Lutte contre le système prostitutionnel
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Discussion générale
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes . - Je prends la parole ici consciente de l'importance de ce débat, sur un sujet souvent tabou : la prostitution. Je devrais dire le système prostitutionnel, puisqu'il implique trois acteurs : le proxénète, la prostituée et le client.
La France est un pays abolitionniste, depuis qu'elle a ratifié en 1960 la convention de l'ONU du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution d'autrui, attentatoires selon son préambule à la dignité humaine.
Cette convention a été prolongée par celle de 1979 pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, par le protocole de Palerme de 2000 contre la traite des femmes et par la convention du Conseil de l'Europe de 2005 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. La direction européenne de 2011, quant à elle, invite les autorités nationales à ne pas poursuivre les victimes de la traite. Tous les textes sont rappelés par la résolution votée à l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011.
Le Parlement européen a adopté le 26 février 2014 une résolution qui affirme que la prostitution est contraire à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui proclame l'égalité des hommes et des femmes.
Le monde entier, à présent, nous regarde. L'abolition, mesure d'État, vise à décourager la prostitution. C'est le choix de la Suède. Les prostituées sont des victimes à protéger, non des marchandises. Il ne s'agit pas de détourner la traite vers les pays voisins, mais de faire de l'Europe entière, selon leurs propres termes, un « dead market » pour les trafiquants, comme c'est le cas déjà en Suède.
Dès 1830, et jusqu'en 1946, la France a pratiqué le réglementarisme, avec le fichage des prostituées, les maisons closes ayant pignon sur rue, puis le contrôle sanitaire obligatoire ; le moins que l'on puisse en dire est qu'il n'a pas produit les effets escomptés. Après-guerre, on a donc mis fin à un système perçu erronément de façon romantique, à travers l'image des bien mal nommées « maisons de tolérance », alors qu'il exploitait des femmes soumises à 70 passes par jour. Ne nous y trompons pas : telle est bien la réalité qui prévaut en Allemagne ou en Suisse, dans les immenses Eros centers qui se développent, en vertu de la même approche réglementariste, aux entrées des villes.
En France même, aujourd'hui, 97 % des filles proviennent de la traite. Roumaines, Nigérianes, Chinoises, elles sont parquées, tatouées, scarifiées, violentées, droguées, assassinées parfois. Personne ne peut prétendre qu'elles sont libres. Oui, la prostitution est une violence. C'est aussi un marché, très lucratif, qui génère 150 milliards de dollars par an, ce qui en fait le deuxième trafic le plus rentable.
Il faut ici rendre hommage au remarquable travail des associations de terrain auprès des prostituées. L'Igas - Inspection générale des affaires sociales - a souligné leurs dramatiques conditions sanitaires. L'usage de l'alcool et de la drogue est souvent le seul moyen de tenir. 29 % des prostituées ont eu des pensées suicidaires - contre 3 % à 4 % dans la population totale.
La prostitution n'est pas une activité comme les autres. L'estime de soi est altérée ; seule une distanciation vis-à-vis de sa propre identité, un véritable dédoublement de personnalité, permet d'exercer cette activité sur le long terme.
C'est le client qui crée la prostitution. Il a été choisi de ne pas faire de l'achat d'acte sexuel un délit mais une contravention de cinquième classe. Mais ce texte va au-delà du droit : il affirme qu'on ne peut acheter un corps. Et il renforce la lutte contre les réseaux.
Les fonds prévus à l'article 11 pour le financement de la lutte contre la traite des êtres humains, devront être sanctuarisés.
Le texte affirme, plus largement, l'égalité entre hommes et femmes.
Victor Hugo écrivait : « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. Il existe toujours, mais ne pèse plus que sur les femmes, et s'appelle prostitution ». Mettons enfin un terme à cet esclavage moderne. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes, applaudit aussi)
Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission spéciale . - Je remercie M. Godefroy, M. Vial, Mme Gonthier-Morin, ainsi que Mme Jouanno pour le travail que nous avons accompli ensemble. Nous avons entendu tous les points de vue - sauf celui des clients : institutions, associations, médecins, évidemment, les personnes prostituées.
Le texte s'inscrit dans la droite ligne de la proposition de résolution de l'Assemblée nationale votée en 2011, qui réaffirmait la position abolitionniste de la France. C'est à un changement de regard qu'il nous invite.
La prostitution a évolué : de la prostitution de rue à l'escorting sur internet, elle reste multiforme. Mais le système prostitutionnel reste masculin : 85 % des personnes prostituées sont des femmes, et 99 % des clients sont des hommes. Entre 5 000 et 8 000 mineurs sont prostitués en France, selon l'association « Agir contre la prostitution des enfants ». L'âge moyen d'entrée dans la prostitution se situerait entre treize et quatorze ans.
Le poids des réseaux d'exploitation n'a cessé de croître. 97 % des personnes prostituées sont de nationalité étrangère. Sans droits, elles sont sous la coupe de proxénètes parfois très violents, qui les déplacent au gré du « marché ».
Le gouvernement a créé la mission interministérielle de protection des femmes et de lutte contre la traite des êtres humains. Tout ce qui vise à enrayer l'offre comme la demande va dans le bon sens.
Le texte initial encourageait la suppression des sites encourageant la traite des êtres humains. La commission spéciale a semblé réticente à approfondir le dispositif.
De manière analogue à ce que prévoit la loi antiterroriste du 13 novembre 2014, je propose, rejointe par Chantal Jouanno, un amendement facilitant le blocage des sites utilisés par les réseaux de traite.
En matière de lutte contre les réseaux, la proposition de loi prévoit par ailleurs des mesures de protection des personnes prostituées qui s'inspirent du dispositif créé pour les repentis, ce qui constitue une avancée notable. À l'initiative de M. Godefroy, un amendement a été adopté, qui permettra aux inspecteurs du travail de constater des faits de proxénétisme, ce qui concourt à l'objet poursuivi, dans la mesure où 79 % des victimes de la traite sont soumises à une exploitation sexuelle.
Deuxième objectif : la prise en charge sanitaire et sociale des personnes prostituées. Celles-ci sont réduites à l'état de marchandise, c'est une donnée universelle : la pute, même de luxe, est un objet sexuel. La prostitution est un viol tarifé. Le taux de mortalité des personnes prostituées est six fois plus élevé que celui du reste de la population ; le risque, pour elles, de mourir de mort violente, 60 à 120 fois plus élevé.
Ce texte crée un parcours de sortie de la prostitution, et améliore la formation des travailleurs sociaux. Ce parcours d'insertion sociale et professionnelle (PISP) sera organisé sous la responsabilité du préfet, et offrira des alternatives à la prostitution. Je veux ici remercier les associations de terrain qui s'engagent auprès des personnes prostituées. Je tiens à vous remercier aussi, madame la ministre, d'avoir confirmé, la semaine dernière, votre objectif d'abondement, à hauteur de 20 millions d'euros, du fonds dédié à l'accompagnement.
La commission spéciale a fixé, contre mon avis, à un an la durée de l'autorisation provisoire de séjour qui pourra être délivrée sur le fondement du texte ; une durée de six mois serait plus en cohérence avec le projet de sortie de la prostitution et permettra une réévaluation plus fréquente des situations.
L'obligation relative à la sortie de la prostitution est de moyens, non de résultat, ce qui est plus réaliste.
Les moyens de répression des proxénètes et la protection des personnes prostituées sont renforcés ; le produit des saisies sur le patrimoine des premiers sera affecté à l'accompagnement des seconds.
Sur le plan pénal, une infraction nouvelle de recours à la prostitution avait été créée ; sa suppression est dommageable, car c'était le moyen de faire prendre conscience à tous de l'atteinte portée à l'égalité entre hommes et femmes. L'interdit du viol, de l'inceste, du tourisme sexuel et des agressions sexuelles était ainsi réaffirmé. Refuser la pénalisation du client tout en maintenant le délit de racolage public serait manifestement contradictoire.
Le dernier volet du texte, relatif à l'éducation et à la prévention, a été renforcé. Une information sera dispensée dans les collèges et lycées, fondée sur une vision égalitaire de l'homme et de la femme, et qui sensibilisera au respect dû au corps humain. La sensibilisation des jeunes est en effet indispensable. Le texte la renforce heureusement.
Mme la ministre a cité Victor Hugo, qui considérait la prostitution comme la deuxième forme d'esclavage. Son constat est toujours d'actualité. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale . - Je n'avais pas prévu, il y a encore quelques semaines, de m'exprimer ici. Je veux d'abord saluer le remarquable travail de M. Godefroy et la forte conviction de Mme Meunier.
La commission spéciale a rencontré près de 80 personnes ; sur ce texte comme sur d'autres, le Sénat a réalisé un travail approfondi et serein, sur un sujet qui divise profondément tant les associations que les chercheurs, médecins, responsables politiques, personnes prostituées elles-mêmes.
Certains ont même changé d'avis en cours de route ; la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, initialement favorable à la pénalisation du client, nous a ainsi dit avoir changé d'avis...
Peut-on admettre qu'il existe une prostitution librement choisie, ou n'est-elle qu'exercée sous contrainte ? Voilà une première question clivante. Comment lutter efficacement contre la traite et mieux protéger les victimes ?
Sur le premier point, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a fixé un cadre, dans un arrêt de 2007 que l'on cite trop peu, en considérant que la prostitution était incompatible avec la dignité humaine lorsqu'elle était contrainte.
L'Igas a relevé en 2012 que la contrainte était très variablement observable en réalité. Le phénomène est hétérogène et donc malaisé à appréhender. C'est ce qu'a estimé la CNCDH en juin 2014 : La prostitution peut être « traditionnelle », de rue ou d'intérieurs, indoor, féminine, masculine ou transgenre, régulière ou occasionnelle, etc. Cette hétérogénéité témoigne du fait qu'il n'y a pas « d'état de prostitution », mais des « situations de prostitution ». En effet. Il est dès lors difficile de considérer que la prostitution est toujours contrainte.
S'agissant de l'efficacité de la lutte, la commission spéciale s'est penchée sur le cas suédois. Quoique les chiffres manquent, la pénalisation a semble-t-il plus eu pour effet de déplacer le phénomène. Les Danois ont d'ailleurs décidé de s'éloigner du modèle de leurs voisins. De plus, les associations font valoir le risque de précarisation et de dégradation des conditions sanitaires des personnes prostituées.
La commission spéciale a donc jugé que la pénalisation des clients comportait plus de risques que de bénéfices. Il était dès lors logique de rétablir le délit de racolage, que magistrats et policiers nous demandaient de maintenir.
En 2012, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains a démantelé 52 réseaux et identifié 751 victimes, dans le cadre de procédures judiciaires. Un quart des procédures closes avec succès ont pour point de départ des éléments recueillis au moyen du délit de racolage. La commission spéciale l'a donc rétabli.
Les personnes concernées au niveau local sont engagées par ce texte à coordonner leurs efforts dans la lutte contre la traite et l'accompagnement des personnes prostituées. Cela nécessitera des moyens, mais la commission spéciale y est favorable. La lutte contre les réseaux passe également par la création d'un parquet européen.
Vous le voyez, madame la ministre, nous sommes d'accord sur la plupart des points.
Vous avez dit que 97 % des personnes prostituées étaient d'origine étrangère.
