Projet de loi de finances pour 2017 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur la motion tendant à opposer la question préalable à l'ensemble du projet de loi de finances pour 2017, adopté par l'Assemblée nationale.
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-37, présentée par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat,
Sur les grands équilibres du projet de loi de finances
Considérant que le projet de loi de finances pour 2017 ne répond pas aux exigences fondamentales de prudence des évaluations et de sincérité des comptes prévisionnels ;
Considérant, en effet, que le Gouvernement, en s'appuyant sur une prévision de croissance de 1,5 % pour 2017, ne tient pas compte, à l'inverse des organisations internationales et des économistes, du ralentissement de la croissance en 2016 et de la dégradation du contexte économique ;
Considérant que les effets favorables de la baisse du prix du pétrole et de l'évolution du taux de change commencent à se dissiper, que l'Union européenne connaît une montée des risques de nature politique en lien notamment avec la perspective de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, et que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) révise à la baisse ses perspectives de progression des échanges internationaux ;
Considérant que ces prévisions de croissance optimistes, selon les termes même du Haut Conseil des finances publiques, couplées à une forte élasticité prévisionnelle des recettes fiscales à la croissance, conduisent à une surestimation des recettes publiques attendues pour 2017 ;
Considérant, par ailleurs, que nombre de dépenses publiques sont sous-évaluées, du fait de sous-budgétisations, de la non-prise en compte des effets de la recapitalisation annoncée des entreprises publiques du secteur énergétique, d'une révision insuffisante du taux d'évolution de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), et du caractère irréaliste des économies qui pourraient être dégagées l'an prochain de la prochaine convention d'assurance-chômage ;
Considérant que, du fait de cette surestimation des recettes et de cette sous-évaluation des dépenses, le déficit public serait plus dégradé en 2017 et ne s'élèverait pas à 2,7 % du produit intérieur brut, comme le prévoit le Gouvernement, mais pourrait atteindre 3,2 % du produit intérieur brut ;
Considérant que le Haut Conseil des finances publiques a lui-même jugé « improbables » les réductions des déficits prévues par le projet de loi de finances pour 2017 ;
Considérant que si la Commission européenne a récemment estimé qu'un déficit de 2,9 % du produit intérieur brut pouvait être atteint en 2017, elle a également confirmé que les hypothèses de croissance associées au présent projet de loi de finances étaient surestimées et prévu, à politique inchangée, une remontée du déficit à 3,1 % du produit intérieur brut dès 2018 ;
Sur la politique fiscale
Considérant que le programme de stabilité d'avril 2016 prévoyait une baisse de prélèvements obligatoires de 5,7 milliards d'euros, alors que le projet de loi de finances inscrit une hausse de 0,5 milliard d'euros qui conduira à une stagnation du taux de prélèvements obligatoires à 44,5 % du produit intérieur brut en 2017 contre 43,8 % du produit intérieur brut en 2012 ;
Considérant que le Gouvernement renonce aux engagements pris en faveur des entreprises dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité, en abandonnant la suppression totale de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et en reportant la première réduction du taux légal de l'impôt sur les sociétés, alors que les entreprises seront de nouveau sollicitées en 2017 pour le versement d'acomptes afin de gonfler artificiellement les recettes de l'État ;
Considérant que la nouvelle réduction d'impôt sur le revenu, à l'approche des prochaines échéances électorales, vient encore complexifier l'impôt et brouiller la lisibilité du barème dans une vaine tentative d'annuler les effets de la politique fiscale menée depuis le début du quinquennat au détriment des actifs et des ménages qui ont vu leurs prélèvements augmenter de plus de 17 milliards d'euros du fait des mesures nouvelles prises depuis mai 2012 ;
Considérant que s'y ajoute une réforme des modalités de recouvrement de l'impôt sur le revenu sous forme de prélèvement à la source qui, menée en fin de quinquennat, conduira à un choc de complexité au détriment des entreprises et des contribuables alors que des prélèvements mensuels et contemporains par l'administration fiscale auraient pu aboutir à un résultat plus simple et plus performant ;
Considérant que l'Assemblée nationale a adopté des mesures supplémentaires nuisant à la compétitivité de notre économie en modifiant le régime fiscal et social des actions gratuites à peine un an après sa mise en oeuvre et en renforçant la taxe sur les transactions financières au moment même où la place de Paris cherche à attirer les investisseurs après le choix par référendum d'un retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ;
Considérant que ce coup d'arrêt à la baisse des prélèvements obligatoires a pour seul objet de relâcher les efforts sur les dépenses, alors que la France affiche déjà l'un des ratios de dépenses publiques par rapport à la richesse nationale parmi les plus élevés de la zone euro ;
Sur les dépenses de l'État
Considérant que le Gouvernement renonce à toute maîtrise de la dépense publique dès 2017 en dépassant de 9,1 milliards d'euros le plafond de dépenses prescrit en loi de programmation des finances publiques ;
