Transition énergétique (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Interventions sur l'ensemble
M. David Rachline . - Pas de vie sans énergie. Ce texte a donc un effet sur nos modes de vie. Consommer mieux sans consommer moins semble difficile. Personne -même les écologistes- ne souhaite revenir à l'âge de pierre.
M. Henri de Raincourt. - Pas sûr...
M. David Rachline. - Mais reste la question du financement de cette transition, qui est loin d'être résolue.
Nous croyons à la croissance verte. Mais vous avez donné les leviers financiers aux technocrates bruxellois !
Madame la ministre, vous avez évité le piège du dogmatisme et du tout renouvelable qui n'est pas viable économiquement ou technologiquement -sauf à recouvrir tout le territoire d'éoliennes et de panneaux solaires. Je doute que la France resterait alors la première destination touristique... En matière d'énergie, nous prônons la politique des petits pas plutôt que la révolution. En Allemagne, le choix dogmatique d'arrêter le nucléaire s'est traduit par une explosion de l'émission des gaz à effet de serre ! Le nucléaire reste la source d'énergie la moins polluante -malgré le problème des déchets. Ce texte a le mérite de préserver une filière d'excellence.
Nous avons besoin d'un État stratège, pas d'un État qui brade son approvisionnement énergétique à des entreprises privées à capitaux étrangers. Ce texte n'est pas dépourvu de bonnes mesures mais la transition énergétique restera un voeu pieu tant que l'on ne changera pas ce modèle d'économie mondialiste et libre-échangiste. Il y a urgence à produire et à consommer local.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. David Rachline. - Nous nous abstiendrons.
Mme Chantal Jouanno . - Symboliquement, notre vote intervient le jour où Jean-Louis Borloo annonce le lancement de sa fondation en Afrique. (Murmures) Ces sujets sont fondamentaux. Sur le plan économique d'abord. Il ne peut y avoir de développement en Europe si l'Afrique, dont la population va doubler, n'a pas accès à l'énergie. (M. Charles Revet approuve)
C'est un sujet social parce que le climat pose une question d'équité. C'est aussi un sujet de sécurité. Un degré de réchauffement accroît de 7 % le risque de conflits internationaux. La question de l'accès aux ressources sera nécessairement posée. Si je suis globalement satisfaite de ce texte, et je remercie le Gouvernement pour son écoute, je garde néanmoins quelques regrets. L'échéance à laquelle nous réduirons la part du nucléaire n'est pas un vrai débat ; il est, en toute hypothèse, économique, pas écologique.
La France est en tête du classement en termes de prélèvements sur le travail et la production, en queue de peloton en matière de taxation écologique : faisons l'inverse ! Sans cela, nous ne pourrons évoluer.
Donnons aux collectivités territoriales la liberté d'expérimenter, de tester, de se défaire du carcan législatif. Je mesure l'obstacle juridique mais c'est indispensable pour mener à bien la transition.
Le texte a été amélioré par le Sénat -un regret, toutefois, sur les 1 000 mètres pour les éoliennes. (Exclamations sur plusieurs bancs) Nous saluons les avancées sur la précarité énergétique, les énergies renouvelables, les transports -mais le traitement médiatique n'a guère reflété la qualité du travail du Sénat : 1 000 amendements examinés, des heures de débat, un travail transpartisan. J'y ajoute la très bonne écoute du Gouvernement et de l'administration. Ne réduisons pas tout cet effort à la simple polémique politique sur la date de 2025.
Nous voterons bien sûr cette loi, en espérant son succès et la liberté rendue aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les bancs UC-UDI et plusieurs bancs UMP)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements nourris sur les bancs UMP) Nous avons fait un travail sérieux : c'est l'Assemblée nationale elle-même qui l'a dit. Nous proposerons ainsi en CMP un texte abouti.
Cette loi s'inscrit dans la lignée de celle de juillet 2005, de celle du 3 août 2009, dite Grenelle de l'environnement, et des décisions prises au niveau européen dans les paquets climat-énergie. Les objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre ou d'économies d'énergie y figuraient déjà.
