Accord commercial Union européenne-Canada
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L'État et les conditions de ratification de l'accord économique et commercial entre l'Union européenne et le Canada ».
M. Bernard Vera . - Le 13 mai, le Conseil européen des affaires étrangères a examiné l'accord économique et commercial global avec le Canada en vue d'une signature officielle en octobre. Ce projet a rarement été abordé au Sénat et dans le débat public.
Le Canada est le douzième partenaire commercial de l'Union européenne ; l'Union européenne le deuxième partenaire du Canada.
En 2014, le Canada est le douzième partenaire commercial de l'Union européenne, représentant 1,7 % des échanges extérieurs de l'Union, laquelle est le deuxième partenaire commercial du Canada, après les États-Unis et intervient dans 9,4 % du total des échanges internationaux canadiens. Le commerce Union européenne-Canada s'établit à 59 milliards d'euros, dont 27 pour les services. L'investissement européen au Canada et l'investissement canadien dans l'Union européenne ont atteint respectivement 225 et 117 milliards d'euros en 2013. En 2014, les échanges entre la France et le Canada s'établissent à 11 milliards, 6 pour les biens et 5 pour les services. Le commerce avec le Canada ne représente qu'un peu plus de 1 % du commerce extérieur total de la France, principalement dans les secteurs aéronautique et pharmaceutique.
L'accord vise à abaisser les barrières commerciales et à protéger les investissements. Il porte aussi bien sur la sûreté alimentaire que sur les procédures douanières ou les inspections sanitaires. Un regain de 20 % des échanges est attendu par rapport à 2014 et l'apport de cet accord pour l'économie européenne est évalué à 18 milliards d'euros par an.
Nous demandons des informations plus précises sur son impact en France, des études plus poussées pour le secteur agricole où la quasi-totalité des droits de douane seront supprimés. Sur la viande de porc et de boeuf, les quotas prévus fragiliseront nos producteurs.
Le projet d'accord prend en compte 145 indications géographiques protégées, qui s'ajoutent aux alcools, vins et spiritueux, listés dans l'accord conclu en 2003 entre Bruxelles et Ottawa. Or plus de 1 400 IGP sont reconnues par l'Union européenne, ou enregistrées et en voie de l'être. Et seulement trente IGP françaises sont reconnues dans le projet d'accord, principalement des fromages, des produits fruitiers, quelques charcuteries et spécialités de viande. A-t-on des études d'impact sérieuses, secteur par secteur ? Nous ne pouvons donner carte blanche pour signer cet accord sans en avoir évalué les effets dans chaque domaine concerné. Or la Commission européenne fait preuve d'un manque de transparence. Le texte de l'accord n'est même pas disponible en français !
M. Daniel Raoul. - Mais si !
M. Bernard Vera. - L'accord sera-t-il de la seule compétence de l'Union européenne ou mixte ? Monsieur le ministre, nous assurez-vous que la France restera sur la seconde position ?
Une application provisoire de cet accord permettrait d'en faire entrer en vigueur, avant ratification des États, les parties relevant de la compétence de l'Union européenne. Le vote préalable du Parlement européen est en doute. La France suivra-t-elle l'Allemagne sur ce sujet ?
Le mécanisme de règlement des litiges entre investisseurs et États s'appliquent pour trois ans. L'application provisoire risque de créer une situation de fait excluant les parlements nationaux du processus. Or leur décision doit être prise librement. Monsieur le ministre, refusez-vous l'application provisoire ?
Nous réclamons la plus grande transparence sur ce projet d'accord qui aura une influence considérable sur notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que du groupe écologiste)
M. Jean-Claude Lenoir . - Le débat sur ce traité a pris un tour plus vif pour des raisons liées à son contenu, mais surtout à cause du TTIP en cours de négociation. L'érable ne doit pas cacher la forêt américaine.
Le débat porte davantage sur la forme, comme en témoigne son intitulé. La France, parmi d'autres, a fait part de ses préoccupations sur l'accès aux marchés publics, la part des services, le règlement des litiges entre État et investisseurs, les indications géographiques protégées. Et je ne parle pas que du boudin noir de Mortagne : il y a aussi le cidre et le camembert ! (Sourires) Le 29 février, le principe d'une instance permanente de règlement a été consacré. C'est une victoire importante.
