Reconquête de la biodiversité (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Discussion générale
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité . - Ce texte s'inscrit dans une histoire législative. Il y a quarante ans était adoptée la première grande loi de protection de la nature à une large majorité dans les deux chambres. On aurait tort de croire à une unanimité béate. Le chef de l'opposition d'alors disait apporter son « soutien critique et désabusé » à un texte qu'il jugeait trop timide pour être efficace tandis qu'un parlementaire de la majorité critiquait un excès de réglementation et voulait que les historiens sachent que certains s'étaient opposés lorsque cette génération s'était condamnée à être la dernière qui pût agir en toute liberté.
Dix ans plus tard, en 1986, on lisait dans Le Monde que cette loi était jugée excellente par les industriels et les aménageurs, difficile à appliquer par les administrations, sujet de déception pour les défenseurs de l'environnement. Après cette loi de 1976, celle de 1993 sur les paysages, ce texte vient compléter notre arsenal législatif.
La biodiversité est essentielle à notre qualité de vie et tout simplement à la survie de l'humanité et cette vie est la résultante de l'interaction entre les espèces. La conscience de l'importance des pollinisateurs s'est imposée dans le débat public, la diversité des espaces naturels concourt à l'équilibre de la planète : le débat sur le climat a souligné le rôle des forêts et des zones humides pour les écosystèmes.
Cette biodiversité est menacée. Le rythme actuel de disparition des espèces animales et végétales est 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel d'extinction. Nous connaissons les causes : disparition des habitats naturels, surexploitation des ressources, pollution, développement des espèces exotiques envahissantes, réchauffement climatique.
La biodiversité est un enjeu planétaire mais aussi de santé et d'alimentation et un facteur de développement économique. C'est pourquoi l'action publique ne doit pas seulement être défensive, elle doit également favoriser le développement de l'économie de la biodiversité. Le génie écologique, c'est aussi de l'emploi durable, non délocalisable et rentable : bientôt 40 000 emplois dans les parcs nationaux et régionaux et les aires marines protégées, plus de 150 000 dans le secteur des jardins et des paysages, 2 millions dans la pêche, l'agriculture et la sylviculture sans parler des 5 millions d'emplois indirects dans le tourisme, la filière bois ou la filière cosmétique, des 70 000 emplois soutenus par le dixième programme des agences de l'eau et du réseau des start-up et entreprises innovantes dans le bio-mimétisme et la bio-imitation financé par le programme des investissements d'avenir. La chimie verte est l'avenir de la chimie française ! C'est de tout cela dont nous allons parler. Est-ce politique ? Oui, car nous devons changer nos habitudes par le dialogue, par des partenariats gagnant-gagnant ; car nous devons concilier des intérêts divergents pour viser l'intérêt général.
La biodiversité est-elle du ressort des pouvoirs nationaux ? La tentation est grande de renvoyer à l'échelon européen ; mais l'Europe a besoin de pionniers - nous le serons, avec l'Agence française pour la biodiversité (AFB) qui soulève un intérêt croissant à l'étranger. En France, la biodiversité participe de notre identité nationale, nous sommes au dixième rang pour la biodiversité, au quatrième rang pour les récifs coralliens mais aussi au sixième rang pour le nombre d'espèces menacées.
La France a donc une responsabilité particulière à assumer. Ségolène Royal a tenu à coproduire ce texte, très largement concerté, négocié.
Une grande partie du texte a déjà été adopté par les deux assemblées : c'est un socle sur lequel nous pouvons compter. D'abord, la définition dynamique de la biodiversité à l'article premier : cela rassurera ceux qui craignaient que l'on mette la nature sous cloche. La nature n'est pas mise sous cloche. Je salue le travail de vos commissions sur la réparation du risque écologique. Grâce à une initiative de Bruno Retailleau, la jurisprudence Erika sera introduite dans notre droit. Idem de la non-brevetabilité des gènes natifs, levier pour lutter contre le brevetage du vivant et la bio-piraterie, de la nouvelle gouvernance de l'eau plus équilibrée pour les usagers non professionnels, du point d'équilibre proche sur le régime d'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, mais aussi, de manière très concrète, de l'obligation pour les centres commerciaux d'adopter des sources d'énergie privilégiant le renouvelable ou de végétaliser leur toit.
