Accès à la restauration scolaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire.

Discussion générale

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique .  - Après les événements tragiques du 13 novembre, nous devons consolider la République dans tous les territoires. Il n'est pas inutile de le rappeler en ce jour où nous fêtons la laïcité, 110 ans après le vote de la loi Briand qui l'a consacrée valeur constitutive de la République.

L'école reste le pilier de la République : les enfants y découvrent les règles et la vie en collectivité, y apprennent à devenir citoyen au contact des enseignements mais aussi de tous les adultes qu'ils y côtoient.

La restauration scolaire ne représente pas seulement un service, c'est un lieu d'échange, un lieu d'apprentissage, un lieu hautement éducatif qui s'incarne dans le fait de s'asseoir avec d'autres autour d'une table.

Garantir le droit à la restauration scolaire est une nécessité car c'est un service public, ouvert par définition à tous les enfants.

M. Jean-Louis Carrère.  - Absolument !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Pour beaucoup d'entre eux, ce repas est souvent le seul équilibré de la journée. Or certains maires refusent l'accès à la cantine aux enfants dont un des parents ne travaille pas ou est au chômage ; c'est inacceptable d'abord parce que cela pèse sur les femmes au foyer.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Tout à fait.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Ensuite, parce que punir de cantine les enfants de chômeur transforme leur malaise en culpabilité sociale. L'État n'a pas l'obligation de compenser la charge de cantine aux communes, qui ont le choix de fournir ou non ce service public. Lorsqu'elles l'offrent, elles ne sauraient en restreindre l'accès. La Convention internationale des droits de l'enfant rappelle d'ailleurs le droit à une alimentation équilibrée.

Alors que nous traversons des temps difficiles, il n'est pas question d'abaisser notre vigilance. Renforçons plutôt nos services publics, surtout ceux qui bénéficient aux plus jeunes, parce que les enfants de France le méritent, parce que notre société en a besoin. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Veuillez excuser l'absence de Françoise Laborde, co-rapporteure de ce texte, qui s'est beaucoup investie dans sa préparation.

Un certain nombre de communes, faute de ressources humaines ou financières, ont restreint l'accès à la cantine de certains enfants, selon les moyens des parents. Une telle discrimination est inacceptable et, au reste, illégale.

Pour autant, cette proposition de loi est inutile, inopportune et inopérante. Cette compétence communale est facultative, si bien que les communes sont libres de créer le nombre de places qu'elles souhaitent dans les services de restauration ou d'en restreindre l'accès.

Une jurisprudence constante censure les règlements intérieurs discriminatoires à l'encontre de certains enfants, handicapés notamment. Le juge des référés peut être saisi et le préfet peut saisir le juge de toute disposition de cette nature. Point n'est donc besoin de légiférer pour réaffirmer ces principes ; il suffirait d'une circulaire rappelant aux préfets qu'ils doivent attaquer les règlements contraires à la loi.

Certaines communes ont jugé bon de réguler les pics de fréquentation des cantines - qui s'expliquent parfois par des raisons de confort - en créant un double service, un seul ou en limitant son accès.

Mme Carlotti, il y a un an, nous expliquait que l'instauration d'un droit d'accès à la cantine reviendrait à en faire une compétence obligatoire. Dès lors, il faudrait une compensation financière de l'État.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Ce n'est pas un transfert de charges !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Faut-il instaurer une contrainte supplémentaire pesant sur les communes qui font déjà l'effort d'organiser un tel service public ? Mme la ministre a raison de rappeler le rôle social de la restauration scolaire. Mais d'autres chantiers semblent plus prioritaires que celui-ci, qui ressort chaque année, et ne règle aucun problème.