Sur le fond, mon groupe est favorable à l'accord. Sur la forme, est-ce un accord mixte ? La Commission européenne a sollicité la Cour de Luxembourg sur l'accord avec Singapour, son avis nous éclairera - mais nous risquons d'avoir à l'attendre un moment.
Pour que ces traités soient acceptés par nos sociétés, ils doivent être ratifiés par nos parlements. Or la Commission européenne n'est pas de cet avis considérant que ce n'est pas un accord mixte.
Il serait choquant, inadmissible, qu'elle décide à la place des gouvernements.
Une mise en application provisoire peut-elle être décidée par la Commission européenne ? Il semble que cette dernière veuille une signature dès octobre et une entrée en vigueur dès le 1er janvier 2017, au moins pour les clauses strictement européennes. Or le Conseil n'a pas semblé s'y opposer fermement...
Il faut une ratification parlementaire, sans mise en application provisoire. La responsabilité pèse sur les épaules du Gouvernement dont nous attendons la plus grande fermeté : dans le contexte des négociations commerciales avec les États-Unis, tout manque de faiblesse sera interprétée pour les Américains comme le signe qu'ils peuvent nous marcher dessus. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Joël Guerriau . - Il nous incombe de mettre ce sujet à la portée de nos concitoyens. Je remercie le groupe CRC d'avoir pris l'initiative de ce débat. Il est regrettable que les conditions de consultation du projet d'accord s'apparentent à une recherche dans les archives du Vatican : un texte non traduit en français, que l'on peut aller lire dans une salle sans prendre de notes...
Mais le Canada, c'est la onzième puissance économique mondiale ; son développement technologique est excellent, son environnement politico-économique est stable. La suppression des droits de douane devrait augmenter de 23 % les échanges entre l'Union européenne et le Canada ; c'est une opportunité pour l'aéronautique, la pharmacie et l'industrie viticole françaises.
Ce nouvel accord offre des opportunités nouvelles pour nos fleurons nationaux et une myriade d'entreprises. L'industrie pharmaceutique représente 13 % des exportations et l'aéronautique 11,5 %. L'industrie agroalimentaire française trouvera des débouchés, en particulier pour les vins et spiritueux qui représentent 66 % de nos exportations agro-alimentaires. C'est le second secteur excédentaire de la France, après l'aéronautique et devant la chimie-parfumerie. Comme on dit en pays du muscadet, « Bois le vin et sois bon comme lui ! »
Cet accord favorisera aussi le secteur de la pêche, fortement contraint ces dernières années du fait des quotas, particulièrement contraignants pour la sole, le bar ou le cabillaud. Mes collègues bretons, normands et ultra-marins savent combien nos pêcheurs ont souffert de la politique commune.
Volaille, oeufs, produits laitiers, viande bovine et porcine sont protégés de la libéralisation : pas de concurrence déloyale donc.
De plus, l'accord garantit aux entreprises européennes un accès sans précédent au marché canadien.
Nous regrettons que la question du gaz de schiste, sujet de discorde, n'ait pas été réglée. Les dispositions sur les litiges État-investisseurs, ont été améliorées ; nous en sommes heureux.
L'accord doit respecter l'équilibre des échanges. Il faudra donner les moyens à nos concitoyens et entreprises d'en tirer tout le parti. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Bosino . - L'AECG doit être considéré comme un accord mixte. L'application provisoire pose la question du rôle des parlements. Cela doit être rejeté pour préserver le droit des États à se prononcer librement.
Des concessions de préférence sont introduites dans l'accord. Mais, alors que l'accord général sur le commerce des services de l'OMC est conçu suivant une liste positive des secteurs et sous-secteurs ouverts à la concurrence, c'est tout le contraire pour l'accord avec le Canada : il est conçu en liste négative, ce qui est une grande première pour un accord européen. Cela signifie que tous les secteurs non listés sont par défaut ouverts à la concurrence des entreprises et des opérateurs étrangers. Et aucun nouveau service ne peut être réglementé ou nationalisé puisqu?il ne figure pas dans la liste. Il est donc difficile d'en évaluer les conséquences.
On nous assure que des secteurs seront protégés par exception. Ainsi, le texte mentionne les services sociaux fournis dans le cadre d'un monopole public ; mais cela ne concerne que les services réguliers. De plus, l'Union européenne établit une réserve sur les services de santé recevant une part de financement public. Où est le seuil ?
Autre point noir, le système de règlement des litiges. Les dispositions renégociées en 2016 sont presque identiques à celles de 2014.
M. Daniel Raoul. - C'est faux !
M. Jean-Pierre Bosino. - Seule nouveauté : la reconnaissance d'un droit des parties à réguler pour poursuivre des objectifs politiques légitimes. Est-ce à des arbitres inféodés à des intérêts privés de définir la légitimité ?
Les PME n'auront pas accès au nouveau système juridictionnel des investissements, qui est d'ailleurs antidémocratique, dangereux, injuste et partial.
Les entreprises reçoivent le droit d'attaquer une disposition publique portant atteinte à leurs investissements. C'est dangereux pour l'environnement, d'autant que l'encouragement aux comportements compatibles pour l'environnement n'est accompagné d'aucune contrainte.
L'ouverture d'un réel débat public est une urgence. Il ne faudrait pas que l'incontournable implication des parlements nationaux ne soit qu'un mythe agité par le Gouvernement pour calmer les critiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Daniel Raoul . - Je salue la ténacité de notre ministre du commerce extérieur qui a su solliciter la représentation nationale et entendre l'opinion publique. Il est parvenu à amender l'accord conclu en septembre 2014, malgré l'intransigeance de la Commission européenne, sourde aux critiques.
L'accord révisé en février réaffirme le droit des États à légiférer, notamment en matière de protection sociale, de sécurité, de santé publique, d'environnement. C'est un succès diplomatique, grâce à la constance du Gouvernement et à la concertation. Décrocher un accord à tout prix, sans se soucier du soutien de l'opinion publique, serait un beau gâchis.
D'un point de vue économique, cet accord est bon. Les entreprises agroalimentaires en bénéficieront à plein. Pas moins de quarante-deux IGP françaises seront reconnues au Canada, et avec elles notre savoir-faire.
Alors que 95 % des marchés publics européens sont ouverts aux entreprises extra-européennes, je salue la réciprocité obtenue du Canada, y compris au niveau des provinces et des municipalités, et le président Lenoir sait comme moi combien ce fut difficile. C'est un marché de 100 milliards d'euros, soit 8 % du PIB canadien.
J'avais des craintes vis-à-vis de négociations strictement commerciales, au mépris des règles sanitaires et d'environnement. Un accord ne saurait niveler par le bas et affaiblir notre droit. Ce n'est pas encore un accord modèle, mais sa version révisée garantit les droits des États à modifier leurs lois sans interférer négativement avec les investissements, ni porter atteinte aux attentes légitimes des investisseurs. Relisez-le !
Traditionnellement, le règlement des différends est renvoyé à des arbitrages privés. Un mécanisme d'appel a été introduit, une instance permanente : c'est une révolution dans le droit international des échanges. Le statut des membres de la Cour de justice des investissements, en revanche, ne me satisfait pas. Je ne peux imaginer son institution provisoire sans modification substantielle, ni ratification par les États membres. Nous ne pouvons faire de chèque en blanc.
Un juge, nommé pour cinq ou dix ans, pourra être récusé par les parties en cas de conflit d'intérêts. La publicité des débats est garantie. Mais peut-on s'en remettre au tirage au sort du président et à la répartition aléatoire des affaires pour éviter tout conflit d'intérêts ?
Seule la magistrature professionnelle et permanente est acceptable. Le débat s'annonce serré : certains États veulent sanctuariser les avancées économiques de l'accord. Mais les Parlements nationaux doivent être consultés. Le dispositif de règlement des différends, incomplet, ne saurait être adopté. Cela ruinerait tous les efforts faits pour conjuguer contrôle démocratique et crédibilité de l'Union européenne sur la scène internationale.
Quelles mesures sont prévues pour éviter que des entreprises étrangères, américaines notamment, n'ayant aucune activité réelle au Canada n'y implantent des filiales pour bénéficier de l'accord ? (Applaudissements)
M. André Gattolin . - Je salue l'initiative de ce débat qui arrive juste après l'adoption d'une version révisée de l'accord. Toutefois, des questions demeurent posées.
Pour la première fois dans un accord de libre-échange, on instaure une « liste négative » pour les services. Cela signifie que tous les services qui n'auraient pas été exclus pendant les négociations, y compris les nouveaux à venir, peuvent faire l'objet de libéralisation. Comment justifier un tel retournement ? La méthode de la liste positive était plus protectrice. Même le Tafta ne semble pas retenir une approche aussi extrême !
Un autre point concerne le règlement des différends. Notre Haute Assemblée a adopté là-dessus une résolution européenne et la nouvelle formule proposée reste emplie d'incertitudes juridiques. Cela explique que la plus grande association allemande des juges et procureurs publics, ainsi que l'association européenne des magistrats s'y sont fermement opposées. Le Parlement luxembourgeois a adopté une motion demandant à son Gouvernement de ne pas adopter l'accord en l'état.
Pourquoi ne pas faire confiance au système juridictionnel des Etats membres qui assure un égal accès à tous les plaignants ?
Sommes-nous certains qu'une cour d'investissement est compatible avec les traités européens ? La CJUE, dans un avis récent, a refusé tout contrôle externe par une autre juridiction, qui imposerait aux institutions européennes une interprétation du droit de l'Union.
Question essentielle aujourd'hui, celle de la nature juridique du CETA et les conditions de ratification qui en découlent. Le bruit court que le président de la Commission européenne, M. Juncker, tente, en amont de la réunion du 5 juillet, d'imposer un traité non mixte ; cela écarterait les parlements nationaux. J'invite le Gouvernement à refuser fermement cette atteinte à la démocratie.
Même si le caractère mixte du traité était avéré, le traité pourrait s'appliquer, une fois obtenu le feu vert du Parlement européen, avant même que les parlements nationaux ne l'approuvent. Les Néerlandais se sont prononcés contre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que la France en fera de même ? Cette question est cruciale car une clause autorise les investisseurs à recourir au mécanisme de règlement pendant la période d'application provisoire du CETA.
Certes, il y a des incertitudes juridiques puisque le cas d'un traité mixte n'est jamais survenu depuis l'extension des compétences de l'Union par le traité de Lisbonne. Mais, pourquoi la Commission n'attend-elle pas la décision de la Cour de justice de l'Union, saisie pour avis sur un accord quasiment semblable, conclu avec Singapour ? Au lieu de cela, elle semble vouloir accélérer la cadence. Elle craint sans doute l'opposition des parlements nationaux après les mises en garde que lui ont adressées ceux de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. En effet, elle négocie actuellement sur ce même modèle d'accord avec une vingtaine de pays, dont le Japon et le Brésil.
On l'aura compris, l'enjeu du CETA dépasse largement la question du Canada. Ne laissons pas la Commission européenne imposer une approche opaque et centralisatrice qui affecterait la stratégie commerciale de l'Union pour les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Requier . - Alors que le Parlement luxembourgeois vient de voter une motion refusant d'approuver le CETA après les Wallons et les Néerlandais, ce débat tombe à point nommé.
Qualifié de petit frère du Tafta, le projet d'accord économique et commercial avec le Canada n'a pas suscité les mêmes controverses. Le Canada paraît moins menaçant, plus enclin au multilatéralisme, moins protectionniste ; bref, plus européen. C'est pourquoi la Commission Barroso a signé une première mouture de l'accord dès le 26 septembre 2014.
Les temps ont changé : le CETA est désormais contesté, y compris dans des pays réputés libéraux comme l'Allemagne, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Au fond, ses enjeux sont les mêmes que ceux du Tafta : un accord ambitieux abaissant presque tous les droits de douane qui créerait 10 milliards d'euros de richesse par an.
La Commission européenne est revenue sur l'ISDS, prévu dans la première mouture de l'accord. C'est que de grands États développés, telles l'Australie et l'Allemagne, ont été attaqués par des entreprises. Désormais, le règlement des différends est confié à une Cour d'arbitrage sur l'investissement. Amélioration réelle ou cosmétique ? La cour d'arbitrage serait permanente et plus transparente que l'ISDS mais on ignore encore si elle sera constituée de magistrats professionnels...
Alors que notre agriculture est déjà lourdement touchée par la concurrence infra-européenne et l'embargo russe, on peut craindre l'effet de cet accord sur les filières porcines, bovines, de la volaille, du sucre et de l'éthanol. Quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter à nos producteurs ? Encore plus préoccupant pour le groupe RDSE, les appellations géographiques seraient menacées.
Enfin, les conditions de ratification. La France doit impérativement défendre les prérogatives du Parlement.
Nous attendons des éclaircissements rapides. Le Sénat doit rester étroitement associé à ces discussions. (Applaudissements)
M. Jean Bizet . - L'accord économique et commercial global avec le Canada a été conclu après cinq ans de négociations. Il entamera bientôt le long chemin de la ratification : après son examen par le Conseil et le parlement européen, il devra passer le cap des parlements nationaux pour des raisons tant politiques que juridiques. Nous aimerions que son caractère mixte soit réaffirmé clairement. Seuls les verrous démocratiques sont à même de garantir l'assentiment collectif.
L'application des dispositions provisoires dépendra de l'accord du Conseil, elle ne sera pas automatique ; nous aurons donc d'autres débats.
M. Fekl, dont je salue l'engagement, a souvent rappelé le contenu de l'accord parmi lesquelles la fin des droits de douane, l'ouverture des marchés publics, les normes sanitaires et phytosanitaires et la reconnaissance de 42 indications géographiques françaises. C'est un signal adressé à tous les partenaires actuels et futurs de l'Union. À ceux qui militaient pour la reconnaissance d'un plus grand nombre d'indications géographiques, je veux dire que 42, c'est déjà beaucoup, et ce sont les plus lisibles. Trop d'IGP tue l'IGP.
Concernant le règlement des différends, l'article 8 de l'accord prévoit la professionnalisation des juges arbitres, un mécanisme d'appel et le rejet d'emblée des procédures abusives. Le principe d'une future cour arbitrale permanente est mentionné.
L'accord offrira des opportunités à nos entreprises. Mais le Canada étant un État fédéral, ses provinces seront-elles tenues de jouer le jeu de l'ouverture des marchés publics ? On nous a assuré de la détermination de l'ensemble des provinces canadiennes à adhérer à l'accord, mais nous serions heureux d'obtenir des assurances complémentaires. Je suis Normand : une grande confiance n'exclut pas une petite méfiance... Le contingent de 50 000 tonnes de viande bovine canadienne peut inquiéter mais il doit être mis en balance avec les opportunités nouvelles offertes à nos agriculteurs sur le marché canadien. J'ouvre une parenthèse : la viande bovine sera-t-elle exclue, comme on l'entend dire, des négociations qui viennent de reprendre avec le Mercosur ? Ce serait un signal positif pour nos producteurs durement touchés par la crise.
Cet accord avec le Canada représente un exemple pour le futur traité transatlantique. Il a été négocié durant cinq ans, celles sur le TTIP ont commencé il y a à peine trois ans. Laissons aux négociateurs le temps d'établir les bases d'un traité équitable, aux concessions réciproques équilibrées. Alors que les négociations commerciales multilatérales sont au point mort, les accords de libre-échange de nouvelle génération sont la seule voie d'avenir pour nos entreprises. Il n'y a pas de plan B. Le Sénat saura être au rendez-vous de l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, socialiste et républicain)
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie . - Veuillez excuser M. Fekl en déplacement aux États-Unis pour défendre notre position sur le TTIP. Merci au groupe CRC de ce débat important sur l'AECG, plus connu sous son acronyme anglais, Ceta.
Les demandes de la France ont été satisfaites sur l'accès aux marchés publics et des appellations géographiques. La réciprocité a été le principe directeur des discussions. Le Canada s'engage à ouvrir ses marchés publics à tous les niveaux, Etat fédéral, provinces et communes. Le Canada a reconnu 173 indications géographiques dont 42 supplémentaires pour la France après le traité de 2003. Ainsi sera mis fin aux abus sur les appellations Champagne et Chablis. C'est la preuve que marques et IGP peuvent coexister.
Désormais, l'usurpation de l'appellation du camembert de Normandie, cher au président Lenoir,...
M. Jean-Claude Lenoir. - N'oubliez pas le boudin noir de Mortagne !
M. André Vallini, secrétaire d'État. - ...ou du jambon de Bayonne sera sanctionnée. Les entreprises françaises de l'industrie et de services butaient encore trop contre des réglementations désavantageuses. Le Ceta en réduit le nombre pour le textile, où l'industrie européenne détient à peine 7 % du marché ou encore les services de télécommunication.
