Convention de l'Organisation internationale du travail
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention de l'Organisation internationale du travail relative aux agences d'emploi privées.
Discussion générale
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports . - La France est, avec l'Espagne, le pays qui a ratifié le plus grand nombre de conventions de l'Organisation internationale du travail. Elle manifeste ainsi son attachement à l'élaboration d'un cadre de travail et d'un cadre social international, d'autant plus important dans un monde où les échanges s'accroissent.
De nombreux pays ont recouru à des agences d'emploi privées qu'il convient de réguler afin de garantir les droits des travailleurs. C'est donc un texte protecteur que nous examinons, dont la loi française reconnaît déjà la plupart des dispositions. La convention rappelle les droits fondamentaux des travailleurs : liberté syndicale, salaire minimum, conditions de travail, accès à la formation, gratuité du service public de l'emploi, égalité des chances et de traitement dans l'accès à l'emploi, protection des données personnelles.
Ce socle de droits est aussi le nôtre. La France y est très attachée. Notre pays est d'ailleurs vu comme étant en pointe dans ce domaine.
La convention prend acte de la reconnaissance de ces droits dans de nombreux pays et pose un cadre régulateur, conformément à la mission de l'OIT.
Ratifier cette convention ne modifiera donc pas notre droit mais réaffirmera notre attachement à ces principes.
L'OIT est originale. C'est la seule organisation où se retrouvent les représentants des États, des employeurs et des salariés. La convention n°181 est une illustration concrète des principes que nous défendons dans tous les domaines de l'emploi. Je vous demande de la ratifier.
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Cette convention de l'OIT, relative aux agences d'emploi privées, vise à autoriser la création et les activités de telles agences. Les États signataires s'engagent à promouvoir leur coopération avec le service public de l'emploi. Pourquoi faire appel à ces agences ? Cela permet de renouveler les méthodes de suivi des demandeurs d'emploi et favorise leur employabilité en améliorant leur accès à la formation.
Cette convention protège en même temps les travailleurs des agences privées : liberté syndicale, accès au travail, protection sociale, protection de la vie privée, etc...
Les travailleurs migrants sont spécifiquement protégés ; les agences ne sauraient faire appel au travail des enfants.
Actuellement, cette convention se trouve ratifiée par 27 pays dont 12 États membres de l'Union européenne. Pour notre pays, elle comporte peu d'enjeux. Le droit français est en effet d'ores et déjà conforme aux exigences de la convention et ce, depuis la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services, qui a supprimé les restrictions à la création d'agences d'emploi privées.
La possibilité même de créer une agence d'emploi privées avait été ouverte, sous conditions, par la loi du 18 janvier 2005 pour la cohésion sociale qui a mis fin au monopole de placement de l'ANPE, devenue Pôle Emploi en 2008. Si celui-ci conserve l'exclusivité du contrôle de la recherche d'emploi, les agences privées peuvent concurrencer Pôle Emploi sur le placement des demandeurs d'emploi. La ratification de cette convention n°181 est en somme un enjeu de bonne articulation entre droit international et droit interne. C'est pourquoi je vous propose d'adopter le projet de loi.
Mme Leila Aïchi . - L'exposé des motifs de ce projet de loi fait apparaître un paradoxe. Sur la forme d'abord : la convention a été adoptée par l'OIT en 1997, notre droit s'y est conformé en 2005 et en 2010 et on nous demande de la ratifier en 2015.
Paradoxe sur le fond aussi : le nombre de demandeurs d'emplois n'a cessé d'augmenter en 2014, année noire pour l'emploi. Si janvier 2015 a vu une baisse du nombre de chômeurs de 20 100 personnes, les inscrits à Pôle Emploi n'ont jamais été aussi nombreux. Gardons-nous de tout triomphalisme.
L'article 8 de la convention est flou en ce qui concerne les contraintes pesant sur les employeurs de travailleurs migrants. En quoi consiste une protection adéquate ? Les contrôles de police et de l'inspection du travail auraient gagné à être renforcés et l'instruction des plaintes simplifiée. On sait que les opérateurs privés recrutent beaucoup pour le bâtiment et la construction navale, secteurs de grande dangerosité.
Les agences privées ne peuvent être la seule réponse au problème du chômage et la Cour des comptes a pointé les dysfonctionnements du suivi des demandeurs d'emploi qui leur sont confiés, tout en soulignant l'intérêt d'une coopération public-privé.
Malgré ces réserves, le groupe écologiste votera ce texte.
M. Dominique Watrin . - L'étude d'impact précise qu'il s'agit de libéraliser l'activité de placement des demandeurs d'emploi. Bien qu'encadrée, l'activité des agences privées peut être mise en cause pour sa qualité.
Nous devons avoir un véritable débat sur ces questions. En 2014, Jean Bassères, directeur de Pôle Emploi, avait jugé la sous-traitance -dont la Cour des comptes évalue le coût à 80 millions d'euros- peu efficace, à tel point qu'il envisageait de réinternaliser les services concernés. On se demande dès lors quelle est la pertinence de cette ratification.
En 2005, nous avions souligné, avec les élus socialistes, les dangers de la libéralisation de la recherche d'emploi. Souhaitez-vous désormais encourager l'intervention directe des agences privées ? C'est d'autant plus incompréhensible que nous avons le recul suffisant pour constater que les résultats sont loin d'être satisfaisants...
Les opérateurs privés recourent à des salariés précaires pour trouver du travail à des demandeurs d'emploi sans avoir les moyens d'y parvenir : comment mobiliser un réseau en quelques mois de CDD ? Ces études montrent que l'efficacité des conseillers de Pôle Emploi repose sur les relations développées avec les demandeurs d'emploi et donc sur le temps passé avec eux.
Les agences privées ont intérêt à décrier les résultats du service public, même si leurs propres résultats laissent à désirer -sans parler des cas de fraude.
En février 2014, le conseil d'administration de Pôle Emploi a adopté un changement d'orientation majeur ne proposant plus un accompagnement externalisé mais renforcé au sein de Pôle Emploi pour les chômeurs les plus éloignés du marché du travail.
Nous nous étonnons, monsieur le ministre, que vous vous empressiez à faire ratifier ce texte alors que tant d'autres conventions plus favorables aux salariés sont dans les tiroirs. Nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Sylvie Goy-Chavent . - (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit) Avant toute chose, un voeu : les conventions de l'OIT gagneraient à être renvoyées, au moins pour avis, à la commission des affaires sociales.
M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je partage votre avis.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Une convention pour rien ? Non, elle actualise la convention n°97, en négociation depuis plus de vingt ans. Pour une fois, notre droit interne était en avance. Saluons cette célérité.
Les agences privées reçoivent une définition large : agences de placement, chasseurs de tête en font partie. Notre droit est déjà complet dans tous ces domaines. La ratification de la convention n°181 mettra simplement un peu d'ordre dans notre hiérarchie des normes.
D'où un malaise : cette ratification ne résout aucun des problèmes soulevés par nos collègues des affaires sociales. Nous aurions pu examiner ce projet de loi à l'occasion d'un débat de fond, sur les conditions de l'emploi en France.
On peut s'interroger : rien n'interdit dans la convention de recruter des travailleurs pour casser une grève ; la recommandation qui l'interdit n'a pas de valeur normative. Autre sujet d'interrogation : les travailleurs migrants. Il appartient aux États de fixer leurs règles en la matière. Tout cela est flou... Qu'attendons-nous pour le faire ?
Il y a une certaine ironie à ratifier un tel texte, qui ne changera rien, alors que la situation de l'emploi dans notre pays ne cesse de se détériorer...
Enfin, je salue la méthode, pour réduire le stock de conventions soumises à la commission des affaires étrangères.
Notre groupe votera ce projet avec l'enthousiasme qu'il mérite.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Bravo !
M. Bernard Fournier . - Les conventions internationales doivent être ratifiées par le Parlement. Saluons l'initiative du président Jean-Pierre Raffarin d'élaborer une programmation à six mois des projets de loi d'autorisation de ratification, et la célérité avec laquelle nous examinons ce texte, deux mois après l'Assemblée nationale.
La convention n°181, adoptée en 1997, est entrée en vigueur en 2002. Elle repose sur une idée simple : les opérateurs privés viendraient en soutien du service public de l'emploi, qui pourrait se concentrer sur les demandeurs d'emploi les plus en difficulté.
La définition des agences privées est large ; tous les services de placement sont visés. Les agences d'intérim sont concernées en tant qu'elles exercent une activité de placement de travailleurs. Le statut juridique de ces agences restera conforme à la législation et à la pratique nationale.
Ce texte ne changera rien non plus aux règles instaurées par la loi de 2010, qui prolonge celle de 2005 autorisant la création d'agences privées. Le groupe UMP votera ce texte dépourvu d'impact juridique.
Le sujet mériterait toutefois mieux qu'un débat au détour d'une convention, alors que le climat économique de notre pays est particulièrement morose. Nous en reparlerons lorsque nous examinerons la loi Macron.
Je comprends les inquiétudes du groupe CRC. Mais la Cour des comptes a souligné les difficultés des organismes privés de gestion des demandeurs d'emploi : après une brève croissance, leur activité a fortement chuté.
Les procédures de passation de marché n'ont pas toujours abouti ; les flux des demandeurs d'emploi orientés vers ces agences se sont révélés trop irréguliers et certains de ces opérateurs sont en situation de faillite.
La cause est à rechercher non chez ces derniers mais dans le manque d'organisation de leur relation avec Pôle Emploi. Le sujet ne peut toutefois être épuisé ce soir. Nous y reviendrons. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État . - Monsieur Watrin, cette convention ne libéralise pas le service public de l'emploi. Il ne sert à rien de faire peur lorsque les textes sont clairs. Les partenaires sociaux ont été consultés en janvier 2011 et à nouveau en janvier 2015 : ils y sont favorables. Les agences privées ont vocation à seconder Pôle Emploi qui se concentrera sur le suivi des demandeurs d'emploi qui en ont le plus besoin. Le cahier des charges est partagé et le principe de gratuité est protégé.
En 2012, 2 000 emplois supplémentaires ont été affectés à Pôle Emploi ; 2 000 encore en 2013. Le premier ministre s'est engagé à maintenir cet effort. Voilà où sont nos priorités.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Daniel Reiner . - Les agences privées ne sont pas une nouveauté puisqu'elles existent dans notre droit depuis 2005. Cette convention est sans effet sur notre droit qui est déjà protecteur des salariés. Le principe de gratuité des services fournis aux demandeurs d'emploi n'est pas menacé. Pôle Emploi conserve le monopole du contrôle de la recherche d'emploi ; les agences privées ne peuvent opérer que dans le cadre des appels d'offres passés par Pôle Emploi.
Ratifier cette convention permettra de dénoncer celle, obsolète, de 1949 et de clarifier notre hiérarchie des normes.
Cette convention n'est pas complète mais son adoption la plus large exigeait un consensus entre les États, par la recherche du plus petit commun dénominateur. Elle ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité et devait d'ailleurs initialement être examinée en procédure simplifiée.
Les limites des agences privées ont été soulignées par la Cour des comptes ; Pôle Emploi présente des performances meilleures que celles-ci, ce qui l'a conduit à freiner le lancement de ses appels d'offres, d'autant qu'il est apparu que ces opérateurs employaient souvent eux-mêmes des travailleurs précaires. À partir de 2015, les chômeurs les plus en difficulté reviendront dans le giron de Pôle Emploi.
Il est vain de croire à la possibilité d'un retour en arrière. Internet prend aujourd'hui le relais des agences privées sur le marché de l'emploi. LinkedIn rassemble 240 millions de curriculum vitae détaillés dans le monde entier, Facebook et d'autres font de même. À une différence près : les entreprises doivent payer pour y avoir accès.
Les réseaux sociaux agissent-ils en conformité avec la convention n°181 de l'OIT ? Voilà de bien vastes perspectives... Portons plus loin notre réflexion en la matière. (Applaudissements)
Le projet de loi est adopté définitivement.