Ce texte a un objectif principal : fragiliser les réseaux ; c'est pourquoi nous avons préféré le délit de racolage à la pénalisation du client. Comment imaginer qu'une contravention de cinquième classe ait le moindre effet ?
La CEDH a reconnu que le droit d'avoir des relations sexuelles participait de la libre disposition de son corps - hors cas de contrainte. Robert Badinter lui-même, ancien président du Conseil constitutionnel, considère que la constitutionnalité d'une telle disposition n'est pas évidente.
J'espère que le Sénat soutiendra le texte de la commission spéciale pour renforcer le combat contre le proxénétisme. (Applaudissements à droite)
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Alors que l'activité politique bat son plein, c'est à un débat très politique que nous sommes invités aujourd'hui. Car la prostitution engage nos valeurs, notre vision de la société. Oui, il s?agit bien de changer de regard, d'inverser la charge de la preuve.
Un mot sur les faits. Les études sur le sujet manquent cruellement, notamment sur la prostitution numérique ou estudiantine. Je m'appuierai donc essentiellement sur les rapports parlementaires, qui invitent à changer de regard sur la prostitution. Si les prostituées sont des femmes à 80 % ou 90 %, les clients sont des hommes à presque 100 %. C'est, de plus, un monde violent : en Allemagne, 60 % des personnes prostituées ont été victimes de viol, et 90 % des violences sont le fait des clients.
Ce phénomène a changé de visage : exercée par des Françaises dans les années 1980, voire 1990 encore, sous sa forme dite « traditionnelle », la prostitution est à présent très majoritairement le fait d'étrangères en situation irrégulière. Cette forme d'esclavagisme moderne est très lucrative.
Notre pays se refuse à faire un choix. L'abolitionnisme est sans doute devenu inefficace. Le délit de racolage oblige les prostituées à se cacher : je m'oppose donc au texte de la commission. Le statu quo n'est pas non plus acceptable : il faut envoyer un message clair aux réseaux.
Le réglementarisme serait une catastrophe. La Belgique et les Pays-Bas sont impuissants à enrayer un phénomène qui se développe. Les chiffres venus d'Allemagne font froid dans le dos. Maintenons l'interdit, symboliquement fort.
La pénalisation des clients fait diminuer la prostitution de rue, les chiffres sont formels. Qu'elle déplace le phénomène, personne, faute d'études, ne peut le prouver.
Un client qui paye une femme, nue au fond d'un bois, et qui ne parle pas français, ignore-t-il vraiment qu'elle est victime d'un réseau ? C'est de la complicité, car sans l'argent du client, il n'y a pas de réseau.
Le modèle suédois interdit l'achat, donc, de fait, la vente.
C'est ipso facto un modèle prohibitionniste. Personnellement, je serais favorable à la prohibition, mais elle n'est pas possible, dit-on. Soit. Je plaide donc pour un néo-prohibitionnisme : la pénalisation du recours à la prostitution sous contrainte, celle-ci étant présumée. Il reviendra donc au client de prouver le contraire.
On ne peut en France, interdire la vente. Reste à présumer la contrainte ; ce sera ainsi au client de se cacher, pas à la prostituée. Cela revient, je l'ai dit, à inverser la charge de la preuve.
L'argument principal contre cette mesure est celui de la liberté. 10 % des personnes prostituées auraient peut-être librement choisi cette voie. Mais combien par précarité financière, par l'intermédiaire d'un amant intéressé ? Le législateur doit-il respecter la liberté de 10 % au détriment de 90 % qui subissent la contrainte ?
Il n'y a ni fraternité, ni égalité ni liberté dans un pays qui laisse perdurer la prostitution. Et l'indifférence, en la matière, affaiblit notre société. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes, RDSE ; Mmes Marie-Annick Duchêne et Christiane Kammermann applaudissent aussi)
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. - Je demande la réserve de l'examen de l'article 4 après celui de l'article 17 et l'examen de l'amendement n°19 à la fin du chapitre II.
La réserve, acceptée par le gouvernement, est de droit.
Mme Esther Benbassa . - Le Sénat avait adopté à l'unanimité en 2013 la proposition de loi que j'avais déposée au nom du groupe écologiste, qui abolissait le délit de racolage. Voilà qu'il le rétablit !
De quoi parlons-nous ? Le titre même du texte résume la prostitution aux réseaux de traite, qui rapporterait 3 milliards par an. Le gouvernement entend ainsi arracher des jeunes femmes aux griffes des passeurs. Or seuls 27 % des personnes prostituées relèveraient, en réalité, d'un réseau de traite. Beaucoup ont sans doute eu recours à des passeurs pour venir en France, mais nous sommes en réalité bien loin du chiffre de 90 % issu du rapport de l'Assemblée nationale.
Donnons-nous les moyens de lutter contre les mafieux, comme nous y invite Robert Badinter. Or les moyens des forces de police diminuent et ceux donnés à l'accompagnement des personnes prostituées dans ce texte sont insuffisants. Six mois pour le parcours de réinsertion, c'est peu.
Et que fait-on des jeunes femmes qui se prostituent par nécessité financière ?
Virgine Despentes, dans son essai King Kong Théorie (2006), écrit ceci : « La sexualité masculine en elle-même ne constitue pas une violence sur les femmes, si elles sont consentantes et bien rémunérées. C'est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place, ce qui est digne et ce qui ne l'est pas. »
Quant au psychanalyste Henri Castel, il précise : « Au nom de la sauvegarde de leur dignité, on va priver d'un coup beaucoup de gens de la liberté d'arbitrer entre divers maux dans une situation d'inégalités sociales subies de facto (...) On peut préférer se prostituer pour abriter son enfant du besoin (...) Mépriser les gens qui font des choix si graves ne convaincrait d'ailleurs vraiment que si, au lieu de dénoncer la prostitution seule, on dénonçait les inégalités en bloc. »
Peut-on, oui ou non, disposer librement de son corps ? C'était déjà la revendication des féministes dans les années 1960. Le pouvoir n'a pas à intervenir dans les choix individuels.
Le vote du groupe écologiste dépendra des débats. Protéger, oui, stigmatiser davantage, non. (M. Simon Sutour applaudit)
Mme Laurence Cohen . - Je fais partie de ceux ayant interpellé les présidents du Sénat pour que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour.
La commission spéciale a vidé le texte de son sens en supprimant la pénalisation des clients et en rétablissant le délit de racolage.
Les prostituées sont des victimes. Où est leur choix ?
Même si ce débat ne saurait se résumer à une question de chiffres, il en faut. Les prostituées seraient au nombre de 30 000, dont 85 % de femmes et 99 % des clients sont des hommes. Les prostituées sont à 90 % étrangères, venues de pays comme la Roumanie, le Nigeria ou la Chine, donc soumises à des réseaux de traite. Le client n'est pas nécessairement un homme paumé ou frustré sexuellement ; c'est monsieur tout le monde.
Les personnes prostituées sont plus exposées que le reste de la population aux MST et à tous les risques sanitaires. Le rapport de M. Godefroy et Mme Jouanno le montre clairement.
La prostituée est une victime extrême : chantage, coups, viols... Plutôt que de « plus vieux métier du monde », il faudrait parler de « plus vieille violence du monde infligée aux femmes », comme disait Brigitte Gonthier-Maurin.
Ce texte a le mérite d'aborder le problème globalement. Pour la majorité du groupe CRC, sans ses articles 16 et 17 sur la responsabilité du client, la proposition de loi serait vidée de sa substance. À l'article 13, le délit de racolage doit rester supprimé.
La prostitution est une défaite pour les femmes, mais aussi pour les hommes et pour le vivre-ensemble. Notre responsabilité de parlementaires est de légiférer pour la majorité des prostituées, qui sont contraintes à vendre leur corps. (Applaudissements sur de nombreux bancs de gauche)
M. Guillaume Arnell . - Sujet difficile à aborder que celui de la prostitution. La commission spéciale a trouvé une solution raisonnable, aucune n'étant parfaite.
Le RDSE s'est prononcé depuis longtemps pour l'abolition de l'absurde délit de racolage, qui repousse la prostitution vers les marges et place les personnes prostituées dans l'insécurité. La loi de 2003 n'a fait qu'aggraver la précarité des personnes prostituées et renforcer les réseaux. Clients, logeurs, proxénètes ont pu tirer profit de cette précarité ; les relations des personnes prostituées avec les forces de l'ordre s'en sont trouvé dégradées.
La pénalisation des clients ne pourra que renforcer l'isolement et la vulnérabilité des victimes de la prostitution. Nous ne nions pas, cependant, la désastreuse situation psychique, sanitaire et sociale de ces personnes.
La mondialisation et la dématérialisation des moyens de la prostitution ont fait évoluer le phénomène. Cependant, comme dit Élisabeth Badinter, pénaliser la prostitution serait mettre en cause cet acquis du féminisme qu'est la libre disposition de son corps.
Il faudrait plutôt réfléchir aux nouveaux enjeux transnationaux.
S'agissant de l'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées, nous saluons la création du projet de réinsertion, mais il faudra s'assurer du consentement des intéressés.
L'abolition de la prostitution passe par l'éducation et la sensibilisation, notamment du jeune public. La prostitution, plus vieux métier du monde, dit-on, est aussi la plus ancienne violence du monde. C'est pourquoi nous soutiendrons le texte de la commission spéciale.
Mme Annick Billon . - Selon ses auteurs, cette proposition de loi vise à faire prendre conscience que la prostitution est une forme d'exploitation des plus faibles. Le fait est qu'elle comporte des avancées sensibles, pour protéger les victimes et sensibiliser le public. Nous nous félicitons de la création d'un parcours de sortie de la prostitution. Ces hommes et ces femmes, qui sont des victimes, doivent se voir offrir des perspectives d'avenir. Une instance spécifique sera créée dans chaque département. À cela s'ajoute le bénéfice d'une autorisation provisoire de séjour et un fonds dédié.
La sensibilisation des jeunes est un enjeu sociétal. Le développement des sites spécialisés atteste le développement de la prostitution occasionnelle ou régulière.
Quant au délit de racolage passif, certains le considèrent non tout à fait sans raison comme une double peine pour les personnes prostituées. Mais c'est aussi une arme aux mains des magistrats et policiers. Nous souhaitons le maintien du droit en l'état.
L'article 16, supprimé, étendait la pénalisation des clients à tous les cas de prostitution, et plus seulement aux cas où il s'agit de mineures ou de personnes vulnérables. Ce dispositif était, à vrai dire, anachronique, alors que la plupart des contrats se concluent désormais sur Internet. Les énormes moyens répressifs nécessaires auraient-ils d'ailleurs été déployés, s'agissant d'une simple contravention ? Ils seraient plus utiles pour lutter contre le proxénétisme.
Les articles 16 et 17 me semblent purement symboliques et inefficaces ; si je suis tentée de voter leur suppression, je tiens cependant à le réaffirmer : il faut lutter sans concession contre la traite d'êtres humains. Sur un tel sujet, l'unanimité ne saurait être la règle, même chez les centristes... La majorité de mon groupe votera cependant les avancées que comporte ce texte.
Mme Maryvonne Blondin . - On ne saurait lutter efficacement contre la prostitution sans s'attaquer à la demande. Les pays réglementaristes, où en bonne logique commerciale le phénomène ne cesse de croître, s'interrogent désormais. Lors de la coupe du monde de football en Allemagne, les prostituées arrivaient d'Europe de l'est, par bus entiers... Aux Pays-Bas, les autorités évaluent entre 50 % et 90 % le nombre de prostituées contraintes.
En Suède, la pénalisation des clients a fait ses preuves. Le Conseil de l'Europe nous invite d'ailleurs à agir. Cette mesure réaffirmerait l'interdit et serait donc un message pédagogique à l'attention de nos jeunes. Il est temps. (Applaudissements sur la plupart des bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Godefroy . - Pendant longtemps, le mot d'abolitionnisme a désigné la suppression de toute réglementation sur la prostitution. S'il désigne la volonté de mettre fin à cette barbarie qu'est la prostitution sous contrainte, je suis moi aussi abolitionniste. Pour autant, je ne crois pas que la pénalisation du client soit utile. Je crois au contraire que les personnes prostituées en paieraient les conséquences car, retranchées dans des lieux isolés, elles seraient moins accessibles aux associations. La pénalisation du client serait d'ailleurs inefficace face à la prostitution sur Internet.
Le modèle suédois ne fait pas l'unanimité. Le Danemark a renoncé à introduire des dispositions similaires, en raison des risques qu'elles feraient peser sur les personnes prostituées et de leur inefficacité contre les réseaux. Les moyens humains et financiers nécessaires pour la répression de cette nouvelle infraction seraient mieux employés à lutter contre les proxénètes. De plus, comment apporter la preuve de la commission de l'infraction ? Enfin, comment conjuguer pénalisation du client et délit de racolage ? La CEDH juge que chacun est libre de disposer de son corps. Voilà donc un texte d'affichage, inapplicable et juridiquement attaquable.
La vie et la santé de ces personnes exige au contraire réalisme et pragmatisme. Je suis favorable au volet social de ce texte. J'aurais souhaité que l'on approfondisse la réflexion. Si le client doit être pénalisé, il faudrait ajouter une condition de contrainte.
Certaines personnes exercent la prostitution librement. Nous faisons certes la loi pour la majorité, mais nous n'en devons pas moins respecter les droits des minorités. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur quelques bancs socialistes)
M. Philippe Kaltenbach . - Le débat se focalise sur deux points : la pénalisation du client et le délit de racolage. Ne croyons pas en la fable de la prostitution libre et consentie, je suis abolitionniste. Ce qu'on appelle consentement n'est parfois qu'une forme de résignation. Il n'y a pas non plus de prostitution sans risques. Les réglementaristes vont d'échec en échec : il n'y a pas moins de maladies et de violences en Allemagne, qui compte en outre dix fois plus de prostituées que la France.
Réaffirmons la position abolitionniste de la France. La prostitution n'est pas un métier comme un autre ; je ne voudrais pas que mes enfants se prostituent, ni d'ailleurs soient clients de prostituées. Il faut agir : en l'état, trop de personnes sont laissées démunies. Faire entrer le client dans le jeu est efficace. Il faut aussi trouver un outil pour lutter contre les réseaux et tarir leurs revenus.
M. le président. - Concluez.
M. Philippe Kaltenbach. - En 2003, Nicolas Sarkozy présentait le délit de racolage comme la solution. Douze ans après, on en constate la complète inefficacité. (Applaudissements sur la plupart des bancs socialistes et CRC)
Mme Claudine Lepage . - Tous, nous avons à coeur de mettre fin à l'exploitation des femmes et des hommes à des fins sexuelles. La question est celle des moyens les plus efficaces.
Avec cette proposition de loi, nous agirions auprès des trois acteurs : les réseaux, la personne prostituée, les clients. Il est illusoire de vouloir mettre fin à un tel marché sans s'intéresser aux consommateurs...
La société a évolué. Un récent procès a montré qu'il n'y avait pas deux prostitutions : l'une violente, l'autre rebaptisée « travail du sexe ». La prostitution est toujours une violence. Dans une tribune parue hier, Xavier Emmanuelli, Axel Kahn, Christophe André et lsrael Nisand ont dû rappeler que la prostitution, ce sont des dizaines de pénétrations vaginales, anales et buccales non voulues chaque jour. La prostitution est une atteinte à la dignité humaine que le consentement de quelques-uns ne saurait justifier. Une grande partie du groupe socialiste est derrière moi pour rétablir le texte, avec ses quatre piliers. (Applaudissements sur la plupart des bancs socialistes et CRC)
La discussion générale est close.
La séance, suspendue à 17 h 40, reprend à 17 h 50.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°33 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, MM. Zocchetto, Détraigne, Roche, Kern, Canevet, Bonnecarrère et Guerriau et Mmes Deromedi et Kammermann.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - À la première phrase du premier alinéa de l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, après les mots : « du même code », sont insérés les mots : « ou contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle relevant des articles 225-4-1, 225-5 et 225-6 du même code ».
Mme Chantal Jouanno. - La loi autorise déjà à bloquer les sites pédopornographiques ou faisant l'apologie du terrorisme. L'argument que l'on opposait naguère au blocage de sites utilisés par les réseaux de traite et de proxénétisme ne vaut donc plus.
M. le président. - Amendement identique n°37, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La loi antiterroriste de 2014 a en effet fait évoluer les choses. Il est possible d'avancer.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Retrait, au nom de l'efficacité. Nous travaillons à une réponse globale.
Mme Chantal Jouanno. - Pourquoi serait-ce impossible pour ces sites et non pour d'autres ? Je le maintiens.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La commission maintient le sien.
Les amendements identiques nos 33 rectifié bis et 37 sont adoptés.
L'article premier, modifié, est adopté.
L'article premier bis est adopté.
ARTICLE PREMIER TER A (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°21, présenté par Mme Benbassa.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L'article L. 264-2 du code de l'action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, les personnes qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 316-1 et L. 316-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se voient délivrer une attestation d'élection de domicile. »
Mme Esther Benbassa. - Si les citoyens non européens en situation administrative régulière bénéficient sans restriction du dispositif de domiciliation de droit commun, ce n'est pas le cas des personnes en situation irrégulière. Or nombreuses sont les victimes de traite et de proxénétisme qui sont en situation irrégulière et ne peuvent donc pas bénéficier de ces dispositions. Elles sont ainsi entravées dans l'exercice de leurs droits, notamment dans leurs démarches d'admission au séjour. Cet amendement y remédie.
M. le président. - Amendement identique n°25 rectifié, présenté par MM. Yung, Leconte et Madec, Mmes Bataille et Khiari, M. Chiron, Mme Claireaux, MM. Courteau et Sutour et Mmes Conway-Mouret et Campion.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Il s'agit, en effet, de faciliter les démarches administratives de ces personnes, comme l'Assemblée nationale l'avait prévu, le dispositif de domiciliation de droit commun ne bénéficiant pas aux personnes en situation irrégulière. Or 97 % des personnes prostituées sont d'origine étrangère.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet amendement traite différemment les personnes en situation irrégulière selon le titre de séjour qu'elles sollicitent. En outre la loi Alur a largement ouvert à ces personnes le dispositif de domiciliation. Les amendements n'ont donc pas lieu d'être.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis défavorable.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, les amendements identiques nos 21 et 25 rectifié, mis aux voix par assis et levé, ne sont pas adoptés.
L'article premier ter A demeure supprimé.
L'article premier ter est adopté.
L'article premier quater demeure supprimé.
L'article premier quinquies est adopté.
L'amendement n°19 est réservé.
L'article 2 demeure supprimé.
ARTICLE 3
M. Roland Courteau . - Cet article est essentiel, c'est un des piliers de ce texte ; il vise à sécuriser les victimes de la prostitution, de la traite ou du proxénétisme en mettant en place un parcours de protection et d'accompagnement. Car l'enjeu de ce texte est avant tout humain. Que vont devenir ces personnes ? Voilà la question la plus importante. La République, avec cet article, leur dit qu'elles ne sont pas seules, qu'elle les protège, qu'elle leur apporte une réponse durable, concrète et crédible. Que le pays des droits de l'homme leur ouvre des droits nouveaux. Comment feront ces personnes si nous ne les aidons pas au début de leur parcours d'insertion ? La priorité est de les aider à sortir de l'enfer de la prostitution.
M. le président. - Amendement n°22, présenté par Mme Benbassa.
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le bénéfice de ces dispositions est ouvert aux personnes qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 316-1 et L. 316-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme Esther Benbassa. - Les personnes étrangères rencontrent de nombreux obstacles dans l'accès à l'hébergement et au logement, discriminations liées à leur origine et à leur situation juridique et administrative précaire, alors même qu'elles ont un besoin impérieux de protection et de mise à l'abri. Ces difficultés ont des conséquences parfois dramatiques - risque de retour vers la source des violences, impossibilité d'extraction du réseau...
Il est indispensable de donner un véritable accès au logement aux personnes victimes de traite et de proxénétisme.
M. le président. - Amendement identique n°26 rectifié, présenté par MM. Yung, Leconte et Madec, Mmes Bataille et Khiari, M. Chiron, Mme Claireaux, MM. Courteau et Sutour et Mmes Conway-Mouret et Campion.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Cet amendement facilite l'accès au logement des personnes étrangères victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, en modifiant l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles. Ces personnes subissent en effet de nombreuses discriminations en raison de leur activité, de leur origine ou de la précarité de leur situation administrative.
La réduction des budgets dédiés à l'hébergement et aux structures spécialisées affecte tout particulièrement les personnes étrangères ; et les rares places disponibles sont souvent inadaptées.
L'absence d'hébergement accroît la précarité et le risque de retomber dans la prostitution.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'alinéa 3 de l'article 3 dispose que l'État assure la protection des personnes victimes de la traite et leur fournit assistance, notamment en matière d'hébergement. Par définition, les personnes susceptibles de demander une carte « vie privée et familiale » ou une autorisation provisoire de séjour sont concernées : l'amendement est satisfait. Retrait ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis.
Les amendements identiques nos22 et 26 rectifié ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°9 rectifié bis, présenté par M. Requier et les membres du groupe du RDSE.
Alinéa 4, dernière phrase
Après les mots :
collectivités territoriales
insérer les mots :
, de professionnels de santé
M. Guillaume Arnell. - Cet amendement précise la composition de l'instance chargée de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution, en y intégrant des professionnels de santé. On sait que la problématique sanitaire est importante.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous avons eu ce débat en commission. Avis favorable, l'expression est couramment utilisée et laisse suffisamment de marge de manoeuvre au préfet.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°9 rectifié bis est adopté.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié, présenté par M. Requier et les membres du groupe du RDSE.
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
peut prétendre au bénéfice
par le mot :
bénéficie
M. Guillaume Arnell. - Il s'agit de lever une ambiguïté rédactionnelle s'agissant des droits des victimes du système prostitutionnel à bénéficier de l'autorisation provisoire de séjour.
M. le président. - Amendement identique n°11, présenté par Mmes Gonthier-Maurin et Cohen.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cet amendement est aussi de cohérence avec les modifications apportées à l'alinéa 7 de l'article 6, en juillet, par la commission spéciale du Sénat.
Nous avions soutenu le passage de la durée de l'autorisation temporaire de séjour à un an. Son caractère automatique est nécessaire quand on sait l'extrême difficulté qu'éprouvent les victimes pour faire valoir leurs droits à bénéficier des dispositions de l'article L. 316-1 du Ceseda. Les titres de séjour temporaires sont rarement délivrés aux victimes de la traite qui portent plainte : 55 en 2014 ; une seule personne a bénéficié d'une carte de résident en 2011, quatre en 2012. C'est la preuve de la suspicion qui règne à l'égard de ces personnes, en contradiction avec le quatrième plan antiviolences du gouvernement et les engagements internationaux de la France. Des propos aux actes, le chemin est parfois long...
M. le président. - Amendement identique n°23, présenté par Mme Benbassa.
Mme Esther Benbassa. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°27 rectifié, présenté par MM. Yung, Leconte et Madec, Mmes Bataille et Khiari, M. Chiron, Mme Claireaux, MM. Raoul et Sutour et Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion. - Cet amendement rend automatique la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour aux personnes étrangères victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme qui sont engagées dans un projet d'insertion sociale et professionnelle.
La commission spéciale a entendu, à raison, rendre la délivrance de ce titre automatique, sachant que l'impératif d'ordre public permet au préfet de s'opposer à celle-ci. La formulation de l'alinéa 7 de l'article 3 est en contradiction avec les objectifs de l'article 6.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La compétence liée du préfet présente un risque d'instrumentalisation par les réseaux mafieux du dispositif d'accompagnement, voire d'appel d'air. Avis défavorable. Nous soutiendrons, à l'article 6, le rétablissement du pouvoir d'appréciation du préfet.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Avis défavorable.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Pourquoi ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Pour les mêmes raisons.
Les amendements identiques nos7 rectifié, 11, 23 et 27 rectifié ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°28 rectifié, présenté par MM. Yung, Leconte et Madec, Mmes Bataille et Khiari, M. Chiron, Mme Claireaux, MM. Courteau, Raoul et Sutour et Mmes Conway-Mouret et Campion.
Alinéa 10
Après le mot :
association
insérer les mots :
choisie par la personne concernée
Mme Hélène Conway-Mouret. - Cet amendement permet aux personnes victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme de choisir l'association agréée - au regard de critères fixés par un décret en Conseil d'État - avec laquelle elles souhaitent mettre en oeuvre un projet d'insertion sociale et professionnelle.
Certaines personnes prostituées sont en effet déjà suivies par une association, et quoi qu'il en soit, un lien de confiance est essentiel à la réussite du projet d'insertion. Le poids des relations personnelles est déterminant.
M. le président. - Amendement n°6 rectifié, présenté par M. Requier et les membres du groupe du RDSE.
Alinéa 10
Après les mots :
dès lors
insérer les mots :
qu'elle a été choisie par la personne concernée et
M. Guillaume Arnell. - Défendu.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - L'alinéa 5 est explicite, le parcours doit être mis en oeuvre avec l'accord de la personne concernée. L'agrément sera en outre ouvert à toutes les associations ayant pour objet l'accompagnement des personnes prostituées. Ces deux précautions sont suffisantes. J'ajoute que toutes les personnes prostituées n'ont pas connaissance de l'offre associative du territoire où elles vivent ; l'amendement risque de rester un voeu pieux. Avis défavorable.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis pour les mêmes raisons.
L'amendement n°28 rectifié est adopté.
L'amendement n°6 rectifié devient sans objet.
L'article 3, modifié, est adopté.
L'article 3 bis est adopté.
M. le président. - Je rappelle que l'article 4 est réservé jusqu'après l'article 17.
L'article 5 demeure supprimé
ARTICLE 6
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - La commission spéciale a apporté d'importantes modifications au droit au séjour des personnes étrangères victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme qui déposent plainte contre les auteurs de ces infractions.
Je veux évoquer les femmes et les hommes victimes de traite dans le salon de coiffure du 57 boulevard de Strasbourg, dans le Xème arrondissement de Paris. Nous vous avions alertée, madame la ministre, ainsi que le Premier ministre et plusieurs de vos collègues. Ces femmes et ces hommes mènent un combat exemplaire contre un système mafieux d'exploitation. Recrutés dans la rue, soumis à des conditions de travail contraires à la dignité humaine, exposés à des produits cancérigènes, en situation de vulnérabilité faute de titre de séjour, ils ont eu le courage de faire grève malgré les intimidations, puis de porter plainte pour traite d'êtres humains. Selon les rapports de l'inspection du travail, cette infraction pourrait être constituée.
Mais la préfecture de police se refuse à accorder aux plaignants un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 316-1, au motif que des poursuites n'ont pas encore été engagées ; elle privilégie une approche au cas par cas. Or l'article L. 316-1 ne fait mention que du dépôt de plainte - ce qu'a confirmé la jurisprudence administrative. Seules cinq personnes ont bénéficié d'un titre de séjour, mais au titre du temps passé en France, pas parce qu'elles ont déposé plainte. Elles doivent toutes bénéficier de la protection renforcée par l'article 6. A défaut, quel signal envoyons-nous aux réseaux ?
M. le président. - Amendement n°38, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission.
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet amendement supprime les alinéas 4 et 5 ; l'article 48 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a en effet déjà complété en ce sens le premier alinéa de l'article L. 316-1 du Ceseda.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Avis favorable.
L'amendement n°38 est adopté.
M. le président. - Amendement n°16 rectifié bis, présenté par Mmes Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain.
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
d'un an est délivrée
par les mots :
de six mois peut être délivrée
Mme Claudine Lepage. - Le présent article modifie le Ceseda afin de faciliter l'obtention d'un titre de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme.
La commission spéciale a déjà modifié l'article L. 316-1 pour conférer au préfet une compétence liée en matière de délivrance de titre de séjour aux victimes de la traite qui dénoncent les auteurs de l'infraction, si les conditions prévues par la loi sont remplies ; et aussi en matière de délivrance d'une autorisation de séjour aux victimes qui s'engagent dans un projet d'insertion sociale et professionnelle - même quand une plainte n'a pas été déposée et que la personne est encore sous le joug de son proxénète.
Il y a là un danger de manipulation par les réseaux. Il ne faut pas dessaisir totalement le préfet et lui laisser la possibilité de vérifier que la personne n'est pas sous contrainte. Nous n'avons pas intérêt à présenter la France comme un pays d'accueil de la prostitution. Porter la durée du titre de séjour à six mois relève de la même logique.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous avons en effet été alertés lors des auditions complémentaires des risques de détournement des titres de séjour octroyés automatiquement. Avis favorable à ce retour au texte initial.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je ne comprends pas l'argument de l'appel d'air : qu'est-ce qui peut mieux contrarier un réseau mafieux que la facilitation de l'octroi de papiers aux prostituées ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je ne voterai pas non plus cet amendement. Je veux bien entendre qu'on supprime la compétence liée. Mais revenir au préalable du dépôt de plainte est dangereux ; aujourd'hui il n'y a pas de dépôt de plaintes, parce que les menaces sont trop importantes et parce que les personnes ne sont protégées qu'à la fin de la procédure. Quant à la durée, six mois ne suffisent pas pour commencer à se reconstruire.
Mme Laurence Cohen. - Sortir de la prostitution est un long et difficile processus, qui doit être accompagné. L'argument de l'appel d'air n'est pas recevable. Les criminels trouveront toujours le moyen de contourner la loi... Il faut raisonner par rapport aux personnes prostituées, leur donner le temps de se reconstruire : restons au délai d'un an.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Je ne veux pas qu'il y ait malentendu. Le dépôt de plainte ou le témoignage emporte délivrance automatique d'une carte de séjour temporaire. Ramener sa durée de validité à six mois est nécessaire pour vérifier que des réseaux ne sont pas à la manoeuvre - le risque existe. Parallèlement la protection des personnes est renforcée et les six mois sont renouvelables tout le temps de la procédure. Il n'y a pas de recul.
M. Philippe Kaltenbach. - Les six mois sont renouvelables, ne coupons pas les cheveux en quatre... Il faut trouver un équilibre, prendre toutes les garanties.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Ces personnes sont démunies...
Mme Esther Benbassa. - Comme s'il était si facile de renouveler sa carte de séjour...
L'amendement n°16 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°17 rectifié bis, présenté par Mmes Blondin et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain.
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
projet d'insertion sociale et professionnelle
par les mots :
parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle
Mme Maryvonne Blondin. - Cet article fait primer le droit des victimes. Mais il faut sécuriser davantage la situation des femmes étrangères victimes de la traite. Cet amendement subordonne la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à l'engagement dans un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle. Ce parcours apporte une réponse durable et concrète en termes de soins, de sécurité, de revenus, de logement ou de formation.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet amendement revient sur la position de la commission spéciale, rétive à imposer un parcours prédéfini aux victimes de la traite ; mieux vaut construire avec elles un projet personnalisé. Reste que la notion de parcours implique l'intention de sortir de la prostitution et évite peut-être le risque d'instrumentalisation par les réseaux. Sagesse.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Avis favorable.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Les personnes auditionnées par la délégation aux droits des femmes étaient sceptiques face à une telle mesure. Le parcours de sortie n'est jamais facile, il peut échouer ou être interrompu...
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je rejoins Mme Gonthier-Maurin.
Mme Maryvonne Blondin. - C'est vrai, le processus peut durer, mais nous avons voulu introduire la notion de parcours de sortie.
Mme Esther Benbassa. - Je rejoins Mme Gonthier-Maurin et M. Godefroy. Dans un projet, il y a un avenir ! « Parcours de sortie » est trop restrictif.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°17 rectifié bis, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°18 rectifié bis, présenté par Mmes Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain.
Alinéa 7, dernière phrase
Remplacer le mot :
renouvelée
par le mot :
renouvelable
Mme Claudine Lepage. - Cet amendement relève de la même philosophie que l'amendement n°16 rectifié bis... Je le retire.
L'amendement n°18 rectifié bis est retiré.
L'article 6, modifié, est adopté.
L'article 7 demeure supprimé.
L'article 8 est adopté.
ARTICLE 9
M. le président. - Amendement n°39, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission.
Rédiger ainsi le début de cet article :
À l'avant-dernier alinéa de ...
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cet amendement est de coordination avec la création d'un nouvel alinéa à l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles par la loi du 4 août 2014.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Avis favorable.
L'amendement n°39 est adopté.
L'article 9, modifié, est adopté.
L'article 9 bis demeure supprimé.
L'article 10 est adopté.
ARTICLE 11
M. le président. - Amendement n°40, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission.
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer les mots :
doit être
par le mot :
est
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Amendement rédactionnel.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Avis favorable.
L'amendement n°40 est adopté.
L'article 11, modifié, est adopté.
L'article 12 est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°24, présenté par Mme Benbassa.
Avant l'article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La fonction de rapporteur national sur l'évaluation de la politique publique de lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains est assurée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Mme Esther Benbassa. - La directive européenne du 5 avril 2011 relative à la prévention de la traite des êtres humains et la protection des victimes prévoit que les États membres mettent en place des rapporteurs nationaux chargés d'évaluer la politique publique mise en oeuvre en matière de lutte contre la traite des êtres humains.
Le plan d'action national contre la traite des êtres humains pour la période 2014-2016 confie cette fonction à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), autorité administrative indépendante. Cet amendement l'inscrit dans la loi afin que la CNCDH l'exerce de manière pérenne.
