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Table des matières
Organisme extraparlementaire (Candidature)
Caisse des Français de l'étranger
M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi
M. Éric Jeansannetas, rapporteur de la commission des affaires sociales
Organisme extraparlementaire (Nomination)
Précarité sociale et discrimination
M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi
Discussion de l'article unique
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
Mesures en faveur des TPE et des PME
Généralisation du tiers payant
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
Avenir des anciennes capitales régionales
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'état chargée de la réforme de l'État et de la simplification
Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
M. Pierre-Yves Collombat, co-auteur de la proposition de loi organique
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État en charge de la réforme de l'État et à la simplification
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
Débat : accélérer la justice administrative
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Décision du Conseil constitutionnel
Organisme extraparlementaire (Nominations)
Octroi de mer (Conclusions de la CMP)
M. Éric Doligé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer
Mme George Pau-Langevin, ministre
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Ordre du jour du lundi 22 juin 2015
SÉANCE
du jeudi 18 juin 2015
119e séance de la session ordinaire 2014-2015
présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente
Secrétaire : M. François Fortassin.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Organisme extraparlementaire (Candidature)
Mme la présidente. - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d'un sénateur appelé à siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.
La commission des finances a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Maurice Vincent. Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
Caisse des Français de l'étranger
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger, présentée par M. Jean-Yves Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain à la demande dudit groupe.
Discussion générale
M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi . - La Caisse des Français de l'étranger (CFE), créée par la loi de juillet 1984, a pour objectif d'assurer la continuité de la protection sociale pour les Français à l'étranger selon nos propres normes. Elle permet aux Français de l'étranger d'être intégrés à la solidarité nationale pour le chômage, la retraite et, avant tout, l'assurance maladie et les accidents du travail.
La mise en place de cette caisse à l'étranger à des contraintes spécifiques : pas de salaire minimal si bien qu'un revenu très faible peut faire perdre la qualité d'ayant droit et que la concurrence avec les revenus des caisses privées est forte pour les hauts ; la vérification des déclarations des cotisants est évidemment plus compliquée hors de France.
Et pourtant la CFE est à l'équilibre. On entendra certainement des critiques à son encontre, des mises en cause dans ce débat ; je veux, quant à moi, lui rendre d'emblée hommage pour sa bonne gestion.
Depuis sa création, le monde a beaucoup changé. D'abord, le nombre des Français de l'étranger a augmenté ainsi que le nombre de cotisants à la CFE - mais ces derniers ne sont que 10% du total. Leurs exigences sont fortes vis-à-vis d'une médecine de plus en plus commerciale dans certains pays. La coordination européenne s'est accrue, posant la question du rôle de la CFE. Des États, comme la Chine et la Turquie, acceptent de moins en moins que des étrangers résidant sur leur territoire ne cotisent pas aux régimes nationaux. La CFE ne s'est pas adaptée à l'Obamacare, preuve qu'elle doit évoluer. Conçue d'abord pour accompagner les grandes entreprises à l'étranger, elle répond mal aux besoins des retraités, de plus en plus nombreux partout à l'étranger, des travailleurs indépendants et des jeunes. Elle est aussi très sollicitée pour sa couverture des accidents du travail.
SI le nombre de cotisants est passé de 67 000 à 91 000 entre 2007 et 2014, l'âge moyen des cotisants atteint désormais 47 ans ; après 51 ans, un adhérent reçoit en moyenne davantage qu'il ne contribue. Cette évolution est inquiétante alors que de plus en plus de jeunes s'expatrient.
Bref, la CFE est confrontée au défi des adhérents tardifs, des jeunes expatriés, du contrôle des déclarations. Il y a urgence à la faire évoluer, la Cour des comptes l'écrivait déjà dans son rapport de 2010.
Cette proposition de loi ne porte pas sur cette adaptation nécessaire, elle modifie la gouvernance de la CFE pour en poser les fondements. C'est une première étape. Actuellement le conseil d'administration compte trois représentants de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), quinze représentants des assurés élus par celle-ci.
Or, avant 2013, les 155 élus de l'AFE étaient élus directement par les Français de l'étranger dans une cinquantaine de circonscriptions. Aujourd'hui, nous avons 443 conseillers consulaires élus dans 130 circonscriptions qui élisent 90 représentants à l'AFE, lesquels désignent les 18 membres siégeant au conseil d'administration de la caisse. Ce double scrutin indirect n'est ni démocratique ni sain. Il y a urgence à faire évoluer le système car le conseil, élu en 2008, devait être renouvelé en 2014. L'élection a été repoussée d'un an.
D'où cette proposition de loi qui élargit le corps électoral du conseil d'administration aux conseillers consulaires.
Pourquoi ne pas choisir le suffrage universel direct, l'élection par les adhérents ? Parce que l'adhésion est facultative mais que la CFE est ouverte à tous. Cette proposition de loi supprime un des deux sièges du Medef, pour y substituer un représentant des chambres de commerce. Cela a fait couler beaucoup d'encre, la belle affaire ! Le Medef n'a toujours pas désigné son deuxième représentant...
Une mission a été confiée conjointement à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) pour travailler sur les enjeux de la protection sociale à l'étranger et faire éventuellement des propositions d'adaptation législative.
Dans l'immédiat, il est essentiel de renouveler le conseil d'administration sur des bases démocratiques ; il sera alors pleinement légitime pour mener les évolutions nécessaires. L'ensemble des représentants des Français de l'étranger doit participer à la réflexion. C'est une cause d'intérêt national ; pour nos compatriotes expatriés, c'est une cause d'intérêt majeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Éric Jeansannetas, rapporteur de la commission des affaires sociales . - La loi du 27 juillet 2013 a créé des conseils consulaires élus au suffrage universel direct par les Français de l'étranger. Ils élisent les membres de l'AFE, dont le nombre a été réduit de 155 à 90, lesquels élisent à leur tour les membres du conseil d'administration de la CFE. Le corps électoral de celui-ci s'en est trouvé mécaniquement diminué. Cette proposition de loi, en proposant l'élection du conseil d'administration de la CFE par les 443 conseillers consulaires rétablit un scrutin indirect au premier degré.
Le renouvellement du conseil d'administration a été reporté d'un an, le temps de tirer les conséquences de la loi de 2013.
Le texte simplifie en outre la représentation des assurés, octroie un des deux sièges « employeurs » au réseau des chambres de commerce, revoit le mode d'élection du président du conseil d'administration de la CFE et transpose aux administrateurs les règles applicables aux caisses du régime général, principalement en édictant une limite d'âge de 65 ans. La modification du corps électoral est bienvenue ; le texte de 2013 ne visait nullement à réduire la base électorale des administrateurs de la caisse.
Sans mettre en place une représentation paritaire patronat-syndicat, une légère augmentation des représentants des employeurs est souhaitable. Afin de rapprocher les règles de fonctionnement du conseil d'administration des conditions de droit commun, il est proposé d'élire le président du conseil en son sein, sans restriction aux seuls salariés actifs.
Comme il est peu probable que le processus législatif soit achevé avant octobre, le Gouvernement a-t-il l'intention de prolonger une nouvelle fois par décret le mandat du conseil d'administration ?
La commission des affaires sociales a accepté les amendements que je lui ai proposés mais n'a pas adopté le texte.
Ce texte n'épuise pas le sujet. La CFE a un statut hybride, qui emprunte à ceux des caisses du régime général et des assurances privées. Une mission de l'Igas et de l'IGF, lancée en février, rendra bientôt ses conclusions. Cette proposition de loi apporte une réponse ponctuelle à un problème ponctuel. Je regrette qu'elle ne puisse aboutir.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - La communauté française à l'étranger compte 1,68 millions d'inscrits sur les registres consulaires ; entre 2 et 2,5 millions de nos compatriotes résident de façon permanente ou quasi permanente à l'étranger. Ils sont un atout et une richesse pour notre pays.
La CFE offre aux Français de l'étranger une couverture sociale facultative équivalente à celle du régime général. Le nombre d'adhérents est aujourd'hui de 100 000, en augmentation. Près de 40 ans après sa création, elle doit se renouveler pour prendre en compte la loi du 27 juillet 2013 et se rapprocher des autres caisses de sécurité sociale.
Le Gouvernement apporte son soutien à cette proposition de loi. La loi de 2013 a créé les conseils consulaires, dont les membres sont élus au suffrage direct. Les 443 conseillers consulaires ont une légitimité forte, ils sont un nouvel échelon de représentation, plus proche du terrain. La CFE ne peut rester à l'écart de ces évolutions.
Le texte élargit le corps électoral aux 443 conseillers consulaires, et non aux seuls membres de l'AFE. Il accompagne le mouvement vers davantage de proximité, prévoit le recours au vote électronique. Je rappelle que le mandat des administrateurs a été prolongé jusqu'en décembre 2015.
L'évolution de la gouvernance doit aussi être conforme aux principes de parité, tel que défini par la loi du 4 août 2014.
Mme Claudine Lepage. - Enfin !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - Le texte instaure en outre une limite d'âge pour les administrateurs de la CFE et crée un siège pour les chambres de commerce afin d'améliorer la représentation des PME.
Une réflexion plus large est nécessaire. Le Gouvernement a ainsi demandé un rapport à l'Igas et à l'IGF pour étudier les missions de la CFE, qui lui sera remis en juillet.
Cette proposition de loi est une première étape qui pose les bases d'une réforme plus ambitieuse. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
M. Olivier Cadic . - La CFE a été créée pour offrir une couverture sociale aux Français de l'étranger. Elle applique les règles du régime général et est soumise à la tutelle de l'État. La Cour des comptes, en 2010, a souligné la nécessité de la réformer.
Face à la concurrence des organismes privés, la CFE a développé de nouvelles missions éloignées de son rôle initial. Une réflexion est en cours. Une mission conjointe de l'Igas et de l'IGF est en cours. Chacun peut comprendre que l'on préfère en attendre les conclusions.
Le conseil d'administration de la CFE se compose de 21 membres, dont 18 élus par l'AFE. Il est présidé par notre collègue, le sénateur Cantegrit. Sous sa conduite, les comptes ont toujours été équilibrés. Peu de caisses de sécurité sociale disposent de comptes certifiés sans réserve. Je lui rends hommage.
Après la loi de juillet 2013, le nombre de membres de l'AFE est passé de 150 à 90. Vouloir élargir le corps électoral du conseil d'administration de la CFE est compréhensible, mais pourquoi la limiter aux seuls conseillers consulaires, et ne pas reprendre le collège élisant les sénateurs ?
M. Jean-Yves Leconte. - Amendez le texte !
M. Olivier Cadic. - Pourquoi cette précipitation à la veille des élections au conseil ? Voilà qui est suspect...
M. Christophe-André Frassa. - On sent la manipulation...
M. Olivier Cadic. - Le vote électronique, en outre, nécessite une sérieuse préparation.
Comme Mme Deromedi et M. Frassa l'ont souligné, la réforme lancée par Mme Conway-Mouret a été précipitée pour des raisons politiciennes. Elle a été bâclée. Et quel choc de complication !
M. Jean-Yves Leconte. - Vous, vous proposez un choc d'immobilisme !
M. Richard Yung. - De conservatisme !
M. Olivier Cadic. - Je vous propose plutôt un choc de simplification. Le groupe UDI-UC votera pour les amendements de suppression des trois articles du texte.
Nous préférons attendre les conclusions de l'Igas. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Claudine Lepage. - Quel renoncement !
M. Jean-Pierre Cantegrit . - La France, avec la Belgique, est le seul pays à avoir mis en place une caisse offrant des prestations sociales pour ses compatriotes à l'étranger. Ses règles sont définies par les autorités publiques françaises.
La CFE couvre les risques accident du travail, maladie et vieillesse - avec un rôle d'interface avec la CNAV pour ce dernier risque. Elle est ouverte à tous les expatriés ; l'adhésion est volontaire.
Après les travaux de la commission Bettencourt ayant abouti à la loi de 1976, la CFE a vu le jour en 1984 à la suite de la loi Bérégovoy - que j'ai eu l'honneur de rapporter.
Trois spécificités la définissent : l'adhésion est volontaire, la caisse n'est pas en situation de monopole et elle dispose de l'autonomie financière - son budget doit être équilibré avec les cotisations de ses seuls adhérents. En 2012, 2013 et 2014, son budget a été certifié sans réserve par le cabinet Mazars, ce qui n'est pas le cas de toutes les caisses métropolitaines...
La CFE a noué des partenariats avec les assureurs privés pour faciliter les demandes des assurés.
Son conseil d'administration est composé de 21 membres dont 18 membres élus par l'AFE et 2 membres représentant le Medef.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 mai 2014, a jugé que les règles relatives au renouvellement des membres des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale relevaient du domaine réglementaire. Voilà qui laisse au gouvernement toute latitude pour agir, ce dont il a déjà usé.
Une mission de réflexion de l'Igas et l'IGF est en cours pour évaluer le modèle de la CFE, ses offres, son financement, sa gouvernance. Elle pourrait avoir des conséquences substantielles pour la caisse. Le rapport ne sera remis qu'en août. Cette proposition de loi semble prématurée, c'est pourquoi nous avons déposé des amendements de suppression de ses articles.
M. Jean Desessard . - La question de la représentation des Français de l'étranger est un sujet aussi ancien que la Révolution française... les évolutions législatives ont été nombreuses. La dernière en date, la loi de juillet 2013, a créé 443 conseillers consulaires élus au suffrage universel direct dans le cadre de quinze circonscriptions pour favoriser l'émergence de délégués de proximité. Ceux-ci élisent les 90 membres de l'AFE. Cette évolution démocratique était bienvenue. Je salue Mme Kalliopi Ango Ela qui fut le chef de file du groupe écologiste sur ce texte.
La CFE garantit aux Français de l'étranger une couverture sociale. Sans adaptation législative, les membres de son conseil d'administration seraient de fait élus au troisième degré, ce qui est peu démocratique. Pour répondre à cette difficulté, le texte propose une mesure phare : faire élire les membres au conseil d'administration de la CFE directement par les conseillers consulaires. C'est la logique, nous la soutenons.
Renforcement de la parité, intégration d'un représentant du réseau des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger, mais aussi modification de l'élection du président de la CFE sont autant de bonnes mesures. Où est la divergence ? Certains voudraient attendre les conclusions de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances. Je vous renvoie à sa lettre de mission : les travaux ne portent pas sur la gouvernance. Il y a urgence à légiférer : les élections doivent avoir lieu en octobre 2015.
Vous l'avez compris, les sénateurs écologistes saluent le travail de M. Leconte et voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et socialiste et républicain)
M. Richard Yung. - Très bien !
M. Dominique Watrin . - Ce débat offre à beaucoup d'entre nous l'occasion de constater l'existence d'une caisse chargée d'assurer la couverture sociale de nos compatriotes (souvent binationaux) demeurant à l'étranger. La CFE fonctionne en grande partie, non pas comme un régime de sécurité sociale obligatoire, mais comme un organisme d'assurance complémentaire privé. Il faudra bien que des changements adviennent, ne serait-ce que pour tenir compte, désormais, de l'existence des conseillers consulaires. Que ces derniers élisent directement les administrateurs de la caisse va dans le sens de la démocratie.
J'observe que, pour la majorité, il est urgent d'attendre. Pour autant, les élections auront lieu en octobre 2015. Quant à l'équilibre de la caisse, les revenus des Français de l'étranger ne sont pas tout à fait ceux des métropolitains... Et c'est précisément parce que la gestion de la caisse semble saine et que la norme des choses veut que, de temps à autre, on accepte de voir cette gestion soumise à l'avis des électeurs qu'il convient d'adopter cette proposition de loi.
L'implacable loi de la majorité aboutit à dénigrer le travail parlementaire. Sous couvert d'éviter des manipulations électorales, la droite et le centre veulent supprimer les articles de ce texte, un par un, pour aboutir à une coquille vide. C'est la négation même du travail parlementaire...
M. Jean-Yves Leconte. - Très juste !
M. Dominique Watrin. - De quoi s'agit-il ? De mieux protéger nos jeunes, qui ont désormais des stages obligatoires à l'étranger, et sont de plus en plus nombreux à s'expatrier pour trouver du travail. N'en déplaise à certains, le premier motif d'expatriation n'est pas de chercher des cieux fiscaux supposément plus cléments.
Le groupe CRC soutient ce texte. S'opposer à cette réforme nécessaire et logique, du point de vue du droit électoral, augure mal de la capacité à impulser de futures évolutions. Elle ne constitue en effet qu'un préalable modeste au regard des changements que nous serons amenés à accomplir. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et républicains et écologistes)
M. Jean-Yves Leconte. - Très bien !
M. François Fortassin . - La représentation des Français de l'étranger n'a pas échappé ces dernières années au chantier de la rénovation de la vie politique. Le groupe RDSE avait soutenu la loi du 22 juillet 2013.
Ce texte apporte, en son article 2, une solution bienvenue, face à la réduction de 155 à 90 du nombre des membres de l'AFE -qui constituait jusqu'à présent le seul corps électoral des quinze membres du conseil d'administration représentant les assurés- et surtout à l'élection de 443 conseillers consulaires. Gouvernance rénovée, plus de proximité, cela relève du bon sens. Certes, nous attendons les conclusions de la mission de l'Igas et de l'IGF. Sans en préjuger, nous pouvons néanmoins adapter ce texte qui concerne le seul conseil d'administration.
Que la caisse soit celle des Français de l'étranger n'empêche pas d'engager une réflexion sur des pratiques dérogatoires, des offres très avantageuses et des adhésions d'opportunité. De toute évidence, il faudrait mieux contrôler les capacités contributives réelles des adhérents, afin que cet organisme se rapproche le plus possible des grands principes de solidarité et d'équité, fondateurs de notre sécurité sociale.
En attendant, le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Richard Yung . - La CFE, créée en 1985 par le Gouvernement Fabius, où Pierre Bérégovoy était en charge des finances, a démontré son efficacité. Nous devons continuer de la renforcer. Ses services ne sont pas toujours accessibles aux expatriés : seuls 11 % des Français recensés dans nos consulats, y adhèrent, soit environ 7 % du total de nos expatriés. Bien sûr, il faut tenir compte de la concurrence, en particulier, des régimes de sécurité sociale existant dans les pays de l'Union européenne, mais aussi de l'évolution professionnelle des assurés.
L'équilibre financier de la caisse repose actuellement sur les adhésions des cotisants et des entreprises. J'ajoute qu'elle compte deux chefs d'entreprises pour dix adhérents. Je m'en réjouis pour ma part. Que ces personnes choisissent plutôt d'aller au Medef ne me gêne pas. Après tout, il existe la branche Medef international. Elle n'est pas non plus inscrite dans les tables de la Loi...D'où l'idée d'une représentation des chambres de commerce françaises à l'étranger.
La Cour des comptes avait recommandé dès 2010 la clarification des structures et des missions de la caisse pour les rendre conformes au droit interne et aux principes communautaires... L'amélioration des relations avec l'État, grâce à la convention, passée pour la période 2014-2016, va dans le bon sens. D'autres évolutions sont nécessaires. Un vaste chantier nous attend. Les socialistes et républicains...
M. Robert del Picchia. - Ah !
M. Henri de Raincourt. - Bienvenue ! (Sourires à droite et au centre et exclamations à gauche)
M. Richard Yung. - ...oui, républicains, considèrent que la réforme de la gouvernance en est le préalable.
Nous proposons donc, pour tirer les conséquences des évolutions de l'expatriation, de remplacer le représentant des employeurs par un représentant désigné par les chambres de commerce et d'industrie (CCI).
Faire élire les représentants des assurés par les 443 conseillers consulaires, et non plus par l'ancien collège électoral, réduit à 90 membres, est un impératif démocratique...
M. Robert del Picchia. - Et les 64 délégués consulaires ?
M. Richard Yung. - Soit ! Vous voulez des sénateurs ?
M. Robert del Picchia. - Oui...
M. Richard Yung. - Soit !
M. Robert del Picchia. - Et les députés !
M. Richard Yung. - Prenons-les aussi, mais alors, débattons-en, déposez donc des amendements plutôt que de supprimer les articles !
Vous le voyez, le débat est ouvert. Il faut aller de l'avant, dans le sens de l'histoire. Ne procrastinons pas ! Il ne faut pas être conservateurs (Exclamations amusées sur les bancs du groupe socialiste et républicain) voire réactionnaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et communiste, républicain et citoyen)
M. Henri de Raincourt. - Allons bon !
M. Robert del Picchia . - Avant toute chose, constatons que l'équilibre des comptes de la CFE est remarquable. Cela paraît normal à vos yeux, mais ne peut être passé sous silence, au regard des déficits accumulés des caisses nationales.
Toutefois, elle n'est pas toujours ouverte à tous. Ce n'est pas un problème pour la moitié de nos expatriés qui résident dans l'Union européenne, où les services sociaux fonctionnent généralement bien. C'est plus difficile pour les autres, qui sont tout de même 2,5 millions. Bien sûr, il faut faire taire les voix qui évoquent une caisse qui serait réservée aux riches, donc modifier sa gouvernance. En 2013, nous avions alerté sur les conséquences de la modification de la représentation des Français de l'étranger sur l'élection des membres du conseil d'administration de la caisse ; cela nous a été refusé.
M. Jean-Yves Leconte. - Proposez donc des amendements !
M. Robert del Picchia. - Laissez travailler la mission d'inspection ! Je salue l'action de M. Cantegrit à la tête de la CFE depuis de nombreuses années. Il n'est pas interdit d'applaudir... (Quelques applaudissements à droite)
Alors que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État déplorent l'inflation législative, je déplore l'impatience de mes collègues socialistes. L'Igas et l'IGF rendront leurs conclusions dans un mois. Il est urgent d'attendre. (Exclamations amusées sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Bien sûr, nous voulons une élection par les conseillers consulaires et la parité.
M. Philippe Kaltenbach. - Alors, votez la proposition de loi ! (Même mouvement)
M. Robert del Picchia. - Attendons l'ordonnance des médecins de l'Igas et de l'IGF pour administrer la potion à notre malade, à supposer qu'il ne soit pas imaginaire... Je vous rappelle que Molière est mort sur scène, dans le rôle d'Argan ! Ne nous précipitons pas pour administrer un remède concocté en urgence, qui, loin de la guérir, transformerait la CFE en une mutuelle inadaptée, voire handicapée. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Richard Yung. - Diafoirus !
M. Jean Desessard. - Opérer ou ne pas opérer, telle est la question...
Mme Claudine Lepage . - La CFE, créée il y a quarante ans, a su renforcer son attractivité en ouvrant ses prestations aux ayants droit. La sociologie des Français de l'étranger a profondément évolué, personne ne peut le contester. Nous le constatons tous lors de nos déplacements : plus de jeunes partis trouver un premier emploi hors de nos frontières, plus de retraités, aussi, et de plus en plus de créateurs de PME et de TPE.
Les jeunes, en particulier, qui peinent à accéder à la caisse à cause de la rétroactivité, demandent moins de services que des retraités aux nombreux ayants droit. D'où la nécessité d'évoluer. À cette raison s'ajoutent les nouvelles exigences des États. La création de l'Obamacare a plongé les quelque 5 000 Français installés aux États-Unis et adhérents de la CFE dans l'incertitude durant plusieurs mois. La caisse a manqué de réactivité, de dynamisme, elle n'a pas su trouver de partenaire commercial pour répondre aux exigences de l'Obamacare.
La réforme de 2013, avec la création des conseillers consulaires, appelle à élargir le collège électoral du conseil d'administration de la CFE. Ne pas prendre une telle mesure reviendrait à nier le rôle dévolu à ces nouveaux conseillers.
Ce texte poursuit un seul but : faire entrer la CFE dans le XXIe siècle. Ne le refusez pas ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et républicains)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente. - La commission des affaires sociales n'ayant pas adopté de texte, nous examinons la version initiale de la proposition de loi.
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Comme nous l'avons abondamment indiqué, il n'est pas opportun de modifier la composition du conseil d'administration de la caisse tant que la mission conjointe de l'Igas et de l'IGF n'a pas abouti. Nous aurons le temps d'y procéder en temps utile. Le groupe Les Républicains demandera un scrutin public.
M. Éric Jeansannetas, rapporteur. - La commission des affaires sociales a donné un avis favorable. Je remarque toutefois que la mission conjointe ne porte pas sur la gouvernance.
Mme Claudine Lepage. - Supprimer purement et simplement l'article premier au motif que l'Igas et l'IGF ont été saisies est un argument irrecevable. Dans la lettre de mission (l'oratrice la tient en main) ne figure nulle part le terme de gouvernance. Le groupe socialiste et républicain votera contre.
M. Jean Desessard. - Puisque M. del Picchia a utilisé des images médicales, j'y reviens : nous aurions pu, alors que vous êtes d'accord sur tout -l'élargissement du corps électoral, la parité et l'élection du président de la caisse-, engager une réforme homéopathique (on apprécie) quitte à y revenir après le rapport des inspections...
M. Jean-Yves Leconte. - Il n'y aurait pas urgence ? Je pense aux PME-TPE qui sont les vaches à lait de la CFE, quand les grandes entreprises contribuent moins, je pense aux jeunes qui ne peuvent pas acquitter les cotisations, je pense aux adaptations nécessaires au regard du droit communautaire. Mettre la tête dans le sable est complètement irresponsable ! Un parlementaire depuis quarante ans, monsieur Cantegrit, sait que le droit d'amendement existe.
Monsieur del Picchia, avant d'opérer, on emmène un malade à l'hôpital ! Il nous faut un conseil d'administration renouvelé pour réformer.
On a cité Le Malade imaginaire. Nous ne sommes pas des anciens, concoctant de vieilles potions, mais des gens de maintenant, proposant des solutions d'aujourd'hui ! (On approuve sur les bancs socialistes et républicains)
M. Robert del Picchia. - Puisque j'ai été pris à partie, je réponds : on a attendu quarante ans, on peut encore attendre quelques mois et les conclusions de la mission de l'Igas et de l'IGF. Quant à opérer, certaines opérations réussissent et les malades en meurent !
M. Olivier Cadic. - Quelle mauvaise foi !
Mme Nicole Bricq. - Vous savez de quoi vous parlez !
M. Olivier Cadic. - Il y a plus d'un an, nous vous avions alertés, et vous n'avez rien fait. Maintenant, il y a urgence ? Il faudrait tout à coup s'occuper des personnes qui ne peuvent pas accéder aux prestations de la CFE. La lettre de mission, que j'ai également sous les yeux, porte bien sur « l'évaluation des performances, du rôle, de la nature et du périmètre des actions de la CFE » et sa gouvernance ne serait pas en cause ? Au fond, quel est l'enjeu ? Va-t-on vers une mutuelle ou une assurance privée, telle est la question qui compte. Alors, soyons sérieux : remplacer la représentante du Medef par un représentant des chambres de commerce et d'industrie, cela changera tout ?
M. Jean-Pierre Cantegrit. - J'avais tenu un discours mesuré en discussion générale. J'ai cru comprendre que M. Leconte me reprochait, sur un ton assez peu sympathique, d'avoir été trop longtemps à la tête de la CFE... D'après ses déclarations, on peut supposer que sa gestion de la caisse aurait été plus aléatoire que la mienne : des comptes approuvés sans réserve depuis trois ans, par le plus grand cabinet comptable de la place ! Vos propos à l'égard de la représentante du Medef sont blessants : je rappelle que les entreprises constituent 50 % des adhérents pour l'assurance maladie.
Proposer des amendements ? Vous pouviez aussi, monsieur Leconte, déposer votre proposition de loi bien avant et la rédiger différemment.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°206 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
L'article premier est supprimé.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Défendu.
Mme la présidente. - Même vote que sur l'article précédent ?
M. Jean Desessard. - Le groupe écologiste votera contre également.
M. Richard Yung. - Le groupe socialiste aussi.
M. Jean-Yves Leconte. - La détermination de la majorité sénatoriale est forte : elle demande un scrutin public qui ne serait pas nécessaire si tous ses élus représentant des Français de l'étranger étaient présents dans l'hémicycle, alors que nous le sommes.
Sur le fond, refuser de tirer les conséquences de la création des conseillers consulaires pour en rester au statu quo est dommageable, vraiment dommageable.
Mme Cécile Cukierman. - Je trouve étrange que l'on rejette l'article 2 sans procéder formellement à un vote : ou l'on vote à main levée, et l'article n'est pas rejeté, ou l'on procède à un scrutin public conformément au Règlement. Pourquoi faire une exception ?
Mme la présidente. - C'est la coutume. J'ai demandé l'assentiment de l'Assemblée. Cependant, je veux bien organiser le scrutin public demandé par le groupe les Républicains.
M. Éric Jeansannetas, rapporteur. - J'irai dans le sens de Mme Cukierman d'autant que cet article 2 concerne l'élargissement du corps électoral du conseil d'administration de la CFA. Avis favorable de la commission.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - Avis défavorable à cet amendement.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°207 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
L'article 2 est supprimé.
ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Pour les mêmes raisons, nous proposons de supprimer cet article.
M. Éric Jeansannetas, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. - Avis défavorable.
M. Robert del Picchia. - Comme vous, monsieur Leconte, nous voulons cette réforme. Nous sommes même pour un élargissement du collège électoral à celui qui élit les sénateurs. Simplement attendons les conclusions des inspections.
M. François Fortassin. - Je croyais que les sénateurs représentants les Français de l'étranger étaient un club d'amateurs du cassoulet ; je constate qu'ils se comportent « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal ».
M. Jean-Pierre Sueur. - Belle citation littéraire de Hérédia !
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°4 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°208 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 187 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
L'article 3 est supprimé.
L'amendement n°1 rectifié devient sans objet.
Mme la présidente. - Tous les articles ayant été supprimés, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Organisme extraparlementaire (Nomination)
Mme la présidente. - Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Maurice Vincent membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.
Précarité sociale et discrimination
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.
Discussion générale
M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi . - « Ce qu'il y a de scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue.» Ces mots de Simone de Beauvoir prennent une résonance particulière au moment où nous entamons l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination pour précarité sociale, que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin. Oui, la pauvreté est un scandale !
La France a beau être un pays riche, 8,5 millions personnes y vivent au-dessous du seuil de pauvreté fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois. Plus scandaleux encore, un enfant sur cinq est pauvre. Dans les zones urbaines sensibles, c'est même le cas d'un enfant sur deux. Notre système ne protège plus contre l'exclusion. Et la situation empire : 12 % d'allocataires supplémentaires en trois ans au RSA.
Les personnes en situation de pauvreté et de précarité sont d'abord et avant tout des victimes. Des victimes, qui subissent une double peine puisqu'à la pauvreté s'ajoute la discrimination dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et relations avec les services publics.
Est-ce pour cela que les pauvres manifestent peu ? Est-ce parce qu'ils votent peu voire pas ? Parce que vous ne les verrez jamais manifester ? Ou tout simplement parce que vous ne les voyez pas ? En tout cas, ils demeurent, la plupart du temps, inaudibles. II n'est pas si loin le temps où un ministre de la République dénonçait les supposées « dérives de l'assistanat », « cancer » selon lui de la société française. Cette stigmatisation, c'est la culpabilisation, alors que les hasards de la vie peuvent mener à la pauvreté, quand ce n'est pas simplement l'hérédité. En tout cas, être pauvre n'est pas un choix.
La stigmatisation peut s'analyser aussi bien comme une cause que comme une conséquence de la pauvreté. Beaucoup préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles ils ont droit et qui pourraient leur apporter un réel soutien de peur, justement, d'être stigmatisés. Le voilà, le « cancer » : quand le pauvre se sent coupable de la situation dramatique dans laquelle il se trouve.
En décembre 2012, l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale faisait état d'un taux de 35 % de non recours au RSA socle et de 68 % du RSA activité. Que sont, à côté de ces 5 milliards non réclamés, les 60 millions de la fraude que certains dénoncent ? Renforcer l'effectivité des droits des personnes en situation de pauvreté est l'un des points sur lesquels j'ai le plus insisté dans le rapport que j'ai publié en février 2014 au nom de la délégation à la prospective sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Il ne s'agit pas de bons sentiments mais de mettre le doigt sur une telle réalité.
Une mère de sept enfants dans un logement insalubre dépose un dossier pour obtenir un logement décent. Deux semaines après, le bailleur se rétracte au motif que cette famille présente un risque élevé d'insolvabilité. Or l'Allocation personnalisée au logement (APL) couvre intégralement le loyer et la famille dispose d'une garantie du Fond de solidarité pour le logement (FSL).
Les personnes titulaires de la Couverture maladie universelle (CMU) sont souvent refusées par les médecins. Un enfant est suivi par un orthodontiste. La famille bénéficie d'une mutuelle : tout se passe bien. Ses droits évoluent ; elle relève désormais de la couverture maladie universelle complémentaire. Avant la consultation, la mère de l'enfant prévient le secrétariat de ce changement de situation. L'orthodontiste vient alors les trouver dans la salle d'attente et, devant les autres patients, leur explique qu'il ne peut poursuivre le traitement, qu'il arrête les soins.
Comment ne pas être scandalisé par l'exclusion du musée d'Orsay d'une famille pauvre au prétexte que son odeur gênait les visiteurs ? Ou par l'exclusion d'un enfant de la cantine scolaire parce que sa mère, licenciée, pouvait désormais le nourrir à domicile ?
Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté, le 12 mars dernier, la proposition de loi de M. Schwartzenberg, visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire. Je souhaite que le Sénat inscrive prochainement ce texte à l'ordre du jour et confirme le vote des collègues députés.
Nombreux sont ceux qui se flattent du succès d'Esther Duflo, cette jeune économiste française travaillant aux États-Unis, spécialiste des questions liées à la pauvreté, qui a été choisie pour conseiller le président Obama. Ceux qui se flattent de son succès oublient de rappeler ce qu'elle a maintes et maintes fois répété : c'est bien souvent par idéologie, ignorance et inertie que les politiques échouent.
Il est plus que temps, avec cette proposition de loi, de reconnaître sans idéologie, les discriminations à raison de la pauvreté. La République sans le respect n'est plus la République. Le défenseur des droits, M. Baudis, avait attiré l'attention sur la discrimination à raison du lieu de résidence et de la pauvreté, le premier a été reconnu dans la loi d'avril 2014. Quatre pays ont interdit la discrimination en raison de la pauvreté à commencer par la Belgique qui fait décidément figure d'exemple.
Complétons notre code pénal, notre code du travail et la loi du 27 mai 2008 en y ajoutant ce critère. Je salue la mémoire de Geneviève de Gaulle-Anthonioz en reprenant les mots du président de la République à l'occasion de son entrée au Panthéon, le 27 mai : Parce qu'elle voulait, cette grande dame, porter son combat sur le terrain du droit. Parce qu'elle entendait sortir son peuple de l'ombre par la lumière de l'expression de la volonté générale. Parce qu'elle estimait que la pauvreté n'est pas une fatalité individuelle mais une défaillance collective. Parce qu'elle voulait inscrire le respect de la dignité de tous dans le marbre de la République. Elle savait bien qu'il ne suffit pas d'une loi pour éradiquer la pauvreté et assurer l'accès de tous aux droits fondamentaux.
Le président de la République ajoutait qu'hélas le nombre de familles pauvres n'a pas diminué en France en près de vingt ans et qu'il nous revient de faire de mots pieux -le droit au logement, au travail, à la culture- d'ardentes obligations. Le travail remarquable des associations, comme ATD Quart Monde, ne doit pas nous exonérer de nos responsabilités. Disons-le clairement : la discrimination liée à la pauvreté constitue une violation des droits humains. Sa tragique banalisation dans notre société représente le témoignage d'un jeune que j'ai entendu par l'entremise d'ATD Quart Monde m'a frappé : après avoir été balloté de foyer en foyer, on a considéré qu'il pouvait se débrouiller seul à 18 ans. Alors qu'aucun droit ne lui était ouvert, toutes les portes se sont refermées devant lui. Pourtant, il insistait, non sur la nécessité de recevoir des aides, mais d'être écouté et respecté.
René Char disait : « Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Osons nommer la pauvreté.
Avec humilité, en ce jour chargé d'histoire, je lance un appel pour lutter contre les discriminations qu'elle entraine. En votant cette proposition de loi, nous ferons un premier pas. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Kaltenbach , rapporteur de la commission des lois. - Cette proposition de loi reconnaît un vingt et unième critère de discrimination à raison de la précarité sociale. Elle complète ainsi le code pénal et le code du travail. Elle s'inspire du rapport de M. Vaugrenard au nom de la délégation à la prospective. Selon l'Insee, 8,5 millions de Français vivraient sous le seuil de pauvreté, dont 3,5 millions d'enfants. Double peine, ces personnes sont souvent stigmatisées, certains dénonçant « l'assistanat » comme la source de tous nos maux. Ce texte est bienvenu. La notion de « précarité sociale » reste encore incertaine. En tant que rapporteur, j'ai essayé de la préciser.
Cette proposition de loi apporte une reconnaissance symbolique. Elle vise à inciter les personnes pauvres à faire valoir leurs droits, sans crainte d'être stigmatisées, alors qu'un tiers des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas.
La loi pénale, par son caractère dissuasif, aidera à faire évoluer les mentalités pour réduire les discriminations. Il est opportun de réaffirmer les principes républicains : liberté, égalité, fraternité.
L'enjeu était de trouver une définition juridique opérante, conformément au principe de légalité des délits et de peines. La notion de précarité sociale est une notion subjective, donc fragile, que le Conseil constitutionnel aurait certainement rejetée. C'est pourquoi nous avons préféré retenir pour critère la vulnérabilité résultant de la situation économique.
Les concepts utilisés par le droit international comme la fortune ou l'origine sociale semblaient datés. De même, prendre en compte des seuils de revenus n'était pas non plus satisfaisant : ils fonctionneraient comme des couperets. Notre rédaction s'inspire de la loi de 2012 contre le harcèlement sexuel. Je vous proposerai, en effet, de remplacer la notion de précarité sociale par celle de « vulnérabilité résultant de la situation économique ». Nous n'avons pas introduit ce nouveau critère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la presse car le délit d'injure suffit. Nous avons aussi voulu faciliter les discriminations positives.
Nous soutenons l'action engagée par le Gouvernement contre la pauvreté avec le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale.
Il faut réaffirmer l'exigence de solidarité essentielle au vivre ensemble. (Applaudissements à gauche)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - L'entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d'ADT Quart Monde, a été l'occasion pour le président de la République de réaffirmer son attachement aux valeurs de notre République et la nécessité de les défendre.
Nos vies ne sont pas rectilignes. Ceux qui connaissent des accidents de parcours, des hauts, des bas, ne doivent pas être laissés sur le bas-côté. La pauvreté n'est pas seulement l'affaire des associations humanitaires et des travailleurs sociaux, elle concerne toute la société.
Un plan de lutte contre la pauvreté a été adopté en janvier 2013 pour faciliter l'accès aux soins, au logement, à l'emploi. Le 3 mars, il a été complété par 50 nouvelles mesures. Il est conçu à la fois comme un bouclier social et un tremplin pour aider les personnes victimes d'un accident de la vie à rebondir.
Quelque 8 millions de Français sont victimes de pauvreté. Faut-il les tenir responsables de leur situation ? Trop souvent, ils n'osent pas faire valoir leurs droits, minés par la honte. C'est pour cela qu'avec Mme Touraine et moi-même, le Gouvernement tout entier s'emploie à mieux informer, à simplifier les procédures et le vocabulaire employé dans les courriers administratifs.
Ces personnes souhaitent souvent se faire oublier, elles ne votent même plus. Elles sont pourtant nos concitoyens. À nous de garantir leurs droits, de leur faire sentir que la loi est de leur côté.
Le Gouvernement a déjà oeuvré : il a introduit dans le code pénal et dans la loi de lutte contre les discriminations un vingtième critère concernant le lieu de résidence. Dans la loi sur le harcèlement sexuel, j'ai, en tant que parlementaire, fait introduire un facteur aggravant, celui de la précarité sociale.
Cette proposition de loi reconnaît un nouveau critère de discrimination. Elle vise à redonner confiance aux plus pauvres. Les discriminations sont contraires à nos valeurs, elles seront dorénavant contraires au droit. La commission des lois a su trouver une rédaction juridique adéquate qui soit aussi une formulation non stigmatisante, pour éviter que le texte ne se retourne contre les personnes visées. La bonne conscience ne suffit pas. Il était nécessaire de définir une norme juridique. Chacun est responsable de l'exclusion sociale. L'individualisme ne doit pas l'emporter.
La solidarité n'est pas un supplément d'âme, c'est ce lien invisible qui nous protège collectivement ; le lien le plus précieux qui nous rend plus forts, confiants dans l'avenir ; ce lien qui fait notre capacité collective à rester unis. Le Gouvernement soutiendra ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Mandelli . - Selon la Fondation Abbé Pierre, la pauvreté progresse : 5 millions de mal-logés, 8 millions de personnes pauvres, dont 3,5 millions d'enfants. Dans son rapport, Osons la fraternité, M. Vaugrenard constate que notre système ne protège plus contre l'exclusion.
Cette proposition de loi crée un vingt et unième critère de discrimination inscrit dans le code pénal et le code du travail. Les discriminations à raison de la précarité sociale sont une réalité : 37 % des chômeurs seraient victimes de discrimination à l'embauche. Les associations comme ATD Quart Monde, militent pour faire reconnaître ces discriminations. Pour autant faut-il légiférer ?
Les discriminations relèvent de nombreux facteurs. De plus, comme le note Jacques Toubon, l'actuel Défenseur des droits, la précarité est souvent passagère. Aucune étude d'impact n'a en outre été réalisée.
Interdire les discriminations à raison de la pauvreté n'éradiquera pas la pauvreté. Nous le savons bien, sans quoi nous l'aurions décréter plus tôt.
Sans méconnaître la valeur symbolique de cette proposition de loi, le groupe Les Républicains considère qu'elle ne suffit pas. C'est pourquoi il s'abstiendra. Une réflexion globale sur l'origine, les manifestations, le traitement des discriminations est indispensable. (Applaudissement sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa . - Être pauvre n'est pas seulement manquer de revenus, c'est un problème multidimensionnel qui englobe l'absence des capacités de base pour vivre dans la dignité. Enfants, familles monoparentales, migrants, réfugiés, malades du VIH sont les catégories les plus exposées à l'extrême pauvreté et aux discriminations qui en découlent et aggravent encore l'exclusion. Se voir refuser un rendez-vous médical parce qu'on est bénéficiaire de la CMU, un logement ou un entretien d'embauche, tout cela est le quotidien des personnes pauvres.
La proposition de loi propose d'ajouter un vingt et unième critère à la liste de l'article 225-1 du code pénal. C'est une proposition que Jean-René Lecerf et moi avions faite dans notre rapport au nom de la commission des lois. Je salue le travail de M. Vaugrenard de même que celui de notre rapporteur de la commission des lois
Reste à trouver un mot pour désigner cette discrimination -les Anglo-Saxons parlent de povertyism. Ce manque dit assez le déni dont elle est l'objet.
Après les symboles, il faut passer aux actes, combattre la pauvreté, l'extrême pauvreté qui touche un nombre croissant de nos concitoyens. Il y a urgence à agir ! (Applaudissements à gauche)
Mme Cécile Cukierman . - Dès 2012, la commission d'experts de l'OIT demandait à la France d'introduire l'origine sociale dans la liste des critères de discrimination à l'embauche. En 2013, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommandait l'introduction d'un vingt et unième critère, à raison de la pauvreté.
Ce texte s'inscrit dans le prolongement de la Conférence nationale contre la pauvreté de décembre 2012, comme des actions des associations comme ATD Quart monde. Les discriminations sont légion, je n'ajouterai pas d'autres exemples à ceux déjà cités. Disons simplement qu'elles ajoutent à l'exclusion sociale des pauvres.
Comment rendre effectif ce texte ? Les personnes en situation de précarité sont souvent celles qui réclament le moins leurs droits. Comme la CNCDH, nous déplorons la baisse du budget de l'aide juridictionnelle. Il eut été facile pour nous de faire la liste de toutes les lois votées récemment qui accroissent la précarité... Mais l'heure est trop grave. Nous voterons la proposition de loi, sachant qu'elle ne suffira pas ; il faut s'attaquer aux racines du mal.
Deux interrogations, cependant. D'abord, la précarité sociale, contrairement aux autres critères, hormis la grossesse, n'est pas un état permanent ; en faire un critère, n'est-ce pas accepter qu'elle le soit ? Le sens de notre combat politique est de lutter contre la pauvreté, non de faire avec. Ensuite, faire acte de discrimination positive est évidemment plus facile que d'éradiquer les discriminations...
Le groupe CRC votera ce texte, aussi imparfait soit-il. (Applaudissements à gauche)
M. François Fortassin . - Lutter contre la pauvreté est un devoir moral et légal. Autrefois président du conseil général, je m'y suis colleté. Le groupe RDSE a la passion de la fraternité et de la solidarité, il votera ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Olivier Cadic . - Mettre fin au cercle vicieux de la pauvreté est un objectif légitime. À titre personnel, je soutiens ce texte qui protègera mieux les plus vulnérables.
La commission des lois a bien travaillé. Je partage les propos du président Bas sur le côté caricatural de notre législation. Après la loi de 2014, nous ajoutons un vingt et unième critère... Jusqu'où irons-nous ? Ne faut-il pas trouver une formulation plus générique, plus synthétique ? Du reste, 21 critères suffisent-ils ? J'ai rencontré un chef d'entreprise qui refuse d'embaucher des gens empruntant une certaine ligne de RER à cause des retards réguliers. Faut-il ajouter le critère des transports ?
Envoyer un message de sympathie, c'est bien ; mais l'essentiel n'est-il pas de créer un climat propice à la croissance et à l'emploi ? Qui pourrait s'opposer à la démarche des auteurs de la proposition de loi ? Mais, il y a deux semaines, l'accessibilité a été renvoyée aux calendes grecques...
Le texte protège-t-il mieux ou ajoute-t-il à la complexité ? Le rapport Osons la fraternité pointe du doigt un des principaux problèmes posés par la précarité sociale, l'auto-discrimination qui empêche les personnes de réclamer leurs droits. Les verra-t-on aller au tribunal pour dénoncer une discrimination ? Travaillons plutôt à cette question de l'auto-stigmatisation.
Mais ne nous trompons pas de cible. Il faut s'inquiéter de cette loi et non s'en réjouir : la précarité sociale devient endémique en France -8,5 millions de pauvres, 14,3 % de la population. C'est cette précarité qu'il faut combattre, les discriminations n'en sont que la conséquence désastreuse.
Le groupe UDI-UC s'abstiendra dans sa majorité. Avec trois autres collègues, je la voterai. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur . - Après d'autres, je veux saluer le rapport si vrai, si parlant de M. Vaugrenard. Le cri de douceur, de tendresse et d'autorité de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, désormais au Panthéon, doit être entendu. C'est ce que nous faisons avec cette proposition de loi.
Il y aurait trop de critères ? Non, ils sont tous nécessaires. Il est inacceptable qu'un être humain soit discriminé, que ce soit à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'état de grossesse, de l'apparence physique, du patronyme, du lieu de résidence, des moeurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, de son appartenance réelle ou supposée à une ethnie, un pays ou une religion... Il est bien de parler des droits de l'homme et de la femme en général, le mieux est qu'ils soient précisément appliqués.
Après avoir remercié le rapporteur Kaltenbach de son excellent travail juridique, M. Vaugrenard de son infaillible détermination et les associations, je me contenterai d'indiquer que le groupe socialiste votera évidemment ce texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Duranton . - La pauvreté touche 8,7 millions de personnes dans notre pays. En faisant de la précarité sociale un vingt et unième critère de discrimination, les auteurs veulent accomplir un acte symbolique. Très clairement, nous discutons de symboles au lieu de faire des propositions concrètes. C'est un texte « lanceur d'alerte ». Mais les symboles pour se donner bonne conscience ne suffisent pas. Car la pauvreté progresse ; si le phénomène n'est pas nouveau, il se durcit, s'intensifie, se transforme, s'étend à de nouvelles populations.
M. Vaugrenard a fait le constat que la pauvreté devient héréditaire, qu'elle se transmet désormais comme une malédiction. Les chiffres en attestent. Et le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur à celui des personnes pauvres vivant dans des familles nombreuses. Les femmes sont les premières touchées en raison des emplois peu qualifiés qu'elles occupent et des temps partiels qu'elles subissent. À mon sens, mieux vaut réfléchir plus largement sur ce phénomène pour engager des mesures concrètes. Je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Michelle Meunier . - À mon tour de remercier mon collègue Vaugrenard de son initiative. Une fois encore, nous parlons dans cet hémicycle de la situation de nos concitoyens qui souffrent et ont trop souvent perdu espoir.
Interdire toute discrimination à raison de la situation de précarité sociale est un geste fort. Nous devons sanctionner les comportements indignes, il est bon que la loi fixe les limites et renforce ainsi notre pacte républicain.
La situation est insupportable. Trois millions d'enfants sont frappés par la pauvreté. Après la Seconde Guerre mondiale, notre pays s'est organisé pour assurer une protection sociale étendue, puis a mis en place des dispositifs de redistribution et de lutte contre l'exclusion. Et voici que Toulouse refuse désormais la gratuité de la cantine scolaire à 7 000 familles...
Poursuivons, après la loi pour l'égalité des femmes et des hommes et la loi de refondation de l'école, nos efforts. Nous devons être solidaire sans stigmatiser ni discriminer, nous doter d'indicateurs de suivi et d'objectifs de progrès. Nous ne pouvons accepter que des enfants de France soient discriminés dès leur plus jeune âge. Il n'y a pas de fatalité, nous devons les aider. C'est le sens de ce texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Bariza Khiari . - Trop longtemps, notre pays a refusé de considérer que les discriminations représentaient des morts sociales. Les pratiques discriminatoires entament l'adhésion aux valeurs républicaines. Il faut faire en sorte qu'à la précarité économique ne s'ajoutent pas vexations et humiliations, que cette double peine ne soit pas considérée avec indifférence, voire condescendance. La pauvreté est une situation subie.
Merci à M. Vaugrenard de porter cette belle cause. Ayons néanmoins conscience que les juges sont peu saisis de plaintes pour discrimination. Outillons-les mieux.
Le Défenseur des droits, dans son avis du 9 juin 2015, argue que la précarité sociale n'est pas un état permanent. Soit, mais la grossesse ou le lieu de résidence ne le sont pas plus...
Raffermissons le troisième pilier de notre devise républicaine, la fraternité, ce lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine. Le groupe socialiste et républicain votera ce texte. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
ARTICLE UNIQUE
L'amendement n°1 rectifié n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°2, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission.
Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :
... - Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :
1° À l'article L. 032-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, » , sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;
2° Après l'article L. 033-4, il est inséré un article L. 033-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 033-5. - Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »
... - Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
... - Le IV est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans les matières relevant de la compétence de l'État.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Cet amendement, identique à celui que M. Mohamed Soilihi a déposé, prévoit l'application du texte outre-mer.
L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - L'adoption de l'article unique entraînera celle de la proposition de loi.
Interventions sur l'ensemble
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Mon propos ne sera pas de discuter des meilleurs moyens de lutter contre la pauvreté, qui croît avec le chômage de masse. Il est d'expliquer l'intérêt de ce texte. Trop souvent, le regard de l'autre sur la personne pauvre coïncide avec celui qu'elle porte sur elle-même. Cette dévalorisation est le premier obstacle sur le chemin du recouvrement de l'estime de soi. Il faut le franchir pour trouver les ressources nécessaires pour s'en sortir. Tout ce qui apportera plus de considération à nos concitoyens en situation de précarité, indépendamment de la lutte matérielle contre la pauvreté, qui relève d'un impératif politique, va dans le bon sens.
La commission des lois, comme c'est son devoir, a relevé que d'un point de vue juridique l'accumulation des motifs de discrimination n'avait guère de sens ; elle doute que ces dispositifs soient efficaces... une approche autre que ponctuelle serait bienvenue.
À titre personnel, et malgré tous ses défauts, je voterai ce texte qui est aussi une main tendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Jean-Claude Luche . - Président de conseil départemental, comment puis-je faire savoir aux bénéficiaires potentiels du RSA qu'ils y ont droit -sachant que je n'ai pas l'argent pour le payer ? Il faut que le Gouvernement nous donne les moyens de contribuer à la lutte contre l'exclusion.
L'article unique, modifié, est adopté.
(Applaudissements)
La séance est suspendue à 13 h 15.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle onze questions d'actualité au Gouvernement.
Je veux saluer la présence pour la première fois au banc des ministres de Mmes Clotilde Valter et Martine Pinville. Je vous souhaite, mesdames, une cordiale bienvenue. (Applaudissements)
Situation des migrants
M. Roger Karoutchi . - L'affaire des migrants pose trois problèmes : humanitaire d'abord. La mort, la souffrance, le débarquement d'étrangers dans des conditions invraisemblables est un problème grave, qui ne concerne pas seulement les Italiens.
Problème financier, ensuite, que la Cour des comptes chiffre à deux milliards d'euros par an, correspondant au coût de l'aide médicale d'État (AME), de l'hébergement, etc. Entre droit d'asile, déboutés du droit d'asile et autres migrants, ce chiffre est crédible.
Troisième problème, celui de l'acceptabilité de l'immigration : nous atteignons un point de rupture dans la société. On voit ce qui se passe à Calais, à Paris. Et pendant ce temps, l'Europe balbutie ; vous semblez vouloir faire preuve de fermeté, monsieur le ministre, mais l'Europe est incapable de prendre des décisions rapides. Nous intégrons mal les migrants qui obtiennent l'asile, et refusons de voir les autres.
300 000 personnes supplémentaires pourraient arriver sur notre territoire l'an prochain. Et que faisons-nous ? Rien ou si peu.
Monsieur le ministre, vous êtes responsable de la sécurité intérieure et de l'intégrité de la Nation. Que faites-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Didier Guillaume applaudit aussi)
M. David Assouline. - Trente secondes de dépassement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Sur ce sujet grave, où il y a ceux qui commentent et ceux qui agissent, chaque parole doit être pensée et pesée, en responsabilité. Il y a d'abord un problème international : celui de tous ces hommes et ces femmes poussés sur le chemin de l'exil par le terrorisme, les persécutions et la répression de dictatures sanguinaires. L'Europe doit-elle accueillir ceux qui relèvent du droit d'asile ? Pour le Gouvernement, la réponse est clairement oui. Les cinq pays qui accueillent 75 % des migrants peuvent-ils continuer à supporter seuls le fardeau ? La réponse est indubitablement non.
J'ai proposé un dispositif plus solidaire et plus responsable ; les migrants doivent être enregistrés dans leur pays d'arrivée, afin d'identifier ceux qui relèvent du droit d'asile ; ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière seront reconduits à la frontière. J'ai obtenu le triplement de moyens de Frontex à cette fin.
En France, les centres d'hébergement d'urgence et les places en centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) seront multipliés, et nous continuerons avec la politique de fermeté qui nous a permis, l'an passé, de reconduire 15 000 personnes à la frontière. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
Taxis et VTC
M. Philippe Esnol . - Monsieur le ministre de l'intérieur, mardi dernier, plus d'une centaine de taxis parisiens ont participé à une opération escargot. Hier, l'intersyndicale des taxis a demandé la suspension immédiate de l'application UberPop. Comment en est-on arrivé là après la loi de 2014 qui entendait lutter contre les taxis clandestins ? C'est simple : elle est peu appliquée, et les contrôles du retour des VTC à leur point de stationnement sont trop peu nombreux.
Aujourd'hui, de nombreux recours sont engagés devant les tribunaux. La relaxe d'un chauffeur UberPop la semaine dernière a attisé la colère des taxis.
Sans approuver les opérations de blocage, ne faut-il pas accélérer les procédures devant les tribunaux et renforcer les contrôles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - C'est irréfutable : taxis et VTC sont en concurrence avec UberPop, dont les chauffeurs, qui n'acquittent pas leurs charges sociales, sont manifestement dans l'illégalité. Le Gouvernement agit et c'est pourquoi le tribunal constitutionnel a été saisi ; les contrevenants sont passibles d'une amende de 1 500 euros ; les contrôles ont été multipliés et renforcés ; le parquet a fait appel contre la décision de relaxe que vous avez évoquée ; une peine de prison avec sursis a été prononcée la semaine dernière par le tribunal correctionnel de Paris ; les services fiscaux sont à l'oeuvre pour opérer les redressements nécessaires. Le président de la République a saisi le délégué interministériel à la lutte contre la fraude pour que les Urssaf procèdent aux redressements nécessaires. Les gérants du système sont passibles de 300 000 euros d'amende et de peines d'emprisonnement. Nous faisons tout pour mettre fin à une activité notoirement illégale et illicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Asile
Mme Esther Benbassa . - Les élus écologistes se tiennent aux côtés des migrants expulsés pour certains depuis une semaine. On y voit peu de responsables politiques oeuvrer avec les militants associatifs. En revanche, des voisins, jeunes ou moins jeunes viennent, qui apporter une couverture, qui un repas chaud, une boisson, à ces gens harassés, le regard vide, épuisés de dormir dehors, mutiques de souffrance.
Vous avez annoncé la création de quelques centaines de places d'hébergement d'ici la fin de l'année, monsieur le ministre, et 5 000 d'ici 2017.
L'humanité affichée prévaudra-t-elle sur la fermeté employée ? La France enregistre le taux de 17 % des demandes d'asile, contre 45 % en moyenne dans l'Union européenne. Que ferez-vous des migrants expulsés de camps que vous qualifiez d'illicites ? Ils ne vont tout de même pas dormir dehors pour obtenir des places en centre d'hébergement ?
Quid des centres d'intervention aux frontières que le candidat François Hollande avait promis de fermer ? (Exclamations amusées à droite) Des mineurs isolés ?
Des actes, monsieur le ministre, des actes, et non des mots ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste, républicain et citoyen)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Au Gouvernement, nous ne nous livrons pas à des commentaires sur les plateaux de télévision, nous agissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Vendredi, nous avons décidé d'offrir des solutions d'hébergement aux migrants de la Chapelle ; il n'y avait pas un policier, ils étaient invités à monter dans les bus qui allaient les emmener en hébergement. Ce sont des groupuscules d'activistes qui les ont empêchés de monter.
Nous ouvrons 4 200 places d'hébergement en plus des 8 000 prévues, ainsi que 500 places d'hébergement d'urgence. Cela nécessitera un travail sérieux, non des mots ou des postures de plateaux de télévision. Et nous créons 5 000 places de plus en Cada pour les demandeurs d'asile. Voilà des actes ! Et non des commentaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du RDSE et de quelques sénateurs de l'UDI-UC)
Hôpital public
Mme Laurence Cohen . - L'hôpital public est en crise. Les restrictions budgétaires de 3 milliards d'euros d'ici 2019 menacent 4 000 emplois à l'AP-HP, sur 22 000 en tout dans nos hôpitaux. Est-ce ainsi que l'on assure la qualité des soins ?
La loi HPST et la tarification à l'activité concrétisaient déjà la prééminence d'une vision étroitement comptable de l'hôpital, où la gestion l'emporte, hélas, sur les soins qui sont sa raison d'être. Une quatrième mobilisation du personnel hospitalier a eu lieu ce matin.
De bonnes conditions de travail sont indispensables à la bonne prise en charge des malades. Or, la réorganisation du temps de travail annoncée par Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP, surcharge les journées et réduira les pauses... On demande de plus en plus de sacrifices aux professionnels de santé, et l'on recherche davantage la productivité que la qualité des soins.
Madame la ministre, allez-vous renoncer à ces économies de 3 milliards d'euros, et pousser Martin Hirsch à revenir sur sa réforme et à améliorer les conditions d'exercice des professionnels de santé à l'hôpital public ? (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, républicain et citoyen et écologiste)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Oui, l'hôpital public est le coeur battant de la République sociale, et je ne vous laisserai pas dire que nous le démantelons : en 2015, nous lui allouons 1,5 milliard d'euros de plus qu'en 2014, et nous avons créé 30 000 emplois depuis 2012 !
L'hôpital public est aussi un lieu d'adaptation et d'innovation, dans les coopérations avec la médecine de ville, la recherche.
Nous avons d'ailleurs fêté, cette année, la centième première mondiale dans un CHU (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Je suis très attentive aux conditions de travail des personnels, attachés à l'hôpital public car ils sont attachés à la solidarité. Une réorganisation du travail est le moyen de continuer à accueillir nos concitoyens 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365. Martin Hirsch a toute ma confiance. Je sais qu'il travaille avec les organisations syndicales.
C'est par les valeurs d'égalité et de solidarité que l'hôpital public saura répondre aux défis de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Jacqueline Gourault applaudit aussi)
M. Didier Guillaume. - Très bonne réponse !
Mesures en faveur des TPE et des PME
M. Bernard Lalande . - Au nom du groupe socialiste et républicain, je salue Mmes Pinville et Valter pour leur nomination. Elles serviront, nous en sommes sûrs, la République.
Voix à droite. - Il veut du Fisac !
M. Bernard Lalande. - Le Gouvernement poursuit son soutien à l'innovation, avec le pacte de responsabilité et ses 20 milliards d'euros d'allègements de charges par an au titre du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), mais aussi avec de nouvelles mesures en faveur des TPE-PME annoncées le 9 juin par le Premier ministre. L'objectif est tenu : créer des emplois non délocalisables en luttant contre la fraude au détachement. En quoi amélioreront-elles les mesures existantes, notamment le décret du 30 mars 2015 ? Quel sera le calendrier d'application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. André Gattolin applaudit aussi)
M. le président. - Bonne chance, madame la ministre !
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire - Merci pour cette question... Comment enrichir la croissance en emplois ? Voilà la question. Ce plan, annoncé par le Premier ministre concerne 99 % des entreprises qui emploient plus de la moitié des salariés. Il comprend des mesures structurelles. Un mécanisme de plafond-plancher pour les prudhommes, pour redonner de la visibilité aux employeurs. Concernant les AME (appuis aux mutations économiques), le Gouvernement veut donner la faculté à ceux qui veulent se mettre d'accord de le faire.
Nous renforçons la lutte contre le détachement illégal des travailleurs. Nous créons une aide à l'embauche. Pourquoi maintenant, parce que les entrepreneurs étaient résignés. N'attendons pas les 2 % de croissance pour relancer l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Vallourec
Mme Valérie Létard . - Vallourec, fleuron de l'industrie française, leader mondial des tubes acier sans soudure, est confronté à une baisse très forte de son activité, consécutive à la chute des investissements des groupes pétroliers. Présent dans le monde entier avec 22 000 salariés, Vallourec a annoncé le 29 avril la suppression de 1 500 emplois en Europe dont 600 en France, et la recherche d'un partenaire majoritaire pour reprendre l'aciérie de Saint-Saulve dans le Nord de la France.
À notre demande, M. Macron a mis en place un groupe de travail animé par le préfet de région, dont la mission consiste à rechercher les solutions acceptables pour assurer le maintien de l'activité et de l'emploi dans l'aciérie et les tuberies. Le Nord, la Côte-d'Or, la Seine-Maritime sont concernés.
Nous craignons un nouveau saccage de l'appareil industriel, alors que les acteurs locaux agissent sans relâche au développement d'un pôle industriel d'excellence. La cession de l'aciérie de Saint-Saulve ne préfigure-t-elle pas sa disparition ? Le Gouvernement peut-il accepter qu'un groupe mondial, mais français, fragilise les sites situés dans le pays qui l'a vu naître et qui a assuré sa croissance ? Comment envisagez-vous l'intervention de l'État, actionnaire de Vallourec via BPI France, pour assurer la pérennité de l'aciérie de Saint-Saulve ? Pouvez-vous nous assurer que M. Macron demandera à ce qu'aucun plan social ne soit engagé par Vallourec avant la fin des négociations ?
Voilà l'occasion de faire la preuve de l'esprit de capitalisme industriel qui l'anime ! Vallourec représente un symbole que l'État stratège doit soutenir. (Applaudissements au centre)
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - Dès l'annonce de Vallourec, M. Macron a dit son attachement à ce que cette restructuration ne s'accompagne d'aucune fermeture de site ni d'aucun départ contraint en France. Il a reçu les élus du Nord pour les rassurer. L'aciérie de Saint-Saulve a reçu des investissements publics, c'est un site à haut potentiel. Nous recherchons un acquéreur ; une prospection internationale sera lancée en juillet. Nous recherchons la solution la plus ambitieuse, qui ne devra pas avoir de conséquences ailleurs en France. Un groupe de travail État-élus-Vallourec est à la tâche.
À chaque projet de restructuration, l'expérience des salariés est précieuse, c'est pourquoi le préfet a reçu ceux de Vallourec. Nous sommes mobilisés à tous les niveaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Généralisation du tiers payant
M. Alain Milon . - Les médecins de France lancent un cri d'alarme que le Gouvernement ignore. Après ceux de Roanne, ceux de Quimper protestent contre la loi Santé. Les syndicats de médecins ont tous réaffirmé leur opposition au tiers payant obligatoire et généralisé. C'est en effet une mauvaise mesure : au nom de la liberté de choix des patients - car demain les complémentaires les orienteront vers certains praticiens -, de la liberté d'exercice des praticiens et du contrat moral entre les médecins et l'État. Cette mesure est d'ailleurs d'une effroyable complexité.
Il ne s'agit pas de corporatisme, mais de défense de la médecine libérale, pilier de l'organisation des soins dans notre pays. Les entendez-vous, madame la ministre de la santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Le projet de loi de modernisation de notre système de santé contient tout un ensemble de mesures : prévention, levée des obstacles financiers et géographiques d'accès aux soins, renforcement du service public hospitalier, démocratie sanitaire. Le tiers payant reste le seul point d'achoppement avec les professionnels qui nous rejoignent sur le reste ; je m'en réjouis.
Le tiers payant existe dans la plupart des pays européens et ne remet nullement en cause la médecine libérale ; les pharmaciens ne sont pas inféodés aux assureurs privés, que je sache ! Il s'agit de garantir à tous l'accès aux soins. Pour rassurer les médecins, j'ai d'ailleurs voulu inscrire dans la loi la garantie de délais de remboursement brefs, une organisation simplifiée à partir de l'assurance maladie, et une mise en oeuvre progressive. Je suis sûre que le dialogue progressera avec les syndicats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Avenir des anciennes capitales régionales
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Ma question s'adresse à Mme Valter, à qui je souhaite une chaleureuse bienvenue.
Autant on peut se féliciter de la volonté du Gouvernement de réviser notre organisation territoriale pour rendre de meilleurs services et de préserver le niveau départemental, autant la réforme suscite de fortes inquiétudes parmi les agents et les habitants. Qu'adviendra-t-il des agences régionales de santé, des rectorats, des services fiscaux implantés dans les actuelles capitales régionales ? Celles-ci craignent d'être dépouillées.
Pouvez-vous pour couper court aux fantasmes, nous assurer que la réforme territoriale n'aboutira pas à une concentration des services de l'État dans les nouvelles capitales régionales aux dépens de la proximité ? Ce serait contraire à l'esprit des annonces faites le 22 avril par M. le Premier ministre, selon qui l'objectif est de conforter l'État départemental dans la mise en oeuvre des politiques publiques.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'état chargée de la réforme de l'État et de la simplification . - Merci de votre accueil. La réforme a pour objectif une montée en gamme des services de l'État, le renforcement de leur efficacité et une meilleure égalité entre les territoires, n'en laissant aucun sur le bord du chemin. Nous tenons compte de la spécificité des villes perdant leur ancienne qualité de chef-lieu de région. Le préfet préfigurateur est à l'oeuvre dans la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ; il mène une grande consultation avec tous les acteurs.
Soyez-en certaine, la réforme n'aboutira ni à un saupoudrage des services de l'État, ni au maintien du statu quo, ni à la concentration dans les nouvelles capitales régionales. Nous trouverons une solution adaptée à chaque territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Filière bovine
M. François Bonhomme . - Après plusieurs jours de blocage des abattoirs, les éleveurs auvergnats viennent de suspendre leur action pour avoir obtenu un relèvement des prix de cinq centimes par kilo de carcasse. Un projet de plateforme d'aide aux exploitations et une clause de revoyure sont prévus.
Cependant, ce sont surtout les éleveurs qui pâtissent de la baisse du prix des bovins, comme l'a souligné l'Observatoire des prix et des marges. Seulement 8 euros reviennent aux producteurs sur 100 euros de viande produite. La crise est profonde. Les éleveurs, qui ont autre chose à faire que de se plaindre et de défiler, refusent le sort qui leur est fait, d'autant plus absurde que la France n'est pas autosuffisante.
Comment rétablirez-vous des prix rémunérateurs ? Quand les installations se réduisent de 30 %, c'est primordial pour rendre un avenir à cette filière. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger . - Veuillez excuser M. Le Foll, qui assiste au Congrès des jeunes agriculteurs ; ils sont l'avenir de l'agriculture. (Sarcasmes à droite)
Les éleveurs font face à une situation très difficile, liée à l'embargo russe et à l'arrivée sur le marché de vaches de réforme. Or cette filière est essentielle à notre agriculture. M. Le Foll a réuni les acteurs en mai, puis de nouveau hier. Il a appelé chacun, producteurs, abatteurs et distributeurs à faire preuve de responsabilité. Une hausse de prix d'achat a été acceptée, qui sera répartie sur toute la filière. Il a porté à 7 millions d'euros l'enveloppe destinée à couvrir les problèmes de trésorerie des éleveurs.
Avec M. Le Foll, je suis mobilisé pour faire progresser nos exportations agricoles. Nous venons d'obtenir des avancées au Vietnam. Bref, nous sommes totalement mobilisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Industrie aéronautique
M. Martial Bourquin . - Le 15 juin, le salon du Bourget a ouvert ses portes. La filière se porte bien : 180 000 salariés, 50 milliards de chiffre d'affaires en 2014, ventes de Rafale, carnets de commandes pleins... Quand l'industrie française fait le choix de l'innovation, du haut de gamme, s'appuie sur nos territoires et nos savoir-faire, elle est capable du meilleur. Nous l'avons constaté à l'usine Airbus de Saint-Nazaire, avec la commission des affaires économiques. Chaque fois que nous nous situons dans le bas de gamme à l'inverse, nous avons des difficultés.
L'idéologie post-industrielle a fait des ravages. Airbus nous montre le chemin à suivre. Le secteur recrute. Comment encouragez-vous la filière et la formation dans ce domaine ? Il y a 300 000 emplois non pourvus... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Le Bourget, plus grand salon aéronautique du monde, est une magnifique vitrine. La filière a créé 10 000 emplois par an. Pour 2015, Airbus a enregistré 421 commandes fermes en réalisant des percées historiques au Japon ; ATR 46 commandes fermes d'ATR et 30 d'hélicoptères. Avec M. Macron, nous avons réuni le comité stratégique de la filière pour être à l'écoute de ses besoins en termes d'innovation.
L'aéronautique, responsable de 2 % des émissions de gaz à effet de serre, s'est fixé des objectifs de réduction ambitieux : moins 50 % d'émissions de CO2 d'ici 2050. Nous soutenons l'innovation dans ce secteur par le biais des investissements d'avenir : hélicoptère lourd, plateforme de démonstration pour les PME, système Sefa...
Nous soutenons la formation à ces métiers, comme la chaudronnerie, car c'est une filière d'avenir pour notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Irrifrance
M. Robert Navarro . - Depuis fin 2013, nous sommes mobilisés pour soutenir une PME innovante, Irrifrance, installée en Aveyron. Elle bénéficie de l'appui d'Oséo, du Feder et de la région Languedoc-Roussillon. Son dossier à la BPI est absurdement bloqué depuis trois ans alors que l'entreprise en a besoin pour se développer à l'export. De deux choses l'une : soit le dossier est éligible -ce que je crois- et la BPI doit l'aider, soit il ne l'est pas et la BPI doit motiver sa décision. Au-delà des questions diplomatiques sur les emplois, la BPI doit donner sa réponse et recevoir les dirigeants d'Irrifrance. L'administration ne saurait abuser de son pouvoir, 140 emplois et un territoire sont en jeu.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - Irrifrance, qui emploie 450 personnes a reçu le trophée Hydro Innovation 2015 pour son système innovant fonctionnant grâce à l'énergie solaire. Reste qu'elle est confrontée à des difficultés et à la nécessité de relever le défi de l'export. Elle ne ménage pas ses efforts ; elle bénéficie déjà de l'aide de la Coface.
Bpifrance n'a pas à se substituer à l'actionnaire dans la définition d'une stratégie de long terme. Le Gouvernement est, en revanche, en contact régulier avec l'entreprise pour l'y aider et répondre aux besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La séance est suspendue à 16 heures.
présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 15.
Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe RDSE.
Discussion générale
M. Pierre-Yves Collombat, co-auteur de la proposition de loi organique . - Avant d'entrer dans le vif du sujet et vu l'assistance qui garnit nos bancs, précisons l'objet de cette proposition de loi organique : supprimer les huitième à dixième alinéas de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Cela mérite quelques explications... Ces alinéas imposent des études d'impact précises, c'est-à-dire qui ne soient pas un recueil de généralités et de banalités rassemblées à la hâte... En l'espèce : l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales ; celle des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administration publique et de personnes physiques et morales intéressées en indiquant la méthode de calcul retenue ; celle des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public.
En cas de désaccord entre la Conférence des présidents d'une des deux assemblées et le Gouvernement sur la conformité desdites études aux prescriptions de la loi organique, le président de l'assemblée concernée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel, qui doit alors statuer dans les huit jours. Vous savez tout.
Si j'étais un disciple du père Malebranche, je dirais que la cause occasionnelle de ce texte est la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 validant, sur saisine du Premier ministre, l'étude d'impact annexée au projet de loi de délimitation des régions et réformant le calendrier électoral. La cause efficiente...
M. Jean-Pierre Sueur. - Toujours Malebranche...
M. Pierre-Yves Collombat, co-auteur de la proposition de loi organique. - ...est, à la suite de la décision désinvolte du Conseil constitutionnel, le constat de l'échec définitif sur ce point de la révision constitutionnelle de 2008 qui a imposé au Gouvernement des études d'impact dignes de ce nom.
Une étude d'impact ne saurait être rédigée à la hâte, une étude bidon, sauf que le Conseil constitutionnel a validé toutes les arguties du Gouvernement et ses opérations de division et multiplication comme si le Parlement ne savait pas faire des calculs simples... Le Conseil a même estimé que le Gouvernement n'avait pas à évaluer les conséquences du texte sur l'emploi public dès lors qu'il n'avait pas fait de l'évolution de celui-ci un objectif poursuivi par lui. À l'avenir, l'étude d'impact pourrait bien se résumer à « l'objectif de ce projet de loi est de réformer... » Circulez, il n'y a rien à voir... C'est dire le mépris dans lequel la haute bureaucratie tient le Parlement. (M. Jacques Mézard approuve)
Justifier la recherche de la taille critique des régions ? L'étude d'impact se garde bien d'aborder une question... qui ne se pose pas en Allemagne, où les länder, qu'on cite si souvent en exemple, sont divers. La Bavière est 20 fois plus importante que le land de Brême... Évoquant le regroupement du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées, l'étude d'impact se borne à noter que la nouvelle région deviendrait « un lieu de convergence d'axes économiques importants à la confluence de grands courants d'échanges... » Un beau collier de banalités qu'a validé le Conseil constitutionnel... Pourquoi Charentes-Limousin et Centre plutôt qu'autre chose ? Pourquoi... pourquoi... pourquoi ? Ceux qui ont suivi les allers et retours entre l'Élysée et Matignon ont bien une idée, mais on n'en trouve pas trace dans l'étude d'impact... Les économies d'échelle ? Aussi célèbres que l'Arlésienne... L'étude d'impact les invoque mais n'en dit rien, et on le comprend : elles sont évaluées de 12 à 25 milliards... L'OCDE et la Commission européenne doutent même qu'elles existent...
Comme il n'y a pas de juge pour vérifier la validité de ces études d'impact, appelons un chat un chat plutôt que de maintenir la fiction actuelle. D'autres pays où l'on n'a pas encore rationalisé le parlementarisme s'en passent fort bien. Enfin, la cause finale...
M. Jean-Pierre Sueur. - Je l'attendais !
M. Pierre-Yves Collombat, co-auteur. - ...outre que les « lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », c'est d'en finir avec des dispositifs décoratifs accrochés aux lois pour éviter d'affronter les blocages d'une Ve République vieillissante... (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois . - Deux objets à cette proposition de loi organique : l'un manifeste, le constat que le Gouvernement est libre d'entendre ce qu'il veut par « étude d'impact » et que le Conseil constitutionnel ne se sent pas en mesure de contester la façon dont le Gouvernement l'interprète ; l'autre latent, le constat que le contrôle donné au Parlement à travers les études d'impact n'existe pas. Sous cet angle, la révision de 2008 a échoué.
La commission des lois a adopté la proposition de loi et l'a complétée.
Le Gouvernement est libre de mettre ce qu'il veut dans les études d'impact. Le Conseil constitutionnel n'en a cure, c'est en substance ce qu'il a dit dans sa décision du 1er juillet 2014. Pourtant, l'étude annexée au projet de loi NOTRe, élaboré et examiné en accéléré, ne comportait aucune évaluation des effets de la réforme sur l'emploi public. Décision elle aussi prise en accélérée... À lire celle-ci, l'étude d'impact s'en tient à l'interprétation pure et simple que l'auteur a fait de son texte. Il y a de quoi se poser des questions sur l'article 39 de la Constitution, sur la façon dont le Gouvernement travaille et le Conseil constitutionnel contrôle. Durant les auditions, on nous a rappelé que le Conseil constitutionnel n'est pas juge d'opportunité ; peut-être mais il considère opportun ce qui convient au Gouvernement...
M. Jacques Mézard. - Excellent !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Ce texte n'a, du reste, rien d'original : il reprend mot pour mot un amendement socialiste à la loi organique de 2009.
M. Philippe Kaltenbach. - Certains s'étaient exprimés contre...
M. Jacques Mézard. - D'autres sont fidèles à leurs convictions !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - La première mention des études d'impact remonte en réalité à 1958, avant même qu'on les réinvente en 1978, avec le mécanisme d'évaluation des projets de loi par le Conseil économique et social.
La commission des lois a adopté des mesures supplémentaires. D'abord un mois contre dix jours accordé à la Conférence des présidents pour étudier les études d'impact, si réduites soient-elles ; ensuite, la publication des avis du Conseil d'État sur les études d'impact que le président de la République a souhaitée...
M. Philippe Kaltenbach. - Très bien !
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Cela obligera le Conseil d'État dont les avis confidentiels sont souvent ésotériques à fournir des explications fournies. Puis, obliger le Gouvernement à motiver l'engagement de la procédure accélérée, pour une raison simple : la Conférence des présidents doit donner son accord ; le débat s'engagera ainsi sur des bases plus solides. Enfin, demander une étude d'impact pour chaque amendement gouvernemental déposé en séance modifiant substantiellement le texte. C'est une nécessité : rapporteur, j'ai vu apparaître en cours d'examen de la loi relative à la fonction publique de 2013, un amendement du Gouvernement conduisant rien moins qu'à inverser la règle selon laquelle le silence de l'administration valait rejet... Elle n'en finit pas de poser problème. Si une étude d'impact avait été exigée, jamais un tel amendement n'aurait été adopté.
Voilà quelles ont été les réflexions et les ajouts de la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE)
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État en charge de la réforme de l'État et à la simplification . - Merci pour le travail réalisé à l'occasion de ce débat. Éclairer le débat parlementaire est une obligation démocratique, renforcée lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Le Conseil constitutionnel, saisi pour la première fois sur le fondement de l'article 39 de la Constitution, a consacré le 1er juillet 2014 une conception pragmatique des obligations pesant sur le Gouvernement, considérant notamment qu'il ne pouvait lui être fait grief de n'avoir pas évalué les conséquences du texte sur l'emploi public dès lors que ce point ne figurait pas dans les objectifs du projet de loi.
Le Gouvernement ne peut se voir imposer des obligations de façade ou de pur formalisme. (M. Jacques Mézard rit) Ce n'était pas l'objectif du constituant de 2008.
Cette proposition de loi organique vide de sa substance les études d'impact et l'obligation impérieuse d'éclairer le Parlement. Le Gouvernement la rejette. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit).
M. Pierre-Yves Collombat. - Première nouvelle, le Gouvernement veut travailler ! (Sourires)
M. Philippe Kaltenbach . - On peut s'interroger sur cette proposition de loi organique un peu provocatrice qui ressemble fort à un geste d'humeur après la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014. Cependant, ce débat est l'occasion de revenir sur le fond de l'affaire : les études d'impact.
Lors des discussions sur la loi organique de 2009, le groupe RDSE les considérait déjà inutiles. Je note que l'UMP a évolué : MM. Hyest, Gélard ou Karoutchi les réclamaient alors... Je conviens que le groupe socialiste a lui aussi évolué...
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous êtes désormais au pouvoir, voilà tout !
M. Philippe Kaltenbach. - Mais nous avons du recul depuis six ans... Même imparfaites, les études d'impact sont une mine d'informations pour le travail des parlementaires. Et le Conseil constitutionnel a tranché : il ne s'est pas contenté d'afficher un soutien inconditionnel au Gouvernement, accordé les yeux fermés par pure opportunisme. Il a argumenté de manière précise. Le Parlement n'a pas à contester la plus haute de nos juridictions.
Le groupe socialiste et républicain préférerait qu'on renforce les études d'impact plutôt qu'on les affaiblisse. Nous proposerons des amendements en ce sens en ayant une position nuancée sur les propositions du rapporteur. Nous nous prononcerons en fonction du sort qui leur sera réservé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Leila Aïchi . - Les espaces réservés révèlent souvent ce qui fait vibrer les groupes politiques. Pour les écologistes, c'est l'occasion de présenter des textes qui améliorent la vie quotidienne de nos concitoyens en essayant d'impulser la réflexion sur les sujets environnementaux, ceux qui fondent notre engagement politique, interdiction des pesticides ou protection des lanceurs d'alerte. Manifestement, M. Mézard ne souscrit pas à cette approche : il n'a voté ni l'un ni l'autre texte...
Sous couvert de suivre les préceptes de Montesquieu, la proposition de loi, par tactique politicienne, entend tirer les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel qui a déplu et demande la suppression d'une partie substantielle des études d'impact... Si vous jugez ces études insuffisantes, pourquoi ne pas proposer de les compléter plutôt que d'en restreindre le champ ? Montesquieu disait aussi : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que le pouvoir, par la disposition des choses, arrête le pouvoir ». Pour les écologistes, ce texte illustre parfaitement le mésusage des niches parlementaires. Ils voteront contre.
Mme Éliane Assassi . - Cette proposition de loi organique a deux mérites : rappeler l'inflation législative dont nous souffrons sous la pression de l'exécutif ; souligner la fragilité et l'arbitraire des décisions du Conseil constitutionnel, que beaucoup considèrent comme le sacro-saint gardien des normes.
Beaucoup de lois sont d'affichage, d'opinion. Les décrets ne sont pas publiés. Produire une étude d'impact devait écarter les textes dépourvus d'objet réel et sérieux... Or le Gouvernement n'a de cesse d'accélérer la machine législative au risque de la faire exploser. Le 28 juin 2014, le groupe CRC a saisi la Conférence des présidents de l'insuffisance de l'étude d'impact de la loi relative à la délimitation des régions. Quand on voit la loi NOTRe, il eut mieux valu une étude d'impact sérieuse... Ravaler le Parlement au niveau de chambre d'enregistrement dénote une conception autoritaire du débat et des institutions, très éloignée de celle de la gauche, attachée à la confrontation des idées.
Le Conseil constitutionnel agit désormais comme bon lui semble, il peut faire et défaire la loi avec la question prioritaire de constitutionnalité, même des années après le vote, alors qu'il a eu tout faux sur l'étude d'impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions -la preuve en est la longueur de la discussion sur ce texte. La proposition de loi organique pose clairement la question de la légitimité du Conseil constitutionnel... Nous prônons d'autres voies pour le contrôle de constitutionnalité, au moyen des commissions parlementaires.
Si je partage l'agacement du président du RDSE...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - À juste titre !
Mme Éliane Assassi. - ...nous ne pratiquons pas la stratégie de la terre brûlée. Nous ne pourrons soutenir l'article premier. Pour le reste, plutôt qu'imposer une étude d'impact si un amendement du Gouvernement modifie substantiellement le texte -qu'est-ce à dire, d'ailleurs ?-, il faudrait interdire le dépôt tardif en séance des amendements du Gouvernement.
Le groupe CRC s'abstiendra. (M. Jacques Mézard applaudit)
Mme Jacqueline Gourault . - « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ». Les lois sont faites pour les hommes, non l'inverse. Je crains que nous ayons oublié ces mots de Portalis...
Le contrôle de l'étude d'impact est-il effectif ? Le groupe UDI-UC, comme M. Collombat, ne le pense pas. Tous, nous nous rappelons l'épisode sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions. Le Gouvernement n'avait pas voulu entendre le Sénat qui refusait la procédure accélérée et dénonçait la méconnaissance par celui-là des règles de la loi organique d'avril 2009. La décision du Conseil constitutionnel nous a laissés perplexes : jurisprudence minimaliste, a dit un professeur de droit. Comme lui nous regrettons que le Conseil n'exerce pas un meilleur contrôle des exigences requises pour les études d'impact.
Celles-ci ressemblent de plus en plus à des coquilles vides. Cependant, faut-il en conclure que nous devons les appauvrir encore ? Cela ne changera pas la donne sans améliorer en rien le contrôle parlementaire. La conclusion que tire le groupe RDSE de la décision du Conseil constitutionnel nous semble illogique.
Le rapporteur a proposé la motivation obligatoire des décisions d'engagement de la procédure accélérée et l'extension du délai accordé à la Conférence des présidents pour étudier les études d'impact. Le groupe UDI-UC le soutiendra sur ces deux points. En revanche, si assortir les amendements lourds de conséquence du Gouvernement est séduisant -je pense à celui sur le Grand Paris - ne faut-il pas limiter la mesure aux amendements les plus importants ? Sans quoi, le débat parlementaire sera bloqué.
Vous l'avez compris, le groupe UDI-UC votera les propositions du rapporteur, non celle de M. Mézard. (Applaudissements de M. Jean-Pierre Sueur)
M. Jacques Mézard . - Je salue Mme la ministre pour sa première séance au Sénat et lui souhaite bon courage et voeux de succès. Merci à M. Portelli de son excellent rapport. Le groupe RDSE n'a pas déposé cette proposition de loi pour le plaisir mais pour en terminer avec ces études d'impact purement formelles qui servent de paravent au Gouvernement. Cela pose un vrai problème de démocratie parlementaire.
L'ordre du jour du Parlement met en évidence les obstacles à la réalisation d'un travail législatif de qualité, qui constitue pourtant notre mission première.
Madame Aïchi, votre groupe est mal placé pour donner des leçons de démocratie. Je ne suis pas de ces présidents de groupe qui passent leur temps à la télévision et sur les sièges confortables des avions gouvernementaux...
Mme Éliane Assassi. - Moi, non plus !
M. Jacques Mézard. - Certes...
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Nous n'en connaissons pas !
M. Jacques Mézard. - Voire... J'entendais encore ce matin sur les ondes un brillant éditorialiste à écharpe écharper le Parlement qui bloquerait les réformes. Le Parlement n'irait pas assez vite, parlerait trop, prétend-on au plus haut niveau de l'État ? Dotons-nous d'une unique chambre, avec un 49-3 hebdomadaire !
À la vérité, chaque ministre, chaque secrétaire d'État veut sa loi, qui porte son nom. Nous souffrons aussi des lois catalogues mélangeant le législatif et le réglementaire, rédigées dans une langue absconse et examinées en procédure accélérée...
Au cours d'une vie consacrée au droit, je suis chaque jour davantage convaincu que moins il y a de textes, mieux on les applique.
Certes, le droit doit s'adapter aux conditions de la société ; nous vivons dans une fièvre législative et dans un système dominé par des élites administratives compétentes, certes, mais dont la propension à produire des textes est mondialement connue...
Depuis 2008, l'échec des études d'impact est patent. Réalisées à la va-vite, sur commande tardive, elles ne visent qu'à témoigner de leur présence. La plus indigente reste celle relative à la loi de redécoupage des régions, validée par le Conseil constitutionnel dans une décision que d'autres ont commentée mieux que moi.
De telles études d'impact, déposées quelques jours avant l'examen du texte, n'ont aucun intérêt. Toutes les arguties qui prétendent le contraire n'expriment que cynisme et mépris du Parlement. Être Parlementaire, ce n'est pas passer son temps sur les plateaux télé, mais dire quoi qu'il en soit la vérité au Gouvernement. Qui ne dit mot consent : j'ai estimé qu'inscrire cette proposition de loi à notre ordre du jour était de notre devoir.
Le groupe socialiste rejette aujourd'hui ce qu'il voulait pourtant voter il y a peu. Vous brûlez toujours ce que vous avez adoré, et vous adorez ce que vous avez brûlé. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UDI-UC, Les Républicains, ainsi que sur le banc de la commission)
Mme Jacky Deromedi . - Cette proposition de loi organique nous invite à examiner le rôle du Conseil constitutionnel dans nos institutions. La question prioritaire de constitutionnalité et la révision de 2008 ont conforté ses missions de contrôle de la procédure législative.
Y aurait-il deux poids deux mesures dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?
La difficulté, c'est qu'il interprète des normes très générales, et ne saurait pour autant rendre des arrêts de règlement. Il se montre tantôt exagérément strict -comme lorsqu'il a imposé il y a quelques jours la démission d'office de quatre de nos collègues-, tantôt très souple, le plus souvent au profit du Gouvernement. Ainsi le Conseil accepte des lois d'habilitation très générales. Il en va de même des études d'impact.
Celle jointe au projet de loi relatif à la délimitation des régions lui a semblé respecter la loi organique de 2014, ce qui lui a attiré les critiques de la doctrine. Le professeur Pontier, que notre rapporteur a cité à juste titre, a même jugé sa décision approximative, donnant l'impression d'être faite « à la va-vite ».
Le Conseil d'État, au contraire, a souvent exigé du Gouvernement qu'il précise ses études d'impact.
Mais au-delà, les études d'impact ont-elles encore un sens ? Elles apportent indiscutablement des informations utiles aux Parlementaires, il convient donc de les conserver.
Les ajouts du rapporteur sont tout à fait bienvenus. Notre groupe remercie le rapporteur Portelli et le président Bas, et votera ce texte de la commission. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit)
M. Jean-Pierre Sueur . - « Si Alexandre penche la tête, ses courtisans penchent la tête », écrivait Nicolas Malebranche pour dénoncer le conformisme. Je me garderai bien d'en accuser nos collègues Mézard et Collombat !
J'étais hostile à l'étude d'impact dès qu'elle fut instaurée ; je le demeure. Aussi eussé-je aimé plutôt que le RDSE déposât une proposition de loi constitutionnelle pour réformer notre loi fondamentale.
La loi procède de choix politiques ; nulle étude d'impact ne pourra dès lors deviner ses effets avec précision. Imaginez un projet de loi sur les OGM. Selon ce que l'on pense du sujet, on jugera l'étude d'impact bonne ou mauvaise.
Croire qu'une Vérité surplombe le Parlement et le Gouvernement, la majorité et l'opposition est une illusion. Plutôt que de se perdre dans des études d'impact qui demeureront contestables et contestées -et j'ai une pensée pour les fonctionnaires qui se livrent à ses pensums-, donnons au Gouvernement, mais aussi au Parlement des moyens d'expertise adéquats. Cela suppose une autre conception du temps législatif, Pierre-Yves Collombat l'a dit justement. Oui, faire de bonnes lois demande du temps.
Hier soir, nous évoquions la fin de vie. Nous avons avant cela auditionné de nombreux philosophes, juristes, médecins, représentants associatifs. Mais nous avons tous conservé nos convictions, qu'aucune étude d'impact n'aurait pu modifier.
« Les préjugés occupent une partie de l'esprit et en infectent tout le reste », disait aussi Malebranche. Et pour le citer une dernière fois : « Il faut toujours rendre la justice avant d'exercer la charité ». (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
M. Pierre-Yves Collombat. - Très bien !
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER A
M. Pierre-Yves Collombat. - Cet instant est révélateur du fonctionnement de nos institutions ; l'on ne cesse de se plaindre, mais l'hémicycle est bien peu rempli...
Le fond du problème auquel est confronté le fonctionnement de notre démocratie tient à ce que nous changeons de majorité sans changer de politique.
Mme Éliane Assassi. - C'est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. - Comment voulez-vous que le bon peuple s'y retrouve, ait confiance dans les institutions, et qu'il se déplace pour voter ? Lorsqu'il vote, comment s'étonner du résultat ?
Dire que les seuls à n'avoir pas changé de position -nous- nous nous livrons à des tactiques politiciennes, c'est se moquer du monde, ou c'est un grand compliment, venant d'orfèvres en la matière...Il faut de temps en temps mettre les pieds dans le plat : le roi est nu !
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Philippe Kaltenbach. - La commission des lois a adopté un amendement du rapporteur qui prévoit que le Gouvernement annexe au projet de loi un document motivant l'engagement de la procédure accélérée, mais cette obligation vaut uniquement lorsque le Gouvernement décide d'engager cette procédure au moment du dépôt du projet de loi, ce qui incitera le Gouvernement à retarder l'annonce de l'engagement de la procédure accélérée après le dépôt du projet de loi. Ce n'est pas dans l'intérêt du Parlement.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Point d'effet pervers : le Gouvernement a l'initiative des lois ; la motivation de l'engagement de la procédure accélérée ne bride rien du tout.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État chargée de la réforme de l'État et de la simplification. - Cette obligation pose une difficulté juridique : les articles 42 et 45 de la Constitution ne renvoient aucunement à une loi organique. Le Parlement ne saurait donc l'imposer au Gouvernement. Elle introduirait en outre un effet pervers, comme l'a souligné M. Kaltenbach, en différant dans le temps l'engagement de la procédure accélérée. Avis favorable à cet amendement de suppression.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Votre argument constitutionnel ne tient pas : cet article renvoie à l'article 39 de la Constitution, sur l'initiative des lois, et à nul autre.
M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai quelques craintes à ce stade sur les motivations juridiques des avis du Gouvernement sur les autres dispositions...
Que le Gouvernement motive une telle décision est tout de même élémentaire ! C'est une question de politesse élémentaire vis-à-vis du Parlement ! Pour des chantres de la démocratie, vous faites fort.
M. Jacques Mézard. - C'est fondamental et dire que c'est inconstitutionnel est parfaitement erroné, merci à M. le rapporteur de l'avoir souligné. On a chanté pendant des années « vive la démocratie », et l'on réclame le droit d'actionner la procédure accélérée à tout bout de champ sans justification...
Nous saurons rappeler cet instant à toutes et tous. Vous vous en souviendrez, lorsque vous siégerez dans l'opposition, chers collègues du groupe socialiste.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier A est adopté.
L'article premier B est adopté.
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Philippe Kaltenbach. - Nous voici revenus à l'objet de la proposition de loi organique initiale. Cet article 1er vide les études d'impact de leur substance, tout en les laissant subsister, ce qui est incohérent.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Avis défavorable. Nous sommes ici dans une enceinte parlementaire : le pouvoir constituant et législatif, organique ou non, nous appartient.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. - Cet article vide en effet de sa substance la possibilité pour le Gouvernement d'éclairer le Parlement. La jurisprudence constitutionnelle invoquée par les auteurs de la proposition de loi organique a retenu une interprétation souple des contraintes pesant sur le Gouvernement : avis favorable, car nous ne souhaitons pas modifier une règle qui est un gage de démocratie.
M. Pierre-Yves Collombat. - On nous dit : le diagnostic est bon, pas le moyen utilisé. Mais quel autre choix a-t-on ? Déposer une proposition de loi constitutionnelle.... Mais par qui serait-elle contrôlée ? Par le Conseil constitutionnel !
L'idéal serait, j'en conviens, de donner des moyens supplémentaires au Parlement. Mais avant cela, il faut faire le vide, faire de la place, dissiper les illusions. Nous ne sommes plus en 1958, il n'est plus question de permettre au Gouvernement de gouverner sans majorité, comme disait Alain Peyrefitte ; c'est aujourd'hui l'inverse et c'est de cela que nous mourons. Il faudra bien s'en rendre compte un jour.
M. Jacques Mézard. - Madame la Ministre, vous appréciez sans doute votre premier contact avec la Haute Assemblée. Nous sommes dans un cynisme total. Le Gouvernement veut pouvoir continuer à déposer des études d'impact rédigées à la va-vite, et l'on ne s'interroge vraiment sur l'impact de la loi qu'après qu'elle est votée -surtout par avant !
Le Parlement ne va pas assez vite, dit-on. Et il travaille mal, renchérit-on à la télévision !
Monsieur Kaltenbach, votre groupe a déposé des propositions analogues il y a six ans et vous défendez la position inverse aujourd'hui parce que ce texte vous gêne. Ce que vous faites n'est pas bien : c'est contraire aux principes démocratiques, cela laisse la main à la technocratie et c'est surtout contraire à vos propres convictions. Je vous le dis en face : votre position ne vous honore pas.
M. Sueur est cohérent. Mais qu'est-ce qui l'a empêché, président de la commission des lois, de déposer la proposition de loi constitutionnelle qu'il appelle de ses voeux ?
M. Philippe Kaltenbach. - Vous me créditez d'un grand poids politique ! Si l'antiparlementarisme était de mon fait, cela se saurait... La position du groupe socialiste et républicain a évolué avec la pratique des études d'impact, voilà tout. Elles sont utiles, sans doute perfectibles. Mais ce n'est pas une proposition de loi organique examinée en une heure qui change les choses.
Le groupe socialiste et républicain, sous l'impulsion notamment de M. Gorce, réfléchit au parlementarisme du XXIe siècle. Nous ferons, le moment venu, des propositions. (M. Pierre-Yves Collombat s'esclaffe)
M. Jacques Mézard. - Ça promet !
M. Philippe Kaltenbach. - On ne peut traiter les dysfonctionnements de la Ve République par une seule proposition de loi organique, qui au surplus prend les choses par le petit bout de la lorgnette... (M. Jacques Mézard proteste)
À la demande du groupe socialiste et républicain, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°209 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 179 |
Pour l'adoption | 161 |
Contre | 18 |
Le Sénat a adopté.
L'article premier est supprimé.
M. Jacques Mézard. - Je demande une suspension de séance de dix minutes.
Mme la présidente. - Elle est de droit.
La séance, suspendue à 18 h 5, est reprise à 18 h 15.
M. Jacques Mézard. - Nos collègues socialistes étaient si peu nombreux qu'ils ont dû recourir au scrutin public pour vider notre texte de sa substance. De grâce, épargnez-nous à l'avenir les leçons sur la nécessaire présence dans l'hémicycle !
Je retire notre proposition de loi organique avec regret, car c'est un débat de fond sur le fonctionnement du Parlement. Je suis heureux de ce que M. le rapporteur a dit des rôles respectifs du Parlement et du Conseil constitutionnel. D'aucuns oublient trop vite que le Gouvernement de la République n'est pas le Gouvernement des juges.
Le groupe socialiste a donné satisfaction au Gouvernement, c'est son rôle principal. Je n'en dis pas plus car je ne voudrais pas être désobligeant envers mes collègues que je respecte tous... Le Gouvernement pourra donc continuer à faire des études d'impact qui ne servent à rien. Je vous le rappellerai quand vous reviendrez dans l'opposition. Depuis 1892, les radicaux résistent, quel que soit le Gouvernement -et le vôtre n'est pas le plus facile !
La proposition de loi organique est retirée.
Dépôt d'une convention
Mme la présidente. - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l'avenant n° 1 à la convention du 17 décembre 2014 entre l'État et BPI Groupe, action « Fonds national d'innovation » « Partenariats régionaux d'innovation et Fonds d'innovation sociale ». Il a été transmis à la commission des finances, à la commission des affaires sociales et à la commission des affaires économiques.
Organisme extraparlementaire (Candidatures)
Mme la présidente. - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir désigner des sénateurs appelés à siéger au Conseil supérieur de la coopération.
La commission des Affaires économiques propose la candidature de M. Jean-Jacques Lasserre pour siéger comme titulaire et celle de M. Marc Daunis pour siéger comme suppléant au sein de cet organisme. La commission des affaires sociales propose, pour sa part, la candidature de M. Jean-Pierre Godefroy pour siéger comme titulaire et celle de Mme Anne Emery-Dumas pour siéger comme suppléante au sein du même organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
Débat : accélérer la justice administrative
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE . - Merci, madame la garde des sceaux, d'être présente pour nous aujourd'hui. Tous les ministres ne font pas de tels efforts.
Tribunaux administratifs, cours d'appel et Conseil d'État constituent la justice administrative, qui n'est pas une exception française il suffit de penser au Conseil d'État belge ou au Consiglio di Stato italien -il est vrai que Napoléon est passé par là, c'est le jour de le dire, deux cents ans après Waterloo. Et l'Allemagne n'a pas moins de cinq ordres juridiques distincts.
La justice administrative a vu ses contentieux croître continûment, tandis que ses moyens stagnent : quelque 200 000 décisions par an, rendues en première instance pour l'essentiel. La lenteur des procédures est liée aussi à la multitude des expertises demandées. Malgré les efforts fournis, le problème demeure.
L'objet de ce débat n'est nullement de critiquer la justice administrative. Si la longueur des délais du jugement bloque le pays, la faute en revient d'abord au Gouvernement et au Parlement qui ne cessent de multiplier normes et règles. Notre législature est devenue un maquis où se réfugient tous ceux qui ont un intérêt personnel à bloquer un projet collectif.
Nous construisons sans cesse des mines anti-projet qui explosent au visage des porteurs de projets : ainsi du Grenelle de l'environnement qui, avec les meilleures intentions de monde, a créé les trames verte et bleue qui étouffent dans leurs fils toute initiative. Le contentieux augmente aussi en raison de nouveaux droits que le Gouvernement donne aux citoyens : droit au logement et autres...
Plutôt que de bâtir une administration source de contentieux, faisons en sorte qu'elle résolve les conflits.
Le Parlement s'ingénie aussi à créer une kyrielle d'autorités administratives indépendantes, commissions, hauts conseils ayant autorité pour prendre des décisions, voire pour infliger des sanctions : le président de l'Autorité de la concurrence s'est enorgueilli, lors de son audition par la mission d'information que je préside, d'avoir infligé une amende d'un milliard d'euros. Quelle juridiction peut se prévaloir d'un tel succès ? La multiplicité de telles organismes allonge les procédures et multiplie les contentieux, dont certains, dans le domaine de l'urbanisme, durent depuis dix ans.
Le Gouvernement veut réformer, simplifier, mais ses réformes, souvent, compliquent encore les choses, créant de nouveaux comités Théodule. Quand il faut trois ou quatre ans ailleurs pour juger un recours, il en faut deux fois plus en France.
En démocratie, c'est un droit fondamental pour chacun que d'exercer un recours contre des décisions qui le lèsent. Il n'est pas moins normal de sanctionner les recours abusifs. Une démocratie peut-elle accepter que ses décisions ne soient pas appliquées ?
Quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter à ces questions d'une cardinale importance en temps de crise ? (Applaudissements)
Mme Leila Aïchi . - L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme exige des délais raisonnables de jugement. Ceux-ci s'établissaient en 2013 devant les tribunaux administratifs à un an, dix mois et un jour. Pourtant, en soumettant les décisions administratives au droit, les juridictions administratives sont un gage de démocratie. Les procédures de référé ne suffisent pas.
La possibilité confiée à un juge unique de statuer, la possibilité de dispenser le rapporteur public de présenter ses conclusions à l'audience, la suppression de l'appel dans certains contentieux, autant de mesures que l'on peut comprendre, mais qui ne doivent pas nuire aux plus fragiles. La logique gestionnaire ne doit pas l'emporter sur les valeurs et les spécificités de la justice. Contentieux de masse ne doit pas être synonyme de justice à la chaîne. Avant d'étendre de telles procédures, il faudrait pour le moins évaluer leur incidence sur la qualité des jugements. Je rejoins là les préoccupations de Mme Elsa Costa, juge administratif qui, dans son article Des chiffres sans les lettres, s'inquiète des conséquences de telles réformes sur la qualité de la justice administrative et de l'application de la logique de performance au travail des juridictions. Intervenir en amont, par l'élargissement des recours administratifs préalables obligatoires, nous semble une voie intéressante.
Face à l'augmentation des contentieux, des recrutements ont eu lieu, ils demeurent insuffisants. Les contractuels, mal rémunérés et sans garantie d'indépendance, n'ont pas vocation à se substituer aux magistrats. Mieux vaudrait augmenter le nombre de postes au concours. La France consacre un budget moindre que ses voisins à la justice administrative : 61 euros par an et par personne, contre 89 euros en Belgique, 114 euros en Allemagne et 125 euros aux Pays-Bas.
L'État de droit n'est pas un coût, c'est la condition de notre liberté. Ne sacrifions pas notre justice à une logique purement comptable.
M. Christian Favier . - La maîtrise des délais de jugement, alliée au maintien de la qualité des décisions est une priorité pour la justice administrative. Les contentieux, de masse, liés au Dalo, au RSA, aux droits des étrangers continuent à enfler : des hausses respectives de 44 %, de 77 % et de 25 % entre 2010 et 2013. Et le mouvement se poursuit.
Nos juridictions manquent de moyens ; les gains de productivité liés à l'informatisation ont trouvé leurs limites. Comme le soulignait Jean-Marc Sauvé, il s'agit plutôt désormais de réduire le contentieux.
On annonce 35 postes de plus en 2015. Cela reste bien peu dans un corps de 11 000 magistrats. Le recours administratif préalable obligatoire est un bon moyen de réduire les contentieux. Pourtant, les commissions n'ont jamais fait florès -sauf pour les militaires.
De plus en plus, les citoyens saisissent la justice administrative. Dans mon département, on a compté en un an plus de 150 recours liés au stationnement réservé aux personnes handicapées, souvent mal ficelés, difficiles à juger.
Le recours amiable et la médiation représentent une autre façon de désengager les tribunaux, sans ôter aux citoyens le droit de les saisir.
Une péréquation doit être envisagée, avec des magistrats « volants » au sein d'une zone. Soyons vigilants : les évolutions ne doivent se faire aux dépens ni des magistrats ni des justiciables.
Attention à la tentation d'expédier les cas. La multiplication des procédures accélérées dans la réforme du droit d'asile ou le rejet d'une demande par simple ordonnance sera aux dépens des demandeurs. N'allons pas évacuer des dossiers pour obtenir de bonnes statistiques.
La Convention européenne des droits de l'homme dispose que tout citoyen a droit à un « procès équitable ». S'il faut réduire les délais de traitement, cela doit se faire avec l'objectif d'améliorer la qualité de la décision et dans le stricte respect des droits des justiciables. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Requier . - Les délais de la justice administrative ne sont pas une question théorique pour spécialistes du droit public, c'est une question concrète pour bien des citoyens et des élus. Les enjeux territoriaux d'attractivité ne peuvent supporter des délais de jugement toujours plus longs. Le retard est particulièrement important dans les affaires à caractère économique. Trop d'entrepreneurs et de maires ont dû renoncer.
Ce n'est pas un secret, certains déposent des recours dilatoires. Loin de moi la volonté de faire disparaître l'escargot breton, le scarabée pique-prune ou tel oiseau rare. (Sourires) Mais il faut savoir raison garder. Quand nous avons bâti la station de Figeac, la protection du crapaud sonneur à ventre jaune a coûté 100 000 euros au conseil général. Voyez aussi le projet de Center Parcs dans l'Isère, qui soulève une question de fond : où est l'attractivité ? Dans une nature revenue à l'état sauvage ou dans une nature aménagée par l'homme ?
Le juge administratif a un grand rôle à jouer, en a-t-il conscience et les moyens ? C'est au politique d'améliorer les choses. Assez de procédures accélérées au Parlement, accélérez plutôt la procédure devant les tribunaux administratifs ! (Sourires et applaudissements)
M. François Bonhomme . - « Ce qui déconcerte le plaideur et déconsidère la justice, c'est la lenteur. Il y a une lenteur nécessaire pour que le procès soit sérieux, mais il y a aussi une lenteur abusive » disait déjà le professeur Jean Rivero en 1990. Le Gouvernement s'efforce de réduire les délais de jugement devant les juridictions administratives, conformément aux recommandations de la Cour européenne des droits de l'homme, en augmentant de 2,2 % leur budget cette année. La loi du 9 septembre 2002 affichait comme objectif de ramener ce délai à un an maximum. Cet objectif est considéré comme atteint en 2014 et, en 2015, le délai pourrait être ramené à dix mois.
Cette année, 35 postes de magistrats ont été créés. C'est d'autant plus nécessaire que le contentieux augmente. Le Conseil d'État doit traiter les questions prioritaires de constitutionnalité. Surtout, notre société se judiciarise. Toutefois, ces chiffres recouvrent des contentieux très différents.
Les référés et le contentieux électoral sont enfermés dans des délais contraints. À ce propos, les recours auraient été moins nombreux en 2014 si le redécoupage cantonal n'avait pas été aussi baroque. Je le dis d'autant plus facilement, madame la ministre, que vous n'y êtes pour rien et, ma foi, cette nouvelle carte venue du ministère de l'intérieur a produit un résultat tout à fait remarquable.
En revanche, les contentieux liés à l'urbanisme, au tracé des lignes TGV, aux déclarations d'utilité publique, à l'instruction des permis de construire sont traités plus lentement, en bien plus de dix mois. Certains font des recours une stratégie de blocage car les financeurs attendent qu'un projet soit purgé de tout contentieux pour s'engager. Des mesures intéressantes ont été prises par ordonnance, afin notamment de lutter contre les recours abusifs.
Néanmoins, les recours bloquent encore la construction de 35 000 logements sociaux.
Où en est la réforme du permis environnemental ? Plus généralement, ne faut-il pas revoir la fonction du procès administratif, examiner l'intérêt du requérant, rendre les recours abusifs plus risqués ? Il n'est pas sûr que l'État de droit gagne à la situation actuelle. (Applaudissements)
M. Claude Kern . - Veuillez excuser Mme Gourault, qui m'a confié son texte.
Intéressant débat qui ressemble à un sujet de dissertation. Peut-être les étudiant se seraient-ils montrés plus imaginatifs... Le contentieux augmente devant les juridictions administratives et les délais avec. Il s'agit pourtant du quotidien des Français et de leurs relations avec l'État. « Nous avons épuisé les mesures de simplification » dit le vice-président du Conseil d'État. Il est pourtant possible de mieux tirer parti des nouvelles techniques et de moderniser les procédures avec le juge unique. La dématérialisation des procédures accélère celles-ci. Le service Télérecours est depuis 2012 accessibles à tous les avocats, mais pas aux justiciables. Son utilisation n'est pas encore obligatoire, et la formation des professionnels est inadaptée. Je pose enfin la question de l'archivage électronique. Le groupe UDI-UC défend un véritable système judiciaire « 2.0 ».
L'autre voie consiste à simplifier les relations entre administrateurs et administrés citoyens, de repenser le rôle de la loi. Le droit au logement opposable est à lui seul responsable de 100 000 recours par an. En 2014, les contentieux sociaux ont augmenté à 22 %. On laisse croire aux Français que la justice réglera leurs problèmes et l'on vote des textes imprécis, vrais nids à contentieux. Il y a urgence à réagir quand notre système démocratique se délite. (Applaudissements)
M. Thani Mohamed Soilihi . - La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme en raison du délai de jugement trop long devant les juridictions administratives.
À Mayotte, on a enregistré 800 contentieux en 2014, soit 20 % de plus en un an, liés en majorité au droit des étrangers, mais aussi au droit fiscal.
Les causes de la lenteur des procédures sont connues : complexité des lois, judiciarisation de la société, recours dilatoires... Les juridictions administratives ont réagi : elles sont parvenues à réduire les délais et le stock d'affaires pendantes mais leurs moyens financiers restent limités.
La dématérialisation des procédures a amélioré l'efficacité. Il est peut-être temps de rendre obligatoire l'utilisation du télérecours, même si des problèmes techniques devront être surmontés.
Des moyens procéduraux existent aussi : juge unique, délais contraints - comme celui de 72 heures en ce qui concerne le droit des étrangers - ou absence de procédure d'appel, comme c'est déjà le cas dans certaines matières.
L'expression « recours abusif » recouvre des réalités diverses - intention de nuire, monnayage du retrait du recours - qui empêcherait chaque année vingt-cinq mille logements de sortir de terre. Des mesures ont déjà été prises dans ce domaine, sont-elles transposables à d'autres matières, comme aux installations d'élevage ? Il en a été question lors de l'examen de la loi Macron.
M. Delebarre dit dans son rapport n'avoir pas été en mesure d'évaluer à ce stade l'impact des mesures prises. Selon lui, la généralisation des procédures amiable est à envisager. Le projet de loi « Justice au XXIe siècle » comprendra-t-il des mesures en ce sens ? La commission des lois doit prendre des initiatives. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur . - Je tiens d'abord à remercier notre collègue Mézard de nous donner l'occasion de ce débat sur un sujet si important dans la vie de nos concitoyens et de nos institutions.
Des initiatives ont déjà été prises : la loi du 8 février 1995 sur le pouvoir d'injonction du juge à l'administration, la loi du 30 juin 2000 relative au référé administratif et le décret de juin 2003 - qui avait été critiqué - autorisant le président du tribunal administratif à statuer en qualité de juge unique dans certains cas.
Le contentieux ne cesse d'augmenter : en 2014, nous avons atteint un pic avec une hausse de 11,3 % du nombre des affaires nouvelles devant les tribunaux administratifs et de 30,8 % devant le Conseil d'État. Mais les délais de jugement se réduisent. Fin 2014, il était en moyenne de dix mois et un jour dans les tribunaux administratifs, de onze mois et un jour dans les cours administratives d'appel et de huit mois au Conseil d'État. Le stock des affaires de plus de deux ans diminue également : il est inférieur à 11 % dans les tribunaux administratifs, à 3 % devant les cours administratives d'appel et à 4,5 % au Conseil d'État.
À mon tour de proposer des pistes. Premièrement, au XXIe siècle, personne ne comprendrait qu'on n'utilise pas mieux les technologies ; Télérecours doit être consolidé. Deuxièmement, poursuivre les expérimentations menées dans les juridictions sur la nouvelle façon de formuler certains jugements. Troisièmement, envisager une procédure de cristallisation des motifs pour limiter les recours abusifs. Quatrièmement, en cas de recours abusif, autoriser la victime à formuler une demande reconventionnelle à caractère indemnitaire - ce pourrait être dissuasif ; l'État percevrait l'amende. Cinquièmement, développer la conciliation et la médiation. Enfin, développer l'habitude chez nos concitoyens des recours administratifs préalables. Beaucoup ignorent que les recours gracieux sont possibles.
Pour finir, je rends hommage à l'ensemble des personnels qui concourent à la juridiction administrative. Nous sommes souvent témoins de l'ampleur de leur tâche et leur dévouement. (Applaudissements)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je m'autorise la proximité en parlant du banc... Je ne referai pas un tableau des juridictions administratives, vous connaissez parfaitement le sujet. Nous avons des divergences sur les chiffres, je prétends que les miens sont peut-être plus fiables...
M. Mézard n'a pu s'empêcher de déplorer la création d'autorités administratives indépendantes... Nous en avons supprimé, fusionné dans le cadre de la modernisation de l'action publique ; c'est la politique constante du Gouvernement depuis trois ans même si nous en avons créé une nouvelle lors de l'examen du projet de loi Renseignement.
Il est juste de rendre hommage aux personnels et aux magistrats, qui font un travail de très grande qualité. Oui, les délais de jugement se sont réduits alors que le contentieux augmente du fait de l'inflation normative mais aussi de la judiciarisation de notre société. En 2004, le délai moyen était de trois ans ; aujourd'hui, il est de huit mois au Conseil d'État, onze mois devant les cours administratives d'appel, dix mois devant les tribunaux administratifs et six mois à la CNDA.
Certains contentieux spécifiques pèsent plus que d'autres. Le contentieux des étrangers représente 32 % du total ; celui du Dalo a crû de 44 % et celui du RSA de 77 % entre 2010 et 2013 ; 240 000 requêtes ont été enregistrées en 2014. Les volumes croissent : plus 30 % au Conseil d'État, 3,4 % devant les cours administratives d'appel, et 11,3 % devant les tribunaux administratifs. Qualitativement, les interventions de la justice administrative sont de plus en plus diversifiées. La fin de vie... Voilà un sujet qui exige que la justice prenne le temps nécessaire ; sur ces questions aussi délicates, il n'est pas de réponse binaire. Parmi les autres contentieux, on peut citer les taxis contre Uber et le travail du dimanche.
La moyenne des délais pour le contentieux de l'urbanisme est plus rassurante que cela n'a été dit : un an et six mois. L'ordonnance de février 2013 et le décret d'octobre 2013 ont beaucoup simplifié les choses ; le tribunal administratif juge en premier et deuxième ressort, le contrôle étant assuré par la Cour de cassation.
Amélioration des délais mais aussi amélioration de la qualité des jugements : depuis dix ans, sur 125 affaires portées devant le Conseil d'État pour délai excessif de jugement, une soixantaine a donné lieu à condamnation.
Madame Aïchi, vous avez raison : il faut des contre-pouvoirs. Au Royaume-Uni, notre justice administrative demeure un mystère absolu...
Monsieur Favier, merci de votre engagement en faveur de la médiation : c'est une alternative à la procédure judiciaire et un espace où peut se recréer le dialogue. Nous renforcerons la procédure orale, après y avoir travaillé dans le décret de 2013.
Monsieur Requier, je ne m'attendais pas à rencontrer des crapauds sonneurs à ventre jaune dans un débat sur la justice administrative... Preuve que le droit écologique progresse. Je m'apprête à introduire le préjudice écologique dans le code civil.
Mme Leila Aïchi. - Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je bataille pour trouver une date dans l'agenda parlementaire en m'appuyant sur la proposition de loi Retailleau que le Sénat avait adoptée à l'unanimité. Si l'inscription du projet de loi n'est pas possible, je suis prête à passer par une proposition de loi ; le texte et l'étude d'impact sont à disposition...
Monsieur Bonhomme, c'est le redécoupage des cantons lui-même qui a produit du contentieux, de la contestation que certains parlementaires ont jugé bon de porter hors de l'hémicycle. Cela n'a pas fait le bonheur du Conseil d'État mais il a examiné les requêtes avec sa rigueur habituelle.
M. Éric Doligé. - Sa très, très grande rigueur...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je transmettrai le compliment dans sa tonalité... Le télérecours est déjà de 60 % au tribunal administratif et de 90 % au Conseil d'État. Il ne pose donc pas de difficulté. Faut-il le rendre obligatoire ? Nous attendons le rapport du groupe de travail dédié, fin juillet, pour nous prononcer.
Je tirerai le plus grand parti de vos propositions, soyez-en certains.
Le décret du 26 février 2015 réforme le tribunal des conflits ; il accélérera le traitement des questions préjudicielles, notamment en facilitant l'arbitrage des dossiers par un juge unique.
Le souci de répondre rapidement ne doit pas se faire aux dépens des justiciables. Le décret du 13 août 2013 facilitera les choses. Nous allons procéder à des évaluations des mesures qu'il introduisait et qui venaient de la justice administrative elle-même pour vérifier que les justiciables ne sont pas lésés.
Nous allons développer l'action de groupe, c'est une procédure protectrice pour le contentieux sériel.
La justice devra montrer qu'elle est à la hauteur de ses nouvelles missions, par exemple celle, élevée, exigeante de protéger les citoyens, que lui confie la loi sur le renseignement. J'ai veillé à ce que des magistrats soient habilités au secret défense. La puissance publique doit assurer la sécurité mais aussi préserver les libertés individuelles.
Sur cette réponse un peu décousue, parce que je voulais m'adresser à chacun des orateurs, je vous assure de la volonté du Gouvernement de doter la France d'une justice du XXIe siècle. Mille mercis. (Applaudissements)
Décision du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. - Par lettre en date du 18 juin 2015, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat une décision rendue le même jour par laquelle le Conseil constitutionnel a rejeté une requête concernant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 28 septembre 2014, pour l'élection de deux sénateurs dans le département de l'Aveyron.
Organisme extraparlementaire (Nominations)
Mme la présidente. - La commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales ont proposé des candidatures pour le Conseil supérieur de la coopération.
La présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement, je proclame M. Jean-Jacques Lasserre et M. Jean-Pierre Godefroy membres titulaires ainsi que M. Marc Daunis et Mme Anne Emery-Dumas membres suppléants de cet organisme extraparlementaire.
La séance, suspendue à 19 h 45, reprend à 20 h 15.
Octroi de mer (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
Discussion générale
M. Éric Doligé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Nous sommes parvenus au terme de l'examen du projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. La Commission mixte paritaire, réunie jeudi dernier, a adopté six des sept articles restant en discussion dans la rédaction de l'Assemblée nationale et modifié la rédaction du septième.
Le dispositif actuel de l'octroi de mer arrivera à expiration le 30 juin, le Gouvernement avait donc engagé la procédure accélérée, afin d'éviter tout vide juridique.
Le projet de loi comporte initialement 37 articles ; le Sénat en avait modifié deux, supprimé un et ajouté deux. La commission des finances de l'Assemblée nationale avait adopté le texte conforme, mais les députés avait finalement adopté neuf amendements en séance publique.
À l'article 6 a été élargi le champ des productions auxquelles le droit commun s'applique dans le cadre des échanges entre le marché unique des Antilles et la Guyane. Le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement visant à exclure de l'application des règles dérogatoires du marché antillo-guyanais huit positions tarifaires, dont la référence 4818 10. Les députés ont inclus dans cette liste trois positions tarifaires supplémentaires (4818 20 91, 4818 2099 et 4818 9010). Le texte ainsi modifié satisfait l'ensemble des parties.
À l'article 7, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement précisant que les exonérations de certaines importations devront être accordées par position tarifaire, afin de rassurer certains acteurs économiques qui craignaient des exonérations trop larges.
L'Assemblée nationale a en outre précisé, à l'article 6, la mission de la commission tripartite créée par un amendement du Gouvernement adopté au Sénat.
Un travail important a été réalisé sur ce texte, qui a donné lieu à un dialogue fructueux avec le Gouvernement et les députés, en particulier Dominique Baert, rapporteur, à qui je souhaite un prompt rétablissement, et René Dosière qui l'a remplacé. Des interrogations demeurent, mais ce texte apporte les réponses attendues par tous. Le texte de la CMP préserve la totalité des apports du Sénat, et je vous engage à l'adopter.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Très bien !
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer . - La CMP a adopté sans réserve le texte soumis à votre approbation aujourd'hui.
Chacun mesure l'importance de ce texte pour les outre-mer. L'octroi de mer constitue une ressource indispensable aux collectivités territoriales d'outre-mer. En 2014, avec 1,146 milliard d'euros, il représente 40 % de leurs ressources fiscales. Le mécanisme est, grâce à ce texte, prorogé jusqu'en 2020, et je vous en félicite. Je salue le travail accompli par chacun pour éviter tout vide juridique après le 30 juin.
Ce texte met également fin à de nombreux mois de discussions -deux ans et demi en vérité- avec la Commission européenne. La France a été entendue, notamment sur l'augmentation du nombre de positions douanières bénéficiant d'un différentiel de taxation et sur les spécificités des territoires ultramarins.
Ainsi, les grands équilibres de régime de l'octroi de mer sont protégés. Les filières locales, dont les parts de marché progressent depuis 2005, en bénéficieront. Le différentiel de taxation maintiendra un soutien vital aux activités et à l'emploi.
Le seuil d'assujettissement a été abaissé de 550 000 à 300 000 euros, en étroite concertation avec les élus. 75 % à 80 % des producteurs seront ainsi exonérés.
Ceux qui étaient auparavant assujettis mais exonérés, entre 300 000 et 550 000 euros de chiffre d'affaires, resteront soumis aux mêmes obligations déclaratives, mais ne seront plus automatiquement exonérés ; ils auront néanmoins deux ans pour déduire la taxe ayant grevé leurs investissements en amont.
Les collectivités territoriales voient également le champ des exonérations qu'elles peuvent décider élargi : établissement de santé, de recherche, d'enseignement, organismes philanthropiques et caritatifs. Le Sénat souhaitait inclure les personnes morales exerçant des activités scientifiques de recherche et d'enseignement, ainsi que les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette volonté n'a été modifiée ni par l'Assemblée nationale ni par la CMP. Ces avancées consolident les marges de manoeuvre données aux collectivités régionales pour construire de réelles stratégies de développement économique et de soutien aux filières productives sur leurs territoires.
Les collectivités pourront accorder des exonérations soit par secteur, soit par nomenclature douanière : c'est une souplesse nouvelle.
Un dialogue constructif a permis d'avancer sur le rééquilibrage des relations économiques Antilles-Guyane : une liste de dix produits préservés a été arrêtée et je salue le sens du compromis dont chacun a fait preuve. Une commission de concertation analysera l'évolution des échanges et proposera l'actualisation de cette liste. Le décret spécifique d'application de cette disposition, en cours de finalisation, en lien étroit avec les parties concernées, précisera sa composition.
Le projet de décret d'application de la loi sera soumis pour examen au comité des finances locales de juillet.
Dernier point : la notification du régime d'octroi de mer au titre des aides d'État, à laquelle j'ai procédé en mars. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, que j'ai rencontrée lundi dernier, m'a indiqué qu'elle ne pourrait aboutir dans les délais impartis. Je le regrette. Néanmoins, je tiens à vous rassurer. Le dispositif d'octroi de mer sera pleinement opérationnel au 1er juillet prochain.
L'octroi de mer restera placé sous le statut de régime de droit commun des aides d'État (RGEC). La Commission prendra en compte nos spécificités en rehaussant de 15 points les seuils applicables de cumuls d'aide afin de sécuriser pleinement les opérateurs économiques.
Les avancées enregistrées dans nos relations avec la commission européenne ne nous empêchent pas de plaider pour une révision du régime général, qui sera, m'a dit la commissaire, engagée dès que possible.
Merci à tous pour votre investissement dans ces travaux. (Applaudissements)
Mme Éliane Assassi . - Comme en première lecture, et pour les mêmes motifs, nous nous abstiendrons parce que le texte traduit les décisions prises par le conseil de l'Union européenne, et parce qu'on ne saurait aborder la question de l'outre-mer sans traiter, plus largement, de fiscalité, directe et indirecte.
La fiscalité indirecte représente 80 % des ressources des collectivités territoriales antillaises et guyanaises, alors qu'elle est payée par tous, y compris les plus défavorisés, par exemple les 46 % de Réunionnais qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Une réforme de la fiscalité doit être envisagée à l'occasion du prochain projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer. C'est particulièrement nécessaire à l'approche d'une réforme de la dotation globale de fonctionnement qui devra prendre en compte la situation particulière des collectivités d'outre-mer, dont les ressources sont fragiles. Paul Vergès appelle à en finir avec « l'apartheid social » dont sont victimes nos concitoyens d'outre-mer, 70 ans après la loi de 1946.
Le présent texte a une durée de vie de dix ans, puisqu'il maintient un régime dérogatoire. À l'horizon de vingt ans, fixé par le président de la République pour l'égalité réelle, la question de la stratégie de développement et de double intégration économique des outre-mer, en France et en Europe, reste posée. L'octroi de mer n'en est qu'un paramètre.
M. Philippe Esnol . - Le projet de loi est apparu soudainement dans l'ordre du jour en raison de son caractère urgent et stratégique. Le dispositif actuel expire le 30 juin ! Cette taxe héritée du colbertisme avait pour but de soutenir l'économie des outre-mer. À partir des années 80, il a fallu mettre le dispositif en conformité avec les règles du marché unique : les produits locaux exonérés ont dû être précisément définis, et l'écart de taux encadré.
Ce texte exonère de toute déclaration les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 300 000 euros. C'est une véritable norme de simplification. Mais en contrepartie, le seuil d'assujettissement est abaissé de 550 000 à 300 000 euros ; 2,5 millions d'euros de ressources supplémentaires sont ainsi dégagées pour les collectivités territoriales ultramarines.
Le champ des activités et établissements exonérés est élargi ; c'est une autre nouveauté positive. L'enjeu financier est considérable puisque l'octroi de mer peut représenter 45 % du budget des collectivités territoriales.
Saluons le volontarisme du Gouvernement qui a su faire fléchir Bruxelles. Mais réfléchissons dès à présent à un système pérenne pour l'après 2020, qui ne pénalise pas les consommateurs dont le pouvoir d'achat est une priorité du Gouvernement. Nous nous félicitons que la CMP ait été conclusive et voterons ce texte.
M. Joël Guerriau . - La commission européenne a autorisé la prorogation de l'octroi de mer : nous sommes donc condamnés à voter un régime fiscal sans pouvoir l'améliorer ou le modifier.
La CMP a adopté des articles définissant les activités exonérées, les seuils d'investissements, les exonérations de plein droit, etc. La loi du 2 juillet 2004 est ainsi modernisée et c'est une excellente évolution, après les manifestations contre la vie chère de 2009.
Restent à étudier précisément les conséquences économiques et sociales de ce régime particulier. Nous avons cinq ans pour engager un véritable débat sur la fiscalité ultramarine.
Nous n'avons remis en cause aucun équilibre pour ne pas bouleverser la situation financière, déjà fragile, des collectivités territoriales, dont l'octroi de mer représente la première recette fiscale.
Les spécificités perdurent. Sur le marché antillo-guyanais, les conseils régionaux continuent à oeuvrer ensemble pour avoir le mécanisme le meilleur possible. La rotation de la présidence de la commission inter-régionale a fait l'objet au Sénat autant qu'à l'Assemblée nationale d'échanges vifs et sincères avec le Gouvernement. Je salue le travail des Parlementaires qui a permis de mieux préciser le cadre dans lequel les régions des Antilles et de la Guyane inscriront leurs échanges mutuels. Je salue aussi les consignes de souplesse données par la ministre en matière de relations avec les douanes. Car l'octroi de mer suscite aussi bien des convoitises. En Guyane, cette recette censée être reversée intégralement aux communes, est pourtant ponctionnée de 27 millions d'euros par an au profit du Conseil général. Cette exception locale est contestée par les communes déjà classées parmi les plus démunies.
Malgré cette très ancienne taxe, ayant pour objectif de protéger la production locale et d'accompagner les filières de production, le chômage reste élevé, et les productions locales ne décollent pas. Il faudra donc s'interroger sur le bien-fondé de cet impôt inéquitable puisqu'il frappe les riches comme les pauvres. De même, taxer ce qui ne peut être produit localement est forcément injuste. L'octroi de mer étouffe trop souvent l'économie locale et freine les services publics de l'État. J'avais défendu un amendement exonérant les importations nécessaires au bon fonctionnement de ces derniers, et notamment des services de sécurité. À défaut, que l'État augmente leur budget ! Il faut choisir.
Cette loi apporte les précisions nécessaires pour adapter notre droit aux décisions du Conseil de l'Union européenne. Poursuivons nos échanges, pour doter les collectivités territoriales d'outre-mer de nouvelles ressources fiscales, en étant attentifs aux besoins des plus fragiles, aux enjeux du développement économique et à l'autorité de l'État. Il nous reste cinq ans pour proposer un modèle sécurisé juridiquement.
Le groupe UDI-UC votera unanimement ce projet de loi, dans la synthèse à laquelle ont abouti les deux assemblées.
M. Georges Patient . - Le projet de loi modifiant la loi de 2004 était très attendu dans les DOM. L'octroi de mer est vital pour nos productions comme pour les collectivités territoriales, qui en perçoivent environ un milliard d'euros de recettes.
Le présent texte est le fruit de longs débats. Vice-président de la commission des affaires européennes, j'ai participé à la défense de nos intérêts. Je salue votre patience et votre engagement, madame la ministre, pour aboutir à un nouveau dispositif avant le 30 juin.
Je me félicite des avancées sur le champ des exonérations, la gouvernance, avec la présidence tournante de la commission de concertation, et sur les échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Les négociations sur ce dernier point ont été âpres, à juste titre. La liste de dix produits inclut le papier essuie-mains -nomenclature 4810-, c'est heureux. Mon amendement a été rétabli à l'Assemblée nationale après avoir été refusé au Sénat.
Des points restent en suspens, sur les clauses de reversement, mais aussi sur les conditions de répartition du produit de l'octroi de mer. Chaque année, le conseil général de la Guyane perçoit 27 millions d'euros de recettes qui reviennent normalement aux communes, « anomalie liée à des considérations d'opportunité politique et financière » selon le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, M. Dominique Baert. J'insisterai encore sur la nécessité de le supprimer, même si mes amendements proposant de mettre fin à ce prélèvement, soit immédiatement, soit progressivement, ont toujours été rejetés. M. Doligé avait proposé que la délégation sénatoriale à l'outre-mer se saisisse de ce problème, M. Baert suggérait une mission d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Le rapport d'étape de Mme Pires-Beaune sur l'évolution des concours financiers de l'État est plus que lacunaire sur la situation financière des outre-mer. Je lui ai écrit à ce sujet, avec l'intergroupe parlementaire des outre-mer. Le Gouvernement ne pourra éternellement faire perdurer cette singularité guyanaise, car l'association des maires de Guyane menace d'ester en justice.
Ce texte est le fruit de concertations avec les acteurs concernés. Il faudra les prolonger pour imaginer l'après octroi de mer. N'attendons pas pour préparer la transition vers une fiscalité non discriminatoire. Ouvrons un débat de fond sur les meilleurs moyens de soutenir l'activité de nos territoires sans obérer les recettes des collectivités publiques. Nous comptons sur vous pour ne pas rester passive, dans les cinq ans qui viennent, madame la ministre !
Mme Aline Archimbaud . - Nous nous félicitons également que les travaux de la CMP aient abouti.
L'article 6 prévoit la création d'une commission évaluant les échanges de biens entre la Guyane et les Antilles, c'est une avancée que nous saluons.
Le mécanisme de l'octroi de mer doit continuer d'être débattu. Poursuivons le dialogue avec l'Union européenne pour pérenniser la ressource au-delà de 2020.
Une réflexion doit aussi s'engager sur le développement économique local : une stratégie forte dans l'écotourisme, les énergies renouvelables, les services aux personnes, doit être élaborée. Cela implique la formation et la participation des populations, au service de l'économie locale.
Nous sommes prêts à prendre toute notre part à cette réflexion, pour lutter contre la crise qui frappe ces territoires et pour valoriser les ressources des outre-mer, à commencer par leur biodiversité terrestre et marine.
M. Michel Magras . - Nous arrivons au terme du processus législatif. Ce texte proroge le dispositif de l'octroi de mer jusqu'en 2020, et clarifie son régime juridique.
L'octroi de mer est capital pour l'économie ultramarine et pour les collectivités territoriales. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, devenues « pays et territoire d'outre-mer » depuis 2012, et situées en dehors du territoire douanier européen, l'octroi de mer n'est pas applicable, en raison de leur large autonomie douanière. Mais aux Antilles et en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, les collectivités territoriales retirent 1,4 milliard d'euros de ressources de l'octroi de mer.
Le seuil d'assujettissement a été abaissé à 300 000 euros du chiffre d'affaires, mais les entreprises situées en deçà seront désormais exonérés de plein-droit, c'est une heureuse mesure de simplification.
Le champ des exonérations a été élargi aux établissements et services sociaux et médico-sociaux ainsi qu'aux établissements de recherche et d'enseignement, ce qui accroîtra la marge de manoeuvre des collectivités territoriales, qui pourront ainsi élaborer une véritable stratégie de développement.
S'agissant des relations économiques antillo-guyanaises, certains produits seront désormais taxables dans la collectivité de destination, comme les alcools ; une commission de concertation fera évoluer les règles d'échanges et de taxation en fonction des besoins. Un rapport sera remis au Parlement pour évaluer le nouveau dispositif.
Le groupe Les Républicains votera le texte.
M. Serge Larcher . - Je salue votre présence ce soir pour adopter le texte prorogeant l'octroi de mer. Cette ressource est fondamentale pour les collectivités territoriales, qui en retirent 50 % de leurs ressources au niveau communal et 16 % au niveau régional.
Nous nous félicitons que le vide juridique ait été évité, grâce au travail de longue haleine de Mme la ministre et aux négociations qu'elle a menées avec Bruxelles. Nous saluons les avancées permises par les députés s'agissant du marché Antilles-Guyane. Le passage de six à sept produits guyanais, bénéficiant d'un mécanisme de taxation à l'octroi de mer spécifique dans ce cadre, témoigne des échanges constructifs qui ont eu lieu et doivent perdurer, entre Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais. La commission de concertation garantira le respect des intérêts de chacun.
Madame la Ministre, je souhaite vous alerter sur la nécessité de concevoir un système pérenne. Car, oui, l'octroi de mer demeure un système imparfait, aux conséquences lourdes sur le coût de la vie et le taux d'emploi. Les deux objectifs poursuivis de financer les collectivités et de stimuler le développement économique sont difficilement conciliables. Plus notre dépendance à l'octroi de mer augmente, plus l'économie locale se détériore. Trouvons une issue à ce cercle vicieux.
Nos intérêts et nos spécificités sont toujours à défendre ; avançons au plus vite : l'année 2020 est très proche.
Je voterai, bien sûr, ce texte.
Mme George Pau-Langevin, ministre . - Je remercie chacune et chacun pour son intervention ; il faudra bien sûr avancer sur le rééquilibrage entre fiscalité directe et indirecte, je m'y attèlerai.
Nous oeuvrons également pour promouvoir l'égalité réelle : c'est le sens de la mission confiée à Victorin Lurel et du travail que je mène au quotidien.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Le projet de loi est définitivement adopté dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Prochaine séance, lundi 22 juin 2015, à 16 heures.
La séance est levée à 21 h 15.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du lundi 22 juin 2015
Séance publique
À 16 heures et le soir
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au dialogue social et à l'emploi (n° 476, 2014-2015).
Rapport de Mme Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 501, 2014-2015).
Texte de la commission des affaires sociales (n° 502, 2014-2015).
Avis de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 490, 2014-2015).
Avis de M. Alain Dufaut, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 493, 2014-2015).
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°206 sur l'amendement n°2 présenté par M. Jean-Pierre Cantegrit et plusieurs de ses collègues, tendant à supprimer l'article premier de la proposition de loi sur la réforme de la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :343
Suffrages exprimés :340
Pour :187
Contre :153
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 110
Groupe UDI-UC (41)
Pour : 41
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Contre : 19
Groupe du RDSE (13)
Contre : 13
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non-inscrits (9)
Pour : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk
Contre : 1 - M. Robert Navarro
Abstentions : 3 - MM. Michel Amiel, Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier
Scrutin n°207 sur l'amendement n°3, présenté par M. Jean-Pierre Cantegrit et plusieurs de ses collègues, tendant à supprimer l'article 2 de la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des français de l'étranger.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :343
Suffrages exprimés :340
Pour :187
Contre :153
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 110
Groupe UDI-UC (41)
Pour : 41
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Contre : 19
Groupe du RDSE (13)
Contre : 13
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non-inscrits (9)
Pour : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk
Contre : 1 - M. Robert Navarro
Abstentions : 3 - MM. Michel Amiel, Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier
Scrutin n°208 sur l'amendement n°4, présenté par M. Jean-Pierre Cantegrit et plusieurs de ses collègues, tendant à supprimer l'article 3 de la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des français de l'étranger.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :343
Suffrages exprimés :340
Pour :187
Contre :153
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe socialiste et républicain (110)
Contre : 110
Groupe UDI-UC (41)
Pour : 41
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Contre : 19
Groupe du RDSE (13)
Contre : 13
Groupe écologiste (10)
Contre : 10
Sénateurs non-inscrits (9)
Pour : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk
Contre : 1 - M. Robert Navarro
Abstentions : 3 - MM. Michel Amiel, Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier
Scrutin n°209 sur l'amendement n°2, présenté par M. Philippe Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain, tendant à supprimer l'article premier de la proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :343
Suffrages exprimés :179
Pour :161
Contre :18
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Contre : 1 - M. Hugues Portelli
Abstentions : 142
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe socialiste et républicain (110)
Pour : 110
Groupe UDI-UC (41)
Pour : 41
Groupe communiste, républicain et citoyen (19)
Abstentions : 19
Groupe du RDSE (13)
Contre : 13
Groupe écologiste (10)
Pour : 10
Sénateurs non-inscrits (9)
Contre : 4
Abstentions : 3 - MM. Philippe Adnot, Jean Louis Masson, Alex Türk
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. David Rachline, Stéphane Ravier