Reconquête de la biodiversité (Suite)
Discussion générale commune (Suite)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) L'évolution de la biodiversité est préoccupante, particulièrement en France : en tant que huitième pays hébergeant le plus grand nombre d'espèces menacées, nous avons une responsabilité colossale. Ce texte transpose le droit international en matière de défense de la biodiversité, autour de l'institution opérationnelle qu'est l'Agence française pour la biodiversité.
Les principes fondamentaux déclinés dans les titres I et II apportent une conception plus dynamique de la biodiversité que la définition, inscrite dans le code de l'environnement, découlant de la convention des Nations unies de 1992. Nous saluons la transposition du triptyque « éviter, réduire, compenser ». Agriculture, sylviculture et environnement sont complémentaires : on ne peut opposer défense de la nature et exploitation économique des ressources naturelles. D'où la nécessité d'un profond changement de culture. Des méthodes agricoles innovantes existent : en Vendée, l'Association pour la promotion d'une agriculture durable promeut les semis directs sous couvert végétal.
Il faut clarifier les objectifs et simplifier les structures. Notre groupe a déposé des amendements pour améliorer la représentation des acteurs économiques dans la gouvernance, meilleure façon de favoriser la mutation de leur activité. Grâce à Jérôme Bignon, tous les acteurs sont représentés au sein du Conseil national ; mais soyons lucides, c'est l'AFB qui prendra les décisions.
Le réchauffement climatique aide des espèces exotiques invasives importées à se développer dans le marais vendéen, comme la Jussie et la Myriophylle du Brésil. Parmi les plantes terrestres, citons le Baccharis. L'arrachage coûte très cher. L'ensemble de ces espèces devrait être interdit à la vente. Côté faune, même constat : les acteurs locaux luttent contre les rongeurs aquatiques nuisibles, ragondins et rats musqués, à leurs frais. L'écrevisse de Louisiane ruine la biodiversité des marais, mais la complexité de la réglementation freine toute action.
Nous saluons ce texte, en espérant que l'accompagnement réglementaire et financier nécessaires suivra. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)
Mme la présidente. - Un petit fascicule pédagogique vous a été distribué, qui illustre très bien les thèmes abordés.
M. Gérard Longuet. - C'est mieux avec les images !
Mme Nicole Bonnefoy . - En décembre, 195 pays réunis à Paris par le président de la République ont fait de la COP 21 un grand succès. Cet accord capital signifie que plus personne ne nie la gravité et l'origine humaine du dérèglement climatique.
Ce texte nous encourage et nous engage : ce n'est que le début d'un travail colossal ; mais c'est une base solide qui doit nous servir à approfondir la redéfinition de notre modèle de développement. Nous devons collectivement changer, prendre des mesures fortes, être exigeants avec nous-mêmes. Impossible de réduire nos émissions sans modifier nos comportements, sans renoncer à l'idée que les exigences environnementales et sanitaires seraient un frein à l'activité économique.
Selon une étude présentée à Bonn en 2008, le coût de l'inaction est estimé entre 1 350 et 3 100 milliards d'euros par an. Ne pas agir nous coûte très cher. Or les externalités négatives sont systématiquement écartées quand il s'agit d'évaluer le coût de notre modèle économique et industriel.
Parmi les coûts induits de la pollution : les dépenses de dépollution, les coûts de santé, la dégradation de l'attractivité de nos territoires.
Si nous pouvons entendre la détresse des agriculteurs face aux réglementations, nous devons prendre conscience, en responsabilité, que l'accumulation des contraintes est d'abord la conséquence de pratiques déraisonnables.
Dans un rapport de décembre 2015, le Commissariat général au développement durable a estimé que sur 2,2 millions de tonne de produits phytosanitaires utilisés en 2013, les deux tiers seraient en surdose. Le trop plein se disperse dans l'air, l'eau, les sols. Cela coûte 3 milliards d'euros par an pour les seuls services de l'eau potable et de l'assainissement. Ayons cela en tête lorsque le modèle intensif est présenté comme le moins cher, les projets de réduction des intrants comme irréalistes...