L'AFB est sur de bons rails, le président de la République a garanti qu'elle aurait les moyens financiers et humains de son action (Murmures ironiques à droite). Pourquoi ne pas y intégrer l'Office national de la chasse ? Les préventions étaient trop fortes, les mariages forcés ne sont pas les plus heureux... Le pragmatisme l'a emporté aussi sur l'organisation territoriale de l'agence : il ne faut pas imposer d'en haut en faisant fi des spécificités territoriales.
M. Charles Revet. - Très important !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. - L'AFB, qui aura des antennes sur tout le territoire, pourra monter des structures conjointes avec les régions, en associant les départements qui le souhaitent. Outre-mer, ces délégations territoriales pourront être créées à la demande de plusieurs collectivités.
Je me réjouis aussi de l'accord sur l'action de groupe que nous concrétiserons dans la loi Justice du XXIe siècle.
Restent des points en suspens. Je regrette que le texte de la commission remette en cause des avancées que vous aviez votées en première lecture et que l'Assemblée nationale avait reprises et enrichies. Vous êtes revenus sur le principe de non régression environnementale, les sanctions pour atteinte à la biodiversité, la taxation de l'huile de palme - une niche fiscale incompréhensible et unique en Europe. Remettons l'ouvrage sur le métier, les attentes de nos concitoyens sont fortes.
Le Gouvernement est ouvert à la discussion sur les néonicotinoïdes. Nous voulons rendre opérationnelle l'interdiction décidée à l'Assemblée par une sortie progressive et un accompagnement des agriculteurs sous le contrôle de l'Anses. Nous protégerons ainsi les pollinisateurs, les vergers, l'attractivité de nos produits agricoles et la santé de tous, à commencer par celle des agriculteurs.
J'espère que nos débats seront marqués du sceau de la responsabilité : nous agissons ensemble pour la génération qui vient, pour le monde que nous laisserons à nos enfants. Je vous fais confiance pour ne pas céder aux calculs politiciens en cette période pré-électorale. (M. Jean-Jacques Filleul applaudit.)
Mme Sophie Primas. - Merci pour le groupe Les Républicains !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. - Comptez sur le Gouvernement : cette loi sera le produit d'une coproduction législative, et non de la suprématie d'une assemblée sur l'autre. Comptez aussi sur nous pour que cette loi soit réellement ambitieuse.
Personne ne se souvient que la loi de 1976 est la loi Granet ou la loi Fosset : elle est devenue la loi de la République. Je vous invite à faire de ce texte la loi d'une France exemplaire qui aura su entraîner le monde dans un accord historique et en tirer les conséquences avant Mexico. (Marques d'ironie à droite ; applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, socialiste et républicain et applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous examinons ce texte en deuxième lecture, la procédure accélérée n'a pas été engagée, ce qui est suffisamment rare pour être souligné et explique les nombreux points d'accord entre les deux assemblées.
Le texte comportait 72 articles initiaux, 160 après la première lecture ; nous en examinons 102. Le texte de l'Assemblée nationale témoigne de ce que les députés ont voulu faire un pas vers nous : ils ont adopté 58 articles conformes, soit plus du tiers. Ils ont conservé des apports importants du Sénat : ratification du protocole de Nagoya, composition du conseil d'administration de l'AFB ou encore suppression de l'interdiction de la chasse à la glu.
La semaine dernière, la commission a adopté 142 amendements sur les 343 qu'elle a examinés. Nous avons cherché à concilier les usages de la nature, simplifié autant que possible les normes environnementales, - une priorité du président du Sénat -, modernisé la notion de biodiversité qui est un atout de notre pays.
L'article 2 bis inscrit le préjudice écologique dans le code civil, c'est peut-être la plus grande avancée de ce texte : le Sénat en est à l'origine, preuve de son audace, lui qui est si souvent taxé de conservatisme. J'ai travaillé en étroite collaboration avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Anziani, avec lequel j'ai mené 17 auditions et avec M. Retailleau, auteur de la proposition de loi de 2013, afin de simplifier le dispositif, de mieux l'articuler avec le droit commun de la responsabilité civile et d'assurer l'efficacité des réparations. La commission des lois, qui n'est pas composée de médiocres juristes, a adopté nos amendements communs à l'unanimité.