Considérant que les seules économies annoncées sont de constatation et ne dépendent aucunement de ses choix budgétaires, comme la révision à la baisse de la charge de la dette de 7,7 milliards d'euros et du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne de 2,4 milliards d'euros ;
Considérant que plus de 40 % de la hausse des dépenses de l'État est portée par la masse salariale, celle-ci augmentant de près de 4 % et qu'il faut remonter quinze années en arrière, en 2002, pour retrouver une hausse aussi importante des dépenses de personnel ;
Considérant que cette augmentation annule presque l'intégralité des efforts de maîtrise réalisés depuis dix ans et entraînera des conséquences budgétaires pérennes, bien au-delà du seul exercice 2017 ;
Considérant que le plan de lutte contre le terrorisme et l'actualisation de la loi de programmation militaire n'expliquent qu'une faible part de cette évolution, celle-ci provenant essentiellement des recrutements dans d'autres ministères prioritaires, du dégel du point d'indice et des mesures catégorielles dont la mise en oeuvre du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations ;
Considérant que le Gouvernement a, a contrario, choisi de n'actionner aucun des leviers d'une maîtrise de la masse salariale de l'État comme la redéfinition de ses missions, le développement de la mobilité et l'augmentation de la durée du travail, afin de réaliser des économies pérennes ;
Considérant enfin que le solde budgétaire se trouve artificiellement amélioré de 4 milliards d'euros en 2017 du fait du reversement de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) ;
Sur les finances locales
Considérant que les collectivités territoriales verront leurs dotations encore amputées de 2,4 milliards d'euros pour 2017 alors que, dans le même temps, l'État augmentera significativement ses dépenses ;
Considérant que sur l'ensemble du quinquennat, les crédits des ministères auront connu une hausse de 5 % tandis que les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales auront baissé de 20 % ;
Considérant que la question de la viabilité financière des départements n'est pas réglée face à l'explosion du coût des allocations individuelles de solidarité et que les régions ne bénéficieront qu'à compter de 2018 d'une part de TVA pour financer leurs nouvelles compétences ;
Considérant que, l'État, par ses décisions, met à la charge des collectivités territoriales des dépenses contraintes, notamment en matière de fonction publique, pour un coût net total de plus de 900 millions d'euros en 2017 ;
Considérant que le rythme de baisse des dotations étant insoutenable, le Gouvernement est contraint de renforcer les dotations de péréquation financées notamment par le biais de la minoration des variables d'ajustement, système à bout de souffle qui devrait être réformé ;
Sur les exercices budgétaires futurs
Considérant que, le présent projet de loi de finances comprend des engagements qui pèseront lourdement sur les exercices postérieurs à 2017 avec des mesures fiscales qui contribueront à dégrader de près de 8 milliards d'euros le solde public dès 2018 ;
Considérant que la hausse du taux du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, la prolongation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), la création d'un crédit d'impôt en faveur des associations et l'extension du crédit d'impôt pour les services à la personne sont autant de mesures qui ne font l'objet d'aucune contrepartie en termes de réduction de la dépense publique ;
Considérant que le Gouvernement ajoute a contrario des dépenses nouvelles, dont le financement du programme d'investissements d'avenir, du programme de rénovation urbaine et du plan de construction d'établissements pénitentiaires, conduisant à 25 milliards d'euros de charges supplémentaires d'ici à 2021 alors que ces engagements ne s'accompagnent de presque aucun crédit de paiement pour 2017 ;
Considérant qu'ainsi, le projet de loi de finances préempte les résultats des élections à venir en soumettant à l'approbation du Parlement un budget qui pèsera lourdement sur les exercices budgétaires futurs ;
En conclusion
Considérant que le Sénat ne peut débattre d'un projet de loi de finances qui s'apparente à un budget de campagne, contraire au principe d'annualité budgétaire et qui obère les marges de manoeuvre de la prochaine majorité gouvernementale ;
Considérant que le cadre fixé par la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances ne permet pas au Sénat, par voie d'amendement, de remédier aux défaillances structurelles du présent projet de loi de finances ;
Le Sénat s'oppose à l'ensemble du projet de loi de finances pour 2017, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - La commission des finances a adopté cette motion en application de l'article 44, alinéa 3, de notre Règlement. Depuis le début de nos travaux, j'entends dire qu'ainsi le Sénat n'assumerait pas ses responsabilités. C'est précisément le contraire. Sous-évaluation des dépenses, surestimations des recettes, ce budget est insincère, comme le confirme encore le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le collectif budgétaire. Au-delà, nous désapprouvons ses orientations. Après un quinquennat sans modération fiscale, après de dernières mesures électoralistes, il prévoit par-dessus le marché le versement d'acomptes divers par anticipation. L'attractivité de la place de Paris sera affaiblie par la taxe sur les transactions financières (TTF).
En dépenses, le budget voit s'envoler la masse salariale de l'État de 4 %, ce qui annule tous les efforts précédents. Enfin, tandis que les dotations aux collectivités territoriales continuent de baisser, celles-ci se voient imposer 700 millions d'euros de dépenses supplémentaires.
Le Sénat ne proposerait rien ? Nous avons, les deux années précédentes, proposé de relever le plafond du quotient familial, de baisser l'impôt des classes moyennes ou d'aider davantage les agriculteurs et les entreprises, tout cela gagé par des économies à hauteur de 5 milliards d'euros par le biais de l'augmentation du temps de travail, le rétablissement des jours de carence dans la fonction publique ou la baisse du nombre d'emplois aidés dans le secteur non marchand. Qu'en est-il resté ? Rien. Au mieux, le Sénat en est réduit à suggérer des ajustements. Nous ne pouvons nous en contenter. La stratégie budgétaire s'inscrit dans une politique d'ensemble. Nous sommes une assemblée parlementaire qui affirme des positions politiques. (Applaudissements à droite) Et ce n'est pas à nous d'arbitrer entre le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée nationale sur la taxe sur les transactions financières ou la fiscalité des actions gratuites.
Nous ne voulons pas non plus du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source. Aucun ajustement technique ne peut nous satisfaire car nous voulons un système qui ne pèse pas sur les entreprises.
Tant de raisons justifient notre rejet de ce budget électoraliste qui impose une impasse de 25 milliards d'euros à la prochaine majorité.
M. Éric Doligé. - C'est si facile !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - « Il est malvenu de préempter le résultat des élections à venir », disait la rapporteure générale pour justifier l'adoption de la question préalable sur le collectif de 2012. En effet ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - Aucun orateur n'est inscrit contre la question préalable.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics . - Je ne vous surprendrai pas : le Gouvernement est défavorable à la question préalable.
D'abord, parce que le passé éclaire l'avenir. C'est la troisième année consécutive que votre serviteur débat avec vous des documents budgétaires. À chaque fois, j'ai entendu les mêmes arguments.
Mme Christiane Hummel. - Nous aussi !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Sous-estimations des dépenses, surestimations des recettes ? Le juge de paix, c'est la loi de règlement... Le déficit a été de 4 % dans la loi de règlement de 2014 - le Gouvernement s'était engagé sur 4,4 %. Idem en 2015 : 3,8 % de déficit prévu, 3,5 % dans la loi de règlement. La démonstration vaut pour 2016 - je peux vous dire que l'objectif de 3,3 % sera selon toute vraisemblance atteint. Ce sera le cas en 2017. Cette année, nous visons 2,7 % - la Cour des comptes juge le chiffre ambitieux et table plutôt sur 2,9 %, en tous cas en dessous des 3 %.
Ensuite, examiner seulement n'est pas légiférer. (Exclamations à droite) Je ne conteste pas que le Sénat ait travaillé, qui serais-je pour juger ? Mais je le dis, tranquillement, dans les yeux...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - « Les yeux dans les yeux » ? Attention, cela rappelle M. Cahuzac...
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Vous avez examiné le budget comme on regarde passer un défilé... (Vives exclamations à droite), il manque un bouton, la démarche n'est pas coordonnée... C'est un travail de facilité. (Mêmes mouvements) En rendant copie blanche, le Sénat ne remplit pas sa mission constitutionnelle. Car la Constitution confie au Parlement et à lui seul le soin d'approuver la loi de finances.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Pour l'écotaxe, vous n'y pensiez plus !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Être responsable, enfin, c'est être lisible. (On se gausse à droite) Hier, sur 35 orateurs, 17 ont demandé plus de crédits pour la défense, l'Anah, l'AFITF et j'en passe. J'ai aussi entendu des appels à baisser les impôts, à supprimer l'ISF, à supprimer des taxes...
Être responsable eût été d'inscrire dans une colonne les dépenses que vous vouliez inscrire pour l'État et, dans une autre, les recettes escomptées. Les années précédentes, vous rendiez une copie incomplète ; cette année, elle est blanche ! Que de clarté pour le débat public... Prenez vos responsabilités ! (Protestations à droite, où on affirme que c'est le cas) Le Gouvernement prend les siennes en regrettant que la majorité sénatoriale n'ait pas eu le courage de la lisibilité et de la transparence. (Mme Hermeline Malherbe et M. Alain Bertrand applaudissent)
Explications de vote
Mme Marie-France Beaufils . - Aux reproches que la droite fait à ce budget dans son exposé des motifs, il faudrait ajouter trop de fonctionnaires, trop de dépenses pour le service public. Cette motion a surtout pour but de masquer le projet dévastateur de votre candidat, François Fillon... (Mouvements divers à droite)
M. Éric Doligé. - Et Mélenchon ?
Mme Marie-France Beaufils. - Sans froncer les sourcils, il veut supprimer l'ISF, faire travailler les Français plus en gagnant moins, défaire la sécurité sociale.
M. Christian Cambon. - Laissez-le tranquille !
Mme Marie-France Beaufils. - Il y a pourtant, pour la France, cinquième ou sixième puissance du monde, de quoi offrir un autre présent et un autre avenir à nos compatriotes. Nous aurions aimé discuter du barème de l'impôt sur le revenu, pour rendre ce dernier plus progressif, du coûteux et inefficace CICE, du crédit d'impôt recherche, à recentrer sur le soutien aux jeunes chercheurs et docteurs, ou encore du renforcement du rendement de l'ISF.
M. François Grosdidier. - Vous êtes en avance d'un débat !
Mme Marie-France Beaufils. - Le patrimoine imposable des redevables parisiens de l'ISF se monte à 220 milliards... À ceux qui préconisent un impôt citoyen, je rappelle que les ménages acquittent 100 milliards d'euros de CSG, 100 milliards d'euros de TVA, plus 50 milliards d'euros de fiscalité locale et plus 30 milliards de fiscalité énergétique. La concentration de l'impôt sur le revenu dérange le rapporteur général ; mais elle n'est que le produit de celle des revenus et des patrimoines... Petit rappel, le CICE a été financé par la TVA...
La revalorisation des dépenses publiques est indispensable. Les économies pèsent sur les services à la population et la participation des collectivités territoriales au redressement des comptes prive celles-ci de leviers d'intervention.
Il y a d'autres solutions que l'austérité budgétaire proposée par le Gouvernement comme par une droite impatiente de prendre le pouvoir. (Marques d'impatience à droite) La justice fiscale, des politiques publiques justes et progressistes qui apportent des réponses à tous ceux qui se sentent exclus. Nous ne voterons pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)
M. Jacques Mézard . - Que la majorité sénatoriale dépose une question préalable, que le groupe socialiste pratique la politique de la chaise vide, voilà qui est révélateur des dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste républicain et citoyen, sur quelques bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)
Nous respectons la décision de la majorité même si nous la regrettons. Les moyens de procédure existent, il n'est pas illégitime de les utiliser. Nous l'avons fait contre la loi de fusion des régions, à raison. Nous recommencerons s'il le faut. Le Sénat a utilisé la question préalable pour sauver la liberté d'association contre le Gouvernement Chaban-Delmas en 1971.
Mais il faut remonter à 1992 pour trouver trace d'une question préalable sur la première lecture du budget, sous le Gouvernement Bérégovoy - on se souvient de l'atmosphère difficile de cette époque. Le rapporteur général justifie cette motion parce que le Gouvernement n'a tenu aucun compte l'an dernier de ses observations. Ce qu'on peut regretter. Mais imaginez l'alternance, chers collègues, et la même procédure pendant cinq ans, au motif que la première fois la nouvelle majorité n'a tenu aucun compte des observations de la nouvelle opposition... Voilà qui doit nous faire réfléchir à la nécessité de revaloriser l'action du Parlement, que le Gouvernement, quel qu'il soit, ne facilite pas toujours. Nous devons défendre le bicamérisme à l'heure où certains proposent une Haute Assemblée désignée par tirage au sort et où d'autres, et non des moindres, veulent supprimer la moitié d'entre nous.
Le groupe RDSE votera unanimement contre la question préalable, même s'il a des reproches à faire à ce budget typique d'une fin de législature.
M. Philippe Dallier. - C'est un budget avant élection !
M. Jacques Mézard. - Qui n'en a pas fait ? Qui n'en fera pas ? Ce qui ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi... C'est vrai : des prévisions de croissance un peu trop optimistes, une tendance à sous-évaluer les dépenses et à surévaluer les recettes, un verdict du HCFP peu engageant sur la réduction du déficit...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cela fait beaucoup !
M. Jacques Mézard. - Mais tout n'est pas mauvais. Nous avons déposé des amendements pour dire nos choix. Dans cette période difficile, pré-électorale, j'invite chacun à faire preuve de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, écologiste et communiste républicain et citoyen)
M. Vincent Capo-Canellas . - Ce budget ne manque pas d'intérêt... Improbable, incertain, jouable, insincère, il a été affublé de bien des qualificatifs. À mon sens, il illustre la frénésie fiscale de ce quinquennat : le taux de prélèvements obligatoires est de 44,5 % contre 43,8 % en 2012, avec une concentration accrue de l'impôt puisque seuls 43,8 % des ménages s'acquittent de l'impôt sur le revenu. Frénésie fiscale mais aussi maladresse répétée avec la réforme tardive et non concertée du prélèvement à la source. Souvenons-nous de la demi-part fiscale des veuves...
Frénésie, maladresse mais aussi inefficacité au regard du déficit et de la dette. Il manquera 70 milliards - de 80 à 90 milliards selon le rapporteur général - parce que la dépense publique a augmenté deux fois plus vite que l'inflation sur la durée du quinquennat et que la politique fiscale et économique n'a pas été assumée - voir le CICE. À quoi il faut ajouter des incohérences. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits...
Vous versez, monsieur le ministre, des larmes de crocodile en regrettant que le Sénat ne corrige pas la copie de l'Assemblée nationale. Le bicamérisme a du bon, mais il suppose que le Sénat utilise toutes prérogatives, dont celle de refuser un budget en trompe l'oeil. Car le censurer, c'est aussi censurer la politique du Gouvernement...
M. Charles Revet. - Exactement !
M. Vincent Capo-Canellas. - ...qui comporte des bombes à retardement pour la majorité future. Pourtant, la conjonction astrale était formidable : prix bas du pétrole, taux d'intérêts réduits, parité euro-dollar... Visiblement, cela vous a anesthésiés.
L'UDI-UC votera cette question préalable, signe d'un Sénat fort utilisant toutes ses prérogatives. (Applaudissements au centre et à droite)
M. André Gattolin . - L'an dernier, à cette heure, nous discutions de la deuxième partie du budget. Par une telle manoeuvre, à qui s'adresse le Sénat sinon à lui-même ou, du moins, à une partie de lui-même ?
« Litanie, liturgie, léthargie », ce mot d'Edgar Faure m'est revenu en écoutant les orateurs défiler hier à la tribune. Un budget électoraliste ? Mais l'électoralisme est consubstantiel à la politique. Un budget de campagne ? La droite n'était pas en reste en 2012... Surtout, une campagne n'a rien de méprisable, c'est même l'essence de la démocratie. Mais dans une campagne, la rigueur s'impose. Il y a quelque incohérence pour la droite, par exemple, à appeler au respect de nos engagements tout en prévoyant le retour aux 3 % de déficit en 2020... Mieux aurait valu qu'elle présente son propre budget de campagne pour une discussion argumentée. Elle a préféré la question préalable. La première de ses vertus est sans doute d'éviter à la droite sénatoriale d'avoir à présenter ses propres options à l'examen de la représentation nationale. (On le confirme à gauche)
Un seul argument de la question préalable me semble devoir être considéré : celui de l'impossibilité constitutionnelle faite au Sénat de rectifier le budget. Si la Lolf bride le Sénat au point qu'il se saborde, ne faut-il pas la réformer, monsieur le rapporteur général ? Pour ma part, je déplore depuis longtemps la concentration de la discussion budgétaire sur vingt jours au Sénat. Et il faudrait sans doute revoir le droit d'amendement du Gouvernement... Il n'est pas acceptable que le CICE ait vu le jour par amendement le jour même de son dépôt à l'Assemblée nationale. Le quasi-monopole du Gouvernement sur les ressources de l'État que sont la Cour des comptes et les autres instances de contrôle pose problème. Enfin, l'article 40... Voilà quelques pistes. J'espère que le rapporteur général aura à coeur de les explorer.
Le groupe écologiste votera contre cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, RDSE et communiste républicain et citoyen)
M. Philippe Dallier . - Je veux d'abord faire part de mon étonnement face au comportement de nos collègues socialistes qui se sont donné hier en spectacle, mais font relâche aujourd'hui... Nous comprenons le jeu de rôles, mais cela ne justifie pas les termes utilisés contre le Sénat et son président (Applaudissements à droite et au centre) Nous n'avons pas de leçons à recevoir d'un groupe qui a tant affaibli notre institution entre 2011 et 2014 ! (Mêmes mouvements)
Le groupe socialiste a présenté une question préalable chaque année à l'Assemblée nationale entre 2007 et 2012. Au Sénat, le groupe socialiste avait déposé une motion en mars 2012 sur la loi de finances rectificative ; le groupe communiste républicain et citoyen l'a fait en 2014.
Mme Éliane Assassi. - Sur les dépenses seulement ! Nous avions débattu des recettes !
M. Philippe Dallier. - Ce budget est insincère, personne n'y croit, même pas vous !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je garde ma liberté de pensée...
M. Philippe Dallier. - Vous voulez des chiffres ? Selon la commission des finances, les recettes sont surévaluées de 3,5 à 6 milliards. Avec les acomptes en avance d'impôt sur les sociétés et de Tascom, pour 1,2 milliard, il manque au total en recettes de 4,7 à 7,2 milliards.
Vous avez transféré vers 2018, 10,3 milliards de dépenses : excusez du peu ! En voici le détail : 1,12 milliard d'euros de baisse de l'impôt sur les sociétés ; 1,6 milliard de hausse du CICE, 1,67 milliard pour la transition énergétique, 1,1 milliard pour les services à la personne, 600 millions d'euros pour les associations, 2 milliards pour le troisième PIA - aucun crédit de paiement inscrit en 2017 ! - 1,16 milliard d'euros pour le plan contre la surpopulation carcérale, encore aucun crédit de paiement inscrit en 2017 ! 150 millions d'euros inscrits seulement sur les 250 millions d'euros annoncés pour la police et la gendarmerie et, enfin, 100 millions d'euros de crédits seulement sur le milliard d'euros annoncé pour la rénovation urbaine - la banlieue est la grande oubliée de ce quinquennat.
M. Charles Revet. - Incroyable !
M. Philippe Dallier. - Les recettes sont surévaluées. La sous-budgétisation de certaines missions, telles que les Opex ou l'hébergement d'urgence, sont estimées entre 1,1 et 2,1 milliards d'euros par notre commission.
Vous vouliez des arguments chiffrés, vous les avez ! J'ajoute que vous faites les fonds de tiroir d'Action logement ou encore des chambres consulaires. Le déficit devrait être de 89 milliards d'euros si votre budget était sincère.
C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Vifs applaudissements à droite et au centre)
M. Philippe Adnot . - Je n'entretiendrai pas de suspense inutile : je ne voterai pas la question préalable. (Marques de déception à droite)
Comme vous, je désapprouve ce budget et le trouve insincère. Mais je n'en tire pas les mêmes conséquences.
M. Alain Gournac. - Dommage !
M. Philippe Adnot. - Car adopter la question préalable, c'est renoncer à prendre la parole, à répondre à nos concitoyens. Nous pourrions au moins prendre date. Quand on désapprouve un budget, on vote contre, mais on ne vote pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Scrutin public solennel à la tribune
M. le président. - Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2017. Conformément à l'article 60 bis du Règlement, le scrutin public étant de droit sur l'ensemble du projet de loi de finances, il va être procédé à un scrutin public solennel à la tribune pour le vote de cette motion.
La motion n°I-37 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°68 :
Nombre de votants | 235 |
Nombre de suffrages exprimés | 234 |
Pour l'adoption | 183 |
Contre | 51 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - Le projet de loi de finances pour 2017 n'est donc pas adopté.
Merci à Mme la présidente de la commission des finances, M. le rapporteur général et M. le ministre.
Le Sénat a consacré vingt heures de plus que l'année dernière à examiner les avis et les missions en commission : c'est dire que les travaux ont été conduits.
Prochaine séance demain, jeudi 1er décembre 2016, à 10 h 30.
La séance est levée à 16 h 55.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus