Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Explications de vote
M. Philippe Esnol . - Dans son introduction, le Livre blanc de 2013 soulignait que, face aux risques et aux menaces, la première condition du succès est la volonté déterminée d'y faire face en y consentant les moyens nécessaires. Oui, les moyens sont là. Le Conseil de défense du 29 avril dernier a validé les arbitrages attendus par les parlementaires et la communauté militaire : une rallonge de 3,8 milliards d'euros et des ressources exceptionnelles, par nature aléatoires, réduites à 0,6 % du budget. En revanche, pour le groupe RDSE, il n'est guère cohérent de lever une incertitude tout en en introduisant une autre, une marge d'un milliard d'euros due aux bons indicateurs économiques.
Si nous regrettons la sous-évaluation récurrente des Opex, nous saluons la réduction de la déflation des effectifs grâce à un abondement de 2,8 milliards : les Opex, qui s'étendent sur un arc de crise de plus en plus grand et l'opération Sentinelle mettent notre armée en surchauffe. Le RDSE se réjouit que le Gouvernement en ait pris conscience.
J'espère que nous en resterons au texte du Sénat sur les associations professionnelles de militaires ; cette initiative, heureuse, doit être bien cadrée. Bonnes mesures aussi que l'assouplissement des conditions de recours à la réserve et l'expérimentation du service militaire volontaire en métropole. Le RDSE soutient tout ce qui contribue à resserrer les liens entre l'armée et la Nation.
Il existe un relatif consensus entre les deux chambres sur les grands principes de ce texte, que le RDSE votera. Parce qu'est prise en compte la nouvelle dimension de protection du territoire. Parce que nous le devons aux militaires. Parce que la France doit maintenir son rang stratégique et militaire. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Robert Navarro . - Après les attentats du 11 janvier, la France a plus que jamais besoin de son armée, pour sa sécurité intérieure comme extérieure. Alors que nous venons de fêter le 14 juillet, elle défend partout l'universalité des Droits de l'homme. C'est son honneur et sa force.
Je suis de ceux qui ont toujours refusé la réduction des moyens de nos armées. On m'opposait les difficultés budgétaires ou les règles européennes ; mais l'Europe est bien contente de voir la France agir. Il est facile d'être pacifiste, de ne pas dépenser pour sa sécurité quand d'autres font couler le sang de leurs militaires face à la barbarie...
M. Bruno Sido. - Exact !
M. Robert Navarro. - Cette loi consacre un effort supplémentaire de 3,8 milliards d'euros et propose d'expérimenter un service militaire volontaire. Je la voterai pour tous ceux qui défendent le drapeau et les valeurs de la France, sur le territoire national et dans le monde. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Marie Bockel . - Nous le savons tous, un effort pour notre budget militaire était nécessaire.
Vos propos de mercredi dernier, monsieur le ministre, nous ont rassurés. Cependant, il faut aller plus loin sur les réservistes, y faire appel davantage que pour des raisons financières, mieux les intégrer parmi les militaires. L'expérimentation du service militaire volontaire est bienvenue, elle contribuera à resserrer les liens entre l'armée et la Nation. Mais il faudra être vigilant sur son financement, qui ne doit pas reposer sur le seul ministère de la défense.
Le groupe UDI-UC défend les clauses de sauvegarde introduites dans le texte par la commission des affaires étrangères du Sénat - la France est une puissance militaire, il y va de sa crédibilité. Nous soutenons la soustraction du ministère de la défense au financement interministériel des Opex et la mutualisation du coût des opérations de sécurité intérieure. De plus en plus, les frontières entre cette dernière et la sécurité extérieure se brouillent. Notre groupe souhaite un débat en début d'année prochaine sur la doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national.
Mais la complexité ne s'arrête pas à nos frontières : elle concerne aussi les Opex, en ces temps de conflits asymétriques. Nos ennemis refusent le combat frontal, se mêlent aux populations civiles, font fi du droit international. L'actualisation doit donner aux militaires les moyens d'appliquer une doctrine adaptée à la nature nouvelle des conflits. Nous avons besoin d'innovation, d'adaptabilité intellectuelle, stratégique, tactique, industrielle, en lien avec nos alliés - qui sont parfois réticents à s'engager militairement. La France a une responsabilité particulière à assumer.
Au vu des menaces, le budget de la défense ne peut pas faire figure de variable d'ajustement. La majorité du groupe UDI-UC votera ce texte, qui fera sans doute dès ce soir l'objet d'un accord en CMP. C'est en tout cas notre ardent souhait ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Gautier . - Au lendemain du 14 juillet, journée où la Nation tout entière a rendu hommage à notre armée, nous examinons le projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire.
Quand la loi de programmation initiale a été examinée, le groupe Les Républicains avait fait part de ses inquiétudes, soulignant la sous-budgétisation des Opex, le recours dangereux aux ressources exceptionnelles, la poursuite d'une déflation excessive des effectifs, l'importance des reports de charges. À ces griefs législatifs, que nous avions tenté de corriger, se sont ajoutés l'accroissement de la menace au Proche-Orient et en Afrique du Nord, l'extension de l'opération au Mali à la bande saharo-sahélienne, l'intervention en Centrafrique, le chaos en Syrie et en Irak, Daech, le terrorisme en France et ailleurs. La guerre est devenue permanente, nous devons nous y adapter.
Pour nous, ce texte est de correction plus que d'actualisation : plus 3,8 milliards d'euros dont 2,5 milliards après 2017, des ressources exceptionnelles ramenées à 930 millions seulement après un bras de fer avec Bercy arbitré par le président de la République. Alors que le vieillissement et l'usure du matériel menacent les capacités opérationnelles de nos forces et leurs conditions d'emploi, 500 millions d'euros seront affectés à la régénération des matériels et 1,5 milliard aux commandes d'équipements.
L'opération Sentinelle, dont le coût s'élève à 1 million d'euros par jour, est intégrée à la programmation. Grâce à notre commission, le Parlement pourra tirer les conséquences du dispositif.
Le groupe Les Républicains salue le travail du président-rapporteur Jean-Pierre Raffarin et du rapporteur pour avis Dominique de Legge.
Notre volonté - celle, je dois le dire, de la quasi-totalité des groupes du Sénat - a d'abord été d'alerter le Gouvernement et d'être force de proposition. Nous avons voulu introduire des clauses de sauvegarde, partager le coût des opérations de sécurité intérieure, limiter l'impact du surcoût des Opex pour le ministère de la défense, permettre la constitution d'associations de militaires sans déstabiliser l'institution. Améliorer ce qui peut l'être, c'est aussi cela la vocation du Sénat.
Si nous aurions aimé un effort plus important et des crédits moins étalés dans le temps, nous voterons ce texte et resterons vigilants. Nous savons qu'il n'y aura pas de collectif budgétaire, nous vérifierons l'application de la loi et serons attentifs à la levée anticipée de la réserve de précaution, au décret d'avance et surtout au projet de loi de finances pour 2016. Notre groupe assumera ses responsabilités. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Daniel Reiner . - Le travail du Sénat a été fructueux ; le texte a atteint un point d'équilibre entre contrainte budgétaire et poursuite de nos objectifs, contraintes budgétaires et ambitions de la France. Il décline les décisions du président de la République ; ce sera un beau symbole de l'adopter le lendemain du 14 juillet.
Je l'ai dit, la contrainte budgétaire est forte. On l'a vu lors de l'examen du texte sur le renseignement. À nous de conserver précieusement la force qui est notre armée - grâce au professionnalisme de nos soldats, elle est un levier puissant de résilience face aux menaces de déstabilisation.
Ce texte consacre un effort de 3,8 milliards d'euros, une moindre déflation de 18 750 postes afin que l'armée de terre puisse déployer sur notre territoire 77 000 hommes contre 66 000 aujourd'hui. Les ressources exceptionnelles sont remplacées pour l'essentiel par des crédits budgétaires. Les paris faits à l'export sont en passe d'être gagnés.
Outre les 500 millions affectés à l'entretien programmé, il faut noter l'acquisition de sept hélicoptères Tigre, l'accélération des livraisons des NH 90 et la commande de quatre C130, dont deux équipés pour le ravitaillement en vol des hélicoptères. L'aéromobilité est indispensable pour nos interventions en Opex.
Autres innovations de ce texte : la création du service militaire volontaire et des associations professionnelles militaires.
Reste ce soir à trouver en CMP un compromis sur les quelques points de désaccord. Je suis convaincu que nous pouvons par exemple fixer un plafond à la décote Duflot sur les cessions immobilières - nous aurons un amendement en ce sens. S'agissant des opérations intérieures, un financement interministériel ne serait pas inutile ; commençons par évaluer leur coût.
Le texte apporte un nouveau souffle politique et la légitimité indispensable à un effort qui engage la Nation tout entière. Le groupe socialiste et républicain le votera. C'est le meilleur hommage que nous pouvons rendre aux militaires qui se mobilisent à tout instant et en tout lieu, sur notre territoire et hors de nos frontières. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et sur plusieurs bancs au centre et à droite)
Mme Leila Aïchi . - Hormis quelques points de désaccords persistants sur les moyens et la mise en oeuvre, le Sénat s'accorde sur l'objectif. Si le groupe écologiste privilégie une approche non-violente des relations internationales, je ne reviendrai pas sur les priorités diplomatiques de la France ou la multiplication inquiétante des Opex. Interrogeons-nous davantage sur la meilleure manière de les anticiper, d'y préparer nos effectifs et nos matériels.
Nous reconnaissons les efforts du Gouvernement dans le cadre de cette actualisation. Les circonstances, nationales comme internationales, l'imposaient. L'actualisation engage 3,8 milliards supplémentaires. Le Sénat a cherché à sécuriser ces financements. Il ne faudrait pas qu'une conjoncture trop changeante nuise à la préparation opérationnelle de nos forces ou à l'entretien des matériels. Nous devrons réfléchir au financement interministériel des missions intérieures.
Si nous saluons la moindre déflation des effectifs, nous aurions préféré que la tendance fût inversée, car la prévention et la gestion des conflits reposent avant tout sur les hommes. Il faut repenser la doctrine d'emploi de nos armées, mettre l'accent sur la prévention quand progressent les menaces sécuritaires, notamment celles qui sont liées au changement climatique et aux difficultés d'accès aux ressources.
Mercredi dernier, monsieur le ministre, vous avez déclaré vouloir sanctuariser la dissuasion nucléaire, plus que jamais nécessaire selon vous. Dont acte. Il est vrai que le monde vit une séquence de réarmement nucléaire. Avons-nous cependant les moyens d'un renouvellement automatique ? Peut-on faire l'économie d'un débat de fond ? Ne faut-il pas relancer l'Europe de la défense ? Le chemin sera long mais il y faut une impulsion politique. La mutualisation des moyens pourrait être une réponse. L'Europe de la défense figure dans le rapport annexé, il faut la faire vivre.
Enfin, l'une des grandes avancées de ce texte est la création des associations militaires. Nous préférons le texte de l'Assemblée nationale, notamment en termes de droit d'expression et de droit à se porter partie civile.
Pour toutes ces raisons, malgré ses réserves de fond et en soutien à l'action de nos soldats, le groupe écologiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)
M. Michel Billout . - Au lendemain du 14 juillet, nous devons nous prononcer sur un projet de loi actualisant la loi de programmation militaire. Nos débats ont été sérieux et responsables, preuve que chacun a la volonté de soutenir notre armée en ces temps difficiles. Cela n'exclut pas des désaccords de fond avec la politique du Gouvernement.
Au-delà de l'effort de 3,8 milliards d'euros, qui tire les enseignements de l'engagement intensif de nos forces, la pause dans la déflation met fin à des coupes drastiques dans nos effectifs, opérées pour des raisons purement budgétaires, qui fragilisent notre armée et la confiance des militaires - entamée également par les dysfonctionnements du système Louvois. Nous saluons la création des associations militaires qui contribuera à la restaurer si tant est que la version de l'Assemblée nationale l'emporte.
Les difficultés de mise en oeuvre de l'opération Sentinelle imposent de réfléchir à la doctrine d'emploi de nos armées sur le territoire national. Nous attendons aussi vos décisions à la suite du rapport qui vous sera remis sur le vol récent de munitions, qui a révélé des failles dans la sécurité de nos installations.
L'actualisation nous donnera-t-elle simultanément les moyens d'assurer la protection de notre territoire et ceux d'intervenir simultanément sur plusieurs théâtres extérieurs ? Vous ne prétendez plus dépenser mieux en réduisant drastiquement le format de nos armées... Nous avons payé très cher des technologies qui ne correspondent pas au type d'opérations dans lesquelles nos armées sont engagées. Pour adapter nos forces à la stratégie définie dans la programmation, nous devons réduire le coût de nos forces nucléaires. Nous n'avons pas une opposition de principe, idéologique, aux armes nucléaires ; mais de nouveaux acteurs stratégiques sont apparus, dont le comportement irrationnel menace la planète tout entière. Il serait logique de réduire nos armements nucléaires à leur niveau de stricte suffisance. Nous devons aussi réfléchir à notre politique de commerce des armes - certains de nos clients soutiennent directement ou indirectement ceux que nous combattons au Sahel, en Irak, en Syrie ou sur notre sol.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne pourra pas voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Bruno Sido. - Dommage !
Scrutin public solennel
M. le président. - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi. Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants. Je vous rappelle qu'il aura lieu dans la salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre XV bis de l'Instruction générale du Bureau.
La séance, suspendue à 15 h 15, reprend à 15 h 50.
M. le président. - Je remercie Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin.
Voici le résultat du scrutin n°225 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l'adoption | 302 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté le projet de loi.
(Applaudissements des bancs du groupe socialiste et républicain aux bancs du groupe Les Républicains)
Intervention du Gouvernement
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Sans revenir sur le fond, je remercie le président-rapporteur Raffarin de son travail, ainsi que toute votre commission des affaires étrangères et le rapporteur pour avis M. de Legge. J'apprécie l'ampleur de votre soutien. Nos armées méritent que l'on dépasse les clivages partisans. Hier, sur les Champs-Élysées, j'étais fier d'être le ministre de ces armées-là et j'ai ressenti la confiance et le respect des Français à leur égard. Vous venez de leur témoigner la même confiance et le même respect. (Applaudissements)
Organisme extraparlementaire (Nomination)
M. le président. - La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement, je proclame M. Philippe Adnot membre suppléant du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.