Dématérialisation du Journal officiel (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi et la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française, présentées par M. Vincent Eblé et les membres du groupe socialiste et républicain.
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes seraient examinés, conjointement, selon la procédure d'examen en commission prévue par l'article 47 ter du Règlement du Sénat. Il s'agit donc d'une première.
Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du ou des textes adoptés par la commission.
La commission des lois, saisie au fond, s'est réunie le mercredi 7 octobre pour l'examen des amendements et des articles et l'établissement des deux textes. Le rapport a été publié le même jour.
Avant de mettre successivement aux voix l'ensemble de chacun des deux textes adoptés par la commission, je vais donner la parole, conformément à l'article 47 ter, alinéa 11, de notre Règlement : au rapporteur de la commission, pendant dix minutes, puis au Gouvernement, et, enfin, à un représentant par groupe pendant sept minutes.
Interventions sur l'ensemble
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois . - « Nul n'est censé ignorer la loi » : chacun connaît cet adage, simple et percutant ; sa mise en oeuvre reste pourtant compliquée. Sous l'Ancien Régime, elle se faisait à son de trompe ou au roulement du tambour. Puis, la Révolution française a inventé le Bulletin des lois, remplacé en 1870 par le Journal officiel de la République française. Irons-nous au-delà de la version papier du Journal officiel ?
Grâce à l'ordonnance du 20 février 2004, une version électronique du Journal officiel est reconnue d'ores et déjà. Avant même cette ordonnance, Légifrance publiait sur son site un certain nombre de textes, ce qui signifie que depuis l'ordonnance déjà la version électronique a la même valeur probante que la version papier.
Cependant, certains actes relevant du droit des personnes, définis par le décret du 28 mai 2004, restent publiés uniquement sur papier : changement de nom, francisation d'un nom ou d'un prénom, attribution d'un prénom, acquisition, réintégration, perte ou déchéance de la nationalité française, etc.
La logique est claire : protéger les données sensibles de l'individu. Ces textes ne représentent que 8 % de l'ensemble des textes publiés au Journal officiel.
À l'inverse, un certain nombre d'actes sont publiés uniquement sous forme électronique : actes réglementaires et décisions individuelles relatifs à l'organisation administrative de l'État, ainsi que certaines décisions budgétaires.
L'objet des deux propositions de loi est simple : mettre un terme à la version papier du Journal officiel, dès le 1er janvier 2016. La numérisation concernera l'ensemble du territoire métropolitain, mais aussi les collectivités ultramarines, d'où la proposition de loi organique. La version papier du Journal officiel en Polynésie française ne sera pas visée.
Cette réforme est espérée depuis longtemps. En 2014, la Cour des comptes demandait déjà la réduction du nombre d'exemplaires papier du Journal officiel. Entre 2004 et 2011, la diffusion de la version papier a chuté de 33 500 à 2 261 abonnés, essentiellement constitués par des administrations. Il reste seulement 220 abonnés individuels. Cela relativise les craintes sur la « fracture numérique » !
Parallèlement, le nombre d'abonnés à la version électronique a augmenté jusqu'à 67 000. La révolution est déjà passée dans les moeurs ; 40 % des textes sont d'ailleurs publiés uniquement au format électronique.
La dématérialisation a d'abord pour avantage la gratuité, contre 360 euros environ par an pour un abonnement papier. Elle offre également une diffusion rapide sur l'ensemble du territoire, dans l'Hexagone et outre-mer. À cela s'ajoute une petite économie, la version papier coûte un million d'euros tandis que les abonnements rapportent 600 000 euros, d'où un solde économisé de 400 000 euros.
Grâce à l'accord avec la Société anonyme de composition et d'impression des Journaux officiels (Sacijo), aucun emploi ne sera supprimé en raison de la dématérialisation.
Certains s'inquiètent de la difficulté qu'il pourrait y avoir à accéder au Journal officiel électronique en raison de la fracture numérique. Bien sûr, il reste des zones qui ne sont pas couvertes en France. Cependant, l'acheminement de la version papier n'allait pas non plus sans difficulté, dans certaines parties du territoire, avec la nécessité de trouver les moyens de transport nécessaires et les coûts y afférents. Le Conseil constitutionnel sera saisi pour apprécier le respect par ce dispositif de nos principes constitutionnels.
Notre commission des lois a adopté un amendement déposé par M. Collombat permettant à chacun d'obtenir une version papier d'une disposition. La navette parlementaire sera utile pour affiner le dispositif.
Pour prévenir les atteintes à la vie privée, nous avons prévu de protéger certaines dispositions contre le balayage des moteurs de recherche et adopté le dispositif Captcha.
Conformément aux articles 74 et 77 de la Constitution, le président du Sénat a consulté l'ensemble des assemblées des collectivités d'outre-mer concernées par la proposition de loi organique. Nous avons reçu seulement l'avis favorable de Wallis et Futuna, ce qui signifie que les autres avis sont réputés positifs. Je vous invite à adopter ces textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification . - Je me félicite du consensus sur cette proposition de loi et cette proposition de loi organique, adoptées la semaine dernière par la commission des lois. Je l'en remercie.
La commission a aussi adopté un amendement selon lequel, « sur demande faite par un administré, l'administration communique sur papier l'extrait concerné du Journal officiel de la République française ».
Le Gouvernement n'y était pas favorable. Internet a en effet considérablement amélioré l'accès à la loi.
L'exposé des motifs de l'amendement précise qu'il « vise à prendre acte de la dématérialisation du Journal officiel, tout en aménageant la possibilité pour un citoyen-administré, qui ne bénéficie pas d'un accès aisé à internet, de demander que lui soit envoyé un extrait du Journal officiel ».
Sur la dématérialisation, nous sommes donc tous d'accord : elle sera appliquée dès le 1er janvier.
Je comprends la démarche du Sénat et son amendement ; que la numérisation ne laisse personne au bord de la route.
Toutefois le terme « administration », très général, mérite des précisions. De plus, il faut se prémunir contre les campagnes menées sur la toile pour exiger la copie en nombre déraisonnable de pages du Journal officiel. Mon cabinet et le Secrétariat général du Gouvernement poursuivent leur travail d'expertise et de réflexion sur ce sujet. Nous nous efforcerons, lors des prochaines étapes de la procédure législative, de trouver une solution satisfaisante et j'en tiendrai le président de la commission des lois informé.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Je vous en remercie.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. - Dans l'immédiat, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. François Fortassin . - S'il ne reste qu'un parlementaire fâché avec le numérique, ce sera moi ! (Sourires) Heureusement, je sais m'entourer de « petites mains » agiles et expertes !
Le Journal officiel constitue le bréviaire de tout un chacun dans les administrations françaises, centrales et territoriales.
Depuis la Révolution française, le Journal officiel, héritier de La Gazette, est le véhicule des débats parlementaires et de la loi, en rupture avec l'opacité de l'Ancien Régime. Son rôle s'est accru avec la reconnaissance de la liberté de la presse, et a permis de donner réalité au principe « Nul n'est censé ignorer la loi ».
L'évolution rapide des technologies rend la dématérialisation du Journal officiel inéluctable. Le groupe du RDSE approuve cette mesure de simplification. Nul n'est toutefois censé ignorer la loi : nous proposons donc de conserver la possibilité de se voir communiquer un extrait papier. D'un coût modeste, cette disposition palliera les désagréments causés par l'existence de zones grises et blanches.
La dématérialisation crée des enjeux nouveaux ; le Gouvernement prévoit des dispositifs techniques de protection de la vie privée, dans le respect des préconisations de la Cnil.
Si la dématérialisation épargne les forêts, elle accroît les dépenses énergétiques - qu'il faudrait chiffrer. Les data center sont d'aussi gros consommateurs d'énergie que les villes de 100 000 habitants.
Le groupe RDSE soutiendra ce texte dans la version adoptée par le Sénat, et je félicite le président, le rapporteur et les membres de la commission pour leur approche très mesurée et pragmatique. Malgré mon sentiment profond, je suivrai mon groupe. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est tout à votre honneur !
Mme Jacky Deromedi . - Si nul n'est censé ignorer la loi, encore faut-il que les citoyens y aient accès. Le choix d'un mode de publication unique sous forme imprimée pour tout l'Hexagone ne s'est imposé que progressivement, perçu comme une conquête révolutionnaire pour les administrations comme pour les citoyens. C'est l'Assemblée constituante qui a introduit un seul mode de publication des lois et règlements pour l'ensemble de la République. La publication par lecture publique, réimpression ou affiche ainsi qu'à son de trompe ou bruit de tambour n'a été supprimée qu'en 1795. Le code civil de 1803 a consolidé ces règles. Le Bulletin des lois a subsisté jusqu'en 1931.
