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Table des matières
Organisme extraparlementaire (Candidature)
Mise au point au sujet d'un vote
Fiscalité des intercommunalités
Mme Françoise Gatel, au nom du groupe UDI-UC
Organisme extraparlementaire (Nomination)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Moyens alloués au Parquet national financier
Annonces du président de la République au Congrès des maires
M. Manuel Valls, Premier ministre
Accord commercial Union européenne-Canada
Ordre du jour du lundi 13 juin 2016
SÉANCE
du jeudi 9 juin 2016
108e séance de la session ordinaire 2015-2016
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
Secrétaires : M. Christian Cambon, M. Claude Haut.
La séance est ouverte à 11 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Organisme extraparlementaire (Candidature)
M. le président. - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir désigner un sénateur appelé à siéger au sein de la commission permanente pour l'emploi et la formation professionnelle des Français de l'étranger.
La commission des affaires sociales propose la candidature de Mme Christiane Kammermann. Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Joël Guerriau. - Lors du scrutin n°242 d'hier sur l'ensemble de la proposition de résolution européenne relative aux sanctions à l'encontre de la Fédération de Russie, Mme Françoise Férat souhaitait voter pour.
M. le président. - Dont acte. Cette rectification figurera au Journal officiel et dans l'analyse du scrutin.
Fiscalité des intercommunalités
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Nouvelles organisations intercommunales et harmonisation de la fiscalité locale » à la demande du groupe UDI-UC.
Mme Françoise Gatel, au nom du groupe UDI-UC . - La loi NOTRe a lancé un très vaste chantier de réforme des intercommunalités. Au premier janvier, le nombre d'EPCI à fiscalité propre sera réduit de 40 %.
L'application de la loi NOTRe nous a convaincus que la perfection n'était vraiment pas de ce monde. Certains préfets ont voulu créer des intercommunalités XXL, à caractère disparate. La proposition de loi de Jacqueline Gourault et Mathieu Darnaud devrait en faciliter la gouvernance.
En mars, le président d'une métropole de plus de 400 000 habitants accepte avec enthousiasme l'intégration d'une commune de 1 200 habitants ; en juin, il revient en arrière pour des raisons fiscales. Chacun mesure les effets désastreux pour la commune d'un tel revirement.
La recherche de la neutralité fiscale pose d'autant plus problème dans un contexte de réduction de dotation de l'État, d'extension des compétences et des dépenses obligatoires.
On nous a vanté « l'acte III de la décentralisation » mais on a omis de prendre en compte les conséquences fiscales de la recomposition de l'intercommunalité. Il a déjà fallu cinq ans pour absorber la réforme de la taxe professionnelle. L'État a voulu faire de l'intercommunalité la gare de triage des redistributions fiscales mais cela ne fonctionne pas du fait de la disparité des communes. Les exonérations de taxes foncières ont envoyé un mauvais signal.
Comment deux intercommunalités fusionnées peuvent-elles voir leurs recettes réduites par les variations d'attributions de compensation ? Neutraliser les effets nécessite une large majorité au Conseil communautaire, difficile à obtenir. L'intercommunalité peut devenir un lieu de péréquation sauvage...
M. Jacques Mézard. - « Sauvage » est le mot.
Mme Françoise Gatel. - ...et de calcification des égoïsmes communaux. Ce n'est pas au EPI de jouer le rôle de variable d'ajustement. S'agissant des dotations de l'État, les fusions de groupements ont des impacts importants en raison notamment des variations de potentiel fiscal. Or le jeu se joue à enveloppe fermée, et dépend du nombre d'intercommunalités.
Le débasage du taux de taxe d'habitation départemental en cas de fusion d'EPCI est prévu par le code des impôts, mais dans certains départements, les DGFip le refusent.
L'incapacité de lissage crée une hausse de la fiscalité insupportable pour certaines collectivités territoriales et crée des crispations. Laissons le choix de lissage aux élus.
Et que dire des prélèvements sur les dotations forfaitaires aux communes pour leurs dépenses d'aide sociale ? Certains EPCI les reversent traditionnellement aux communes. Comment étendre à l'EPCI le cadre de la taxe de séjour avant le 1er janvier 2017 ? Quant à la fiscalité des ménages, l'article du CGCT est encore inapplicable faute de doctrine...
Le taux moyen pondéré peut être artificiellement rehaussé par une fusion, certaines communes ayant intégré dans leur fiscalité les sommes nécessaires à l'exercice de compétences transférées, comme le traitement des ordures ménagères.
Les nouveaux Schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) entreront en vigueur dans six mois et manque encore une étude des impacts financiers et fiscaux de la loi NOTRe. Nous l'avions pourtant dit, il faut répondre aux questions : qui fait quoi, comment, avec quoi ? Or la loi NOTRe a traité tous les sujets sauf de la fiscalité.
À quelques mois du débat budgétaire, j'espère que le Gouvernement saura tenir compte de ces remarques. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)
M. René Vandierendonck - Très bien !
M. Jacques Mézard . - Madame la ministre, vous qui êtes pour la suppression des départements et la dévitalisation du Sénat, vous verrez que nous avons encore de l'avenir !
M. Philippe Dallier. - Cela commence fort !
M. Jacques Mézard. - L'introduction des seuils artificiels fragilise les collectivités territoriales, comme l'a signalé l'Association des maires de France (AMF).
L'application de la loi NOTRe renforcera les distorsions fiscales, compte tenu de l'historique des collectivités territoriales, des différents statuts des collectivités territoriales, des délais, des contraintes de l'application de la réforme dans un contexte tendu de ces dotations.
Mme Gatel a très bien rappelé l'acte 3 de la décentralisation, vraie tragédie pour les collectivités territoriales. (Applaudissements sur tous les bancs hormis ceux du groupe socialiste et républicain)
M. Claude Raynal. - Ce n'est pas du tout exagéré !
M. Jacques Mézard. - Les élus devront manoeuvrer dans tous ces taux et assiettes pour éviter que les contribuables locaux ne soient pénalisés. L'harmonisation fiscale dès la première année est décisive.
Il y a le discours officiel : « Cela va mieux ». Et il y a la réalité du terrain. (Approbation à droite) La DGfip est incapable de donner des éléments aux élus. Les cabinets privés ne peuvent pas les aider davantage, faute de pouvoir être partout à la fois. Vous découvrirez, madame la ministre, ces réalités de terrain à la fin de l'année et début 2017. De nombreuses délibérations devront être prises dans la précipitation, comme pour la fixation de bases minimum pour la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Le Sénat a voté un texte pour reporter d'un an l'application de cette loi. Le Gouvernement n'en a pas voulu, voilà la réalité. Et les difficultés seront de plus en plus lourdes dans les mois qui viennent. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)
Le Gouvernement est incapable de donner les explications techniques justifiant les dotations qui nous seront affectées.
M. Charles Guené. - Exact.
M. Jacques Mézard. - Les communautés d'agglomération seront les principales victimes des choix réalisés il y a un an et demi, quand le Gouvernement a fait en sorte qu'un grand nombre de communautés d'agglomération deviennent des communautés urbaines.
Nous attendons aujourd'hui des réponses précises à des questions précises. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)
M. Charles Guené . - L'application des nouveaux périmètres aboutira à une réduction de 2 065 à 1 240 EPCI, le nombre moyen de communes intégrées passera de 17 à 29. C'est une révolution quasi copernicienne dans la géographie et la culture locale ! Dans un contexte de crise et de baisse des dotations, on imagine le son mélodieux du concept d'harmonisation fiscale.
En voulant des intercommunalités XXL, on impose le mariage de la carpe et du lapin, sans que les conjoints puissent envisager un positionnement stable et conforme à leurs morphologies respectives, ni faire bon ménage, avec des conditions de majorité très strictes. Les accords locaux sont quasi inapplicables en cas de fusion de collectivités territoriales de taille très hétérogène.
Dans ces conditions, il serait bon que les pôles d'équilibre territorial rural (PETR) cessent d'être considérés comme des obstacles à la structure intercommunale : ils peuvent constituer une bonne transition vers cet eldorado, voire une alternative. L'administration devrait les favoriser plutôt que de leur chercher des poux juridiques !
Il faudrait généraliser le modèle de l'intercommunalité à fiscalité professionnelle unique, qui concerne actuellement 60 % des EPCI, la proportion devant atteindre 72 % en 2017 ; il restera alors 304 groupements à fiscalité additionnelle. Une simplification s'impose ! Nous regrettons de n'avoir pas fait coïncider la réforme des dotations avec celle-ci.
M. Jacques Mézard. - Très bien !
M. Charles Guené. - Assurons plus de souplesse pendant la période de fusion, pour utiliser des leviers utiles comme la taxe sur le foncier bâti pour disposer d'un taux plus important et neutraliser les écarts. Idem pour la CVAE.
Cela suppose la généralisation des attributions de compensation. Il conviendrait d'instiller plus de souplesse, notamment dans la période charnière des fusions, pour alléger parfois cette tutelle. Cela permettrait d'actionner des leviers utiles, comme l'unification des taux de la taxe sur le foncier bâti, totalement ou seulement pour la fraction acquittée par les entreprises, et cela par simple jeu des attributions de compensation. Celles-ci représentent 9,3 milliards d'euros reversés aux communes sur les 14,6 de fiscalité hors DCRTP.
Les DGFip doivent nous communiquer les informations avant le 1er octobre. Nous sollicitons votre concours pour plus de souplesse et des délais fiscaux adaptés. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nathalie Goulet . - Devant la situation de fait accompli, le désarroi et le découragement des maires, j'avais proposé une question d'actualité sur ce sujet. Merci au groupe UDI d'avoir proposé ce débat.
L'augmentation des quatre taxes résultant des fusions de communes, c'est de l'usure : à Vimoutiers, la taxe d'habitation est passée de 9,98 % à 16,57 %, la taxe foncière sur le bâti de 4,71 % à 19,09 %, la taxe foncière sur le non bâti de 5,58 % à 16,09 %, la cotisation foncière des entreprises de 8,19 % à 15,23 % ! On augmente les taux et on laisse de côté les bases.
Il n'y a aucun suivi de la réforme de la taxe professionnelle. Une commune telle que Coulimer subit une hausse énorme du Fngir.