Les questions environnementales ne sont pas des questions à la mode : ce sont des réalités. La sixième extinction de masse dont parlent les scientifiques a déjà commencé : la moitié des espèces que nous connaissons pourraient disparaitre d'ici un siècle.
Ce projet de loi propose une riche palette d'outils, quarante ans après la loi sur la nature de 1976. Les diverses mesures qu'il contient sur tant de sujets serviront les grandes valeurs : la solidarité écologique, le principe « éviter, réduire, compenser », la mise en mouvement des territoires, la nécessité d'innover sans piller, la mutualisation des savoirs et des sciences participatives.
M. Jean Desessard. - Très bien.
Mme Nicole Bonnefoy. - Le groupe socialiste défendra quelques amendements ambitieux : l'action de groupe dans le domaine environnemental, la création des zones prioritaires pour la biodiversité, le renforcement des mesures compensatoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)
M. Joël Labbé . - Je regrette l'absence de notre collègue national-populiste, qui a la gâchette si facile contre les écologistes...
M. Jean-Louis Carrère. - Mais vous n'êtes pas une espèce en voie de disparition !
M. Joël Labbé. - Ce texte, qui élève le débat, fait suite à l'accord historique du 12 décembre 2015, premier accord universel visant à assurer l'avenir de l'humanité. Il y aura un avant et un après COP 21 : ce projet de loi arrive au bon moment. La biodiversité souffre du réchauffement climatique, mais elle est indispensable pour y remédier.
Ce texte a connu quelques avancées à l'Assemblée nationale, quelques reculs en commission du développement durable.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Oh !
M. Joël Labbé. - Mais c'était avant la COP 21 ! Mme Blandin regrettait que le Grenelle de l'environnement n'ait pas créé d'Agence française pour la biodiversité ; c'est désormais chose faite, même si nous regrettons qu'elle ne comporte pas l'ONCFS. Nous serons particulièrement attentifs à l'article 18, sur l'accès et le partage des avantages liés aux ressources, en veillant à ce que les communautés d'habitants soient mieux associées.
L'interdiction des brevets du vivant, la suspension des cultures issues de mutagénèses, les dispositions relatives à l'étiquetage des huîtres en fonction de leur origine, l'énergie animale et la reconnaissance du statut de meneur territorial nous tiennent à coeur, tout comme l'interdiction des néonicotinoïdes, sur lesquels de nouvelles études confirment ce que je vous ai toujours dit : ils perturbent non seulement les abeilles, mais tous les êtres vivants présents dans le sol, plus nombreux dans une poignée de terre qu'il n'y a d'êtres humains sur terre. Le sol, c'est la vie, et la vie c'est le sol ; la chimie y crée beaucoup de désordres. L'Anses le dit : les néonicotinoïdes sont néfastes.
Merci, madame la ministre et monsieur le rapporteur, d'avoir joué le jeu de la plateforme « Parlement et citoyens », qui a reçu 9 300 contributions. C'est un moyen moderne de reconnecter les citoyens et les politiques que nous sommes.
Notre vote final sur ce texte dépendra de nos travaux. Toujours optimiste, j'espère que nous pourrons le signer des deux mains... (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Raymond Vall . - Merci à Jérôme Bignon pour son rapport remarquable. Il y a urgence, pour la biodiversité et pour l'homme : nous menaçons la nature, avec des conséquences incalculables. Modifier 50 % de la surface du globe engendrera un effondrement économique - or nous en sommes à 43 %... Nous n'avons pas suffisamment tenu compte des avis des scientifiques. Voici 25 ans qu'Hubert Reeves, parrain de l'Agence française pour la biodiversité, parcourt le monde, la France - le Gers - pour nous faire prendre conscience que nous sommes interdépendants et que nous ne pourrons pas changer de planète avant longtemps !
Outre le principe de solidarité écologique et celui de compensation, l'inscription du préjudice écologique dans le code civil, apportée par notre commission, est à saluer.
