Nouvelles libertés et protections pour les entreprises et les actif-ve-s (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.
Rappel au Règlement
Mme Annie David . - Hier après-midi, Mme la ministre a rappelé qu'un accord d'entreprise pouvait être une bonne chose et que nous devions l'invention de la troisième semaine de congés payés à un tel accord au sein de la régie Renault. Rappelons que cette entreprise avait été nationalisée à la Libération, pour sanctionner la collaboration de Louis Renault, le « saigneur de Billancourt », en référence à l'usine de l'île Seguin. Cette forteresse ouvrière, haute cathédrale de la métallurgie, avait arraché en 1955 une troisième semaine de congés payés à l'issue d'une longue grève ; en 1962, ces ouvriers obtinrent aussi la quatrième semaine de congés payés après une lutte sociale d'ampleur. C'est à la suite d'un autre mouvement revendicatif, suivi au niveau confédéral par Henri Krasucki, que fut signé un accord créant le premier dispositif de retraite complémentaire du pays.
Nulle avancée sociale n'a jamais été le fait du prince dans notre pays, pas plus que le fruit de la générosité du patronat. Faisons peut-être une exception pour la participation aux bénéfices, traduisant la vieille chimère de la réunion du capital et du travail dans un intérêt commun, dont on peut penser qu'elle fut inspirée par l'action d'un Marcel Bloch Dassault, à l'entreprise d'autant plus florissante qu'elle vit de commandes publiques.
Le code du travail, né en 1910, ne fut guère que la compilation des lois ouvrières du XIXe siècle arrachées par la lutte. (On s'impatiente)
Pour prendre la parole et négocier, il faut d'abord agir.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE PREMIER (Suite)
M. le président. - Amendement n°456, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
I. - Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
II. - Alinéa 6, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
III. - Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
M. Dominique Watrin. - Les objectifs de cet article sont en contradiction totale avec la réalité et même le sens de l'Histoire : il n'y a aucun lien entre épaisseur du code du travail et compétitivité des entreprises. Son épaisseur, d'ailleurs, est due principalement aux dérogations que les employeurs n'ont même cessé d'obtenir. En 2008, pour répondre à la prétendue complexité des règles du licenciement a été instaurée la rupture conventionnelle. Résultat : plus d'un million ont été signées en 2014... Le discours sur la compétitivité des entreprises est éculé !
Nous demandons la suppression des alinéas 5 et 11 qui élargissent à l'excès les compétences de la commission.
M. le président. - Amendement n°241 rectifié, présenté par MM. Cadic, Canevet, Bockel, Delahaye, Guerriau, Longeot et Pozzo di Borgo.
Alinéa 11
Remplacer les mots :
de deux ans
par les mots :
d'un an
M. Olivier Cadic. - Je veux d'abord adresser toutes mes condoléances à la famille du commandant de police assassiné hier. (Applaudissements)
Avant de donner le temps de mettre en place la simplification du code du travail que nous appelions de nos voeux, je demandais l'an dernier par amendement la création d'une telle commission. Mais deux ans, c'est trop ; un an suffit.
M. le président. - Un hommage sera rendu dans quelques instants aux victimes de cet attentat par le président du Sénat.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Au XXIe siècle, le succès des entreprises dépend de la rapidité avec laquelle elles parviennent à se réorganiser : d'où l'importance des alinéas 5 et 11. Peugeot, par exemple, a attendu d'être au bord du gouffre avant de modifier son organisation... Avis défavorable à l'amendement n°456.
Je vois bien la logique de l'amendement Cadic : faire en sorte que la majorité en place à l'automne 2017 puisse légiférer en disposant des conclusions de cette commission. Encore faut-il qu'elle ait eu le temps de bien travailler. M. Combrexelle souhaitait quatre ans ; il lui en faut au moins deux. Retrait de l'amendement n°241 rectifié ?
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. - Le Gouvernement souhaite que cette recodification se fasse à droit constant. C'est aux parlementaires qu'il revient de faire évoluer le droit, pas à une commission d'experts ! Je ne souhaite donc pas que lui soient assignés des objectifs. Dans cet esprit, je ne peux donc être hostile à l'amendement Watrin : c'est une question de cohérence.
Je n'oppose pas la protection des salariés à la compétitivité des entreprises ; ce projet de loi vise précisément à allier les deux. Le plan 500 000 formations supplémentaires, par exemple, conjugue protection des salariés et compétitivité de notre économie. Si notre code du travail est épais, c'est parce que le patronat a demandé de nombreuses dérogations. L'accord majoritaire, dans ce contexte, est le meilleur moyen de parvenir à un équilibre - en l'absence d'un tel accord, le droit en vigueur aujourd'hui s'appliquera.
Les concertations et la refondation des règles en matière de dialogue social, soit sur 125 pages du code du travail, nous ont demandé cinq mois de travail : c'est assez dire que refonder le code entier prendra du temps.
Sagesse sur l'amendement n°456 ; avis défavorable au n°241 rectifié.
Mme Annie David. - J'entends bien ce que vous dites, madame la ministre ; mais cet article premier a été profondément réécrit par l'Assemblée nationale et surtout par la commission des affaires sociales du Sénat : il dispose désormais que la commission propose la refondation de la partie législative du code du travail.
Cet article premier fixe des objectifs aux travaux de la commission, parmi lesquels renforcer la compétitivité des entreprises, « en particulier celles qui emploient moins de 250 salariés » : c'est on ne peut plus clair ! (Brouhaha sur divers bancs) Vous voulez m'empêcher de parler ? Au Parlement, nous devons avoir encore le droit de parler ! Les millions de salariés qui cherchent à se faire entendre dans la rue ont droit à un relais ici !
Mme Nicole Bricq. - Pour ceux qui n'étaient pas là hier, je rappelle que l'article premier crée une commission d'experts chargée de proposer une refondation du code du travail. Mais ce ne sera pas à elle de refaire la loi !
Nous sommes d'accord avec les deux premiers points de l'amendement n°456. En revanche, on ne peut supprimer en totalité l'alinéa 11 : cela reviendrait à faire disparaître tout délai de remise des conclusions de cette commission. Si ses auteurs acceptent de rectifier cet amendement pour supprimer seulement la proposition relative, nous sommes disposés à le voter.
M. Gaëtan Gorce. - Dans deux ans, nous aurons une nouvelle majorité présidentielle et parlementaire...
M. Jean-Claude Lenoir. - Dont acte !
M. Gaëtan Gorce. - ...dont je crains fort que l'objectif premier ne soit pas la défense des intérêts des salariés. Alors que ce projet de loi provoque aujourd'hui encore des manifestations et que la pression de la droite est très forte, le Gouvernement joue ici aux apprentis sorciers. N'allons pas mettre délibérément en danger les principes que nous disons vouloir défendre ! Fixer un délai, pourquoi pas, mais alors le plus court possible, pour que ce soit cette majorité qui légifère ensuite sur le code du travail.
Attendre début 2016 pour se rendre compte que l'on a un problème de formation pour les chômeurs de longue durée, c'est louable - mieux vaut tard que jamais - mais nous aurions sans doute pu obtenir des résultats si nous nous y étions pris plus tôt.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - L'alinéa 5 dispose que la commission fera des propositions visant à renforcer la compétitivité des entreprises et le 11 fixe un délai de remise du rapport. Si nous les supprimons, il n'y a plus ni réflexion, ni rapport... D'où notre demande de scrutin public sur ces amendements.
Mme Laurence Cohen. - Est-il dans le rôle du code du travail d'assurer la compétitivité des entreprises ?
M. Alain Milon, président de la commission. - De la commission, oui.
Mme Laurence Cohen. - Une commission qui a du pouvoir sans en avoir !
Sur l'égalité salariale femmes-hommes, il a fallu argumenter hier soir à n'en plus finir, pour que, finalement, l'amendement soit rejeté ! Nous acceptons la proposition de rectification de notre amendement mais on ne peut ignorer l'atmosphère quand des millions de personnes bataillent contre ce projet de loi.
M. Olivier Cadic. - Avec l'alinéa 3 de l'article, le code du travail fera encore le même volume ! Je souhaite que la commission se préoccupe de ce qui est d'ordre public ou pas. Le meilleur moyen d'être sûr que rien ne se passe, c'est de ne fixer ni objectif, ni délai... Puisqu'il en est ainsi, je retire mon amendement.
L'amendement n°241 rectifié est retiré.
M. Dominique Watrin. - Nous rectifions notre amendement dans le sens proposé.
M. le président. - Il faut le rédiger soigneusement, cela demande quelques minutes : je suspends la séance.
La séance, suspendue à 15 heures, reprend à 15 h 05.
M. le président. - Amendement n°456 rectifié, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
I. - Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
II. - Alinéa 6, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
III.- Alinéa 11
Supprimer les mots :
, qui portent sur les dispositions relatives aux conditions de travail, à l'emploi et au salaire,
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - L'avis reste défavorable.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - J'en reste à l'avis de sagesse.
À la demande de la commission des affaires sociales, l'amendement n°456 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°246 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 154 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Amendement n°185 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel.
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Lutter contre le « dumping social » en encadrant les pratiques sociales d'entreprises françaises exerçant sur les salariés à l'étranger une pression contraire à leur sécurité et à leur protection sociale. Pour prévenir cette situation, chaque année, le comité d'entreprise est saisi dans le cadre du bilan social, d'un rapport faisant état des conditions de travail, de salaire et de protection sociale des salariés des entreprises situées en dehors de l'Union européenne contrôlées par le groupe ou dépendant principalement de ses commandes.
M. Jérôme Durain. - Afin de lutter contre le dumping social, cet amendement crée un droit de regard des salariés sur les politiques sociales conduites par leur groupe dans ses éventuelles filiales extra-européennes. La délocalisation des activités et des investissements doit s'accompagner d'une délocalisation des droits sociaux.
Tirons les conséquences de l'effondrement du Rana Plaza et de l'extension excessive des chaînes de sous-traitance, dans la lignée de la proposition de loi de Dominique Potier. À ce propos, Mme la ministre a eu l'occasion de réitérer auprès de l'Organisation internationale du travail (OIT) le souhait de voir des normes être mises en place pour les rémunérations, les conditions et le temps de travail.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - La lutte contre le dumping social est au coeur de l'article 13, et l'alinéa 6 vous donne satisfaction. Avis défavorable.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - À nouveau, cette commission n'a pas à légiférer à votre place : avis défavorable.
La proposition de loi Potier n'aurait de sens que si nous pouvions légiférer au niveau européen et international. J'étais à l'OIT la semaine dernière pour évoquer ce sujet.
Le Gouvernement est de plus en pointe sur la lutte contre la fraude au détachement, en demandant la révision de la directive européenne de 1996. Le problème, ce n'est pas le travail détaché lui-même : nous sommes le troisième pays fournisseur de travailleurs détachés, et la liberté de circulation est une richesse. C'est la fraude qui doit être combattue.
Mme Évelyne Didier. - Mme la ministre tient-elle compte de tout ce qui se trame avec le Tafta, le Tisa et le Ceta ? Nos mesures de protection des salariés et des entreprises sur notre territoire risquent de devenir caduques du fait de leur adoption... Expliquez-moi !
L'amendement n°185 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°458, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Alinéa 6, première phrase
Après les mots :
négociation collective
insérer les mots :
, au respect du principe de faveur et de la hiérarchie des normes
M. Dominique Watrin. - Favoriser la flexibilité, la démocratie dans l'entreprise, les termes sont toujours les mêmes pour désigner un recul social : la fin du principe de faveur, qui protège pourtant les salariés des pressions et du chantage. Niez-vous le déséquilibre du marché du travail et la dissymétrie entre salarié et employeur dans le rapport contractuel ?
Rétablir le principe de faveur et la hiérarchie des normes ne nuit pas à l'efficacité économique, c'est au contraire l'asseoir sur le progrès social !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Depuis les lois de 2004 et de 2008, l'accord d'entreprise tend à primer. Le principe de faveur n'a même jamais été total : une loi Auroux de 1982 prévoyait déjà qu'un accord de branche élargi puisse déroger à la loi ! Avis défavorable : sans vouloir revenir à l'opposition entre la solidarité chère à Proudhon et la conflictualité de Marx, la commission reste favorable à l'esprit général du texte.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Regardons en effet ce qui a été fait depuis trente ans. Les lois Auroux prévoyaient déjà que l'accord d'entreprise peut modifier le contingent d'heures supplémentaires. L'intérim, la précarité, le chantage à l'emploi sont une réalité. C'est précisément pour cela qu'il faut renforcer la présence des syndicats dans l'entreprise.
Je n'oppose pas le droit au travail au droit du travail, je cherche un nouvel équilibre. La société fordiste a vécu ! Nous renforçons notamment le principe majoritaire, alors qu'avec les lois Auroux, un accord d'entreprise pouvait s'appliquer à partir du moment où ses signataires représentaient 5 % des salariés.
Pour finir, je citerai Philippe Martinez (Étonnement amusé à droite) que l'on interrogeait hier sur l'accord intervenu à la SNCF : « C'est aux salariés de dire ce qui est bon pour eux ». Tel est bien l'esprit de ce projet de loi ! (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Gaëtan Gorce. - Ce débat sur le principe de faveur, que nous aurons de nouveau à propos de l'article 2, est fondamental. Nous l'avions déjà tenu lors des lois Fillon et Bertrand sous une précédente majorité. Je reprendrai donc les arguments qui furent alors ceux de M. Vidalies lequel, heureusement pour sa cohérence personnelle, n'a pas à défendre le présent texte.
Que les accords soient adaptés au plus près du terrain est très bien en théorie.
M. Jean-Louis Carrère. - Cela vous va bien !
M. Gaëtan Gorce. - Voilà l'esprit moutonnier...
La réalité est que la capacité à négocier dans l'entreprise est extrêmement faible : le taux de syndicalisation dans le secteur privé n'est que de 7 %. Quand la situation économique est difficile, le chantage à l'emploi est inéluctable. Notre préconisation devrait donc être non de nous adapter à une pratique d'individualisation des salaires et du temps de travail mais de faire progresser les droits collectifs. En l'état, ce texte encourage la balkanisation des droits et la compétition sur le terrain social.
Merci au sénateur socialiste des Landes de m'avoir laissé aller au bout de mon raisonnement.
Mme Annie David. - J'adhère à la brillante argumentation de Gaëtan Gorce. La hiérarchie des normes s'appliquait dans beaucoup de domaines, madame la ministre, à l'époque. Le passage de l'accord à 30 % était la contrepartie de cette évolution.
Vous citez M. Philippe Martinez aujourd'hui. Et hier ? Plus de 30 000 accords sont déjà signés dans l'entreprise, vous le dites vous-même. Pourquoi, dans ces conditions, changer la loi ? Vous mettez des salariés dans une situation difficile, en les forçant à négocier des normes moins favorables que la loi.
Ce n'est pas en rappelant jour après jour le précédent des lois Auroux - nous les connaissons - que vous nous convaincrez !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - L'intérêt général qui doit être fixé par la loi, commande qu'aucune régression des droits sociaux n'ait lieu, que rien ne justifie au demeurant, ni le progrès technique, ni la mondialisation. Nous sommes favorables au développement des accords d'entreprise. Le champ de la négociation est loin d'être neutre : l'intérêt de la population riveraine de Notre-Dame-des-Landes est-il identique à celui des habitants de la Loire-Atlantique, ou à celui de la Nation tout entière ?
Lorsque les salariés d'une entreprise auront accepté des reculs sociaux, les autres entreprises auront beau jeu de réclamer les mêmes reculs.
L'intérêt général est d'éviter un tel dumping, en France comme en Europe. L'UPA est d'accord avec nous. (Claquements de pupitres à droite pour indiquer au président de séance que l'oratrice a dépassé son temps de parole)
L'amendement n°458 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°457, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Alinéa 6, première phrase
Après les mots :
ordre public
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
tels le principe de faveur, la hiérarchie des normes, l'égalité professionnelle, les droits syndicaux, la santé et la sécurité au travail, le respect de la vie privée, la durée maximale du travail à trente-cinq heures, une rémunération minimale égale au salaire minimal de croissance, à mettre en place pour les salariés de nouvelles protections face aux mutations du travail au XXIème siècle.
Mme Laurence Cohen. - La suppression du principe de faveur au profit de celui de défaveur ou de chantage, aura pour conséquence une dégradation des conditions de travail, des rémunérations et du temps de travail.
Vous privilégiez le gré à gré, c'est croire au pouvoir de la main invisible d'Adam Smith qui, s'appuyant sur la somme des intérêts particuliers, parvient à trouver l'intérêt général. L'Histoire a amplement montré le contraire.
M. le président. - Amendement n°459, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Alinéa 6, première phrase
Après les mots :
ordre public
insérer les mots :
tels que la durée maximale du travail à trente-cinq heures et le salaire minimum,
Mme Marie-France Beaufils. - Nos concitoyens sont attachés à leurs rémunérations et aux 35 heures ; ils le montrent massivement dans la rue aujourd'hui, mais aussi sur les réseaux sociaux. Ne revenez pas dessus sous prétexte de refonder le code du travail.
M. le président. - Amendement n°460, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Alinéa 6, première phrase
Après les mots :
ordre public
insérer les mots :
telles l'égalité professionnelle, les droits syndicaux, la santé et la sécurité au travail, le respect de la vie privée,
Mme Évelyne Didier. - Nous sommes favorables à la négociation collective. Mais nous sommes conscients des rapports de force dans les entreprises. C'est un vrai désaccord de fond. Vous niez, madame la ministre, le déséquilibre des forces entre salariés et employeurs. La négociation collective devrait toujours respecter l'ordre public social et les principes essentiels en matière de droit du travail que sont l'égalité professionnelle, les droits syndicaux, la santé et la sécurité au travail, le respect de la vie privée. Ce sont des principes sur lesquels les employeurs peuvent se retrouver.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Rendons hommage à la constance du groupe CRC, de M. Gorce, mais aussi de la droite et du centre, qui avait la même position lors du vote sur la loi de 2008.
M. Alain Néri. - C'est bien ce qui nous inquiète !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Mais qu'en est-il de la majorité du groupe socialiste ?
Nous sommes...
M. Jean-Louis Carrère. - Conservateurs !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - ... droits dans nos bottes, sans avoir la réforme honteuse. (« Très bien ! » à droite) Avis défavorable à ces trois amendements.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Je n'ai pas la réforme honteuse. Je suis favorable au maintien des 35 heures et des conditions de rémunération, mais aussi à la négociation et au principe majoritaire.
Plusieurs voix socialistes. - Bravo !
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Le fond de cet article n'est pas de lister tout ce qui doit rester dans l'ordre public social ! Avis défavorable sur ces trois amendements.
Mme Marie-France Beaufils. - Comment pouvez-vous parler de renforcement de la présence syndicale dans les entreprises quand on voit leur fragilité dans les entreprises de moins de 250 salariés ? Le patronat trouve toutes les solutions pour se débarrasser du salarié qui veut créer un syndicat.
Votre discours n'a rien à voir avec la réalité sur le terrain. Le salarié ne doit pas être seul : l'accord de branche doit le protéger.
L'amendement n°457 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos459 et 460.
M. le président. - Amendement n°141, présenté par Mme Deromedi, M. Bouchet, Mme Cayeux, MM. Chasseing, Doligé, Frassa et Gremillet, Mme Gruny, M. Husson, Mme Kammermann et MM. Laménie, Magras, Masclet, Morisset, Pellevat, Soilihi et Vasselle.
Après l'alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Elle attribue également une place majeure aux dispositions tendant à favoriser l'emploi, à enrayer le chômage, à adapter le droit du travail aux évolutions techniques, notamment à l'ère du numérique, à renforcer la formation professionnelle et l'apprentissage, à simplifier les démarches des entreprises, à tenir compte de la situation particulière des très petites et moyennes entreprises, au développement du commerce extérieur de la France.
M. Daniel Chasseing. - Les principes de refondation du droit du travail ne peuvent se limiter à la convention collective.
Entre autres, le texte, très hexagonal, ne dit rien du développement de notre commerce extérieur.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - L'amendement énonce des principes qui nous ont utilement inspirés. C'est pourquoi nous avons inclus dans notre rédaction de l'article premier la simplification, l'attention aux TPE-PME à l'alinéa 3.
Votre amendement est donc au moins en partie satisfait. Retrait ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Avis défavorable.
M. René-Paul Savary. - Cet amendement traduit bien la philosophie de la majorité du Sénat. Avec l'économie collaborative, les emplois de demain ne sont pas ceux d'aujourd'hui.
Plus de la moitié de ces derniers seront à réinventer. En face, nous créons une commission et on ajoute une référence à la lutte des classes...
Mme Laurence Cohen. - Elle est toujours là !
M. René-Paul Savary. - N'oublions pas que cette loi est faite pour ceux qui n'ont pas de travail ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
L'amendement n°141 est retiré.
M. le président. - Amendement n°186 rectifié, présenté par M. Gorce.
Après l'alinéa 6
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
La commission se fixe comme priorité d'établir des règles pour favoriser la réinsertion des demandeurs d'emploi. À ce titre, elle évalue l'opportunité de créer, dans chaque bassin d'emploi, une Maison du travail, avec le statut d'une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Dans le cadre de ses travaux, la commission examine notamment les principes énoncés ci-après.
Son président est le directeur afférent de Pôle emploi.
Son conseil d'administration est composé des représentants du ou des Pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et de délégués élus par les salariés et les employeurs des entreprises situées sur le territoire couvert.
La Maison du travail signe, dans les conditions fixées par son conseil d'administration, les contrats de retour à l'emploi dont la mise en oeuvre est assurée par Pôle emploi ou tout autre organisme défini par ses soins.
Les bénéficiaires de ces contrats élisent chaque année trois délégués qui siègent au conseil d'administration avec voix consultative.
M. le président. - Amendement n°187 rectifié, présenté par M. Gorce.
Après l'alinéa 6
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
La commission évalue l'opportunité d'établir des règles pour favoriser la réinsertion des demandeurs d'emploi. À ce titre, elle définit les conditions dans lesquelles, dès son inscription à Pôle emploi, tout demandeur d'emploi âgé au moins de 18 ans se voit proposer, par la Maison du travail dont il relève, un contrat de retour au travail pour une durée d'un an renouvelable par trimestre dans la limite de douze mois.
La commission examine l'hypothèse d'une allocation plafonnée. Ses propositions devront s'inscrire dans le cadre des moyens disponibles et n'induire aucune dépense supplémentaire.
Ce contrat implique l'exécution des missions précisées d'un commun accord avec la Maison du travail, à savoir : recherche d'emploi, bilan de compétence, formations, activités d'utilité collective. Ces missions sont définies dans le but de faciliter le retour rapide à l'emploi de leurs bénéficiaires et s'inscrivent dans un parcours cohérent.
M. Gaëtan Gorce. - Avec ces deux amendements, je suggère d'entreprendre une démarche qui consisterait à créer un système universel, où les sans-emploi se verraient proposer des offres d'insertion, de travail, de formation sous la forme de contrats.
Tenant beaucoup à la sérénité du débat, je tiens à présenter mes excuses si un sénateur a pensé que je m'en prenais à lui personnellement. C'était malvenu.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Évitons de créer de nouvelles institutions. Avis défavorable aux amendements nos186 rectifié et 187 rectifié.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - La notion de parcours du demandeur d'emploi est essentielle. Ce texte y fait référence, notamment avec la garantie Jeunes. La « maison du travail » me rappelle notre débat en projet de loi de finances sur les maisons de l'emploi.
En revanche, cela n'a pas de rapport évident avec cet article premier. Mais je suis prête à travailler avec vous sur cette piste, monsieur le sénateur Gorce, car je partage vos constats.
M. Alain Néri. - L'amendement de M. Gorce arrive au bon moment pour apaiser les inquiétudes de M. Savary quant aux demandeurs d'emploi.