Autorisez donc les préfets à distraire une partie de la DETR pour mettre des experts comptables à disposition des communes. Permettez aux communautés de communes d'établir une comptabilité analytique, par commune, pour que chacun y voie clair. Reconnaissez aux associations départementales des maires le rôle d'interlocuteurs naturels des préfets. Autorisez, sous le contrôle du préfet, les communes et EPCI à partager librement leurs ressources et leurs charges. Les maires vous en seront reconnaissants. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Éric Bocquet . - Ce débat procède du constat obligé d'une situation prévisible. L'une des incitations au développement de l'intercommunalité a toujours été de gratifier les participants de quelques menus avantages en termes de dotations. L'intégration fiscale la plus forte est encouragée. Quand l'intercommunalité fut encouragée, elle allait de pair avec une réforme fiscale affectant singulièrement les recettes de taxe professionnelle du fait de la suppression de la base salaires. Et cette fois, c'est dans le contexte de disparition de la taxe professionnelle, avec une contribution économique territoriale bien moins dynamique. Le gel, puis la baisse, des dotations a incité les élus locaux à augmenter la pression fiscale.
Depuis toujours, nous sommes partisans de la décentralisation mais cela ne peut signifier un simple transfert de charges de l'État aux collectivités territoriales !
À Saint-Pierre des Corps, l'agglomération possède la compétence économique si bien que l'existence d'un service économique peut sembler superflue. Elle a au contraire tout son sens vu ce qu'un tel service apporte de connaissance du tissu économique, pour la qualité de la main d'oeuvre, pour les conseils qui peuvent être apportés aux acteurs économiques. Les dirigeants des entreprises se tournent vers les maires qui doivent trouver un effort éthique : nous, élus, sommes là pour agir.
L'avantage comparatif des taux d'imposition s'estompe de plus en plus, et forme les différences entre structures intercommunales. Cela augmente la part de la fiscalité pesant sur les ménages.
La fiscalité locale est indissociable de toutes les difficultés des collectivités territoriales. Pour plus de compétitivité des territoires, on a baissé le rendement de la CET par rapport à la taxe professionnelle. L'essentiel de la contribution est arbitrairement réparti.
Aujourd'hui les entreprises peuvent s'en abstraire. Plutôt que d'inciter à l'investissement productif, la contribution économique territoriale est devenue un encouragement à l'investissement de simple remplacement des capacités actuelles et à l'externalisation accrue des fonctions de l'entreprise.
M. René Vandierendonck. - Très bien.
M. Éric Bocquet. - Ce n'est que justice que la collectivité territoriale assure les services dont les entreprises ont besoin. Tirons les conséquences sur les évolutions cadastrales.
La semaine dernière, un sondage a rappelé l'attachement très fort de nos concitoyens aux structures communales et intercommunales. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur quelques autres bancs)
M. Claude Raynal . - Le débat de ce matin, une semaine après le Congrès des maires, a bien des choses à clarifier. La nouvelle carte intercommunale entrera en vigueur au 1er janvier 2017. Des ajustements seront nécessaires lors de la prochaine loi de finances. Le 1er janvier 2017 sera le terme d'un processus long, avec plusieurs textes législatifs. C'est une réforme territoriale profonde qui sera réalisée, une nouvelle étape de l'intercommunalité avec une meilleure coopération au sein de projets de territoires.
Toutes les communes de France appartiennent à une intercommunalité. On aura désormais 1 200 intercommunalités, contre 2 000 avant. Les métropoles démontrent aussi la capacité d'adaptation institutionnelle du Gouvernement. Voyez le statut sui generis de Paris et Lyon et Aix-Marseille-Provence. (On ironise au centre et à droite) Les communes nouvelles fédèrent les hommes et les projets de départements en territoire rural.
Ces réformes nécessitent des ajustements. La référence institutionnelle pourra avoir des effets importants comme la généralisation de la fiscalité professionnelle unique. Nous avons à terme 72 % de groupements à fiscalité unique, contre 60 % aujourd'hui, ceux à fiscalité additionnelle passeront de 753 à 304.
Il existe encore huit catégories même si la fiscalité mixte se généralise. Simplifions rapidement la catégorisation des groupements en deux ou trois groupes. Le contexte actuel est très différent du premier schéma départemental de coopération intercommunale de 2010. À terme, le nombre de groupements est divisé par deux. Les projets de fusion sont plus complexes, bloc à bloc, ou après éclatement des communautés existantes, avec des modifications de compétences, etc. Les délais sont courts, alors qu'il faudra tenir compte des conséquences fiscales au 1er janvier 2017.
Fiscalement, est généralisée la fiscalité professionnelle unique. Les conséquences des fusions sont importantes pour les collectivités territoriales et les citoyens avec de nombreux changements de catégorie juridique. Nous recherchons tous la neutralité fiscale et financière. La loi offre différentes possibilités d'ajustement des taux, mais la convergence des taux nécessite une unification des politiques d'abattement communautaires, faute de quoi il faudra accepter un report d'un an. Il est possible de neutraliser les variations de taux par des attributions de compensation, mais cela nécessite une majorité des deux tiers des conseillers communautaires et l'accord de toutes les communes concernées. Peut-être faudrait-il rendre la procédure obligatoire ?
L'harmonisation des taux de cotisation foncière des entreprises ne semble pas poser problème. Peut-être faudrait-il en revanche donner plus de temps pour vérifier les politiques d'exonération de CFE et de CVAE.
S'agissant de la cotisation minimale à la CFE, elle demeure la première année puis, à défaut de nouvelle grille d'imposition, une nouvelle base minimale égale à la moyenne des bases minimales existantes s'appliquera automatiquement. Il peut en résulter des écarts importants pour les contribuables.
Depuis la loi de finances rectificative 2015, l'intercommunalité peut instaurer une nouvelle grille d'imposition. Mais les bases ne peuvent changer de plus de 5 %. Faisons évoluer le dispositif.
Le partage de la CVAE pour des intercommunalités à fiscalité additionnelle peut faire l'objet d'ajustements. Ayons un débat sur les conditions de lissage.
La question du rebasage du taux de taxe d'habitation des communes est extrêmement embrouillée et l'administration fiscale elle-même n'a pas une position claire. Le mieux serait sans doute de rendre le débasage automatique, quelle que soit la date de création du groupement
La réforme de la DGF fait l'objet de travaux au Sénat et à l'Assemblée nationale. La référence de la dotation de centralité sera aussi examinée.
Le président de la République a annoncé que l'effort des collectivités territoriales serait de 300 millions d'euros contre 620 millions d'euros prévus initialement.
Au-delà de la loi, les communes et les intercommunalités doivent adapter ces nouvelles organisations intercommunales. Faisons-leur confiance. Les pactes doivent être noués dans chaque intercommunalité avec les communes membres. Seule la concertation permettra une péréquation la plus efficace.
Dans un rapport, l'OCDE souligne la nécessité de renforcer les investissements à l'échelon intercommunal. (Applaudissements à gauche)
M. Hervé Poher . - Plutôt que de jongler avec des acronymes financiers incompréhensibles, je vous raconterai la folle vie d'une petite communauté de communes qui a vu le jour en 1997. Je l'appelle « La Petite Cécé ». (Marques de curiosité amusée) Elle n'est pas loin d'une grande ville, plutôt rurale : bourg-centre de 5 000 habitants, la plus petite commune compte 80 habitants, le tout noyé dans une agriculture omniprésente. Son père fondateur voulait qu'elle soit un peu plus grande pour pouvoir montrer un certain poids face à l'agglomération voisine ; c'était sans compter sur des rancoeurs ancestrales, sur une politisation inadéquate et sur un préfet qui n'avait pas aidé en jurant que jamais l'État ne forcerait une commune à entrer contre son gré.
La Petite Cécé compte 15 communes, 15 000 habitants, dans un territoire de projet. Tout se passait harmonieusement, hormis un faux pas dans les ordures ménagères, même si elle n'était pas très riche.
Chapitre 2, le premier mariage. En 2013, La Petite Cécé est âgée d'à peine 16 ans. Le préfet lui demande de rendre service : « Il y a à côté de chez vous, une communauté de communes qui n'est pas très bien financièrement et nous allons la faire disparaitre. Pouvez-vous intégrer huit de ses communes ? » Mais là, commencèrent à apparaitre quelques problèmes : intégration du personnel, taux d'imposition différents, avantages financiers issus de leur vie antérieure. Heureusement, c'était une intégration et dans une intégration, les entrants doivent respecter les conditions du recevant. En 2014, la Petite Cécé passe de 15 à 23 après un mariage de commodité.
Chapitre 3 : un deuxième mariage à la suite de la loi NOTRe. (Rires)
Mme Françoise Laborde. - C'est de la polygamie !
M. Hervé Poher. - Or à côté de la petite communauté de communes, un EPCI trop petit est sollicité. Petit mais très très riche. La Petite Cécé passe de 23 à 28, élabore un contrat de mariage. Mais impossible d'avoir une estimation de la dotation globale de fonctionnement, de la péréquation. On découvre des absurdités. La Petite Cécé mariée à une commune riche risque d'être plus pauvre qu'avant. Imaginez : deux mariages en trois ans ! (Rires)
Une intercommunalité n'est pas qu'un trait de stabilo. Il faut laisser du temps, ne pas omettre le poids des habitudes locales, ne pas s'abandonner aux algorithmes, ne pas laisser les comptables tuer les philosophes ! (Applaudissements admiratifs sur tous les bancs)
M. François Commeinhes . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je félicite Hervé Poher qui a décrit la situation avec humour. Je parlerai de la refonte précipitée de la carte intercommunale dans un contexte financier difficile.
Dans l'Hérault, le préfet va au-delà des préconisations de la loi NOTRe. Or la fusion, au vu des écarts de taux, peut modifier de façon importante la pression fiscale. L'écart de taux de la CFE n'atteint que 15 %, ce qui empêche le tissage permis par la loi. La neutralité affichée par le Gouvernement est un voeu pieux... L'Association des communautés de France rappelle que le financement des compétences nouvelles peut se traduire par des hausses de fiscalité.
D'autres questions se posent : évolutions des nouveaux paniers de ressources et de charges, agrégation des dettes et des budgets, recettes et dépenses issues de la fusion, programmes d'investissement en cours...
Les redécoupages en cours de mandat sont une aberration qui va jusqu'à remettre en cause le pacte fiscal et financier au sein des EPCI. Cette complexité pousse beaucoup d'entre eux et de CDCI à souhaiter un report des échéances, faisant écho à la proposition de loi de M. Mézard. Il faut entendre le message des élus des territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)
M. Joël Guerriau . - Les implications fiscales et financières de la nouvelle carte intercommunale issue de la loi NOTRe n'ont pas été évaluées.
En Loire-Atlantique, nous faisons face en la matière à des difficultés ; les mécanismes de lissage sont difficilement lisibles et éloignent les citoyens du fait intercommunal. Ces problèmes techniques fragilisent la viabilité de certains projets de fusion. Les racines en sont profondes, notamment parce que les ressources du bloc communal ont été définies dans un autre contexte économique et avec des dotations de l'État qui suivaient l'inflation... La fiscalité locale est archaïque et inadaptée, l'acte III de la décentralisation ne s'en est pas préoccupé. Comment faire converger les fiscalités sans pénaliser population et entreprises ? Comment en répartir le produit ? Quelle gouvernance pour décider de la répartition ? Quel calendrier, quelles mesures de transition ?
Plus le territoire intercommunal est large, plus il risque d'être hétérogène. Les communes les plus peuplées ne sont pas nécessairement les plus dynamiques économiquement. Attention au « big is beautiful »... La solidarité intercommunale doit jouer, mais dans quelles proportions et conditions ? Le passage de la fiscalité additionnelle à la fiscalité unique n'est pas sans effet sur les dotations et la péréquation. Comment parvenir à une gouvernance où les communes sont justement représentées ?
La réforme de la fiscalité locale est inenvisageable à un an de l'élection présidentielle. Il faut du temps, du dialogue, de la stabilité. La solution n'est-elle pas de s'inspirer de ce qui est fait pour les communes nouvelles, attribuer un bonus, faire un geste financier particulier pour faciliter les fusions ou extensions les plus déséquilibrées ? Nous y reviendrons lors de la réforme de la DGF.
En attendant, madame la ministre, entendez nos inquiétudes. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Daniel Chasseing . - Depuis plusieurs années, les élus sont continuellement en réunion pour appliquer les réformes voulues par les gouvernements successifs. Ils demandent la fin de ce chamboulement continuel et davantage de stabilité. Chaque année, des réformes... Le Sénat a joué un rôle décisif en maintenant le département et le seuil de 5 000 habitants pour les communautés de communes en zone de montagne. Le seuil de 20 000 peut conduire à des territoires immenses. Nos compatriotes veulent des EPCI à taille humaine et une fiscalité acceptable, le soutien de l'État ; ils souhaitent avoir leur mot à dire.
Les communes nouvelles permettent de rationaliser les investissements, mais la baisse importante des dotations - 26 milliards sur quatre ans - oblige ou à augmenter les impôts locaux, ou à freiner les investissements, souvent les deux... Les hiérarques parisiens reprochent aux intercommunalités d'avoir trop embauché. Mais elles ont mis en place de nouveaux services au public pour développer les territoires et y maintenir la vie. Pour éviter la désertification, il faut maintenir la médecine de premier recours, créer des zones franches, lutter contre les zones blanches - mais les collectivités territoriales doivent avancer 20 à 30 % de l'investissement, des sommes souvent considérables pour les EPCI ruraux.
Une autre épreuve attend les élus et la population, la nouvelle fiscalité liée aux fusions. La Corrèze est passée de vingt à neuf intercommunalités, avec les bouleversements fiscaux qui s'ensuivent. Les recettes fiscales des communes peuvent beaucoup diminuer... ou la CFE augmenter très sensiblement. La résolution de ce problème est capitale.
Le reste de l'année 2016 doit être consacré à faire le point pour éviter de mauvaises surprises à nos concitoyens. L'État doit être présent, les petits EPCI ne peuvent pas se payer de bureaux d'étude. L'échéance du 1er janvier 2017 est trop proche ; comme l'a proposé M. Mézard, l'échéance doit être repoussée d'un an.
Les élus souhaitent le maintien des départements en zone rurale, le maintien des incitations à la création des communes nouvelles, surtout de la stabilité et le soutien de l'État. L'État doit avoir la volonté politique d'aménager tous les territoires, d'y maintenir l'activité et la vie. (Applaudissements des bancs du groupe RDSE au groupe Les Républicains)
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales . - Dans le contexte de profonde réorganisation de la carte intercommunale, ce débat est opportun. Le président de la République, lors de son discours de clôture du Congrès de l'AMF, a répondu aux attentes des élus en diminuant de moitié la contribution du bloc communal au redressement des finances publiques l'an prochain, qui sera d'un milliard d'euros au lieu de deux milliards. Le Fonds exceptionnel de soutien à l'investissement est reconduit et porté à 1,2 milliard, dont 600 millions d'euros pour les petites villes et la ruralité ; l'enveloppe de la DETR, portée à un milliard d'euros, permettra de financer les contrats de ruralité.
Le président de la République a aussi annoncé un projet de loi spécifique de réforme de la DGF, en laissant le temps au Parlement et au Comité des finances locales de la préparer. Pour être moi-même élue locale, je partage l'expérience du président Mézard. Des travaux sont en cours dans les deux assemblées, dont le rapport de MM. Mézard, Dallier et Guené. Il y a là des pistes de réflexion intéressantes. L'article 150 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit le lissage des catégories d'EPCI pour éviter les ressauts de DGF.
Une réforme du zonage des ZRR s'imposait. Le Gouvernement a proposé d'aller vers davantage de simplicité et d'équité. Le classement en ZRR se fera à l'échelle des EPCI, et sa durée sera alignée sur celle du mandat municipal. Adoptée par le Parlement en 2015, la réforme entrera en vigueur le 1er juillet 2017.
Un mot de la gouvernance, sujet évoqué notamment par Mme Gatel. À la suite de la question prioritaire de constitutionnalité du 20 juin 2014, MM. Richard et Sueur ont déposé une proposition de loi pour réintroduire la possibilité de conclure des accords locaux, tout en respectant la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le texte a été promulgué le 9 mars 2015. Même si les dispositions du nouveau texte ne répondent pas à toutes les situations, c'est la meilleure solution possible au regard des marges très étroites que laisse le Conseil constitutionnel.
Concernant la fin anticipée des mandats, le Conseil d'État a approuvé en creux la disposition en refusant de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Si, dans certains cas, la nouvelle représentation n'est pas totalement satisfaisante, elle s'applique ; je suis prête à examiner d'autres options pourvu qu'elles soient constitutionnellement solides. Une proposition de loi a été déposée par Jacqueline Gourault qui prévoit, sans modifier les règles de répartition, d'ajuster le tableau de la loi du 16 décembre 2010. Nous en reparlerons.
La fiscalité locale représente une part importante du financement du bloc communal : 63,4 milliards d'euros en 2015, soit 58 % des recettes réelles de fonctionnement. L'État y participe à hauteur de 10 milliards par le biais des dégrèvements. Avec 53 milliards d'euros, la fiscalité directe locale en constitue la part la plus importante. C'est un élément fort de la libre administration des collectivités territoriales. Les recettes sont dynamiques, qui ont augmenté de 4,6 % en 2015 sous l'effet de la progression des bases. La fiscalité est un rouage essentiel de la démocratie de proximité, tout particulièrement en ce moment.
Les citoyens contribuables sont d'autant plus soucieux de bonne gestion qu'ils en voient les effets. Mais l'équité territoriale n'est pas toujours au rendez-vous, les bases sont inégalement réparties ; et les communes qui ont les plus fortes recettes ne sont pas nécessairement celles qui en ont le plus besoin. En outre, une concurrence mal maîtrisée peut se développer entre les territoires... État, régions, départements agissent pour leur aménagement ; et la péréquation atténue les effets négatifs, mais la meilleure réponse, c'est le développement de l'intercommunalité.
Après la loi NOTRe, les préfets ont fait des propositions sur le fondement du seuil de 15 000 habitants. Les schémas d'intercommunalité ont été arrêtés le 31 mars, conseils municipaux et organes délibérants des EPCI doivent se prononcer. La consultation actuelle devrait aboutir à 1 300 EPCI au 1er janvier 2017, contre 2062 aujourd'hui. Les intercommunalités dites XXL, le Pays basque et le Cotentin, sont le reflet de projets de territoire porté par une large majorité d'élus. Il y aurait 14 EPCI de plus de cent communes, neuf existent déjà. La CDCI est souveraine et le préfet n'y vote pas, je le rappelle. Les EPCI « XXL » émanent d'une volonté des territoires.
M. Charles Guené. - Pas tous...
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Le rôle de l'État est d'accompagner au mieux les mutations. Une circulaire donne des délais et de la souplesse pour la prise de compétences des ensembles fusionnés. Les services de l'État ont de même instruction d'aider les communautés à anticiper, de les informer sur les enjeux financiers et patrimoniaux. Des fiches techniques font le point des différentes questions, fixation des taux, attributions de compensation, financement des transferts... Des hausses d'impôt trop brutales nuiraient à l'adhésion aux projets de regroupement, nous en sommes tous convaincus.
Dans les EPCI à fiscalité professionnelle unique, une intégration sur douze ans est d'ores et déjà possible si les écarts de taux pour chaque taxe excèdent 10 %. C'est à ce genre de dispositions qu'il faut recourir plutôt qu'à un report généralisé de la réforme. Le président de la République l'a dit, nous n'y sommes pas favorables.
Ce qui été voté doit être appliqué, un ajournement serait contreproductif ; il faut désormais de la stabilité et de la lisibilité. Le Gouvernement est prêt, en revanche, à envisager des aménagements. La période de lissage de cinq ans pour le versement transport pourrait être allongée. De même, en matière d'attribution de compensation, il importe de voir si le droit actuel est suffisamment souple pour que les communes qui le souhaitent puissent neutraliser les conséquences du nouveau périmètre intercommunal sur les taux d'imposition la première année du regroupement. Les textes pourront évoluer en tant que de besoin pour rendre effective une mise en oeuvre sans brutalité des nouvelles fiscalités intercommunales.
Plusieurs intervenants ont évoqué la généralisation de la FPU, proposition issue de l'excellent rapport Raffarin-Krattinger de 2013. Le sujet mérite d'être examiné. La pertinence des différentes catégories d'EPCI doit aussi être interrogée dans un souci de simplification.
Mme Gatel m'a interrogée sur la taxe de séjour. Il est envisagé de repousser la date limite au 15 janvier en cas de fusion.
Mme Goulet a évoqué la question des communes nouvelles, à laquelle le Gouvernement est attentif. Nous accompagnons la proposition de loi Sido sur les communes associées. À Vimoutiers, les services fiscaux ont transmis des simulations sur les effets du regroupement sur les taux d'imposition - qui peuvent, je le rappelle, être lissés sur douze ans. Il y a en réalité peu de solutions... sinon la difficile actualisation des valeurs locatives...
Mme Nathalie Goulet. - Bel effort !
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État. - Une commune qui quitte un EPCI pour un autre peut récupérer son prélèvement au titre du Fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR). Sur délibérations convergentes, il peut être transféré à l'EPCI à compter de la deuxième année, et nous envisageons de le rendre possible dès la première année.
Des cas de hausse des taux ont été cités. L'alignement est un élément de la solidarité entre les territoires, un outil d'atténuation de la concurrence.
La refonte de la carte intercommunale sera mise en oeuvre le 1er janvier 2017. Le Gouvernement a mené des actions d'adaptation et en envisage d'autres. Je suis attentive à tous vos questionnements, pour une mise en place de la réforme la plus harmonieuse possible. C'est la feuille de route de mon ministère, l'engagement du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Organisme extraparlementaire (Nomination)
M. le président. - Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La Présidence n'ayant reçu aucune opposition, je proclame Mme Christiane Kammermann membre de la commission permanente pour l'emploi et la formation professionnelle des Français de l'étranger.
La séance est suspendue à 12 h 45.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. J'appelle chacun à observer l'une des valeurs essentielles du Sénat, le respect mutuel, et à se conformer à son temps de parole.
Inondations (I)
M. Christian Favier . - Élu d'un département particulièrement touché par les inondations, le Val-de-Marne, je souhaite exprimer toute notre solidarité aux victimes, saluer le formidable dévouement des agents des services publics, des élus de proximité des 1 300 communes sinistrées, des services de secours, des bénévoles associatifs et des simples citoyens qui ont répondu présents.
Après l'urgence, nous devons faire face aux conséquences immédiates. Je pense surtout au relogement des familles qui ont tout perdu, aux victimes peu ou pas assurées. Pour elles, la déclaration de catastrophe naturelle ne règlera pas tout. N'oublions jamais que ce sont les plus démunis qui pâtissent le plus de tels cataclysmes.
Après l'urgence, comptez-vous assurer à tous une réelle couverture des risques naturels, développer les nécessaires politiques de prévention et garantir aux victimes une large prise en charge des dégâts par la solidarité nationale ? En clair, pouvez-vous vous engager à ce qu'aucune famille ne se retrouve sans toit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et républicain)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Le bilan des intempéries des dernières semaines, le Premier ministre l'a dit hier à l'Assemblée nationale, est lourd : cinq morts, quarante et un blessés, des dégâts extrêmement importants pour les collectivités territoriales et les particuliers.
Le Premier ministre a donné des instructions très claires au Gouvernement afin que nous apportions tout le soutien nécessaire aux collectivités territoriales. Nous avons immédiatement déclaré l'état de catastrophe naturelle. Lors du Conseil des ministres d'hier, nous avons examiné les dossiers de 862 communes, ceux de 138 communes le seront prochainement. Ainsi le processus d'indemnisation et de réparation débutera-t-il dans les meilleurs délais.
Les fonds de concours aux collectivités territoriales pourront être sollicités avec des avances possibles allant jusqu'à 60 % des sommes engagées pour la réparation des ouvrages d'art et des voiries.
Le Gouvernement est totalement mobilisé pour que, dans les meilleurs délais, la vie puisse reprendre un cours normal. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également)
M. Christian Favier. - Au-delà de l'urgence, et parce que ces inondations ont mis à nu la fragilité de certains de nos territoires, nous devons bâtir une politique de prévention. Les communes seules ont encore moins qu'hier les moyens de le faire seules, compte tenu de la politique d'austérité. Une intervention forte de l'Etat est indispensable aux côtés des régions et des départements pour offrir à tous nos concitoyens un environnement sécurisé.
Enfin, à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : mettons à contribution les plus fortunés. Je pense particulièrement aux cinquante personnes dont on vient d'apprendre qu'elles contournent l'ISF. (Protestations à droite)
M. Éric Doligé. - Assez de victimes !
Inondations (II)
M. Jean-Pierre Sueur . - Avec le recul, nous mesurons la grande ampleur de la catastrophe qui nous a frappés. Dans mon département du Loiret, 241 communes sont sinistrées. Habitants et élus attendent des réponses précises. Aussi vous poserai-je, monsieur le Premier ministre, des questions précises.
Premièrement, dans quel délai seront examinés les dossiers qui n'ont pu l'être hier des communes qui ont demandé à bénéficier de l'état de catastrophe naturelle ?
Deuxièmement, les travaux de réfection des voiries seront considérables dans certaines communes. Quelle aide leur apportera l'Etat pour faire face à cette dépense totalement imprévue ?
Troisièmement, l'entretien des canaux, dont vous avez pu constater par vous-même, monsieur le Premier ministre, qu'il laissait à désirer lors de votre déplacement à Montargis. Quelles dispositions prendrez-vous pour assurer la sécurité ?
Quatrièmement, l'A10, encore inondée, est impraticable. Il était bien imprudent de la laisser accessible aux automobiles et aux poids lourds.
Enfin, avez-vous diligenté une enquête sur ce qu'il s'est passé à la prison de Saran ?
Mme Bricq et M. Lorgeoux s'associant à ces questions.
M. Éric Doligé. - Et nous ?
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Le Loiret, comme d'autres du département du Centre et d'Ile-de-France, ont été gravement touchés par des inondations d'une ampleur exceptionnelle. Continuons à être vigilants : ces derniers jours, de nouveaux événements ont touché l'Alsace et le Pas-de-Calais.
Comme M. Favier, je salue la mobilisation des agents de l'État et des collectivités territoriales, leur grand professionnalisme et leur grand dévouement. Je salue également les élus locaux et les maires, en première ligne. Je pense aussi à tous les Français venus en aide aux sinistrés. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Pierre Sueur applaudissent également)
Plus de 1 000 communes ont été touchées. Hier, lors du Conseil des ministres, nous avons examiné les dossiers de demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle déposé par 782 communes dans dix-sept départements. Laissons aux autres le temps de faire remonter leur demande, y compris celles de l'Est et du Nord, frappées par les orages. Les dossiers de 138 autres communes seront examinés lors du Conseil des ministres la semaine prochaine.
Une mission d'évaluation sera lancée pour déterminer le montant des travaux à prévoir sur les voiries. Les préfets, sans attendre, pourront accorder des avances.
Un retour d'expérience est attendu sur les situations des canaux que j'ai, en effet, constaté à Montargis.
Au centre pénitentiaire de Saran, où les maisons d'arrêt 1 et 2 ont dû être évacuées, les experts du ministère de la justice évalueront les dégâts en fin de semaine et les correctifs à apporter.
Un diagnostic sera établi avec tous les gestionnaires d'infrastructures pour tirer les leçons des dysfonctionnements observés sur l'A10.
Le Gouvernement est mobilisé et entend agir avec sérieux, rapidité et efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Françoise Laborde, MM. Jacques Mézard et Raymond Vall applaudissent également)
M. Jean-Pierre Sueur. - Merci de cette réponse précise.
Inondations (III)
Mme Jacqueline Gourault . - À mon tour d'évoquer les inondations.
La Seine-et-Marne, le Loiret et le Loir-et-Cher ont été particulièrement touchés. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard car tous ces départements portent des noms de fleuve et de leurs affluents, même si ce sont surtout les rivières qui ont débordé. Cela démontre toute l'importance de la prévention, sur laquelle mon collègue Yves Pozzo di Borgo avait insisté pour la Seine.
Je veux dire ma compassion aux familles des victimes et à tous les sinistrés. Je tiens aussi à souligner l'extraordinaire élan de solidarité, de mobilisation de tous les services de l'État et des mairies, vigies des territoires. (Marques d'impatience à droite)
Dans le Loir-et-Cher, 153 communes, soit plus de la moitié des communes du département, ont été touchées. À Romorantin-Lanthenay, commune de mon collègue Lorgeoux, la crue a duré une semaine, les maisons ont été inondées de plus de 1,5 mètre d'eau. Un phénomène naturel a aggravé les choses dans mon département : les forêts de Sologne et de Marchenoir ont joué un rôle d'éponge, absorbant d'abord l'eau pour la relâcher.
L'heure est à la réparation. Hier, le Gouvernement a déclaré l'état de catastrophe naturelle. (On se gausse à droite) Chers collègues de droite, je ne vois pas ce qu'il y a de drôle ! Qui assurera l'articulation entre aides de l'État et des collectivités territoriales ? Qui les pilotera ? Comment cibler les aides en direction des communes qui ont été les plus touchées ? (Applaudissements au centre ; Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Merci pour cette question très complète (Rires à droite) à laquelle j'apporterai une réponse précise. À mon tour, je rends hommage aux 300 sapeurs-pompiers qui se sont mobilisés lors des pics de crue dans le Centre, l'Est et l'Ile-de-France ; aux militaires de la sécurité civile de Nogent-le-Rotrou, aux collectivités territoriales dont le président Larcher a rencontré les élus. Des moyens nautiques et aériens ont été employés pour identifier les zones inondées.
D'ores et déjà, 862 communes ont été classées en état de catastrophe naturelle ; 138 dossiers restent à examiner. Nous pourrons les solder lors du prochain conseil des ministres. La totalité des dossiers des 153 communes du Loir-et-Cher touchées a été traitée. Parmi elles, Romorantin-Lanthenay ou encore la Chaussée-Saint-Victor dont, madame Gourault, vous avez été maire.
Le Gouvernement a créé un fonds d'urgence pour aider les particuliers, il soutiendra les communes par des avances et des fonds de concours. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Situation à la SNCF
M. Louis Nègre . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, depuis plusieurs mois, le secteur ferroviaire s'enfonce dans la crise. Tous les clignotants sont au rouge. La dette de la SNCF enfle pour atteindre 50 milliards. Notre industrie ferroviaire, la troisième au monde, risque de fermer des sites industriels. La sécurité, fierté de la SNCF, n'est plus assurée : deux accidents dramatiques causant des morts sont survenus. La qualité du service public s'effondre : dans ma région, les usagers se rassemblent dans des associations comme « Les naufragés du TER ».
Où sont les neiges d'antan ? (On sourit) A ce bilan catastrophique s'ajoute une tragédie : vous avez capitulé en rase campagne devant des syndicalistes ultra-minoritaires pour sauver la loi Travail. Les grévistes représentent, d'après vos propres chiffres, moins de 10% des agents de la SNCF ; une grève, monsieur Vidalies, que vous considérez incompréhensible.
M. Jean-Pierre Bosino et Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Elle est très compréhensible !
M. Louis Nègre. - En lâchant tout, vous avez cru éteindre l'incendie. Il n'en est rien car vous sacrifiez la SNCF avant l'ouverture à la concurrence. Ma question est simple : où est passé l'État ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et au centre)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Je partage vos observations sur la sécurité des transports ferroviaires...
M. François Grosdidier. - Que le Premier ministre réponde !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. - ...et l'objectif de l'ouverture à la concurrence.
Quand l'on parle du ferroviaire, il faut distinguer le fret, qui est ouvert à la concurrence depuis dix ans et a perdu la moitié de son activité, et le transport de voyageurs.
La grande nouveauté est que la SNCF passe d'un système d'encadrement réglementaire, le fameux décret RH77, à un système de conventionnel. Le décret sur la sécurité a été publié hier au Journal officiel. Un accord de branche a été établi, recueillant l'avis de plus de 30 % des syndicats de même qu'un accord d'entreprises sur lesquels nous avons obtenu une signature des organisations syndicales représentant 30 % du personnel. La grève est donc incompréhensible.
M. Jean-Pierre Bosino. - Ecoutez les cheminots, ils vous expliqueront !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. - S'agissant de la dette de la SNCF, de l'effort de rénovation sur le réseau et du fret, les 190 millions d'euros pérennisés sont attendus par l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Alain Gournac. - Donc, tout va bien !
M. Louis Nègre. - Monsieur le Premier ministre, M. le secrétaire d'État n'a pas répondu à la question. (On s'indigne à gauche du dépassement du temps de parole) Il ne le pouvait pas car il n'y a plus d'État...
M. Jean-Louis Carrère. - Mais il y a M. Nègre !
M. Louis Nègre. - La rue appartient aux casseurs. Bref : il est temps que nous arrivions ! (Rires moqueurs à gauche ; applaudissements à droite et au centre)
Pantouflage
M. Jean-Claude Requier . - Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, les plus hauts fonctionnaires de Bercy continuent à partir vers le secteur privé et, plus exactement, les secteurs financier, bancaire et de la grande distribution.
Il y a quelques semaines, la commission de déontologie de la fonction publique a autorisé le directeur général du Trésor, M. Bruno Bézard, à quitter ses fonctions - parmi les plus stratégiques pour notre pays puisqu'il avait notamment en charge la gestion de la dette de l'État, - pour rejoindre un fonds d'investissement chinois. Cette commission, entièrement composée de fonctionnaires issus des grands corps de l'Etat, a jugé que cette promotion ne présentait aucune forme de conflit d'intérêts, au regard du droit en vigueur. Au regard du droit en vigueur, peut-être ; mais au regard de la raison et du bon sens, on peut en douter.
Il y a quelques semaines, votre conseiller aux participations de l'Etat, monsieur le ministre, a pris la direction du pôle e-commerce du groupe Casino.
Le phénomène n'est pas nouveau, c'est même une spécialité franco-française. Le corps des inspecteurs des finances est le plus touché par un exode de plus en plus précoce.
Alors monsieur le ministre, peut-être faudrait-il, non pas interdire, mais encadrer davantage ces départs en rendant publics les avis de la commission de déontologie et définitifs les départs de la fonction publique ? Les candidats réfléchiraient à deux fois avant de partir... (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste républicain et citoyen, écologiste et UDI-UC ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit aussi.)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Veuillez excuser M. Sapin, occupé par le projet de loi sur la transparence à l'Assemblée nationale.
L'exemple de M. Bézard n'est peut-être pas le bon. Il a exercé trente ans dans la fonction publique, il a aujourd'hui 53 ans. D'autres cas, où des fonctionnaires partent vers le privé après quelques années seulement, sont plus problématiques.
Nous avons renforcé le rôle de la commission de déontologie. Faut-il transférer ses fonctions à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, comme le proposent des députés ? Le débat parlementaire le dira.
Sachons raison garder. La question de l'attractivité de la haute fonction publique se pose : les rémunérations n'y sont pas comparables à celles du privé.
Vous pourrez faire des propositions à l'occasion de la loi Sapin 2. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Requier. - Nous serons vigilants. À l'heure de l'euro de football, ne laissons pas le pantouflage devenir un nouveau mercato ! (Rires ; applaudissements au centre et sur les bancs du groupe RDSE)
Moyens alloués au Parquet national financier
M. André Gattolin . - Avec 700 salariés en France, Google n'a payé que 5 millions d'impôts en France en 2014. L'évasion fiscale affaiblit les économies et les États. Le ministre des finances a réaffirmé que le temps des transactions était révolu - tant mieux ! - et que les procédures iraient à leur terme ; mais la fraude est difficile à prouver. Une perquisition a eu lieu dans les locaux de Google, avec un volume de documents saisis équivalent à ceux du Panama papers. Il faudra des mois ou des années pour les traiter, faute de logiciels suffisants.
Le Parquet financier ne compte que 15 magistrats au lieu des 32 prévus et l'Office central de lutte contre la corruption a aujourd'hui moins d'effectifs qu'à sa création en 2013. La prochaine loi de finances prendra-t-elle en compte leurs besoins ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit aussi)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - La lutte contre l'évasion fiscale avait commencé avant la création du Parquet national financier (PNF). L'affaire Google, qui émerge aujourd'hui, est née du dépôt d'une plainte de l'administration fiscale.
Le PNF, qui dépend du ministère de la justice, apporte certes un renfort précieux à la lutte contre l'optimisation fiscale. Vous avez auditionné la Procureure générale. Elle vous aura dit quels moyens techniques et humains supplémentaires sont nécessaires. Les arbitrages budgétaires sont en cours.
Mais au-delà des effectifs, c'est surtout la coopération entre les services qui compte. Elle est excellente entre le PNF et Bercy. D'autres mesures sont en préparation au niveau national et européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. André Gattolin. - Il est vrai que la coopération avec le ministère de l'intérieur et Bercy fonctionne bien. Toutefois des postes manquent, parce que la priorité de la justice et de la police est la lutte contre le terrorisme. N'oublions pas cependant que la fraude fiscale massive réduit les recettes budgétaires !
Annonces du président de la République au Congrès des maires
M. Claude Raynal . - Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire, le président de la République, au Congrès des maires, a dévoilé ses projets sur le financement des collectivités. L'an prochain, la baisse de la dotation d'équipement sera réduite à un milliard d'euros, contre deux prévus initialement. Le Fonds d'investissement local est porté à 1,2 milliard, soit une hausse de 200 millions. Cela est conforme aux souhaits exprimés par le groupe socialiste du Sénat lors des débats budgétaires de ces deux dernières années. Et les maires se réjouissent de ces décisions.
Elles permettront de soutenir l'investissement local. Les élus locaux ont pris une part déterminante dans l'assainissement des finances publiques. (MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier se gaussent) Ces mesures sont sages et réalistes, car la France pourra les honorer - à la différence de celles que vous annoncez pour l'avenir, 150 milliards d'économies, tout en épargnant les collectivités territoriales... (Protestations à droite)
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. Claude Raynal. - Pouvez-vous préciser le cadre de la future réforme visant à introduire plus de justice et de simplicité dans les concours financiers aux collectivités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales . - Le président de la République, comme le Gouvernement et le Premier ministre ont non seulement entendu, mais écouté les élus locaux. (On rit à droite) L'ensemble des parlementaires, monsieur le président de l'AMF, ont demandé un lissage de la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques. L'ancienne majorité avait diminué les dotations de l'État (applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; protestations à droite) mais aujourd'hui les clignotants sont au vert et nous avons donc décidé de réduire de un milliard d'euros l'effort demandé aux collectivités.
Le Fonds d'investissement local a été non seulement reconduit, mais porté à 1,2 milliard d'euros. (Brouhaha à droite) Les modalités de la réforme de la dotation globale de fonctionnement se décideront en concertation avec les parlementaires et les représentants des élus locaux. (Protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Projet Cigéo
M. Christian Namy . - Ma question s'adresse à Mme Ségolène Royal.
M. Roger Karoutchi. - Où est-elle ?
M. Christian Namy. - La Meuse et la Haute-Marne, qui ont accepté un projet de centre de stockage de déchets nucléaires sur leur territoire, devraient bénéficier en contrepartie d'aides massives de l'État. Or le comité de haut niveau ne s'est pas réuni une seule fois depuis le départ du ministère de Mme Batho en 2013... Nos demandes restent sans réponse. Quand Mme la ministre de l'environnement entend-elle réunir ce comité ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique . - La loi de 2006 a défini le stockage géologique profond comme une solution de gestion des déchets radioactifs. Ainsi est né le projet Cigéo, que soutient le Gouvernement, comme il l'a réaffirmé à l'occasion de la loi Macron ou de la proposition de loi Longuet dans laquelle a été affirmée la réversibilité.
Le projet aura une incidence économique notable sur les deux départements. Grâce à une taxe additionnelle sur les producteurs de déchets, des investissements ambitieux seront financés - mise au gabarit poids lourd, voie ferrée, etc... La clé de répartition du produit de cette taxe entre les différentes collectivités est à l'étude. Elle sera soumise à la concertation lorsque nous en aurons les résultats, d'ici la fin de l'année. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Christian Namy. - Vous n'avez pas répondu à ma question. Élus et habitants s'inquiètent de l'absence de réactivité de la ministre Mme Royal. (Applaudissements au centre et à droite)
Inondations (IV)
Mme Anne Chain-Larché . - L'Ile-de-France connaît un dramatique épisode de crues, avec des dégâts considérables. Les agriculteurs ont prêté main forte aux sinistrés, avec leurs tracteurs, leurs pompes, leurs citernes. Hommage doit leur être rendu pour leur sens de la solidarité. Mais les maraîchers, les horticulteurs, les éleveurs ont eux-mêmes payé un très lourd tribut ; certains pourraient ne pas s'en relever. Pour éviter d'inonder les zones urbaines, on inonde les terres agricoles. Les agriculteurs le comprennent, mais veulent être indemnisés en conséquence. Ils servent de variable d'ajustement ! Quand leur rôle sera-t-il reconnu ? Comment les crues ont-elles été anticipées ? Quelle a été la politique de prévention des inondations ?
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Le ministre de l'agriculture a réuni les professionnels de Seine-et-Marne et a annoncé les orientations - qui vaudront du reste pour toutes les régions touchées. Tous les secteurs - élevage, cultures céréalières, arboriculture, maraîchage - sont touchés : l'État a demandé aux directions départementales des territoires d'établir dès que cela sera possible un bilan précis des dégâts, afin d'activer rapidement le Fonds national de gestion des risques en agriculture, pour indemniser les pertes de récoltes mais aussi de fonds ; le comité national de gestion des risques se réunira le 15 juin, pour faire le point et accélérer les indemnisations. L'état de catastrophe naturelle a été déclaré, ouvrant l'indemnisation des dommages aux bâtiments et au matériel agricole. Les agriculteurs bénéficieront d'un report des cotisations sociales et d'un allègement au titre de la taxe sur le foncier non bâti. Les préfets activeront le dispositif d'activité partielle et l'année blanche sera étendue à d'autres filières que celles de l'élevage. Un guichet unique sera mis en place dans les préfectures pour simplifier les démarches.
Monsieur Nègre, vos propos sont inadmissibles : vous dites que l'État n'existe plus, alors qu'il joue tout son rôle et qu'il est la colonne vertébrale du pays. Un élu de la République devrait se garder de prononcer de tels mots. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Aussi bien, l'État indemnise les victimes des inondations. (Protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Anne Chain-Larché. - Vous n'avez pas répondu sur l'indemnisation systématique des exploitants dont les terres sont inondées pour protéger les zones urbaines. Dommage que vous ne vous soyez pas déplacé sur le terrain : vous auriez constaté l'étendue des dégâts et le désarroi des agriculteurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Euro 2016
M. Jean-Jacques Lozach . - Monsieur le secrétaire d'État chargé des sports, un événement majeur sportif, l'Euro de football, va occuper notre pays pendant un mois. La France a cette chance. L'État a voulu en faire une vitrine du savoir-faire français. Le sport est un vecteur de cohésion sociale, de création d'emplois, de rayonnement économique et médiatique.
Le nouveau stade de Lyon, construit dans le cadre d'un partenariat entre l'État, le club et les collectivités territoriales, a créé 20 000 emplois. Les retombées de l'Euro seront de plus d'un milliard d'euros. Le dispositif de sécurité a été présenté il y a peu. En quoi est-il exceptionnel ? Rappelons que ces matchs sont suivis par deux millions et demi de spectateurs, plus huit millions dans les fan-zones.
M. le président. - Posez votre question.
M. Jean-Jacques Lozach. - Quels sont les enjeux économiques ? Et en matière de sport pour tous, quelles sont les retombées attendues ?
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports . - Avec Patrick Kanner, nous répétons que l'Euro 2016 doit être une grande fête populaire et sportive. Elle le sera. Bernard Cazeneuve, en lien avec le club des villes hôtes, s'emploie à organiser une sécurité maximum. Tout a été fait, avec le comité des organisateurs et les clubs des villes hôtes, pour que l'évènement se passe bien. Il crée de l'activité, de l'emploi, notamment pour assurer la sécurité dans les fan-zones. Notre pays accueillera plusieurs millions de touristes.
M. Roger Karoutchi. - Les joueurs !
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. - L'État a enfin acheté 20 000 places et les redistribue pour que tous, y compris les jeunes d'outremer, puissent participer à la fête. Le succès de cet Euro contribuera à la candidature de Paris pour les Jeux olympiques 2024. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Collectivités territoriales
M. François Grosdidier . - Les maires attendaient beaucoup de la venue du président de la République à leur Congrès, lui qui avait lors de la crise mondiale protesté contre le gel des dotations, lui qui avait promis de maintenir leur niveau... Il a fait le contraire - là comme ailleurs - en les diminuant, tandis qu'il augmentait les charges contraintes. Au lieu de demi-mesures, quand desserrerez-vous le garrot autour du cou des communes ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales . - Un garrot ? Celui que vous avez noué autour de leur cou avec la réforme de la taxe professionnelle, la baisse du nombre de fonctionnaires ? (M. Didier Guillaume renchérit) Je pourrais dresser un inventaire à la Prévert de toutes les mesures par lesquelles vous avez maltraité les collectivités, mais aussi nos finances publiques ! Car vous avez laissé les comptes publics et notre économie dans un état désastreux, nous obligeant en 2012 à des mesures strictes pour redresser la situation.
Aujourd'hui, notre politique commence à porter ses fruits, les clignotants passent au vert. (M. Roger Karoutchi s'esclaffe)
Le président de la République a souhaité que les collectivités territoriales en récoltent le fruit, avec une diminution de l'effort qui leur est demandé, conformément au souhait prioritaire de l'AMF.
Vous avez eu beau jeu, à l'approche du Congrès des maires de demander une année blanche, oubliant le Fonds de soutien à l'investissement, les aides de la Cour des comptes... Mais qu'importe, nous surmontons les difficultés que vous nous avez laissées. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. François Grosdidier. - Dans votre bouche, les mots perdent leur sens ! L'État est responsable à 80 % de la dette publique, les collectivités territoriales à seulement 10 % ! Si les élus géraient leurs collectivités comme vous gérez l'État, il y a longtemps qu'ils seraient placés sous tutelle préfectorale !
Vous lâchez chaque semaine des rallonges aux manifestants catégoriels. En matraquant les collectivités, vous condamnez l'investissement local et l'économie des territoires. Les communes, elles, ne demandent pas de cadeau, mais la simple contrepartie des transferts de charge. (Applaudissements au centre et à droite)
Politique scolaire
M. Jean-Claude Carle . - La réforme du collège fait l'unanimité contre elle, chez les enseignants comme les parents. Elle n'améliore pas la maîtrise des fondamentaux pour les élèves, alors que 30 % d'entre eux entrent en sixième sans maîtriser les apprentissages de base.
Parmi les 150 000 jeunes qui sortent sans diplôme de l'école, la moitié ont connu des difficultés en primaire. La seule et vraie réforme est celle du primaire. Quand vous y attellerez-vous enfin ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - On pourrait croire que nous sommes d'accord : car je le dis aussi, le primaire est prioritaire. C'est dès le plus jeune âge que les difficultés apparaissent. Mais comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois. Est-ce votre majorité qui a soutenu la préscolarisation dès l'âge de deux ans ? Non ! Celle-ci a baissé de 30 % à 11 % entre 2000 et 2012, nous créons 1 000 postes pour revenir à 30 %.
Était-ce donner la priorité au primaire que de supprimer 80 000 postes dans l'éducation nationale ? Nous en créons 60 000, dont deux tiers dans le premier degré.
N'est-ce pas votre majorité qui considérait que la maternelle servait à « changer les couches » ? Nous avons rénové les programmes, aujourd'hui plébiscités. Si nous donnons vraiment la priorité au primaire, alors vous serez d'accord avec nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. Jean-Claude Carle. - L'avenir d'un jeune est scellé dès son septième anniversaire. Ne faudrait-il pas que les enfants maîtrisent d'abord le français avant de songer à leur apprendre d'autres langues, comme le russe ou l'arabe, ce qui renforce le communautarisme ? Il est temps d'en finir avec la doxa de la rue de Grenelle ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Didier Guillaume. - Vous faites les questions et les réponses ! Vous n'avez pas écouté la ministre.
La séance est suspendue à 16 h 5.
présidence de M. Hervé Marseille, vice-président
La séance reprend à 16 h 20.
Rappel au Règlement
M. Didier Guillaume . - Nous constatons une dérive des questions d'actualité au Gouvernement. Le nouveau Règlement du Sénat autorise à répliquer au Gouvernement, soit. Mais des collègues posent une question très courte puis lisent, en guise de réplique, un long papier préparé à l'avance qui n'a que peu à voir avec ce que le ministre a dit.
Je demande une réunion du groupe de travail sur le Règlement pour faire le point. J'espère que le président du Sénat nous entendra : la rédaction favorisant l'interactivité et la réactivité a été dévoyée. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. le président. - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement. Je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'en parler.
Dépôt d'un rapport
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les aides fiscales et sociales à l'acquisition d'une complémentaire santé. Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui a été transmis à la commission des affaires sociales.
Accord commercial Union européenne-Canada
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L'État et les conditions de ratification de l'accord économique et commercial entre l'Union européenne et le Canada ».
M. Bernard Vera . - Le 13 mai, le Conseil européen des affaires étrangères a examiné l'accord économique et commercial global avec le Canada en vue d'une signature officielle en octobre. Ce projet a rarement été abordé au Sénat et dans le débat public.
Le Canada est le douzième partenaire commercial de l'Union européenne ; l'Union européenne le deuxième partenaire du Canada.
En 2014, le Canada est le douzième partenaire commercial de l'Union européenne, représentant 1,7 % des échanges extérieurs de l'Union, laquelle est le deuxième partenaire commercial du Canada, après les États-Unis et intervient dans 9,4 % du total des échanges internationaux canadiens. Le commerce Union européenne-Canada s'établit à 59 milliards d'euros, dont 27 pour les services. L'investissement européen au Canada et l'investissement canadien dans l'Union européenne ont atteint respectivement 225 et 117 milliards d'euros en 2013. En 2014, les échanges entre la France et le Canada s'établissent à 11 milliards, 6 pour les biens et 5 pour les services. Le commerce avec le Canada ne représente qu'un peu plus de 1 % du commerce extérieur total de la France, principalement dans les secteurs aéronautique et pharmaceutique.
L'accord vise à abaisser les barrières commerciales et à protéger les investissements. Il porte aussi bien sur la sûreté alimentaire que sur les procédures douanières ou les inspections sanitaires. Un regain de 20 % des échanges est attendu par rapport à 2014 et l'apport de cet accord pour l'économie européenne est évalué à 18 milliards d'euros par an.
Nous demandons des informations plus précises sur son impact en France, des études plus poussées pour le secteur agricole où la quasi-totalité des droits de douane seront supprimés. Sur la viande de porc et de boeuf, les quotas prévus fragiliseront nos producteurs.
Le projet d'accord prend en compte 145 indications géographiques protégées, qui s'ajoutent aux alcools, vins et spiritueux, listés dans l'accord conclu en 2003 entre Bruxelles et Ottawa. Or plus de 1 400 IGP sont reconnues par l'Union européenne, ou enregistrées et en voie de l'être. Et seulement trente IGP françaises sont reconnues dans le projet d'accord, principalement des fromages, des produits fruitiers, quelques charcuteries et spécialités de viande. A-t-on des études d'impact sérieuses, secteur par secteur ? Nous ne pouvons donner carte blanche pour signer cet accord sans en avoir évalué les effets dans chaque domaine concerné. Or la Commission européenne fait preuve d'un manque de transparence. Le texte de l'accord n'est même pas disponible en français !
M. Daniel Raoul. - Mais si !
M. Bernard Vera. - L'accord sera-t-il de la seule compétence de l'Union européenne ou mixte ? Monsieur le ministre, nous assurez-vous que la France restera sur la seconde position ?
Une application provisoire de cet accord permettrait d'en faire entrer en vigueur, avant ratification des États, les parties relevant de la compétence de l'Union européenne. Le vote préalable du Parlement européen est en doute. La France suivra-t-elle l'Allemagne sur ce sujet ?
Le mécanisme de règlement des litiges entre investisseurs et États s'appliquent pour trois ans. L'application provisoire risque de créer une situation de fait excluant les parlements nationaux du processus. Or leur décision doit être prise librement. Monsieur le ministre, refusez-vous l'application provisoire ?
Nous réclamons la plus grande transparence sur ce projet d'accord qui aura une influence considérable sur notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que du groupe écologiste)
M. Jean-Claude Lenoir . - Le débat sur ce traité a pris un tour plus vif pour des raisons liées à son contenu, mais surtout à cause du TTIP en cours de négociation. L'érable ne doit pas cacher la forêt américaine.
Le débat porte davantage sur la forme, comme en témoigne son intitulé. La France, parmi d'autres, a fait part de ses préoccupations sur l'accès aux marchés publics, la part des services, le règlement des litiges entre État et investisseurs, les indications géographiques protégées. Et je ne parle pas que du boudin noir de Mortagne : il y a aussi le cidre et le camembert ! (Sourires) Le 29 février, le principe d'une instance permanente de règlement a été consacré. C'est une victoire importante.
Sur le fond, mon groupe est favorable à l'accord. Sur la forme, est-ce un accord mixte ? La Commission européenne a sollicité la Cour de Luxembourg sur l'accord avec Singapour, son avis nous éclairera - mais nous risquons d'avoir à l'attendre un moment.
Pour que ces traités soient acceptés par nos sociétés, ils doivent être ratifiés par nos parlements. Or la Commission européenne n'est pas de cet avis considérant que ce n'est pas un accord mixte.
Il serait choquant, inadmissible, qu'elle décide à la place des gouvernements.
Une mise en application provisoire peut-elle être décidée par la Commission européenne ? Il semble que cette dernière veuille une signature dès octobre et une entrée en vigueur dès le 1er janvier 2017, au moins pour les clauses strictement européennes. Or le Conseil n'a pas semblé s'y opposer fermement...
Il faut une ratification parlementaire, sans mise en application provisoire. La responsabilité pèse sur les épaules du Gouvernement dont nous attendons la plus grande fermeté : dans le contexte des négociations commerciales avec les États-Unis, tout manque de faiblesse sera interprétée pour les Américains comme le signe qu'ils peuvent nous marcher dessus. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Joël Guerriau . - Il nous incombe de mettre ce sujet à la portée de nos concitoyens. Je remercie le groupe CRC d'avoir pris l'initiative de ce débat. Il est regrettable que les conditions de consultation du projet d'accord s'apparentent à une recherche dans les archives du Vatican : un texte non traduit en français, que l'on peut aller lire dans une salle sans prendre de notes...
Mais le Canada, c'est la onzième puissance économique mondiale ; son développement technologique est excellent, son environnement politico-économique est stable. La suppression des droits de douane devrait augmenter de 23 % les échanges entre l'Union européenne et le Canada ; c'est une opportunité pour l'aéronautique, la pharmacie et l'industrie viticole françaises.
Ce nouvel accord offre des opportunités nouvelles pour nos fleurons nationaux et une myriade d'entreprises. L'industrie pharmaceutique représente 13 % des exportations et l'aéronautique 11,5 %. L'industrie agroalimentaire française trouvera des débouchés, en particulier pour les vins et spiritueux qui représentent 66 % de nos exportations agro-alimentaires. C'est le second secteur excédentaire de la France, après l'aéronautique et devant la chimie-parfumerie. Comme on dit en pays du muscadet, « Bois le vin et sois bon comme lui ! »
Cet accord favorisera aussi le secteur de la pêche, fortement contraint ces dernières années du fait des quotas, particulièrement contraignants pour la sole, le bar ou le cabillaud. Mes collègues bretons, normands et ultra-marins savent combien nos pêcheurs ont souffert de la politique commune.
Volaille, oeufs, produits laitiers, viande bovine et porcine sont protégés de la libéralisation : pas de concurrence déloyale donc.
De plus, l'accord garantit aux entreprises européennes un accès sans précédent au marché canadien.
Nous regrettons que la question du gaz de schiste, sujet de discorde, n'ait pas été réglée. Les dispositions sur les litiges État-investisseurs, ont été améliorées ; nous en sommes heureux.
L'accord doit respecter l'équilibre des échanges. Il faudra donner les moyens à nos concitoyens et entreprises d'en tirer tout le parti. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Bosino . - L'AECG doit être considéré comme un accord mixte. L'application provisoire pose la question du rôle des parlements. Cela doit être rejeté pour préserver le droit des États à se prononcer librement.
Des concessions de préférence sont introduites dans l'accord. Mais, alors que l'accord général sur le commerce des services de l'OMC est conçu suivant une liste positive des secteurs et sous-secteurs ouverts à la concurrence, c'est tout le contraire pour l'accord avec le Canada : il est conçu en liste négative, ce qui est une grande première pour un accord européen. Cela signifie que tous les secteurs non listés sont par défaut ouverts à la concurrence des entreprises et des opérateurs étrangers. Et aucun nouveau service ne peut être réglementé ou nationalisé puisqu?il ne figure pas dans la liste. Il est donc difficile d'en évaluer les conséquences.
On nous assure que des secteurs seront protégés par exception. Ainsi, le texte mentionne les services sociaux fournis dans le cadre d'un monopole public ; mais cela ne concerne que les services réguliers. De plus, l'Union européenne établit une réserve sur les services de santé recevant une part de financement public. Où est le seuil ?
Autre point noir, le système de règlement des litiges. Les dispositions renégociées en 2016 sont presque identiques à celles de 2014.
M. Daniel Raoul. - C'est faux !
M. Jean-Pierre Bosino. - Seule nouveauté : la reconnaissance d'un droit des parties à réguler pour poursuivre des objectifs politiques légitimes. Est-ce à des arbitres inféodés à des intérêts privés de définir la légitimité ?
Les PME n'auront pas accès au nouveau système juridictionnel des investissements, qui est d'ailleurs antidémocratique, dangereux, injuste et partial.
Les entreprises reçoivent le droit d'attaquer une disposition publique portant atteinte à leurs investissements. C'est dangereux pour l'environnement, d'autant que l'encouragement aux comportements compatibles pour l'environnement n'est accompagné d'aucune contrainte.
L'ouverture d'un réel débat public est une urgence. Il ne faudrait pas que l'incontournable implication des parlements nationaux ne soit qu'un mythe agité par le Gouvernement pour calmer les critiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Daniel Raoul . - Je salue la ténacité de notre ministre du commerce extérieur qui a su solliciter la représentation nationale et entendre l'opinion publique. Il est parvenu à amender l'accord conclu en septembre 2014, malgré l'intransigeance de la Commission européenne, sourde aux critiques.
L'accord révisé en février réaffirme le droit des États à légiférer, notamment en matière de protection sociale, de sécurité, de santé publique, d'environnement. C'est un succès diplomatique, grâce à la constance du Gouvernement et à la concertation. Décrocher un accord à tout prix, sans se soucier du soutien de l'opinion publique, serait un beau gâchis.
D'un point de vue économique, cet accord est bon. Les entreprises agroalimentaires en bénéficieront à plein. Pas moins de quarante-deux IGP françaises seront reconnues au Canada, et avec elles notre savoir-faire.
Alors que 95 % des marchés publics européens sont ouverts aux entreprises extra-européennes, je salue la réciprocité obtenue du Canada, y compris au niveau des provinces et des municipalités, et le président Lenoir sait comme moi combien ce fut difficile. C'est un marché de 100 milliards d'euros, soit 8 % du PIB canadien.
J'avais des craintes vis-à-vis de négociations strictement commerciales, au mépris des règles sanitaires et d'environnement. Un accord ne saurait niveler par le bas et affaiblir notre droit. Ce n'est pas encore un accord modèle, mais sa version révisée garantit les droits des États à modifier leurs lois sans interférer négativement avec les investissements, ni porter atteinte aux attentes légitimes des investisseurs. Relisez-le !
Traditionnellement, le règlement des différends est renvoyé à des arbitrages privés. Un mécanisme d'appel a été introduit, une instance permanente : c'est une révolution dans le droit international des échanges. Le statut des membres de la Cour de justice des investissements, en revanche, ne me satisfait pas. Je ne peux imaginer son institution provisoire sans modification substantielle, ni ratification par les États membres. Nous ne pouvons faire de chèque en blanc.
Un juge, nommé pour cinq ou dix ans, pourra être récusé par les parties en cas de conflit d'intérêts. La publicité des débats est garantie. Mais peut-on s'en remettre au tirage au sort du président et à la répartition aléatoire des affaires pour éviter tout conflit d'intérêts ?
Seule la magistrature professionnelle et permanente est acceptable. Le débat s'annonce serré : certains États veulent sanctuariser les avancées économiques de l'accord. Mais les Parlements nationaux doivent être consultés. Le dispositif de règlement des différends, incomplet, ne saurait être adopté. Cela ruinerait tous les efforts faits pour conjuguer contrôle démocratique et crédibilité de l'Union européenne sur la scène internationale.
Quelles mesures sont prévues pour éviter que des entreprises étrangères, américaines notamment, n'ayant aucune activité réelle au Canada n'y implantent des filiales pour bénéficier de l'accord ? (Applaudissements)
M. André Gattolin . - Je salue l'initiative de ce débat qui arrive juste après l'adoption d'une version révisée de l'accord. Toutefois, des questions demeurent posées.
Pour la première fois dans un accord de libre-échange, on instaure une « liste négative » pour les services. Cela signifie que tous les services qui n'auraient pas été exclus pendant les négociations, y compris les nouveaux à venir, peuvent faire l'objet de libéralisation. Comment justifier un tel retournement ? La méthode de la liste positive était plus protectrice. Même le Tafta ne semble pas retenir une approche aussi extrême !
Un autre point concerne le règlement des différends. Notre Haute Assemblée a adopté là-dessus une résolution européenne et la nouvelle formule proposée reste emplie d'incertitudes juridiques. Cela explique que la plus grande association allemande des juges et procureurs publics, ainsi que l'association européenne des magistrats s'y sont fermement opposées. Le Parlement luxembourgeois a adopté une motion demandant à son Gouvernement de ne pas adopter l'accord en l'état.
Pourquoi ne pas faire confiance au système juridictionnel des Etats membres qui assure un égal accès à tous les plaignants ?
Sommes-nous certains qu'une cour d'investissement est compatible avec les traités européens ? La CJUE, dans un avis récent, a refusé tout contrôle externe par une autre juridiction, qui imposerait aux institutions européennes une interprétation du droit de l'Union.
Question essentielle aujourd'hui, celle de la nature juridique du CETA et les conditions de ratification qui en découlent. Le bruit court que le président de la Commission européenne, M. Juncker, tente, en amont de la réunion du 5 juillet, d'imposer un traité non mixte ; cela écarterait les parlements nationaux. J'invite le Gouvernement à refuser fermement cette atteinte à la démocratie.
Même si le caractère mixte du traité était avéré, le traité pourrait s'appliquer, une fois obtenu le feu vert du Parlement européen, avant même que les parlements nationaux ne l'approuvent. Les Néerlandais se sont prononcés contre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que la France en fera de même ? Cette question est cruciale car une clause autorise les investisseurs à recourir au mécanisme de règlement pendant la période d'application provisoire du CETA.
Certes, il y a des incertitudes juridiques puisque le cas d'un traité mixte n'est jamais survenu depuis l'extension des compétences de l'Union par le traité de Lisbonne. Mais, pourquoi la Commission n'attend-elle pas la décision de la Cour de justice de l'Union, saisie pour avis sur un accord quasiment semblable, conclu avec Singapour ? Au lieu de cela, elle semble vouloir accélérer la cadence. Elle craint sans doute l'opposition des parlements nationaux après les mises en garde que lui ont adressées ceux de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. En effet, elle négocie actuellement sur ce même modèle d'accord avec une vingtaine de pays, dont le Japon et le Brésil.
On l'aura compris, l'enjeu du CETA dépasse largement la question du Canada. Ne laissons pas la Commission européenne imposer une approche opaque et centralisatrice qui affecterait la stratégie commerciale de l'Union pour les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Requier . - Alors que le Parlement luxembourgeois vient de voter une motion refusant d'approuver le CETA après les Wallons et les Néerlandais, ce débat tombe à point nommé.
Qualifié de petit frère du Tafta, le projet d'accord économique et commercial avec le Canada n'a pas suscité les mêmes controverses. Le Canada paraît moins menaçant, plus enclin au multilatéralisme, moins protectionniste ; bref, plus européen. C'est pourquoi la Commission Barroso a signé une première mouture de l'accord dès le 26 septembre 2014.
Les temps ont changé : le CETA est désormais contesté, y compris dans des pays réputés libéraux comme l'Allemagne, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Au fond, ses enjeux sont les mêmes que ceux du Tafta : un accord ambitieux abaissant presque tous les droits de douane qui créerait 10 milliards d'euros de richesse par an.
La Commission européenne est revenue sur l'ISDS, prévu dans la première mouture de l'accord. C'est que de grands États développés, telles l'Australie et l'Allemagne, ont été attaqués par des entreprises. Désormais, le règlement des différends est confié à une Cour d'arbitrage sur l'investissement. Amélioration réelle ou cosmétique ? La cour d'arbitrage serait permanente et plus transparente que l'ISDS mais on ignore encore si elle sera constituée de magistrats professionnels...
Alors que notre agriculture est déjà lourdement touchée par la concurrence infra-européenne et l'embargo russe, on peut craindre l'effet de cet accord sur les filières porcines, bovines, de la volaille, du sucre et de l'éthanol. Quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter à nos producteurs ? Encore plus préoccupant pour le groupe RDSE, les appellations géographiques seraient menacées.
Enfin, les conditions de ratification. La France doit impérativement défendre les prérogatives du Parlement.
Nous attendons des éclaircissements rapides. Le Sénat doit rester étroitement associé à ces discussions. (Applaudissements)
M. Jean Bizet . - L'accord économique et commercial global avec le Canada a été conclu après cinq ans de négociations. Il entamera bientôt le long chemin de la ratification : après son examen par le Conseil et le parlement européen, il devra passer le cap des parlements nationaux pour des raisons tant politiques que juridiques. Nous aimerions que son caractère mixte soit réaffirmé clairement. Seuls les verrous démocratiques sont à même de garantir l'assentiment collectif.
L'application des dispositions provisoires dépendra de l'accord du Conseil, elle ne sera pas automatique ; nous aurons donc d'autres débats.
M. Fekl, dont je salue l'engagement, a souvent rappelé le contenu de l'accord parmi lesquelles la fin des droits de douane, l'ouverture des marchés publics, les normes sanitaires et phytosanitaires et la reconnaissance de 42 indications géographiques françaises. C'est un signal adressé à tous les partenaires actuels et futurs de l'Union. À ceux qui militaient pour la reconnaissance d'un plus grand nombre d'indications géographiques, je veux dire que 42, c'est déjà beaucoup, et ce sont les plus lisibles. Trop d'IGP tue l'IGP.
Concernant le règlement des différends, l'article 8 de l'accord prévoit la professionnalisation des juges arbitres, un mécanisme d'appel et le rejet d'emblée des procédures abusives. Le principe d'une future cour arbitrale permanente est mentionné.
L'accord offrira des opportunités à nos entreprises. Mais le Canada étant un État fédéral, ses provinces seront-elles tenues de jouer le jeu de l'ouverture des marchés publics ? On nous a assuré de la détermination de l'ensemble des provinces canadiennes à adhérer à l'accord, mais nous serions heureux d'obtenir des assurances complémentaires. Je suis Normand : une grande confiance n'exclut pas une petite méfiance... Le contingent de 50 000 tonnes de viande bovine canadienne peut inquiéter mais il doit être mis en balance avec les opportunités nouvelles offertes à nos agriculteurs sur le marché canadien. J'ouvre une parenthèse : la viande bovine sera-t-elle exclue, comme on l'entend dire, des négociations qui viennent de reprendre avec le Mercosur ? Ce serait un signal positif pour nos producteurs durement touchés par la crise.
Cet accord avec le Canada représente un exemple pour le futur traité transatlantique. Il a été négocié durant cinq ans, celles sur le TTIP ont commencé il y a à peine trois ans. Laissons aux négociateurs le temps d'établir les bases d'un traité équitable, aux concessions réciproques équilibrées. Alors que les négociations commerciales multilatérales sont au point mort, les accords de libre-échange de nouvelle génération sont la seule voie d'avenir pour nos entreprises. Il n'y a pas de plan B. Le Sénat saura être au rendez-vous de l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, socialiste et républicain)
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie . - Veuillez excuser M. Fekl en déplacement aux États-Unis pour défendre notre position sur le TTIP. Merci au groupe CRC de ce débat important sur l'AECG, plus connu sous son acronyme anglais, Ceta.
Les demandes de la France ont été satisfaites sur l'accès aux marchés publics et des appellations géographiques. La réciprocité a été le principe directeur des discussions. Le Canada s'engage à ouvrir ses marchés publics à tous les niveaux, Etat fédéral, provinces et communes. Le Canada a reconnu 173 indications géographiques dont 42 supplémentaires pour la France après le traité de 2003. Ainsi sera mis fin aux abus sur les appellations Champagne et Chablis. C'est la preuve que marques et IGP peuvent coexister.
Désormais, l'usurpation de l'appellation du camembert de Normandie, cher au président Lenoir,...
M. Jean-Claude Lenoir. - N'oubliez pas le boudin noir de Mortagne !
M. André Vallini, secrétaire d'État. - ...ou du jambon de Bayonne sera sanctionnée. Les entreprises françaises de l'industrie et de services butaient encore trop contre des réglementations désavantageuses. Le Ceta en réduit le nombre pour le textile, où l'industrie européenne détient à peine 7 % du marché ou encore les services de télécommunication.
La création d'une Cour de justice publique et permanente de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats est une rupture radicale avec le mécanisme d'arbitrage privé (M. Daniel Raoul renchérit) qui datait de 1950. Ce dernier avait été dévoyé, les entreprises l'utilisant pour mettre en cause la capacité d'un Etat à réguler. Ainsi de Philip Morris contre la politique du tabac de l'Australie et de l'Uruguay ou de Vattenfall contre la décision allemande de sortir du nucléaire. La Cour constitue un progrès indéniable en matière de transparence, à l'image de la Cour pénale internationale de la Haye. Ses magistrats seront désignés et rémunérés par les États, et non par les entreprises. La clause de protection du droit à réguler les États est, elle aussi, une innovation majeure. La nouvelle Cour n'empiète pas sur la Cour de Luxembourg. Elle est une première étape vers la création d'une cour multilatérale, que le Canada s'est engagé à soutenir aux côtés de la France.
Quant au secteur agricole, l'accord tarifaire est équilibré. La France a veillé à ses intérêts défensifs comme offensifs.
Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92 % des produits agricoles et agroalimentaires européens, ce dont nos industriels de la biscuiterie et de la boulangerie ne manqueront pas de tirer parti. Le Canada a accepté l'importation de 18 500 tonnes de fromage européen sans droit de douane en sus des 13 472 tonnes déjà autorisés dans le cadre de l'OMC.
Non, l'importation du boeuf canadien n'a pas été intégralement libéralisée : seul un quota de 45 840 tonnes de viande canadienne sans hormones a été accepté sans droits de douane. Le sujet de la viande bovine a effectivement été exclu des négociations avec le Mercosur pour revenir éventuellement en phase finale des discussions.
Les normes sociales et environnementales européennes ne seront pas remises en cause, que ce soit sur les OGM, la décontamination chimique des viandes - le poulet javellisé - ou les hormones. L'accord contient trois chapitres prévoyant des normes élevées de protection.
La coopération réglementaire n'intervient qu'en cas de normes équivalentes. Nous aurons des échanges réguliers sur les normes au sein du forum qui n'aura aucun pouvoir réglementaire. L'objectif de la France est de fixer des standards sociaux et environnementaux très exigeants.
Les services publics ne sont pas énumérés limitativement dans l'accord ; leur défense, à l'international comme en interne, est une priorité du Gouvernement.
Le CETA est un accord mixte dont la mise en oeuvre provisoire sera soumise au Parlement européen comme aux parlements nationaux. M. Fekl a demandé à la Commission européenne de lever toute ambiguïté sur le sujet lors du Conseil du 13 mai dernier. Il a écrit, avec son homologue allemand, à la commissaire Malmström pour lui demander de lever toute ambiguïté. Le mandat de négociation de la Commission européenne est très clair sur ce point, le Conseil de l'Union européenne rejetterait un texte qui ne lui serait pas conforme.
M. Daniel Raoul. - Croisons les doigts.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Le Gouvernement, qui a entendu vos interpellations fortes, se prépare à la prochaine étape qui aura lieu en juillet. Soyez assurés de son engagement.
Les dispositions provisoires s'appliqueront uniquement aux compétences communautaires. Elles seront soumises à l'approbation du Parlement européen. Les parlements nationaux, eux, se prononceront sur l'ensemble de l'accord courant 2017. C'est pourquoi le Gouvernement a renforcé le contrôle démocratique en amont de cette ratification.
Un mot sur le Tafta. Les mandats de négociation délivrés à la Commission européenne ont été rendus publics. Depuis le début de l'année, une salle de lecture a été ouverte au secrétariat général des affaires européennes pour consulter les documents, bien que la prise de notes soit interdite afin de respecter certains droits de propriété industriels. Sans doute faudrait-il assouplir ces conditions pour les parlementaires.
Depuis 2013, le dialogue est constant avec les élus au sein du Conseil de suivi stratégique que M. Fekl a ouvert à la société civile, aux syndicats et aux ONG. La Commissaire Malmström s'engage dans cette voie, ce qui marque une rupture avec la pratique de son prédécesseur.
Le Ceta est à la hauteur des liens qui unissent la France au Canada où l'on a un attachement charnel à la francophonie. Inspirons-nous-en pour avancer avec les Américains. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et Les Républicains)
Prochaine séance, lundi 13 juin 2016 à 16 heures.
La séance est levée à 17 h 55.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus
Ordre du jour du lundi 13 juin 2016
Séance publique
À 16 heures et le soir
Projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif ve-s (n° 610, 2015-2016)
Rapport de MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2015-2016)
Texte de la commission (n° 662, 2015-2016).