Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Avec le Bureau du Sénat, j'en appelle au respect mutuel, valeur de la Haute Assemblée. En ce 8 mars, suivant la suggestion de notre délégation aux droits des femmes, les questions seront toutes posées par des sénatrices.
Hébergement d'urgence
Mme Éliane Giraud . - Depuis le 21 janvier 2013, la politique d'hébergement s'articule avec la politique de lutte pour l'inclusion sociale ; 1,3 million d'euros ont été consacrés au soutien au logement très social. D'après le vingt et unième rapport de la Fondation Abbé Pierre, de janvier 2016, 3,8 millions de personnes sont mal-logées en France, et 5,8 millions en situation de précarité. Les plus démunies, les victimes de violence, les demandeurs d'asile sont les plus exposés. Le plan quinquennal de réduction du recours aux nuitées d'urgence prévoit de créer 13 000 places d'hébergement d'urgence.
À l'approche de la fin de la trêve hivernale, où en est la mise en oeuvre de votre politique ?
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable . - Le Gouvernement a fait le choix de sortir d'une gestion au thermomètre en pérennisant des places autrefois ouvertes uniquement l'hiver : nous sommes ainsi passés de 90 000 à 110 000 places pérennes, auxquelles s'ajoutent 10 000 places d'hiver, dont un bon nombre seront pérennisées à l'issue de la trêve hivernale. Ont en outre été créées 1 150 places pour les victimes de violence. Nous multiplions également les places d'hébergement relais et diminuons sensiblement le recours aux nuitées hôtelières.
Nous continuerons à lutter pour améliorer l'accueil et l'hébergement des plus démunis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Éliane Giraud. - Je suis heureuse d'entendre ces propos dans votre bouche.
Sport et laïcité
Mme Chantal Jouanno . - « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique » dit l'article 50 de la Charte olympique. Or, depuis quelques années, sous couvert d'inclusion, on accepte que des femmes portent des tenues parfaitement inadaptées au sport.
En 1968, quand Tommie Smith et John Carlos ont levé le poing ganté de noir des Black Panthers pour manifester leur solidarité avec la lutte des Noirs américains contre la ségrégation, ils ont été immédiatement exclus. Comment peut-on accepter ce symbole religieux porté par certaines femmes ? Dans la perspective des Jeux de Paris, j'en appelle au respect intransigeant de cet article de la Charte. (Applaudissements unanimes nourris)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports . - Tout le Gouvernement est mobilisé pour la laïcité, qui n'a pas besoin de qualificatifs -« positive », « restrictive »... Tout signe politique ou religieux doit être banni des stades et des gymnases, où l'on ne doit faire que du sport.
La Charte fait aujourd'hui l'objet d'interprétations divergentes. Certains États présentent le voile comme un signe cultuel et non religieux... La position de la France, elle, n'a pas changé. Défendre les droits des femmes, c'est défendre leur émancipation. Nos valeurs sont strictes et nous serons très attentifs. Il faut toutefois être conscient que, lorsque l'on accueille une compétition sportive internationale, on doit aussi se conformer aux règles posées par son organisateur. En l'occurrence, la Charte olympique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Cancer des enfants
Mme Catherine Deroche . - Le 20 février, Imagine for Margo a organisé un colloque sur le cancer de l'enfant. Le règlement sur les médicaments spécifiques pour les enfants mériterait d'être revu, malgré la frilosité de la Commission européenne.
La voix du Gouvernement doit être forte : comment vous y prendrez-vous ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - En matière de lutte contre les cancers pédiatriques, nous faisons des progrès grâce à la recherche et à la qualité de la prise en charge en France. Chaque année, 2 500 nouveaux cas sont recensés parmi les moins de 18 ans.
Le troisième Plan cancer, à mi-parcours, a prévu six sites d'essais cliniques précoces, aujourd'hui opérationnels. Les enfants en situation d'échappement thérapeutique pourront être traités et leur génome séquencé.
Je l'ai dit au commissaire européen, nous voulons renforcer la recherche clinique en pédiatrie et les incitations au développement de médicaments spécifiques. La voix de la France sera forte.
Mme Catherine Deroche. - Il faut agir vite. Il ne faudrait pas que la recherche sur le cancer des enfants, moins nombreux que les adultes, soit à la traîne. Nous vous appuierons. (Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs à gauche)
Situation de l'élevage
Mme Hermeline Malherbe . - Ma question s'adresse à Stéphane Le Foll, mobilisé à Berlin. La crise agricole a de multiples causes, nous en avons déjà parlé ici-même. Je souhaite néanmoins que les résultats concrets soient plus immédiats. Dans les Pyrénées-Orientales, nous travaillons depuis des années à développer une agriculture non extensive. Or la mise en oeuvre de la nouvelle PAC nuit à cette filière - je pense à la proratisation des aides, mais aussi à l'absence des mesures de défense des forêts contre les incendies des programmes de développement rural.
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour que nos éleveurs et éleveuses puissent encore contribuer à la protection de nos forêts contre le feu ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger . - Veuillez excuser l'absence de Stéphane Le Foll, actuellement en Allemagne pour avancer sur la résolution de la crise au niveau européen. (On ironise à droite) Crise dont vous connaissez la gravité.
Nous sommes tous mobilisés : d'abord avec le plan national lancé cet été : 90 millions d'euros d'allègements de cotisations, 140 millions d'euros d'aide supplémentaire, baisse de dix points des cotisations personnelles des agriculteurs au total. C'est considérable.
Les banques doivent faire leur travail, les filières se structurer et la grande distribution jouer le jeu. Nous sommes ouverts à une modification de la loi sur tous ces points.
Sur la question des incendies, madame la sénatrice, nous sommes à votre disposition pour travailler et avancer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Hermeline Malherbe. - Un incendie a précisément lieu à Cerbère en ce moment. Nous attendons - les éleveurs et éleveuses attendent - des réponses précises sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Camp de réfugiés de Grande-Synthe
Mme Marie-Christine Blandin . - Ma question pourrait s'adresser à M. le Premier ministre ou à M. le ministre de l'intérieur... Elle concerne la solidarité de l'État avec une commune exemplaire dans l'accueil des réfugiés que les égoïsmes nationaux font arriver par milliers, fuyant la guerre. La situation à Grande-Synthe est telle que les humanitaires peineraient à se déplacer sur des terrains boueux, que les passeurs se frotteraient les mains à la pensée d'un marché estimé à 8 millions d'euros à ce seul endroit. Le maire a pris ses responsabilités et entrepris la construction d'un campement salubre aux normes HCR, où les femmes sont mieux accueillies. Or le déménagement a été suspendu. Qu'entend faire le Gouvernement ? Dialogue et responsabilité doivent se conjuguer. (Applaudissements à gauche)
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage . - La situation à Grande-Synthe est particulièrement difficile. Vingt-cinq réseaux de passeurs y ont été démantelés depuis le début de l'année - et encore un la semaine dernière. Le Gouvernement oeuvre au réhébergement des migrants hors des bidonvilles, dans les centres d'accueil avoisinants pour lesquels 600 migrants ont déjà quitté Grande-Synthe.
Déjà, le camp n'est plus peuplé de 3 000 mais de 1 050 personnes. La solution n'est pas le déménagement du camp.
Le Gouvernement reste très attentif à ce sujet - le préfet du Nord a souhaité une réunion sécurité - et à l'écoute des acteurs locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Marie-Christine Blandin. - Nous demandons l'égalité de traitement, c'est tout.
Femmes et droit du travail
Mme Laurence Cohen . - Avec plus d'un million de signatures pour exiger son retrait, le projet de loi Travail mobilise contre lui à juste titre. Demain une journée de mobilisation en témoignera (Exclamations à droite)
Les femmes sont bien plus exposées à la précarité, aux conditions de travail difficiles, au chantage des patrons pour plus de flexibilité, (même mouvement) au temps partiel subi. En quoi ce projet de loi qui enterre le seuil minimum de 24 heures hebdomadaires, flexibilise les heures de travail et les salaires, remet en cause la rémunération des heures supplémentaires, permettra-t-il d'améliorer l'égalité entre les femmes et les hommes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Vous le savez, nous avons rouvert des discussions avec l'ensemble des partenaires sociaux, sur ce qui n'est encore qu'un avant-projet de loi. J'entends des interrogations légitimes, mais aussi de la manipulation et de la désinformation...
M. Éric Bocquet. - De quel côté ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. - On dit que nous supprimons le minimum de 24 heures hebdomadaires : c'est faux, c'est même ce Gouvernement qui a imposé ce seuil. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) On dit que nous ouvrons la porte à une semaine de 60 heures : c'est faux.
Oui, c'est vrai, la majorité des emplois précaires sont occupés par des femmes, tout comme le temps partiel subi. Il est vrai aussi que certains employeurs ont des réticences à embaucher en CDI. C'est à quoi nous voulons remédier avec cet avant-projet de loi. (Exclamations à droite. Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Laurence Cohen. - Les gens savent lire, madame la ministre. Ne multipliez pas les temps partiels ; ne dégradez pas les conditions de travail ! Il faut au contraire en venir aux 32 heures et à la création de vrais emplois pour les femmes.
Rythmes scolaires
Mme Françoise Cartron . - Mandatée pour évaluer la réforme des rythmes scolaires, j'ai rencontré de nombreux élus locaux. Ceux-ci ont relevé avec courage le défi qui leur a été posé : 80 000 projets éducatifs de territoire ont été signés. Les territoires se sont fortement mobilisés, quelle que soit leur taille.
Une interrogation demeure. La réforme a été mise en place grâce au soutien financier de l'État. Pour assurer sa pérennité, les maires ont besoins de visibilité, ils ne veulent pas que leurs efforts soient fragilisés.
Le Comité des finances locales a émis le 18 janvier un avis favorable aux aides forfaitaires à certaines communes pour trois ans. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ? (On ironise à droite ; on applaudit sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales . - L'année 2015 a été la deuxième année d'application des nouveaux rythmes scolaires et celle de la généralisation des projets éducatifs de territoire. Le 17 août 2015, le Gouvernement a pris les décrets pérennisant les aides financières aux communes. Le Comité des finances locales leur a effectivement donné un avis favorable.
Les communes bénéficiant des aides majorées de 90 euros au lieu de 50 au titre des dotations de solidarité urbaine ou rurale cibles conserveront cet avantage pendant trois ans. Aucune ne sera perdante d'ici à 2018. 370 communes sont concernées, des petites communes, des grandes - je pense à Marseille. (M. Jean-Claude Gaudin s'en félicite ; on applaudit sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Sélection en master
Mme Marie Mercier . - Au nom de l'égalitarisme, certains s'opposent à la sélection en master ; d'autres la défendent pour plus d'homogénéité des niveaux. Les universités l'appliquent déjà, sans fondement juridique...
Alors que le chômage des jeunes atteint 25,7 %, soit 5,7 points de plus que la moyenne européenne, que 40 % des diplômés ne trouvent pas d'emploi à l'issue de leurs études, est-ce le moment de promouvoir l'égalitarisme ? Cette utopie ravageuse que Raymond Aron qualifiait de « tyrannie »...
Mme Catherine Troendlé. - Très bien !
Mme Marie Mercier. - ...nivelle par le bas, au lieu de rendre nos universités plus compétitives et de développer les passerelles avec l'entreprise. (Applaudissements à droite)
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage . - Évitons de confondre la sélection à l'entrée à l'université, qui est exclue, avec celle à l'entrée en master. Le 10 février dernier, le Conseil d'État a rappelé que cette dernière était possible, à condition que la liste des formations concernées soit fixée par décret.
Ce sera bientôt chose faite : le décret énumérera l'enseignement des masters qui pratiquent actuellement la sélection entre le master 1 et le master 2, pour sécuriser la prochaine rentrée. Après quoi un dialogue s'engagera avec les présidents d'universités et les étudiants, car tout le monde convient que la situation actuelle n'est pas satisfaisante.
Mme Marie Mercier. - Le master est une formation particulière qui justifie la sélection. Les jeunes ont besoin d'avoir confiance en leur avenir, et en leur pays ! (Applaudissements à droite)
Droits des femmes
Mme Christiane Hummel . - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre...
Les femmes ont besoin d'égalité 365 jours par an. Les victimes de violences physiques et psychologiques doivent faire la preuve des faits, ce qui est difficile.
La loi Dalo prévoyait pour les femmes victimes de violences une priorité qui n'est pas appliquée.
De plus en plus de femmes ont peur de sortir. Des évènements comme ceux de Cologne se produisent dans nos villes. Voici des problèmes rencontrés au quotidien par les femmes. (Applaudissements à droite)
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Vous trouverez bon, je pense, que la ministre chargée des droits des femmes vous réponde...
Nous sommes mobilisés pour aider, judiciairement et psychologiquement, les femmes victimes de violences par un accueil spécifique.
Concernant l'accès prioritaire au logement social des femmes victimes de violences, mon diagnostic est moins pessimiste que le vôtre : cela fonctionne, même si le nombre de logements sociaux est insuffisant car moindre que les besoins. Enfin, la République dans toutes ses composantes - liberté, égalité, fraternité, laïcité - est la meilleure alliée des droits des femmes.
Je suis préoccupée par le recul de l'éducation sexuelle sous la pression de groupes particulièrement actifs, et par l'effacement des femmes dans l'espace public. Nous sommes déterminés à faire respecter la laïcité, à l'école comme dans la rue. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
Mme Christiane Hummel. - Un coup de projecteur un jour par an ne suffit pas.
M. Didier Guillaume. - Cela ne date pas d'aujourd'hui !
Mme Christiane Hummel. - Ouvrez les yeux sur les pressions communautaristes dont les femmes sont victimes et défendez les valeurs de la République ! (Vifs applaudissements à droite)
Pensions alimentaires impayées
Mme Marie-Pierre Monier . - 40 % des pensions alimentaires ne sont pas payées, alors qu'elles représentent un cinquième des revenus des plus modestes. 90 000 foyers monoparentaux sont concernés alors que les familles monoparentales sont déjà parmi les plus pauvres.
L'article 27 de la loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes contient un mécanisme d'expérimentation sur vingt départements, qui sera ensuite généralisé le 1er avril à tout le territoire, permettant de sécuriser la situation des femmes isolées.
Ou en est cette expérimentation et la mise en place d'une agence de recouvrement des pensions alimentaires ? Il s'agit d'un vrai progrès social.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - La violence économique du non-paiement des pensions alimentaires est en effet une violence de plus contre les femmes. Le rapport Fragonard a relevé la triste situation dont vous avez fait état : 30 à 40 % des pensions alimentaires non ou mal versées. Je pense aussi aux couples non mariés dont la séparation ne donne lieu à aucune pension alimentaire.
Le bilan de l'expérimentation est si positif que nous la généraliserons au 1er avril 2016. (M. Marc Daunis : « Très bien ! ») Elle garantira le versement de 100 euros au moins par enfant et par mois.
Les caisses d'allocations familiales, dans le cadre d'une subrogation, mèneront à la place des familles les actions judiciaires pour recouvrer les sommes dues, évitant ainsi de nouvelles violences le cas échéant.
Nous travaillons à la mise en place d'une agence dédiée.
Vous le voyez : pour le Gouvernement, c'est le 8 mars tout au long de l'année. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La séance est suspendue à 17 h 40.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 17 h 55.