M. Loïc Hervé.  - Très bien.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Les communes seraient contraintes d'engager des dépenses qu'elles ne peuvent assumer. Une circulaire demandant aux préfets de faire appliquer le droit serait plus efficace qu'un texte inapplicable. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Amiel .  - Cette proposition de loi crée un droit d'accès à la cantine dans les 24 000 communes ayant une école primaire, pour réaffirmer le principe d'égalité, rappelé par la jurisprudence. Il est juste que tous les enfants puissent accéder à la cantine scolaire : c'est un réel enjeu de santé publique mais aussi éducatif et social. Quand nous comptons 2,7 millions d'enfants pauvres, les plus fragiles bénéficient d'un repas varié, complet, équilibré. L'aspect éducatif est, lui, multiforme : le repas en commun est au coeur du projet de l'école républicaine, et le reste alors que nous prônons tous plus de mixité. Un enfant allergique doit-il être mis au ban ?

Quelque 80 % des communes dotées d'une école publique organisent un tel service, dont le caractère de service public a été reconnu. Conséquence : le juge lui impose le respect du principe d'égalité, qui ne souffre que de très strictes entorses, et dont la méconnaissance est passible de sanctions pénales. Les référés-suspension et les déférés préfectoraux assurent le respect de ces principes, mais tous les problèmes ne sont pas réglés : quid des écoles privées ? Des communes non dotées d'une école publique ? Ce serait une nouvelle source d'inégalité territoriale.

M. Loïc Hervé.  - Une de plus !

M. Michel Amiel.  - Il serait plus utile de renforcer les moyens d'accompagnement des enfants handicapés.

Ce texte ne répond donc qu'imparfaitement au problème. Ses conséquences financières sont incertaines - alors que la réforme de la dotation globale de fonctionnement a été reportée à l'année prochaine.

Une majorité du groupe RDSE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Claude Kern .  - Le groupe UDI-UC, s'associant à la position du rapporteur, votera contre cette proposition de loi. (M. Loïc Hervé applaudit)

Sans vouloir faire offense à ses auteurs ni au groupe socialiste qui l'a inscrite dans sa niche, l'intention est louable mais le texte inutile. Le service public de restauration scolaire est déjà soumis au respect du principe d'égalité devant la loi, garanti par la jurisprudence constitutionnelle et administrative. J'avoue avoir des difficultés à cerner l'apport de ce texte. Les manquements sont sanctionnés par le juge, grâce au référé-suspension ou au déféré préfectoral.

Admettons toutefois qu'il faille légiférer ; de nouvelles questions se posent alors. Connaît-on le nombre de discriminations ? Le Défenseur des droits parle de 500 cas : 5 % des discriminations sont fondées sur le handicap, 5 % sur l'origine des enfants, 50 % sur le revenu des parents... Ne pouvons-nous pas disposer d'informations plus fiables ?

Sur qui la charge financière supplémentaire reposera-t-elle ? Sur les collectivités territoriales, en situation difficile ? Sur l'État ? Le chiffrage n'est même pas connu.

Les élus doivent conserver le libre choix, fondement d'un service de qualité. Le sujet n'est pas nouveau : un règlement type de la restauration scolaire devait être adopté par l'État et l'Association des maires de France (AMF) en 2012. Où en est-on ? Mieux vaudrait relancer ce chantier.

Nous sommes tous attachés à l'accès de tous les élèves à la restauration scolaire, source d'équilibre nutritionnel et de socialisation. Mais nous rejetons ce texte qui fait insidieusement de la cantine scolaire une compétence obligatoire des communes. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Auteure d'une proposition de loi sur le même sujet en 2012, je pourrais insister sur les nombreux manques du présent texte. Compte tenu de la teneur de nos débats, je reviendrai plutôt sur les principes.

À l'époque, les cas de refus d'inscrire à la cantine des enfants dont l'un des parents était au chômage s'étaient multipliés. Ces restrictions relevaient souvent d'une posture idéologique : on oubliait ainsi le surcroit de disponibilité que peut nécessiter une recherche d'emploi.

Nous avions donc proposé l'inscription de cette obligation dans le code de l'éducation, comme fait l'article premier de cette proposition de loi. Il est vrai que la jurisprudence est constante pour reconnaître le caractère illégal, car discriminatoire, de tels refus d'accès à la restauration scolaire. Mais cette jurisprudence n'empêche pas des maires de prendre de telles dispositions qui, pour être déclarées illégales doivent être contestées devant le tribunal administratif. Force doit donc revenir à la loi, qui dans la hiérarchie des normes se situe au-dessus de la jurisprudence, laquelle peut évoluer.

On nous dit que cette proposition de loi serait un texte d'affichage. Ce ne serait pas la première fois !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Ce pourrait être la dernière aussi.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - La cantine est un lieu de socialisation. Pour beaucoup d'enfants, ce repas est le seul équilibré de la journée. (On approuve sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Comment étudier le ventre vide ? La cantine est un lieu de l'éducation au goût, de découverte de la diversité culinaire et des produits bio. La pause méridienne est aussi le moment durant lequel est dispensée l'aide personnalisée aux élèves ou sont proposées des activités périscolaires dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Le Conseil d'État a maintes fois assimilé la cantine à un service public annexe au service public d'enseignement, impliquant le respect du principe d'égalité.

Celui-ci ne s'oppose pas à ce que soient instaurées des différences de traitement dès lors qu'elles se fondent sur des éléments objectifs liés au service rendu ou répondent à des exigences d'intérêt général.

Nous savons de plus que restreindre l'accès à la cantine pénalise l'emploi féminin. Ce texte va dans le bon sens mais il faudra toujours en passer par les juges pour faire respecter les principes. L'adopter serait néanmoins un signal fort : nous le voterons. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques-Bernard Magner .  - Cette proposition de loi complète le code de l'éducation afin que tous les enfants bénéficient de la restauration scolaire lorsque ce service existe dans leur commune. Certains maires refusent en effet l'accès à la cantine aux enfants dont les parents sont sans emploi ou en arrêt maladie. La santé, le handicap, l'appartenance à une religion sont d'autres motifs discriminatoires parfois retenus... Malgré les annulations de règlements prononcées par les tribunaux en mars 2013, certaines communes ont persisté, ce dont le Défenseur des droits s'est ému.

Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Souvent, il arrive le ventre vide à l'école. Faut-il le priver du seul repas équilibré de sa journée ? Le stigmatiser devant ses camarades ? Les enseignants le disent : un enfant qui a bien mangé aura une meilleure concentration en classe. La cantine est aussi un lieu de socialisation, de mixité sociale et d'apprentissage collectif. Les parents peuvent engager une procédure de recours ? Soit, mais c'est long et compliqué. La loi leur évitera de longues et fastidieuses démarches.

Le Défenseur des droits rappelle que la restauration scolaire est un service public, certes facultatif, mais soumis dès qu'il existe au respect des principes de continuité, d'égalité et de neutralité. Plaçons-nous sur le seul plan des valeurs républicaines. En juillet 2013, nous avons inscrit dans la loi de refondation de l'école que celle-ci était « inclusive ». Cette proposition de loi, qui ne crée aucune contrainte nouvelle, prolonge cette logique. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Christine Blandin .  - La cantine est fondamentale pour les enfants. Un sur deux y mange, ce qui représente 1 milliard de repas chaque année.

En 2009, le Conseil d'État a confirmé sa jurisprudence, constante, en jugeant discriminatoire les critères d'exclusion de certains enfants du service public de la cantine. Les maires arguent le plus souvent au manque de moyens.

Serge Slama, maître de conférences en droit public, estime que l'activité des parents ne saurait pour l'instant fonder un accès différencié à la cantine, mais il n'exclut pas un revirement de jurisprudence compte tenu du contexte économique. Ce texte comble donc un vide juridique.

Parmi les motifs d'exclusion, les enfants dont les mères sont en congé de maternité. Imaginez comme il est confortable de préparer un repas pour ses enfants juste avant de partir pour la maternité ! 

Mme Françoise Gatel.  - Oh là là...

Mme Marie-Christine Blandin.  - Les communes pauvres ne peuvent certes pas toujours faire face à l'accroissement des demandes ; mais la restauration reste un lieu de socialisation, de découverte du goût de la cuisine des autres, du goût des autres tout court.

Autre source de dépenses, n'en déplaise à certains : il faudra également ouvrir les robinets - que certaines communes s'obstinent à maintenir fermés - car il est recommandé de se laver les dents après tous les repas.

Mme Françoise Gatel.  - Allez dire ça aux maires !

Mme Marie-Christine Blandin.  - C'est une recommandation très sérieuse dispensée par les associations sanitaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste) Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait insisté sur l'accès des enfants handicapés à la cantine.

Espérons que notre vote changera le quotidien des familles. Nous, écologistes, voulons que ce texte s'applique. (Exclamations ironiques à droite et au centre)

M. Guy-Dominique Kennel.  - Il n'en prend pas le chemin !

Mme Marie-Christine Blandin.  - Certes le coût de ce texte n'est pas précisément connu. Mais le soutien introductif de la ministre nous rassure.

L'école doit rester le lieu de l'inclusion, de l'égalité des chances. Le groupe écologiste votera ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Guy-Dominique Kennel .  - Ce texte procède d'une intention généreuse, mais permettez-moi d'élargir le propos : faut-il légiférer sur tout et rien, pour s'en plaindre ensuite sur le terrain ? La déferlante des textes - accessibilité, environnement, etc... - accable les élus locaux, qui gèrent les choses au mieux pour proposer une offre de service public au cas par cas. Je remercie le rapporteur pour son excellent éclairage.

Le texte instaure d'abord une ambiguïté notable ; la restauration scolaire en maternelle et en primaire n'est que facultative pour les communes. Et en vertu du principe de mutabilité, elles peuvent revenir sur la décision de créer le service ou d'en moduler les conditions d'accès, sans préjudice du principe d'égalité. Les usagers peuvent ainsi faire l'objet de différences de traitement, que la jurisprudence administrative, claire et constante, a encadrées.

Ce texte crée en outre une discrimination supplémentaire. Aucune obligation supplémentaire ne pèsera sur les communes qui n'offrent pas un service de restauration scolaire ; celles qui en ont déjà un devront consentir de lourds investissements.

L'État devrait compenser les frais générés par de telles dispositions, mais il en est bien incapable... Raison pour laquelle on nous propose une majoration de la DGF à due concurrence - c'est se moquer dans le contexte actuel -, financée par une augmentation des taxes sur le tabac...

Faisons confiance aux élus locaux plutôt que de voter une loi pour quelques cas seulement dont les effets seront négatifs. Une réponse juridique existe déjà en cas de discrimination.

Attaché à l'autonomie et à la liberté des communes, sachant qu'elles feront preuve de bon sens pour répondre à la demande, je voterai contre ce texte avec le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

Mme Chantal Deseyne .  - Si la restauration scolaire est une compétence facultative des communes, elle est un service public. Seul le manque de personnel et d'encadrement peut justifier un refus d'accès à la cantine.

Dès lors, pourquoi voter cette loi ? Le juge administratif sanctionne déjà les discriminations.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Encore faut-il qu'il soit saisi !

Mme Chantal Deseyne.  - Plus de 80% des communes disposant d'une école publique ont mis en place une ou plusieurs cantines. La bonne volonté des maires a ses limites. Peut-on imposer aux communes des travaux d'agrandissement, des recrutements dont elles n'ont pas les moyens ? Ne va-t-on pas freiner les maires qui souhaitent ouvrir une cantine scolaire et craignent de ne pouvoir faire face à un afflux d'inscriptions ? Il serait irresponsable de créer un droit d'accès à la cantine pour tous les élèves sans connaître son coût ni surtout sans prévoir de compensation solide alors que les dotations diminuent. D'autant plus après la réforme des rythmes scolaires... Et qui peut croire que l'État compensera ?

Ne créons pas une contrainte financière insoluble pour les maires et inutile au regard de la jurisprudence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Yannick Vaugrenard .  - Je vais vous parler des enfants. (On s'en réjouit à gauche) Quelque 14 % de notre population vit sous le seuil de pauvreté. Entre 2008 et 2013, 440 000 enfants supplémentaires ont plongé avec leurs familles sous ce seuil. Au total 3 millions d'enfants sont concernés, un sur cinq.

M. Charles Revet.  - Quel aveu d'échec !

M. Yannick Vaugrenard.  - Pour eux, ce repas est le seul pris dans la journée.

M. Jacques Grosperrin.  - Faisons confiance aux maires !

M. Yannick Vaugrenard.  - Cette cruelle réalité ne peut laisser personne indifférent, d'autant que le temps de la restauration scolaire est aussi un temps éducatif et de socialisation. Les chômeurs, de plus en plus nombreux, doivent demeurer disponibles pour rechercher un emploi.

En 2013, le tribunal de Versailles a jugé que subordonner l'accès d'un enfant à la cantine à la démonstration que ses deux parents travaillaient était contraire au principe d'égalité. Le tribunal de Marseille a rendu une décision analogue le 25 novembre 1995. Le Conseil d'État, le 23 octobre 2009, le Défenseur des droits - M. Baudis puis M. Toubon - ont confirmé cette jurisprudence. Malgré celle-ci, les atteintes au principe d'égalité n'ont pas disparu. Il faut légiférer.

Martin Luther King disait : « lorsqu'il y a une injustice quelque part, elle nous concerne tous ». Comme à l'Assemblée nationale, rassemblons-nous pour donner corps à l'égalité. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen et écologiste)

Mme Marylise Lebranchu, ministre .  - Le nombre d'enfants scolarisés dans la commune sera désormais pris en compte dans le calcul de la nouvelle DGF. Ayons en tête que seuls estent en justice certains parents ; les familles en très grande difficulté, je le déplore, ne sont plus connues des associations de parents d'élèves...

La jurisprudence est constante, raison de plus pour l'inscrire dans la loi ; cela gagnera du temps sans retirer de marges de manoeuvre aux élus. Ainsi la ville de Marseille offre des repas gratuits.

M. Jacques Grosperrin.  - Marseille est une grande ville !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Pour toutes ces raisons, j'invite le Sénat à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.  - Nous examinons le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, la commission de la culture n'en ayant pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Dominique Gillot .  - Le rapport du Défenseur des droits de mars 2013 rappelle clairement le principe d'égal accès au service de la restauration scolaire.

S'il n'est pas question de nier les difficultés, aucune n'est insurmontable. La petite musique sur l'inutilité de légiférer nous inquiète. La baisse des dotations est évoquée à tout propos pour justifier un recul du service public. Comment accepter de stigmatiser des enfants qui connaissent déjà de grandes difficultés ? Voter contre, c'est mettre en cause l'égal accès. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Éric Doligé.  - Démagogie !

Mme Bariza Khiari .  - Le groupe socialiste a repris cette proposition de loi parce qu'il en partage l'analyse et l'objectif : l'école est là, non pour exclure, mais pour intégrer et faire vivre concrètement les valeurs d'égalité et de fraternité à travers les repas pris en commun, transmettre une culture commune, un savoir-être.

M. Jacques Grosperrin.  - Ce n'est pas son rôle !

Mme Bariza Khiari.  - Il n'est pas possible de sélectionner les enfants, quel que soit le critère, la jurisprudence est constante. Pour beaucoup d'enfants dans l'extrême pauvreté, le repas de midi pris à la cantine est souvent l'unique repas équilibré. On ne peut concevoir que l'école ajoute une difficulté à celles des familles qui vivent dans la précarité. Luttons contre les discriminations de tous les ordres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Christian Manable .  - Je regrette que la droite sénatoriale, non la droite toute entière, oblige les parents chômeurs à aller devant les tribunaux pour que leurs enfants mangent à la cantine. (Protestations à droite) Encore faut-il que ces parents en aient les moyens. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

M. Charles Revet.  - C'est la gauche qui est aux commandes !

M. Christian Manable.  - Certes, l'école dispense des nourritures intellectuelles mais les nourritures terrestres importent aussi. Le droit à la cantine représente un coût. C'est affaire de choix politiques. (On approuve sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; on le réfute vivement à droite et au centre) Dans mon département de la Somme, un maire d'une commune rurale de 1 200 habitants me disait : je ferai moins de trottoirs... (Exclamations au centre et à droite)

Et les enfants chanteront « Moi je préfère manger à la cantine avec mes copains » de Carlos, qui n'est autre que le fils de Françoise Dolto !