La dématérialisation du Journal officiel a commencé avec l'ordonnance du 20 février 2004, qui a simplifié et unifié les règles de publication. Un délai unique existe pour tout le territoire national, hors les collectivités d'outre-mer du Pacifique sud. Le principe de la double publication souffre deux exceptions : les actes individuels sont exclusivement publiés sous forme papier ; certains actes administratifs, limitativement énumérés, le sont uniquement sous forme électronique.
Le nombre d'abonnés au Journal officiel papier n'a cessé de chuter ; seules 200 personnes physiques reçoivent encore le Journal officiel - 12 outre-mer. À l'inverse, 65 000 personnes sont abonnées à la version électronique, 1,6 million de personnes visitent quotidiennement les pages internet du Journal officiel. Certes, la fracture numérique perdure. Selon l'Insee, 83 % des ménages ont accès à internet en 2015 - ils étaient 12 % en 2000, 56 % en 2008. Recherche par mots clés, thématiques, accès direct hors les heures d'ouverture des bureaux, la dématérialisation présente des avantages pratiques. Le gain économique escompté - 400 000 euros - n'est pas négligeable. Un protocole a été signé avec les syndicats le 29 juin.
La communication papier d'un extrait spécifié restera possible, même si le dispositif reste à préciser pour éviter les demandes répétitives ou abusives. Notre groupe, pour toutes ces raisons, soutiendra ce texte.
Mme Françoise Férat . - Nous sommes tous attachés à la qualité de la diffusion de la loi. Le Journal officiel est un outil d'égalité et le souvenir des conquêtes civiques. Ce texte l'adapte à l'évolution technologique, qui a précipité celle des comportements - la chute des abonnements papier et le bond enregistré par les visites des sites dédiés. Ce phénomène irréversible touche toutes les formes de publication officielle de l'État.
Le Gouvernement a annoncé dès 2013 la simplification des procédures administratives, démarche encouragée par la commission des finances et la Cour des comptes en 2014. L'économie nette attendue, de 400 000 euros, n'est pas négligeable ; l'économie de papier ne l'est pas moins.
Quelques remarques toutefois. D'abord, le taux d'accès à internet n'atteindra jamais 100 % ; il faudra rester vigilant de sorte que chacun puisse s'informer. Le dispositif retenu, à la suite de l'amendement de MM. Mézard et Collombat, est équilibré et sécurisé au regard des exigences constitutionnelles.
Ensuite, la sécurité informatique... Sophie Joissains a proposé la conservation systématique des archives papier : c'est de bon sens, et ne requiert pas de légiférer.
Le Sénat a expérimenté à l'occasion de ces deux textes la nouvelle procédure d'examen en commission (PEC), dont la mise en oeuvre n'a posé aucune difficulté ; le groupe UDI-UC félicite les services du Sénat qui ont permis son succès. Nous espérons qu'elle ne tombera pas en désuétude.
Le groupe UDI-UC votera ces textes.
M. Thierry Foucaud . - Ces deux textes examinés selon une procédure que nous n'avons pas approuvée, marquent un épisode dans l'histoire des impressions légales et administratives. La chute des abonnements papier face au succès, cependant relatif, de la version électronique, ainsi que la gratuité expliquent ces deux propositions de loi. Les évolutions technologiques justifient l'objectif fixé par le texte. L'impression des Journaux officiels a fait l'objet d'investissements qui auraient mérité d'être pleinement utilisés. Le regroupement de l'ancienne direction de la Documentation française et de la Direction des Journaux officiels n'a pas conduit à un vrai développement de l'activité. De 203 millions, le budget est passé à 197 millions d'euros ; depuis 2010, la structure unique - la Direction de l'information légale et administrative (Dila) - fait du surplace. Les effectifs de la Sacijo ont fondu de moitié ces dernières années, à la faveur de mesures d'âge. Le nouveau protocole d'accord de juin n'est pas une fin en soi, mais un modus vivendi, puisqu'on prévoit des départs volontaires avec incitations financières. La question du devenir du pôle d'impression public reste posée ; la recherche d'activités s'impose. La qualité de la formation et l'expérience des salariés devraient inciter à étudier sérieusement la possibilité de reprendre les travaux d'impression publics réalisés aujourd'hui par des établissements privés. Il y a urgence à en débattre pour répondre aux préoccupations des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. André Gattolin . - Grâce à Vincent Eblé, le Sénat sera ce soir à l'origine d'une petite révolution administrative. Camus, en août 1944, écrivait qu'« un journal, c'est la conscience d'une nation ». Il aurait sans doute qualifié le Journal officiel de mémoire vive de la République... Transformer le Journal officiel a quelque chose de solennel ; cette solennité est présente ici dans l'hémicycle, et il faut en remercier Vincent Eblé.
Pour les amoureux du papier, dont je suis, une bibliothèque sans livres n'est pas une bibliothèque... La version électronique du JO n'a pas la même saveur de lecture que sa forme physique, on perd la texture du papier et l'odeur de l'encre...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est poétique !
M. André Gattolin. - Si la version papier doit continuer à vivre...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Les forêts aussi !
M. André Gattolin. - ... il faut aussi accepter le réel. Tandis que les abonnements chutaient, la volumétrie du Journal officiel ne cessait de croître : 28 829 pages l'an passé, contre 15 000 dans les années 1980. Comment le citoyen saurait-il se retrouver dans cette sédimentation chaque jour plus baroque, lui qui n'est pas censé ignorer la loi ?
La numérisation, associée à des moyens de recherche intégrés, facilitera l'accès des citoyens - pourvu qu'ils aient accès à un ordinateur... Le site du Journal officiel devra être performant, ergonomique, intégrer des outils de recherche par mot clé, ainsi que la consultation du Journal officiel de l'Union européenne ! Ce serait bien le moins, et nul besoin de passer par la loi pour cela. La sécurité du site doit en outre être maximale et sous contrôle permanent, car des piratages sont possibles - voyez ceux, avant-hier, des sites du Premier ministre belge ou du Parlement bruxellois. Au-delà des assurances apportées aux salariés, une réflexion managériale doit s'engager sur un centre de compétence interne, pour répondre aux aléas techniques comme aux besoins des citoyens ; à cet égard, l'amendement Collombat-Mézard est bienvenu.
Cette réforme ne résoudra pas le problème de la fracture numérique, mais renforcera la prise de conscience du problème. La dématérialisation totale ne sera révolutionnaire que si elle engage un véritable passage à l'e-administration. Animés de cet espoir, nous voterons ce texte.
M. Vincent Eblé . - Auteur des deux textes examinés ce soir, il me revient de clore ces explications de vote.
La dématérialisation est vertueuse. Je le sais pour avoir, à la tête d'un conseil général, intégralement dématérialisé la paye de 5 000 agents territoriaux et tous les actes des instances de gouvernance.
Cette réforme allège et simplifie. Elle acte, à sa modeste place, du passage vers un État sobre et économe : des ressources - papier, encre - et du temps - délais, accessibilité. Le processus est en cours depuis le lancement des procédures télématiques en 1982-1983 et fait suite à l'édition en 2004 d'un Journal officiel authentifié. Depuis cette date, les consultations en ligne ont fortement progressé.
Nous devions aller plus loin pour que l'accès au droit soit garanti et facilité, que la sauvegarde plutôt que l'archivage par stocks soit sécurisé, que les droits individuels des personnes soit assurée. La réforme a été conduite en étroite coordination avec le Gouvernement. Les changements organisationnels à la Dila ont été anticipés ; les représentants des salariés ont été associés à ces transformations et sont favorables à un ajustement du droit qui accompagne l'ultime réorganisation des process et des modalités de travail.
En 2014, la Cour des comptes demandait déjà la réduction du nombre d'exemplaires papier du Journal officiel et jugeait sa dématérialisation inéluctable. Philippe Dominati l'a souligné également au nom de la commission des finances ; les courbes d'abonnés au papier et au format électronique se sont croisées, la révolution des usages a eu lieu.
Le numérique offre un accès direct, gratuit, immédiat et permanent aux informations ; 400 000 euros seront économisés et l'impact écologique ne sera pas nul. Certes, la fracture numérique fait obstacle à l'accès de tous au droit ; mais la livraison papier n'allait pas non plus sans difficulté et était coûteuse. Les amendements Collombat-Mézard ont levé les inquiétudes. Pour protéger les données individuelles, le Gouvernement a envisagé divers dispositifs, l'accès exclusif par date de publication sans indexage alphabétique ou le recours au système de cryptogrammes Captcha pour accéder à certains contenus.
Le groupe socialiste votera ces textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Vote sur la proposition de loi
La proposition de loi ordinaire est adoptée.
Vote sur la proposition de loi organique
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°9 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 323 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
La séance est suspendue à 18 h 45.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.