Certains méconnaissent une évidence : les énergies carbonées sont prépondérantes dans notre mix énergétique. Or en concentrant le débat sur l'énergie électrique, qui ne représente que 23 % de notre consommation, dont 80 % fournis par le nucléaire, on n'aborde qu'une partie du sujet. Si l'on veut évoquer les énergies carbonées, il faut parler transport, bâtiment, où il faut faire des efforts pour diminuer notre consommation et réduire nos émissions de gaz.
Nous sommes attachés à une politique énergétique qui assure notre indépendance, préserve notre industrie, préserve le pouvoir d'achat des consommateurs et protège l'environnement. Nous avons réécrit les articles premier et 55 dans cet esprit.
Tous les commentateurs ont jugé que notre rédaction de l'article premier est raisonnable. La part du nucléaire ne pourra que baisser. L'objectif de 50 % ne nous choque pas. En revanche, la date de 2025 est impossible à tenir, d'où l'amendement, opportun, de Ladislas Poniatowski.
L'article 55 concerne la puissance installée : nous avons réintroduit un amendement relatif à la livraison de l'EPR de Flamanville, en 2017, sans doute.
Sur l'éolien, nous avons voté un amendement socialiste, preuve que la co-construction est utile.
Et demain ? Il faudra mettre plus d'Europe, malheureusement absente de nos débats. Les États membres doivent favoriser les interconnexions et soutenir la recherche -en matière de stockage de l'énergie électrique notamment.
Grâce à sa politique, la France est, après la Suède, le pays le plus vertueux en matière d'émissions. Continuons ! Le groupe UMP votera, bien entendu, ce texte. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Roland Courteau . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Lors de la discussion générale, j'avais conclu en disant « le futur n'attend pas ; alors, inventons-le maintenant ».
Madame la ministre, messieurs les rapporteurs, vous avez fait du bon travail et nous vous en remercions.
Le dernier rapport du Giec est alarmant. Une seule certitude : il faut faire des territoires les acteurs du changement de la transition vers la croissance verte. L'urgence est également économique et sociale : il faut lutter contre la précarité énergétique et les logements passoires. Saluons l'entrée de l'économie circulaire dans notre droit. Il n'y avait pas de meilleures réponses aux besoins en matière d'emplois et de compétitivité que celles fournies par ce texte. Nous devions inventer la sociale-écologie, au bénéfice des plus précaires.
Sur la CSPE, nous avons trouvé un compromis au Sénat. Vous nous avez rassurés, madame la ministre, sur la durée de vie des centrales, sur les concessions hydro-électriques -qui pourront être prolongées pour éviter une concurrence sèche qui aurait pu aboutir à une quasi-privatisation des barrages, sur l'effacement et les électro-intensifs.
Le groupe socialiste applaudit ce texte et les améliorations votées ici. Bernard Maris, assassiné le 7 janvier à Charlie Hebdo, écrivait : « La réalité de la satisfaction minimale des besoins essentiels de tous est là, il appartient à l'humanité de la mettre en oeuvre. Renonçons à l'accumulation pour l'accumulation. Mais il faudra du temps avant que la stationnarité et la décroissance entrent dans nos gènes. Dans ce nouveau monde, il y aura des économistes mais surtout des artistes ».
Nous regrettons que nos amendements sur le nucléaire n'aient pas été adoptés. Nous ne sommes ni pour la sortie du nucléaire, ni pour le tout nucléaire. Je regrette aussi la position du Sénat sur les coupures d'eau, si humiliantes pour les familles.
M. Christian Cambon. - C'est une mauvaise interprétation de l'amendement ! (M. Charles Revet renchérit)
M. Roland Courteau. - La mort dans l'âme, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Ronan Dantec . - Certains craignaient que le Sénat ne détricote ce texte. Ça n'a pas été le cas. Il l'a toutefois découpé, rapiécé, retaillé.
Plusieurs améliorations ont été apportées : sur la réhabilitation des logements notamment, le Sénat a crédibilisé les objectifs de réduction de la consommation d'énergie -au point que l'on se demande pourquoi il a supprimé l'article premier.
La création d'une filière REP pour les bateaux de plaisance est une autre avancée, permise par le groupe écologiste ; idem pour l'obligation de raccordement des installations d'énergies renouvelables. Toutefois, la règle des 1 000 mètres pour les éoliennes sera catastrophique. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Certains ont manié le ciseau un peu trop facilement, sur l'objectif des 50 % d'énergie nucléaire à l'échéance notamment.
Je rends hommage à l'éloquence de la ministre sur les créations d'emplois que permettront les énergies renouvelables.
Au final, le costume taillé est un peu rapiécé, et pas toujours conforme au patron initial. Des ornements écologistes ont été ajoutés, c'est heureux. Mais notre groupe votera contre cette composition déstructurée. Certains entendent malheureusement revêtir pour toujours le costume historique de notre politique énergétique tout nucléaire. Nous n'abandonnons pas l'idée, à partir du texte des députés, d'en tailler un nouveau. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Jean-Pierre Bosino . - Ce texte a été amélioré sur un certain nombre de points. L'objectif de réduction de la part du nucléaire devait être réaliste et favoriser la relance indispensable de notre industrie.
Il en va de même pour la rénovation thermique des bâtiments : les dérogations aux règles d'urbanisme et la priorité donnée à la rénovation des logements passoires vont dans le bon sens. D'autres avancées sont à souligner en matière d'économie circulaire ou de gestion des déchets. Nous regrettons toutefois que le délit d'obsolescence programmée soit malheureusement trop restrictivement défini. L'étalement urbain, le report modal sont trop peu pris en compte. Les compétences du médiateur de l'énergie ne sont pas étendues ; l'interdiction des coupures d'eau n'a pas été votée : c'est une faute politique.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. - Cela ne vaut pas pour les précaires !
M. Jean-Pierre Bosino. - Pire : le projet de loi fait un pas de plus vers la privatisation du secteur de l'énergie. Les territoires à énergie positive organisent la concurrence entre collectivités territoriales, voire jettent les bases d'un système autarcique.
Renforcement des marchés de capacités, privatisation du secteur historique de l'hydro-électricité... Ce texte est à lire en parallèle avec le projet de loi Macron qui favorise le tout routier, au détriment du secteur ferroviaire. La loi Macron met en application le rapport Attali, que nous avions combattu. Nous ne pouvons nous rallier à cette mise à mal du secteur public.
Le groupe CRC ne votera pas ce projet de loi, même s'il contient des dispositions intéressantes. (Applaudissements sur les bancs CRC ; on le déplore à droite)
M. Henri de Raincourt. - Quel dommage !
M. Jacques Mézard . - Notre groupe votera unanimement ce texte, à une abstention près. Ce qui compte, à nos yeux, ce n'est pas le climat dans lequel nous avons débattu mais le contenu ; globalement, ce texte est porteur d'une croissance créatrice d'emplois et encourage l'innovation.
Le Sénat a une fois de plus démontré son utilité, en améliorant un texte fait d'objectifs irréalistes et d'annonces incantatoires. L'assemblée nationale avait monté un costume qui était surtout virtuel, monsieur Dantec ! Le président Lenoir a eu raison de recadrer le débat, sans opposer nucléaire et énergies renouvelables.
Madame la ministre, merci pour la qualité du dialogue que vous avec su instaurer avec nous.
La fiscalité énergétique est la grande oubliée de ce texte. Elle est pourtant indispensable à la transition énergétique. Les questions fiscales relèvent des lois de finances, c'est vrai, mais celles-ci sont muettes en matière d'énergie...Il ne faut pas oublier la valorisation de l'hydrogène.
L'accompagnement des énergies renouvelables est encore source de nombreuses contradictions. Le stockage des énergies doit être une priorité de la recherche. Le réseau intelligent -distributeur et collecteur- est l'enjeu fondamental des prochaines années : travaillons-y.
Ce texte est finalement assez consensuel. Le Sénat a su rééquilibrer les choses là où cela s'imposait. La stratégie bas carbone est conforme à nos engagements internationaux et européens. Et je me réjouis que le Gouvernement se soit rallié à la proposition que nous avions faite sur les gaz entériques des bovidés... sans quoi nos agriculteurs auraient été injustement sanctionnés.
Sur le nucléaire, la position du Sénat est réaliste : la diversification du mix énergétique est indispensable mais doit être progressive afin de tenir compte des réalités techniques et scientifiques. Sur les énergies renouvelables -biomasse, éolien-, les mesures adaptées vont dans le bon sens.
Je le redis : le Sénat a travaillé vite et bien. (Applaudissements sur les bancs RDSE, UC-UDI et UMP)
Vote par scrutin public
M. le président. - Nous passons au vote par scrutin public qui a lieu en salle des Conférences.
La séance, suspendue à 15 h 30, reprend à 16 h 5.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°106 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 216 |
Pour l'adoption | 182 |
Contre | 34 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements)
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie . - Merci pour ce vote magnifique, qui engrange des avancées décisives, définitivement acquises. Merci pour vos explications de vote qui ont toutes souligné la portée historique de ce projet de loi qui engage notre pays de façon irréversible dans un nouveau modèle énergétique, qui donne aux entreprises un cadre stable pour investir et créer des emplois, qui fait de la France un pays exemplaire avant la COP 21. Les dirigeants du monde devront, à cette occasion, faire comprendre que nous avons deux patries : la nôtre et la planète.
Cette loi est le fruit d'un travail minutieux, déterminé, à l'écoute de tous les acteurs, des conférences environnementales, des collectivités territoriales, des ONG, des débats citoyens, du Conseil de la transition écologique. Surtout, je salue l'excellent travail du Sénat et la grande qualité du débat démocratique. (Applaudissements) J'ai eu plaisir à l'animer avec les chefs de file de vos groupes, vos commissions et leurs présidents, vos rapporteurs Louis Nègre et Ladislas Poniatowski. (Applaudissements) Ni vaine polémique, ni politique politicienne mais une même hauteur de vue, la volonté commune de projeter la France dans un avenir bon pour elle. Nous avons débattu dans un esprit qui fait honneur à la démocratie, avec pour motivation première la recherche du bien commun.
Vous avez confirmé la plupart des dispositions majeures du texte que j'avais défendu à l'Assemblée nationale. 80 % des 250 amendements adoptés par le Sénat ont fait l'objet d'un avis favorable du Gouvernement. L'esprit constructif a prévalu. Les cinq ou six alinéas, sur près de 1 500, qui restent en débat, très marginaux, seront soumis à la CMP dans une semaine. Je ne doute pas que le Parlement saura donner sans tarder une plus grande force au mouvement de tous, qui fera de la France, dotée désormais de la législation la plus avancée d'Europe, une puissance écologique. Une France donnant l'exemple chez elle et capable d'entraîner les autres pour construire l'Europe de l'énergie et au-delà.
La performance énergétique des bâtiments, la priorité aux transports propres, les objectifs zéro gaspillage-zéro déchet, la montée en puissance des énergies renouvelables grâce à des mécanismes de soutien, la lutte contre la précarité énergétique, le renforcement de la sûreté nucléaire, le rééquilibrage et le pilotage démocratique du mix énergétique : tout cela va dans le sens de la construction d'une économie à bas carbone. Je vous en remercie.
Sur certains points, je souhaite le retour au texte initial dès lors qu'il correspond à l'intérêt du pays. Je sais pouvoir compter sur un bon dialogue entre les assemblées.
Rien n'est plus fort, disait Victor Hugo, qu'une idée dont l'heure est venue. Cette idée, c'est celle du développement durable : lutter contre les dégâts du dérèglement climatique, reconquérir la biodiversité, agir pour la qualité alimentaire, pour le progrès environnemental indissociable du progrès social et de la compétitivité de nos entreprises. Réconcilions les exigences du temps présent et celles des temps à venir, celles des générations futures pour lesquelles nous agissons ensemble.
Quand on marche seul, on se dit qu'on peut aller plus vite ; quand on marche avec d'autres, on va plus loin. (Marques d'approbation) Voilà pourquoi je souhaite, sans qu'ils renoncent à ce qu'ils sont ni ne confondent l'essentiel avec l'accessoire, que les élus de la Nation joignent leurs voix pour que nous réussissions, ensemble, avec les Français, cette belle révolution de la croissance verte. (Applaudissements)
La séance est suspendue à 16 h 15.
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.