Assemblée nationale... Le délai qui nous a été imparti ne permet guère son examen approfondi, mais au moins le Sénat se prononcera, à la différence du projet de loi de finances.
L'Assemblée nationale a adopté une proposition votée ici à deux reprises et à la quasi-unanimité relative à la déclaration des revenus par les plateformes en ligne.
La commission des finances proposera d'adopter conformes 85 articles, soit les trois quarts des dispositions, notamment celles renforçant la lutte contre la fraude.
L'exécution 2016 illustre la pertinence de la politique des finances publiques depuis 2012 et la capacité du Gouvernement à redresser les comptes, sans austérité, en conservant la confiance des marchés financiers. En cinq ans, le déficit public aura été réduit de 30 milliards, soit 1,5 point de PIB. Il aurait été possible de faire davantage mais nous avons préféré soutenir les ménages modestes et les entreprises. Le taux de prélèvement obligatoire a baissé de 0,3 point de PIB. En 2015 et 2016, 35 milliards d'économies ont été réalisés alors que l'inflation est atone.
Le Gouvernement a financé ses priorités : l'emploi avec 267 millions pour le plan emploi, et 369 millions pour la prime d'activité ; l'éducation et la jeunesse, la sécurité, avec les opérations extérieures et les opérations intérieures, la revalorisation du traitement des fonctionnaires, sans parler de la prise en charge des refus d'apurement laissés par l'ancienne majorité.
Ce texte illustre la politique prudente, déterminée et responsable du Gouvernement. Je vous invite à le soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - La convention entre la France et le Portugal intéresse manifestement le Sénat, qui n'a pas étudié le PLF... Il s'agit de régler les cas de doubles impositions, notamment pour les enseignants du lycée français de Lisbonne. Elle aurait dû être signée par le président de la République lors d'un déplacement au Portugal, qui a été annulé à cause des attentats.
Les délais d'instruction n'ont pas permis d'examiner le texte sous la forme traditionnelle. Mais, visiblement, vous n'avez rien de mieux à faire que de refuser cette convention ; vous vous en expliquerez auprès des Français résidant au Portugal.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En cas d'urgence, il existe une procédure d'examen simplifié au Sénat, qui aurait pu être utilisée... La procédure retenue par le Gouvernement est contraire à l'article 53 de la Constitution.
M. Philippe Adnot . - je veux parler du fonds d'urgence de solidarité pour les départements. Certains qui ont des charges par habitant résiduelles faibles en seront attributaires tandis que d'autres, qui ont des charges plus importantes, n'en seront pas au motif qu'ils ont fait des efforts de fiscalité. Ce n'est pas normal. J'ai déposé un amendement pour corriger le tir. J'espère que le Sénat l'examinera attentivement.
M. Éric Bocquet . - Un collectif, c'est une lecture en accéléré des problèmes quotidiens de nos concitoyens et des réponses apportées par le Gouvernement à travers la loi fiscale.
Le rendement des impôts baisse, stigmate du tassement de la croissance et de l'imprégnation de la précarité dans notre pays. Les inégalités augmentent, notamment celles de patrimoine. Malgré la réforme Fillon, le rendement de l'ISF est aussi élevé aujourd'hui, alors que les redevables sont deux fois moins nombreux. L'impôt sur le revenu reste, lui, très concentré, preuve de la persistance des inégalités. La pauvreté augmente. Le constat est accablant et doit s'imposer dans le débat public de l'an prochain. Le dogme absolu de la baisse des dépenses publiques n'est plus de mise.
Le groupe CRC est attaché à la justice fiscale et soutiendra les mesures contre la fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel a annulé la publication des comptes des grandes entreprises, pays par pays, considérant qu'il constituait une entorse au secret des affaires. Il faut pourtant faire cesser ce saute-mouton fiscal auquel se livrent les grands groupes, qui met à mal le mythe de la concurrence libre et non faussée. Il est temps de nous doter des outils d'une vraie réforme fiscale. Nous sommes réservés sur les nouvelles taxes et autres prélèvements sur les fonds de roulement. Les spectateurs des salles de cinéma savent-ils aussi qu'une partie du prix de leur billet va dans les caisses de l'État ?
Arrêtons de considérer que la fiscalité est l'alpha et l'oméga d'une politique de réduction des inégalités. Les enjeux de la transition énergétique appellent par exemple autre chose que le relèvement de la TGAP ou la contribution climat-énergie.
Le groupe CRC n'avait pas approuvé les choix budgétaires et politiques initiaux. Il ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, républicain et citoyen et écologiste)
M. Jean-Claude Requier . - Ce marronnier législatif procède aux ajustements nécessaires de fin d'année. La croissance sera inférieure de 0,1 % à l'objectif initial, à cause de la baisse du tourisme dans la période post-attentats et des mauvaises récoltes.
Le solde structurel s'accroît légèrement alors que le solde conjoncturel se réduit... Comment l'expliquer ? Nos engagements européens seront tenus. Mais l'effort est mal réparti entre l'État et les collectivités territoriales. La dotation globale de fonctionnement baisse de 3,5 milliards, soit une réduction de 10 %.
La faiblesse des taux d'intérêt a réduit la charge de la dette, qui est repassée sous le budget de l'éducation nationale. Des incertitudes demeurent toutefois. La prévision d'inflation de 0,2 % reste très inférieure à la cible des 2 %. Cette situation de quasi-déflation décourage l'investissement et déprime la consommation des ménages.
L'Assemblée nationale a triplé le nombre d'articles du texte et en a fait un collectif fiscal plus que budgétaire. Les mesures de lutte contre la fraude fiscale ont été renforcées, le RDSE les soutient. Le compte PME innovation incitera les entrepreneurs à réinvestir le produit de la vente de leur société dans les PME innovantes. Nous déposerons des amendements pour soutenir les viticulteurs, simplifier le crédit d'impôt sur les services à la personne, soutenir l'hyper-ruralité, développer les énergies renouvelables.
Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes du RDSE et socialiste et républicain)
M. Vincent Delahaye . - Cette discussion est la dernière discussion budgétaire du quinquennat. Je le regrette, il est dommage que nous ne parlions pas de ces questions dans les six mois qui viennent.
Ce quinquennat sera celui des promesses non tenues : retour à l'équilibre en 2017, 9 Français sur 10 épargnés par les hausses d'impôt, réforme fiscale, économies à hauteur de 50 milliards...
M. Charles Revet. - Il faut le rappeler !
M. Vincent Delahaye. - C'est aussi le quinquennat des occasions manquées, comparé au quinquennat précédent. Contrairement à ce dernier, vous avez bénéficié d'une conjoncture très favorable, taux d'intérêt bas, la parité euro-dollar, prix de pétrole... Mais le déficit demeure de 70 milliards d'euros.
Pour le résorber, il faudrait doubler l'impôt sur le revenu et passer la TVA de 20 à 30 %. Merci pour les contribuables. Des dépenses vertigineuses, pourquoi ? Parce qu'au moins 6 millions de chômeurs, une économie en berne. Face à ce terrible constat, le Gouvernement soutient que tout va bien. Il ne suffit pas de dire les choses pour qu'elles se réalisent. Reprenons les chiffres : un déficit de 70,5 milliards d'euros en 2015 et 69,9 milliards d'euros en 2016, soit une modeste amélioration de 0,6 milliard...
Pour moi, le Gouvernement est le champion des artifices comptables. (« Oh là là » sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Vous surestimez systématiquement la prévision de croissance. Résultat, des recettes fiscales artificiellement gonflées de 2 milliards. Vous financez des dépenses pérennes qui correspondent à des promesses électorales par des recettes transitoires, voire par une économie constatée sur la charge de la dette en raison des taux d'intérêt bas. Le Gouvernement n'a aucune maîtrise sur ce plan. Idem pour le moindre prélèvement pour le budget de l'Union européenne. Ou encore la baisse des dotations aux collectivités territoriales dont on ne peut pas se réjouir, car cela réduit l'investissement. Je pense aussi au milliard venu des donations et successions.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Et alors ? On ne doit pas inscrire les recettes ?
M. Vincent Delahaye. - Monsieur le ministre, vous m'interrompez à chaque fois que je m'exprime. Preuve que je fais mouche !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Tout ce qui est excessif est insignifiant. Je ne supporte pas d'entendre des bêtises.
M. Vincent Delahaye. - Tournons-nous vers l'avenir.
M. Charles Revet. - C'est Fillon !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - C'est ça !
M. Vincent Delahaye. - Pour que la campagne présidentielle soit digne, il faut arrêter les comptes. Nous avons besoin d'un budget sincère.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Commencez par vous prononcer sur le budget !
M. Vincent Delahaye. - Le groupe UDI-UC votera ce texte s'il est corrigé par les amendements de la commission des finances. (Applaudissements au centre et à droite)
M. André Gattolin . - Puisqu'il s'agit de la dernière loi financière de cette législature, procédons à un bilan.
J'ai maintes fois dit la circonspection, voire la consternation, que m'inspirent les modalités d'application de notre corpus de règles budgétaires, au terme desquelles le Parlement dépense un temps et une énergie inversement proportionnels au pouvoir qu'il exerce réellement.
Trois décrets d'avance, dont les 2 milliards d'euros du plan pour l'emploi, sont ratifiés sans être discutés dans le détail. Le Gouvernement a été chanceux ? Cela m'avait échappé. On peut toujours prétendre que les chiffres ne refusent rien de ce que la direction du budget leur demande habilement. Il n'en reste pas moins qu'entre 2012 et 2015, le déficit a été réduit de 23 milliards d'euros, passant de 4,8 % à 3,6 % du PIB.
Nous venons de constater dans les campagnes du Brexit et de la présidentielle américaine, le pouvoir mortifère de la désinformation politique orchestrée. Il serait salutaire de ne pas y sacrifier en France. Guy Debord disait : « Dans un monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux ». Je traduis : plus c'est gros ; mieux ça passe.
Chers collègues de droite, qui avez épuisé toutes les ressources de la casuistique pour ne pas examiner le budget, reconnaître un résultat, ce n'est pas l'approuver.
Le groupe écologiste a toujours déploré la politique d'austérité en Europe, seulement atténué par l'action de la Banque centrale européenne (BCE). Il déplore aussi la concurrence fiscale entre pays. Hélas, ce Gouvernement s'y est livré aussi.
Selon l'OFCE, en dix ans, les prélèvements sur les entreprises ont baissé de 20,6 milliards, alors que ceux sur les ménages augmentaient de 35 milliards !
Les inégalités de traitement se sont accrues après le fameux mouvement des pigeons - plus proche des rapaces que des colombes - et les effets de l'alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail se sont estompés.
Coté écologie, ce Gouvernement sera celui qui aura créé la contribution pour le climat tout en supprimant l'écotaxe. La Cour des comptes a dénoncé l'incohérence de cette politique.
Ce projet de loi de finances rectificative, dans lequel l'Assemblée a glissé quelques bonnes mesures, ne déroge pas à la règle, nous discuterons de son détail en examinant ses articles. Le groupe écologiste déterminera son vote selon la tournure de nos discussions. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur quelques bancs à gauche)
M. Maurice Vincent . - Le refus de discuter le budget a incontestablement affaibli le Sénat. Certains pensent que le déficit et la dette peuvent progresser continuellement avec pour résultat l'inflation et la dévaluation. D'autres veulent une stricte rigueur, en coupant brutalement dans les dépenses et en supprimant des milliers de fonctionnaires. Le Gouvernement a choisi une voie médiane : redresser les comptes dans la justice.
Je suis inquiet pour l'avenir. Comment réaliser 100 milliards d'économies et supprimer 500 000 fonctionnaires sans porter atteinte au service public ?
M. Éric Doligé. - On l'a expliqué !
M. Maurice Vincent. - Vos promesses ne seront pas tenues.
M. Francis Delattre. - Pas de leçon sur les promesses non tenues !
M. Maurice Vincent. - Le déficit a baissé de 40 milliards d'euros en cinq ans alors qu'il avait augmenté de 55 milliards de 2007 à 2011. Les comptes sociaux sont à l'équilibre cette année.
M. Francis Delattre. - En transférant la dette à la Cades !
M. Maurice Vincent. - Rien d'étonnant à ce que le Haut Conseil pour les finances publiques soit revenu sur son avis. Je suis fier d'appartenir à une majorité qui a tant lutté contre la fraude, qu'elle soit fiscale, sociale ou encore opérée par le truchement des travailleurs détachés. L'État a récupéré 6,5 milliards d'euros et 30 milliards d'avoirs sont sortis de l'ombre. Vous, vous voulez supprimer l'ISF...
M. Francis Delattre. - Marre d'enrichir la Belgique !
M. Maurice Vincent. - Il était normal que l'État engage des dépenses exceptionnelles pour assurer notre sécurité après les sanglants attentats, mais aussi pour l'emploi avec la création d'une prime à l'embauche ou encore pour l'éducation. Je me réjouis que le Sénat joue son rôle en examinant le projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Philippe Dominati . - Les résultats de cette année sont l'occasion de dresser un bilan panoramique de ce quinquennat. La croissance est de 1,4 %, c'est mieux que la croissance quasi nulle de 2012 à 2014 mais moins bien que la croissance de 2 % entre 2010 et 2011 et surtout que la moyenne européenne de 1,8 %.
Le déficit n'est pas repassé sous la barre des 3 % - encore une promesse non tenue de François Hollande. Son choix de ne pas se représenter est la reconnaissance de son échec à inverser la courbe du chômage malgré les 10 milliards d'euros par an dégagés pour créer des emplois aidés et les 100 000 jeunes inscrits en formation.
Le Gouvernement a bien tardivement pris conscience que ce sont les entreprises qui créent de l'emploi. Notre compétitivité-coût s'est réduite par rapport à celle du Portugal. Notre déficit commercial atteint 49,8 milliards d'euros entre octobre 2015 et octobre 2016.
Baisse des charges et montée en gamme sont urgentes. On y parviendra en augmentant le temps de travail, en transformant le CICE en baisse de charges pour les entreprises, en créant un choc fiscal - c'est le programme de M. Fillon.
L'emploi, c'est la possibilité pour les Français de gagner en pouvoir d'achat. Celui-ci s'est tassé : il n'a progressé que de 0,5 % sous ce quinquennat et encore, à cause de la baisse du prix du pétrole.
Le groupe Les Républicains votera ce texte modifié par la commission des finances. (Applaudissements à droite)
M. Yannick Botrel . - La situation est inédite : la majorité sénatoriale a refusé d'examiner le budget. La tentation est forte de saisir l'occasion de dresser le bilan du quinquennat - que je considère positif, pour ma part.
On a beaucoup critiqué le sérieux budgétaire du Gouvernement. Pourtant, les commentaires du Haut Conseil des finances publiques le confirment. En dépit des crédits qu'il a fallu inscrire pour les Opex, les Opint ou encore pour les fonds d'urgence, les objectifs sont tenus.
Je veux souligner l'importance de la lutte contre la fraude fiscale. Grâce à son action déterminée, l'État a récupéré 21,2 milliards d'euros, contre 16 milliards en moyenne par an sous le précédent quinquennat. Depuis 2012, nous avions pris pas moins de 70 mesures. La fraude fiscale participe de la déconstruction de notre vivre ensemble, elle fragilise notre modèle institutionnel et social.
Autre point important de ce texte, le compte PME innovation. Rapporteur spécial du budget de l'agriculture, je veux dire un mot des polémiques sur l'absence d'inscription dans le projet de loi de finances initial des crédits correspondants au refus d'apurement des aides communautaires. Le véhicule le plus logique est le collectif puisque l'on est dans un cas typique d'imprévisibilité quant au montant exact. Ces crédits figurent donc dans ce projet de loi de finances rectificative et à un niveau élevé grâce à l'action énergique de Stéphane Le Foll, qui a rectifié les insuffisances de la période précédente.
On a entendu la même critique à l'égard des fonds d'urgence créés pour répondre à la crise agricole. Je constate, moi, que l'argent n'a jamais manqué pour soutenir les agriculteurs.
Comme M. Vincent, je veux dire ma fierté d'appartenir à la majorité gouvernementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La séance est suspendue à 13 h 5.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.