Reconquête de la biodiversité (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et sur la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité.
Mme la ministre de l'écologie, en déplacement à New York, a tenu à m'appeler il y a une heure pour me demander de l'excuser.
Explications de vote
Mme Évelyne Didier . - Nous avons bien travaillé en commission puis en séance. Ce projet de loi répond-il à tous nos voeux ? Évidemment non. Mais un travail sur le fond, l'ouverture d'esprit de la ministre, du président et du rapporteur de la commission doivent être salués. Il est dommage que certains se soient limités à un angle... de tir. Nous devons entendre l'aspiration de la société à protéger la biodiversité. Le vivant est un tout dont l'humanité fait partie.
Nous approuvons la nouvelle définition de la biodiversité ; la création de l'Agence de la biodiversité terrestre (ABT) et du Comité national de la biodiversité (CNB), avec un rapprochement avec l'ONCFS tout en demandant que les salariés de l'AFB soient associés. Les prélèvements sur les agences de l'eau doivent cesser. Une gestion des prestations, avec les collectivités territoriales, doit être privilégiée.
Nous saluons l'adoption de notre amendement interdisant les cotons-tiges à bâtonnet plastique ; hélas, il n'en a pas été de même pour les microbilles. Il faut pourtant lutter contre la pollution des océans. Ceux qui prendront les devants - comme les États-Unis en 2018 - gagneront in fine. Nous avons d'autres regrets sur le chalutage en eaux profondes et les néonicotinoïdes.
Le Sénat a pris position sur la non-brevetabilité du vivant. Puissent les députés confirmer cette avancée !
La ministre a jugé cohérent d'étendre les obligations de traçabilité des OGM aux nouvelles techniques apparentées. Nous regrettons que ne soient pas interdites les plantes rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse.
Nous saluons la ratification du Protocole de Nagoya, mais condamnons en revanche la création d'un marché financier spéculatif via les réserves d'actifs naturels. Tout ne se vaut pas, il n'y a pas d'équivalence écologique.
Nous espérons que l'Assemblée nationale respectera notre travail et qu'il ne sera pas détricoté sous la pression des lobbys. Pour l'heure, malgré nos réserves, nous voterons ce texte de loi, en espérant qu'il soit inscrit à l'ordre du jour en deuxième lecture le plus vite possible. (Applaudissements à gauche)
M. Hervé Poher . - Il est bien difficile de dresser un bilan objectif et qualitatif des débats qui ont échauffé (Désapprobation à droite) cet hémicycle - même si cela aurait pu être pire.
L'objectivité ne fait pas partie de la nature humaine. Ce texte de 72 articles parle de l'environnement, de sa perception, de ses usages, de sa survie. Ce n'est pas une loi sur la chasse, non plus qu'une loi agricole, même si l'une et l'autre sont présentes en filigrane - et c'est normal. Économie, recherche, santé, cette loi concerne tout le monde. Un « monstre », disait un collègue : pour un seul corps, plusieurs têtes auxquelles nous avons ajouté !
La « qualité », elle, dépend du point de vue. Merci à ceux qui, malicieusement, ont prolongé les débats pour nous prouver que les paysages nocturnes et diurnes n'étaient pas les mêmes. (Sourires) Merci à ceux qui nous ont fait rêver avec l'outre-mer... et avec la fabuleuse aventure du coton-tige. Merci enfin au rapporteur pour sa vigueur... décoiffante. (Rires)
Je comptais que nous écrivions une belle histoire. C'était naïf, avec ce vocabulaire normatif - avec lequel on peut en revanche légiférer. Nos nombreux amendements ont fait évoquer de nombreux sujets d'actualité, parfois irritants, mais qui auraient fini par revenir sur le devant de la scène.
Certains déploreront des reculs, d'autres salueront des avancées. Ce n'est qu'une première lecture. Tout le monde reconnaît qu'il y a urgence, que le statu quo est intenable. Paradoxe, il faut réagir rapidement alors que la biodiversité a mis des années à se constituer.
Le groupe socialiste et républicain votera donc ces deux textes. D'autres écriront sans doute la belle histoire de la biodiversité avec d'autres mots ! (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Christine Blandin . - Quand Rachel Carson écrivait le Printemps silencieux en 1962 et qu'elle subit les railleries des productivistes, qui aurait pu croire qu'en 2016 le Sénat travaillerait de façon constructive sur un projet de loi relatif à la biodiversité ? Paul Watson compare la terre à un vaisseau dont les passagers - nous, les humains - rejetteraient l'équipage - toutes les autres espèces - par-dessus bord, il aura fallu la pugnacité des ONG, celle du capitaine-rapporteur, les études patientes des chercheurs, notamment du Muséum, pour aboutir à ce projet de loi dont les écologistes se félicitent.