Si l'amendement n'a pas beaucoup de rapport avec l'article premier, il nous ramène à la création des comités de bassins d'emplois en 1981. Pôle Emploi n'est pas un succès dans la lutte contre le chômage ; cela se saurait ! (Marques d'approbation) Merci, madame la ministre, de votre proposition. Soutenons l'amendement de M. Gorce ; je compte bien sur l'appui de M. Savary. (On en doute à droite)
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Je ne peux pas laisser dire que c'est la faute de Pôle Emploi s'il y a du chômage dans ce pays. L'année 2015 a été importante : les agents de Pôle Emploi n'avaient pas accès à l'intégralité des offres. Nous avons formé 4 000 agents.
M. Alain Gournac. - C'est efficace ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Concernant les chômeurs de longue durée, nous sommes mauvais : nous formons un demandeur d'emploi sur dix, contre deux ou trois pour dix en Allemagne et en Autriche. Pour autant, nos efforts commencent à porter leurs fruits.
Plusieurs voix à droite. - Ça va mieux !
Mme Nicole Bricq. - Vous ne voyez que le négatif. Et les créations d'emplois ? (Nouvelles exclamations à droite)
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Oui, les indicateurs économiques sont meilleurs : 160 000 emplois créés en 2015, ce n'est pas rien ! (Même mouvement) Nous nous employons à mieux positionner les maisons de l'emploi sur le territoire.
M. René-Paul Savary. - Nous sommes d'accord avec vous pour dire que ça va mieux : tout le monde a pu le constater ! (Marques de satisfaction sur les bancs du groupe socialiste et républicain) J'ai entendu tout à l'heure des bruits dans la rue qui en témoignent ! (Sourires à droite) L'amendement de M. Gorce est cohérent ; il rejoint nos propositions sur le rôle de la région en matière d'emploi, en collaboration avec le préfet. C'est la logique, la région a les compétences de développement économique et d'apprentissage. Vous n'avez pas cru bon de reprendre cette proposition dans la loi NOTRe. C'est dommage. Je ne soutiendrai pas l'amendement de M. Gorce car j'en étais le rapporteur, et ici, je suis l'avis du rapporteur, qui est défavorable. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Gaëtan Gorce. - La compétence de la région avait un inconvénient, celui de créer autant de Pôle Emploi que de régions ; si décentralisation il faut, c'est au niveau des bassins d'emplois. Il faudrait une fusion d'une grande partie des crédits d'assurance chômage avec la formation professionnelle pour bien marquer leur complémentarité.
L'amendement n°186 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°187 rectifié.
M. le président. - Amendement n°275 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Morin-Desailly, MM. Lasserre, Longeot et Capo-Canellas, Mme Hummel et MM. Laménie et Cigolotti.
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
La commission comprend un nombre égal de femmes et d'hommes.
Mme Chantal Jouanno. - La future commission doit être paritaire et non pas seulement poursuivre un objectif de parité. La délégation aux droits des femmes y tient.
M. le président. - Amendement identique n°415, présenté par Mme Bouchoux, M. Desessard, Mmes Archimbaud, Benbassa et Blandin et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher.
Mme Corinne Bouchoux. - Cet amendement devrait faire consensus, à la différence d'autres sujets. Regardons-nous, regardons l'Assemblée nationale : peu de femmes... Quand l'on tend à la parité, cela peut prendre beaucoup de temps. Nous sommes en 2016 !
M. le président. - Amendement identique n°461, présenté par M. Watrin et les membres du groupe CRC.
Mme Laurence Cohen. - Ce sont des députés qui ont introduit la parité. Je suis choquée que la commission des affaires sociales revienne dessus ! Nous l'avons vu hier dans le débat autour de l'amendement de M. Antiste ; il est temps de ne plus « viser à... », mais de réaliser la parité.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Pourquoi avoir choisi « tendre à... » ? (Marques d'attention) C'est que nous avions imaginé que les femmes puissent être plus nombreuses que les hommes... (Rires)
La commission a émis un avis défavorable à ces amendements. Mais, tout bien considéré, nous pouvons les adopter d'un même élan.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Avis particulièrement favorable. Il y a, sur les bancs du Gouvernement, au sein de mon cabinet, plus de femmes que d'hommes, vous le voyez.
M. François Grosdidier. - Et la parité ?
Mme Hermeline Malherbe. - Contrairement à l'amendement d'hier soir, et parce que cet amendement porte sur la composition d'une commission d'experts, le groupe RDSE le votera.
M. Jean Louis Masson. - Le texte de la commission est en retard sur l'évolution des moeurs. Mais ces trois amendements posent un problème de forme : leur rédaction ne reprend pas celle que l'on trouve dans la législation électorale. Prévoyons plutôt qu'il ne peut y avoir une différence de plus de un entre les deux sexes ; une commission composée d'un nombre impair de membres est toujours souhaitable. Il aurait été mieux de s'inspirer de la loi Copé-Zimmermann, plus souple, qui prévoit au moins 40 % de chaque sexe au sein des conseils d'administration.
Mme Laurence Cohen. - Pourquoi ne pas faire simple ?
Mme Nicole Bricq. - Le rapporteur ne devient sage que devant le risque d'être battu...
M. Alain Joyandet. - Remerciez-le, plutôt !
Mme Nicole Bricq. - Il aurait pu l'être dès les réunions de commission.
Les amendements identiques nos275 rectifié, 415, 461 sont adoptés.
M. le président. - Amendement n°462, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Le présent projet de loi ne peut être mis en application avant la remise du rapport de la commission.
Mme Annie David. - Nous votons une loi à l'obsolescence programmée : une commission d'experts pourra la remettre en cause. Décalons l'entrée en vigueur de ce texte à la remise de son rapport dans deux ans.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Ce n'est pas possible dans l'état d'urgence social actuel. Avis défavorable.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Avis défavorable : on ne peut pas attendre pour mettre en oeuvre, entre autres mesures, le compte personnel d'activité (CPA), le doublement du droit à la formation pour les moins qualifiés, la garantie Jeunes, le droit à la déconnexion et la lutte accrue contre le travail détaché. Tout cela doit être mis en oeuvre rapidement, impérativement au 1er janvier 2017.
Mme Annie David. - J'entends bien ; c'est pourquoi nous demandions que le délai soit raccourci.
Cette commission d'experts n'a aucun sens ; le groupe CRC n'est pas le seul à le dire.
L'amendement n°462 n'est pas adopté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'article premier.
Mme Laurence Cohen. - Lors de la discussion générale, on nous a reproché d'adopter des postures politiques... Il faudrait de la souplesse, de la flexibilité pour les chefs d'entreprises contre tous les conservatismes d'un pays qui n'arrive pas à se réformer. On entend ce discours, usé, depuis trente ans. Comment prétendre incarner la modernité en présentant un texte de recul social ? Comment prétendre être efficace en reprenant des solutions qui ont échoué depuis trente ans ? Comment prétendre simplifier alors qu'on complexifie le code du travail ? L'article premier énonce des principes auxquels la gauche n'a jamais adhéré. Le groupe CRC votera contre, cela montrera de quel côté se trouve la modernité.
M. Dominique Watrin. - Il eût été plus judicieux, plus démocratique, de faire appel aux forces vives quotidiennement en contact avec le monde du travail, plutôt qu'à des experts.
Le code du travail doit protéger les salariés, et non renforcer la compétitivité. Des postures ? Personne ne dénonce celle de M. Rachline - lequel vient d'arriver - qui prétend être du côté des salariés, massivement opposés au texte, mais ne parle que des textes européens.
D'ailleurs, les deux amendements déposés par les sénateurs FN, puis subtilement retirés avant la séance, valaient leur pesant d'or : doublement des seuils sociaux, facilitation des licenciements et j'en passe.
M. François Grosdidier. - C'était Marion, pas Marine !
M. Dominique Watrin. - Les salariés mobilisés aujourd'hui sauront à quoi s'en tenir.
Mme Nicole Bricq. - Le groupe socialiste ne peut voter cet article premier, profondément remanié par la commission. Son objet était de créer une commission pour revoir le code du travail à droit constant.
À la demande de la commission des affaires sociales et du groupe communiste républicain et citoyen, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°247 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
La séance est suspendue à 16 h 30.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 16 h 45.