La majorité de notre groupe votera ce texte. Les territoires à énergie positive en témoignent, c'est au plus près du terrain que nous avancerons.
Nous devons traiter le sujet préoccupant des néonicotinoïdes, dont l'impact sur les abeilles est avéré. Pouvons-nous encore nous dire incompétents, alors que le titre I consacre le principe de l'action préventive ? Madame la ministre, il faudra agir auprès de nos partenaires européens pour obtenir un moratoire, à défaut d'interdiction.
Saluons encore la prise en compte des paysages, avec l'introduction de l'objectif de qualité paysagère dans les Scot. C'est un encouragement pour les territoires qui, comme le mien, se sont engagés dans un plan paysage.
Cette loi est une étape décisive, qui s'inscrit dans le prolongement du Grenelle, de la loi de transition énergétique et de la COP. Hubert Reeves le dit : la biodiversité nous concerne tous, nous en sommes tous dépendants.
Nous présenterons une centaine d'amendements ; mais nous ne pouvons pas ne pas trouver un consensus. La politique doit laisser la place à la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Noël Cardoux . - Ce texte, qui aurait dû faire l'objet d'un dialogue constructif, apaisé et fructueux entre tous les acteurs, risque d'être un rendez-vous manqué avec les chasseurs et les pêcheurs.
Vous affirmez que ce n'est pas une loi chasse et pêche. Mais au gré des amendements adoptés à l'Assemblée nationale, et de ceux déposés au Sénat, certains parlementaires ont voulu faire de ce texte une attaque en règle contre la chasse et ses particularismes locaux, qu'ils méconnaissent totalement... (MM. Jean-Louis Carrère et Éric Doligé applaudissent)
Le président de la République l'a reconnu le 20 octobre, les chasseurs sont déçus d'être incompris alors qu'ils entretiennent la flore et la faune. Ils ont sauvé des zones humides ; l'ONCFS finance la répression contre le braconnage. N'en déplaise à M. Dantec, les chasseurs s'imposent des contraintes ! Avec 3,6 milliards d'euros par an, 26 000 emplois et 75 millions d'heures de bénévolat, le président de la République a jugé prioritaire de renforcer l'activité cynégétique, atout pour le développement diversifié de nos territoires ruraux. Rappelons que le Sénat a voté à l'unanimité la suppression de la baisse du plafond de redevances cynégétiques affectées à l'ONCFS, avec l'avis favorable du Gouvernement.
Le groupe chasse a déposé en commission des amendements défensifs, car nous avons eu l'impression que l'interdiction de la chasse à la glu était pour certains le coeur de la lutte pour la biodiversité ! Il y a là bien de la désinformation.
M. Jean-Louis Carrère. - Je le démontrerai.
M. Jean-Noël Cardoux. - Merci à la commission d'avoir supprimé les amendements d'agression votés par l'Assemblée nationale.
Les chasseurs sont devenus très méfiants face à ces mises en cause systématiques. D'où nos amendements offensifs. L'espèce humaine fait partie de la biodiversité : la nature ne doit pas être un sanctuaire réservé à la faune et la flore où l'homme n'aurait pas sa place. Merci, madame Primas, de dire que les chasseurs sont les premières vigies de la biodiversité. Nous tenons à ce que les principes d'usage et d'utilisation durable de la nature soient repris, et que la non-régression écologique soit repoussée. De même, nous proposons de maintenir l'indépendance de l'ONCFS, qui représente plus de 1,2 million de personnes et toute une filière au même titre que la filière agricole ou forestière. L'Office passera une convention avec l'AFB, mais ne doit pas se diluer dans un organisme qui aurait pour finalité de restreindre les temps de chasse.
Nous allons débattre de manière apaisée. J'espère que les arguments des chasseurs, prédateurs entrants dans un cycle naturel, seront entendus, car chacun a intérêt à ce que le vote soit consensuel. La défense de la biodiversité mérite mieux qu'un combat dogmatique contre une activité naturelle et millénaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains ; MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Claude Luche applaudissent aussi)
M. Pierre Médevielle . - Mme Jouanno a rappelé la genèse du texte, à laquelle elle a participé, et dont de nombreuses dispositions viennent mettre en oeuvre des protocoles internationaux ; Mme Billon a affirmé la position de notre groupe par rapport aux principes généraux.