La commission a modifié le titre I pour rendre plus lisible les principes. L'Assemblée nationale a validé notre équilibre de première lecture au titre II. Au titre III relatif à l'AFB, nous avons adopté un amendement qui confie les missions de police à une unité commune avec l'ONCFS. Nous avons entériné au titre III bis la réforme des comités de bassin et substitué des règles déontologiques au régime d'incompatibilité pour les membres des conseils d'administration des agences de l'eau.
Au titre IV, nous avons sécurisé juridiquement le dispositif APA en substituant la notion de communautés d'habitants à celle de communautés autochtones et locales.
Au titre V, à l'initiative de Mme Deroche, nous avons supprimé la taxation des huiles de palme, contraire aux règles de l'OMC et qui a davantage sa place en loi de finances ; elle pouvait valoir à la France des difficultés diplomatiques.
Nous avons modifié l'article 32, rétabli l'article 32 bis BA, clarifié le dispositif de compensation de l'article 33, supprimé l'article 34 - nous avons vu en Alsace, pour la protection du grand hamster, que les outils de continuité écologique n'étaient pas efficaces.
Sur l'article 51 quaterdecies, relatif aux néonicotinoïdes, la commission a rétabli contre mon avis le dispositif du Sénat de première lecture, et l'a complétée par un amendement de Mme Primas. Elle a enfin supprimé des dispositions redondantes ou d'ordre réglementaire.
Nous sommes parvenus à un texte ambitieux et réaliste. Nous aurons fait du bon travail pour la biodiversité, notre bien commun et celui que nous léguerons à nos enfants. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. François Pillet, en remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Il m'est d'autant plus facile de donner l'avis de la commission des lois sur l'article 2 bis que celle-ci a unanimement salué le travail conjoint de MM. Bignon et Anziani, qui illustre une nouvelle fois les succès du Sénat lorsqu'il s'empare sans esprit partisan de sujets d'actualité. Le mérite en revient d'abord à Bruno Retailleau, auteur d'une proposition de loi sur le sujet dès 2013, adoptée à l'unanimité par le Sénat.
Jérôme Bignon et Alain Anziani ont déposé une douzaine d'amendements en commun, tous adoptés par la commission.
En prévoyant que « toute personne qui cause un dommage à l'environnement est tenu de le réparer », l'Assemblée nationale organisait un régime de responsabilité personnelle spécifique ; nous aurions pu poursuivre en responsabilité l'ouvrier qui a ouvert les vannes causant une pollution, mais non la compagnie qui l'emploie... Nous avons préféré écrire que « toute personne responsable d'un dommage anormal causé à l'environnement » est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte. Nous nous sommes appuyés sur tous les types de responsabilité prévues par les articles 1382 à 1385 du code civil... Pourquoi réinventer ce qui existe déjà ? De même, nous n'avons pas cru devoir déroger à la précision et à la concision de ces articles, certes anciens mais fort bien rédigés. Plutôt que de parler d'une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes », nous avons préféré la notion de « dommage anormal causé à l'environnement ».
L'obligation pour le juge civil de surseoir à statuer lorsqu'une procédure administrative est engagée était de nature à encourager la guérilla procédurale : remettons-nous en à la décision du juge.
Nous avons supprimé des obligations superfétatoires pour les juges. Ne transformons pas la loi en clignotant, signalant des dangers inexistants...
Nous avons restreint le périmètre des personnes ayant intérêt à agir : outre l'État, les collectivités territoriales, seules les associations agréées et de plus de cinq ans le seront.
L'AFB est l'instance de dernier ressort pour la réparation du dommage. Il fallait traiter le préjudice environnemental comme le dommage corporel : nous avons donc choisi un délai de prescription de dix ans, sans le butoir de cinquante ans.