M. Jean-Louis Carrère .  - Je salue la constance de M. Carle, j'aurais aimé entendre également Mme Laborde...

L'examen de ce texte mérite respect et écoute. Plaçons l'enfant au coeur de nos réflexions. Voilà l'important. On connaît 500 cas d'exclusion des cantines scolaires, ils doivent être certainement plus nombreux. Le coût ? Vous l'érigez en barrière symbolique quand sur le terrain, elle n'existe pas. Je soutiens le maire d'Hagetmau, qui n'est pas de ma couleur politique, quand il crée la cantine à un euro ! Ne croyez-vous pas que les électeurs accepteraient une augmentation d'impôt pour financer l'accueil de tous les enfants à la cantine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Françoise Gatel.  - Oui, soyons modérés. Dans mon département breton, aucune des 353 communes ne laisse un enfant à la porte de la cantine ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains) Ce texte représente un geste de défiance envers les maires (On approuve à droite) On sait bien que de facultatif le service deviendra obligatoire parce que les parents n'accepteront pas de ne pas exercer leurs droits - dans les établissements privés aussi. Je refuse qu'on me culpabilise parce que je voterai contre ce texte.

Toujours plus d'exigences et de charges pour les communes, toujours moins de liberté, toujours moins de financement ! Et que faites-vous des enfants scolarisés au collège et au lycée ? Ce texte ne concerne que l'école primaire. Assez de leçons de morale ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Jean-François Longeot .  - Plutôt que de constater la précarité des enfants, battons-nous pour leur offrir un avenir ! Dans ma commune, je ne fais pas appel à un traiteur privé, je propose des produits en circuits courts et jamais un enfant n'est exclu. Je refuse qu'on me culpabilise !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Encore !

M. Jean-François Longeot.  - Des classes ferment dans le monde rural, les enfants doivent se lever tôt le matin et rentrent tard chez eux... Est-ce cela, mettre les enfants au coeur ? (Applaudissements au centre)

M. Michel Raison .  - La France est dans la détresse. Au soir des élections, on voit toujours les mêmes personnes s'exprimer à la télévision pour dire qu'elles ont entendu le message de la population... Puis vient le jargon, les valeurs, les forces de progrès... Et le lendemain on nous propose des lois, encore des lois, des lois qui tuent la loi... Sans faire confiance aux élus. (Applaudissements au centre et à droite) Venez-voir comment les choses se passent à Luxeuil-les-Bains, on se décarcasse, tous les enfants ont à manger ! Aucun texte ne remplacera la morale. On veut décider pour les maires... Et quand on baisse les dotations, ce sont eux qui souffrent... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Derrière cette question qui paraît anodine, il y a un choix politique. Il n'y a pas d'un côté les généreux et ceux qui ne le seraient pas, les moralisateurs et les autres... (Marques d'ironie au centre et à droite) Oui, c'est affaire de choix politiques et chacun fait les siens. Qui, la semaine dernière, a abaissé l'ISF et supprimé des postes de fonctionnaires ?

M. Yannick Vaugrenard .  - Ce débat n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Dans cet hémicycle, les maires sont généreux et accueillent tous les enfants à la cantine. Fort bien. Mais que faites-vous de ceux qui refusent des enfants ?

M. Jacques Grosperrin.  - Que ces communes changent de maire !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Et les enfants ne mangeront pas ?

Mme Françoise Gatel.  - Il y a la jurisprudence !

M. Yannick Vaugrenard.  - Voulez-vous que le juge décide à notre place ? Légiférer en l'espèce, c'est le bon sens collectif, le bon sens humaniste, le bon sens politique.

La République est en danger. Je vous en prie, chers collègues, réfléchissez avant de voter.

M. Martial Bourquin .  - A l'Assemblée nationale, cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Personne n'a voté contre, plutôt.

M. Martial Bourquin.  - Quelques cas seulement d'élèves exclus ? Peut-être mais ce sont des enfants. M. Longeot se plaint de la disparition des écoles dans les campagnes. Qui les a fermées ? (Protestations à droite) Qui a supprimé des milliers de postes de fonctionnaires, de policiers, de gendarmes ? Ayons pour seul guide l'intérêt supérieur de l'enfant. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Le Scouarnec .  - Sans doute n'êtes-vous jamais parti, comme moi, en classe de découverte avec des élèves d'un quartier populaire ? Vous n'imaginez pas comment certains sont sous-alimentés. Maire, j'ai ensuite mis en place des tarifs adaptés. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Kaltenbach.

I. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les tarifs de la restauration scolaire au sein des écoles primaires ne peuvent excéder un prix plafond fixé chaque année par arrêté par le Gouvernement. L'augmentation de ces tarifs, d'une année sur l'autre, ne peut être supérieure au niveau de l'inflation. »

II.  -  Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

...  -  La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

...  -  La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. Philippe Kaltenbach.  - C'est un amendement d'appel sur les tarifs de la cantine scolaire. Dans mon département, je constate dans certaines communes, depuis quelque temps, une hausse de 40 % pour des repas facturés à l'unité jusqu'à 7,40 euros. Cela entraîne une exclusion de fait de certains enfants de la restauration scolaire. Tirons la sonnette d'alarme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Les tarifs de la restauration scolaires sont fixés par la collectivité territoriale qui a la charge de ce service aux termes de l'article R. 531-52 et R. 531-53 du code de l'éducation. Le repas ne peut être facturé à un montant supérieur à son coût de revient. Les collectivités peuvent moduler leurs tarifs selon les revenus des parents - à Paris, cela va de 13 centimes à 7 euros.

Les hausses récentes sont imputables à un effet ciseau : à la baisse des dotations et à la réforme des rythmes scolaires...

Avis défavorable à cet amendement qui contrevient à la libre administration des collectivités territoriales.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Madame Gatel, la restauration scolaire est obligatoire dans les collèges et les lycées. Sagesse sur l'amendement. Il faudra sans doute revoir le décret.

Un décret de 2000 encadrait les tarifs à la cantine scolaire. Je m'engage à le retravailler. Retrait ?

M. Philippe Kaltenbach.  - Merci.

L'amendement n°1 est retiré.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Ce texte fait battre les coeurs, c'est normal puisqu'il s'agit d'enfants. Parlons aussi avec notre raison. Une jurisprudence existe ; elle ne s'exerce pas hors sol, elle est limpide. Sans doute faut-il la faire mieux connaître et appliquer par les préfets. Le législateur, s'il a un coeur, doit prendre des décisions éclairées. Le texte n'est pas accompagné d'une étude d'impact, le groupe RDSE du Sénat ne l'a pas repris alors qu'il émane de son groupe miroir à l'Assemblée nationale. Ne légiférons pas de manière précipitée. Prêtons attention aux enfants, et faisons confiance aux élus.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Certains préfèrent faire appel à la jurisprudence. Or ce sont justement les familles les plus pauvres, qui souffrent le plus de discrimination, qui devraient faire appel à la justice...

L'application d'un principe constitutionnel ne saurait dépendre d'une appréciation de coût. La libre administration des collectivités territoriales ne leur donne pas la possibilité de se placer au-dessus de la loi.

Le groupe socialiste votera cette proposition de loi généreuse, avec la fierté qui anime les vrais républicains ! (Mouvements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Bien sûr la jurisprudence n'est pas hors sol.

Mais un droit doit-il dépendre uniquement de la jurisprudence ? Bien des familles ne saisissent pas la justice car elles ignorent leurs droits : c'est aussi le cas de 40 % des personnes éligibles au RSA, par exemple.

Nous ne pouvons nous abriter derrière la jurisprudence. Ce n'est pas un combat de juristes, mais une question sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste et républicain)

L'article premier n'est pas adopté.

ARTICLE 2

À la demande du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°104 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 140
Contre 202

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Comme les articles ont été successivement supprimés, il n'y a plus de texte.

La séance, suspendue à 16 h45, reprend à 17 heures.