Lutte contre le système prostitutionnel (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Discussion générale

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes .  - Je suis particulièrement heureuse d'être ici ce matin en tant que ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes pour défendre ce texte au stade ultime de son parcours. Je porte son objet depuis... 2006, date à laquelle la coupe du monde de football a été l'occasion d'un véritable business du sexe à Berlin.

Je porte ce sujet avec d'autant plus d'enthousiasme qu'en 2014, avant d'être appelée au Gouvernement, j'étais rapporteure de ce texte ici même. Il affirme clairement la position abolitionniste de notre pays. À ce jour, aucune disposition ne sanctionne, dans notre droit, l'achat de services sexuels. Je doute de pouvoir faire changer d'avis certains d'entre vous mais, pour ma part, personne ne me convaincra que la prostitution serait le plus vieux métier du monde et donc légitime. L'esclavage n'a-t-il pas été aboli après avoir été la plus ancienne forme d'exploitation du travail ? Personne ne me convaincra que des êtres humains ont pour fonction de réguler les pulsions sexuelles des hommes ou de canaliser des prédateurs sexuels. La prostitution ne s'inscrit pas parmi les droits individuels. Elle relève de la surexploitation de corps dominés, c'est d'abord une question sociale.

Ce texte aide les personnes prostituées à s'engager dans un parcours de sortie de la prostitution. Il instaure un fonds spécifique, de 20 millions d'euros par an ; il renforce la lutte contre les réseaux, interdit l'achat d'acte sexuel et abroge le délit de racolage car les personnes prostituées ne sont pas coupables.

C'est donc un texte complet. Je remercie les députés et sénateurs qui l'ont enrichi, ainsi que Najat Vallaud-Belkacem et Pascale Boistard qui m'ont précédée.

La prostitution fait violence aux femmes : 85 % des personnes prostituées sont des femmes, 99 % des clients des hommes. Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy ont démontré la violence du phénomène.

La prostitution est un vecteur évident de traite humaine. Nous avons assisté à un basculement depuis les années 2000 : désormais, quatre personnes prostituées sur cinq sont de nationalité étrangère, contre une sur cinq en 1990 ; elles sont victimes de réseaux d'exploitation. La prostitution est enfin une menace aussi pour les enfants, car les réseaux de prostitution ne connaissent pas de limite d'âge.

Cette proposition de loi répond à une nécessité éthique. Ainsi que le dispose le texte de loi suédois pénalisant l'achat d'actes sexuels, aucune égalité entre hommes et femmes ne sera possible tant que la prostitution perdurera. La Suède a démontré l'efficacité de la pénalisation : en quelques années, la présence de prostituées a reculé de moitié dans la rue, mais aussi dans les hôtels et restaurants ; l'image de la prostitution a changé dans l'opinion - qui est devenue majoritairement pour la pénalisation. Pourquoi ne pas comprendre que la prostitution est un marché dont il faut tarir la source pour qu'il recule ?

Le corps des femmes n'est pas à vendre ni à louer, de même que les hommes ne sont pas réductibles à des individus à la sexualité irrépressible. La prostitution n'est pas ce phénomène romantique que certains se complaisent à décrire avec ses prostituées au grand coeur, consolatrices des hommes. Georges Brassens a dit ce qu'il fallait de l'existence des « filles de joie ». La prostitution consentie existe bien sûr, mais le consentement d'une seule ne suffit pas à justifier l'esclavage de toutes les autres. Nous jugeons légitime d'interdire le commerce d'organes, que pourtant certains seraient prêts à vendre.

Les études démontrant la violence subie par les personnes prostituées sont nombreuses ; sans parler du recours aux drogues pour supporter cette violence. L'achat d'actes sexuels participe au surplus du financement des réseaux.

« On dit que l'esclavage n'existe plus [...] il s'appelle prostitution ». Au stade de la nouvelle lecture, vous connaissez l'auteur de ce mot : Victor Hugo, dans Les Misérables.

L'exploitation sexuelle, d'après Interpol, rapporte 100 000 euros par an en moyenne à un proxénète pour une seule prostituée, ce qui en fait le deuxième trafic le plus rémunérateur pour les organisations criminelles.

Selon le ministre de la justice suédois, le nombre de personnes prostituées est passé de 2 500 à 1 500 entre 1999 et 2002 du fait de l'interdiction de l'achat d'actes sexuels, et la perception du phénomène a été profondément modifiée.

Comment ne pas voir que réduire l'offre impose de chercher à tarir la demande ? La prostitution est un marché, qui fonctionne comme les autres.

La prostitution menace les enfants : dois-je vous raconter par le menu le sort de cette adolescente nigériane, violée par le fils de son mari sexagénaire puis contrainte à se prostituer dès l'âge de 16 ans ? D'après l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains, le nombre de personnes prostituées mineures augmente de façon alarmante. Les réseaux se moquent des limites d'âge. À nous de protéger ces enfants.

La France a choisi une position abolitionniste, par la loi Marthe Richard de 1946, puis par ses engagements internationaux. Néanmoins, la pratique a fait de la prostitution un phénomène licite.

Réaffirmons que l'achat d'actes sexuels, comme toutes les formes de violence, ne saurait être toléré. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certains bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission spéciale .  - Nous y voilà : en nouvelle lecture de ce texte majeur. Les échanges ont été riches, un équilibre a été trouvé sur quelques dispositions mais les plus symboliques continuent de susciter des divisions. La commission spéciale les a supprimées ce que je regrette profondément.

Il est urgent de reconnaître que la prostitution est une violence que le client ne peut ignorer. Notre société doit changer son regard sur les personnes prostituées, qui sont des victimes de réseaux. La pénalisation des clients constitue le seul point sur lequel la commission a modifié ce texte. Elle a simplement complété les dispositions relatives au statut de témoin assisté des personnes prostituées, et à leur collaboration avec les services de police.

La navette, d'une manière générale, a permis de faire de ce texte un texte utile et juste. Le parcours de sortie de la prostitution sera fondamental pour faciliter le travail des associations.

L'article 6 conditionne la délivrance du titre de séjour à ces personnes à leur engagement à suivre ce parcours : c'est une autre avancée.

Au-delà des dispositions concrètes qui amélioreront sensiblement la vie des personnes prostituées, ce texte affirme symboliquement ce qui n'est plus acceptable dans une société où femmes et hommes sont égaux.

Le Sénat s'honorerait à adopter ce texte, articles 16 et 17 compris, afin d'engager un changement de cap, qui un jour, je l'espère, apparaîtra à tous, comme une évidence. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certains bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Laurence Cohen .  - Je veux remercier Pascale Boistard, qui s'est beaucoup investie dans ce combat, qui vous tient à coeur également, madame la ministre.

Les personnes prostituées doivent être reconnues comme des victimes : je me félicite par conséquent de l'article 13 qui abroge le délit de racolage. La commission spéciale a à nouveau supprimé les articles 16 et 17 : nous proposerons de les réintroduire car la prostitution, en tant que système, suppose l'action des clients qu'il faut responsabiliser.

Le taux de mortalité des personnes prostituées est six fois plus élevé que celui du reste de la population : qui peut croire qu'elles consentent à vendre leur corps ? La prostitution ajoute la domination sexuelle à la domination économique, dans un monde où tout est marchandise.

Le Défenseur des droits craint que la pénalisation des clients ne renforce la marginalisation des personnes prostituées : mais ne le sont-elles pas déjà, isolées et marginalisées ? Considérer que la rémunération rendrait les personnes prostituées complices du délit n'est guère plus convaincant. Les clients doivent comprendre qu'ils ont un rôle à jouer pour faire cesser la violence exercée sur ces femmes.

Je souhaite ardemment l'adoption de ce texte dans sa version de l'Assemblée nationale, pour les associations de terrain et pour toutes les femmes ! (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Mme Esther Benbassa .  - En octobre 2012, j'ai déposé une proposition de loi abrogeant le délit de racolage. Je n'ai cessé de me battre pour l'obtenir : lors de l'examen de mon texte, puis de cette proposition de loi d'origine socialiste.

Nous approchons de ce pas décisif pour la santé et la sécurité des personnes prostituées, mais chacun conserve son idée sur la meilleure façon de parvenir à cet objectif. Le Gouvernement estime nécessaire de pénaliser les clients ; je crois que c'est une erreur.

Je déplore que les personnes prostituées n'aient pas été entendues : elles crient au risque de précarisation et certaines craignent pour une activité qu'elles ont choisie.

Mme Catherine Troendlé.  - Et oui !

Mme Esther Benbassa.  - Les prostituées sont par-là traitées comme des mineures dépourvues de capacité de consentement.

Mme Françoise Gatel.  - Bien sûr.

Mme Esther Benbassa. - Si le Sénat maintient sa position, l'Assemblée nationale rétablira les articles 16 et 17, au mépris de la parole des principales concernées. Ses effets, alors que le texte n'a pas été voté, se font d'ailleurs déjà sentir : les clients se rabattent sur internet.

Mais les auteurs du texte espèrent sans doute tirer un bénéfice politique de leur position. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Requier .  - Nous nous rejoignons tous sur l'objectif mais divergeons sur les moyens d'y parvenir.

Nous nous félicitons de la suppression du délit de racolage passif, inappliqué car inapplicable et rendant plus difficile pour les associations l'accompagnement des personnes prostituées.

La commission spéciale a également veillé à ce que cette abrogation ne bride pas l'activité des services d'enquête, et renforcé l'accompagnement de la sortie de la prostitution - en dépit du consentement à se prostituer, revendiqué par certaines personnes, un avocat auditionné ayant même proposé de créer un ordre national des péripatéticiennes et péripatéticiens.

La pénalisation des clients en Suède n'a pas fait disparaître le phénomène qui s'est seulement déplacé sur internet. (Mme Catherine Troendlé abonde)

L'application d'une telle mesure semble aussi délicate que celle de l'interdiction de racolage, et détournerait les enquêteurs de la traque des proxénètes. Bref, elle ajouterait la précarité à la violence.

Comme en première et deuxième lecture, la grande majorité du RDSE votera le texte dans la rédaction de la commission spéciale.

Mme Catherine Troendlé .  - Le texte comporte des avancées dans son volet social et préventif notamment. La commission spéciale a facilité la coopération des personnes prostituées avec les services de police et l'attribution de logements sociaux aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution.

Ces mesures phares du texte continuent toutefois de diviser. La pénalisation des clients aurait pour premier effet d'accroître l'isolement des personnes prostituées ; elle semble difficile à appliquer hors cas de flagrance, et poussera les prostituées dans la clandestinité. De plus, comment pénaliser l'achat d'un service dont la vente reste légale ? Comment accepter que le juge s'immisce dans les pratiques privées d'adultes consentants ?

La Cour européenne des droits de l'homme n'a jugé la pénalisation des clients acceptable que lorsque la prostitution est contrainte...

Le groupe Les Républicains soutient donc le texte de la commission spéciale, conforme au droit international, efficace dans la lutte contre les réseaux applicables, et en ne stigmatisant pas les personnes prostituées.

M. Joël Guerriau .  - La prostitution traverse les frontières. Depuis 2013, nous débattons de ces questions. L'adoption de cette proposition de loi doit faire prendre conscience de la réalité : des réseaux tirant profit de la marchandisation du corps humain.

La disposition introduisant un parcours de sortie de la prostitution est un pilier du texte. Accompagnement social et protection juridique sont fondamentaux pour les personnes prostituées. Lorsque je vois le nombre impressionnant de femmes sur les trottoirs de ma ville, j'ai honte pour notre pays.

Quelques tensions demeurent. D'abord sur la pénalisation du client : notre commission spéciale l'a supprimée, comme l'a souhaité Amnesty international et bien des associations - pour protéger les personnes prostituées de plus de précarité et de violence et aussi parce que cette pénalisation a démontré sa faible efficacité contre les réseaux toujours plus mobiles et insaisissables.

En outre, le délit de racolage passif est supprimé, alors que c'est un outil efficace à l'échelon local, que les riverains apprécient. On revient en quelque sorte à la case départ...

Le texte touche à la conscience de chacun. Sans doute les outils contre la prostitution seront-ils toujours décevants, mais ce texte marque des progrès sanitaires et sociaux : la majorité du groupe UDI-UC le votera.

Mme Maryvonne Blondin .  - Pendant que nous débattions ici, sans changer nos convictions, depuis trois ans, la traite et les réseaux se sont développés, partout en France. Dans les Côtes d'Armor, un réseau chinois vient d'être démantelé dans une ville de 19 000 habitants...

Le client est-il innocent ? Ne sait-il pas ce qu'il fait ? Ignore-t-il d'où viennent les filles ? Il y a un produit, il l'achète ; il est un maillon de la chaîne. Le président de la République vient de rappeler que la prostitution est une violence faite aux femmes : il est essentiel que le client soit reconnu comme un auteur de cette violence. Si l'achat d'actes sexuels n'est le fait que d'une minorité d'hommes, défendre la prostitution porte atteinte aussi à la dignité des hommes car elle symbolise une conception de la sexualité faite de domination et de frustration. « La misère offre, la société accepte » disait Victor Hugo ; au XXIe siècle, c'est inacceptable.

La libre disposition de son corps serait-elle une justification ? En fait, la liberté est ici celle de l'argent, de la liberté du client de disposer du corps d'un autre qui n'a pas la liberté de choix... Il ne s'agit pas d'une conception morale mais du refus de la marchandisation du corps humain. La loi, même imparfaite, doit au moins l'interdire ; elle a une portée symbolique et pédagogique forte. L'Igas signale qu'entre 6 000 et 10 000 mineurs se prostituent - un chiffre en progression...

L'histoire l'a montré, pour conquérir des droits, faire changer les mentalités et le regard de la société, il faut toujours s'appuyer sur la loi. Les derniers sondages sur la perception du viol et les harcèlements sexistes montrent que tout n'est pas gagné... Il faut voter ce texte, en rétablissant les articles 16 à 18 ! (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Pierre Monier .  - Entre le statu quo et le réglementarisme, il y a la voie de l'abolition : la France l'a choisie dès 2011, avec exigence, fondée sur la non-patrimonialité du corps humain. Nous mettons ce principe en acte avec ce texte : offrir des alternatives, lutter contre la traite des êtres humains, éduquer le citoyen, responsabiliser le client ; il y a matière à débat, mais ceux qui mettent en avant la liberté à disposer de son corps se trompent, car il s'agit là du droit de certains hommes à disposer du corps d'autrui, du corps de femmes le plus souvent étrangères, victimes de réseaux criminels. Toute tolérance sert les intérêts de ceux-ci.

L'article 16 a été systématiquement supprimé par le Sénat. Pourtant, responsabiliser le client est le moyen le plus efficace de lutter contre la prostitution et les mafias. Il faut faire cesser l'hypocrisie : les clients sont des acteurs à part entière du système prostitutionnel.

Cette séance est la dernière opportunité pour le Sénat de se montrer à la hauteur de l'enjeu. La violence est intrinsèque à la prostitution, qui est une exploitation des inégalités sociales et économiques, une atteinte à la dignité humaine que le consentement de quelques-uns ne saurait justifier, une atteinte à l'égalité femme homme.

Je suis abolitionniste. Une société où on sacrifie des droits et des vies pour le désir sexuel de quelques-uns n'est ni libre, ni égalitaire, ni fraternelle... Contribuons par notre vote, à faire de la France une référence en matière de droits humains, de droits des femmes. Quand une partie de l'humanité est victime de notre indifférence, c'est notre société tout entière qui est affaiblie. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Cyril Pellevat .  - Ce sujet est grave, nos divergences profondes. J'aborderai notre débat dans un esprit ouvert et respectueux des positions des uns et des autres.

La France compte 20 000 personnes prostituées, à 90 % étrangères, pour la plupart exploitées par des réseaux mafieux. Une quarantaine de ces réseaux sont démantelés chaque année. Nous voulons lutter contre le système prostitutionnel et protéger les personnes prostituées, les sortir de la prostitution. Le volet social du texte fait consensus, accompagnement, allocation de logement temporaire, formation des acteurs sociaux, intervention des inspecteurs du travail, voilà des progrès. Les mesures de prévention à l'attention des jeunes sont un autre progrès. Je regrette que l'Assemblée nationale ait affaibli le texte contre la présence des réseaux sur le web, dont il ne faut pas sous-estimer l'importance.

Je ne suis pas par principe opposé à la pénalisation des clients, car on tarit là la demande, je l'ai voté parce que nous maintenions le racolage passif. Cependant, puisque celui-ci est supprimé, je me suis interrogé sur l'efficacité de la mesure en elle-même : je crains qu'elle ne pousse les personnes prostituées dans la clandestinité - et les services de police n'ont pas les moyens ni le temps de verbaliser ; juridiquement, de plus, interdire l'achat d'un service dont la vente est autorisée me semble fragile.

La majorité du groupe Les Républicains suivra la commission spéciale, mais à titre personnel je m'abstiendrai sur les amendements rétablissant les articles 16 et 17.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

L'article premier ter est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission.

Alinéa 7, dernière phrase

Après les mots :

du présent code

insérer les mots :

, L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

L'amendement de coordination n°10, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L'aide mentionnée à l'alinéa précédent est à la charge de l'État. Elle est financée par les crédits du fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées institué par l'article 4 de la loi n°           du            visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Le montant de l'aide et l'organisme qui la verse pour le compte de l'État sont déterminés par décret. Le bénéfice de cette aide est accordé par décision du représentant de l'État dans le département après avis de l'instance mentionnée au deuxième alinéa du I. Il est procédé au réexamen du droit dès lors que des éléments nouveaux modifient la situation du bénéficiaire. L'aide est incessible et insaisissable.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Nous renforçons la sécurité juridique.

Mme Michelle Meunier, rapporteure.  - Précisions utiles, avis favorable.

L'amendement n°9 est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

L'article 3 bis est adopté.

L'article 6 est adopté.

L'article 9 bis est adopté.

ARTICLE 16 (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par Mmes Blondin, Meunier et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud et Monier, MM. Kaltenbach et Carvounas, Mmes Riocreux, Féret et Yonnet, M. Manable, Mmes Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Berson, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, M. Durain, Mmes Claireaux, S. Robert et Herviaux, M. Assouline, Mme Conway-Mouret et MM. Vaugrenard, Duran, Cabanel, Labazée, Roux, Marie, Bigot et Frécon.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I.  -  Au livre VI du code pénal, il est inséré un titre unique ainsi rédigé :

« Titre unique

« Du recours à la prostitution

« Art. 611-1. - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l'article 131-16 et au second alinéa de l'article 131-17. »

II.  -  La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du même code est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « prostitution », la fin de l'intitulé est supprimée ;

2° L'article 225-12-1 est ainsi rédigé :

« Art. 225-12-1.  -  Lorsqu'il est commis en récidive dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 132-11, le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage est puni de 3 750 € d'amende.

« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;

3° Aux premier et dernier alinéas de l'article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au second alinéa de l'article 225-12-1 » ;

4° À l'article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au second alinéa de l'article 225-12-1 et à l'article ».

III.  -  À la troisième phrase du sixième alinéa de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au second alinéa de l'article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».

M. Roland Courteau.  - Il s'agit de rétablir un des quatre piliers du texte, indispensable à son équilibre.

Les coupables sont certes les proxénètes, mais le client doit être mis face à ses responsabilités, c'est lui qui crée la demande : l'achat d'un acte sexuel n'est pas une pratique banale.  Nous rétablissons la sanction, conformément à la position abolitionniste de la France ; nul n'est en droit de disposer du corps d'autrui, c'est un principe de notre droit, affirmé par les conventions internationales. Ce sera une avancée significative pour l'égalité entre les sexes.

M. le président.  - Amendement identique n°4, présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.

Mme Laurence Cohen.  - Il vient d'être brillamment défendu. Comment justifier qu'on laisserait les choses en l'état ? Le système prostitutionnel est criminel, les clients en sont un des protagonistes : c'est méconnaître la réalité du système prostitutionnel que de vouloir n'y rien changer !

M. le président.  - Amendement identique n°6, présenté par le Gouvernement.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - J'avais apporté quelques arguments en espérant être entendue.

M. Jean-Claude Requier.  - Vous êtes entendue.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Merci. Je m'étonne de voir ceux qui ont voté il y a dix ans le délit de racolage s'inquiéter d'un isolement plus fort des personnes prostituées : le racolage les a déjà considérablement marginalisées.

Notre société est bien hypocrite...

Mme Catherine Troendlé.  - C'est sûr...

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Quand on élève un enfant, on ne lui apprend pas à voler des bonbons parce qu'on en a envie, ni à frapper ses camarades dans la cours de récréation ; ils sauront plus tard que le code pénal sanctionne le vol et la violence. Et que leur dit-on sur la prostitution ?

Mme Esther Benbassa.  - On ne leur en parle pas !

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Précisément, ou bien on leur dit que la société est neutre, qu'ils pourront acheter le corps des femmes... Qui d'entre nous souhaite une telle sexualité pour ses enfants ? Nous voulons au contraire qu'ils aient une sexualité égalitaire, respectueuse du désir de l'autre.

Nous avons mis, nous les femmes, des siècles à faire admettre que nous avions aussi une sexualité fondée sur le plaisir et le désir ; cette sexualité a été niée pendant des siècles, réduites qu'étaient les femmes à l'objet du désir des hommes. Le progrès est récent... En refusant de pénaliser le client, vous reconnaissez que la sexualité des femmes peut être vécue en l'absence de leur désir : c'est une régression, un bond en arrière de 50 ans auquel je ne peux me résoudre.

Enfin, vous avez sur cette loi une exigence d'efficacité que vous n'avez pour nulle autre. Dans une société démocratique, il y a toujours transgression : mais notre rôle, c'est de fixer des règles, puis de sanctionner le manquement à celles-ci. (Applaudissements à gauche)

Mme Michelle Meunier, rapporteure.  - La commission spéciale a émis un avis défavorable à ces amendements.

M. Joël Guerriau.  - Transgression ? La loi pourrait la créer. Si la pénalisation est la solution, votons-là mais si elle renforce la transgression, elle devient dangereuse. Plusieurs pays ont adopté des dispositions similaires - Norvège, Ecosse, Canada -, à chaque fois la précarité des victimes s'est accrue. Les associations nous alertent des difficultés plus grandes qu'elles auront à intervenir auprès des clandestines, des risques de plus de contamination par le VIH, des difficultés plus grandes à instruire les dossiers contre les proxénètes...

M. Jean-Claude Boulard.  - Je n'ai pas eu de réponses à trois questions purement juridiques.

L'article 34 de la Constitution réserve à la loi la définition des crimes et délits et des peines applicables, et au règlement la création des contraventions.

Ensuite, le droit pénal fait le lien entre sanction et interdiction. Il n'y a pas de sanction pour l'usage d'une activité qui n'est pas interdite. Comment peut-on imaginer de le faire ? Ne substituons pas la morale au droit. Le risque constitutionnel est évident.

Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la CEDDH ont rappelé à de très nombreuses reprises le principe de la libre disposition de son corps ; qu'en faisons-nous ?

J'avais proposé un compromis, consistant à sanctionner le recours à un service sexuel contraint, mais on ne me répond pas...

Abolitionnistes, allez jusqu'au bout, interdisez la prostitution ! Car ce qui n'est pas interdit n'est pas sanctionnable.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Cela s'appelle le prohibitionnisme...

M. Jean-Claude Boulard.  - Je reste sans réponse juridique... Je ne voterai pas ces amendements.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - L'issue de ce texte ne fait guère de doute, mais je m'exprimerai encore contre ces articles 16 et 17. Les personnes prostituées, les policiers, les magistrats, les associations n'ont pas été suffisamment entendus. Les personnes prostituées risquent d'être plus isolées par la pénalisation du client. Pourquoi élargir cette interdiction qui existe déjà pour les mineurs et est si peu appliquée ? Comment autoriser la prostitution, le racolage - offre, publicité - mais pénaliser le client qui répondra à une offre licite ? Voilà un bon sujet pour une question prioritaire de constitutionnalité...

En droit pénal, le complice peut être poursuivi comme l'auteur : qu'en sera-t-il des personnes prostituées ? Enfin, la liberté à disposer de son corps est un principe de droit européen. Mon opposition à ces articles est justifiée par des considérations juridiques et les risques qu'ils font courir à l'application efficace d'un texte que par ailleurs je soutiens.

M. Jacques Bigot.  - Nous sommes tous d'accord qu'il faut lutter contre l'esclavage sexuel et les réseaux de traite. On peut convenir que la pénalisation est un moyen d'endiguer la prostitution, comme en matière de stupéfiants ; il faut expliquer au client ce que le système prostitutionnel génère. La contraventionnalisation sera-t-elle efficace ? Nous ne le savons pas. Mais la refuser au nom du droit, c'est aller à l'encontre de ce que nous souhaitons. Et ne dira-t-on pas que le Sénat choisit de ne pas s'attaquer à la prostitution ? (Mouvements divers à droite) Tentons cet outil contre le mal qui prolifère dans nos villes ! Je soutiens les amendements, même si au départ je n'étais pas convaincu. (Applaudissements à gauche)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Nous retrouvons les débats passionnés des précédentes lectures... Je voterai ces amendements qui rétablissent l'un des quatre piliers de ce texte et confirment la position de la France : l'abolition n'est pas la prohibition. Nous posons une valeur, nous affirmons que la prostitution est une violence faite aux femmes.

Le client est un des acteurs du système. Il faut se méfier de l'argument de la libre disposition de son corps : même si la prostituée se dit consentante, on sait que la perte de l'estime de soi est souvent le prix à payer. Le client ne peut s'exonérer de la situation de violence faite aux femmes. (Applaudissements)

Mme Catherine Troendlé.  - Madame la ministre, vous parlez au nom du droit, il faut commencer par le respecter. Je félicite et rejoins M. Boulard, on ne peut pénaliser une activité licite ; le risque constitutionnel est évident. Vous parlez d'hypocrisie : la plus grande, c'est d'accepter la prostitution mais de pénaliser le client. Le véritable courage politique serait d'interdire la prostitution. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Et faire des personnes prostituées des criminelles...

M. Gérard Roche.  - La bonne volonté est au coeur de ce texte, mais il faut le placer dans notre société : le risque, c'est de confiner la prostitution aux salons de luxe, cachés, ou à la misère des bas-fonds : je m'abstiendrai.

Mme Éliane Giraud.  - Les conditions d'existence des personnes prostituées se sont aggravées, de même que leur isolement avec l'interdiction du racolage passif.

Les quatre piliers de ce texte sont importants. 97 % des personnes prostituées sont étrangères, dont 85 % sont des femmes, mais les clients sont sur notre sol : ne pas les pénaliser, c'est accepter un système international de traite des êtres humains. Regardons la portée du droit au-delà de notre petit cercle : ces femmes, victimes, condamnées à mourir plus jeunes, malades, nous devons les aider, au nom de la condition humaine ! (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa.  - Sur l'éducation sexuelle, madame la ministre, - j'ignore si vous avez enseigné dans le secondaire - je veux porter ce témoignage après quinze ans d'enseignement : nos livres scolaires, contrairement à ce qui se passe dans les pays nordiques, en sont encore à la sexualité des fleurs et des abeilles... Pénaliser les clients, c'est se donner bonne conscience sans se demander ce que feront les personnes prostituées, de quoi elles vivront ; les fonds alloués restent flous. Les prostituées âgées pourront-elles vivre avec le RSA ? Pense-t-on une seconde aux problèmes humains qui se poseront ? Nous sommes dans la morale, comme avant 1914, sauf que pendant la guerre on faisait venir des prostituées dans les gares pour satisfaire les besoins de nos Poilus ! (Exclamations)

Cessons ces leçons de morale d'un autre âge, cessons d'infantiliser ces femmes, de toujours les considérer comme abusées ou simplettes. Prenons en considération leur liberté.

M. Christian Manable.  - À entendre Mme Benbassa, on pourrait croire qu'elle a enseigné dans le secondaire sous Jules Ferry... Le programme de SVT comprend désormais noir sur blanc un enseignement sur la sexualité.

À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos1 rectifié bis, 4 et 6 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°173 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 308
Pour l'adoption 113
Contre 195

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 16 demeure supprimé.

ARTICLE 17 (Supprimé)

M. le président.  - Peut-on considérer que les amendements déposés sur l'article 17 deviennent sans objet ?

M. Roland Courteau.  - Je le crois malheureusement.

Mme Laurence Cohen.  - Certains de nos collègues étaient hostiles à la pénalisation mais favorables au stage de sensibilisation... Mais soit...

Les amendements identiques nos2 rectifié bis, 5 et 7 sont retirés.

L'article 17 demeure supprimé.

ARTICLE 18

Mme Maryvonne Blondin .  - L'article 18 prévoyait la remise d'un rapport sur cette infraction... C'est bien dommage, nous aurions disposé d'éléments utiles.

Les amendements identiques nos3 et 8 n'ont plus d'objet.

L'article 18 est adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°174 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 195
Contre 123

Le Sénat a adopté.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Je remercie les sénatrices et sénateurs intervenus dans le débat, ceux qui s'engagent sur ces questions. Je remercie en particulier Mme Gonthier-Maurin pour son action lorsqu'elle présidait la délégation aux droits des femmes. Je remercie également ceux qui n'ont pas combattu la pénalisation des clients quels qu'aient pu être leurs doutes sur la question.

Je prends le pari que ce texte connaîtra un sort favorable à l'Assemblée nationale, aura une longue vie, à l'instar d'autres grands textes de société qui furent combattus mais qu'aucune alternance n'a remis en cause. Dans vingt ans, les étudiants qui liront nos débats auront le même étonnement que celui qui nous saisit à la lecture des débats sur la loi Veil.

Momentanément appelée à d'autres fonctions, je me sens profondément sénatrice et aime cette maison. J'aimerais pouvoir en parler autrement qu'en expliquant ses votes contre la pénalisation du harcèlement sexuel dans les transports, contre les avancées de la parité politique dans les conseils départementaux, contre la pénalisation du client de personnes prostituées. La Haute Assemblée mérite mieux que ces votes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certain bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Michelle Meunier, rapporteure.  - Nous nous sommes tout dit - et avons tout entendu... Nous demandons beaucoup, car il y va du droit des femmes. Les oppositions ne sont pas droite/gauche, elles passent à l'intérieur des groupes.

Je forme le voeu que ce texte, après son adoption à l'Assemblée nationale, constitue un pas décisif dans l'égalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

La séance est suspendue à 12 h 45.

présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.