Ne décevons pas les attentes que nous avons fait naître : notre rédaction donne au dispositif la force qu'il requiert et les garanties que le bon sens commande. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Je salue le travail exceptionnel et l'engagement de Jérôme Bignon ainsi que l'excellente collaboration avec la commission des lois. Introduite en première lecture, la proposition de loi de Bruno Retailleau devait être améliorée en deuxième lecture, c'est chose faite. Merci au président Bas, Alain Anziani et François Pillet.
Le texte que nous examinons est marqué par le Sénat. Il prend d'abord en compte la réalité économique. Nous avons écouté ceux qui sont au contact de la biodiversité, agriculteurs, chasseurs, gestionnaires d'espaces naturels, sans oublier nos compatriotes ultramarins. Notre pragmatisme s'est traduit dans l'équilibre de la gouvernance ; dans la suppression de la taxe sur l'huile de palme, non conforme aux règles de l'OMC.
Nous avons aussi cherché à simplifier, chaque fois que c'était possible. Ainsi de la compensation écologique, dont le succès dépend de la souplesse des outils et des procédures ; ainsi de l'agrément, lourd et coûteux, inutile dès lors que les acteurs sont contrôlés ; ainsi du préjudice écologique.
Nous avons enfin fait confiance aux acteurs de terrain. Nous sommes allés sur le terrain du grand hamster d'Alsace et avons découvert que des solutions pragmatiques et locales pouvaient être trouvées sans qu'il soit besoin d'imposer brutalement de nouvelles contraintes.
Nous espérons que le bon sens du Sénat, qui n'a jamais entendu remettre en cause l'ambition du texte, soit présent jusqu'à l'adoption finale de celui-ci ; et, comme vous, qu'un accord en CMP soit trouvé. Nos positions ne sont pas idéologiques, ni politiciennes (M. Charles Revet renchérit) ; si nous savons sortir des postures, des solutions sont possibles sur tous les sujets. Nous aurons alors fait oeuvre utile pour la préservation de notre inestimable patrimoine naturel. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)
M. Jean-Claude Requier . - Les deux assemblées ont apporté des améliorations notables à ce texte - qui n'est pas pour une fois examiné en procédure accélérée... La création de l'AFB, la mise en place d'un dispositif d'accès aux ressources génétiques pour un partage équitable des avantages.... Voilà des avancées. La biopiraterie doit être combattue ; nous connaissons la stévia, édulcorant naturel découvert par les indiens Guaranis, mais qui fait l'objet de demandes de brevet de la part de grands groupes... Le dispositif retenu est équilibré.
Les mesures de compensation permettront de préserver la biodiversité sans mettre en danger les activités humaines. Autre avancée...
Le dispositif sur le préjudice écologique a évolué après une longue gestation ; mais il manquera encore l'expertise de tribunaux spécialisés dans un domaine complexe.
En ce qui concerne la brevetabilité du vivant, nous ne contestons pas les biotechnologies, car il faudra relever le défi alimentaire. Il reste du chemin à parcourir pour simplifier et adapter notre droit, la frontière entre ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas est ténue...
Sur les néonicotinoïdes, nous convergeons sur la nécessité de trouver des alternatives, mais divergeons sur les solutions : doit-on les interdire ? Contrôler leur usage ? Il faut se souvenir qu'ils ont remplacé les organophosphorés... La mortalité des pollinisateurs est multifactorielle...
Il n'y a pas de savants fous, mais des gens passionnés, de science et de progrès. N'opposons pas la biodiversité et la science : nous avons besoin des deux.
M. Ronan Dantec. - Absolument !
M. Jean-Claude Requier. - Les radicaux et le groupe RDSE ont toujours eu, pour priorité, l'avenir de l'homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et plusieurs autres bancs)
M. Charles Revet. - C'est le plus important...
Mme Évelyne Didier . - Ce texte est la première victime de la campagne électorale. J'en veux pour preuve les retours, les repentirs qui illustrent le slogan : « l'environnement, ça commence à bien faire »...
Le Sénat avait fait en première lecture un travail sérieux, approfondi ; il avait imprimé sa marque. Nos débats avaient attesté d'une prise de conscience partagée sur la réalité des atteintes à la biodiversité, de l'effondrement des espèces, des risques pour la santé de l'utilisation massive de produits chimiques. En deuxième lecture, les lobbies s'en sont donnés à coeur joie... Alors que les questions environnementales, la préservation des ressources, le climat sont déterminants pour l'avenir de l'humanité... et de l'économie.
Certes, 58 articles ont été adoptés conformes, comprenant des apports considérables, comme la reconnaissance du préjudice écologique ou la transposition du protocole de Nagoya, la lutte contre la brevetabilité du vivant - malgré l'amendement de M. Pellevat qui affaiblit l'affirmation selon laquelle nul ne peut s'approprier la nature.
La prise de conscience des parlementaires et la mobilisation des citoyens grandissent sur les questions de santé, l'usage des pesticides, l'utilisation monopolistique des OGM. Pouvons-nous continuer à empoisonner la planète, en pensant que cela est sans conséquences sur le vivant ou sur l'activité économique à terme ? Non ! Le texte peut encore évoluer positivement, sur l'action de groupe, l'agrément des opérateurs, les néonicotinoïdes...
Sur l'AFB, nous avons toujours regretté la perte des compétences des ministères au profit des agences. (M. Charles Revet renchérit) Nous pensons que l'AFB doit être le lieu central de la concertation entre toutes les parties, dont l'ONCFS. On a cherché à tuer une mouche avec un canon... Mme la ministre pourra-t-elle faire le point sur l'association du personnel et la reconnaissance des métiers ?
Il faudrait enfin abandonner le vocabulaire de l'économie de march2, rentabilité, compétitivité n'ont rien à voir avec la survie des espèces, dont l'espèce humaine. Plus que jamais, l'humain d'abord ! (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)
M. Jean-Jacques Filleul . - Ce texte est un nouveau pas pour l'avenir de notre planète. Ambitieux, il crée l'AFB et le CNB, recherche un équilibre entre reconquête dynamique et mise en valeur des usages. S'il donne des réponses qui ne sont pas toutes parfaites, c'est à l'honneur de la France de poser toutes ces problématiques. Je mesure le chemin parcouru. Nous faisons oeuvre utile en faisant prendre conscience que la planète n'est pas renouvelable.
Lors de mon premier mandat de maire d'une commune ligérienne, j'ai créé la première maison de Loire en 1986 à Montlouis, qui fait découvrir à tous la formidable richesse écologique de la Loire. Je sais qu'élus et associations ont pris sur leurs territoires des initiatives similaires, pour faire entrer la biodiversité dans les grandes politiques publiques.
La question des néonicotinoïdes est complexe, que les députés ont résolue radicalement en les interdisant à compter du 1er septembre 2018, sans tenir compte des avis de l'Anses. Le groupe socialiste aura en deuxième lecture une position équilibrée, fondée sur les avis scientifiques - pourquoi attendre 2018 si ceux-ci conduisent à agir plus rapidement ?
Au vu des conséquences de la culture de l'huile de palme sur la déforestation et la biodiversité, le groupe socialiste souhaite un retour à la rédaction des députés, qui ont réduit la taxe à 30 euros avec une montée progressive à 90 euros, en exemptant les productions certifiées.
Selon le rapport du Conseil économique, social et environnemental, la biodiversité continue de se dégrader. Le projet de loi s'inscrit dans un processus de reconquête, faisant de notre pays un pionnier dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Claude Requier et Mme Chantal Jouanno applaudissent aussi)
M. Ronan Dantec . - Un amendement heureusement non retenu proposait en commission de supprimer du titre de ce projet de loi le mot « reconquête ». Ce qui n'était pas absurde car le texte a été vidé d'une partie de son ambition. (M. Jérôme Bignon, rapporteur, proteste) Pourtant les signaux d'alerte sont nombreux ; on compte 30 % de passereaux de moins en Île-de-France en treize ans, et les trois quarts des habitats naturels en France sont en état de conservation défavorable...
Malgré tout, certains sénateurs y voient encore une loi d'une ambition démesurée. Pour eux, la nature reste un monde hostile à repousser aux lisières de la civilisation, à conserver pour des activités secondaires de loisir, et ils se félicitent de l'éradication des loups, des ours et des mauvaises herbes... « L'environnement, ça commence à bien faire »... Slogan repris par le choeur des lobbies...
La responsabilité du législateur est d'agir pour préserver l'intérêt général. La toxicité des néonicotinoïdes n'est plus contestée. En la matière, l'intérêt général est de les interdire rapidement. L'Assemblée nationale avait adopté un dispositif équilibré ; nous proposerons, par la voix de Joël Labbé, de le rétablir.
Même chose sur la taxation de l'huile de palme qui a soulevé des inquiétudes auprès des gouvernements indonésiens et malaisiens. Il ne faut pas balayer leurs arguments d'un revers de main ni les nécessités du développement ; la solution est dans le développement de filières écologiquement responsables. L'Assemblée nationale avait trouvé un bon compromis ; la commission a supprimé l'article, nous voulons le rétablir...
Le débat environnemental est schizophrène, entre envolées lyriques et mobilisation pour que rien ne change ; la coalition du refus se construit toujours autour de l'idée de repousser aux calendes grecques les avancées. Seule exception : le préjudice écologique, grâce au travail de Jérôme Bignon, dont je salue l'engagement.
Le groupe écologiste votera contre le texte du Sénat s'il est trop en retrait. Mais il reste deux jours pour montrer notre engagement à prévenir les catastrophes à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)
M. Rémy Pointereau . - Grâce à Jérôme Bignon, ce texte a réuni une majorité au Sénat, ce qui n'était pas facile. Équilibre rompu par l'Assemblée nationale... La protection de la biodiversité ne doit pas conduire à sa mise sous cloche, la vie évolue sans cesse depuis des millénaires. Nos paysages, nos écosystèmes ont été façonnés par l'histoire, l'activité des hommes. La France abrite 4 900 espèces de plantes endémiques, 950 espèces de vertébrés, se plaçant ainsi aux premiers rangs en Europe.
Et pourtant, nous parlons de reconquête ? Doit-on être si négatif ? Pêcheurs, chasseurs, agriculteurs, tous ont contribué à faire nos paysages. Nous les avons en première lecture reconnus comme gestionnaires de la biodiversité. Les syndicats agricoles, les chambres consulaires se disaient satisfaits de la première lecture ; l'Assemblée nationale, opposant l'idéologie au pragmatisme, les environnementalistes aux agriculteurs, les zadistes aux porteurs de projet...
M. Joël Labbé. - Clichés !
M. Rémy Pointereau. - ...a ravivé les divisions. Nous devons revenir au texte adopté par le Sénat. Mes amendements en ce sens ont été retenus par la commission.
Je remercie le rapporteur de nous avoir sortis, l'article 33, d'un rendez-vous en terre inconnue... Je me réjouis de la suppression de l'article 34, qui imposait un zonage aux agriculteurs sans en avoir même discuté avec eux ; c'est une question de respect...
Nous pensions avoir trouvé un équilibre en adoptant l'amendement de Nicole Bonnefoy sur les néonicotinoïdes. L'Assemblée nationale a préféré leur interdiction totale en 2018 au renvoi à un décret encadrant leur utilisation... Les néonicotinoïdes sont les produits les plus efficaces et les moins polluants, si on les compare avec les produits foliaires qu'il faut appliquer à répétition au risque de résistance plus élevée. Il n'y a pas aujourd'hui de produits alternatifs. Certes, il faut résoudre le problème de la mortalité des abeilles ; mais faut-il faire de l'agriculture un bouc-émissaire ? Non ! Agir unilatéralement, au préjudice de notre compétitivité ? Non plus ! Nous ne sommes pas des scientifiques. Faisons confiance à l'Anses et aux agences européennes.
M. Ronan Dantec. - Justement !
M. Rémy Pointereau. - Si nous interdisons les produits dits dangereux, il faut les interdire tous, en France et en Europe... (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Ronan Dantec. - Bonne idée !
M. Rémy Pointereau. - Michel Raison a proposé que la commission du développement durable se penche sur la mortalité des abeilles, plus forte d'ailleurs dans les zones de montagne, non cultivées, comme les Vosges - M. Gremillet vous en parlera mieux que moi. Il n'y a pas chez nous d'arrière-pensées électorales, ni ayatollahs verts ni grands céréaliers, mais des parlementaires qui font confiance aux scientifiques et aux acteurs de terrain. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Chantal Jouanno . - Deux visions s'opposent, deux conceptions de la biodiversité, donc de la société. La première, classique, intègre l'humanité dans la biodiversité - elle a eu ses excès. Dans la seconde, plus anthropocentrée, plus utilitariste, la biodiversité n'a de sens que si elle contribue au développement économique ; elle aussi a connu ses excès, la marchandisation, la brevetabilité du vivant.
Le progrès est l'alliance de la science et de la conscience. Nous avons beaucoup appris ces cinquante dernières années, notamment que l'homme est partie intégrante de la biodiversité ; nous avons plus de cellules non humaines qu'humaines... La vie se construit par association, et non par domination d'une espèce sur l'autre. Les autres espèces ont tant à nous apprendre - voir le tardigrade... Nous avons aujourd'hui beaucoup d'éléments pour légiférer.
Il y a peut-être trop de dispositions techniques dans cette loi, trop de dispositions réglementaires - la loi ne devrait pas dire « peut », tout ce qu'elle n'interdit pas est autorisé. Le législateur ne devrait pas avoir à se substituer aux scientifiques, sur les néonicotinoïdes par exemple. Mais nous devons être capables de dire : les substances mortelles aux pollinisateurs sont interdites.
Le point essentiel de la loi, c'est son article 2 et même l'alinéa 9 de celui-ci. Supprimer le principe de non-régression, c'est comme supprimer l'objectif de plein-emploi dans une loi sur le travail... L'affaire est compliquée, mais on ne saurait se résigner à une perte de biodiversité.
Il n'y a pas les bons et les méchants, mais des clivages politiques qui, souvent, traversent la gauche comme la droite.
M. Jean-Louis Carrère. - Arithmétiquement, c'est différent...
Mme Chantal Jouanno. - Les divergences existent au sein du groupe centriste, elles sont bien naturelles et nous ne nous en respectons pas moins.
Merci au président de la commission et au rapporteur d'avoir recherché le compromis. Vous allez découvrir, madame la ministre, que le Sénat est une assemblée indépendante des partis, respectueuse mais déterminée, où les calculs politiques n'ont pas réellement leur place. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Sophie Primas . - La biodiversité est un enjeu reconnu par tous. Ce serait une erreur que de l'opposer à l'activité économique, en particulier à l'agriculture. Pénaliser celles-ci n'est pas nécessaire pour protéger celle-là ! Le Sénat a beaucoup fait évoluer le texte en première lecture, très souvent en accord avec Ségolène Royal. Infatigablement, Jérôme Bignon a rapproché les points de vue.
Sur les néonicotinoïdes, tous les avis méritent d'être entendus. Tous les lobbys sont à la manoeuvre, y compris les vôtres, monsieur Dantec, avec violence parfois. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Seule l'autorité européenne est compétente pour autoriser ces substances. Elle doit se prononcer à nouveau dans quelques semaines. Une interdiction générale par la loi serait contraire au droit européen et de pur affichage. (Même mouvement)
L'avis récent de l'Anses donne des prescriptions d'emploi précises, en tenant naturellement compte des effets sur les pollinisateurs. Il n'invite nullement à interdire tous les néonicotinoïdes.
Faisons confiance à la science comme le veut l'Anses, interdisons dès à présent toute utilisation dangereuse pour les pollinisateurs, et favorisons la substitution progressive par des produits nouveaux qui auront été homologués par l'Anses. Que l'esprit de responsabilité l'emporte ! Avec Nicole Bonnefoy et les membres de la mission commune d'information sur les phytosanitaires, nous avons entendu tous les acteurs concernés et avons adopté à l'unanimité des recommandations fondées sur l'expertise scientifique. Faisons prévaloir la raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Bonnefoy . - En décembre, 195 pays réunis à Paris ont fait de la COP21 un immense succès, précédé par la signature de l'accord de Paris par 175 pays, représentant 93 % des émissions. Comme l'a dit le président de la République à la tribune de l'ONU, il est temps de traduire en actes cet engagement. Les mois qui viennent de s'écouler ont été les plus chauds depuis cent ans, et nous continuons à détruire une biodiversité construite en des millions d'années...
Notre modèle économique détruit la planète, et cela nous coûte cher. Les externalités négatives sont écartées des calculs économiques des entreprises, et c'est la société entière qui en paie le coût.
L'accumulation des normes environnementales, sur les nitrates et l'épandage, est un vrai problème pour les agriculteurs. Mais c'est d'abord la conséquence de pratiques parfois déraisonnables...
L'environnement n'est pas une notion à la mode, mais une réalité que nous devons prendre en compte. La pollution d'un cours d'eau est le plus souvent irréversible. Quand une espèce disparaît, elle ne réapparaît plus...
En janvier 2016, l'Anses a constaté que l'utilisation des néonicotinoïdes avait des effets graves sur les pollinisateurs, même à des doses faibles, y compris lorsque les usages sont conformes aux prescriptions - car il reste des aléas, climatiques par exemple. L'agence recommande donc un encadrement renforcé des usages tels que le traitement en semences ou la pulvérisation sur vergers après floraison. L'Assemblée nationale, plus maximaliste que nous, a prévu une interdiction générale dès 2018.
Recherchant le compromis avec la majorité sénatoriale, le groupe socialiste entend en deuxième lecture tenir compte à la fois de la dimension économique, de la question des alternatives disponibles, et de ce qu'ont voté les députés. Notre amendement vise ainsi à interdire en 2018 les néonicotinoïdes présentant un bilan négatif par rapport à des produits existants, avant une interdiction générale en 2020, date suffisamment éloignée pour qu'émergent des alternatives. J'espère un compromis intelligent.
Je proposerai à nouveau une action de groupe environnementale, hélas repoussée par l'Assemblée nationale, en espérant que le Gouvernement confirmera son engagement de la reprendre, éventuellement dans le projet de loi Justice du XXIe siècle.
Puisse la démarche ambitieuse et constructive de la première lecture prévaloir à nouveau ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologistes ; applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Daniel Gremillet . - Je félicite M. Bignon de sa passion et de son travail acharné. Je ne conteste pas les objectifs de ce texte, mais les moyens de les atteindre. L'enjeu de la préservation de la biodiversité est considérable : la France dispose du deuxième espace maritime mondial, sa biodiversité est un atout économique majeur. Je m'exprimerai donc avec gravité.
Le projet de loi compte 500 dispositions nouvelles ou modifiant le droit existant, parfois du pur verbiage intellectuel. Gardons-nous de toute posture prescriptive en matière de protection de la biodiversité, car mieux vaut nous en remettre au progrès scientifique. Faisons confiance à l'innovation et au génie humain ! Tout au long de l'histoire humaine, les techniques de production ont progressé.
Je déplore le manque d'égards vis-à-vis des scientifiques.
M. Ronan Dantec. - C'est clair ! On refuse d'entendre ce qu'ils disent !
M. Daniel Gremillet. - La France a pourtant été à la pointe de la recherche sur la biodiversité sur les ferments laitiers, par exemple, qui connaissent de nombreuses applications en génie génétique ! Échappons à l'emprise des lobbies, qui agissent dans les deux sens.
M. Joël Labbé. - Pas avec les mêmes moyens !
M. Daniel Gremillet. - Agriculteurs et forestiers ont, de tout temps, façonné les paysages et préservé la biodiversité. La France possède ainsi la plus grande diversité de races de bovins !
M. Charles Revet. - Ils ont bien travaillé, nos aînés !
M. Daniel Gremillet. - On pleure des arbres abattus, alors qu'on sait que la préservation de la biodiversité dans les Vosges, par exemple, exigerait une certaine déforestation...
Nous devons concilier la protection de la biodiversité d'un côté, le développement économique, notre place dans le monde et notre cohésion sociale de l'autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)