Il existe en France une mission interministérielle pour la protection des femmes et la lutte contre la traite des êtres humains, dont le plan national de lutte contre la traite doit être évalué par un organe indépendant. La CNCDH est déjà le rapporteur national sur la mission interministérielle de lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Pourquoi la commission spéciale a-t-elle rejeté cet amendement de bon sens ? L'État ne peut être juge et partie.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Figer cette compétence dans la loi est inopportun ; d'autres organismes pourraient agir dans ce domaine. Retrait ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis pour les mêmes raisons.
L'amendement n°24 n'est pas adopté.
ARTICLE 13
M. Jean-Pierre Godefroy . - Les articles 13 et 16 auraient dû ne faire qu'un, car ils sont indissociables - à tel point que le vote sur le premier pourrait fausser celui sur le second. Le texte est en navette, sur des sujets aussi importants, il convient de prendre le temps de la réflexion.
J'étais réservé sur le texte initial de l'article 13. Le délit de racolage même passif n'est pas adapté, nous sommes d'accord, car il marginalise et fragilise les personnes prostituées. En 2003, lorsqu'il a été créé, il s'agissait de faire du chiffre et de vider les rues des grandes villes des prostituées. Mais faut-il purger entièrement le code pénal de toute infraction de racolage ? Policiers et magistrats nous ont dit en avoir besoin pour lutter contre les réseaux, remonter les filières, avoir un premier contact avec les personnes prostituées, même si une garde à vue n'est jamais agréable... Les étrangères, les Nigérianes, les Chinoises ont trop peur de l'uniforme pour prendre contact elles-mêmes avec les forces de l'ordre.
Il faudrait réécrire l'article relatif au racolage et rédiger autrement l'article 16. Je m'abstiendrai. Je ne peux m'engager immédiatement sans savoir ce qu'il adviendra de l'article 16.
Mme Laurence Cohen . - Il est très important de supprimer le délit de racolage. La loi du 18 mars 2013 pour la sécurité intérieure, dite loi Sarkozy, en créant le délit de racolage passif, visait à maintenir la tranquillité publique en limitant la visibilité des prostituées et à obtenir des informations sur les réseaux. Mais cette infraction n'a pas conduit à multiplier les arrestations de proxénètes, les chiffres le prouvent ! Elle n'a pas permis de démanteler les réseaux, et n'a abouti qu'à fragiliser les personnes prostituées. Sans parler de la définition particulièrement floue du racolage.
L'immense majorité des associations et la CNCDH demandent l'abrogation de cette disposition. La CNCDH rappelle que les personnes prostituées sont d'abord des victimes... Rétablir un délit de racolage irait à l'encontre de l'esprit du texte.
Enfin, je ne vois pas pourquoi il faudrait lier les articles 13 et 16. Il ne faut pas criminaliser les personnes prostituées mais combattre les réseaux et responsabiliser les clients.
Le fondateur du mouvement Le Nid l'a dit : si le Sénat rétablissait ce délit tout en ne pénalisant pas les clients, il aurait travaillé six mois pour revenir dix ans en arrière.
Mme Esther Benbassa . - Il y a deux ans, le Sénat adoptait à l'unanimité une proposition de loi abolissant le délit de racolage. Ce n'était pas une mesure de gauchiste écervelé, mais une mesure humaniste et pragmatique.
Le délit de racolage s'est avéré inefficace pour lutter contre les réseaux, les chiffres le montrent : depuis 2003, les infractions pour proxénétisme aggravé tournent autour de 600 à 800 par an, inscrites au casier judiciaire national. Or ce nombre n'a pas été modifié par la baisse d'affaires passibles de poursuites pour racolage de 1030 en 2003 à 815 en 2011. L'instauration du délit de racolage n'a donc pas rendu la traque des proxénètes plus efficace.
En revanche, ses conséquences sont terribles pour les personnes prostituées : dégradation de leur état de santé, isolement, vulnérabilité accrue liée à la prostitution indoor - en appartement, bar, salon de massage, par internet, etc. Il est tout bonnement impensable de rétablir ce délit qui a fait, en douze ans, la preuve de son inutilité en matière de répression des réseaux et de dangerosité à l'égard des personnes prostituées.
Mme Maryvonne Blondin . - Le délit de racolage inflige une double peine aux victimes, au nom de la sécurité et de la tranquillité publique. Les victimes sont considérées comme des coupables, contrairement à nos engagements internationaux, la convention de Varsovie en particulier. Je ne voterai pas l'amendement du rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach . - La loi Marthe Richard, en 1946, a fermé les maisons closes, tout en réprimant le racolage, par des peines correctionnelles. D'un délit, le racolage est devenu une simple contravention en 1958, avant de redevenir un délit par la volonté de Nicolas Sarkozy. La loi de 2003 a même introduit la notion de « racolage passif », quasi-oxymore que la Cour de cassation a bien du mal à interpréter...On n'a fait ainsi que déplacer la prostitution des centres villes vers les périphéries...
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Philippe Kaltenbach. - Faut-il revenir à la pénalisation du seul racolage agressif, pour assurer un équilibre avec la pénalisation du client ? On peut en discuter. Mais revenir au système de 2003, non, c'est inacceptable et ce serait contreproductif.
Mme Marie-Pierre Monier . - Un rapport de l'Igas en 2012 a souligné les difficultés d'accès aux soins des personnes prostituées qui craignent l'administration. D'où la nécessité de supprimer le délit de racolage.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Vial et Pillet, Mme Deroche, MM. Grosdidier, Courtois et Gournac, Mmes Kammermann et Troendlé et MM. Buffet et B. Fournier.
Supprimer cet article.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - À titre personnel, j'estime que le délit de racolage a aggravé la situation des personnes prostituées, sans d'ailleurs atteindre les objectifs assignés par la loi de 2003. Les personnes prostituées ne devraient être entendues que comme témoins dans les affaires de proxénétisme... S'agissant de la tranquillité sur la voie publique, le maire peut prendre des arrêtés sur le fondement de son pouvoir général de police. La majorité de la commission spéciale, cependant, a donné un avis favorable à cet amendement.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Difficile, en effet, quand on est considéré comme délinquante, de se tourner vers ceux qui peuvent vous aider et a fortiori vers la police. D'où mon avis défavorable.
Les maires ont les moyens d'assurer la tranquillité et l'ordre publics, l'exhibition sexuelle à la vue d'autrui étant visée par l'article 222-32 du code pénal ; ils peuvent aussi agir, en vertu de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, au titre de leurs pouvoirs de police générale.
Faisons en sorte que les associations puissent accompagner, sur les plans sanitaire et social, les victimes que sont les personnes en état de prostitution. En même temps, nous donnerons plus de moyens aux forces de l'ordre pour démanteler les réseaux. Ces femmes doivent être en mesure de retrouver une vie choisie, et non plus subie.
Mme Claudine Lepage. - Tout ça pour ça ! En décembre 2011, était adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale la résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France. Le Sénat, quant à lui, adoptait en 2013 la proposition de loi de Mme Benbassa abolissant le délit de racolage, en raison de son absence de contribution significative à la lutte contre les réseaux de proxénétisme, et de la précarisation des personnes prostituées qu'il implique. En adoptant, en décembre 2013, le texte que nous examinons aujourd'hui, l'Assemblée nationale a réitéré l'abolitionnisme.
Cet amendement marque un véritable coup d'arrêt à une possible amélioration des conditions de vie des personnes prostituées. Comment admettre que la prostitution est une violence, et considérer ses victimes comme des délinquantes ? Personnes prostituées, associations, élus, institutions sociales et sanitaires, Igas, CNCDH... Tout le monde est d'accord sur la nécessité de supprimer ce délit. La garde des sceaux nous a dit que son utilité pour lutter contre les réseaux n'était pas avérée. L'interdiction de l'exhibition sexuelle, les pouvoirs de police des maires suffisent pour garantir l'ordre public.
Nous, membres du groupe socialiste, voterons contre l'amendement.
M. Jean-Pierre Vial. - Ne soyons pas schizophréniques. Mme Benbassa parle d'unanimité sur sa proposition de loi de 2013, mais des réserves avaient été exprimées. Et combien étions-nous, présents dans l'hémicycle ? (M. Jacques Gautier s'exclame)
Notre débat, monsieur Godefroy, porte aussi sur l'article 16, car c'est l'un ou l'autre. Je suis étonné de voir certains, si hostiles au délit de racolage, se montrer si légers sur la pénalisation du client. Robert Badinter...
Mme Laurence Cohen. - Le groupe socialiste peut penser par lui-même !
Mme Éliane Assassi. - Nous aussi !
M. Jean-Pierre Vial. - On peut tout de même prêter attention aux propos d'un ancien président du Conseil constitutionnel ! Robert Badinter, donc, doute de la constitutionnalité de la pénalisation du client. (Nouvelles protestations sur les bancs CRC) D'ailleurs, qui prétend-on effrayer avec une contravention de cinquième classe ?
Il faut poser les vraies questions. Personne ne veut pénaliser les prostituées, mais les forces de l'ordre doivent avoir les moyens de remonter les réseaux. Elles se plaignent d'ailleurs de ce que les dossiers aboutissent rarement... Dans cette chaîne, il y a des maillons qui sont des fusibles ! Celui qui met un véhicule à disposition par exemple, n'est pas poursuivi. Même sur le délit de racolage, la réflexion peut être approfondie.
Sans l'établissement de ce délit, nous nous trouverions en état d'apesanteur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Très bien !
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Personne ici n'a le monopole de l'efficacité. Je n'entends aucune légèreté dans nos débats. Assécher la demande en pénalisant les clients, c'est aussi lutter contre les réseaux.
Il se trouve que je fus la plume de l'exposé des motifs de la loi de 2003. Gardons-nous des interprétations a posteriori ! Elle était adaptée à la réalité d'alors, quand les prostituées étaient majoritairement françaises. Les choses ont radicalement changé. Il faut gagner la confiance des personnes prostituées, les amener à porter plainte contre leur proxénète. Une garde à vue ne suffit pas.
Je ne voterai pas cet amendement, car je suis favorable à la pénalisation du client. Mais on ne peut pas se passer des deux.
M. Roland Courteau. - C'est sûr !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cette proposition de loi a d'abord une fonction éducative : il s'agit de faire comprendre que la prostitution est une violence. La force du texte de l'Assemblée nationale, c'était de faire reposer cet exercice pédagogique sur quatre piliers.
D'abord, la suppression du délit de racolage, pour faire comprendre que les personnes prostituées sont d'abord des victimes.
Deuxième pilier : le parcours de sortie, révolutionnaire, qui est non seulement axé sur la professionnalisation, la formation, mais aussi un parcours de santé. Combien de femmes prostituées nous ont dit qu'elles avaient perdu l'estime d'elles-mêmes ?
Troisième pilier : les financements, qui doivent être inscrits dans la durée.
Dernier pilier, sans lequel l'ensemble n'aurait pas de sens : pénaliser l'achat de services sexuels. Sans achat, il n'y aurait pas de vente. Faisons reconnaître qu'il s'agit d'une violence, aussi vieille que le monde ! (Applaudissements sur les bancs CRC ; marques d'approbation sur plusieurs bancs socialistes)
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Le Parlement européen a voté une résolution appelant les États membres à ne pas traiter les personnes prostituées comme des criminelles. Le Conseil de l'Europe, lui aussi, privilégie le modèle suédois. Non, la pénalisation du client n'est pas anticonstitutionnelle : il y a des limites à la libre disposition de son corps, on ne peut vendre ni son sang, ni ses organes...
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Pourquoi donc opposer systématiquement pénalisation des prostituées et des clients ? Nous voulons tous mettre fin à cette violence inhumaine qu'est la prostitution. Le délit de racolage offre une ressource aux services de police. Pour aider ces femmes, il faut d'abord les identifier. Oui, ce sont des victimes, mais ce n'est pas contradictoire !
En 2014, une étude d'universitaires britanniques a montré que 98 % des prostituées sont hostiles à la pénalisation du client, qui les priverait de ressources sans lesquelles elles tomberaient dans une précarité encore plus grave.
De grâce, avançons pour sortir les personnes prostituées de cet état dont elles sont victimes. Pardon de n'être pas consensuelle !
M. Jean-Pierre Godefroy. - Le racolage est réprimé, quels que soient les moyens employés : Internet, petites annonces, démarchage téléphonique... Le problème est là. Le maire n'a les moyens d'agir que sur le territoire de sa commune, voire sur une partie de celui-ci et les pouvoirs, relatifs par exemple au stationnement, qui lui sont dévolus en la matière, s'apparentent fort à du réglementarisme : il s'agit de déplacer le problème ailleurs, là où il serait finalement toléré.
Je ne voterai pas cet amendement, mais supprimer toute référence au racolage dans le code pénal me paraît une erreur. La discussion mérite de se poursuivre au cours de la navette.
Si l'on supprime entièrement le délit de racolage, on ne pourra même plus s'attaquer aux trafics sur internet !
Mme Laurence Cohen. - Quand il s'agit du délit de racolage, on cherche tous les arguments pour le maintenir. Quand il s'agit de la pénalisation du client, on parle de légèreté et on ferme le débat...N'est-ce pas curieux ? Toucher au client serait un crime de lèse-majesté... Serait-ce donc un être irresponsable, tout à fait extérieur au système prostitutionnel ? Tout montre en fait le contraire.
Tout le monde dit, la main sur le coeur, que les prostituées sont des victimes, cependant on continue à les criminaliser... Au bout du compte, nous allons donner un signal désastreux aux clients et aux proxénètes, qui vont se sentir autorisés à continuer allègrement.
Pour se reconstruire, il faut être reconnu comme victime. Ce n'est pas Robert Badinter qui le dit, mais des psychologues, des psychanalystes ! On refuse de reconnaître que la prostitution est une violence...
Plusieurs voix sur les bancs socialistes. - Très bien !
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - À titre personnel, je ne voterai pas l'amendement.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Le scrutin est serré. Nous devons procéder à un pointage. Je vais donc suspendre la séance, qui reprendra après dîner.
La séance est suspendue à 19 h 50.
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
ARTICLE 13 (SUITE)
M. le président. - Après pointage, voici les résultats du scrutin n° 112.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°112 :
Nombre de votants | 334 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l'adoption | 162 |
Contre | 161 |
Le Sénat a adopté.
L'article 13 est supprimé.
ARTICLE 14
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Vial et Pillet, Mme Deroche, MM. Grosdidier, Courtois et Gournac, Mmes Kammermann et Troendlé et MM. Buffet et B. Fournier.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Vial. - Amendement de conséquence.
L'amendement n°2 rectifié est adopté et l'amendement n°41 n'a plus d'objet.
L'article 14 est supprimé.
CHAPITRE II (Précédemment réservé)
M. le président. - Amendement n°19 rectifié bis, présenté par Mmes Blondin et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain.
Rédiger ainsi l'intitulé de ce chapitre :
Protection des victimes de la prostitution et création d'un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle
Mme Maryvonne Blondin. - Nous souhaitons rétablir l'intitulé initial du chapitre II en tenant compte des apports de la commission spéciale.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Compte tenu des votes précédents, cet amendement, par cohérence, devrait être retiré. La commission lui avait initialement donné un avis de sagesse.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Même avis.
Mme Maryvonne Blondin. - Je maintiens mon amendement.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°19 rectifié bis, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté.
ARTICLE 14 TER
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Cet article se situe pleinement dans la philosophie de cette proposition de loi, qui prend en compte la prostitution dans tous ses aspects, y compris sanitaires. À cet égard, les votes sur le délit de racolage sont peu cohérents : on se préoccupe de la santé des prostituées tout en les considérant comme des criminelles ? Oui, il faut mener une politique de réduction des risques - terme mieux adapté que celui de « dommages » - envers ces populations plus touchées par les hépatites et le VIH. Saluons la pugnacité des organismes de dépistage qui travaillent sans que les moyens soient toujours au rendez-vous.
Le groupe CRC votera évidemment cet article.
L'article 14 ter est adopté.
L'article 15 est adopté.
L'article 15 bis A demeure supprimé.
L'article 15 bis est adopté.
ARTICLE 16 (Supprimé)
M. Jean-Pierre Godefroy . - J'aurais aimé que nous abordions les articles 13 et 16 en même temps...
Au Danemark existe une commission du code pénal chargée de conclure à l'opportunité des changements de législation. Elle a renoncé à la pénalisation du client en tirant les leçons des expériences suédoise et norvégienne. La pénalisation du sexe marchand est, selon elle, d'une efficacité limitée, sauf à organiser des raids ou des razzias de la police. Elle aurait pour effet négatif de soumettre les prostituées à des risques accrus : loin des yeux, les femmes seraient plus vulnérables face aux violences des clients. Enfin, le temps passé à chasser le client sera autant de moins consacré à la lutte contre les réseaux. Rien ne serait pire, pour nous, que de mettre des personnes actuellement indépendantes entre les griffes des réseaux. Je persiste à croire qu'il faut pénaliser les seuls clients des prostituées sous contrainte en garantissant le libre exercice de la prostitution. Dommage que nous ne puissions pas poursuivre notre travail.
M. Roland Courteau . - À mes yeux, la suppression de cet article 16 vide de son sens la proposition de loi : pénaliser le client est indispensable à la cohérence de ce texte, à l'affirmation de la position abolitionniste de la France. Qui peut accepter cette marchandisation du corps ? Qui peut accepter cette aliénation ? J'ose parler de « clients prostitueurs ». Si l'on maintient le délit de racolage, il est nécessaire, pour conserver un équilibre, de rétablir cet article 16. On ne peut pas considérer les prostituées comme des délinquantes, et les clients comme des innocents.
Oui, je fais ce pari : que ce dispositif découragera la prostitution. Luttons contre les archaïsmes, reconnaître l'égalité entre hommes et femmes passe par cet acte fort !
M. Philippe Kaltenbach. - Très bien !
Mme Laurence Cohen . - Nous en venons au point le plus médiatique de ce texte : la pénalisation du client. Je regrette que la commission spéciale l'ait supprimée. Les témoignages recueillis lors de l'affaire du Carlton révèlent les violences ressenties par les prostituées quand les clients n'évoquaient que des « parties fines » ou « libertines ». Aussi voulons-nous faire entrer l'achat d'actes sexuels dans la catégorie des infractions.
L'expérience suédoise est éclairante. D'après les personnes auditionnées, elle pose un interdit moral : 70 % des Suédois sont favorables à la pénalisation du client, notamment parmi les jeunes, signe que la loi peut faire évoluer les mentalités. Réfuter la responsabilisation du client, c'est affirmer qu'il existerait une prostitution consentie. Jean-François Corti, de Médecins du Monde, écrit que : « Ce n'est pas en pénalisant les clients que nous donnerons à manger aux filles. » C'est vrai, mais est-ce une raison pour ne rien faire ?
On dit que le texte devrait encore être retravaillé. Qu'avons-nous donc fait au Sénat durant un an ? Soyons francs, nous avons un désaccord politique. Rétablissons l'article 16, sans quoi nous viderons la proposition de loi de sa substantifique moelle. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur de nombreux bancs socialistes)
Mme Catherine Génisson . - Je veux d'abord remercier Jean-Pierre Vial et Jean-Pierre Godefroy, l'actuel et l'ancien président de la commission spéciale, et la rapporteure Michelle Meunier, qui ont conduit nos débats en cherchant à nous faire réfléchir, sans jamais nous influencer. Nous partageons tous la même exigence : lutter contre la traite et l'esclavage moderne. Pas moins de 97 % des personnes prostituées sont étrangères ; elles sont littéralement importées pour faire commerce de leur corps. Nous avons aussi auditionné celles qui se revendiquent « travailleuses du sexe » : elles sont parfaitement respectables. Cependant, contrairement à Mme Jouanno, je n'ai pas retenu l'argument de la liberté. Je suis à 200 % engagée contre tous les dégâts de la prostitution, qu'ils soient sanitaires, psychiques et sociaux. Toutefois, j'ai entendu les témoignages des professionnels, notamment des responsables de Médecins du Monde. Tous affirment que la pénalisation du client fragilisera les prostituées. Axel Kahn et Israël Nisand, qui y sont favorables, ne connaissent peut-être pas aussi bien la réalité du terrain que Xavier Emmanuelli dont la position me touche davantage pour cette raison même : chacun connaît son engagement dans ce domaine.
Par recherche avant tout de l'efficacité, je refuserai le rétablissement de l'article 16, comme j'ai refusé le retour du délit de racolage.
Que faire alors ? Lutter contre les réseaux au niveau international.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.
A. - Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « prostitution », la fin de l'intitulé est supprimée ;
2° L'article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225-12-1. - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l'article 131-16 et au second alinéa de l'article 131-17.
« La récidive de la contravention prévue au présent article est punie de 3 750 € d'amende, dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 132-11.
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
3° Aux premier et dernier alinéas de l'article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l'article 225-12-1 » ;
4° À l'article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et à l'article ».
II. - À la troisième phrase du sixième alinéa de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
B. - En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l'achat d'un acte sexuel
Mme Laurence Cohen. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°12 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali et MM. Manable, Miquel et Durain.
Mme Claudine Lepage. - Avec cet amendement, nous rétablissons le quatrième pilier de la proposition de loi. La progressivité du dispositif accompagne un changement sociétal en interdisant l'achat d'un acte sexuel, considéré comme une violence.
Cet article, indispensable à l'équilibre et à la cohérence du texte, réaffirme clairement la position abolitionniste de la France : nul n'est en droit d'exploiter la précarité et la vulnérabilité ni de disposer du corps d'autrui pour lui imposer un acte sexuel par l'argent.
La prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Depuis les années 2000, les personnes prostituées sont à 90 % des personnes de nationalité étrangère, alors que cette proportion n'était que de 20 % en 1990. Principalement originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigéria, du Brésil et de Chine, ces personnes sont le plus souvent maintenues sous la coupe de réseaux de traite et de proxénétisme, organisés et violents.
Les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique. Ce constat heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit. Le préambule de la Convention des Nations unies du 2 décembre 1949, ratifiée par la France le 19 novembre 1960, « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté ».
En Suède où l'achat d'actes sexuels est puni d'une amende et d'une peine d'emprisonnement, la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans. Rien n'indique que la prostitution dans des lieux fermés ait augmenté ni les violences subies par les personnes prostituées.
En interdisant l'achat d'actes sexuels, nous adressons un signal fort aux réseaux de proxénétisme. Nous faisons le pari qu'en attaquant la demande, nous les dissuaderons d'investir sur un territoire dont les législations deviennent moins favorables à leurs profits criminels.
M. le président. - Amendement identique n°31 rectifié, présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, M. Guerriau et Mmes Kammermann et Bouchart.
Mme Chantal Jouanno. - Le problème n'est pas si simple. La législation actuelle a été efficace contre la prostitution traditionnelle, qui tend à disparaître pour être remplacée par la prostitution sous contrainte. Nous devons donc modifier la loi en inversant la charge de la preuve au bénéfice de la personne prostituée car, effectivement, les clients qui voient les conditions dans lesquelles les prostituées travaillent au bois de Vincennes peuvent ignorer qu'elles sont sous contrainte.
Les positions sont figées. Je rectifie néanmoins mon amendement pour faire avancer le débat : j'ajoute la notion de contrainte. La coconstruction est à la mode...
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je suis personnellement favorable à l'instauration de cette nouvelle infraction, pour inverser la charge de la preuve et pour tarir l'offre en agissant sur la demande. Il faut poser clairement qu'est inacceptable l'achat d'un acte sexuel.
Toutefois, la commission spéciale a jugé que les inconvénients de cette pénalisation étaient supérieurs à ses avantages et elle a maintenu son avis défavorable.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Soyons précis. La loi suédoise du 4 juin 1998 a puni de six mois de prison l'achat d'actes sexuels, une période allongée à un an en 2011. Un rapport de novembre 2010 dresse un constat positif de cette mesure : la prostitution a diminué de moitié depuis 1999 sans que rien n'indique qu'elle se soit reportée vers des lieux fermés ; la parole s'est libérée ; la perception a évolué : 67 % de la population étaient défavorables à la pénalisation de l'achat d'actes sexuels en 1996, 71 % sont pour en 2008.
Les réseaux, d'après les écoutes, considèrent désormais la Suède comme « un marché inhospitalier ». La ministre suédoise des droits de l'homme confirme ce bilan. Il ne m'appartient pas de jeter le doute sur un rapport élaboré par un gouvernement démocratique de l'Union européenne.
Depuis 2009, la Norvège et l'Islande ont souhaité adopter cette mesure, suivis par le Canada le 6 octobre 2014. L'Irlande du Nord examine un texte dans ce sens en ce moment même. Le gouvernement conservateur norvégien voulait revenir sur cette pénalisation mais, au vu d'un rapport, il y a renoncé.
Avis évidemment favorable à ces trois amendements identiques. (Applaudissements sur les bancs CRC, de nombreux bancs socialistes ; Mme Chantal Jouanno applaudit aussi)
Mme Maryvonne Blondin. - Nous avons un interdit à poser, cela aura une valeur symbolique sur nos jeunes. Voyez les débats au Canada !
Dans les écoles primaires, des petits garçons se livrent à du harcèlement sexuel sur les petites filles. Il faut... excusez-moi, je ne trouve plus les termes tellement je suis bouleversée. Une jeune fille de 19 ans vient d'être condamnée dans l'ouest de la France pour avoir incité des mineurs à se prostituer. Notre devoir de législateur est de poser un interdit fort.
Mme Esther Benbassa. - La réalité suédoise n'est pas si rose ! (M. Alain Gournac acquiesce) Scientifique de profession, je m'étonne de la manipulation des chiffres dans cette assemblée. Cette pratique ne relève pas de l'honnêteté intellectuelle ! (M. Phiippe Kaltenbach manifeste son scepticisme) Oui, monsieur Kaltenbach, les scientifiques sont attachés à l'honnêteté intellectuelle !
En juillet 2012, l'ONU dressait ce constat : la pénalisation du client a diminué de moitié la prostitution de rue. Mais la prostitution est restée globalement stable ; elle s'est simplement déportée vers la clandestinité, des appartements, des hôtels, des restaurants ou vers le Danemark voisin.
Le gouvernement suédois a commandé un rapport au comté de Stockholm, qui vient d'être traduit.
Mme Maryvonne Blondin. - En anglais !
Mme Esther Benbassa. - Je vous cite ses chiffres : depuis 1995 le nombre de personnes prostituées dans la rue est passé de 650 à 250. En revanche, le nombre d'escort girls et de prostituées en chambre est passé de 304 à 6 965. Le nombre d'hommes prostitués est passé de 190 à 702. Les violences sont plus nombreuses. Les personnes prostituées sont plus précarisées : elles pratiquent sur les aires d'autoroutes, dans les forêts, sans préservatifs. Un article dans The Lancet en janvier 2015 dresse le même constat.
Ne transformons pas un texte abolitionniste en texte prohibitionniste. Ce n'est pas au législateur de dicter aux prostituées la manière dont elles doivent vivre leur vie sexuelle. Jusqu'où irons-nous au nom de la vertu ?
M. Jean-Claude Requier. - Le groupe RDSE, dans sa très grande majorité, ne votera pas ces amendements identiques. La pénalisation du client précarisera les prostituées. Va-t-on poursuivre les émirs, les oligarques, les footballeurs, ceux qui se paient des escort girls à 1 000 euros dans des palaces ? Non, on poursuivra le pauvre bougre qui se sera fait prendre au Bois.
Mme Laurence Cohen. - La loi sera la même pour tout le monde !
M. Jean-Claude Requier. - La loi n'a pas à entrer dans le domaine des relations sexuelles entre adultes consentants. (Mme Laurence Cohen s'exclame) La brigade de la prostitution à Paris compte en tout et pour tout 50 policiers, gardons nos forces pour lutter contre les réseaux.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Que de contre-vérités ! Je le dis brutalement car je suis choquée d'entendre dire que nous n'entendons pas les prostituées. Nous n'atteindrons jamais l'égalité entre hommes et femmes en acceptant que la moitié de l'humanité loue le corps de l'autre contre de l'argent. Les jeunes ont besoin de cet interdit pédagogique. Savez-vous que les relations sexuelles tarifées commencent et sont nombreuses dès le secondaire ?
Madame Génisson, le meilleur moyen d'éviter des morts à la guerre est de ne pas faire la guerre. N'envoyons pas les prostituées au front !
Mme Catherine Génisson. - Les médecins sont contre la pénalisation du client !
M. Jean-Pierre Godefroy. - On laisse entendre que la loi suédoise aurait eu des effets très positifs. J'ai ici un rapport peu suspect (l'orateur brandit le document). On y lit que la prostitution masculine est en plein essor, que 2,1 % des jeunes Suédois de 16 à 25 ans se seraient prostitués en 2012 - cela fait tout de même 20 000 personnes... - et que 21,9 % des jeunes Suédois trouvent acceptables de payer pour une relation sexuelle... Si c'est là un effet pédagogique de la loi...
En Grande-Bretagne, le client est pénalisé en cas de prostitution sous contrainte. C'est une solution qui m'aurait convenu. On réprimerait ainsi l'exploitation, sans aller à l'encontre de la jurisprudence de la CEDH sur la libre disposition de son propre corps. Ce sujet mérite une discussion précise.
Actuellement, les personnes prostituées n'ont certes pas beaucoup de moyens de se défendre, mais elles en ont. Demain, en cas de pénalisation, la prostitution aura lieu à huis clos : rien ne serait pire pour les personnes prostituées.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - C'est déjà le cas ! Cela ne se passe pas dans la rue, tout de même...
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Des propositions ont été faites, certains veulent avancer. Le statu quo est inimaginable. Nous sommes tous d'accord pour dénoncer les ravages de la prostitution, pour proposer un accompagnement social et sanitaire aux personnes prostituées. Nous ne sommes plus dans les années 1980 : aujourd'hui, 97 % des personnes prostituées viennent de l'étranger et sont sous la coupe de réseaux. La majorité sont des femmes, privées de leurs papiers, réduites en esclavage, souvent scarifiées et tatouées pour les empêcher de s'échapper et déplacées facilement du nord au sud, au gré des saisons. Les associations, qui mettent tant de temps à gagner leur confiance, les voient disparaître pendant deux ou trois mois. Ces femmes parlent de « vacances » ; en réalité, elles sont emmenées dans des Eros centers en Espagne ou en Italie. Renoncer à la prévention et à la responsabilisation du client, c'est accepter le statu quo. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur plusieurs bancs socialistes)
Mme Chantal Jouanno. - Je maintiens mon amendement en le rectifiant, pour introduire la notion de contrainte. On assiste à une banalisation de la prostitution dans les films, les clips, le défilé Vuitton ! Voilà des mois que nous travaillons, il est temps de conclure.
M. le président. - Ce sera l'amendement n°31 rectifié bis.
Amendement identique n°31 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, M. Guerriau et Mmes Kammermann et Bouchart.
A. - Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « prostitution », la fin de l'intitulé est supprimée ;
2° L'article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225-12-1. - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre sous contrainte à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l'article 131-16 et au second alinéa de l'article 131-17.
« La récidive de la contravention prévue au présent article est punie de 3 750 € d'amende, dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 132-11.
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
3° Aux premier et dernier alinéas de l'article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l'article 225-12-1 » ;
4° À l'article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et à l'article ».
II. - À la troisième phrase du sixième alinéa de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
B. - En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l'achat d'un acte sexuel
Mme Laurence Cohen. - À force de rechercher le compromis, on oublie ce que vient de dire Mme la ministre. Introduire la notion de contrainte, c'est laisser entendre qu'il y a une prostitution librement choisie. Or l'immense majorité des prostituées sont victimes de réseaux criminels. Moi aussi, je regarde les chiffres et j'ai la prétention d'être honnête intellectuellement. On déplace ces femmes, on marque leur corps, c'est un véritable esclavage. Et puis, comment apprécier la contrainte ? Va-t-on demander aux personnes prostituées si elles ont librement choisi leur situation ? Que répondront-elles quand elles seront justement sous la contrainte ? Sous prétexte de tenir compte d'une minorité qui se prostituerait librement, madame Benbassa, on ne légifère pas pour l'ensemble. Et la loi est l'affaire du général. Il est de notre responsabilité politique de dire que la prostitution est une violence et que les clients doivent être responsabilisés.
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. - La commission spéciale doit se réunir : de toute évidence l'amendement rectifié de Mme Jouanno propose une approche différente...
La séance, suspendue à 22 h 45, reprend à 22 h 55.
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. - La commission demande que le Sénat se prononce en priorité sur l'amendement n°31 rectifié bis.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - Je ne le répèterai pas : 97 % des prostituées, aujourd'hui, sont victimes de réseaux de traite, avec des conséquences graves pour leur santé physique et psychologique. L'amendement n°31 rectifié bis, quoiqu'il propose une légère avancée, ne donne pas pleine capacité à lutter efficacement contre les réseaux, pas plus qu'il n'envoie un message clair. L'achat d'un acte sexuel est une violence, il nourrit les réseaux. Pour éviter le statu quo, sagesse. D'accord pour la priorité.
