Participation des élus locaux à l'Agence France locale
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi sur la participation des élus locaux aux organes de direction des deux sociétés composant l'Agence France locale.
Discussion générale
M. Alain Anziani, co-auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois . - L'Agence France locale a été créée le 22 octobre 2013 pour répondre aux besoins de financement des collectivités locales. Pourquoi ? Parce que le Crédit agricole avait changé d'orientation, que Dexia avait disparu, qu'on avait découvert des emprunts toxiques, et que les règles prudentielles du comité de Bâle imposaient l'augmentation des fonds propres des banques.
Une solution existait, recourir directement aux marchés financiers, mais elle n'était ouverte qu'aux grandes collectivités. Les associations d'élus ont alors porté un autre projet, ce qui est devenu l'Agence France locale, « 100 % collectivités territoriales » au capital et comme dans l'action, avec un verrou : seules les collectivités bien notées, au moins 5,99 sur une échelle de 1 à 7, peuvent adhérer.
Une agence, donc, mais deux branches : une société territoriale, qui fixe les orientations de l'Agence, et une société financière, bras séculier en quelque sorte puisque c'est elle qui lève les fonds.
Cette proposition de loi de Gérard Collomb, retenu aujourd'hui par des obligations à Lyon et déposée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale par Jacques Pélissard, est doublée d'une proposition de loi organique qui n'est pas inscrite à l'ordre du jour. Son but est de prévenir les risques encourus par les élus locaux participant à l'Agence. Trois cas avec des réponses différentes.
Le premier, celui d'encourir la qualification « d'élu intéressé à l'affaire » lors des délibérations touchant à sa collectivité -le risque est très limité en pratique mais mieux vaut appliquer le principe de précaution.
Le deuxième, le risque de qualification « d'entrepreneur de service local ». Il faut l'écarter effectivement.
Enfin, je ne crois pas qu'il faille exonérer l'élu de toute responsabilité civile personnelle ; ce serait contraire à la règlementation européenne. Avec l'accord de Gérard Collomb, la commission a ainsi supprimé le quatrième et dernier alinéa. Co-auteur de cette proposition de loi, je vous remercie de bien vouloir l'adopter. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique . - L'Agence France locale témoigne de la capacité d'initiative des élus locaux comme de la confiance que le Gouvernement leur porte ; c'est un approfondissement de la décentralisation. Avec ce nouvel instrument, toutes les collectivités locales peuvent accéder au marché obligataire dans des conditions favorables.
Ce texte sécurise les conditions de participation des élus locaux représentant leur collectivité au sein des instances dirigeantes de l'Agence France locale, en reprenant des dispositions dérogatoires qui s'appliquent aux élus mandataires au sein d'une société publique locale (SPL). Le Gouvernement ne voit aucune raison de s'y opposer ; il approuve la suppression de son quatrième alinéa, contraire à la directive « Résolution » qui sera bientôt transposée.
L'Agence France locale garantira un accès stable et durable des collectivités territoriales à un financement de qualité, pour soutenir leur politique d'investissement local et le développement de leurs services publics. Je me réjouis que les élus nationaux et locaux soient ainsi mobilisés.
Un point mériterait d'être abordé, bien qu'il soit hors de notre discussion du jour, celui des incompatibilités entre un mandat exécutif local et la présidence d'une organisation locale, notamment quand l'élu est président de droit de celle-ci. Le texte Sueur-Gourault, actuellement en CMP, peut être le bon véhicule. (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)
Mme Cécile Cukierman . - Ce texte apporte de la sécurité aux élus locaux qui siègent à l'Agence France locale. Le groupe CRC a soutenu la création de cette agence. En revanche, faut-il vraiment légiférer pour un nombre aussi limité d'élus ? Et ces élus ne sont-ils pas de fait juge et partie quand une décision concerne leur collectivité ?
Ce débat est l'occasion de parler de l'Agence. Les collectivités territoriales qui ont souscrit des emprunts toxiques se trouvent, avec l'envol du franc suisse, dans une situation intenable. Ainsi, la commune de 9 000 habitants dont j'ai été élue jusqu'en 2011 fait face désormais à un taux d'intérêt sur sa dette de 27,65 %, ce qui revient à acquitter 951 000 euros par an -10 % de son budget de fonctionnement- jusqu'en 2035, soit neuf fois le capital dû. Que fait-on pour elles ? Est-ce que ce sont les contribuables qui vont encore payer ? Où en est-on des actions contre Dexia et contre les banques qui ont emporté de belles marges pour structurer ces emprunts toxiques ?
Le groupe CRC ne votera pas ce texte parce qu'il ne répond pas aux besoins de financement des collectivités territoriales et laisse pendantes trop de questions. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre-Yves Collombat . - Pour moi, cette proposition de loi coule de source. Elle n'est pas pour autant anodine. L'affaire remonte à six ans, avec la chute de la maison Dexia et les aventures exotiques des banquiers qui ont préféré s'enrichir plutôt que de prêter aux collectivités territoriales -pas assez lucratif...
Il a fallu reconstruire un système autour de la Sfil, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque postale.
Mais il y a toujours des emprunts toxiques au bilan de la Caisse française de financement local... Et nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle catastrophe. C'est pourquoi j'ai toujours estimé qu'il fallait -ce qui était exotique en France mais banal aux États-Unis- laisser la possibilité aux collectivités territoriales d'aller groupées sur le marché obligataire. L'Agence France locale a vu le jour, tardivement, en octobre 2013 -c'est probablement tout ce qui restera de la loi sur la séparation des activités bancaires. (Sourires)
Les associations d'élus ont eu la volonté d'en faire un outil pour toutes les collectivités territoriales, pas seulement pour les plus grandes d'entre elles.
L'objectif du texte est de sécuriser les élus qui seront décideurs au sein de l'Agence. Puisqu'il y aura bientôt une CMP sur la proposition de loi Sueur-Gourault, profitons-en pour les sécuriser véritablement, en réglant la question de leur responsabilité quand ils agissent pour le compte de leur collectivité.
C'est avec plaisir que le groupe RDSE votera unanimement ce texte. Nous revenons de loin...
M. Vincent Delahaye . - L'Agence France locale fait ses premiers pas après une longue gestation. Elle répond aux inquiétudes des collectivités territoriales pour leur financement, très sensibles à l'époque. Dans mon département, aucune collectivité territoriale n'a de problème de financement bancaire. Mais pourquoi pas...
Toutefois, on est loin des objectifs : seules 78 collectivités territoriales participent, pour un capital de 36 millions -4 milliards étaient initialement prévus. Combien de collectivités territoriales, en outre, bénéficieront de la notation requise de 5,99 ?
Derrière l'Agence se profile le problème de la mutualisation des risques. Toutes les collectivités territoriales ne sont pas gérées de la même façon... (M. Alain Reichardt approuve)
Faut-il un statut dérogatoire ? Oui, il fallait supprimer l'alinéa sur la responsabilité civile. En revanche, pourquoi ne pas prévoir simplement que les élus quittent la salle quand la délibération touche à leur collectivité, comme cela se fait couramment dans les sociétés d'économie mixte ?
Voilà le questionnement du groupe UDI-UC. Nous voterons cette proposition de loi pour ne pas entraver les premiers pas de l'Agence France locale. J'appelle toutefois les élus à la prudence dans la gestion de celle-ci.
M. André Reichardt . - Cette proposition de loi a l'avantage si rare d'être consensuelle.
Profitons de ce débat pour faire le point sur l'Agence. Dès 2004, des collectivités territoriales ont expérimenté l'emprunt direct groupé sur les marchés. Après la tourmente de 2010, plusieurs grands élus ont créé l'Association d'études pour l'agence de financement des collectivités locales. La loi du 26 juillet 2013 a formellement créé l'Agence France locale ; les deux sociétés nécessaires à son fonctionnement ont été créées fin 2013.
À ce jour, seules 91 collectivités ont adhéré. L'euro-métropole de Strasbourg y a adhéré en novembre 2014 avec trois autres collectivités haut-rhinoises, plutôt petites d'ailleurs. L'Agence France locale a obtenu l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel pour pouvoir lever des fonds sur les marchés obligataires et financer -enfin- des prêts. Dernière étape franchie, l'agence s'est vu attribuer une note par Moody's.
On le sait, l'Agence France locale est sortie des décombres de Dexia. La situation a changé depuis ; les liquidités sont revenues et les taux des emprunts bancaires sont au plus bas.
L'euro-métropole de Strasbourg a souscrit 2,4 millions d'euros au capital de l'Agence, payables en trois fois. L'adhésion n'a pas les mêmes objectifs qu'hier, les outils de financement sont désormais nombreux. Il faudra veiller au taux de refinancement de l'Agence et le comparer avec celui du secteur bancaire -d'autant que l'Agence France locale met en oeuvre un dispositif de garantie solidaire.
Pour le reste, le groupe UMP souscrit à ce texte modifié par notre commission des lois pour le rendre compatible avec la législation européenne. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Bigot . - Cette loi, si elle est quasiment consensuelle, mérite qu'on en parle et qu'on parle du financement des collectivités territoriales.
Alors président de la communauté urbaine de Strasbourg, je m'étais interrogé, notamment avec Michel Delebarre, sur la possibilité pour les collectivités territoriales d'aller sans intermédiaire sur le marché obligataire. Difficile d'y aller seul, d'où l'idée de mutualiser. Il a fallu convaincre, ce qui a été long. La situation a beau avoir changé, l'idée est bonne pour les petites collectivités territoriales. Faisons attention à ne pas répéter les erreurs du passé. L'Agence France locale devra être bien gérée.
Madame Cukierman, la situation d'un élu qui représente sa collectivité au sein d'une SEM ou d'une SPL n'est en rien la même que celle d'un élu membre ou président d'une association -la collectivité n'a pas d'intérêt dans l'association.
Si la prudence prévaut dans certaines collectivités, la loi est claire et écarte le conflit d'intérêt. Il est logique que les mêmes dispositions vaillent pour les élus siégeant au sein de l'Agence.
Gérard Collomb a eu raison de vouloir sécuriser nos collègues qui prendront des responsabilités lourdes et importantes au sein de l'Agence France locale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
M. le président. - La proposition de loi est constituée d'un article unique. Son adoption entrainera celle du texte.
Intervention sur l'ensemble
M. Pierre-Yves Collombat . - Les temps ont changé, certes, mais rien ne dit pour autant que les difficultés ne reviendront pas. La Caffil a encore dans son bilan des emprunts toxiques, nous ne sommes pas à l'abri.
J'ai entendu appeler les élus à la prudence. Cessons de nous mortifier ! Que s'est-il passé pour les banquiers qui nous ont menés là où nous sommes ? Les élus, dans leur immense majorité, travaillent pour l'intérêt général. Je me réjouis de ce système reposant sur deux piliers, les banques et l'Agence France locale -une importation bienvenue pour une fois.
La proposition de loi est adoptée.