Les titres IV et V du texte reflètent bien l'ambivalence qui doit être la nôtre. Approche défensive au titre V tout d'abord, qui se fonde sur la prise de conscience de l'urgence : il n'y a plus de tergiversations possibles, d'autant que le climat évolue plus vite que prévu. Les outils sont toutefois perfectibles : ainsi, le mécanisme de compensation devrait associer systématiquement les acteurs locaux, et notamment les associations de chasseurs et de pêcheurs. Il conviendrait de confier à l'Observatoire national de la consommation des espaces agricoles un état des lieux des atteintes à la biodiversité.
Les obligations réelles environnementales pérenniseront des actions en faveur de la biodiversité pour un coût moindre pour la collectivité.
Les néonicotinoïdes, dénoncés par l'Anses, ont une nocivité avérée. Il faut les interdire, comme le propose Chantal Jouanno.
Le débat sur la chasse à la glu, sujet anecdotique n'a pas sa place ici : concentrons-nous sur le fond du texte, sans nous éparpiller - d'autant que cette pratique traditionnelle n'a pas pour but de tuer des animaux mais d'attraper des appelants.
Il y a une autre manière d'aborder la biodiversité, c'est l'approche prospective et positive. Le titre IV, qui transpose le protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles, montre combien la biodiversité est une richesse inestimable pour la France. La défendre, c'est préparer l'avenir, environnemental et économique.
Enfin, la compensation des atteintes à la biodiversité est de nature à réconcilier environnement et activité économique, et pourra constituer une source de revenus complémentaires pour les agriculteurs.
Ce projet de loi qui sonne comme un cri d'alarme est aussi un formidable message d'espoir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et RDSE ; M. Joël Labbé applaudit également)
M. Jean-Yves Roux . - Les hommes savent protéger leur patrimoine culturel, à peine commence-t-on à protéger notre patrimoine naturel, affirmait déjà la Déclaration internationale des droits de la mémoire de la terre, signée le 13 juin 1991 à Digne-les-Bains.
Ce texte est une bonne nouvelle pour les territoires ruraux et montagnards, qui entendent valoriser un patrimoine multiforme, interdépendant, vivant. Nous devons, plus que jamais, privilégier une approche globale. C'est le sens de l'inscription de la géodiversité et du support minéral dans la biodiversité.
Les territoires peuvent tirer avantage d'une valorisation raisonnée et durable de leurs écosystèmes. Je plaide pour que la future AFB se soucie de la préservation de la ressource en eau et de l'entretien des cours d'eau notamment en montagne. Où en sont les discussions sur les possibles dérogations aux débits réservés en zone de montagne en cas de sécheresse ?
Pierre-Yves Collombat, tirant les leçons des inondations dramatiques, a bien posé le problème du curage : l'article 215-15 du code de l'environnement encadre le curage au point de le rendre impossible, au détriment de la faune et de la flore : l'AFB s'en occupera-t-elle ? Pourra-t-elle piloter des expérimentations ? Des initiatives sont-elles prévues ? Là où il y a une volonté, il y a un chemin : nous y sommes. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Michel Vaspart . - Ce texte nous parvient au terme d'un tortueux parcours initié dès 2012. La démocratie n'y a pas gagné. Je salue le travail considérable et remarquable de notre rapporteur, qui a su instiller du réalisme là où la gauche, à l'Assemblée nationale, en avait manqué.
J'ai une pensée pour la Bretagne, les Côtes-d'Armor en particulier, dont les difficultés sont très loin des préoccupations de ceux qui ont rédigé ce texte. Heureusement, de l'équilibre y a été porté. Monsieur le ministre, est-il possible de préserver l'espèce des agriculteurs ? Est-elle en voie de disparition ? (Applaudissements au centre et à droite)
Les restrictions paysagères, toujours plus nombreuses, rendent l'activité plus difficile, alors que l'intérêt du pays demande d'aller dans le sens de l'ouverture, de la simplification, de la relance.
Tâchons d'aller au-delà des compromis actuels, pour être plus utile aux acteurs économiques : c'est notre rôle en séance plénière. Je soutiendrai les amendements de nos collègues Pointereau, Bailly, Cardoux.
Pour ma part, je vous proposerai d'agir pour le lombricompostage, un sujet moins mineur qu'il n'y paraît, et plus symbolique de nos blocages administratifs... Je vous lis ce mail que j'ai reçu : « à l'heure où nous cherchons à réduire les déchets, à avoir un environnement plus sain, à sensibiliser nos concitoyens à l'environnement, certaines activités sont incapables de démarrer en France, croulant sous le poids de législations et réglementations non proportionnées qui bloquent toute initiative. C'est ainsi que toute société qui souhaiterait développer le lombricompostage ou produire des insectes type coccinelle pour lutter de façon écologique contre les ravageurs des cultures au lieu d'utiliser des produits chimiques, ou encore produire des escargots pour la transformation ultérieure, est soumise à une réglementation extrêmement contraignante concernant la faune sauvage captive, à savoir l'obtention d'une autorisation préfectorale d'ouverture qui requiert également que l'entretien des animaux soit placé sous la responsabilité d'une personne titulaire du « certificat de capacité » délivré en application de l'article L. 423-2 du code de l'environnement ». Au même titre que les zoos et les cirques ! (Exclamations à droite) Je rappelle qu'il est question ici de lombrics, coccinelles, et escargots ... (Même mouvement)
De la simplification avant toute chose... Rapprochons l'écologie de l'économie !
M. Rémy Pointereau. - Très bien !
M. Michel Vaspart. - Notre pays a besoin de réalisme. Comme le disait Darwin : « Ce n'est pas la poule la plus forte ou la plus intelligente qui l'emporte, mais celle qui s'adapte ». (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Nous y voilà, à ce débat sur le vivant et le milieu ! Notre territoire, de la Bourgogne à la barrière de corail en Nouvelle-Calédonie, offre un patrimoine naturel exceptionnel. Cependant la « mégamachine » entrevue dans les années cinquante par Lewis Mumford, devient réalité, ballottant les individus - comme Henry George Thoreau l'avait prédit dans Walden ou la vie dans les bois dès le XIXe siècle, parlant de « la cité désespérée », mais aussi de « la campagne désespérée » où, nous dit le poète, c'est « le courage de la loutre et du rat musqué » qui nous consolera de notre existence faite de « tranquille désespoir ».
Quel sens donner à la vie, dans ces conditions ? À nous d'avoir conscience de la Terre, et de nos « petites patries », contre la tyrannie du temps : au naufrage mondial, répondons par l'ancrage local.
Ne cédons pas à cette passion française, qui consiste à désigner systématiquement des boucs émissaires - nous avons besoin de tout le monde, or les ouvriers de la terre, que sont les chasseurs, les agriculteurs, les élus locaux se sentent visés. Je pense, en particulier, à un amendement de Mme Blandin tendant à interdire la chasse le mercredi...
Mme Marie-Christine Blandin. - Pardon, il n'est plus là !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je salue le travail de nos rapporteurs pour un texte qui construit avec plutôt que contre. La régulation des espèces implique une intervention : les chasseurs en sont des acteurs majeurs, nos rapporteurs l'ont compris.
Je salue l'amendement de Sophie Primas qui intègre à l'ONCFS des représentants des collectivités locales, sans toucher au principe selon lequel les représentants issus des milieux cynégétiques représentent la moitié des membres du conseil.
Je salue aussi la suppression de l'article 34 : le contrat vaut mieux que la contrainte.
De même, un amendement utile de Jérôme Bignon à l'article 27 associe les chambres d'agricultures à la procédure d'élaboration de la charte d'un parc naturel régional.
C'est au prix du dépassement des clivages artificiels que nous pourrons répondre à l'immense défi qui nous attend et éviter le terrible scénario imaginé par ces poètes chanteurs québécois que sont les Cowboys Fringants dans leur très belle chanson Plus Rien :
« Il ne reste que quelques minutes à ma vie
Tout au plus quelques heures je sens que je faiblis
Mon frère est mort hier au milieu du désert
Je suis maintenant le dernier humain de la terre
On m'a décrit jadis, quand j'étais un enfant
Ce qu'avait l'air le monde il y a très très longtemps
Quand vivaient les parents de mon arrière grand-père
Et qu'il tombait encore de la neige en hiver
En ces temps on vivait au rythme des saisons
Et la fin des étés apportait la moisson
Une eau pure et limpide coulait dans les ruisseaux
Où venaient s'abreuver chevreuils et orignaux
Mais moi je n'ai vu qu'une planète désolante
Paysages lunaires et chaleur suffocante
Et tous mes amis mourir par la soif ou la faim
Comme tombent les mouches jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien...
Plus rien...
Plus rien... »
(Applaudissements sur plusieurs bancs, à droite, au centre, et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jacques Cornano . - Ce texte est très attendu et très important puisqu'il modifie notre conception de la nature, du rôle qu'y prend l'homme, de la fragilité de la biodiversité.
La biodiversité de la Guadeloupe - Grande Terre corallienne au sol calcaire peu accidenté, Basse Terre, volcanique culminant à la Soufrière -, est méconnue alors qu'elle est particulièrement riche, de sa flore terrestre comme maritime : c'est un véritable hot spot de la biodiversité, qui offre un formidable champ d'expérimentation et appelle des solutions originales, notamment juridiques.
Cependant, la destruction des espèces et la fragilité de notre biodiversité nécessitent d'agir vite.
Ce texte exige des compléments et des précisions, - en particulier sur l'accès au patrimoine génétique -, j'avais compris que la France devait mieux reconnaître les savoirs traditionnels, en particulier.
N'attendons pas du droit des effets qu'il ne peut avoir, comme nous le rappelle opportunément le professeur Prieur, mais cela ne doit pas nous empêcher d'agir. (Applaudissements)
M. Gérard Cornu . - Je salue à mon tour le travail colossal de notre rapporteur, son écoute.
Le capital vert s'érode de jour en jour ; des espèces disparaissent, les sols et les océans sont pillés, les espaces diminuent, le climat se réchauffe... Tous les indicateurs de la biodiversité sont au rouge.
M. Ronan Dantec. - Très bien !
M. Gérard Cornu. - Qu'allons-nous léguer à nos enfants ? Quarante ans après la loi de 1976, ce sujet devrait faire consensus, comme lors du Grenelle de l'environnement conduit par Jean-Louis Borloo. Rien de tel, hélas ! Par son acharnement idéologique contre ceux qui vivent et travaillent sur les territoires, le Gouvernement n'a pas pu faire consensus.
La biodiversité doit articuler l'environnement et l'économie plutôt que de les opposer et mettre la nature sous cloche. Nous devons préciser les missions des instances nouvelles. Cependant ce texte alourdit les règles pour les agriculteurs, qui, pourtant, entretiennent les haies et les prairies : ils sont d'accord pour agir, mais pas pour la biodiversité promue par le Gouvernement.
J'entends le souci d'équilibre et le pragmatisme du rapporteur ; cependant, je m'associe à M. Pointereau, pour les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs, véritables artisans, petites mains de nos paysages, de nos rivières, mémoires vivantes de nos paysages, de nos vallées, de nos plateaux : voilà la réalité !
Ce texte facilitera-t-il la reconquête de la biodiversité ? Non, nous sommes même loin des objectifs du Grenelle, ce texte se limite à de l'affichage : comme les Français, j'attends du concret ! (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale commune est close.
La séance est suspendue à 19 heures.
présidence de M. Hervé Marseille, vice-président
La séance reprend à 21 h 05.