La création d'une Cour de justice publique et permanente de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats est une rupture radicale avec le mécanisme d'arbitrage privé (M. Daniel Raoul renchérit) qui datait de 1950. Ce dernier avait été dévoyé, les entreprises l'utilisant pour mettre en cause la capacité d'un Etat à réguler. Ainsi de Philip Morris contre la politique du tabac de l'Australie et de l'Uruguay ou de Vattenfall contre la décision allemande de sortir du nucléaire. La Cour constitue un progrès indéniable en matière de transparence, à l'image de la Cour pénale internationale de la Haye. Ses magistrats seront désignés et rémunérés par les États, et non par les entreprises. La clause de protection du droit à réguler les États est, elle aussi, une innovation majeure. La nouvelle Cour n'empiète pas sur la Cour de Luxembourg. Elle est une première étape vers la création d'une cour multilatérale, que le Canada s'est engagé à soutenir aux côtés de la France.
Quant au secteur agricole, l'accord tarifaire est équilibré. La France a veillé à ses intérêts défensifs comme offensifs.
Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92 % des produits agricoles et agroalimentaires européens, ce dont nos industriels de la biscuiterie et de la boulangerie ne manqueront pas de tirer parti. Le Canada a accepté l'importation de 18 500 tonnes de fromage européen sans droit de douane en sus des 13 472 tonnes déjà autorisés dans le cadre de l'OMC.
Non, l'importation du boeuf canadien n'a pas été intégralement libéralisée : seul un quota de 45 840 tonnes de viande canadienne sans hormones a été accepté sans droits de douane. Le sujet de la viande bovine a effectivement été exclu des négociations avec le Mercosur pour revenir éventuellement en phase finale des discussions.
Les normes sociales et environnementales européennes ne seront pas remises en cause, que ce soit sur les OGM, la décontamination chimique des viandes - le poulet javellisé - ou les hormones. L'accord contient trois chapitres prévoyant des normes élevées de protection.
La coopération réglementaire n'intervient qu'en cas de normes équivalentes. Nous aurons des échanges réguliers sur les normes au sein du forum qui n'aura aucun pouvoir réglementaire. L'objectif de la France est de fixer des standards sociaux et environnementaux très exigeants.
Les services publics ne sont pas énumérés limitativement dans l'accord ; leur défense, à l'international comme en interne, est une priorité du Gouvernement.
Le CETA est un accord mixte dont la mise en oeuvre provisoire sera soumise au Parlement européen comme aux parlements nationaux. M. Fekl a demandé à la Commission européenne de lever toute ambiguïté sur le sujet lors du Conseil du 13 mai dernier. Il a écrit, avec son homologue allemand, à la commissaire Malmström pour lui demander de lever toute ambiguïté. Le mandat de négociation de la Commission européenne est très clair sur ce point, le Conseil de l'Union européenne rejetterait un texte qui ne lui serait pas conforme.
M. Daniel Raoul. - Croisons les doigts.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Le Gouvernement, qui a entendu vos interpellations fortes, se prépare à la prochaine étape qui aura lieu en juillet. Soyez assurés de son engagement.
Les dispositions provisoires s'appliqueront uniquement aux compétences communautaires. Elles seront soumises à l'approbation du Parlement européen. Les parlements nationaux, eux, se prononceront sur l'ensemble de l'accord courant 2017. C'est pourquoi le Gouvernement a renforcé le contrôle démocratique en amont de cette ratification.
Un mot sur le Tafta. Les mandats de négociation délivrés à la Commission européenne ont été rendus publics. Depuis le début de l'année, une salle de lecture a été ouverte au secrétariat général des affaires européennes pour consulter les documents, bien que la prise de notes soit interdite afin de respecter certains droits de propriété industriels. Sans doute faudrait-il assouplir ces conditions pour les parlementaires.
Depuis 2013, le dialogue est constant avec les élus au sein du Conseil de suivi stratégique que M. Fekl a ouvert à la société civile, aux syndicats et aux ONG. La Commissaire Malmström s'engage dans cette voie, ce qui marque une rupture avec la pratique de son prédécesseur.
Le Ceta est à la hauteur des liens qui unissent la France au Canada où l'on a un attachement charnel à la francophonie. Inspirons-nous-en pour avancer avec les Américains. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et Les Républicains)
Prochaine séance, lundi 13 juin 2016 à 16 heures.
La séance est levée à 17 h 55.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus