Jour de mémoire
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
Discussion générale
M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi . - Alors que nos valeurs républicaines sont attaquées, il me semble nécessaire d'inculquer à tous nos jeunes ce qui a fait la France et ce qu'être Français signifie. Ils se désintéressent des journées de commémoration, et les garçons ne font plus de service militaire, qui était une occasion de transmettre ces valeurs...
Mme Najat Vallaud Belkacem, saluant mon initiative, m'a répondu que son ministère avait déjà conclu en 1982 un partenariat avec le ministère de la défense, pour la mémoire des conflits que la France a connus depuis 1870. Avec quels effets concrets ?
Des classes sont associées à certaines journées mémorielles, comme, en 2015, au soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz le 27 janvier, ou à la panthéonisations le 27 mai. Cependant, combien d'enfants ont-ils été concernés ? On ne saurait non plus se contenter de telles actions ponctuelles. Et je n'ai jamais vu d'écoles participer, par exemple, à la journée de mémoire de l'esclavage... Sur le parcours citoyen - intéressant - qui vient d'être mis en place jusqu'à la terminale, nous ne disposons pas du recul nécessaire.
Bref, il manque l'étincelle pour passer du devoir de mémoire au travail de mémoire, pour que les élèves s'approprient notre histoire. En CM2, en 4e et en 2nde, les programmes scolaires d'éducation civique et d'histoire se prêtent aux travaux pratiques prévus par cette proposition de loi.
À trois reprises au cours de leur scolarité, dans le cadre des programmes existants, les élèves pourraient donc travailler, par exemple, sur les chants patriotiques, ou sur un site mémorial ; ils pourraient recevoir des soldats qui leur parleraient des Opex. Le travail donnerait lieu à une présentation en présence des élus, des parents, des enseignants. Cela mériterait d'être généralisé au-delà de l'expérimentation dans des classes pilotes. J'ai proposé le dernier jour ouvré du mois de mai - en fin d'année, afin que les classes aient le temps de mener ce travail.
Ma proposition de loi est sans doute incomplète, le dialogue doit se poursuivre avec tous les groupes et les ministères concernés. Je voterai donc pour le renvoi en commission, afin d'aboutir à une proposition consensuelle. (Applaudissements au centre ; Mme Colette Mélot et M. Marc Laménie applaudissent également)
M. Claude Kern, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Merci à M. Delahaye pour son initiative. Faire partager la mémoire de la nation est un enjeu crucial, c'est assurer la pérennité du principe spirituel de notre nation, que Renan faisait reposer sur un riche legs de souvenir, en même temps que sur le consentement actuel au vivre ensemble et la volonté de faire vivre l'héritage commun.
Or les commémorations officielles ne rencontrent qu'un faible écho auprès de la jeunesse. M. Delahaye propose un jour de mémoire, pendant l'année scolaire, en classe de CM2, de 5e et de 2nde. Le contenu en serait déterminé par les enseignants dans le respect des programmes.
L'objectif est consensuel. La mobilisation de l'école pour les valeurs de la République, lancée après les attentats de janvier, prévoit déjà la participation d'élèves aux commémorations.
J'ai proposé quelques modifications substantielles à la proposition de loi, comme de déplacer le jour de mémoire immédiatement avant le 11 novembre - car en mai, il existe déjà un grand nombre de cérémonies officielles, signe de l'émiettement commémoratif qui caractérise notre pays.
En 2008, le rapport Kaspi soulignait que la multiplication des commémorations diminuait l'effet de chacune. Le calendrier de l'Education nationale est déjà bien chargé : journée de l'Europe, jour pour l'égalité hommes-femmes, journée pour la laïcité, contre le harcèlement. Il faut en tenir compte.
Notre commission a estimé qu'un sujet aussi sensible méritait un travail approfondi et non une proposition de loi déposée dans le cadre d'une niche.
Aussi en accord avec la présidente Morin-Desailly, le groupe UDI-UC et l'auteur de la proposition de loi, nous proposons un renvoi en commission, pour aboutir à un large consensus. On ne peut construire une mémoire partagée avec des divisions partisanes. À l'heure où notre nation est attaquée de l'extérieur et de l'intérieur, nous devons nous rassembler autour d'une mémoire commune.
Plus que jamais le souvenir des épreuves passées est nécessaire pour faire face aux défis d'aujourd'hui. (Applaudissements)
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien : c'est courageux.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire . - Comme la ministre de l'Éducation nationale, je partage l'ambition des auteurs de cette proposition de loi : sensibiliser nos jeunes aux valeurs de notre pays, aux sacrifices consentis par nos ancêtres.
Le travail de sensibilisation et de transmission est essentiel. Notre histoire constitue une part de notre identité. C'est en connaissant les sacrifices pour la liberté et nos valeurs, que les jeunes sauront construire la nation de demain.
La question est de trouver le meilleur moyen de satisfaire cette ambition. Il est vrai que la participation des jeunes aux commémorations est en baisse. Mais la mémoire ne se transmet pas seulement au pied des monuments aux morts. D'autres canaux existent. C'est ainsi que 13 000 enfants de CM2 ont participé au programme « Les petits artistes de la mémoire » en 2015. Le concours national sur la Résistance et la déportation est en cours de rénovation. Mon ministère soutient chaque année 500 projets qui incitent 25 000 jeunes à réfléchir à la notion d'engagement, à se rendre sur les lieux de bataille.
On réfléchit sans cesse à de nouveaux vecteurs de la mémoire, comme le numérique, afin notamment de construire des contre-discours face aux falsificateurs de l'histoire.
Les rencontres du web 14-18 ont montré l'émergence d'une communauté de la mémoire sur le web avec des milliers de « J'aime » sur Facebook. À chaque étape de la scolarité, un lieu de mémoire contre le racisme ou la xénophobie est présenté.
C'est pourquoi la création d'une journée supplémentaire de mémoire n'est pas opportune. Cette journée risque de faire concurrence aux autres journées existantes. Elle nourrirait le sentiment que toutes les mémoires se valent, que tous les évènements sont semblables.
Le travail au long cours de l'Éducation nationale est la meilleure prévention contre la haine et le négationnisme. Encadrés par leurs enseignants, les élèves réfléchissent sur le passé. Point n'est besoin de créer une obligation juridique pour que les jeunes s'intéressent à la mémoire. Celle-ci est une pratique de tous les jours, tout au long de l'année. À nous de revoir notre politique mémorielle, le contenu pédagogique afin, comme le recommandait Jean Zay, de donner les armes à notre jeunesse pour défendre la liberté par tous les moyens.
Je suis favorable au renvoi en commission. (Applaudissements à gauche)
présidence de M. Hervé Marseille, vice-président