Le bilan est certes contrasté. Dans « Éviter, réduire, compenser », il s'agit d'abord d'éviter, comme les écologistes l'ont fait préciser. Dans la stratégie nationale pour la biodiversité, nous avons prévu des actions opérationnelles pour les espèces en danger. Nous avons aussi libéralisé l'échange de semences, entériné les principes de Nagoya. L'outre-mer a reçu une attention exceptionnelle.
Hélas, le Sénat a considéré « usage » comme un synonyme de chasse. On est passé de la réserve sans chasse sauf dérogation à la réserve avec chasse sauf exception. On a aussi invoqué l'Europe quand cela arrangeait - pour ne pas interdire les néonicotinoïdes - tout en l'oubliant quand elle nous demande d'interdire la chasse à la glu.
Plusieurs fois, on nous a opposé que ce n'était pas le bon véhicule. Il y eut des victoires sur le fil, à propos de la tenue des registres des phytosanitaires, par exemple. De fait, la reconquête de la biodiversité impose de toucher à tous les codes.
Malgré la ministre et le rapporteur, on a assisté au retour sinistre du chalutage en eaux profondes. Cela portera sur les étals les poissons les plus chargés en mercure : bon appétit ! Nous souhaitons que ce texte revienne au plus vite au Sénat, et que l'on interdise enfin le chalutage en eaux profondes. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean Louis Masson . - Cette loi est un pan de la politique nécessaire sur l'environnement... preuve en est que nous y avons introduit des amendements sans rapport avec la biodiversité, sur l'huile de palme, les phytosanitaires... (Protestations sur les bancs écologistes)
Globalement, c'est une avancée, qui nous change du renoncement à l'écotaxe. La biodiversité est certes importante. Mais comment pouvons-nous expliquer aux Africains qu'il faut protéger les rhinocéros, les lions, les éléphants alors qu'ils n'en ont pas les moyens ! Nous les avons, nous, et la ministre traîne les pieds pour défendre l'ours ou le loup...
M. le président. - Concluez !
M. Jean Louis Masson. - Les dispositions sur la biodiversité ne doivent pas être détournées, comme les écologistes le font trop souvent. (On s'impatiente, à gauche) On le voit à propos de Notre-Dame-des-Landes ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe écologiste)
M. Raymond Vall . - Je comptais commencer par dire qu'à certains moments, nous sommes capables de consensus...
Je veux saluer le travail accompli, d'abord par Philippe Martin, qui a déposé cette proposition de loi, puis par Mme la ministre dans un esprit coconstructif : elle a été constamment à l'écoute des scientifiques comme des parlementaires. Remercions aussi notre excellent rapporteur. Ce projet de loi comporte des progrès notables et la ministre assure que le travail du Sénat sera respecté. La reconnaissance du préjudice écologique, la modification des règles de prescription de la pollution, l'extension de la non-brevetabilité du vivant, l'autorisation de l'échange des semences non-reconstructibles doivent être saluées. Les pratiques de certains gros semenciers, avec la bénédiction de l'agence européenne des brevets, sont inacceptables !
Quant à l'AFB, la modification de la composition de son conseil d'administration garantira sa souplesse et la représentation des outre-mers, chers à Guillaume Arnell.
Nous nous réjouissons aussi de l'autorisation donnée pour ratifier le Protocole de Nagoya. Le progrès et l'innovation doivent être encouragés. L'abaissement de la contribution des utilisateurs de ressources génétiques de 5 % à 1 %, que nous proposions, est bienvenu. Sur les néonicotinoïdes, l'action devra se poursuivre au niveau européen.
Le groupe RDSE est très satisfait des mesures adoptées sur la chasse et la pêche de loisir. Bien que je regrette l'absence des comités départementaux, le groupe RDSE sera unanime à voter ce projet de loi. Pour défendre la biodiversité, faisons confiance à l'innovation.
Comme disait le chef Seattle en 1854, l'homme n'est qu'un fil de la trame. Tout ce qu'il fait à la trame, il le fait à lui-même ! (Applaudissements)
Mme Sophie Primas . - Ce projet de loi contribuera à l'inversion de la courbe de l'érosion de la biodiversité. L'enjeu est capital pour la survie de l'homme, pour notre économie, l'attractivité du territoire, particulièrement en France et dans ses outre-mers. Notre groupe a eu le souci d'articuler cet objectif avec les contraintes et opportunités du développement économique. Nous préférons une stratégie des petits pas à des antagonismes stériles.
Notre groupe a été à l'origine de progrès substantiels. C'est ainsi que nous avons intégré dans le texte la proposition de loi du président Retailleau sur le préjudice écologique. De même, le rapporteur a choisi de ratifier dès maintenant le Protocole de Nagoya. Attention cependant à la notion, vague, de « nouvelle utilisation » et aux risques de distorsion de concurrence à l'international.
Jean-Noël Cardoux a rappelé le rôle essentiel des chasseurs ; premières vigies de la biodiversité. Des dispositions provocatrices ont été supprimées. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
Nous avons voulu rassurer le monde agricole, exaspéré. Une approche partenariale a été préférée au zonage sur la compensation, un travail important est devant nous, car elle ne doit pas conduire à la consommation de terres agricoles.
Sur les néonicotinoïdes, le Sénat, dans sa sagesse, a adopté l'amendement de Nicole Bonnefoy, qui permettra au ministre de l'agriculture de prendre un arrêté prenant en compte l'avis de l'Anses - qui ne préconise nullement l'interdiction des néonicotinoïdes mais désapprouve leur usage pour certaines cultures et à certaines périodes.
Enfin, le projet de loi est épuré des dispositifs d'affichage, comme l'obligation faite aux centre commerciaux de végétaliser leur toiture ou de l'équiper en panneaux solaires.
Certains points méritent d'être retravaillés. Ainsi du financement de l'AFB, car l'eau doit continuer à payer l'eau. Le principe de solidarité juridique ne doit pas conduire à des dérives.
Enfin, nous sommes totalement opposés à l'introduction de l'action de groupe pour le préjudice écologique, beaucoup trop large.
Nous voterons ce texte, en attendant la deuxième lecture avec vigilance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Chantal Jouanno . - Étrange compromis que ce texte. La biodiversité, c'est admis, est la condition de notre existence, et la science doit éclairer le législateur.
Certaines oppositions virulentes ont étonné, bien qu'elles ne fussent pas illégitimes, car la transition est lourde de conséquences économiques et sociales. J'entends le risque pour l'économie, le risque de transposition, etc...
Les chasseurs, partenaires indispensables, doivent absolument intégrer l'AFB. (Applaudissements de MM. Jeanny Lorgeoux et Alain Bertrand)
Hélas, nous avons refusé d'inscrire dans la loi le principe de non-régression de la biodiversité. Quel dommage aussi de n'avoir pas interdit le chalutage en eaux profondes. Quant aux néonicotinoïdes, ils représentent un vrai danger. (Applaudissements de M. Joël Labbé)
M. Jean Bizet. - C'est faux ! Lisez l'étude scientifique sur la question !
Mme Chantal Jouanno. - Le ministre de l'écologie devrait être signataire d'un arrêté qui concerne aussi les polinisateurs sauvages.
Et pourtant, deux grands progrès demeurent. La création de l'AFB, d'abord, source d'expertise à destination, peut-on espérer, des collectivités territoriales. La ratification du protocole de Nagoya ensuite.
Merci aux passionnés qui ont suivi le débat, à commencer par le rapporteur et le président de la commission. Malgré nos réserves - et nos divisions - les membres du groupe UDI-UC voteront très majoritairement ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. le président. - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en Salle des conférences.
Je remercie nos collègues, MM. Jean Desessard, Claude Haut et Jackie Pierre, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
La séance, suspendue à 15 h 25, reprend à 15 h 50.
Scrutin public solennel sur le projet de loi
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°131 sur l'ensemble du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Pour l'adoption | 263 |
Contre | 32 |
Le Sénat a adopté le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
M. le président. - Remercions le président de la commission et le rapporteur. (Applaudissements)
Intervention du Gouvernement
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Mme Royal, après avoir accompagné le président de la République en Inde, participe aux États-Unis au premier forum de l'économie bas carbone, créé par la COP21, et vous prie, en conséquence, d'excuser son absence. Le Sénat a beaucoup amélioré le texte. Après la COP21, vous avez mis la France très en avance sur la biodiversité. Ces quelque trente-deux heures de débat au Sénat ont permis de créer l'AFB, de ratifier le Protocole de Nagoya, d'enclencher le processus de croissance verte, en réconciliant écologie et économie. Ségolène Royal a entendu vos demandes pour supprimer des habilitations à légiférer par ordonnances. Il n'en reste plus aucune pour le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Le Gouvernement veillera à ce que l'Assemblée nationale respecte cette oeuvre, qui fera date dans l'histoire. (Approbations à gauche et à droite) Nous espérons que la deuxième lecture aura lieu au plus vite. (Applaudissements sur la plupart des bancs à gauche)
Scrutin public ordinaire sur la proposition de loi organique
M. le président. - Nous passons au scrutin public ordinaire de droit sur la proposition de loi organique relative à la nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité. Il va être procédé au scrutin public dans les conditions fixées par l'article 56 du Règlement.
Le texte ajoute le président de l'AFB dans la liste des personnes dont la nomination peut être refusée par les trois cinquièmes des membres des commissions compétentes à l'article 13 de la Constitution. Voilà qui accroît les prérogatives du Parlement. (Applaudissements)
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°132 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
La séance est suspendue à 16 heures.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.