La priorité, acceptée par le gouvernement, est de droit.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La commission spéciale ne s'est pas prononcée. À titre personnel, avis défavorable, car je considère que le message adressé par cet amendement n°31 rectifié bis ne serait ni clair ni juste. Heureusement, nous avons encore la navette devant nous.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le groupe CRC votera contre cet amendement alors que le délit de racolage a été réintroduit et l'automaticité de la délivrance du titre de séjour remise en cause. Il laisse entendre que certaines prostituées se livreraient à cette activité de gaieté de coeur, quand la plupart y sont contraintes, ne serait-ce que par leurs conditions économiques. Toutes m'ont dit avoir perdu l'estime d'elles-mêmes. Certaines dissimulent même leur activité à leurs enfants.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°31 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°113 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Pour l'adoption | 14 |
Contre | 303 |
Le Sénat n'a pas adopté.
À la demande du groupe UMP, les amendements identiques nos3 rectifié bis et 12 rectifié bis sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°114 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 292 |
Pour l'adoption | 105 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'article 16 demeure supprimé.
ARTICLE 17 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, M. Le Scouarnec, Mme Didier, M. P. Laurent, Mme Prunaud et MM. Bocquet et Favier.
A. - Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 9° de l'article 131-16, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :
« 9° bis l'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels ; »
2° Au premier alinéa de l'article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels » ;
3° Le I de l'article 225-20 est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° L'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels, selon les modalités fixées à l'article 131-35-1. »
II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l'article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : « , d'un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels » ;
2° Après le 18° de l'article 41-2, il est inséré un 19° ainsi rédigé :
« 19° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels. »
B. - En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l'achat d'un acte sexuel
Mme Laurence Cohen. - L'article 16 ayant été supprimé - et je m'en désole -, le suivant n'a pas lieu d'être.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - En effet.
Les amendements nos4 rectifié bis, 14 rectifié ter et 32 rectifié sont retirés.
L'article 17 demeure supprimé.
ARTICLE 4 (Précédemment réservé)
M. le président. - Par cohérence, les amendements à l'article 4 devraient aussi être retirés... (Mmes Michelle Meunier et Chantal Jouanno en conviennent)
Les amendements nos15 rectifié bis et 34 rectifié sont retirés.
L'article 4 est adopté.
L'article 18 est adopté.
L'article 19 demeure supprimé.
L'article 20 est adopté.
L'article 21 demeure supprimé.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin.
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et l'accompagnement des personnes prostituées.
Mme Laurence Cohen. - La proposition de loi ayant été dépecée au Sénat, il paraît vain d'en modifier l'intitulé...
L'amendement n°5 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement identique n°20 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson et Conway-Mouret et M. Durain.
Mme Maryvonne Blondin. - Nous retirons aussi notre amendement.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Il n'a en effet plus lieu d'être. On ne peut pas parler de système quand le client n'est pas responsabilisé.
L'amendement n°20 rectifié bis est retiré.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. - En remerciant tous les participants à ces débats, je regrette que le Sénat ait préféré le statu quo. Nous n'avons plus les outils pour lutter contre le système prostitutionnel, pour aider les personnes prostituées à sortir de leur situation de violence et de contrainte. Les Françaises et les Français, sous les yeux desquels nous débattons, jugeront.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je demande une brève suspension de séance.
La séance, suspendue à 23 h 20, reprend à 23 h 35.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Claude Requier . - Le groupe RDSE regrette que le statu quo dégagé par la commission spéciale n'ait pas été respecté. Le bilan du délit de racolage passif, douze ans après, est désastreux : il a stigmatisé les prostituées, accentué leur précarisation, renforcé les réseaux. En l'absence de définition précise, il peut conduire à l'arrestation de toute personne, sur la base de sa tenue vestimentaire. Le nombre de prostituées incriminées n'a cessé de diminué : 3 290 en 2004, 1 800 en 2008, 1 340 en 2009. À Paris, le taux de déférement est passé de 38 % en 2005 à 0 % en 2009. Maintenir cette logique répressive, au détriment de la santé et de la sécurité des prostituées, victimes d'agressions et de chantages, est un contresens. Oui, rétablir d'une seule voix, une telle mesure d'affichage, aux effets pervers avérés, et qui a fait la preuve de son inefficacité, est regrettable.
En revanche, nous nous félicitons de la suppression de la pénalisation du client pour des raisons de bon sens. Les abolitionnistes veulent supprimer la prostitution en tarissant la demande. Nous partageons leur objectif final. Or, nous constatons qu'à Stockholm, le client est invisible, comme on l'a dit, mais la prostitution n'a pas disparu. Robert Badinter, ancien garde des sceaux, et Élisabeth Badinter qui ont pris position dans notre sens, ne peuvent en aucun cas être soupçonnés de complaisance envers les réseaux mafieux ou de naïveté à l'égard de la condition sanitaire et sociale des prostituées. En vérité, la pénalisation du client est une fausse solution, vouée à l'échec.
Le groupe RDSE salue les avancées, certes insuffisantes, d'ordre sanitaire et social. Pour combattre efficacement la prostitution, il faut s'attaquer aux réseaux en priorité, tarir les riches filons de la misère et de l'exploitation dont se nourrissent les mafias.
Un regret, que nous n'ayons pas évoqué la question de la prostitution des mineurs, qui prend des proportions inquiétantes et requiert un traitement spécifique.
Le groupe RDSE, opposé à la fois au délit de racolage passif et à la pénalisation du client, soucieux de politiques actives de soutien aux prostituées, s'abstiendra.
Mme Laurence Cohen . - Le groupe CRC votera contre ce texte. Privé des quatre piliers, rappelés par Brigitte Gonthier-Morin, il entérine en fait le statu quo. Il est dommageable que le Sénat prenne cette position quand il a fallu attendre si longtemps pour débattre de cette proposition de loi.
Il est d'autant plus dommageable que le législateur manque ce rendez-vous, à l'heure où les associations féministes et abolitionnistes ont réussi à faire considérer la prostitution comme un problème, non plus individuel mais social, sociétal et politique. Je suis particulièrement choquée que l'on refuse la pénalisation du client et, donc, la notion de système prostitutionnel. La prostitution est une violence. Le client, c'est « monsieur tout-le-monde ».
Ma position n'est pas moralisante. Pénaliser le client libèrera, pour moi, autant les personnes prostituées comme les clients, victimes d'un formatage culturel qui assimile la virilité à la domination. Cette proposition de loi aurait pu être un texte émancipateur, l'acte fondateur de nouvelles libertés humaines. Nous en sommes loin, hélas.
Mme Claudine Lepage . - Ce texte est le résultat d'un long débat parlementaire, commencé en septembre 2010 à l'initiative des députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, où tous ont pu faire entendre leur voix : les personnes prostituées, les associations spécialisées, les pouvoirs publics, la presse, les clients et l'ensemble de la population.
Jusque-là, le débat avait dépassé les clivages partisans. Ce n'est plus le cas... Pour François Hollande, « la prostitution est l'une des expressions les plus frappantes des inégalités et des violences qui perdurent dans notre société et dans le monde. Si chacun est libre de disposer de son corps, les droits humains et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait que quelqu'un puisse disposer du corps d'autrui parce qu'il a payé. » Ces paroles font écho à notre discussion de ce soir. Je ne peux pas cautionner la prostitution, elle est une marchandisation du corps issue de la domination. Je ne peux pas cautionner l'argument selon lequel la prostitution serait, pour les femmes concernées, une manière d'affirmer leur liberté : utile cache-sexe... « Dire que les femmes ont le droit de se vendre, c'est masquer le fait que les hommes ont le droit de les acheter », écrit justement Françoise Héritier.
Non, notre position n'est pas dictée par une morale liberticide. La sexualité de chacun a toutes les raisons d'être multiple, variée, originale, dès lors qu'elle est libre et fondée sur un désir partagé. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous avons besoin de bien autre chose que de la loi du plus fort.
Nous devions vivre un moment important, manifester la volonté du Sénat de répondre aux aspirations de la société. Vous avez pu lire, encore hier, de nombreuses tribunes signées par des médecins, des associations d'aides aux victimes et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes qui témoignent de la violence intrinsèque de la prostitution, mais aussi les appels, signés par des intellectuels, des jeunes, des mouvements syndicaux, plus de 200 maires et conseillers municipaux, qui demandent une dépénalisation des prostituées et une responsabilisation des clients.
Hélas, ce texte tourne le dos à la position abolitionniste de la France, vieille de cinquante ans. En refusant la pénalisation du client, nous envoyons un message rétrograde aux prostituées et à nos voisins européens.
Le groupe socialiste s'abstiendra ; à titre personnel, je voterai contre.
Mme Michelle Meunier . - À titre personnel, je me sens amère. Nous avons rompu l'équilibre trouvé et le travail effectué ces derniers mois par votre commission spéciale. Pour autant, je ne baisse pas les bras. Je compte sur la navette, afin de poursuivre le combat pour les personnes prostituées. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale . - Beaucoup sont déçus du résultat de nos échanges. À titre personnel, je partage les propos de Mme la rapporteure : de toute évidence, il reste du travail devant nous pour s'attaquer efficacement aux réseaux. Nous n'avons pas, cependant, fait des prostituées des criminelles...
Mme Laurence Cohen. - Ah !
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. - Les mots ont un sens : est criminel qui a commis un crime.
Mme Maryvonne Blondin. - Ce sont tout de même, pour vous, des délinquantes...
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. - Beaucoup d'oppositions ne concernaient pas le fond, mais la portée des mesures. Madame la ministre, j'espère que le texte, puisqu'il ne tombe pas sous le coup de l'urgence, s'enrichira au cours de la navette. Avançons : il y va de la dignité humaine. Le groupe UMP votera ce texte.
Mme Esther Benbassa . - Ce texte, qui s'est trompé de cible dès le départ, est désormais prohibitionniste. Ni la vertu ni la répression n'ont combattu efficacement la misère, prenons-nous y autrement, en renforçant l'éducation des jeunes à l'égalité entre les hommes et les femmes, en nous attaquant aux inégalités sociales qui forment le terreau de la prostitution. Le groupe écologiste votera contre.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Je ressens, moi aussi, une très grande amertume. Pourtant, c'est avec beaucoup d'espoir, que j'étais entrée dans ce débat, qui s'annonçait respectueux, consensuel et constructif. Que de rendez-vous manqués ! Les prostituées demeurent présumées coupables avec le délit de racolage passif, les clients présumés innocents. Leur responsabilisation n'est donc plus à l'ordre du jour...
Or, il y a tant à faire, quand on considère le développement actuel de la prostitution nimbée de néoromantisme. Madame Benbassa, je ne veux pas d'une société où l'image de la prostitution est utilisée pour faire chic dans les défilés de mode.
Le groupe UDI-UC fera du tricolore, mais je voterai résolument contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État . - Au terme de ces débats, les prostituées demeurent vues comme des délinquantes, le client reste roi, les réseaux ont encore de beaux jours devant eux... Le gouvernement, lui, continuera à travailler au Parlement, mais aussi avec les associations, pour que les prostituées n'aient plus peur, pour qu'elles puissent effectivement bénéficier de l'accompagnement social et sanitaire que vous avez voté - ce qui sera impossible si le texte demeure en l'état. Je tiens à remercier la Miprof et les associations qui sont mobilisées.
À la demande du groupe UMP, l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°115 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 204 |
Pour l'adoption | 162 |
Contre | 42 |
Le Sénat a adopté.
Prochaine séance aujourd'hui, mardi 31 mars 2015, à 9 h 30.
La séance est levée à minuit cinq.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques